Statut des fonctionnaires : les premières pistes du projet

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Gerard CLEMENT
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CENTRE RHONE –ALPES D’INGENERIE SOCIALE SOLIDAIRE & TERRITORIALE
REVUE DE PRESSE
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L’emploi des séniors, un choix à éclairer et à personnaliser
Femmes et hommes : regards régionaux sur l’égalité
Le business des "colos", reflet de la fracture sociale
Patrick Martin (Medef Auvergne Rhône-Alpes) : "J'ai été élu sur mon discours
industriel"
Auvergne Rhône-Alpes : l'Insee confirme l'amélioration de l'économie régionale
Attentat de Nice Déclaration de Jean-Jacques URVOAS, garde des Sceaux, ministre
de la Justice
Conditions de travail (1) Les relations avec les collègues et les supérieurs
hiérarchiques et les exigences émotionnelles
Les retraites des fonctionnaires, similitudes et différences avec le privé
La presse régionale se cherche un avenir
Pour Gilles Kepel, le "logiciel" des terroristes a changé et notre classe politique "est
nulle"
La gauche ne sait plus penser le progrès
Qu’est-ce qu’être réaliste ?
Les salaires en France sont en recul constant
Le drame français des grands souvenirs : un culte réactionnaire du passé ?
35 heures : ce que dit le rapport secret de l’IGAS
Accords de branche : sont-ils si protecteurs ?
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L’emploi des séniors, un choix à éclairer et à personnaliser
mercredi 13 juillet 2016
Le taux d’emploi des séniors a fortement augmenté ces quinze dernières années. Il est passé pour les 55-64 ans de 37,9 % en début de 2008
à 48,9 % à la fin de 2015. Cela est dû à la réforme des retraites d’une part (recul de l’âge légal de départ en retraite), hausse de la durée de
cotisation, quasi suppression des préretraites à financement public, fin du dispositif de dispense de recherche d’emploi de l’assurancechômage. Malgré cette augmentation, le taux d’emploi des séniors est inférieur de 10 points à la moyenne des pays de l’OCDE. Dans une
note du CAE (Conseil d’analyse économique) de mai 2016, Pierre Cahuc, Jean Olivier Hairault et Corinne Prost dressent un bilan de l’emploi
de séniors en France et font des propositions pour l’avenir.
I- Le constat
Plusieurs réformes ont été menées, actionnant 3 leviers principaux : augmentation du taux de prélèvement, diminution de la pension
moyenne relative et augmentation de l’âge moyen de départ.
 Dès la fin des années 1980, l’indexation des retraites sur les prix et non plus sur les salaires a eu pour conséquence une baisse du
pouvoir d’achat au fur et à mesure de l’avancement dans la retraite. Ceci a pour conséquence des trappes à pauvreté sur le long
terme.
 La réforme de 1993 a porté sur le régime général et les 3 régimes alignés. La durée de cotisation nécessaire pour une retraite à taux
plein passe de 37,5 à 40 années. Le salaire moyen de référence servant de base pour le calcul de la pension se fonde sur les 25
meilleures années et non plus sur les 10
 La réforme de 2003 a touché l’ensemble des régimes de retraite, à l’exception des régimes spéciaux. Elle aligne progressivement la
durée de cotisation des fonctionnaires sur celle des salariés du privé (de 37,5 à 40 ans) et allonge la durée de cotisation pour tous à
partir de 2009 pour atteindre 41 ans en 2012. Un système de décote et de surcote est généralisé.
 La réforme de 2010 puis la loi de financement de la Sécurité Sociale de 2012 relèvent progressivement l’âge d’ouverture des droits à
la retraite pour atteindre 62 ans. Cela concerne tous les salariés mais avec des calendriers de mise en œuvre différents.
 La loi du 20 janvier 2014 augmente la durée requise jusqu’à 43 ans, pour l’obtention du taux plein à partir de la génération 1973.
Les retraites anticipées pour carrières longues et la mise en place de dispositifs de retraite anticipée ont contrebalancé l’allongement des
durées de cotisation limitant l’impact sur le taux d’emploi des séniors. Stable entre 1993 et 1999, puis en hausse de 0,4 % par an au début des
années 2000, l’âge moyen de liquidation des droits à la retraite a connu une baisse de 7 mois en 2004. Puis l’âge s’est stabilisé à partir de 2009
et il a augmenté lors de la réforme de 2010.
 Depuis 2012, on observe un rebond des retraites anticipées pour carrières longues. Fin 2014, 182 200 bénéficiaires (soit plus de 92 %
par rapport à 2012) réduisent l’âge moyen de départ à la retraite de près de 9 mois.
 Depuis les années 1980, le nombre de bénéficiaires de dispositifs de préretraites a commencé à diminuer, pour se stabiliser autour
d’un effectif de 400 000 personnes dans les années 2000 pour s’éteindre progressivement dans les années 2010.
 Le système d’assurance chômage continue d’alimenter un dispositif implicite de préretraite pendant 3 ans avant l’âge légal de la
retraite.
La remontée de l’emploi des séniors s’est accompagnée d’un accroissement de leur taux de chômage. Et 25 % des 4 millions de personnes
âgées d’au moins 55 ans travaillent en 2014 à temps partiel contre 19 % pour l’ensemble des actifs occupés. Ils sont deux fois moins souvent
que le reste de la population en emplois précaires. Mais la durée du chômage est plus élevée chez les séniors. La probabilité de retrouver un
emploi est plus faible.
II- De nouvelles réformes sont à venir pour assurer l’équilibre de long terme du système des retraites
Les choix collectifs doivent se faire de manière transparente par une amélioration sur la connaissance des différents dispositifs : décote,
surcote, retraite progressive, cumul emploi-retraite. Il faut unifier la gouvernance des retraites obligatoires et harmoniser les règles pour
converger à terme vers un régime unifié à points.
Les auteurs de la note proposent plusieurs recommandations :
 1-Faire mieux connaître les différent dispositifs de retraite « choisie » : décote et surcote, retraite progressive, cumul emploiretraite, générateur de droits nouveaux à la retraite. Un effort de convergence entre les régimes de retraite doit être réalisé. Dans un
régime à points ou régime en comptes notionnels, tout temps de travail donne lieu à cotisations. Ce système permettrait de concilier
l’exigence d’équilibre des comptes des caisses de retraite et celle d’individualisation des choix de retraite.
 2-Harmoniser progressivement les règles définissant l’accumulation des droits par rapport au taux plein. Organiser la concertation
pour une réforme à terme vers un régime unifié à points ou en comptes notionnels.
 3-Mettre en place un plan spécifique d’accompagnement et de formation pour les chômeurs de plus de 50 ans, en échange d’une
réforme de l’assurance chômage des séniors. Les actions de Pôle emploi doivent être adaptées aux chômeurs de plus de 50 ans en
améliorant le suivi et la formation, en les sensibilisant à une nécessaire modération salariale, en travaillant sur la réinsertion en
termes de formation, de réseaux d’entreprises, et d’accompagnement.
 4-Ramener la durée d’assurance chômage pour les plus de 50 ans à deux ans maximum. Reste la question du maintien de
l’extension des droits à partir de 62 ans. La justification implicite du dispositif actuel est de faire la soudure jusqu’à un âge de la
retraite à taux plein. Ce n’est pas à L’UNEDIC d’assurer une préretraite universelle. La logique de l’allocation transitoire de solidarité
(ATS) est différente, elle s’est substituée à l’allocation transitoire de solidarité (AER), elle s’adresse aux personnes sans emploi et sous
conditions de ressources ayant déjà atteint le taux plein avant 62 ans. Les questions de pénibilité et de santé doivent être traitées
par d’autres dispositifs.
 5-Supprimer l’extension de la période d’indemnisation à partir de l’âge légal jusqu’à l’âge de la retraite au taux plein. Cette
proposition ne supprime pas totalement le risque d’une utilisation de l’assurance chômage par les entreprises. Il faut instituer un
financement.
 6-Instituer un système de bonus-malus pour les cotisations employeurs d’assurance-chômage. Un mécanisme de bonus-malus
pour les entreprises doit contribuer pour partie au coût de l’indemnisation chômage de leurs salariés séniors. Cette contribution doit
s’appliquer à tous les salariés.
La hausse très sensible du taux d’emploi des séniors depuis les années 2000 montre que le sous-emploi de cette catégorie de travailleurs n’est
pas une fatalité. La France reste en dessous du taux de la plupart des pays de l’OCDE. Mobiliser cette force de travail reste un enjeu essentiel
pour la prospérité.
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Les auteurs de la note font le pari qu’un retraité possède une épargne et un patrimoine, qu’il peut choisir entre travail et loisirs. Ce n’est pas
vrai pour toutes les catégories de retraités, notamment pour ceux qui ont eu des périodes de chômage et des carrières accidentées. Les
femmes ont de faibles droits propres en matière de retraite, des carrières incomplètes et elles vivent plus longtemps.
Femmes et hommes : regards régionaux sur l’égalité
mercredi 13 juillet 2016
Dans quelle région les filles et les garçons ont-ils les résultats scolaires les plus proches ? Qui a le plus important taux de
chômage entre les hommes et les femmes dans les différentes régions ? Et qui utilise les transports en commun ? Quel
est le sexe des conseillers municipaux dans les régions françaises ? L’INSEE, en vertu de la loi du 4 août 2014 pour
l’égalité réelle, nous apporte des éléments de réponse en passant au crible tous les indicateurs d’égalité.
Des inégalités, oui, mais différentes selon les régions
Les inégalités entre femmes et hommes s’observent dans de nombreux domaines : éducation, marché du travail, conditions de vie,
représentation dans différentes sphères de la société et s’expriment différemment d’une région à l’autre. La Corse et l’Île-de-France
se distinguent souvent des autres régions : les différences selon le sexe y sont, soit bien plus marquées, soit bien plus faibles,
notamment sur le marché du travail. De même, dans les départements d’outre-mer. Mais aucune région ne présente des écarts
plus faibles que la moyenne dans tous les domaines.
À l’école et à l’université
En Bretagne, et dans une moindre mesure dans les Pays de la Loire, les écarts de réussite scolaire entre filles et garçons sont plus
faibles qu’en moyenne et sont en faveur des filles. Or dans ces deux régions, les résultats de l’ensemble des élèves figurent parmi
les meilleurs du pays. Par exemple, le taux de réussite au baccalauréat de 2014 y est supérieur : il s’établit à 95 % pour les filles et
à 94 % pour les garçons, alors qu’en France, il est de 93 % pour les filles et de 91 % pour les garçons.
Contrairement à la Bretagne, les différences de réussite scolaire entre les filles et les garçons sont importantes en Corse. Le taux
de réussite au baccalauréat est élevé pour les garçons et les filles mais les écarts entre eux sont tout de même prononcés, au
bénéfice des filles (+ 2,8 points contre + 2,4 points au niveau national). De même, les filles ont de bien meilleurs résultats en
lecture et sont bien plus souvent encore scolarisées à 18 ans que les garçons. Les autres régions présentent des profils plus
contrastés. Ainsi, en Nord-Pas-de-Calais-Picardie, les filles comme les garçons ont plus de difficultés scolaires.
Au chômage
En Corse, les hommes ont un taux de chômage inférieur de 2,7 points au taux de chômage moyen des hommes de France. En
revanche, le taux de chômage des femmes corses dépasse le taux de chômage moyen des femmes de France de 1,1 point. En
Alsace-Champagne-Ardenne-Lorraine, l’écart entre le taux chômage des hommes et celui de la France est très faible et s’arrondit à
0,0.
Dans l’emploi
Les inégalités face à l’emploi sont les plus faibles en Île-de-France .La région s’oppose à celles du Sud comme la Provence-AlpesCôte-D’azur et dans une moindre mesure le Languedoc-Roussillon-Midi-Pyrénées. En Pays de la Loire, les inégalités entre
femmes et hommes face à l’emploi sont plus importantes que la moyenne, contrairement aux inégalités sur le plan de l’éducation.
Les femmes y sont plus fréquemment multi-actives que les hommes. Cela pourrait en partie être lié au recours plus fréquent des
régions de l’Ouest aux services à la personne, activité plus souvent exercée par des femmes. En Alsace-Champagne-ArdenneLorraine, la situation est plus contrastée : les écarts en matière de salaire, de multi-activité ou de temps partiel entre femmes et
hommes sont plus importants qu’au niveau national. En revanche, ils sont parmi les plus faibles du point de vue du chômage ou du
déclassement.
Dans les conditions de vie
En Auvergne-Rhône-Alpes, les différences de conditions de vie entre les hommes et les femmes sont les plus proches des
moyennes nationales. Par contre, dans le sud de la France, deux régions voisines présentent des profils opposés : en ProvenceAlpes-Côte-D’azur, les différences entre les sexes en matière de parentalité, de modes de cohabitation et de déplacement sont
plus importantes que dans l’ensemble de la France, mais elles sont plus faibles en Languedoc-Roussillon-Midi Pyrénées. Bien que
socialement très différentes, la Corse et l’Île-de-France sont similaires sur deux aspects. Ce sont les régions de la métropole où
l’âge des parents à la naissance de leurs enfants est le plus élevé et où l’écart d’âge entre pères et mères est le plus fort. Par
ailleurs, dans ces deux régions en particulier, les femmes se retrouvent plus fréquemment que les hommes à la tête d’une famille
monoparentale.
Dans les responsabilités politiques
58 % des conseillers municipaux sont des hommes. La loi du 17 mai 2013 (relative à l’élection des conseillers départementaux,
municipaux et communautaires) impose, pour ces élections, des listes paritaires alternant femmes et hommes depuis 2014, mais
elle ne s’applique qu’aux communes de plus de 1 000 habitants. Dans les communes sous ce seuil, seuls 36 % des conseillers
municipaux sont des femmes. La Corse, l’Alsace-Champagne Ardenne-Lorraine et la Bourgogne-Franche Comté sont les régions
les plus éloignées de la parité dans les conseils municipaux, et font également partie de celles qui comptent les plus grandes parts
de petites communes. Les hommes étant plus souvent placés en tête de liste, les maires restent des hommes dans 83 % des
communes de France en 2014. Dans les régions, la part des femmes parmi les maires est comprise entre 11,2 % (Corse) et
18,3 % (Centre-Val de Loire).
Dans les départements d’outre-mer
Les écarts observés entre femmes et hommes sont de même sens que ceux observés dans l’ensemble de la France pour la
plupart des indicateurs, mais leur intensité diffère fréquemment. Sur le marché du travail, où la situation est dans l’ensemble moins
favorable en outre-mer qu’en métropole, le profil des DOM en matière d’inégalités entre sexes est contrasté. Les différences de
taux de chômage entre femmes et hommes sont bien plus fortes (+ 5,9 points) qu’en métropole (+ 1,3 point), tandis que les écarts
de salaires y sont bien plus faibles (– 9,3 % contre – 19,4 % en métropole). Les DOM cumulent un niveau général de lecture faible
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chez les jeunes de 17 ans (58,7 % de lectrices efficaces, 51,9 % pour les garçons, comparés à plus de 80 % en France
métropolitaine) et des inégalités entre sexes importantes (6,8 points contre 1,5 point en France métropolitaine). De plus, la
population des DOM présente des particularités en matière de modes de vie. La monoparentalité est ainsi plus présente ; elle
touche 7,5 fois plus les femmes que les hommes, comparés à 4,3 fois en métropole. En métropole, les femmes vivent plus
fréquemment seules (23,1 % contre 19,3 % des hommes). Ce constat est inversé dans les DOM (15,7 % contre 18,7 % des
hommes).
Le business des "colos", reflet de la fracture sociale
Par Maxime Hanssen | 13/07/2016, 18:08 | 1239 mots
Le marché des colonies de vacances est en chute libre depuis plusieurs années. Le contexte économique est une des causes. Mais le marché
est bouleversé par l'entrée de nouveaux acteurs qui souhaitent redonner du souffle à un modèle parfois jugé obsolète. Quitte à sacrifier la
sacro-sainte "mixité sociale" historiquement prônée dans les séjours collectifs pour les enfants.
(Article publié le 29/07/2015, actualisé le 15/07/2016)
"Les jolies colonies de vacances. Merci maman, merci papa", chantait Pierre Perret. Cette comptine parait aujourd'hui bien désuète. Depuis
plusieurs années, l'érosion du marché des "colos" est profonde. Entre 2007 et 2014, 200.000 jeunes en moins sont partis dans ces camps.
Depuis 1995, le taux de départ des jeunes en colonie de vacances est même passé de 15 à 7,5 %. En conséquence, le nombre d'acteurs
diminue. En Haute-Savoie, " depuis 20 ans, un centre par mois ferme ses portes", assure Éric Botharel, directeur de la fédération des œuvres
laïques du département. Plusieurs facteurs peuvent expliquer cette hémorragie initiée depuis la fin des années 1980.
