La menace fantôme des paradis fiscaux

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ASSOCIATION
POUR LA TAXATION DES
TRANSACTIONS FINANCIERES
POUR L’AIDE AUX CITOYENS
Comprendre le fonctionnement
des paradis fiscaux
et de la criminalité financière
Agir contre la finance sans lois
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Attac aux paradis
Episode I :
La menace fantôme des paradis fiscaux
Présentation générale
La menace que représentent les paradis fiscaux n'est "fantôme" que dans la mesure où
l'information à leur sujet reste très floue et ténue. On les présente souvent de manière trompeuse,
comme des territoires folkloriques, des îlots paradisiaques qui permettent aux sociétés et aux
particuliers d'exploiter avec "adresse" les failles juridiques nationales et internationales. Le danger
des paradis fiscaux et leur intégration complète au système économique mondial est en réalité très
sous-estimé.
Qu'est-ce qu'un paradis fiscal ?
Les documents et rapports officiels en fournissent une définition assez floue : "pays à régime
fiscal privilégié" ou "lieu pouvant être utilisé comme abri ou comme refuge contre des impôts,
plus particulièrement contre les impôts sur les revenus et sur les successions."
Il existe en fait de nombreux types de paradis fiscaux, la variété des activités financières
possibles les incitant souvent à se spécialiser.
On peut toutefois discerner des traits communs :
 Un taux d'imposition réduit, voire nul, notamment sur les revenus de source étrangère ;
 Le secret commercial et bancaire, dont les banques suisses sont encore les plus sûres
garantes ;
 Un minimum de stabilité politique et économique ;
 Un double système de contrôle des changes qui distingue les devises étrangères de la
monnaie nationale ;
 Une infrastructure développée, des moyens de communication modernes, etc.
Les paradis fiscaux attirent d'abord tous ceux qui refusent la solidarité par l'impôt ; les grandes
fortunes et les multinationales en font ainsi un usage massif. Ils existent depuis l'Antiquité (ports
détaxés dans la Grèce antique), mais leur essor et leur multiplication dans la deuxième moitié du
XXème siècle fut sans pareil. De plus, ils se sont développés en relation étroite avec la
mondialisation financière et économique, elle-même née de la libéralisation et de la
déréglementation des activités financières, accélérées depuis une trentaine d'années. La
responsabilité des Etats dans cette expansion est loin d'être négligeable : conservation du secret,
apathie coupable, abdication des pouvoirs de régulation face aux dogmes de l'ultralibéralisme.
A quoi sert un paradis fiscal ?
Les paradis fiscaux tendent à fédérer toutes les grandes criminalités. En fait, Etats, mafias et
transnationales s'associent et s'intègrent de plus en plus dans un système cohérent, "intimement
lié à l'expansion du capitalisme mondial" (voir à ce sujet l'article de Christian DE BRIE dans Le
Monde Diplomatique, avril 2000 ).
Il permettent et favorisent notamment :
 Les fraudes fiscales : les paradis fiscaux offrent aux capitaux spéculatifs, notamment, des
relais discrets et accueillants ;
 La corruption ;
 La privatisation des conflits : les paradis fiscaux sont autant de lieux privilégiés d'accueil
des basses œuvres (bases de services secrets, officines sécuritaires…) pour les Etats et les
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Attac aux paradis


multinationales ; ils permettent aussi de brouiller les pistes pour les exportations illégales
d'armement ;
La pratique de la complaisance maritime (les célèbres pavillons de complaisance, cf le
naufrage de L’Erika) qui permet d'immatriculer des navires marchands en échappant aux
obligations sociales et fiscales, dans des paradis fiscaux spécialisés, concerne aujourd'hui
les deux tiers de la flotte mondiale !
Le blanchiment des capitaux : les flux de la criminalité internationale organisée, englobant
le trafic de drogue, la prostitution de femmes et d'enfants, les vols, le racket…transitent
par les paradis fiscaux afin d'être réinvestis en toute légalité. Organisations terroristes et
sectes en sont aussi de grandes utilisatrices, comme l'ont démontré les attentats du 11
septembre.
Que faire ?
A ce jour les services répressifs sont largement désarmés face à une criminalité mondiale et très
mouvante. De timides tentatives ont été entreprises, notamment depuis le 11 septembre (ainsi le
décret publié par la France le 7 février contre la république de Nauru), mais elles restent
beaucoup trop limitées et soumises à la complaisance des gouvernements du monde entier.
Des organismes existent, tels le GAFI (Groupe d'Action Financière Internationale) qui tente de
lutter contre le blanchiment d'argent, mais leur champ d'action est trop limité. Il est avant tout
nécessaire d'informer les citoyens, seule voie possible pour que le crime économique et financier
relève enfin du droit pénal international.
Quelques mesures d'urgence sont envisageables, mais rien n'est possible sans une prise de
conscience préalable de la portée des paradis fiscaux et des véritables enjeux qu'ils constituent.
La criminalité financière en quelques chiffres
La grande délinquance financière a ses sanctuaires :
« l’archipel planétaire des paradis fiscaux »
Ceux-ci tiennent un rôle central dans l’univers de la finance noire puisqu’ils en représentent les
usines de retraitement.
D’après le Fonds Monétaire International (F.M.I) ;
 le phénomène du blanchiment représente entre 2 et 5 % du produit intérieur brut (P.I.B)
mondial ;
 la moitié des flux de capitaux internationaux transitent ou résident dans ces territoires ;
 entre 600 et 1500 milliards de dollars d’argent sale y circulent chaque année ;
 leur activité est une industrie qui gère autour de 20% de la richesse privée mondiale.
A titre de comparaison, les dettes publiques cumulées sur l’ensemble des marchés
internationaux s’élèvent à 5000 milliards de dollars alors que parvenir à la satisfaction universelle
des besoins sanitaires et nutritionnels essentiels (nourriture, eau potable, santé) ne coûterait que
13 milliards de dollars par an (soit 1% des sommes qui circulent dans les paradis fiscaux…)
Plus que tout, banques et grandes entreprises sont avides de capter, après les avoir blanchis, les
profits des affaires du crime organisé (trafics de drogues, d’armes, de déchets toxiques, de
produits nucléaires d’organes humains, de femmes, d’enfants, de main d’œuvres, d’objets d’art, de
voitures, contrebandes d’alcool, de tabac, de médicaments, vols, fraudes fiscales, fausse monnaie,
fausses factures, piratage informatique, etc).
