Émergence du paysage marin dans la comedia espagnole
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Les Cahiers du CEIMA, 4
par effet de continuité, un espace champêtre, un rocher en carton-pâte un
décor montagneux5. Chez le spectateur, la perspective paysagère se construit
grâce à l’imagination avec le support de l’illusion textuelle. Cette importance
du texte dramatique dans la comedia de corral a été théorisée, dans les années
70, sous le nom de « décor verbal » par José María Diez Borque dans une
approche sémiologique de la scène du Siècle d’Or6. Ainsi inventer l’espace,
a fortiori la nature dans son immensité, devient-il pour le spectateur citadin
du corral de comedias un enjeu aussi fondamental qu’inné de son expérience
théâtrale et de son rapport à l’espace théâtral. La poétique du texte dramati-
que se nourrit des contraintes scéniques et en repousse les limites. Au l de
l’évolution de la dramaturgie de la comedia nueva, depuis le fondateur du genre,
Lope de Vega, jusqu’à Calderón de la Barca, le texte dramatique prend une
importance croissante dans la création de la perspective.
La représentation de l’espace marin et la perspective qu’il engendre exa-
cerbent dans le corral de comedias cette convention de continuité. La mer, dès
le théâtre de Lope de Vega, est soumise au prisme de l’imagination créatrice
du spectateur dans la convention de continuité de la scène et sous l’impul-
sion du texte dramatique. Parfois, cette imagination a un support scénique
qui construit la nature maritime dans la continuité : il s’agit de la représen-
tation sur scène de navires ou de galères. Ruano de la Haza en étudie toutes
les manifestations scéniques dans le corral 7. La scène du corral se compose du
plateau central et d’une ou deux galeries praticables qui forment la façade
de fond de scène8. Ces galeries, qui constituent généralement trois étages
scéniques, servent à la représentation d’objets scéniques apparaissant à cer-
tains moments de la pièce par des effets de rideaux. Par l’ouverture d’une
sorte de fenêtre scénique, le navire ou le bateau praticable ainsi découvert
est révélateur d’une tentative scénique d’apprivoisement de l’immensité et de
la perspective marine. Parmi d’autres, trois pièces du premier tiers du dix-
septième siècle illustrent ce mode de représentation synecdochique de façon
particulièrement intéressante : il s’agit d’une pièce hagiographique attribuée
de façon vraisemblablement erronée à Lope de Vega, Le plus grand bonheur
dans le « monte »9, de Leçons pour le sage10 de Tirso de Molina, dramaturge inter-
médiaire entre Lope et Calderón, et de La nymphe du ciel 11, une autre pièce
hagiographique attribuée au même Tirso de Molina.
Dans Leçons pour le sage et Le plus grand bonheur dans le « monte », le navire
praticable se situe sur la première galerie et permet ainsi de représenter la
haute mer. Dans la première pièce, le navire est découvert au moment où a
lieu l’enlèvement d’un enfant par son père. La terre est représentée par un
personnage resté sur le plateau central de la scène, la mère de l’enfant, tandis
que, dans un premier temps, ce qui se passe en bord de mer est rendu par
les signaux sonores que sont les voix des personnages depuis le vestiaire.