Crise économique et normes contraignantes
La conjoncture économique est l'une des premières causes. Du côté des familles, la baisse des revenus a engendré une coupe dans les
dépenses de loisir. Les sources de revenus pour les structures - le coût d'inscription des enfants - se sont ainsi fortement effritées.
Dans le même temps, les dépenses pour les centres se sont accrues, notamment à cause d'actes législatifs : "le coût lié à la sécurité, à la mise
aux normes et aux formations ont explosé ces dernières années", souligne Jean-Claude Bissardon, président de Temps jeunes, l'un des leaders
des séjours de groupe en région Rhône-Alpes.
L'association a réalisé un chiffre d'affaires en 2014 de 10 millions d'euros, en baisse de 10 % depuis trois ans, engendrant un déficit de 200 000
euros. Basées sur un ancien modèle à caractère patrimonial, les structures associatives supportent également un coût conséquent de leur
acquis en pierre. Une politique de diversification a été mise en place par certains protagonistes pour assurer des revenus supplémentaires.
Des financements publics en baisse
L'autre versant du financement des frais d'inscriptions, les aides sociales, a sans cesse diminué.
"Alors que c'était une priorité après 1945, les politiques d'aides se sont atténuées. Dans les années 90, on constate la fin de l'universalisme des
aides des colos, remplacé par un ciblage sur des populations précises à faible pouvoir d'achat ", analyse Isabelle Montforte, chef de projet à
l'Observatoire des vacances et des loisirs des enfants et des jeunes (Ovlej).
Cet effritement du soutien public s'est poursuivi au fil des années. Récemment, la baisse des dotations de l'État à destination des acteurs
territoriaux, couplée à la réforme des rythmes scolaires à la charge des villes a continué d'amputer le budget des municipalités.
Métamorphose du marché
Au-delà de la conjoncture, le marché a également profondément changé. Initialement dominé par des structures associatives ou d'éducation
populaire, le secteur des colonies de vacances a été pénétré par des entreprises. "Au début des années 2000, les acteurs privés représentaient
environ 2 % du marché. Aujourd'hui, selon notre dernière étude, ils occupent 11 % du secteur", explique Isabelle Montforte.
Cette infiltration aurait eu un impact sur la nature de l'activité."L'arrivée des entreprises n'a pas été une bonne chose. Elles ont pratiqué une
forme de dumping dans les offres, s'éloignant des valeurs traditionnelles des colonies", estime M. Bissardon. "Une certaine course à l'affichage
s'est mise en place, qui peut mettre en péril le projet éducatif initial", confirme Isabelle Montforte.
Perte de l'esprit initial
Du contenu traditionnel et ludique des activités des colonies de vacances, les offres ont explosé ces dernières années, répondant également à
un changement des aspirations de la société et à une mise en concurrence accrue. Des colonies thématiques ont émergé, proposant des
activités à haute valeur ajoutée et donc au coût plus important. Celui-ci est répercuté sur le prix de l'inscription. Les acteurs associatifs
essayent de s'adapter à ces évolutions. Ils pratiquent un jeu d'équilibriste entre "proposer une offre attrayante tout en gardant [nos] principes
pédagogiques", détaille Jean-Claude Bissardon.
"Les colonies de vacances, un marché comme un autre"
Cette mutation des petites structures vers le professionnalisme, afin de répondre aux nouvelles demandes, à contribuer à affaiblir une partie
du secteur. "En voulant répondre au marché, nous sommes rentrés dans une professionnalisation de la structure organisationnelle et de l'offre
difficile à assumer", analyse Louis Scano, président de l'association Soleil et neige, installée à Saint-Etienne. Cependant, les protagonistes
associatifs sont conscients qu'ils doivent "repenser leur modèle". Ils n'éludent pas non plus leurs responsabilités et leurs lacunes, notamment
dans la communication et le marketing.
Face à la critique de leur arrivée sur le marché, les acteurs privés dénoncent un résonnement dépassé : "Ils se trompent de siècle. Il faut
désormais répondre à une demande, à un marché", assure Cédric Javault, fondateur du groupe Destination découverte (38 millions d'euros de
CA), qui, avec sa filiale Telligo, est l'un des leaders du marché français. Il rappelle également que certaines associations du secteur fonctionnent
en réalité, comme des entreprises.
" La mixité sociale, c'est du pipeau"
Ce changement de paradigme, adossé aux contraintes économiques et budgétaires, a des répercussions sur le caractère social des
"colos". "Désormais, les séjours collectifs sont, soit réservés aux classes très défavorisées, soit aux classes aisées. Entre les deux, il y a une sorte
de no man's land, car les classes moyennes ne peuvent plus offrir à leurs enfants ces vacances", estime un connaisseur du dossier.
Cette fragmentation du brassage social est totalement assumée par certains acteurs privés.
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" La mixité sociale, c'est du pipeau. La majorité des parents des classes aisées ne veulent pas que leurs enfants se mélangent avec des ados issus
des quartiers populaires. C'est un reflet de la société. Regardez ce qu'il se passe dans les écoles ou les clubs sportifs", constate Cédric Javault.
Du reste, ce sont les séjours haut de gamme qui permettent de maintenir l'activité de son groupe.
Repli sur la sphère privée
Dans un contexte sociétal français compliqué, la colonie pourrait pourtant, selon plusieurs témoins, être une soupape de sécurité. "C'est un
antidote au chacun pour soi, au renfermement, à l'apprentissage de la citoyenneté. C'est une école du vivre ensemble", plaide M. Bissardon.
Cependant, il ne faut pas sous-estimer également le repli volontaire sur la sphère privée. " On constate que de plus en plus de familles ne
souhaitent plus laisser partir leur enfant en séjour collectif. Les accidents, les sentiments d'insécurité font que des parents préfèrent garder leurs
enfants à la maison", souligne une observatrice.
Plan gouvernemental
Ainsi, dans cette situation de crise, aussi bien économique que sociale, Patrick Kanner, ministre de la Ville, de la Jeunesse et des Sports, a
présenté un plan afin de ne pas reproduire dans les colonies de vacances, "la fracture sociale qui existe déjà dans la société".
Le projet #GénérationCampColo, lancé en juillet 2015 visait à proposer "des séjours attractifs et accessibles", rappelle l'appel d'offres. Les
projets retenus devaient répondre à une série de critères - la citoyenneté, la mixité sociale ou l'ancrage dans le territoire. Ils ont bénéficié d'un
financement. Pour l'ensemble de l'action, 1,4 million d'euros était prévu par l'État. Patrick Kanner souhaitait que ces projets aient "un
caractère exemplaire afin d'attirer les financeurs privés pour les 42.000 colonies". De quoi essayer modestement d'écrire un nouveau refrain
populaire.
Patrick Martin (Medef Auvergne Rhône-Alpes) : "J'ai été élu sur mon discours industriel"
Par Maxime Hanssen | 13/07/2016, 11:55 | 3912 mots
Patrick Martin revient aux affaires. Le patron de Martin Belaysoud Expansion (660 M€ de chiffre d'affaires ; 2700 salariés) a
décroché la présidence du Medef Auvergne Rhône-Alpes fin juin, une position qu'il occupait entre 2007 et 2011, à l'époque
circonscrite à la seule région Rhône-Alpes. À la tête d'un réseau fédérant 12 structures territoriales, 28 branches professionnelles,
100 000 entreprises de toutes tailles suite à la fusion des deux instances régionales, Patrick Martin dévoile pour Acteurs de
l'économie - La Tribune ses chantiers prioritaires : formation, infrastructure, financement. Il revient également sur le scandale de la
structure Erai, dans laquelle il était administrateur et accueille avec intérêt et enthousiasme le discours "pro-business de Laurent
Wauquiez", le président de la Région. Sur un plan national, Patrick Martin juge la période d’une part "extrêmement intéressante" avec un développement important de l'entrepreneuriat en France-, et d’autre part, "très préoccupante", marquée par les dérives
"anti-libérales" liées à la loi Travail. Entretien avec un président qui se veut pragmatique, et qui devra en premier lieu assurer la
cohésion des membres du syndicat.
Acteurs de l'économie - La Tribune. La campagne pour la présidence du Medef Auvergne Rhône-Alpes, qui s'est
finalement soldée par votre élection, a été mouvementée...
Patrick Martin. Il ne faut pas sur-interpréter les faits qui se sont passés pendant la campagne. C'était une compétition entre
patrons, mais qui n'a jamais dégénéré. Nos profils, nos parcours, nos personnalités étaient différents. Mais sur le fond, les
programmes étaient relativement similaires, ce qui est rassurant et signe de consensus et d'évidences.
Quel a été le processus de l'accord ?
L'accord n'a pas été de dernière minute, mais tardif. Éric Le Jaouen et moi étions soucieux de ne pas donner l'image d'un patronat
déchiré, et ainsi, de ne pas réitérer des situations du passé qui se sont produites lors d'élections précédentes ; nous avons donc
trouvé un compromis.
Les adhérents ne veulent pas de clivage au sein de la structure. Ils se "moquent" des jeux d'appareil et souhaitent une organisation
"à valeur ajoutée." Les querelles de personnes et les duels d'égaux ne les intéressent pas. Dans cette perspective, la pression de
la "base" était réelle, et a contribué à l'élaboration d'un accord.
Plus précisément, en appréciant les rapports de force électoraux, en anticipant l'issue de l'élection, Éric Le Jaouen a décidé de
retirer sa candidature. Il l'a fait à son corps défendant - ce que je salue. Placé dans une situation identique à la sienne, j'aurais pris
la même décision.
Cet accord n'est pas gagnant-perdant. Cependant, il faut bien qu'un des deux concurrents occupe le haut de l'affiche. Si je me suis
porté candidat, c'était pour occuper cette position. Mon élection à l'unanimité est la démonstration éclatante du besoin de solidarité,
de jeu collectif dans les rangs patronaux.
Votre expérience et vos réseaux ont été essentiels dans l'issue finale...
J'ai pu effectivement capitaliser sur le fait d'avoir déjà occupé cette fonction, à l'époque circonscrite à la seule région Rhône-Alpes
(de 2007 à 2011, NDLR). Mais un autre argument me semble important concernant mon élection : ma compétence dans le
domaine industriel. Nombre d'électeurs ont estimé que je représenterais mieux ce secteur économique clé pour la région.
Même si mon entreprise n'évolue pas exactement dans le domaine industriel, j'ai tissé d'importantes relations professionnelles
avec ses acteurs, et j'entretiens de nombreux liens avec ses dirigeants. Cette proximité, je l'ai caractérisée dans mes discours de
candidature. Ces convictions exprimées dans ce domaine n'étaient pas d'intérêts ou de circonstances. Ma conviction profonde alors qu'Auvergne Rhône-Alpes est la première région industrielle de France - est d'affirmer que l'industrie constitue la locomotive
de l'activité économique en termes d'innovation et d'exportation. Elle diffuse de la richesse pour toute une chaîne de valeur. Mon
ex-concurrent, de par son origine professionnelle, et également dans son discours, a moins mis l'accent sur ce sujet.
Comment vous organiserez-vous pour mener de front la gestion de votre entreprise et la présidence de l'instance
patronale ? De l'expérience passée, quels enseignements en tirerez-vous ?
Je suis obsédé par l'idée de ne pas exercer deux "casquettes", mais une seule. Le mandat de président de Medef ne peut pas être
légitime sans une expérience solide d'entrepreneur. Mais - et j'en fais une question éthique -, cela ne signifie bien sûr pas que je
vais utiliser l'instance patronale pour développer mon entreprise. Cette question a été un axe important de ma campagne : on doit
s'interdire de tirer parti, pour son entreprise, des fonctions que l'on occupe.
Ma priorité reste l'entreprise. Mais pour exercer et assumer efficacement mon mandat de président du Medef régional, je me suis
organisé, afin de ne pas reproduire le schéma de certains responsables syndicaux et chefs d'entreprise qui ont délaissé leur
société, parfois jusqu'à sa perte, se laissant envahir par leurs responsabilités institutionnelles.
12 structures territoriales, 28 branches professionnelles, 100 000 entreprises de toutes tailles. La fusion entre les Medef
auvergnat et rhônalpin a fait passer la structure régionale dans une nouvelle dimension. Mais quels sont ses domaines de
compétences et d'interventions précis ?
La vocation du Medef régional Auvergne Rhône-Alpes est de défendre les intérêts communs de ses territoires et de ses branches.
Nous avons deux niveaux d'intervention. Le premier s'inscrit dans une fonction tribunitienne. Nous devons faire du lobbying, et
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défendre la cause patronale. Défendre l'image des dirigeants est une mission totalement assumée par le Medef. Et il y a du
"boulot", même si la représentation de l'entreprise s'est améliorée ces dernières années.
Pour assurer cette première mission, il faut d'abord bien comprendre les attentes et les besoins des adhérents. Puis, la structure
doit être force de propositions et porter celles-ci auprès de ses interlocuteurs naturels, qui ont les mêmes compétences
géographiques que nous : le préfet de région, les services de l'État sur le territoire, la Direccte, le conseil régional.
Dans un second temps, il s'agit de porter nos revendications auprès de nos instances nationales. L'antenne régionale doit être une
courroie de transmission, aussi bien ascendante - vers les instances nationales - que descendante - vers les adhérents. Cette
médiation est essentielle afin que la fédération nationale possède une bonne perception des problématiques du terrain.
Le second axe d'intervention repose davantage sur une démarche opérationnelle. Sur certains dossiers, nous exerçons un rôle de
tête de pont et de coordination en aval, et de répartition des ressources vers les Medefs territoriaux. Par exemple, la structure peut
gérer, en direct ou pour compte commun, certaines missions, qui sont ensuite délocalisées sur les territoires. C'est typiquement le
cas des actions qui touchent l'initiative "école-entreprise", ou qui concernent l'insertion des personnels handicapés.
Quelles sont les relations entre l'instance régionale et les Medef territoriaux ?
Nous ne sommes pas dans une logique hiérarchique, ce qui peut paraitre déroutant pour les chefs d'entreprises. Une logique
de bottom-up, de la base vers le haut, doit dominer. Tout ne fonctionne pas encore comme cela, mais nous devons tendre vers
elle. Certes, je suis le président, mais au service des présidents de branche ou de territoires qui m'ont élu, et je ne suis
certainement pas leur supérieur hiérarchique. Je suis partisan d'un fonctionnement transparent et collectif. Je ne crois pas à
l'omniscience - ni à l'homme providentiel.
Plus précisément, quels seront les liens avec le Medef Lyon-Rhône, réputé actif et entreprenant ?
Je m'emploierai à ce que les relations entre les deux structures soient excellentes, complémentaires et constructives. Exactement
ce que j'ai fait lors de mon précédent mandat. Je suis très admiratif des actions menées par le Medef Lyon-Rhône, d'autant plus
qu'il n'a pas toujours été dans cette dynamique. Il y a un changement de style, de vocation. Cette transformation a été initiée par
Bernard Fontanel, qui a su ouvrir plus largement la structure afin de sortir d'une considération élitiste. Pour preuve de sa réussite,
le nombre d'adhérents a progressé, les actions se sont multipliées. Laurent Fiard, son successeur, poursuit remarquablement ce
travail.
Pour autant, il faut éliminer - en externe comme en interne - l'idée selon laquelle le Medef Lyon-Rhône serait le véritable "patron"
du Medef régional. Ce dernier ne se résume pas à l'entité Lyon-Rhône, bien qu'elle constitue naturellement la locomotive d'un
territoire métropolitain qui représente 20 % de la richesse de la région.
Je serai très attentif à l'équilibre du territoire. Sans un bon dosage, on ne peut pas prétendre représenter une communauté. La
meilleure preuve réside dans le territoire dont je suis issu : l'Ain. Et depuis mon élection, je me suis déjà rendu à Roanne, à
Valence et à Chambéry.
Alors que jusqu'à maintenant la composition du conseil d'administration était un outil pour assurer ce bon "équilibre",
vous avez affiché votre souhait de confier les responsabilités de cette instance aux membres selon leur engagement et
non plus leur étiquette. Comment, dans cette nouvelle organisation, allez-vous assurer cet équilibre ?
La gouvernance sera en effet décalée par rapport à ce qui se pratiquait de tous temps. L'ancienne formule "distribuait" des postes
au titre d'équilibre politique : d'une branche ou d'un territoire. Même si ce n'est pas totalement possible d'y échapper, l'objectif est
de transgresser les logiques antérieures.
Je me suis donc employé, avec ceux qui ont voulu me suivre dans cette démarche, à privilégier deux critères : l'engagement et la
compétence sur des dossiers thématiques.