Ainsi par exemple, les profits tirés annuellement du trafic de drogues (cocaïne, héroïne,
cannabis) représenteraient de 300 à 500 milliards de dollars, soit 8% à 10% du commerce mondial
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Attac aux paradis
(5250 milliards de dollars en 1998). Le chiffre d’affaire du piratage informatique dépasse les 200
milliards de dollars, celui de la contrefaçon les 100 milliards de dollars, 10 à 15 milliards de dollars
pour la fraude au budget communautaire européen, etc.
Au total, en ne tenant compte que des activités ayant une dimension transnationale,
dont la «traite des blanches », le produit criminel mondial brut dépasse selon certaines
estimations les 1000 milliards de dollars par an, soit près de 20% du commerce mondial.
En admettant que les charges (production, gestion, pertes sur saisie, corruption, etc)
représentent environ 50% du chiffre d’affaire, il reste 500 milliards de profits annuels, une
somme 40 fois plus importante que celle nécessaire à l’éradication des problèmes de santé et de
malnutrition qui affectent environ 1 milliard d’individus dans le monde. Ainsi, sur dix ans, les
profits cumulés atteignent 5000 milliards de dollars, autant que l’ensemble mondial des dettes
publiques cumulées, et, 3 fois plus que le montant des réserves en devises de toutes les banques
centrales (1638 milliards de dollars selon la B.R.I en 1998).
Une question fondamentale se pose alors : comment écouler ce gigantesque pactole qui empilé
en billet de 100 dollars s’élèverait à 500 kilomètres de hauteur ! ?
Blanchir cet argent et le réintroduire dans l’économie licite en toute discrétion nécessite
l’utilisation des paradis fiscaux et autres places offshore, via les sociétés commerciales ou
financières qu’ils abritent.
C’est à ce stade que les criminels en col blanc interviennent. Le coût de l’opération de
recyclage ; environ un tiers, soit 150 milliards de dollars partagés entre réseaux bancaires et
intermédiaires ; avocats, courtiers, gérants de trusts et fiducies…
Au bout du compte sont blanchis et réinvestis annuellement plus de 350 milliards de
dollars, soit un peu moins d’un milliard de dollars par jours…
Les organisations criminelles multinationales n’encombrent pas les caisses d’épargnes avec leurs
bénéfices (qu’aucun autre secteur d’activité légale n’atteint), et chassent au contraire les taux de
profits les plus élevés ; placements à risques, spéculation financière (ce qui participe à la
formation de bulles financières), marchés émergents, immobiliers, nouvelles technologies.
Lubrifiant de la prodigieuse expansion du capitalisme moderne, il leur reste suffisamment
d’argent pour soutenir leur train de vie et participer au financement de la corruption des partis et
dirigeants politiques contre de solides promesses de maintenir un système qui leur est si favorable
en l’état.
Atlas des paradis fiscaux
On recense entre 60 et 90 de ces micro-territoires ou Etats aux législations fiscales laxistes ou
inexistantes, mais leur décompte reste difficile (ils sont sûrement plus d’une centaine). Ce ne sont
majoritairement pas des «îles perdues au milieu du Pacifique », ils suivent au contraire une
répartition géographique déterminée de façon évidente par celle des grands pôles
économiques mondiaux : Etats-Unis, Europe, Asie.
On comprend pourquoi en rappelant brièvement leur origine. Les premiers paradis fiscaux
sont des ports d’accueil pour les navires des grands empires européens, aux Caraïbes et autour de
l’Amérique latine. Cependant, le développement contemporains des paradis fiscaux date de la fin
XIXème-début XXème siècle, ainsi, dans les années 1920-1930 une nouvelle génération de
territoires commence à se spécialiser dans l’attraction des fortunes étrangères (Bahamas, Suisse,
Luxembourg).
Après 1945, ces territoires, oubliés du plan Marshall, se transforment en zone à faible régulation
et adoptent le secret bancaire pour attirer les capitaux internationaux (Liechtenstein). Dans les
années 1960-1970 les eurodollars puis les pétrodollars relancent leur activité. Et depuis une
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Attac aux paradis
trentaine d’années la libéralisation financière qui encourage l’absence de contrôle sur les
mouvements de capitaux a fait exploser le nombre de paradis fiscaux.
« Une rivière de diamants volés ceinture la planète : le chapelet des paradis fiscaux,
receleurs hors la loi de l’argent du crime. » ( Christian de Brie, Observatoire de la
mondialisation )
Les pays les plus riches abritent ou ont la mainmise économique et politique sur ces
«pays à régime fiscal privilégié » ; en France : Monaco et Andorre entre autres ; en GrandeBretagne : Irlande, Ile de Man, Gibraltar, etc ; aux Etats-Unis : Bahamas, Bermudes, etc ; en Asie
et au Moyen-Orient : Liban, Macao, Singapour, Hongkong, îles Marshall, etc. 95% des paradis
fiscaux sont d’anciens comptoirs ou colonies restés dépendant des puissances tutélaires, et dont la
souveraineté fictive sert de cache-sexe à une criminalité financière tolérée et même encouragée
parce qu’utile au fonctionnement des marchés.
Le problème de l’existence et de la tolérance des paradis fiscaux est donc évidemment
politique, le monde de la finance étant souvent intimement lié à celui de la politique.
