Chroniques népalaises
Pensées - Certaines expériences ont le chique pour abraser nos valeurs, les mettre à mal, et les faire
périr, d'autres au contraire les élèvent au dessus de tout soupçon et confèrent l'idée de les maintenir
contre vents et marées. L'hospice de Shechen me jette dans cette seconde catégorie d'expérience: la
philosophie des soins palliatifs doit voyager, se limer à d'autres cultures pour faire poindre ce en
quoi elle est vraiment plus qu'une conception de plus dans l'offre de soins de santé: soit un dialogue
autour de la sollicitude, de cette générosité qui nous invite à nous pencher sur la dépendance et la
souffrance, car il n'y a toujours que des hommes et des rencontres. Ce n'est donc pas un savoir que
l'on exporte en première intention mais bien une spécificité de la vie (et pour la vie), comme peut
l'être l'amour, la joie ou la mort.
14 juin 2010 – Trop impatient d'attendre jusqu'au lendemain, date officielle de ma prise de fonction
comme volontaire infirmier, je me présente à la réception de la clinique Shechen, quêtant Marie
Christine, mon contact dans les murs.
Absente...
Je tente Sushila, la cadre de santé, jeune infirmière, avec qui j'ai succinctement échangé. Cette fois
je suis dans la place, j'ai du temps libre, la visite commence. Je parcours la clinique, composée en
son centre d'une petite stuppa (petite structure pointant vers le ciel, symbolique pour les
bouddhistes) et d'un parterre de fleurs. Une clinique dentaire, un laboratoire, un praticien de
médecine générale, un centre de planning familial, un travailleur sociale, un acuponcteur, un
praticien de la médecine tibétaine, une fabrique et une pharmacie de médecine tibétaine, des
commodités pour les volontaires, une cuisine, et pour finir mon temple : l'hospice. Ce dernier se
compose de 4 chambres de 2 lits à l'ameublement réduit, une salle de soins. Je suis agréablement
surpris par cette visite, le Népal convie souvent au désenchantement.
Bref, rencontre de Danny, responsable de la clinique, expatriée française avec un charmant accent
quand elle s'adresse en népalais à ses collègues. Elle me fait partager son désir de créer au coeur de
la clinique quelques animations afin de mobiliser les habilités des personnes en fin de vie... je relie
cette demande en pensée aux capacités créatrices d'Eugénie, peut être y aura t il moyen de la faire
participer à cette aventure?
Je rentre à la guest house enchanté de cette première découverte, tout sourire, je comprends
l'opportunité que j'ai de vivre une telle expérience.
15 juin 2010 – Date officielle, je me présente à 7 heure
Dans la salle de soin, les premiers échanges commencent, une infirmière de nuit, une assistante, la
présentation des patients à la manière des visites médicales cérémoniales, je me sens plutôt mal à
l'aise. Les informations filent, l'infirmière parle anglais très rapidement, prend à peine le temps de
respirer, me décrit les traitements en cours, je perds rapidement pied... Heureusement, l'infirmière
de jour arrive avec deux heures de retard, sa collègue de nuit étant déjà partie, je retrouve un peu du
Népal... La communication est déjà plus posée, je m'en remets à ma « sister » (nom donné aux
infirmières) pour connaitre un peu plus le service, et ne cache pas ma hâte de voir ma collègue
transfrontalière prendre soin. Il faut aussi préciser que je suis le premier infirmier homme dans la
clinique, au Népal, l'amour dans le soin est une histoire de femme...
Dans l'hospice, 7 lits sur 8 sont occupés, la société repose sur l'interdépendance familiale,
l'individualité n'est pas de mise. Les soins de nursing sont donc dans la totalité réalisés par la
famille, l'infirmière s'avère la dernière roue du carrosse si la famille fait défaut. Les habitudes
familiales sont donc respectées et non contrariées, quelles qu'elles soient!
Le système familial prime sur la volonté du patient, c'est pourquoi le plus souvent les patients ne
connaissent pas la raison de leur présence dans l'hospice, contrairement aux familles. A ma question
à savoir si les patients ne questionnaient pas les transformations dans leur corps, les infirmières me
répondent qu'ils se doutent de quelque chose, mais afin de ne pas leur soustraire tout espoir, « nous
préférons leur cacher la gravité des situations ».