De cette conception de la représentation résultera le dynamisme des Medef. En effet, nous devons démontrer à nos entourages, à
nos adhérents, que la structure à laquelle ils appartiennent n'est pas une machine institutionnelle. Au contraire, il faut démontrer
notre caractère de force de propositions et d'actions. Et pour cela, les membres du comité exécutif, quelles que soient leurs
origines professionnelles et territoriales, doivent être capables de mener à bien des dossiers précis.
Quels sont vos dossiers stratégiques prioritaires ?
La formation - et particulièrement l'alternance - est placée en tête. Nous avons l'atout d'être situé dans une région dans laquelle les
indicateurs économiques sont convenables, y compris en termes de chômage. Cependant, il existe une inadéquation, même
relative, entre les formations proposées et les besoins des entreprises. L'une des missions principales du Medef régional est de
collationner, auprès des adhérents, les besoins en formation pour ensuite, vis-à-vis des acteurs de ce secteur, porter les
revendications, pour aujourd'hui mais surtout pour demain.
La problématique des infrastructures régionales est également un point central, avec pour préoccupation majeure, l'attractivité du
territoire. En France, le réseau est dans l'ensemble satisfaisant - même si cela est moins vrai pour le ferroviaire. Cependant, cela
constitue un avantage compétitif qu'il faut considérer, et surtout, qu'il faut entretenir. Ainsi, les dossiers routiers à l'instar de l'A45 et
du contournement de Grenoble sont importants.
Quelle est votre position concernant le processus de privatisation des Aéroports de Lyon ?
La position politique du Medef Auvergne Rhône-Alpes - qui n'est pas actionnaire - concernant les Aéroports de Lyon, repose sur
une exigence simple : la capacité à développer l'infrastructure, et singulièrement, la création de nouvelles lignes internationales,
notamment vers les États-Unis.
La position de l'État : privilégier l'offre financière la plus élevée, est compréhensible. Mais le projet industriel ne doit pas être
dévoyé. Le bon compromis doit être trouvé. Or je pense que, malheureusement, Bercy considèrera quasi exclusivement le montant
de l'offre. Actuellement, la certitude est que la région, grand territoire économique et industriel, ne possède pas un équipement
aéroportuaire fidèle à ses ambitions.
Laurent Wauquiez s'est prononcé contre une offre éventuellement déposée par un acteur turc. Quelle est votre position
sur la possibilité de voir un candidat étranger entrer au capital de l'infrastructure ?
Si les Turcs injectent des moyens financiers importants pour développer l'infrastructure, je n'y vois aucun inconvénient. Regardez
les ambitions hallucinantes de Turkish Airlines... Charge à Air France-KLM d'en faire autant pour rester dans la course.
(NDLR : Au moment du bouclage de l'interview, le choix de Bercy de sélectionner deux candidats - le groupement Vinci et
l'Australien Macquarie, n'était pas connu. Sollicité de nouveau, Patrick Martin n'a pas souhaité s'exprimer davantage)
"Le Medef régional s'est toujours construit avec le pouvoir exécutif régional", déclariez-vous lors de votre élection.
Qu'attendez-vous de Laurent Wauquiez, président de la région Auvergne Rhône-Alpes ? Quelle feuille de route allez-vous
chercher à tracer ensemble ?
Le Medef est apolitique. Cependant, les orientations et les premiers discours de Laurent Wauquiez et de ses équipes sont probusiness. Je me réjouis du souhait de l'exécutif régional d'associer les entreprises à la reconstruction de certains dispositifs.
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À ce jour, nous sommes en phase de concertation et d'élaboration d'actions. Mais nous devons aller vite, ce qui correspond, me
semble-t-il, au mode de fonctionnement du président de la région. Je suis très optimiste.
La relation avec la Région est essentielle, notamment car nous partageons les mêmes périmètres géographiques de compétences,
ainsi que des chantiers en commun : industrie, international, emploi et formation, financement. Cependant, certains dispositifs mis
en place par l'ancien exécutif étaient performants, à l'instar du fonds régional d'investissement. Il ne faut donc pas tout jeter.
Au-delà de nos accords sur les thématiques, c'est également une affinité qui repose sur la gestion et la méthode de travail que
Laurent Wauquiez propose. Par exemple, flécher les financements sur l'intervention plutôt que sur le fonctionnement, comme cela
a pu être le cas dans le passé. Le cas sinistre d'Erai doit faire jurisprudence dans ce domaine-là.
Justement, vous étiez administrateur d'Erai, au titre d'élu au Medef régional. Qu'avez-fait, ou que n'avez-vous pas fait pour
éviter ce scandale ?
Je parle spontanément d'Erai, ce qui n'est pas le cas de certains responsables concernés. Je suis "droit dans mes bottes sur ce
sujet." Ce qui ne m'empêche pas de l'aborder avec beaucoup de tristesse et d'inquiétude.
J'observais, dans la mesure du possible, que tout n'était pas dit : dans la transmission des comptes et dans l'explication de ceux-ci,
en termes de gouvernance, de transparence. Preuve à l'appui de ma bonne foi, je me suis toujours exprimé en réunion de conseil
sur le fait que l'information délivrée n'était probablement pas complète, et parfois ambigüe. De la même manière, j'ai souligné qu'il y
avait des dérives dangereuses. En face des questions soulevées, nous n'avions pas de réponse.
Erai était un magnifique outil, qui répondait à un vrai besoin. La structure a terminé en caricature de ce que l'économie mixte peut
donner de pire. D'un instrument économique, elle est devenue un instrument politique. Erai est morte, en dépit d'un acharnement
thérapeutique, et abattue par des interférences électorales et des règlements de comptes politiques.
Concernant l'avenir de l'accompagnement international des entreprises, il ne faut pas, à mon sens, recréer une structure qui
dériverait vers les mêmes maux. Il faut aller vers davantage d'opérationnalité.
Auriez-vous pu faire davantage pour éviter cette fuite en avant ?
En tant qu'administrateur, j'étais tenu au secret des délibérations. Nous avons tiré le signal d'alarme auprès du conseil régional.
Pouvais-je mettre cela sur la place publique ? D'un point de vue juridique, et également d'efficacité, c'était impensable.
Comment analysez-vous le climat en France, de l'esprit d'entreprendre en "effervescence" aux tensions sociales
cristallisées au sein de la loi El Khomri ?
Nous sommes dans une période extrêmement intéressante, et à la fois très préoccupante. Les graves débordements autour des
débats de la loi Travail réveillent des crispations scandaleuses. Il y a des dérives viscéralement anti-libérales, antientrepreneuriales, anti-européennes.
Mais derrière ces dérives grouille un mouvement de fond. Cette lame n'est pas pro-Medef, ni pro-patronat. Elle est profondément
entrepreneuriale. La France crée plus d'entreprises que n'importe quel autre pays européen.
Cela démontre que de plus en plus de gens, de gré ou de force, veulent se prendre en main, s'assumer. Ils ont compris que le
système était à bout de souffle.
La loi El Khomri est un débat technique, législatif, mais c'est avant tout un débat culturel. J'ai la conviction profonde que nous
sommes proches du moment où les élites qui gouvernent comprendront que les gens sont las que certains "sachants" décident à
leur place.
Pourtant, de nombreuses réticences existent, de la part des syndicats, mais aussi des salariés, sur le fameux accord
d'entreprise. Signe, pour le gouvernement et pour nombre de patrons, de modèle d'entreprise de demain et pour certains
travailleurs, d'une plus grande flexibilité et donc, d'une précarisation grandissante...
L'accord d'entreprise est, ni plus ni moins, la modernité. Il repose sur la confiance entre les gens et considère les salariés comme
responsables. Surtout, il reconnait aux acteurs de l'entreprise la réalité et les besoins de l'entreprise, éléments auxquels les
responsables politiques qui légifèrent sans jamais avoir mis les pieds dans le monde du travail sont totalement étrangers.
Les dirigeants désirent tous développer leur entreprise, s'attacher la confiance de leurs équipes. Le patron qui s'amuserait, dans le
cadre d'une négociation d'entreprise, à "rouler dans la farine ses salariés" mènerait celle-ci dans le mur. Si le patron n'est pas
correct avec ses salariés, par principe et par respect, il a de toute façon nécessité d'être correct avec eux par intérêt. Penser que
systématiquement les patrons vont abuser de leurs salariés est une vision archaïque et irresponsable.
Le sujet, fondamental, est de savoir si on considère les salariés comme des enfants irresponsables - ce qui est l'état d'esprit de
certaines centrales syndicales et des pouvoirs publics - ou au contraire, comme autonomes.
Prenons l'exemple de l'entreprise Michelin sur le site de Roanne. Les salariés, eux-mêmes, et certains syndicats progressistes, ont
trouvé des accords remarquables. À Roanne, les discussions ont impliqué SUD et la CGT. Le premier a signé l'accord, le
deuxième a refusé sur consigne nationale alors qu'il était favorable au texte.
L'image du Medef national est parfois très critiquée par les chefs d'entreprise au niveau local, par la faute d'une
politisation trop forte de certains sujets, alors que les Medef territoriaux, par leurs actions, sont souvent plébiscités par
les adhérents. Pierre Gattaz nuit-il aux entreprises ?
Pour le vivre à une échelle régionale, le "job" de président de Medef national est horriblement compliqué. Déjà, il faut mettre
d'accord les différents adhérents. A titre d'exemple, accorder les industries agroalimentaires et celles de la grande distribution n'est
pas simple...
D'autre part, les interlocuteurs du Medef, à cette échelle, sont les pouvoirs publics nationaux. Ces discussions ont lieu sous l'œil
des caméras. Le moindre faux pas, même s'il est dérisoire, prend des proportions importantes. Les petites phrases sont vite
reprises, parfois déformées. Cette couverture rend la mission encore plus difficile. Surtout, Pierre Gattaz a face à lui un
gouvernement qui n'a pas les idées claires. Le travail du patron du Medef relève donc de la haute voltige.
Enfin, la pression exercée par la base est élevée. Nombre de chefs d'entreprise sont excédés par certains dispositifs
gouvernementaux, pensent que les instances nationales du Medef sont un peu trop conciliantes avec l'exécutif, et que du
marchandage peut être à l'œuvre. Mais je n'ai aucun doute sur le fait que Pierre Gattaz et ses équipes sont soucieux des intérêts
des entreprises. Cette sphère particulière pousse parfois le Medef national à prendre des positions qui peuvent surprendre.
Si le contexte économique et social peut inquiéter les chefs d'entreprise, quel est l'impact sur les entreprises régionales
des soubresauts européens, en premier lieu l'onde de choc du Brexit ?
Immanquablement - même si c'est encore très difficile à juger - cela va pénaliser les entreprises de la région. Celles qui exportent
ou simplement celles qui possèdent des établissements dans ce pays, particulièrement à cause de la baisse de la parité livre-euro,
conséquence
directe
du
Brexit.
Cependant, la première conséquence visible, c'est une nouvelle incertitude qui s'installe pour les entreprises concernées.
Quelle est votre analyse politique de ce séisme ?
Gerard CLEMENT
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Sur la base de calculs politiciens, David Cameron a ouvert la boîte de Pandore avec ce référendum. On sait tous, particulièrement
en France, que lorsqu'une question est posée dans le cadre de cette consultation populaire, les électeurs répondent à tout, sauf à
la question. C'est, pour eux, un défouloir.
Le bon côté de cette affaire réside dans le fait que les anti-européens constatent que le Brexit engendre beaucoup de
perturbations. Et qu'il va pénaliser lourdement les Britanniques, signifiant ainsi que la sortie de l'Europe n'est pas la réponse à tous
les maux. C'est au contraire la création de nouveaux problèmes.
Le mauvais côté, c'est que cette décision populaire fonde un précédent. Les anti-européens les plus virulents du continent, et ceux
qui les suivent de façon moutonnière, peuvent se dire qu'une sortie de l'Europe de leur pays est également possible.
Le mécontentement très inquiétant notamment aux Pays-Bas, pourtant fondateur de la communauté européenne, en est une
illustration : l'émergence d'un puissant parti anti-européen est en voie. Pourtant, pour bien connaitre la mentalité des habitants,
c'est un pays viscéralement ouvert sur le monde, ouvert sur les autres et les échanges internationaux.
Ces phénomènes démontrent que l'Union européenne ne remplit pas son rôle. C'est bien son action qui est critiquée, et non pas
son principe qui est remis en cause. C'est la manière dont l'Europe est dirigée et fonctionne qui est la cause de ces maux.
Cette Europe est-elle réformable ?
Dans n'importe quelle organisation - à l'instar d'une entreprise -, sans leader compétent, convaincu et charismatique, la prise du
pouvoir par les technocrates n'est pas étonnante. Nous avons eu pourtant des personnalités remarquables à la tête de l'Europe, de
toutes sensibilités politiques. Mais aujourd'hui, il n'y a pas de leader. L'organisation dérive, à l'instar d'une entreprise lorsqu'elle n'a
pas de dirigeant. La seule énorme différence, c'est qu'on ne parle pas d'une société de 300 personnes, mais d'une communauté de
destins de 500 millions de personnes.
Une des critiques adressées à l'Europe, et sources du désamour des citoyens, est la pensée économique néo-libérale,
portée jusqu'alors par les Britanniques, parfois par les Allemands et certains pays d'Europe centrale. Une pensée
économique établie sans aval ni concertation des citoyens, comme sur des traités très importants, à l'instar du
TAFTA/TTIP...
Il faut composer avec les contradictions. La théorie dominante se fonde sur le rejet de l'Europe libérale. La réalité des choses selon mon interprétation personnelle -, est au contraire un rejet de l'UE à cause de son caractère trop interventionniste, et la mise
en place de normes très précises. Réglementer la courbure d'une banane, c'est à mon sens de l'anti-libéralisme.
Cependant, l'irresponsabilité majeure de nos politiques nationaux est également un facteur majeur. À défaut de défendre les
intérêts nationaux au sein de la Commission européenne, ils font porter à l'Europe tous les péchés de la Terre. L'Europe ne doit
pas être le bouc-émissaire de nos manquements.
Auvergne Rhône-Alpes : l'Insee confirme l'amélioration de l'économie régionale
Par Karen Latour | 12/07/2016, 15:05 | 575 mots
Première fois depuis la crise, les emplois se maintiennent dans le secteur de la construction.(Crédits : © Vincent Kessler / Reuters)L'Insee, ainsi
que la Direccte Auvergne Rhône-Alpes et la Banque de France, ont présenté leur note de conjoncture pour le début de l'année 2016. "La
reprise de l'activité se confirme", selon l'institut. Le nombre d'emplois créés augmente, et le taux de chômage reste stable. Du côté des
entreprises, elles affichent des carnets de commande satisfaisants, notamment dans l'industrie.
"Je ne vais pas dire que ça va mieux, mais l'embellie se confirme bien dans la région", annonce Bertrand Kauffmann, directeur adjoint de l'Insee
en Auvergne Rhône-Alpes. Pour preuve, les différents indices de conjoncture économique sont plutôt positifs au premier trimestre 2016.
 L'emploi
"Le fait le plus notable se trouve dans le secteur de la construction : pour la première fois depuis la crise, les emplois se maintiennent", détaille
ainsi Pierre-Jean Chambard, qui a mené l'étude pour l'Insee. Si dans l'industrie, l'emploi régional connaît une baisse de 0,2 % par rapport au
quatrième trimestre de l'année 2015, elle est "moins forte par rapport aux trimestres précédents", et cette diminution reste plus faible que
celle de la France métropolitaine (-0,3 %). Au total, 6 700 emplois marchands supplémentaires ont été créés dans le tertiaire lors du 1er
trimestre 2016.
Cependant, sur un an, malgré les sursauts, l'industrie et la construction ont perdu des emplois. Au contraire, le tertiaire marchand
(commerces, services et interim) est dynamique puisque les effectifs ont augmenté de 2,6 %. Une évolution plus forte qu'au niveau national.
Au niveau des départements, ce sont surtout la Savoie et la Haute-Savoie qui connaissent les plus fortes progression d'emploi, tant sur le
dernier trimestre que sur un an. Par exemple, en Haute-Savoie l'emploi a progressé de 0,9 % lors du 1er trimestre 2016, par rapport au
trimestre précédent, alors qu'il a diminué d'1 % en Ardèche sur la même période.
"Cette progression de l'emploi dans les Savoies s'explique parce qu'il a augmenté dans tous les secteurs. Mais il faut faire attention à ces
données, car la saison d'hiver a été meilleure", souligne Pierre-Jean Chambard.