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Attac aux paradis
Episode II :
L’empire de la criminalité financière contre-ATTAC
Les Paradis fiscaux
La boîte à outils de la criminalité
Les paradis fiscaux et les places offshore réparties tout autour de la planète permettent
d’organiser, en la protégeant des lois, la circulation des flux financiers liés à des activités illégales :
trafics quels qu’ils soient (drogues, enfants, objets d’art, armes, détournements de fonds, etc),
corruption (des élus, des pouvoirs publics, etc), évasions fiscales…
En pratiquant l’accueil illimité et anonyme de capitaux ces micro-territoires ou Etats servent
soit à réintroduire dans la circulation légale de l’argent à l’origine criminelle, c’est à dire à blanchir
de l’argent sale, soit inversement, à faire sortir de l’argent de l’économie licite afin de le soustraire
à la législation fiscale d’un pays ou d’organiser la corruption d’hommes politiques.
Ainsi, déduction des frais de blanchiment captés par les réseaux bancaires et autres
intermédiaires (avocats, courtiers, gérants de trust et fiducies, etc), le montant des capitaux
blanchis et réinvestis annuellement est d’environ 350 milliards de dollars. Parallèlement, l’évasion
fiscale ne représente rien qu’en France 38 milliards d’euros par an. Elle permet d’échapper à
l’impôt et au partage des richesses et est pratiquée légalement ou non notamment par les
multinationales et les détenteurs de grosses fortunes, pour dissimuler leurs bénéfices et leurs
revenus.
Ces montants, auquel il faut ajouter l’ensemble des dépenses associées au démantèlement des
organisations criminelles internationales et au traitement social des conséquences de leurs
activités, forment autant de manques à gagner qui échappent aux Etats et à leurs citoyens.
Les paradis fiscaux ;
Place attractive pour les activités économiques et
financières illicites.
Les législations des paradis fiscaux bien qu’elles diffèrent selon les Etats ou territoires ont un
certain nombre de caractéristiques communes permettant la protection des activités économiques
et financières illicites, à savoir entres autres la garantie d’un secret bancaire absolu et la
préservation de l’anonymat des propriétaires de sociétés. Enfin, ces territoires offrent la
possibilité de créer aisément des sociétés écrans ou des trusts et pratiquent une coopération
fiscale et judiciaire réduite voire inexistante, ce qui rend impossible le démantèlement des
activités de blanchiment d’argent ou d’évasion fiscale.
Le secret bancaire :
Il permet au détenteur d’un compte de bénéficier d’un total anonymat. Ainsi lorsqu’une banque
pratique le secret bancaire absolu, elle met à disposition de ses clients des comptes dont l’identité
des détenteurs et bénéficiaires ne peut être connue par aucun de ses employés. Des comptes à
numéro et codés peuvent également être utilisés pour renforcer l’anonymat de leurs détenteurs.
Enfin, le secret bancaire est en général protégé par une législation financière et pénale, par
exemple en Suisse, la violation du secret bancaire est passible de peines de prison.
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Attac aux paradis
La préservation de l’anonymat des détenteurs d’une société :
Le principe est celui de l'absence de publicité des propriétaires, des bénéficiaires réels, ou des
dirigeants réels d'une société ou d'une personne morale. On constate cependant plusieurs degrés
de confidentialité ; une confidentialité totale, lorsque le nom du propriétaire ou du bénéficiaire
réel ne doit être communiqué à aucune autorité publique ; une confidentialité partielle, lorsque les
identités doivent être divulguées à l'occasion d'une recherche pénale ou d'une enquête liée à la
lutte contre le blanchiment de capitaux.
La possibilité de créer facilement des trusts et des sociétés écrans :
Le trust, structure sans personnalité morale, résulte d'un acte par lequel une personne, le
constituant, confie des biens à une deuxième personne, le trustee ou gestionnaire, à charge pour
lui d'en faire bénéficier une troisième, le bénéficiaire, avant de remettre les biens à une quatrième
personne, l'attributaire. Le bénéficiaire peut d'ailleurs être un autre trust à caractère
discrétionnaire, ou une société implantée dans un paradis fiscal, ce qui ajoute à l'opacité du
montage surtout lorsque l’anonymat des détenteurs du trust est garanti.
La création dans un paradis fiscal de sociétés écrans, de sociétés relais, ou de structures telles
que les trusts, est le principe de base sur lequel reposent les montages internationaux. Ces
structures ont un rôle d'interposition et de localisation de revenus dont les organisateurs du
montage souhaitent qu'ils ne soient pas appréhendés par l'administration fiscale du pays de
résidence. L'extrême difficulté, voire l'impossibilité d'identifier les propriétaires réels de ces
sociétés, place les recettes et revenus qu’elles perçoivent à l'abri des recherches fiscales ou
pénales.
La possibilité de demander un recours :
Les législations de la plupart des paradis fiscaux offrent la possibilité aux personnes résidentes
faisant l’objet d’une procédure d’enquête menée à partir d’une juridiction étrangère de contester
la régularité de ces demandes d’investigations internationales en exerçant un recours auprès de
leurs propres autorités judiciaires. Ces recours permettent de retarder les enquêtes de 1 ans à 18
mois en repoussant l’accès à l’information concernant les montages financiers localisés dans un
paradis fiscal ainsi que leurs bénéficiaires. Ce délai est à comparer avec les quelques jours
nécessaires à la création de sociétés écrans ou de trust et à l’ouverture de comptes bancaires
couverts par le secret et, sachant que les montages financiers sont souvent réalisés sur plusieurs
paradis fiscaux, l’accumulation des recours offre une véritable garantie d’immunité en repoussant
au-delà du délai de prescription l’accessibilité aux informations.
L’ensemble de ces caractéristiques rend impossible le démantèlement des activités de
blanchiment d’argent ou d’évasion fiscale. De plus, on peut considérer cette immunité comme
acquise en l'absence de convention d'échange de renseignements entre le paradis fiscal et le pays
tiers d’où émane la plainte et la procédure judiciaire.
Les paradis fiscaux ;
Machine à laver des temps modernes,
lavent plus blanc que blanc…
L’ensemble de ces facilités et de ces protections des activités économiques garantissent la
possibilité d’écouler l’argent du crime ou d’échapper au système de répartition des richesses de
son pays.
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Attac aux paradis
Le blanchiment d’argent : « Du prélavage au blanchissage »
On distingue généralement trois phases successives pour blanchir des capitaux : le prélavage ou
placement, le lavage ou empilement, le recyclage ou intégration.
