l’objet de mon besoin et de mes manques, mais il est devenu le sujet de mon
désir, “l’Autre du désir”20 et ce vers quoi il doit tendre, non seulement en se
dépouillant de lui-même, mais en dépouillant ses propres représentations de
Dieu. Rien ne peut définir et limiter cet Autre s’il est vraiment l’Infini caché
dans l’homme. Le vide de tout devient le seuil de la plénitude d'un jour
nouveau. Ce vide est le berceau d'une nouvelle naissance où l’homme devient
une personne, en s’établissant dans ce centre divin pour en recevoir son
identité de fils de Dieu. Dieu est toujours là mais caché dans ce fond de l’âme.
En tant que sujet, il est toujours au delà de toute image et de tout concept, et
même au delà de tout désir. C’est pourquoi Éckhart écrit : «”Vraiment tu es le
Dieu caché” au fond de l’âme ; le fond de l’âme et le fond de Dieu n’étant
qu’un seul et même fond. Plus on te cherche, moins on te trouve. Tu dois le
chercher de façon à ne jamais le trouver. Si tu ne le cherches pas, tu le
trouves »21.
Le monde du "Je" et du "Tu" Martin Buber
Ainsi la rencontre interpersonnelle se réalise par le passage du présent visible
à la présence invisible, passage du Lui impersonnel au Toi personnel. L’autre
n’est jamais un simple objet de mon désir placé en face de moi ; en me
devenant intérieur, l’autre dans mon regard peut accéder au statut de sujet.
L’enjeu d’une véritable rencontre est le passage du registre de la logique ou de
l’analogique à celui de la communion, de l’objectivation pure ou du simple
subjectivisme à l’intersubjectivité. " La seule manière de rencontrer un
homme, de découvrir son vrai visage, d’entrer en contact avec sa vérité, c’est
de le situer dans ce que G. Marcel appelle le monde du "Tu" qui se distingue
du monde du "Il". Le monde du "Il" est le monde des objets, le monde
mécanique, le monde de l’extériorité… où l’on parle d’un homme en disant
"celui-là". Le monde du "Tu" au contraire est le monde de la réciprocité où
l’on est en face d’un vis-à-vis, où l’âme cherche l’âme, l’intimité l’intimité, la
personne la personne. "
Cette analyse de Zundel s’enracine dans la réflexion de Martin Buber, pour
lequel " l’homme devient un Je au contact d’un Tu. " " La personne apparaît
au moment où elle entre en relation avec d’autres personnes ". Mais ce Tu n’a
de véritable présence, pour Zundel qu’autant qu’il participe au monde de la
transcendance dans la rencontre de l’autre, que s’il y a un troisième terme. La
relation est première et produit, dans le dialogue, la personnification de la
chose créée. Je n’existe qu’à partir du rapport à un Tu. Le fait fondamental de
l’existence humaine est : l’homme avec l’homme. Comme Zundel, Martin
Buber écrit : " Au commencement est la relation. ". " L’individualisme pour
lui voit seulement l’homme dans l’état de relation avec soi-même ; et le
collectivisme lui ne voit pas l’homme ", il ne s’occupe que de sociétés et de
relations impersonnelles. Devant cette alternative, Martin Buber parle d’un
"entre-deux", un Zwischen, le domaine de la relation interpersonnelle. " Or ce
reste est justement l’essentiel. "… " Au-delà du subjectif, en deçà de
D. Vasse, L’Autre du désir et le Dieu de la Foi, Paris, Seuil, 1991.