 Le chômage
Le taux de chômage varie peu depuis fin 2014 en Auvergne Rhône-Alpes : il s'élève à 8,8 %, soit 1,1 point inférieur à celui de la France
métropolitaine. Ainsi, les variations sur un trimestre sont de l'ordre de 0 % dans la plupart des départements, sauf dans la Drôme et en Savoie
où le chômage diminue de 0,1 et 0,2 %. Sur un an, le taux de chômage n'a baissé que de 0,1 %.
Lire aussi : Le chômage progresse de 0,3 % en Auvergne Rhône-Alpes
Cependant, la part de chômeurs inscrits depuis au moins un an reste élevée, et surtout la durée moyenne d'inscription augmente : elle est
passée à 508 jours, contre 489 en 2015. En outre, depuis février 2016, le nombre de licenciements économiques est plus important que ceux
de 2015.

Les entreprises
Du côté des entreprises, le moral serait de nouveau au beau fixe selon Régis Pernon, économiste à la Banque de France. "Dans l'industrie,
l'indicateur régional du climat des affaires a même légèrement dépassé celui de la France au dernier trimestre 2016." Les carnets de commande
sont qualifiés de "bons" par les chefs d'entreprises pour le mois de juin 2016.
"Sachant qu'en même temps ils déstockent, on peut penser que la tendance sera positive aux prochains trimestres", explique Régis Pernon.
Dans les services, "nous avons observé une bonne tendance en juin notamment du côté du tourisme. Dans le transport, la situation s'améliore,
tout comme l'ingénierie qui progresse de façon soutenue."
Le secteur du bâtiment a connu un large fléchissement au début du 2e trimestre 2016, mais qui devrait repartir à la hausse dès maintenant.
Signe de l'amélioration de la trésorerie des entreprises, les incidents de paiement reculent de 11,1 %.
Attentat de Nice Déclaration de Jean-Jacques URVOAS, garde des Sceaux, ministre de la Justice
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Cellule interministérielle d’aide aux victimes, Quai d’Orsay, le 15 juillet 2016 à 16h
A la suite du terrible attentat qui s’est déroulé hier soir à Nice, j’exprime toute ma solidarité à l’ensemble des victimes et à
leurs proches.
J’ai voulu venir saluer le personnel de la cellule interministérielle d’aide aux victimes (CIAV) – dont 30 issus du ministère
de la justice – qui y sont mobilisés aux côtés des associations.
1- Mobilisation de l’autorité judiciaire
Conformément à l’article 706-17 du code de procédure pénale, une enquête de flagrance a été ouverte par la section (C1) antiterroriste du parquet de Paris cette nuit à 1h, des chefs de :
assassinats en bande organisée en relation avec une entreprise terroriste ;
tentatives d’assassinats en bande organisée en relation avec une entreprise terroriste ;
tentatives d’assassinat sur personnes dépositaires de l’autorité publique en relation avec une entreprise terroriste ;
association de malfaiteurs terroristes en vue de préparer des crimes d’atteintes aux personnes.
Une cellule de crise a été activée par le parquet de Paris afin d’assurer la centralisation de la remontée de l’information et de la
direction d’enquête, soutenue sur place à Nice par des magistrats, des greffiers et des moyens de communication dédiés.
Quatre magistrats de la section anti-terroriste du parquet de Paris sont arrivés sur les lieux entre 4h et 5h30 du matin au moyen
d’avions spécialement affrétés.
Cette articulation, parfaitement déclinée cette nuit entre le parquet de Nice et le parquet de Paris, résulte de l’application, pour la
première fois, du dispositif de crise défini par le ministère de la justice dans une circulaire datée du 18 décembre 2015, un mois
après les attentats du 13 novembre.
2- La situation pénale de l’auteur identifié des faits
L’auteur des faits, qui a été identifié, a été visé par plusieurs procédures.
Il n’a cependant été condamné qu’une seule fois le 24 mars 2016par le tribunal correctionnel de Nice à 6 mois
d’emprisonnement avec sursis pour des faits de violence lors d’une altercation à la suite d’un accident de la circulation, commis
avec une arme par destination, en l’occurrence une palette. Le 27 janvier 2016 il avait été déféré et le juge des libertés et de la
détention avait fait droit aux réquisitions du ministère public et prononcé un contrôle judiciaire prévoyant les obligations et
interdictions suivantes : s’abstenir d’entrer en contact avec la victime, se présenter une fois par semaine au commissariat de Nice
et fournir avant le 23 mars 2016 un cautionnement de 1000 euros.
Ce contrôle judiciaire a été respecté par le mis en cause et a pris fin le jour du jugement. Il n’a pas été frappé d’appel et est donc
définitif.
L’auteur des faits n’a jamais été incarcéré et ne faisait plus l’objet d’aucun suivi de la part de l’autorité judiciaire au moment de
l’attentat.
3- Rappel des moyens déployés depuis 2015
Depuis le mois de janvier 2015, la section anti-terroriste du parquet de Paris a été renforcée. Initialement composée de 8
magistrats, elle est passée à 9 en septembre 2015 puis à 11 en janvier 2016. Deux assistants spécialisés ont été recrutés.
Parallèlement, ont été créés depuis janvier 2016 un cabinet d'instruction passant ainsi de 8 à 9 magistrats spécialisés, une
chambre correctionnelle spécialisée et un poste de JLD spécialisé. Et pour septembre 2016, sont prévus un cabinet de juge des
enfants supplémentaire, un 2° juge d'application des peines terrorisme. Naturellement, chaque création de cabinet s'est
accompagnée de créations de postes de greffiers.
Au niveau de la Cour d'appel de Paris, au siège, une chambre bis de l'instruction spécialisée terrorisme a été créée en janvier
2016. Au parquet général, les avocats généraux en charge des Assises, compte tenu de la multiplication des affaires criminelles
terroristes, sont passés en janvier 2016 de 7 à 9. Une cellule attentat vient en appui de la cellule de crise de la section antiterroriste
du parquet de Paris, composée de 7 avocats généraux et substituts généraux ; le recrutement de 2 assistants de justice et un
assistant spécialisé terrorisme sont intervenus en renfort du service terrorisme du parquet général.
4- La prise en charge des victimes
Conformément au dispositif mis en place après les attentats du 13 novembre 2015, le Premier ministre a décidé l’activation de la
Cellule interministérielle d’aide aux victimes (CIAV) à 2 heures du matin.
Aussitôt des représentants du Service de l’accès au droit et à la justice et de l’aide aux victimes (SADJAV) du ministère de la
justice ont rejoint la cellule comme écoutants.
30 agents du ministère de la Justice sont désormais mobilisés dans la durée ainsi que des représentants des fédérations
d’associations d’aide aux victimes (FENVAC et INAVEM).
Ces volontaires ont bénéficié d'une session de formation ayant permis de les sensibiliser à leur mission d'écoutant. Après un
premier filtrage, les appels des proches des victimes sont dirigés vers ces écoutants qui sont chargés de prendre tous les
renseignements fournis par les personnes appelantes, de conserver les coordonnées de ces personnes et de les rappeler dès que
la situation des victimes est connue. Ils peuvent aussi proposer une assistance psychologique aux personnes appelantes par
l’intermédiaire des associations d’aide aux victimes de leur département.
A la mi-journée 7 466 appels et plusieurs centaines de mails avaient été reçus.
Un centre d’accueil des familles (CAF) a également été ouvert à Nice. Il s'agit d'un lieu d'accueil unique pour les victimes et/ou
leurs proches, afin de leur permettre de se signaler, d'être informés de la situation de la personne qu'ils recherchent, de bénéficier
d'un soutien psycho-traumatologique adapté et de fournir les éléments nécessaires à la cellule ante-mortem le cas échéant.
Plusieurs agents du SADJAV arriveront dans la soirée pour participer à cette cellule, fournir la même assistance que celle fournie à
la CIAV et organiser un accompagnement auprès des proches durant les opérations médico-légales.
L'association d'aide aux victimes MONTJOYE (membre du réseau INAVEM) est présente au CAF de Nice.
Par ailleurs, un pôle dédié aux victimes est mis en place au sein de la cellule de crise du parquet de Paris. Celui-ci se compose
d’un magistrat référent victimes, de magistrats dédiés à l'identification, à la synthèse des auditions des victimes et témoins, ainsi
que de magistrats affectés à l’institut de médecine légale et à la cellule interministérielle d’aide aux victimes (CIAV). C’est le
parquet de Paris qui est responsable de l’établissement de la liste officielle et unique des victimes (décédées, blessées,
impliquées).
Cette articulation s’est traduite dès les toutes premières heures de la crise par la mise en œuvre des opérations de médecine
légale et de prise en charge des victimes
L’ensemble des acteurs participant à la gestion de la crise applique la nouvelle instruction interministérielle relative à la prise en
charge des victimes du terrorisme diffusée par le Premier Ministre le 13 avril 2016.
Localement un magistrat du parquet de Paris est spécialement affecté à la prise en charge des corps, à l’identification des victimes
et à la réalisation des opérations de médecine légale.
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Sous la direction du procureur de la République de Paris, la prise en charge des corps des personnes décédées relève de la
compétence exclusive des services enquêteurs : recensement et transport des corps, démarche d’identification des corps.
Les corps sont relevés au fur et à mesure par la police judiciaire et transportés avec un bracelet sous X (afin d'éviter toute
identification hâtive) à Institut médicolégal (IML) et ce, jusqu’à leur identification par l’unité nationale d’identification de victimes de
catastrophe (UNIVC).
Les fiches de levée de corps établies lors de leur prise en charge mentionnent tout élément retrouvé à proximité susceptible de
contribuer à leur identification.
Les corps des victimes identifiables ou non identifiables sont tous acheminés vers l’IML du CHU de Nice.
Par ailleurs, j’ai activé un dispositif de crise interne au ministère de la Justice permettant une mobilisation 24 h sur 24, le temps
nécessaire, de magistrats et d’agents pour coordonner l’ensemble du dispositif pour la remontée d’informations, l’assistance aux
victimes et la présence à la cellule interministérielle de crise.
Conformément aux compétences que lui confie le code de procédure pénale, le procureur de Paris fera un point
d’information sur l’enquête à 17h, avec le procureur de Nice.
L’autorité judiciaire et les services du ministère de la Justice ainsi que l’ensemble du Gouvernement restent entièrement
mobilisés. Je n’hésiterai pas à venir vous présenter toute information utile si cela paraît nécessaire.
Conditions de travail (1) Les relations avec les collègues et les supérieurs hiérarchiques et les exigences émotionnelles
samedi 16 juillet 2016
L’enquête sur « Les relations avec les collègues et les supérieurs hiérarchiques et les exigences émotionnelles » fait partie de l’enquête
Conditions de travail menée par le Ministère du travail de 1978 à nos jours. Plusieurs items sont retenus : 8 items pour les relations avec les
collègues et les supérieurs hiérarchiques ; 5 items pour les exigences émotionnelles. À chaque nouvelle enquête, on s’aperçoit que le travail
devient de plus en plus interactif, avec les collègues, les supérieurs hiérarchiques ou avec le public. Cela entraine une augmentation du
stress. On doit de plus en plus souvent faire appel à la maitrise de soi. L’enquête est le point de vue et les connaissances du salarié sur son
travail et de celui de l’employeur (échantillon de 34 000 personnes). Les résultats sont ventilés par sexe, âge, catégorie
socioprofessionnelle, secteur d’activité, type d’employeur. À condition identique, les résultats concernent les années 1984, 1991, 1998,
2006 et 2013. La deuxième partie abordera les désaccords et tensions ainsi que l’autonomie collective et la participation
I - Les relations avec les collègues et les supérieurs hiérarchiques
 Se faire aider dans son travail : 65,7 % de salariés en 2013 ont la possibilité de se faire aider dans leur travail (58,5 % en 2005) ;
79,5 % de salariés (73,5 % en 2005) dont 83,6 % pour les hommes et 75,4 % pour les femmes peuvent se faire aider par les personnes
avec qui elles travaillent ; 50,4 % (41,6 % en 2005) par d’autres personnes de l’établissement et 28,2 % (21,7 % en 2005) par les
personnes externes à l’établissement.
 Bienveillance et appui des collègues : En 2013, ils sont 52,7 % des salariés (56 % des hommes et 49,3 % de femmes) d’accord pour
dire que leurs collègues de travail les aident à mener leurs tâches à bien ; et 48,7 % (51,8 % des hommes et 45,5 % de femmes) pour
dire que leurs collègues sont amicaux…
 Attention et appui du supérieur hiérarchique : 53,5 % de salariés en 2013 sont d’accord avec la proposition suivante « mon
supérieur prête attention à ce que je dis » et 55,5 % d’accord avec celle-ci « mon supérieur m’aide à mener à bien mes tâches ».
 Travailler seul : 32 % de salariés en 2013 déclarent travailler toujours seuls (37,4 % de femmes et 26,7 % des hommes), 22,4 %
souvent seuls (21 % des femmes et 23,7 % des hommes).
 Continuité du collectif de travail : 25,6 % des salariés déclarent que, depuis un an, certaines des personnes avec qui ils travaillent ont
changé.
 Impression de faire partie d’une équipe : 40,7 % des salariés éprouvent toujours le sentiment de faire partie d’une équipe durant
leur travail.
 Supervision : 12,5 % des salariés déclarent que la supervision du travail d’autres salariés est leur tâche principale. Bien sûr, ce chiffre
varie en fonction de la catégorie socioprofessionnelle (32,8 % sont des cadres, 22,8 % sont des professions intermédiaires, 8,2 % sont
des employés, 6 % sont des ouvriers).
 Lieu principal de travail : 71,5 % de salariés déclarent passer la plus grande partie de leur temps de travail dans l’établissement qui
les emploie (64,5 % des hommes, 78,7 % des femmes).
II - Exigences émotionnelles
 Contact avec le public : en progression constante depuis 1991. Ils sont 70,8 % de salariés à déclarer être en contact direct avec le
public, dont 68,6 % de cadres, 76,3 % de professions intermédiaires, 85,2 % d’employés, 48,3 % d’ouvriers. Les salariés hommes sont
68,3 % pour les cadres, 73,3 % pour les professions intermédiaires, 85,2 % d’employés et 48,3 % d’ouvriers. Les salariés femmes sont
73,4 % pour les cadres, 83,1 % pour les professions intermédiaires, 85,9 % pour les employées intermédiaires et 36,6 % pour les
ouvrières.
 Contact avec le public de vive voix ou par téléphone : 68,5 % des salariés déclarent toujours être en contact de vive voix ou en face
à face avec le public et 2,7 % le sont toujours par téléphone. Ils sont 61,8 % d’hommes salariés à déclarer être toujours en contact de
vive voix ou en face à face avec le public et 23,6 % le sont toujours par téléphone. Elles sont 73,9 % de femmes à déclarer être
toujours en contact de vive voix ou en face à face avec le public et 29,2 % le sont toujours par téléphone.
 Être en contact avec des personnes en situation de détresse, devoir calmer les gens : 44,4 % de salariés déclarent être en contact
avec de personnes en situation de détresse (37,9 % en 2005), et 53,3 % de l’ensemble des salariés déclarent devoir calmer les gens
(46,6 % en 2005). Les hommes sont 36,9 % en contact avec des personnes en situation de détresse et 48,5 % à devoir calmer les
gens. Les femmes sont 52 % en contact avec des personnes en situation de détresse et 58,2 % à devoir calmer les gens.
 Cacher ses émotions et éviter de donner son avis : 12,9 % des salariés déclarent devoir toujours cacher leurs émotions dont 9,5 %
d’hommes et 16,4 % de femmes. 4,6 % d’hommes et 6,9 % de femmes déclarent devoir cacher leurs émotions.
 Avoir peur pendant son travail : 2,4 % des salariés déclarent avoir toujours peur pendant leur travail pour leur sécurité et celle des
autres (2,8 % pour les hommes et 2 % pour les femmes).
Les retraites des fonctionnaires, similitudes et différences avec le privé
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Le Conseil d’analyse des retraites (COR) vient de rendre public une nouvelle étude sur la retraite des fonctionnaires et
des régimes spéciaux, en comparaison avec le système des retraites dans le secteur privé. Ce travail confirme que les
similitudes dominent, à l’exception des règles de départ en retraite des agents de la catégorie active.
Le montant des retraites
D’après le COR, le montants des pensions, alors que le mode de calcul reste différent, des fonctionnaires d’État qui vont prendre
leur retraite dans les prochaines années seraient peu différents en moyenne si on leur appliquait les règles du privé (Cnav +
Agirc/Arrco).
Et si le dernier accord Agirc/Arrco, postérieur à l’étude, rendra moins favorable les règles des retraites complémentaires du privé, la
hausse des primes dans le salaire des fonctionnaires créera aussi une baisse de leur taux de remplacement [1]. Or, plus la part
des primes est élevée, notamment en fin de carrière, plus le taux de remplacement est faible.