Le prélavage
Cette opération consiste à réintroduire dans le système financier normal des capitaux à l’origine
illégale. L’opération la plus simple et la plus fréquente consiste à fractionner des sommes
importantes en une multitude de petites sommes afin de les rendre moins suspectes et détectables
lorsqu’elles seront déposées sur des comptes bancaires (par exemple, en France, le seuil de
déclenchement des lois anti-blanchiments se situe entre 7000 et 8000 euros au-delà desquels une
déclaration de dépôt ou de transfert de fond s’impose). L’utilisation de comptes ouverts dans un
paradis fiscal, pour y déposer des sommes en espèce est le procédé le plus grossier, généralement,
les comptes sont ouverts au nom de sociétés écrans ou de trusts, pour lesquels la détention d’un
volume de capitaux important est moins suspecte. De plus dans ce dernier cas, les bénéficiaires
du dépôt jouissent d’une double protection ; l’anonymat garanti par le secret bancaire et la
confidentialité prévue par les règles du droit des sociétés.
Les techniques utilisées ne sont donc pas identiques. De nombreux procédés de blanchiment
peuvent avoir un coût fiscal et conduire à payer un supplément d'impôt (quand une fiscalité
existe), il en est ainsi de ceux qui reposent sur le gonflement artificiel du chiffre d'affaires
d'entreprises de services en intégrant d'importantes sommes en espèces qui prennent alors une
apparence légale. Les secteurs concernés sont ceux où les versements en espèces sont
parfaitement justifiés en raison de la nature des prestations de service rendues : restauration,
blanchisseries, sociétés de lavage de voiture, salons de coiffure etc. Les sociétés complices veillent
à rester parfaitement en règle avec leurs obligations fiscales afin de ne pas attirer inutilement
l'attention de l'administration fiscale.
Le lavage
L’opération suivante consiste à virer ces fonds sur d’autres comptes bancaires détenus par
d’autres sociétés écran, et en d’autres lieux, plus particulièrement dans les pays qui n’apportent
pas leur coopération aux enquêtes anti-blanchiments, puis, à centraliser plus ou moins les fonds
sur un ou quelques comptes situés dans un centre financier offshore ou un paradis fiscal. La
création de sociétés internationales de commerce ou de prestation de services, ayant des activités
plus ou moins fictives permettent de justifier ces transferts de fonds sous le couvert d'opérations
commerciales. La facturation des prestations de services ou de biens à prix majorés, par une
société résidente à une autre société offshore, le versement d'honoraires ou de rémunérations
correspondant à des fonctions fictives d'intermédiaire ou de conseil, le prêt adossé*… sont autant
de moyens de transférer ces fonds de sociétés en société à travers plusieurs paradis fiscaux.
*Le prêt adossé constitue, selon le rapport de l'Office des Nations Unies, un moyen privilégié de blanchiment. Les
capitaux sont déposés sur un compte offshore et sont prêtés indirectement à une entreprise. Le capital est rapatrié
sans impôt, et donne lieu, en outre, à la réduction des impôts dus par l'entreprise emprunteuse, puisque les intérêts
d'emprunt sont déductibles du résultat imposable. Lorsque le prêt est financé à partir d'un prêt lui-même conclu
entre l'établissement prêteur et la structure implantée dans un paradis fiscal, le remboursement de l'emprunt permet
ainsi d'exporter une deuxième fois dans le paradis fiscal le montant du capital emprunté, et d'accroître le volume du
blanchiment.
Le recyclage
Cette opération consiste à réintroduire l’ensemble des fonds dans des activités économiques
légitimes par le biais de sociétés écrans établies dans les paradis fiscaux : acquisitions
immobilières, rachats de sociétés via des prises de participation, achats d’entreprises, de cliniques,
de chaînes de restaurants… Cette activité commerciale située dans le pays retenu par l’opérateur
lui permet ensuite d’écouler au fur et à mesure l’argent sale qu’il continue de produire par ailleurs,
par exemple, en comptabilisant des recettes fictives sur lesquelles il acceptera même de payer des
impôts. Les acquisitions anonymes de mobiliers d’époques, de tableaux ou de bijoux pour
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Attac aux paradis
lesquels « les acquéreurs préfèrent garder l’anonymat », le recours à une carte bancaire ou de
crédit international émise par une banque située dans un paradis fiscal, le rachat de tickets
gagnants pour les courses de chevaux ou les jeux de hasard, ou encore, le recours occasionnel à
un casino implanté dans un paradis fiscal, ce dernier transformant un virement reçu au titre d’un
client en un gain de jeu, légalement réglé par un virement international dans le pays de résidence
de ce client, sont autant de moyens de réintroduire et de bénéficier de l’argent sale dans
l’économie licite.
Pour réaliser ce type de montage financier, une organisation criminelle a nécessairement recours
à de multiples acteurs qui interviendront aux différents stades de l’opération de blanchiment ;
avocats d’affaires, experts comptables, notaires, agents immobiliers, agents d’assurances, banques,
établissements financiers. A titre d’exemple, on estime qu’une banque active dans le blanchiment
perçoit une commission de 10 à 40% des sommes recyclées. Enfin, ces sommes restent en grande
partie sur les marchés financiers internationaux pour financer des opérations de spéculation à
haut rendement, ce qui ne manque pas de perturber la stabilité de l’économie mondiale.
Ajoutons que des montages symétriques sont utilisés pour des opérations d’évasion fiscale
puisqu’elles consistent à faire sortir de l’argent de l’économie légale, et donc, en quelque sorte, à
le « noircir ».
Un autre usage des paradis ; l’évasion fiscale
Afin de profiter des structures sociales et des services rendus par la collectivité sans supporter
l'impôt correspondant, certaines sociétés mettent en place des dispositifs visant à faire ressortir
leurs bénéfices et patrimoines dans un Etat où l'impôt est très bas, voire inexistant, et qui leur
permet d'utiliser sans risque les fonds ainsi défiscalisés. Cet exemple montre par quel dispositif
une société française peut défiscaliser une partie de ses bénéfices, en utilisant officieusement une
société relais sise au Royaume Uni et une société offshore américaine.
