GŒTHE ENTRE ORIENT ET OCCIDENT
(Extraits)
par Angelika Schober
Dans les « Notes et explications pour une meilleure
compréhension du Divan occidental-oriental », Gœthe
demande au poète et par extension à ses lecteurs de
chercher en Orient le nouveau dans l’ancien : « Qu’il se réjouisse
en Orient que l’ancien soit le nouveau ». Phrase énigmatique
qui exprime la conviction que l’Orient est en mesure d’apporter
quelque chose d’important à l’Europe, quelque chose d’essentiel
oublié cependant. Cette phrase peut étonner car Gœthe
n’est pas un nostalgique mais un homme de son siècle dont
les idées s’inscrivent en grande partie dans le mouvement des
Lumières. Pourtant Gœthe, homme universel par excellence,
ne se cantonne pas dans un courant de pensée. Stimulé par
une libido sciendi sans bornes, il a le courage de boire à toutes
les sources y compris à celles que d’autres dédaignent. En
l’occurrence, il propose de trouver ailleurs, en Orient, des
inspirations nouvelles, mais pas neuves, car elles sont censées
être anciennes. Gœthe se tourne donc vers l’Orient non pas
pour y dénicher des curiosités à la manière des Lettres persanes
de Montesquieu mais pour y découvrir des trésors enfouis. De
quoi s’agit-il ? Pour répondre à cette question, il faut se souvenir
d’abord que Gœthe exalte l’homme complet, cet être humain
non déchiré qui ne se laisse pas estropier mais réalise en sa
personne une unité harmonieuse entre les différentes
composantes de son être, y compris le côté spirituel et la sensualité.
Le roman Les années d’apprentissage de Wilhelm Meister
en témoigne. Son idéal est préfiguré dans une lettre à Charlotte
von Stein du 8 juin 1787 où Gœthe dit avoir rencontré à Rome
des hommes heureux qui devaient leur félicité à « la seule
raison d’être entiers » et il en conclut que même l’homme le
plus simple peut être parfait et heureux à condition d’être
entier.
Plusieurs réflexions figurant dans les écrits esthétiques
confirment cette pensée. Dans Le Collectionneur et ceux qui
lui ressemblent, Gœthe souligne que l’homme est non
seulement un être intellectuel, mais « un tout, une unité de
multiples forces liées étroitement ». Nietzsche a bien compris
cette donnée lorsqu’il considère Gœthe comme le meilleur
exemple d’un homme « entier » qui « se disciplinait pour
devenir complet ».
Il dépassait le clivage entre sensualité et spiritualité sachant,
à la manière du poète mystique persan Hafis
auquel Gœthe s’identifie dans le Divan que « chaque
bon mariage, chaque vrai amour qui vient du cœur dépasse
l’antagonisme entre la sensualité et la pudeur ».
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