Les âges de départ
Entre 2008 et 2015, les fonctionnaires et agents des régimes spéciaux ont retardé leurs âges de départ à la retraite, mais avec des
différences selon la catégorie des agents.
Les fonctionnaires sédentaires ont retardé leur âge de départ en retraite de 1,3 ans, si bien que l’âge moyen de départ est
maintenant proche de celui du régime général et évolue au même rythme et avec les mêmes règles.
En revanche les catégories actives, pour des emplois ayant un risque particulier ou des fatigues exceptionnelles (policiers,
égoutiers notamment), l’âge d’ouverture des droits est inférieur de 5 ans, voire de 10 ans. Même si l’évolution des paramètres a été
décalée par rapport aux sédentaires, liée à l’année d’ouverture des droits, les fonctionnaires de catégorie active ont retardé leur
retraite de 2,1 ans.
Et pour les régimes spéciaux, bénéficiant d’une possibilité de départ anticipé à 55 ans voire 50 ans, l’allongement de 2 ans de la
durée exigée est prévue mais décalée à 2017, voire 2024. Cependant, c’est chez eux que l’augmentation des âges de départ a ét é
la plus forte, en raison de l’instauration progressive de la décote dans ces régimes, avec par exemple + 2,6 ans pour les a gents de
conduite de la Sncf, comme la fin de la mise en retraite d’office et de la hausse des rémunérations pour prolongation d’activité à la
Sncf.
Référence
 COR – Réunion du Conseil du 25 mai 2016 http://www.cor-retraites.fr/article469.html
La presse régionale se cherche un avenir
 Antoine de Tarlé 15 juillet 2016
Au cours des cinq premiers mois de 2016, les recettes de publicité de la presse quotidienne régionale (PQR) ont baissé de 4,9%. Il ne s’agit
malheureusement pas d’un accident de parcours. Depuis cinq ans la PQR perd chaque année environ 5% de ses recettes publicitaires et plus
particulièrement les annonces classées qui faisaient sa fortune. Rien ne permet d’espérer que cette hémorragie va s’arrêter compte tenu des
tendances de fond du marché publicitaire. L’évolution de la diffusion n’est guère plus favorable. Globalement la PQR perd 3% de lecteurs,
c’est-à-dire environ 120 000 exemplaires chaque année depuis plus de dix ans. On assiste donc à un affaiblissement durable et dangereux
d’une branche des médias qui fut extrêmement prospère pendant des décennies et joue un rôle essentiel dans la vie du pays.
Pour pallier cette chute des recettes, les journaux augmentent régulièrement leurs tarifs, ce qui fait fuir les abonnés habitués à des journaux
bien meilleur marché que la presse nationale. Or cette masse d’abonnés qui représente, dans la plupart des titres, 70 ou 80% du lectorat a
constitué depuis 1945 le socle de la stabilité de ces publications. Aujourd’hui la publicité ne représente plus qu’un tiers des revenus des
journaux contre plus de 45% il y a dix ans. Et ce pourcentage va encore baisser au cours des prochaines années pour atteindre
vraisemblablement moins de 30%.
Cette situation n’est évidemment pas propre à la France. Aux Etats-Unis, la presse régionale était extrêmement puissante puisque le pays ne
compte que deux vrais quotidiens nationaux, le Wall Street Journal et USA Today. Elle dégageait des marges bénéficiaires impressionnantes, de
l’ordre de 30% du chiffre d’affaires. Or, depuis dix ans, tout a changé et elle est plongée dans une tourmente sans fin. Ses recettes
publicitaires sont parties chez les grands opérateurs du numérique comme Google et Facebook ainsi que les sites d’annonces gratuites.
Parallèlement, la diffusion s’est effondrée et plus de 10 000 emplois de journalistes ont été supprimés depuis 2006. Du coup, la couverture de
l’information locale devient de plus en plus limitée. On constate que les réunions des conseils municipaux ne sont plus couvertes dans de
nombreux Etats, et même des assemblées d’Etat se réunissent parfois sans qu’aucun journaliste ne vienne y assister tant les effectifs des
rédactions ont été réduits. Les centres d’observation de la presse outre-Atlantique, tels que le Nieman Lab, constatent que la presse régionale
est le média qui a le plus souffert de la révolution numérique.
Il semble en effet que l’exploitation de services sur internet se révèle bien moins fructueuse que pour la presse nationale. Là encore, le
parallèle entre les Etats-Unis et l’Europe est frappant. Outre Atlantique, les seuls quotidiens régionaux qui rassemblent un nombre important
de visiteurs uniques et d’abonnés payants sont le New York Times et le Washington Post, deux journaux qui visent une audience nationale
grâce à des rédactions de haut niveau et de nombreux correspondants à l’étranger. Les journaux vraiment locaux se heurtent à une relative
indifférence du public qui refuse de payer pour des nouvelles locales auxquelles, manifestement, il n’accorde qu’une importance limitée.
On constate le même phénomène pour les pure players. Alors que des sites nationaux comme Politico, Vox, Huffington
Post ou Buzzfeed recueillent des millions de visiteurs et espèrent trouver bientôt l’équilibre, les pure playerslocaux sont nombreux, on en
compte plus d’une centaine mais ils vivotent, faute d’audience et de revenus. Beaucoup d’entre eux, pour survivre proposent des contenus
sponsorisés par des marques locales, ce qui limite évidemment la qualité de l’information et donc leur crédibilité. D’autres font appel au
mécénat ce qui ne leur garantit pas leur survie sur le long terme. Il n’est pas étonnant que les observateurs de la Columbia School of
Journalism signalent la quasi disparition des enquêtes de fond sur les pouvoirs locaux, sauf dans quelques métropoles comme Chicago, Los
Angeles, Boston ou New York.
En France, on n’en est pas encore là. Néanmoins, aucun quotidien régional n’a réussi à bâtir une activité numérique rentable. En termes
d’audience, seul Ouest France, le plus grand quotidien régional, a réussi à se hisser à la neuvième place des sites d’information avec environ 10
millions de visiteurs uniques par mois. Tous les titres se heurtent au même problème : ils parviennent à accueillir sur leurs sites un nombre
croissant de visiteurs mais le nombre d’abonnés payants reste très faible, quelques milliers par journal. Par ailleurs, la publicité numérique ne
progresse pas car elle est de plus en plus monopolisée par Google et Facebook qui, en Europe comme en Amérique, collectent près de la
moitié de ces recettes. De ce fait, on ne peut espérer que l’activité numérique compensera les pertes du papier dans un avenir prévisible.
Quant aux pure players locaux, ils ont tous échoué, faute de ressources.
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Les pistes à suivre pour sauver un média dont le rôle est essentiel pour le bon fonctionnement de la démocratie locale sont limitées. Un
objectif souhaitable est le développement des services que la presse est capable de fournir grâce à son réseau très dense de correspondants
locaux et qui, dans certains cas, peuvent prendre la forme de newsletters spécialisées et payantes.
Cependant la concurrence est sévère. Les horaires de cinéma sont déjà fournis par Allo Ciné, les informations sportives par les sites des clubs,
la vie municipale est traitée par les sites de ville financés par le contribuable. Au surplus, Google et Solocal (Pages Jaunes) s’investissent de plus
en plus sur ces marchés. Les quotidiens régionaux ne pourront pas échapper à des partenariats avec des géants comme Facebook dont la
bienveillance est toute relative. En revanche, les techniques du marketing numérique, trop négligées jusqu’à présent, devraient permettre de
recruter et de fidéliser des internautes, en s’appuyant sur la bonne image de la PQR qui rassemble encore vingt millions de lecteurs chaque
jour. Sur ce point, un travail considérable reste à accomplir.
En tout cas, les difficultés économiques de la presse régionale aboutiront forcément à une concentration croissante. Il y a actuellement une
demi-douzaine de groupes en France. Il est probable que dans dix ans, il n’y en aura plus que trois. Cette concentration, qui devra être
acceptée par l’Autorité de la Concurrence, présentera de nombreux avantages. Elle facilitera la mise en place de synergies et donc des
économies considérable pour le papier. En ce qui concerne le numérique, elle permettra le déploiement de moyens plus ambitieux en matière
d’informatique et de prospection des usagers afin de proposer des sites plus complets et plus ergonomiques en termes de services et de
négocier dans de meilleures conditions avec les réseaux sociaux.
Ces évolutions inéluctables ne doivent pas faire perdre de vue la finalité de la presse régionale aux yeux des citoyens, c’est-à-dire la capacité à
rendre compte d’une manière complète et honnête d’une vie locale qui, elle aussi, se recentre autour des grandes métropoles et de leurs
périphéries souvent négligées. L’outil du numérique devrait faciliter cette démarche mais la formule de sa monétisation reste à trouver.
Pour Gilles Kepel, le "logiciel" des terroristes a changé et notre classe politique "est nulle"
Vendredi 15 Juillet 2016 à 10:35
Magazine Marianne
Embourbée dans ses "chamailleries" habituelles, la classe politique n'a pas encore compris que le "logiciel" des terroristes, et donc
la réponse à apporter, avaient changé, estime le spécialiste du djihadisme Gilles Kepel, au micro de France Inter ce vendredi 15
juillet au lendemain de l'attentat de Nice.
Pour Gilles Kepel, le "logiciel" des terroristes a changé et notre classe politique n'en a pas pris la mesure. - Sipa
Le "logiciel" des terroristes a changé, pas celui des politiques. Invité de France Inter ce vendredi 15 juillet au lendemain de
l’attentat au camion qui a coûté la vie à 84 personnes à Nice lors des célébrations du 14-Juillet, le spécialiste du djihadisme Gilles
Kepel s’est livré à un réquisitoire sur le pouvoir politique, gauche et droite confondues, embourbé selon lui dans
ses "chamailleries" habituelles et incapable de faire face au terrorisme contemporain.
Comme l'a de nouveau montré l'attaque de Nice, il n'est plus forcément question pour les terroristes de mener des opérations avec
de grands moyens, du type 11-Septembre. "On est dans un mode opératoire qui a évolué vers de plus en plus de simplicité
dans l'action", souligne Gilles Kepel : "Si vous préparez un attentat avec des armes, il faut les acheter, il faut aller les chercher ;
avec des explosifs, ça ne marche pas toujours, comme on l'a vu au Stade de France".
"Là, on n’a même plus un couteau, on a un camion, un véhicule utilitaire, qui est simplement lancé sur la foule", insiste
l’universitaire, ce qui provoque "un effet d’horreur et un état de sidération qui est incommensurable avec la médiocrité des
moyens utilisés". Dans la "continuité" des tueries précédentes, "c'est la signature de l'Etat islamique et de ce djihadisme de
troisième génération", ou de"proximité", porté par des individus qui suivent "la même feuille de route" mais à qui on laisse "une
assez grande latitude d’action". Contrairement, là encore, au 11-Septembre qu'Oussama Ben Laden avait entièrement planifié.
"Notre classe politicienne est nulle face à cela"
Le problème, pour Gilles Kepel, c'est que "le logiciel de ce terrorisme-là n'a toujours pas été compris par le pouvoir politique, quel
qu'il soit (...) On est dans une autre dimension, il ne s'agit pas de dire qu'on va faire appel à la réserve, tout le monde sait que les
forces de l'armée et de la police sont épuisées. Et c'est du reste l'objectif des textes mis en ligne depuis 2005 par ce djihadisme de
troisième génération : il faut épuiser les forces de l'ordre et il faut faire en sorte que la société, qui est totalement
déboussolée, se prépare à une logique de guerre civile entre enclaves de confessions différentes". Une analyse qui rejoint
celle du patron de la DGSI Patrick Calvar, qui, auditionné dans le cadre de la commission d’enquête parlementaire sur les attentats
de 2015, avait lui estimé "la confrontation entre l’ultra-droite et le monde musulman inéluctable".
La solution, pour Gilles Kepel , "c'est la mobilisation de la société. Ce n'est pas seulement l'Etat français qui est attaqué, c'est la
société française dans son essence et la pluralité de ses composantes". Or, revenant sur les politiques, il livre un diagnostic sans
concession, fustigeant un "débat minable, pas du tout à la hauteur du défi. Notre classe politicienne est nulle face à cela,
elle donne le sentiment de courir derrière l'événement, d'être intéressée surtout par ses chamailleries".
La gauche ne sait plus penser le progrès
Samedi 16 Juillet 2016 à 16:00 Propos recueillis par Alexis Lacroix
Le rédacteur en chef de la revue "le Débat" vient de signer "Comprendre le malheur français" (Stock). Il s'interroge sur notre difficulté
collective - et singulièrement celle des progressistes - à penser le progrès.
image: http://www.marianne.net/sites/default/files/styles/article/public/10989-100244425.jpg?itok=LSk8zS7b
Le progrès technique prôné par la gauche "n'implique pas un progrès humain". BALTEL/SIPA
Marianne : Que reste-t-il de l'idée de progrès dans la vie politique française aujourd'hui ?
Marcel Gauchet : Il suffit de regarder ce qui se dessine à l'approche du début de la campagne présidentielle : l'offre politique se répartit entre
plusieurs discours qui ont un point commun - leur adhésion enthousiaste à la même utopie technologique. Ils vont tous, peu ou prou, nous
vanter la magie de l'économie numérique et les promesses de l'ubérisation. Sans parler des bienfaits des nouvelles technologies pour régler le
problème scolaire.
Et c'est mal ?
Non, pas du tout, mais c'est à côté des attentes des citoyens. Le plaidoyer hypertechnologique ne peut pas constituer un horizon mobilisateur
pour un pays qui a le plus grand mal à s'adapter à la mondialisation et recherche un projet qui fasse sens par rapport à ce qu'il est. Les
avancées biotechnologiques et médicales, par exemple, sont inouïes et admirables. Mais le progrès n'est pas la somme de tous les progrès. Le
progrès, c'est autre chose : nous héritons de la deuxième moitié du siècle des Lumières (et notamment d'un auteur comme Condorcet) une idée
exigeante et complète du progrès, comme amélioration matérielle et morale du genre humain. Or, ces deux améliorations ne sont pas
entièrement superposables.
Que voulez-vous dire ?
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Qu'elles suivent un cours différent et obéissent à deux temporalités distinctes. Le progrès continu des sciences et des techniques n'implique
pas un progrès humain symétrique - et même, parfois, c'est l'inverse qui se produit. L'extrapolation des progrès incessants sur le plan matériel
au progrès comme amélioration du sort du genre humain se révèle abusive. Dans nos sociétés, le secteur économico-scientifico-technique a
pris toute la place, mais il ne répond pas, malgré toute son efficience, à la question du sens de l'existence humaine comme à celle de la
gouvernabilité des sociétés. Il y a, dans nos sociétés, un progrès indéniable : le niveau moyen d'information des citoyens français est beaucoup
plus élevé qu'il y a cinquante ans ; peut-on en revanche assurer que la démocratie a progressé dans le même temps à proportion de la
maturité des citoyens ? Sans doute pas. Ce décalage explique une large part du malaise civique actuel. Et on trouve sans doute moins de
démocratie vivante qu'il y a quelques décennies...
L'ambition de penser un progrès global n'a pas totalement déserté la scène politique, et la gauche, malgré ses insuffisances, essaie de le
faire avec la notion d'égalité. C'est déjà pas mal ?
Oui, mais cette interrogation idéologique n'est pas solidaire d'une vision globale de l'humain. Pareil pour le dosage à pourcentage variable de
liberté et d'identité qui tient lieu de plate-forme programmatique à la droite. La satisfaction des revendications d'égalité, de liberté et
d'identité ne dit rien de la société que l'on projette de construire. Le progrès s'est ainsi éclairci au centre, et complètement dilué à la
périphérie. Après le moment Condorcet (la mise en commun des savoirs moralise, civilise l'humanité), nous avons connu le moment Marx (pas
de vrai progrès sans abolition de la propriété privée des moyens de production). Nous voici entrés dans un troisième paradigme, où les
affirmations et les certitudes ont été remplacées par un immense point d'interrogation.
La gauche célèbre a minima le quatre-vingtième anniversaire du Front populaire. Est-ce un indice de cette perplexité ?
Evidemment ! Léon Blum et les principales mesures de son Conseil s'inscrivaient (encore) dans une vision globale de l'amélioration collective.
Nous bénéficions encore des avancées de 1936. Si l'on écoutait la CGT, on pourrait croire que, pour se rebrancher sur cette dynamique
progressiste, il suffirait d'arracher une semaine supplémentaire de congés payés ou, comme le préconisent certains, d'abaisser à 32 heures la
durée du temps de travail... Mais non... Quand bien même nous ferions tout cela, cela ne représenterait plus un progrès indubitable, et ne
donnerait pas un visage cohérent et déchiffrable à ce que serait une bonne vie humaine.