Imaginons qu'une société française dénommée société F, opère dans le secteur du commerce
des emballages de luxe. La société F achète les produits en Espagne pour un montant de 20 et les
revend en France pour un montant de 140, avec une marge bénéficiaire de 120. Selon un schéma
traditionnel, la société F est alors redevable de l'impôt sur les sociétés ainsi que des autres impôts
y afférent, soit un taux d'imposition d'environs 36%.
Cette société souhaite voir diminuer la pression fiscale sur les bénéfices réalisés. A cette fin, une
société fiduciaire d’envergure internationale et experte en gestion de la fortune lui propose de
modifier le circuit d'achat pour revendre :
 en interposant une société écran située sur le territoire européen, dans un pays où la
pression fiscale est basse ;
 en transférant par cette société écran une part importante des bénéfices vers une société
offshore, en toute franchise d'impôt.
1) Une société A est créée en Angleterre. Elle achète les produits en Espagne à la place de la
société F et pour un prix identique de 20. Elle facture ensuite ces produits à la société F pour un
montant de 120, sans que les marchandises ne transitent réellement par l'Angleterre. La société F
peut alors les revendre 140. Il reste à la société A un montant de 100.
Conséquences, la société F déclare seulement un bénéfice de 20 qui, compensé par les charges
liées au commerce européen, n'engendrera qu'un impôt minime.
2) Une société O est créée dans un Etat qui offre des exemptions d'impôt et de charge aux
sociétés domiciliées sur son territoire et dont l'activité se déroule hors territoire. C'est le client
français qui détient officieusement le capital de cette société. La société A a confidentiellement
conclu avec la société O un contrat de prestation de services et lui a délégué ses droits de
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Attac aux paradis
commerce. La société O refacture 95% du chiffre d'affaire réalisé par la société A, soit un
montant de 95.
Ces sommes remontent ainsi au sein de la société O, sans faire l'objet d'une quelconque
imposition. Elle distribue ensuite ces sommes à l'unique actionnaire de la société, qui peut les
verser sur un compte bancaire également ouvert dans une place offshore. La société O peut aussi
détenir un compte bancaire ouvert à son nom.
Conséquences fiscales :
La société A déclare aux services fiscaux anglais les 5% de bénéfices qu'elle a conservés, pour
lesquels un taux d'imposition progressif s'appliquera, soit un taux de 20% à compter d'un
bénéfice de 300.000 livres sterling et jusqu'au taux maximum de 31% pour des bénéfices
dépassant 1.500.000 livres sterling.
Ainsi, pour un bénéfice de 120 :
 la société F versera 20 X 36% = 7,2
 la société A versera au maximum 5 X 31% = 1,55
 l'associé de la société O percevra personnellement un montant de 95 en franchise
d'impôt.
Pour assurer la crédibilité du montage, les sociétés A et F possèdent un numéro d'identifiant de
TVA intra-communautaire, ce qui leur permet d'appliquer à leurs transactions un taux de TVA
nul. Ainsi, le commerce entre les deux sociétés se place officiellement dans le cadre européen et
n'est pas de nature à éveiller les soupçons des autorités ni des services fiscaux.
Ce montage financier à permis de faire passer l’imposition totale de :
120x36%=43.2 à 1.55+7.2=8.75
Soit 34.45 de perte pour la collectivité.
Afin de lutter contre l’évasion fiscale et surtout contre le blanchiment de capitaux qui rend utile
et rentable la criminalité économique et financière et en favorise son développement il est donc
urgent de prendre un certain nombre de mesures.
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Attac aux paradis
Episode III :
La défaite du côté obscure de la finance
Hypocrisie et complaisance
Paradis fiscaux et centres financiers offshore ne sauraient survivre sans le laxisme coupable, voire
le soutien actif, des gouvernements ainsi que des institutions bancaires et financières.
Hypocrisie des autorités financières et bancaires
Il existe des concomitances et des parallélismes, dans le temps comme dans l’espace
géopolitique, entre la mise en place d’une partie des mécanismes et des institutions de la
mondialisation financière et le recours à des modes toujours plus raffinés de blanchiment des
capitaux d’origine criminelle. On ne peut que dénoncer, aujourd’hui, la criminalisation du système
financier international.
Chaque intervenant pourrait, s’il le voulait vraiment, agir à son niveau. C’est ainsi que le
système bancaire et ses autorités de contrôle (que les banques en question aient des activités
offshore ou non) seraient bien inspirés de sortir de leur complicité objective avec le crime
international organisé. La protection des libertés individuelles ne doit pas constituer un prétexte
pour verrouiller le secret bancaire et camoufler les criminels.
Complaisance des autorités politiques
Les responsables politiques affichent souvent leur fermeté face à la criminalité financière
internationale ; leurs discours martiaux ne parviendront pas à masquer la part de responsabilité de
certains d’entre eux dans le développement de celle-ci.
En réalité, la lutte contre la criminalité financière constitue rarement une priorité nationale, pas
plus en France qu’ailleurs. L’absence de victimes directes facilement identifiables explique cette
faiblesse constante des gouvernements. Par une succession de tolérances, de compromissions et
de reculs, ils se sont privés des instruments de mesure de la grande délinquance de l’argent. La
tendance à la déréglementation totale qui a accompagné la globalisation a considérablement
amoindri leur capacité de régulation politique, économique et sociale.
«En renonçant à la maîtrise de la finance, explique Jean de Maillard (Alternatives économiques, avril
99), les Etats ont rendu possible le développement de pratiques financières non contrôlées, en
particulier illégales, qui intéressent les juges. Ces derniers sont quotidiennement confrontés aux
dysfonctionnements de la finance internationale. Mais leurs compétences territoriales, limitées à
leur propre territoire, les empêchent de lutter efficacement contre des problèmes dont les rouages
sont internationaux…Alors ils manifestent contre ces paradis qui sont surtout juridiques et
judiciaires », (le 1er octobre 1996, sept magistrats européens ont lancé l’appel de Genève contre
les paradis fiscaux, voir ci-dessous).
Les autorités bruxelloises sont parfaitement inertes face à cette situation financière
internationale (la mise en place d’un parquet européen a ainsi été rejetée lors de la conférence des
parlements de l’Union Européenne contre le blanchiment, La Tribune, 11 février 2002). Ce qui
conduit à penser que les vrais maîtres de l’économie du Vieux Continent ont plutôt intérêt à y
tolérer des poches de déréglementation ultralibérale qui échappent à l’Europe institutionnelle (cf
article de Jean Chesneaux, « Archaïsme politique et modernité financière », Le Monde diplomatique,
janvier 1996, enquête de Denis Robert « Révélation$», 2001, et « la Boite Noire», 2002, Les
Arènes).
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Attac aux paradis
Les moyens dont dispose la France, par exemple, ne sont pas à la hauteur : la loi
antiblanchiment n’est pas opérationnelle, les moyens policiers sont inefficaces et les juges ne
peuvent pas échanger leurs informations avec ceux d’autres pays.
Il faudrait reconnaître que la communauté internationale a le droit d’imposer aux Etats
gangsters, ainsi qu’à leurs complices publics et privés, les règles minimales d’un état de droit. Mais
il faudrait alors renoncer aux formidables profits que procure l’exploitation éhontée du marché de
la loi (on ne peut que s’inquiéter devant la complaisance affichée du président du Conseil italien,
Silvio Berlusconi, vis-à-vis des fraudeurs fiscaux et des capitaux d’origine mafieuse).
L’appel de Genève
Le 1er octobre 1996, sept magistrats européens ont lancé l’appel de Genève contre les paradis
fiscaux, depuis lors, aucune mesure sérieuse n’a été prise par les membres de l’Union
Européenne, pour faciliter la lutte contre la criminalité financière et le blanchiment d’argent.
« Conseil de l'Europe, traité de Rome, accords de Schengen, traité de Maastricht : à l'ombre de cette Europe en
construction visible, officielle et respectable, se cache une autre Europe, plus discrète, moins avouable. C'est l'Europe
des paradis fiscaux qui prospère sans vergogne grâce aux capitaux auxquels elle prête un refuge complaisant. C'est
aussi l'Europe des places financières et des établissements bancaires, où le secret est trop souvent un alibi et un
paravent. Cette Europe des comptes à numéro et des lessiveuses à billets est utilisée pour recycler l'argent de la
drogue, du terrorisme, des sectes, de la corruption et des activités mafieuses.
Les circuits occultes empruntés par les organisations délinquantes, voire dans de nombreux cas criminelles, se
développent en même temps qu'explosent les échanges financiers internationaux et que les entreprises multiplient
leurs activités, ou transfèrent leurs sièges au-delà des frontières nationales. Certaines personnalités et certains partis
politiques ont eux-mêmes, à diverses occasions, profité de ces circuits. Par ailleurs, les autorités politiques, tous pays
confondus, se révèlent aujourd'hui incapables de s'attaquer, clairement et efficacement, à cette Europe de l'ombre.
À l'heure des réseaux informatiques d'internet, du modem et du fax, l'argent d'origine frauduleuse peut circuler à
grande vitesse d'un compte à l'autre, d'un paradis fiscal à l'autre, sous couvert de sociétés off shore, anonymes,
contrôlées par de respectables fiduciaires généreusement appointées. Cet argent est ensuite placé ou investi hors de
tout contrôle. L'impunité est aujourd'hui quasi assurée aux fraudeurs. Des années seront en effet nécessaires à la
justice de chacun des pays européens pour retrouver la trace de cet argent, quand cela ne s'avérera pas impossible
dans le cadre légal actuel hérité d'une époque où les frontières avaient encore un sens pour les personnes, les biens et
les capitaux.
Pour avoir une chance de lutter contre une criminalité qui profite largement des réglementations en vigueur dans les
différents pays européens, il est urgent d'abolir les protectionnismes dépassés en matière policière et judiciaire. Il
devient nécessaire d'instaurer un véritable espace judiciaire européen au sein duquel les magistrats pourront, sans
entraves autres que celles de l'État de droit, rechercher et échanger les informations utiles aux enquêtes en cours.
Nous demandons la mise en application effective des accords de Schengen prévoyant la transmission directe de
commissions rogatoires internationales et du résultat des investigations entre juges, sans interférences du pouvoir
exécutif et sans recours à la voie diplomatique.
Nous souhaitons, au nom de l'égalité de tous les citoyens devant la loi, la signature de conventions internationales
entre pays européens :
- garantissant la levée du secret bancaire lors de demandes d'entraide internationale en matière pénale émanant des
autorités judiciaires des différents pays signataires, là où ce secret pourrait encore être invoqué ;
- permettant à tout juge européen de s'adresser directement à tout autre juge européen ; - prévoyant la transmission
immédiate et directe du résultat des investigations demandées par commissions rogatoires internationales,
nonobstant tout recours interne au sein de l'État requis ;
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Attac aux paradis
- incluant le renforcement de l'assistance mutuelle administrative en matière fiscale.
À ce propos, dans les pays qui ne le connaissent pas, nous proposons la création d'une nouvelle incrimination d'“
escroquerie fiscale ” pour les cas où la fraude porte sur un montant significatif et a été commise par l'emploi de
manœuvres frauduleuses tendant à dissimuler la réalité.
À cette fin, nous appelons les parlements et gouvernements nationaux concernés :
- à ratifier la Convention de Strasbourg du 8 novembre 1990* relative au blanchiment, au dépistage, à la saisie et
à la confiscation des produits du crime ;
- à réviser la Convention européenne d'entraide judiciaire en matière pénale, signée à Strasbourg le 20 avril 1959 ;
- à prendre les mesures utiles à la mise en œuvre effective des dispositions du titre VI du traité de l'Union
européenne du 7 février 1992 et de l'article 209 A du même traité ;
- à conclure une convention prévoyant la possibilité de poursuivre pénalement les nationaux coupables d'actes de
corruption à l'égard d'autorités étrangères.