Emmanuel Macron incarne une des variantes de l'utopie technologique. Il a semblé un temps séduire et intéresser François Hollande.
Pourquoi, d'après vous ?
D'abord parce que la gauche est, par essence, technophile. Elle pense qu'il faut être résolument moderne. Par ailleurs, depuis le Front
populaire, beaucoup d'eau a coulé sous les ponts progressistes. Et le camp du mouvement est devenu celui de l'extension des droits
individuels - désintermédiation oblige. Le mythe ultime, c'est l'économie collaborative comme réconciliation de l'altruisme et de l'efficacité.
Ajoutez à cela la conviction un peu naïve que la gauche doit s'adapter à ce qu'il y a de plus irrépressible dans le mouvement libéral, et vous
obtenez une idée assez approchante de ce qu'est le macronisme.
En l'absence de vision globale et cohérente du progrès, quelle place faites-vous à la matrice républicaine ?
Je ne crois pas, même si elle est légitime et essentielle, que l'idée de république constitue une réponse suffisante à toutes les questions qui
nous assaillent. Par définition, la république, c'est le cadre commun. Une république de gauche ou une république de droite, cela n'a pas
vraiment de sens. La république, c'est ce que la droite et la gauche acceptent ensemble, ce qui les réunit. Mais il peut être utile de redonner un
contenu vivant à l'idée républicaine, car elle constitue un remède à bon nombre des pathologies politiques dont nous souffrons. Un remède,
par exemple, à une pratique politique en France abusivement oligarchique. En outre, l'idée républicaine suppose un pari sur la justice et
l'instruction, qui devrait être au fondement des futurs principaux projets présidentiels. Mais la gauche ne peut pas reconstruire l'intégralité
de son logiciel à partir de l'idée républicaine. En s'emparant du républicanisme, Manuel Valls ne répond qu'à une partie du défi. Le défi, pour la
gauche, c'est de savoir comment redéfinir les conditions de possibilité d'une république sociale, et ça, dans le contexte actuel, c'est une autre
affaire.
Qu’est-ce qu’être réaliste ?
A propos de : John Bew, Realpolitik. A History, Oxford University Press.
par Florian Louis , le 13 juillet Mots-clés Télécharger l'article
Les décideurs politiques sont souvent accusés de faire preuve de cynisme dans la conduite des affaires internationales.
Pour d’autres, il s’agit seulement de « réalisme ». Mais que recouvre exactement ce terme ? Deux ouvrages récents
reviennent sur la genèse des concepts Realpolitk et géopolitique et remettent en cause la dichotomie entre les valeurs et
les intérêts.
Recensés : - John Bew, Realpolitik. A History, Oxford, Oxford University Press, 2016 ;- Olivier Zajec, Nicholas John Spykman.
L’invention de la géopolitique américaine, Paris, Presses de l’Université Paris Sorbonne, 2016.
À en croire l’ancien Premier ministre François Fillon, la tragique guerre civile qui meurtrit la Syrie depuis 2011 aurait eu pour effet
de faire apparaître au grand jour la radicale divergence entre l’appréhension poutinienne des relations internationales d’une part, et
celle qui prévaudrait dans les chancelleries occidentales de l’autre. Alors que « l’Amérique et ses alliés européens se sont drapés
dans une posture morale aussi irréprochable qu’inopérante » en refusant d’intervenir militairement contre les jihadistes au prétexte
de ne pas renforcer le régime dictatorial de Bachar al-Assad, « une seule puissance a fait preuve de réalisme : la Russie » qui n’a
pour sa part pas hésité à envoyer ses chasseurs pilonner les rebelles islamistes, quitte à faire de nombreuses victimes parmi les
populations civiles. Sous la plume de l’homme politique français, la référence au « réalisme » russe est clairement connotée
positivement, et contraste avec le dédain affiché à l’égard de la « posture » occidentale qui, pour être moralement « irréprochable »
sur le papier, n’en serait pas moins totalement « inopérante » sur le terrain [1].
En opposant ainsi le supposé sens de la « réalité » russe au prétendu penchant pour la « morale » occidental, François Fillon
rejoue d’une dialectique aussi vieille que l’étude des relations internationales. Celle-ci, qui s’est dans le monde anglo-saxon
structurée en un champ disciplinaire autonome durant la deuxième moitié du XXe siècle, demeure en effet aujourd’hui encore
marquée par l’opposition entre quelques grands paradigmes, au premier rang desquels figure précisément l’approche dite
« réaliste ». Longtemps hégémonique, celle-ci est généralement présentée comme relevant d’une conception ontologiquement
conflictuelle des relations internationales, considérées comme le pur produit des rapports de force interétatiques. Inspiré de
Machiavel et de Hobbes, le paradigme réaliste mettrait l’accent sur la notion de puissance et sur le caractère égoïste d’acteurs
étatiques défendant leurs intérêts nationaux exclusifs sans se soucier de ceux des autres. Ce faisant, il s’opposerait radicalement à
un paradigme concurrent, qualifié d’« idéaliste » par ses contempteurs et de « libéral » par ses promoteurs, pour qui l’arène
internationale, loin d’être condamnée à l’anarchie et livrée de ce fait à la seule loi du plus fort, serait un espace de possible
coopération pacifiée entre des acteurs mus par des valeurs communes et encadrés par un droit international efficace.
Reste que ce type de présentation manichéenne, si elle a une incontestable vertu pédagogique, a ceci de pernicieux qu’elle
gomme les subtilités et les ambiguïtés inhérentes à toute théorie, au point d’en obscurcir la compréhension. Il en va ainsi du
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paradigme réaliste dont deux récentes études mettent en lumière la complexité et la diversité trop souvent négligées qui le
caractérisent. La première de ces études, due à John Bew, enseignant au département de War Studies du King’s College de
Londres, retrace l’histoire méconnue de la notion de Realpolitik, terme allemand dont l’usage s’est progressivement répandu au
reste du monde pour désigner une politique étrangère cynique fondée sur le froid calcul d’intérêt et dépourvue de toute
considération morale [2]. La seconde, due à Olivier Zajec, qui enseigne la Science politique à l’Université Lyon III, retrace
l’itinéraire du sociologue de formation Nicholas John Spykman (1893-1943), qui fut dans la première moitié du XXe siècle l’un des
fondateurs de l’école réaliste en se faisant l’introducteur aux États-Unis de l’approche géopolitique [3]. Toutes deux ont en commun
d’insister sur les origines plus variées qu’il n’y parait de l’approche réaliste des relations internationales, qu’elles invitent par là
même à envisager sous un nouveau jour.
De quoi la Realpolitik est-elle le nom ?
L’investigation de John Bew sur la genèse de la notion de Realpolitik s’avère d’autant plus nécessaire que si le mot est aujourd’hui
devenu d’usage courant, rares sont ceux qui savent d’où il provient et par quels singuliers détours il en est venu à connaître une
diffusion mondiale, qui s’est faite au prix de sensibles évolutions de sa signification. Tout aussi fluctuantes furent les appréciations
portées sur lui : longtemps considérée avec effroi et réprobation, la Realpolitik tend aujourd’hui à être de plus en plus positivement
connotée. Au point de devenir synonyme de « bon sens » par opposition à la supposée « naïveté » dont se rendraient coupables
les « idéalistes » de toutes obédiences qui, au nom de beaux principes, seraient à l’origine de nombre de désastres bien réels. Et
de convoquer comme autant de repoussoirs le spectre des néoconservateurs américains à l’origine de l’intervention en Irak de
2003 censée apporter la démocratie au Moyen-Orient, ou, dans le cadre franco-français, du philosophe médiatique Bernard HenriLévy militant en 2011 en faveur du renversement du dictateur libyen Mouammar Kadhafi.
L’histoire du concept de Realpolitik témoigne ainsi de la manière dont un terme, passant de plume en plume, en vient à se charger
de significations nouvelles et, passant d’époque en époque, se drape de connotations diverses et contradictoires, au point de ne
plus avoir grand chose en commun avec sa signification originelle. Son étude réserve donc bien des surprises. La première d’entre
elle tient au fait que la notion de Realpolitik, aujourd’hui volontiers considérée comme radicalement antagonique du paradigme
« idéaliste » ou « libéral » dans l’étude des relations internationales, a paradoxalement été forgée, au milieu du XIXe siècle, par un
propagandiste révolutionnaire ouvertement libéral, et qui accordait une place cruciale au rôle des idéaux en politique. C’est en effet
en 1853 que le terme apparaît pour la première fois sous la plume du journaliste et activiste saxon August Ludwig von Rochau
(1810-1873), qui l’utilise dans le titre de son livre, Fondations de laRealpolitik, dont un deuxième tome paraît en 1868 [4]. Revenant
sur l’échec du printemps des peuples de 1848 auquel il a pris part, et plus particulièrement sur l’incapacité des libéraux
nationalistes allemands, auxquels il appartient, à réaliser l’unification des différents États germaniques, il appelle son camp à
abandonner la « politique des sentiments » (Gefühlspolitik) ou des principes (Prinzipienpolitik), pour se convertir à ce qu’il désigne
par le néologisme de Realpolitik. Ce qui ne signifie cependant nullement dans son esprit qu’il faille renoncer aux sentiments ou aux
principes, mais plutôt que ceux-ci ne sauraient suffire élaborer une politique efficace. La Realpolitik telle que la théorise Rochau, ce
que John Bew appelle la « real Realpolitik » et qu’il souhaite voir réhabilitée, ne concerne donc pas tant la politique internationale
que la politique intérieure.
Rochau constate que cette dernière repose, qu’on le veuille ou non, sur la loi du plus fort qui « domine la vie intérieure de l’État de
la même manière que la loi de la gravité domine le monde physique ». S’il reste convaincu de l’importance des idées en politique, il
souligne toutefois que ce n’est pas la justesse de celles-ci qui fait leur force : la preuve en est qu’une idéologie simpliste et
fallacieuse est souvent plus puissante et efficace qu’un discours cohérent et sensé. Il n’est donc pas question pour lui
d’abandonner ses idéaux, mais bien plutôt de comprendre que la noblesse ou la justesse de ceux-ci ne sont nullement gages de
leur réussite. Pour les faire triompher, il importe de prendre en considération de nombreux autres paramètres, certes moins
exaltants, mais néanmoins tout aussi importants, que sont notamment les rapports de forces politiques, économiques ou sociaux.
La Realpolitik, selon Rochau, est donc un art du possible et du compromis. Pour que leurs espoirs deviennent réalité, les partisans
de l’unification allemande ne doivent pas seulement théoriser les bienfaits de ceux-ci. Il leur faut surtout analyser avec méticulosité
le contexte social, économique, intellectuel et géopolitique dans lequel ils mènent leur action pour espérer pouvoir la mener à bon
port [5].
L’américanisation de la Realpolitik
Rapidement cependant, la notion de Realpolitik échappe à son inventeur. Reprise à son compte par le théoricien nationaliste et
antisémite allemand Heinrich von Treitschke (1834-1896) qui la transpose à l’analyse des relations internationales, elle offre un
fertile terreau à l’élaboration de la « politique de puissance » (Machtpolitik) et de la « politique mondiale » (Weltpolitik) en vogue
dans l’Allemagne enfin unifiée de Guillaume II. Avec Treitschke, la dimension nationale tend ainsi à prendre le dessus sur la
dimension libérale que Rochau faisait cohabiter sous la bannière de laRealpolitik. C’est ainsi que progressivement, notamment
sous la plume de l’historien Friedrich Meinecke (1862-1954), elle devient bientôt synonyme de raison d’État (Staatsräson) et
permet de justifier à bon compte l’impérialisme germanique au nom d’impératifs supérieurs qu’aucune considération d’ordre moral
ne saurait remettre en cause.
À rebours, il n’est pas étonnant de voir se développer dans le monde anglophone, mais aussi francophone [6], dès la fin du XIXe
siècle, une critique radicale de laRealpolitik assimilée à l’autoritarisme et au militarisme prussien, Otto von Bismarck apparaissant
bientôt comme la parfaite incarnation de ladite politique. Vu de Londres ou de Washington, la Realpolitik est alors synonyme
d’amoralisme, la fin justifiant tous les moyens, y compris la violation des règles considérées comme universelles comme le respect
de la souveraineté étatique ou du libre-échange.
Pourtant, John Bew montre que le terme, s’il demeure longtemps connoté très péjorativement au Royaume-Uni, va
progressivement être repris à leur compte par des Américains qui, avec précaution et parcimonie d’abord, puis de manière
assumée et plus fréquente ensuite, vont finir par s’en revendiquer explicitement, non sans contresens à son propos au demeurant.
Ainsi, durant la Première Guerre mondiale, le journaliste Walter Lippmann (1889-1974), qui sera plus tard à l’origine de l’invention
de l’expression « guerre froide », appelle-t-il ses concitoyens à faire preuve « d’un peu de realpolitik », en l’occurrence à en finir
avec un isolationnisme d’un autre âge devenu désormais contre-productif. Mais c’est surtout durant la guerre froide que le
processus d’« américanisation » de la Realpolitik connaît son apogée au travers de figures telles que Hans Morgenthau (19041980), infatigable pourfendeur des « quatre démons de la politique étrangère américaine » que sont selon lui « l’utopisme, le
sentimentalisme, le légalisme et le néo-isolationnisme », George F. Kennan (1904-2005) qui théorisa le containment de l’Union
soviétique, puis Henry Kissigner (1923-), disciple autoproclamé de Metternich, auquel la notion va finir par être quasimachinalement associée, bien qu’il ne s’en revendique que rarement de manière explicite. L’origine allemande de nombre de ces
apôtres américains de la Realpolitik, à commencer par Morgenthau et Kissinger, tous deux ayant trouvé refuge aux États-Unis pour
échapper aux persécutions antisémites nazies, ne manqua évidemment pas de faire couler beaucoup d’encre, d’aucuns les
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accusant de transposer, fût-ce inconsciemment, de dangereux tours de pensée germaniques dans le discours académique
américain. Un reproche qui fut aussi adressé au sociologue Nicholas John Spykman, pourtant d’origine néerlandaise.
Aux origines de la géopolitique
L’étude biographique que lui consacre Olivier Zajec offre un stimulant contrepoint à celle de John Bew. En revenant sur la genèse
de la géopolitique américaine, elle éclaire une autre source du paradigme réaliste. La géopolitique, bien que souvent associé e à
la Realpolitik, ne s’y identifie pas totalement. Mais les deux notions présentent bien des similarités, à commencer par le fait qu’elles
trouvent toutes deux leurs origines dans l’Allemagne du XIXe siècle. De là, elles furent ensuite exportées dans les autres langues
occidentales, avec cette différence notable que la Realpolitik, qui désigne un état d’esprit, est demeurée jusqu’aujourd’hui
orthographiée à l’allemande, au contraire de la Geopolitik, qui désigne un champ disciplinaire, et dont le nom a été très tôt
transposé dans les principales langues de recherche scientifique (géopolitique, geopolitics, geopolitica, etc.). Mais alors que la
Realpolitik a vu le jour au milieu du XIXe siècle dans les milieux libéraux, la géopolitique, qui puise ses racines dans la t rès
impérialiste Politische Geographie du géographe Friedrich Ratzel (1844-1904), inventeur de la notion d’ « espace vital »
(Lebensraum), ne s’est vraiment structurée que dans les années 1930 sous la houlette du général-géographe nazi Karl Haushofer
(1869-1946) [7]. Autant dire que son acclimatation aux États-Unis ne se présentait pas sous les meilleurs auspices. Elle doit
notamment beaucoup aux travaux de Nicholas John Spykman qui, bien qu’il ne se soit que marginalement réclamé de cette
discipline, en fut très tôt considéré comme l’un de ses principaux praticiens américains. Loin d’être valorisante, cette étiquette de
« géopoliticien » lui valut bien des critiques et des malentendus dans son pays d’adoption où, encore aujourd’hui, on le présente
généralement au mieux comme un machiavélien – qualificatif peu laudatif outre-Atlantique –, au pire comme un sulfureux épigone
des géographes européens enrégimentés au service du nazisme. C’est que la géopolitique, parce qu’elle tend à soumettre la
décision politique aux contraintes du milieu géographique, et donc à valoriser une forme de déterminisme au détriment de tout
idéalisme, serait la parfaite incarnation de ce que le paradigme réaliste a de pire, à savoir une appréhension du monde dépourvue
de tout scrupule et niant à l’homme toute capacité à se faire acteur de son histoire.