Par cet appel, nous désirons contribuer à construire, dans l'intérêt même de notre communauté, une Europe plus
juste et plus sûre, où la fraude et le crime ne bénéficient plus d'une large impunité et d'où la corruption sera
réellement éradiquée.
Il en va de l'avenir de la démocratie en Europe et la véritable garantie des droits du citoyen est à ce prix. »
Bernard Bertossa, Edmondo Bruti Liberati, Gherardo Colombo, Benoit Dejemeppe, Baltasar
Garzon Real, Carlos Jimenez Villarejo, Renaud Van Ruymbeke.
*Convention signée par les Etats membres du Conseil de I'Europe mais non contresignée par les parlements des
pays concernés, elle n'est donc pas appliquée.
Alors que l’appel de ces juges soulignait déjà il y a 6 ans la gravité de la situation et la nécessité
d’une réelle coopération judiciaire, aucune avancée déterminante dans la lutte contre la criminalité
financière, n’a à ce jour été réalisée, faute de réelle volonté politique.
Le fonctionnement opaque et les pratiques illégales de la société Clearstream mis à jour par les
travaux de Denis Robert, ainsi que la procédure judiciaire volontairement inefficace menée au
Luxembourg offrent une preuve de plus de l’incapacité d’action et de la complaisance des
pouvoirs publics européens face aux mécanismes financiers au service de la criminalité
internationale.
Et pendant ce temps, au Luxembourg…
L’émergence de la globalisation financière et le développement exponentiel des flux de capitaux
internationaux se sont appuyés sur la transformation de l’argent en données informatiques
passant automatiquement d’un compte à un autre par le biais de “chambres de compensation”
internationales.
Aujourd’hui, le dénouement de toutes les transactions financières internationales est assuré
par une société de “routage financier”, Swift, et par deux chambres de compensation
internationales, Euroclear et Clearstream, qui jouent le rôle de facteurs et de notaires du monde
financier globalisé. A titre indicatif, Clearstream a traité l’échange de 50 trillions d’euros en l’an
2000 (soit 50 mille milliards d’euros).
L’ouvrage Révélation$, de Denis Robert et Ernest Backes (les Arènes, 2001) et le film Les
Dissimulateurs, de Denis Robert et Pascal Lorent, fruit de deux années d’enquête, démontrent
qu’une des clés de la mondialisation financière se trouve dans les mécanismes opaques de ces
chambres de compensation internationales. La Boîte Noire (les Arènes, 2002), qui constitue sur
13
Attac aux paradis
cette enquête la deuxième œuvre de Denis Robert, achève la présentation et souligne la
puissance du microcosme des seigneurs de la finance.
L’enquête de Denis Robert établie un constat édifiant ;
D’une part, elle dévoile un certain nombre de pratiques illégales effectuées par la société
Clearstream :
 floraison de compte non publiés ouverts par les filiales de grandes banques situées dans
les paradis fiscaux ;
 existence d’une série de comptes clients non intégrés dans la comptabilité ;
 mise en place d’une procédure d’effacement de certaines transactions exécutées sur
demande de la direction ou du service client;
 ouverture de comptes au nom d’industriels, sans passer par des institutions financières.
D’autre part, si l’explosion des échanges financiers a pu laisser croire au chaos des flux
financiers, en réalité, l’enquête nous apprend qu’aucune trace de la circulation des capitaux, qu’ils
soient licites ou non, ne s’égare. Toutes les opérations sont enregistrées sur microfiches ou
disques optiques et conservées au sein des chambres de compensation, et dans les archives de
Swift.
La Boîte Noire
Ce deuxième livre de Denis Robert (les Arènes, janvier 2002) révèle les conditions difficiles
(menaces, filatures...) dans lesquelles il a mené son enquête, ainsi que les multiples pressions
subies pour étouffer celle-ci et empêcher la publication de Révélation$. Il présente également les
liens très étroits au Luxembourg entre le pouvoir politique et judiciaire, les banquiers et autres
intermédiaires financiers et, les sociétés et banques au service des organisations criminelles
internationales. Ainsi, suite à la parution du livre Révélation$, une enquête judiciaire menée par un
procureur luxembourgeois à été ouverte, mais l’étude de celle-ci dévoile le manque de volonté des
autorités à mettre à jour réellement les pratiques frauduleuses effectuées au sein de Clearstream.
Par exemple, le procureur chargé de l’enquête réalisait là sa première investigation et n’avait
aucune expérience, chose étrange du fait de la complexité de ce type d’affaire, ou encore, la
perquisition fût volontairement écourtée, etc.
A ce jour, rien n’a été fait ne serait ce que pour vérifier les révélations de Denis Robert qui au
demeurant reposent sur une multitude de preuves et de témoignages.
Entre temps, La Deutsche Börse, société de bourse allemande ayant acquis 50 % des parts de
Clearstream, a contraint André Lussi, PDG de la société, à démissionner.
Ce constat est à la fois dramatique et porteur d’espoir, puisqu’il confirme qu’il est
techniquement possible d’assurer une “traçabilité” de toutes les opérations financières
internationales. Ainsi, les mouvements de fonds à partir des paradis bancaires et fiscaux peuvent
être facilement reconstitués, ce qui offre les outils nécessaires à la lutte contre la criminalité
financière et la prolifération des paradis fiscaux. Pour la même raison, le contrôle et
l’établissement d’une taxe sur les transactions financières sont grandement facilités.
Ces opportunités ne pourront cependant se concrétiser que si une volonté politique
existe.
A contrario, abandonnés sans contrôle réel, ou contrôlés par les seules banques, ces organismes
supranationaux peuvent être des pourvoyeurs de corruption, de fraudes financières et de
blanchiment.
C’est pourquoi il est nécessaire que les institutions politiques nationales et supranationales
placent immédiatement Swift, Euroclear et Clearstream sous le contrôle démocratique d’une
organisation de tutelle.
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Attac aux paradis
Tout comme la lutte contre le blanchiment et les paradis fiscaux, ceci s’inscrit dans la
perspective de récupérer les espaces perdus par la démocratie au profit de la sphère
financière et de permettre l’établissement d’une justice économique et sociale
internationale.
Mesures d’urgence
Dès lors que le secret bancaire protège la grande criminalité, le système bancaire a
l’obligation de faire la part des choses entre le respect de la vie privée et la complicité
objective croissante avec le crime organisé.
Nous demandons :
 des sanctions contre les établissements financiers qui refusent de coopérer, avec
publication de leur refus ;
 l’obligation de conserver la trace des donneurs d’ordres des virements et transactions sur
produits dérivés ;
 la réglementation des professions protégées par des privilèges juridiques, utilisatrices du
secret bancaire.
Dès lors que les paradis fiscaux et financiers mettent leur souveraineté nationale à
l’encan, le droit d’ingérence international doit pouvoir s’appliquer.
Nous demandons :
 que soient publiées des données détaillées sur ces Etats ou territoires (connaissance du
crime par le citoyen-victime) ;
 qu’il leur soit fait obligation de coopérer avec le reste de la communauté internationale sur
les plans judiciaires, administratifs et policiers.
Il faut renforcer la coopération judiciaire, policière et administrative.
Nous demandons :
 que les lois anti-blanchiment existantes soient appliquées, et qu’elles ne soient pas limitées
par la territorialité ;
 que les services opérationnels (tutelle financière, justice, police, fisc, audits internes pour
le secteur privé) se rapprochent et bâtissent des règles minimales ;
 que le corpus juris européen s’enrichisse d’un volet criminalité financière.
Le blanchiment prospère surtout dans l’ombre.
Nous demandons:
 que les renseignements sur les délits financiers soient rassemblés et échangés plus
efficacement ;
 que l’information bancaire soit disponible, au moins en cas de besoin : déclaration des
transactions, identification des clients, normes de conservation et d’enregistrement,
vérification du respect de la réglementation ;
 que la formation des enquêteurs financiers devienne une priorité ;
 que soit disponible et rendue publique une information commerciale internationale :
dirigeants, objet social, comptes ;
 que soit introduite, dans le droit positif, la nullité des actes juridiques passés par toutes
personnes physiques ou morales avec un paradis bancaire ou fiscal.
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Attac aux paradis
La situation actuelle résulte souvent de la tolérance, du laxisme, voire de la
complaisance des gouvernements. D’ores et déjà, et dans un premier temps, des décisions
peuvent être prises pour freiner et enrayer la criminalité financière. C’est une question de
volonté politique.
Attac demande au gouvernement français de s’engager dans ce sens en
prenant directement des mesures à son échelle, et en portant vigoureusement des propositions au
niveau européen, au G7/G8, et, plus largement, dans toutes les instances internationales où la
France est représentée.
Annexe
Le Luxembourg, un paradis fiscal au cœur de l’Union Européénne
Comment le Luxembourg est devenu le coffre fort de l’Europe :
En 1928, le Luxembourg a décidé d’ouvrir un marché financier et d’attirer les capitaux, à un
moment où les marchés étaient cloisonnés, grâce à un régime fiscal favorable prévoyant une
exonération d’impôt sur les revenus et les plus-values des sociétés : il s’agit du régime des sociétés
holdings* de la loi de 1929. Il devient une place attractive pour les investisseurs venant
principalement de France, de Belgique et d’Allemagne de l’ouest au début des années 1980 en
raison de la faible fiscalité, de l’absence de prélèvement à la source sur les intérêts et les
dividendes, et du secret bancaire. *holding : société de gestion d’actifs financiers
Aujourd’hui, le Luxembourg est le véritable coffre-fort de l’Europe : 400 000 habitants, 215
banques, un revenu par habitant supérieur de plus de 30% à celui de la France, et plus de 380
milliards d’euros (soit 2 500 milliards de francs) de fonds gérés. Un pays comme le Grand-Duché
vit essentiellement de la finance, d’un flot de capitaux déposés par les épargnants belges,
allemands ou français fuyant leur système national de répartition de la richesse. Bref, une
économie prospère, qui s’est construite sur les garanties offertes à l’opacité.
Paradis fiscal, financier et judiciaire :
Un récent rapport de mission parlementaire sur la lutte contre le blanchiment d’argent conclut
que le Luxembourg offre les avantages classiques des grandes places financières : faiblesse de
fiscalité, tolérance de formes juridiques assurant l’anonymat aux propriétaires d’une société, secret
bancaire, et coopération judiciaire et policière insuffisante avec les pays étrangers, l’ensemble
permettant d’édifier le triptyque : « paradis fiscal, paradis bancaire et financier, paradis judiciaire ».
Au total, 12 000 holdings sont basées au Luxembourg, dont de nombreuse « coquilles vides, qui
peuvent être contrôlées environ une fois tous les soixante ans ».
Document élaboré par le groupe de travail «Attac aux paradis» du collectif universitaire Attac Sorbonne, dans le
cadre du travail de vulgarisation-communication des thèmes abordés par Attac. Personnes ayant collaborés à ce
travail : Florence PESTY, Maxime RYSER, Ronan BOURDIN.
Sources :
 « Les paradis fiscaux ou la finance sans lois», conseil scientifique Attac, collection mille et une nuit.
 Rapport d’information n°1802 Commission des finances de l’Assemblée Nationale, septembre 1999,
rapport de Jean Pierre Brard, Député. « La lutte contre la fraude et l’évasion fiscale »
 Site attac.org, attac09, Attac Rhône (69).
 Le Monde Diplomatique, avril 2000, article de Christian DE BRIE.
 Libération, 23/01/02, F.Tassel « Les « coquilles vides » du Luxembourg »
 Marcel Cassard, « the role of offshore centers in international financial intermediation », international
banking IMF Working paper, n°107,1994
 Rapport de la mission d’information de l’Assemblée nationale : « Le Luxembourg : un paradis bancaire au
sein de l’UE, obstacle à la lutte contre le blanchiment » ; rapporteur :A. Montebourg, président : V. Peillon
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