Ce qui frappe en premier lieu dans le parcours académique de Spykman, c’est l’évolution de ses centres d’intérêts qui semblent de
prime abord fort disparates : auteur d’une thèse sur la sociologie simmelienne soutenue à l’université de Berkeley en 1923, il
devient ensuite sur la côte Est un spécialiste reconnu des Relations internationales, une discipline dont il participe à
l’institutionnalisation académique en se faisant la cheville ouvrière de la création du Yale Institute of International Studies (YIIS) en
1935, préfiguration des think tanks qui, aux États-Unis plus qu’ailleurs, participent à l’élaboration de la politique étrangère nationale.
Par son insistance sur le rôle de la géographie dans la conduite des relations internationales, il s’impose enfin, notamment dans
ses derniers écrits, comme l’un des pionniers de la géopolitique américaine. La première force du travail d’Olivier Zajec, est de
montrer la cohérence et la continuité entre ces différentes phases de la vie intellectuelle de Spykman dont, à dire vrai, seule la
dernière était pour l’heure réellement connue : loin d’avoir abandonné la sociologie pour se convertir à l’étude des relations
internationales puis à la géopolitique, Spykman a selon son biographe opéré une « translatio studii » consistant à appliquer les
outils de la première aux secondes. Là où la sociologie relationnelle simmelienne se penchait sur les interactions entre individus
pour comprendre la société civile, Spykman étudie les interactions entre États, assimilés à des individus, pour éclairer le
fonctionnement de la scène internationale : « il faut considérer le quadriptyque géopolitique de Spykman comme une macroscopie
ésotériquement simmelienne, où les unités politiques sont analysées en lieu et place des individus, dans une société internationale
conçue comme projection de l’ensemble des interactions entre groupes humains étatisés » (p. 535). En reliant ainsi le Spykman
géopoliticien des années 1930 et 1940, le mieux connu, à celui entiché de sociologie des années 1920, tombé dans l’oubli, Olivier
Zajec opère une véritable révolution copernicienne dans la compréhension de son œuvre.
Prussien ou simmelien ?
En effet, Spykman était jusqu’à présent plutôt abordé à partir de ses deux derniers ouvrages, La stratégie américaine dans la
politique mondiale, publié en 1942, et la Géographie de la paix, paru de manière posthume en 1944 [8]. Or du fait de l’importance
qu’y accorde Spykman aux notions de puissance et de conflit, on les a souvent réduit au rang de manifestes d’une Realpolitik
cynique et amorale, faute de percevoir l’arrière-plan sociologique qui les sous-tend : Edward Mead Earle (1894-1954) pouvait ainsi
aller jusqu’à qualifier la pensée spykmanienne de « prussianisme américain » et considérait qu’à suivre ses préceptes bellicistes,
l’Amérique finirait par perdre « non seulement sa chemise, mais son âme ». Or Olivier Zajec montre bien qu’en relisant ces textes
aux accents volontiers bellicistes des années 1940 à la lumière de leur arrière-fond simmelien élaboré dans les années 1920, ils
prennent une toute autre coloration : la centralité de la conflictualité dans la géopolitique spykmanienne n’est en effet que le
pendant de la centralité que lui accorde Georg Simmel dans sa sociologie, où le conflit est une forme de sociabilité fondamentale
non nécessairement violente ou néfaste. Et Olivier Zajec de conclure que tout compte fait, « Spykman est davantage néo-kantien
que néo-prussien ». Ici, le lecteur de John Bew ne peut qu’être frappé de la similitude entre l’apologie spykmanienne de la
puissance sur laquelle « toute la vie civilisée repose en dernier instance », et le constat d’un Rochau pour qui la loi du plus fort
« domine la vie intérieure de l’État de la même manière que la loi de la gravité domine le monde physique ». Dans les deux cas, on
a affaire à un constat réaliste mais nullement cynique, du rôle social fondamental du rapport de force. Or la reconnaissance de
celui-ci, loin d’interdire toute perspective idéaliste, constitue au contraire son préalable indispensable, ce dont témoigne, dans le
cas de Spykman, le fait que tout réaliste qu’il ait été, il n’en fut pas moins aussi un compagnon de route de la Société des Nations
dans l’entre-deux-guerres : « sans que le hiatus entre les deux dimensions ne lui semble insurmontable, le professeur de Yale
avançait sur une ligne de crête séparant deux ravins également profonds : le juridisme idéaliste et le déterminisme réaliste, la
fascination hallucinée pour le futur et la sidération morbide envers le passé » (p. 540).
Pour saisir toute l’ambiguïté et donc la complexité de la pensée spykmanienne, il fallait donc en revenir à ses origines. Mai s, et
c’est le deuxième apport capital du travail d’Olivier Zajec, il fallait également lire avec plus de sagacité ses ultimes ouvrages qui,
pour être les plus célèbres, n’en sont pas moins également les plus problématiques. Ainsi, la notion de Rimland à laquelle on réduit
souvent la pensée géopolitique de Spykman, n’apparaît-elle que dans La géographie de la paix, livre paru en 1944, soit un an
après la mort de son auteur. Retraçant avec minutie la construction de cet ouvrage du défunt professeur par ses collègues à partir
de diverses notes laissées par lui, Olivier Zajec démontre son caractère problématique dans la mesure où il fut largement réécrit,
non sans dénaturer sur certains points la pensée de son auteur nominal. Il s’agissait en effet pour les collègues de Spykman de
gommer l’image négative de « géopoliticien » laissée par son précédent ouvrage, afin de ne pas ternir l’image de l’Institut et de
garantir la pérennité de ses financements et de son influence en préservant sa respectabilité. On comprend dès lors en quoi
l’image jusqu’alors répandue de Spykman et de sa pensée, construite pour l’essentiel à partir de ce seul ouvrage posthume,
nécessitait un sérieux toilettage auquel Olivier Zajec s’est attelé avec succès.
La lecture conjointe des livres de John Bew et Olivier Zajec constitue ainsi une puissante incitation à repenser les catégorisations
parfois simplistes qui structurent encore l’étude des relations internationales. Elle contribue notamment à brouiller, sans pour autant
l’effacer, la traditionnelle opposition entre les paradigmes « réaliste » et « idéaliste » ou « libéral », en montrant que les notions
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(Realpolitik, Geopolitik) et les hommes (Rochau, Spykman) qui les élaborèrent, naviguèrent souvent de l’une à l’autre rive plus
qu’ils ne campèrent indéboulonnablement sur l’une des deux [9]. Elle invite par là même à se méfier des dichotomies radicales et
des analyses hâtives qui, à trop opposer les paradigmes entre eux, négligent d’insister sur ce qu’ils ont de compatible et sur la
nécessité qui s’impose fréquemment de les concilier pour tirer le meilleur de chacun. Une nécessité d’autant plus prégnante
s’agissant des relations internationales que, tout immatériels soient-ils, les idéaux n’en font pas moins partie du réel au même titre
que les hommes qui les promeuvent. Toute politique réaliste conséquente se doit donc de les prendre en compte en travaillant à
les agencer, plutôt qu’à les opposer, à la réalité matérielle.
Les salaires en France sont en recul constant
OLIVIER MORIN MERCREDI, 6 JUILLET, 2016 L'HUMANITÉ
Selon l’Insee, le revenu salarial annuel diminue dans l’Hexagone depuis 2009. Une baisse qui s’est accélérée en 2013, sans que l’emploi en
profite malgré les prétendues vertus de la baisse du « coût du travail ».
L’Insee publiait hier son rapport sur l’emploi, le chômage et les revenus du travail. Une sortie que l’Institut national de la statistique a
coordonnée avec celle du bilan annuel Dares Analyses « Emploi, chômage, population active », corédigé par la Dares (Direction de l’animation
de la recherche, des études et des statistiques du ministère du Travail) et l’Insee. Étonnamment, le rapport commence par l’affirmation
suivante : « Sur l’ensemble de l’année 2015, l’emploi progresse de + 188 000 ». Une augmentation que l’Insee explique par « le léger
redressement du produit intérieur brut (PIB) » ainsi que par « la poursuite de l’enrichissement de la croissance en emploi dû notamment au
crédit d’impôt pour la compétitivité et l’emploi (CICE) et aux mesures prises dans le cadre du pacte de responsabilité et de solidarité (PRS) ».
Des éléments à prendre avec prudence puisque, sans en révéler les chiffres, le rapport de l’Insee dévoile que l’intérim est en forte hausse,
montrant que les emplois créés sont précaires.
Privé ou public, le revenu salarial annuel est en chute
Le rapport indique également que c’est le secteur tertiaire marchand qui a vu le plus d’emplois se créer à l’inverse de l’industrie et la
construction qui « continuent de détruire des emplois ». Pourtant, ces secteurs ont eux aussi bénéficié des largesses gouvernementales à
travers le CICE. Ainsi, en 2014, Air France touchait 66 millions d’euros à travers ce dispositif. Alstom en touchait 11, PSA recevait 66,1 millions
et Renault 36.Parmi ces créations d’emplois, on apprend aussi que 47 000 d’entre eux dans le secteur tertiaire non marchand ont partie liée au
développement des contrats aidés (emploi d’avenir, contrat unique d’insertion, contrat d’accompagnement à l’emploi) et à l’augmentation du
service civique, soit des emplois précaires pour lesquels le patronat bénéficie d’aides financières substantielles du gouvernement (jusqu’à 95 %
du Smic brut pour les embauches en CUI-CAE assorties d’exonérations de cotisations sociales pour l’ensemble des heures rémunérées). Le
rapport indique également que le chômage « se stabilise en moyenne annuelle » à 10 % de la population active pour 2015 contre 9,9 % en
2014. Par contre, le taux de chômage des 15-24 ans reste élevé et augmente pour atteindre 24 %, et ce alors même qu’ils constituent le public
pour lequel les contrats d’avenir et les services civiques sont prévus. Le signe que retarder l’accès des jeunes au droit commun du travail ne
favorise pas pour autant leur embauche.
Quant aux salaires, ils sont en recul en euros constants dans le secteur privé pour la deuxième année consécutive (chiffres de 2013), avec un
salaire net moyen de 2 200 euros en équivalent temps plein, soit – 0,3 % sur un an. Cette baisse est particulièrement sensible dans les services
(– 0,7 %) et dans le commerce (– 0,5 %), écrit l’Insee, contrairement à l’industrie (+ 0,4 %) et à la construction (+ 0,5 %). Dans la fonction
publique, la diminution est encore plus prononcée entre 2010 et 2013, due notamment au gel du point d’indice, avec – 0,7 % pour le salaire
net moyen d’un fonctionnaire d’État, – 0,2 % pour un hospitalier et – 0,1 % pour un territorial. Au total, tous secteurs confondus, le revenu
salarial annuel continue sa chute constatée en France depuis 2009, et celle-ci s’est même accélérée, avec – 0,4 % en 2013 après – 0,3 % par an
entre 2009 et 2012. Le rapport fait également état d’une baisse des revenus moyens d’activité des non-salariés : – 1,5 % en 2012 et – 2,6 %
en 2013.
Enfin, l’Insee étudie les évolutions annuelles du revenu salarial, analysant que celui-ci « suit en moyenne le cycle de la vie professionnelle et
qu’à 45 ans, il est en moyenne 4 fois plus élevé qu’à 25 ans ». Sauf que, pour environ 90 % des travailleurs les moins rémunérés, l’évolution est
« en réalité beaucoup plus faible » tandis que, pour 10 % des salariés touchant déjà une paye conséquente, la progression est beaucoup plus
forte (jusqu’à 11,9 fois pour les 1 % des salariés les mieux rémunérés). Là aussi, ce sont les jeunes, mais aussi les femmes, qui sont le plus
exposés au « risque salarial », c’est-à-dire à la variabilité des revenus d’une année sur l’autre. Pour ces dernières, lorsque leurs revenus sont
bas, ces différences résultent d’écarts de temps de travail. Alors qu’aux rangs intermédiaires et supérieurs de l’échelle, même en travaillant à
temps plein, les femmes ont « des évolutions de salaire horaire et donc de revenu salarial moins favorables en moyenne et plus incertaines
que les hommes ».
la langue peu liée à l’emploi
Une partie du rapport de l’Insee dévoilé hier étudie les liens entre la maîtrise de la langue française et l’emploi des immigrés. Outre le fait que
l’on peut se demander pourquoi ce type d’étude intervient maintenant et sur ce seul questionnement, il apparaît que la participation actuelle
au marché du travail est peu liée à la maîtrise du français pour les hommes mais le semble davantage pour les femmes. De plus, 60 % des
immigrés venant du Maghreb ou d’autres pays d’Afrique parlent bien ou très bien le français, contre seulement 15 % des immigrés venant
d’Espagne, d’Italie ou du Portugal.
Le drame français des grands souvenirs : un culte réactionnaire du passé ?
par Alain Ehrenberg - 15 Juillet 2016
La répétition de la division française face aux réformes entreprises depuis le début du quinquennat quelles qu'elles
soient, non seulement entre la droite et la gauche, mais également au sein de la gauche, présente le mérite de mettre en
lumière les raisons sociologiques d'une situation qui voit la France répéter les mêmes déchirures.
Une première publication de cet article, en allemand, est parue dans Die Zeit le 9 juin 2016 sous le titre "Kult des Widerstands", la
version française de celui-ci a été publiée sur le site telos le 17 juin 2016.
On a le sentiment que la France est coincée entre une culture d'extrême-gauche qui est fort influente sur la gauche, et une culture
d'extrême droite, dont une partie de l'électorat, ouvrier, votait auparavant pour le Parti communiste. Cette culture de résistance
(contre les élites, contre le capitalisme financier, contre la mondialisation) regarde vers le passé. De quoi souffrent les Français ?
Un diagnostic posé par Karl Marx en 1870 offre une réponse : « Le drame des Français, aussi bien que des ouvriers, ce sont les
grands souvenirs. Il est nécessaire que les événements mettent fin une fois pour toutes à ce culte réactionnaire du passé » («
Lettre à Cesar de Paepe »).
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La force de la politique protestataire est telle qu'il n'est pas facile de dessiner les voies de l'action publique pour améliorer la
société. Je voudrais néanmoins nuancer le jugement de Marx et montrer que la France n'est pas condamnée au culte réactionnaire
du passé. Il faut en passer par une peinture succincte des idées françaises.
Le malheur de cette réforme est qu'elle s'est vu qualifier de libérale dans cette terre de passion anti-libérale.
Les transformations de l'autonomie au centre de la division française
Les Français pratiquent une religion mal comprise à l'extérieur de l'Hexagone, la religion de la politique dont une part du dogme est
le culte de la résistance. Le mot « politique » s'oppose chez nous à celui de « libéral » comme le positif s'oppose au négati f. On ne
comprend pas la société française si on ne saisit pas la haute valeur dont est créditée la politique qui occupe depuis deux siècles
une place analogue à celle de Kultur et de Bildung en Allemagne.
Le Français est d'abord citoyen. Car l'individualisme français est fondamentalement un rapport État/individu inauguré par la
Révolution française : l'État, d'une part, arrache l'individu à ses dépendances privées pour l'élever à l'universel de la citoyenneté et,
d'autre part, il est le garant de la solidarité de la société à l'égard des plus faibles. Le « malaise » français est une crise des
rapports État/individu que le mot « libéral » cristallise par sa charge imaginaire négative.
Car c'est l'autonomie qui est au centre de notre inquiétude et nous divise.
Son histoire doit être considérée en deux temps : elle est d'abord, entre les années 1960 et les années 1980, une aspiration
collective à plus d'indépendance et de liberté de choix, puis elle devient une condition commune au cours de cette décennie avec
les changements du travail en même temps que l'État-providence entrait en crise. C'est à ce moment-là que les choses se grippent
en France. Dans le travail flexible, le travail est de plus en plus organisé comme une relation de service, y compris dans les métiers
d'ouvriers et d'employés. Le management consiste à faire coopérer des individus qui doivent posséder une intelligence des
relations sociales permettant d'adopter une ligne de conduite personnelle. Le concept de qualification de l'organisation fordienne
décline au profit de celui de compétence de l'organisation flexible, et notamment de ce qu'on appelle les compétences
émotionnelles, sociales ou personnelles. L'autonomie aujourd'hui signifie non seulement indépendance, mais tout autant
coopération et compétition. C'est ce changement de signification sociale de l'autonomie - libérale - qui divise la société, car elle
équivaut pour de nombreux Français à l'abandon des individus aux forces du marché et semble donc en contradiction avec nos
principes de solidarité.
Les multiples essais publiés ces dernières années sur ce « malaise » tournent autour de l'idée qu'« on ne fait plus société » car
nos idéaux politiques (d'égalité et de solidarité sans lesquels la liberté est un vain mot) seraient devenus impuissants face à la
vague libérale ou néo-libérale qui aurait engendré un individualisme désormais destructeur des liens sociaux. De sombres formules
sont apparues à partir de la fin du 20e siècle : « précarisation de l'existence », « mélancolisation du lien social », etc. E lles
désignent un mal qui atteint la société et l'individu dont le moteur est l'autonomie, qui agrège toutes les idées libérales, et la victime
le vivre-ensemble. Le libéralisme, devenu « ultra », et l'individualisme, « forcené », exerceraient un travail de déliaison sociale.
Avec la généralisation des valeurs de l'autonomie, l'individu s'est vu surchargé de responsabilités et d'épreuves qu'il ne
connaissait pas auparavant - c'est l'association de l'ultra-libéralisme et de l'individualisme forcené - et, en contrepartie, le lien social
s'est affaibli fragilisant du même coup les individus. La preuve de ce malaise se trouve dans les pathologies sociales qui se
développent dans notre monde moderne (dépression, pathologies narcissiques et autres souffrances sociales) et qui se présentent
comme des pathologies de l'autonomie. D'où la popularité de ces philosophies du soin, du care, de la vulnérabilité.
Les sources réelles du malaise : la crise de l'égalité à la française
Or il y a là une part d'illusion. Nous faisons plutôt face à un changement de la donne de la lutte contre les inégalités, profondément
lié à ces manières de travailler, changement dans lequel résident à la fois le cœur des difficultés françaises et les voies éventuelles
pour faire mieux fonctionner nos principes de solidarité.
Cœur des difficultés françaises par ce qu'à travers l'idée confuse d'affaiblissement du lien social, nous faisons face à un problème
très réel, celui de la crise de l'égalité à la française, c'est-à-dire conçue essentiellement dans les termes d'une protection liée au
concept de statut de la fonction publique. Pourtant, l'égalité d'aujourd'hui, et donc la lutte contre les inégalités sociales et la
pauvreté, se joue au niveau des capacités ou des compétences.
En effet, les inégalités renvoient de moins en moins à la division sociale du travail entre grandes catégories de salariés et de plus
en plus à une inégale distribution des capacités personnelles à faire face aux exigences du marché du travail. L'inégalité sociale de
la distribution des capacités personnelles est le problème majeur. On ne diminuera pas les inégalités de compétence en multipliant
les statuts, mais en rendant ceux qui les subissent capables de saisir des opportunités. L'ensemble des travaux converge sur ce
point : l'enjeu est « de savoir s'occuper des perdants », comme dit le sociologue Gosta Esping-Andersen. Les nouvelles
coordonnées des inégalités sont moins leur accroissement que la dualité entre insiders et outsiders. Et ce dans le contexte d'un
chômage qui n'est jamais descendu en dessous de 8 % depuis trente ans et d'un système scolaire qui est devenu particulièrement
reproductif des inégalités sociales - fort souci de la formation des élites (excellentes, mais trop petites), souci insuffisant pour la
formation des masses.
Le nœud du malaise qui rend les Français prisonniers de leurs grands souvenirs est la difficulté à représenter les nouveaux
problèmes de telle sorte que l'opinion ait une idée un peu plus claire des enjeux et des choix, et donc de les faire passer au centre
du débat politique. Les mots « compétition », « capacité », « opportunité », etc. semblent totalement opposés à notre idée de la
solidarité. Mais il faut surtout aller au-delà de la mystique des mots, car ce sont plutôt de nouveaux emplois de ces concepts qui
sont en jeu dans la société française, ceux de l'élaboration d'un renouveau du contrat social (thème toujours important chez nous)
correspondant à l'autonomie comme condition. Le grand changement que la réforme du Code du travail commence à instituer est
de passer du statut protecteur du travail fordien au parcours sécurisé du travail flexible. C'est la position de la CFDT qui promeut
dans ses idées et ses pratiques une politique du travailleur capable.
La société française n'est pas condamnée au culte réactionnaire du passé. Il y a largement de quoi clarifier auprès d'une opinion
publique déboussolée en quoi la condition autonome n'est ni la fin de la société ni celle de l'action publique. On peut parfa itement
donner un sens cohérent et positif à des réformes qui apparaissent trop souvent comme des adaptations forcées à la
mondialisation (ou à l'Europe) et non comme un moyen de moderniser la solidarité à la française.
35 heures : ce que dit le rapport secret de l’IGAS
LE MONDE | 18.07.2016 à 06h38 | Par Bertrand Bissuel
Le chef de l’Inspection générale des affaires sociales (IGAS), Pierre Boissier, ne voulait pas qu’un rapport, réalisé par deux de ses pairs, soit
diffusé. C’est raté. Le Monde a pu prendre connaissance de ce document d’une centaine de pages (sans les annexes), qui évalue les «
politiques d’aménagement [et de] réduction du temps de travail dans la lutte contre le chômage ».
Une étude fouillée et prudente, qui parvient au constat que des dispositifs tels que les 35 heures, instaurées par les « lois Aubry » de 1998
et 2000, peuvent, sous certaines conditions, contribuer à réduire le nombre de demandeurs d’emplois. Est-ce à cause de cette conclusion,
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sur un sujet sensible politiquement et source de controverses acharnées, que le rapport avait été bloqué ? Certains membres de l’IGAS le
pensent. Quoi qu’il en soit, l’affaire plonge ce service de hauts fonctionnaires dans un climat pesant.
En se lançant dans cette mission d’expertise, les deux inspecteurs des affaires sociales poursuivaient un objectif : soupeser « le potentiel » de
création d’emplois des divers outils « relatifs au temps de travail ». Conscients que le sujet est, « depuis une quinzaine d’années », matière à «
polémique », ils se sont efforcés « de reposer les termes du débat (…) de manière dépassionnée ». Durant leurs travaux, ils ont auditionné une
quarantaine de personnalités qualifiées et passé au tamis la littérature disponible sur cette thématique, en scrutant les actions à l’œuvre dans
d’autres pays européens. Plusieurs dizaines d’accords d’entreprises et de branches ont également été étudiés.
« Vive bataille idéologique »
De cette masse d’informations, plusieurs enseignements se dégagent. D’abord, la France n’est pas la seule nation à avoir réduit la durée du
travail. Cette tendance, engagée depuis des décennies, a touché les autres Etats européens : entre 1998 et 2013, la baisse a oscillé entre - 9,2
% et - 13,3 % en Allemagne, en Espagne, dans l’Hexagone, en Italie et aux Pays-Bas ; seul le Royaume-Uni se distingue avec un recul beaucoup
plus faible (- 2,8 %).
Dès lors, écrivent les auteurs du rapport, « la question n’est pas tant de se prononcer pour ou contre la réduction du temps de travail, mais
plutôt d’identifier quelles sont les modalités d’une réduction la plus efficace possible ». Plusieurs leviers peuvent être actionnés, l’un d’eux
consistant à proposer aux employeurs de baisser la durée du travail de 10 %, tout en allégeant les cotisations sociales. Deux curseurs sur
lesquels les « lois Aubry » ont joué.
Or, celles-ci ont permis de créer 350 000 postes « sur la période 1998-2002 », d’après les deux inspecteurs des affaires sociales, qui se
prévalent de plusieurs études considérées comme « robustes » – l’une de la direction des statistiques du ministère du travail (Dares), l’autre de
l’Observatoire français des conjonctures économiques (OFCE). « Ce chiffre n’est aujourd’hui plus tellement remis en question », affirment les
signataires du rapport, même si la mesure de l’impact des « lois Aubry » constitue « l’enjeu d’une vive bataille idéologique ».
Au passage, ils contestent l’idée selon laquelle les 35 heures auraient eu un effet négatif sur la compétitivité de notre économie. Selon eux, « la
France est l’un des pays qui a le mieux maîtrisé l’évolution de ses coûts [salariaux] ». De plus, ajoutent-ils, le prix des produits n’est pas le seul
paramètre qui influe sur les performances des entreprises à l’exportation. Et si la France a subi des « pertes de parts de marché, (…) elles n’ont
rien d’exceptionnel par rapport aux autres pays européens », abstraction faite de l’Allemagne, « et dans une moindre mesure », de l’Espagne.
Au fil des pages sont démontées les positions de plusieurs économistes connus – Pierre Cahuc, Francis Kramarz, Stéphane Carcillo, entre autres
– qui ont mis en doute les effets sur l’emploi des 35 heures. Laurent Bigorne, le directeur de l’Institut Montaigne – un think tank libéral – en
prend pour son grade pour avoir soutenu que « les Français ne travaillent pas assez » : « Conclusions erronées », estiment les deux auteurs du
rapport. A leurs yeux, « les politiques du temps de travail » peuvent ouvrir « des pistes d’amélioration (…) qui ne doivent pas être négligées »
même si elles sont « loin de fournir » à elles seules des solutions au chômage de masse.
Danger
Fait extrêmement rare, ce rapport, bouclé au mois de mai, n’a pas été communiqué au gouvernement. Pourquoi ? Sollicitée par Le Monde, la
direction de l’IGAS n’avait pas souhaité livrer les raisons qui avaient joué, en l’espèce. Elle s’était bornée à rappeler, d’une manière générale,
que « des travaux insuffisamment achevés ou présentant des faiblesses méthodologiques ne sont pas transmis par le chef de l’IGAS ». Elle
avait ajouté, s’agissant de cette mission d’évaluation sur le temps de travail dans les entreprises, qu’un relecteur, un comité des pairs et une
commission ad hoc, récemment mise en place au sein de l’Inspection, s’étaient tous prononcés dans le même sens, « celui de la nontransmission ».
C’est faux, objecte le Syndicat des membres de l’IGAS (Smigas), dans son dernier bulletin d’information : « L’avis du relecteur, dont nous
disposons, ne demande pas la non-transmission du rapport au gouvernement. » Même chose pour l’avis du comité des pairs, mais celui-ci,
présidé par Louis-Charles Viossat, comporte « une formulation très atypique et particulièrement contestable », juge le Smigas, sans plus de
précision.
Quant à l’avis de la commission ad hoc, il « est peu étayé » et « pose en lui-même » la question du « bien-fondé » de cette instance, créée il y a
quelques semaines. Le Smigas et la CFDT ont d’ailleurs réclamé le retrait de l’arrêté fondant cette commission ad hoc, car elle n’offre, selon
eux, aucune « garantie » (absence de critères sur la non-transmission au gouvernement, pas d’indication sur la motivation des avis…). Le
Smigas y voit même un danger, car la procédure nouvellement instaurée tend « vers une instrumentalisation dans le sens du jugement en
opportunité politique sur ce que les membres de l’inspection auraient ou non le droit d’écrire ». Sale ambiance.
Accords de branche : sont-ils si protecteurs ?
LE MONDE | 19.07.2016 à 11h28 | Par Bertrand Bissuel et Sarah Belouezzane
Après cinq mois de controverses, le projet de loi travail est sur le point d’achever son parcours législatif. Mercredi 20 juillet, ce
texte, qui a déclenché de violentes querelles au sein du Parti socialiste et alimenté les plus fortes tensions sociales du quinquennat
de François Hollande, doit être définitivement adopté par l’Assemblée nationale. Il s’est heurté à de vives résistances, en particulier
parce qu’il dévitaliserait, selon ses détracteurs, le pouvoir des branches professionnelles. Plusieurs organisations syndicales – FO
et CGT en tête – ainsi qu’une partie de la gauche défendent cet échelon de négociations, qui permet, disent-elles, de garantir un
socle de droits communs aux salariés d’un même secteur et évite la course au moins-disant social entre employeurs.
Cette affirmation ne tient, toutefois, pas de l’évidence, pour Myriam El Khomri. « Il ne faut pas idéaliser la protection apportée par
[les] branches », confiait la ministre du travail dans un entretien au Monde (nos éditions du 30 juin). C’est « le ventre mou des
relations collectives du travail », vont même jusqu’à soutenir l’économiste Bertrand Martinot et l’avocat Franck Morel, dans leur livre
Un autre droit du travail est possible (Fayard, mai 2016).
Intitulés pittoresques
Premier handicape du système : son caractère luxuriant, touffu. Au point que « le décompte des branches n’est pas un exercice
facile », écrit le conseiller d’Etat Patrick Quinqueton, dans un rapport remis en décembre 2015. Le chiffre de 700 (hors agriculture)
fait néanmoins consensus. Les plus puissantes, celles qui comptent au moins 50 000 salariés, sont une cinquantaine : parmi elles,
la métallurgie, les transports routiers, les hôtels-cafés-restaurants…
Elles coexistent avec d’autres branches, qui s’apparentent davantage à une brindille ou à une nervure de feuille, tant leurs effectifs
sont faméliques : environ 400 se situent sous la barre des 5 000 salariés. Quelques-unes sont désignées sous des intitulés
pittoresques : industrie du peigne dans la vallée de l’Hers et du Touyre, commerce des machines à coudre…
L’activité qu’elles déploient s’avère très inégale. Certaines concluent très régulièrement des accords, d’autres « vivotent et ne
tiennent plus aucune réunion », rapporte Me Patrick Thiébart, avocat associé du cabinet Jeantet. « Sur les 700 branches, 240 n’ont
pas déposé d’accord depuis au moins dix ans – dont 210 depuis quinze ans », souligne-t-on dans l’entourage de la ministre du
travail.
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Rectifier le tir
Faute d’avoir été rediscutées, des conventions collectives deviennent obsolètes et prévoient des minima salariaux inférieurs au
smic ! D’après Mme El Khomri, il y en a 42 qui présentent cette anomalie. Ce chiffre est toutefois en baisse, explique Erwan
Gautier, professeur d’économie à l’université de Nantes. « Le comité de suivi de la négociation salariale créé en 2007 a remi s de
l’ordre, complète-t-il. Dès qu’est repéré un accord de branche sous le smic, le ministère du travail demande aux négociateurs de
rectifier le tir. »
Reste que, pour Thomas Breda, chargé de recherche au CNRS et membre associé à l’Ecole d’économie de Paris, « la négociation
de branche est en perte de vitesse depuis les lois Auroux de 1982 ». Celles-ci « ont permis l’envol du dialogue social au sein des
entreprises – notamment en imposant aux employeurs de discuter chaque année sur les salaires », mais l’échelon du dessus, lui, a
perdu de sa vigueur.
Le phénomène semble avoir touché en particulier des secteurs où dominent quelques grandes entreprises, indique Jérôme
Pélisse, du Centre de sociologie des organisations, qui se réfère aux travaux de sociologues spécialistes des négociations de
branche. « Le poids économique et les stratégies de ces grosses sociétés phagocytent ainsi, en quelque sorte, la capacité
d’initiative des négociateurs de branche », ajoute-t-il.
Tout se passe comme si elles considéraient « ne pas avoir intérêt à voir se développer la négociation de branche », lorsqu’elles ne
dominent pas dans le jeu des discussions ; elles préfèrent alors conclure des accords d’entreprise qui leur donnent la « maîtrise
des règles » s’appliquant à elles.
Pour relancer le dialogue au niveau des branches, « des allégements de charges ont été mis en place, dans les années 2000 »,
enchaîne Thomas Breda. Un dispositif qui « a permis de revitaliser » les échanges, d’après lui.
Un travail de bénédictin
Mais d’autres difficultés subsistent, qui tiennent à la qualité même des accords et conventions « issus des petites branches »,
constate Patrick Quinqueton. Certaines se contentent de recopier des « dispositions du code du travail ». « D’autres se révèlent
difficilement applicables car elles oublient les principes juridiques de base », déplore-t-il.
De façon plus globale, les textes ficelés sont rarement « porteurs d’innovation sociale », juge Jean-Denis Combrexelle, le président
de la section sociale du Conseil d’Etat, dans un rapport diffusé en septembre 2015. « Il est très difficile de porter une appréciation
générale, observe Cyril Wolmark, enseignant-chercheur en droit privé à l’université Paris-Ouest-Nanterre. Il y a des conventions
collectives – comme celles dans la métallurgie – qui accordent de réelles protections aux salariés, d’autres se révèlent plus chiches
en la matière ou sont plus axées sur la régulation de la concurrence. »
Fervent partisan de cet échelon de négociation, Jean-Claude Mailly, secrétaire général de FO, reconnaît qu’« il y a des
branches qui fonctionnent mal ou qui n’ont aucune vie conventionnelle ». Mais ce n’est pas un argument pour les
reléguer à un rôle subalterne, comme le prévoit, à ses yeux, le projet de loi El Khomri.
Le leader syndical se dit favorable, sur le principe, à une refonte des branches – mais selon des « modalités qui restent à
voir ». Le mouvement a été engagé par le gouvernement, avec comme objectif, à terme, de ramener leur nombre à 200 et de les
rendre ainsi plus puissantes. Un travail de bénédictin, si l’on se fie aux expériences passées : la restructuration des quelque 40
branches du spectacle, il y a plusieurs années, avait nécessité « plus de 500 réunions », mentionne Jean-Denis Combrexelle dans
son rapport. Le nouveau chantier ouvert par l’exécutif risque de durer longtemps.
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