L`érosion des libertés ou les nouveaux paradigmes des droits de l

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Partie 2
L’érosion des libertés ou les nouveaux paradigmes des droits de l’homme
Initialement fondée sur la primauté de la liberté individuelle, la promotion des droits de
l’homme et du citoyen, s’effectue aujourd’hui autour de valeurs qui en limitent la portée. Le
droit à la libre détermination des individus s’estompe devant le principe de dignité de la
personne humaine ; l’inviolabilité de la vie privée et la liberté d’aller et venir reculent devant
le droit à la sécurité ; la neutralité de l’Etat et des services publics au regard du fait religieux
est remise en cause au nom du droit à la différence des groupes qui composent les sociétés
nationales.
Le principe de dignité protège l’espèce humaine plus que l’individu. Le principe de sécurité
protège l’ordre social établi autant que l’Homme ou le citoyen. La redéfinition du pacte laïc
vise à reconsidérer la gitimité des différenciations que le principe d’égalité avait voulu faire
taire. Ces valeurs dignité, sécurité, droit à la différence - correspondent pour une part à
l’émergence d’une approche moins abstraite, moins idéaliste et utopique de la liberté. Elles
prétendent prendre mieux en compte les contingences sociales, historiques, culturelles, mais
en fragilisant l’idée de liberté individuelle et l’idée d’universel, elles rompent le consensus.
Un des problèmes majeurs de nos sociétés, parfaitement analysé par John Rawls, est la
difficile conciliation de la pluralité des conceptions du bien commun.
Chapitre 1 Liberté et respect de la dignité de la personne humaine
La notion de dignité de la personne humaine figure dans les textes constitutionnels et
internationaux rédigés au lendemain de la seconde guerre mondiale. Mais elle n’a été
consacrée comme un principe juridique efficient en droit français qu’à partir de la décision du
CC, du 27 juillet 1994 concernant les lois sur la bioéthique. Ce principe aujourd’hui a des
implications qui vont bien au delà de cette question. Il irradie toutes les branches du droit le
droit du travail, le droit des malades, le droit des détenus.
Section 1 Le principe de dignité et ses applications
Le concept de dignité de la personne humaine a trouvé dans le champ de la recherche
médicale et de la manipulation du vivant un terrain d’expression privilégié. Dans ce domaine
il est apparu essentiel de fixer des limites aux expérimentations auxquelles certains individus
ou certains malades sont prêts à s’exposer. Le concept de liberté n’était pas d’un grand
secours au contraire, le principe de dignité permet de reposer la question de l’articulation des
droits de l’homme et de la liberté des individus.
§1- Les principes d’inviolabilité et d’indisponibilité du corps humain
Le développement mal connu et mal maîtrisé des sciences de la vie, les risques de
manipulations génétiques, d’expérimentations médicales , de procréation artificielle, suscite
de nombreux conflits entre éthique et liberté, entre l’intérêt de la recherche scientifique et les
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convictions humanistes, morales et religieuses. Jusqu’aux lois bioéthique du 29 juillet 1994
relatives au respect du corps humain, gouvernements et parlement se sont abstenus de
légiférer, s’en remettant aux règles déontologiques fixées par les laboratoires eux-mêmes et
aux avis du comité consultatif national d’éthique institué en 1983. Complètement dépassées
depuis longtemps, les lois de 1994 viennent d’être révisées, avec plus 5 ans de retard sur le
calendrier qu’elles imposaient, par la LOI n° 2004-800 du 6 août 2004 relative à la
bioéthique. Leur révision a été prévue par le législateur de 94 pour 2002. Elle n’a toujours
pas abouti puisque le projet de loi bioéthique, adopté en seconde lecture par l’AN le 11
décembre 2003, n’a pas encore été voté par le Sénat.
Les lois de 94 incorpore le principe de dignité dans l’ article 16 du code civil « La loi assure
la primauté de la personne, interdit toute atteinte à la dignité de celle-ci et garantit le respect
de l'être humain dès le commencement de sa vie » et pose deux principes fondamentaux qui
gouvernent toute la question.
A-. Le principe d’inviolabilité du corps humain
Il protège l’intégrité de la personne et contre elle même et contre autrui.
1) La protection de l’enfant à naître
Le droit ne confère la personnalité juridique qu’à la personne née viable. A partir de ce
moment là elle devient titulaire de droits subjectifs c’est-à-dire propres. Mais le droit n’ignore
pas pour autant l’enfant à naître :
- l’interdiction d’exécuter une sentence capitale sur une femme enceinte posée par le
Pacte international relatif aux droits civils et politiques.
- La jurisprudence accorde une indemnité au titre du préjudice moral à une femme ayant
perdu l’enfant qu’elle attendait à la suite d’un choc causé par un tiers.
- Des décisions prennent en considération la "souffrance fœtale", qui est bien la
souffrance d’un être distinct de sa mère, car la souffrance fœtale n’est pas la
souffrance de la mère.
- Enfin, lorsque l’enfant meurt in utero, c’est bien de la mort d’un individu qu’il s’agit :
s’il n’était qu’un élément du corps de la femme, on ne dirait pas qu’il est mort.
La loi française « garantit le respect de l’être humain dès le commencement de la vie »
(Art 16-4 du code civil).
Le problème est que la loi française ne détermine pas quand commence la vie et ne propose
aucune définition de l’embryon.
Pour le CCNE : le terme embryon désigne tous les stades de développement du zygote (c’est-
à-dire l’oeuf segmenté), avant le stade fœtal qui est atteint à la 8ème semaine de grossesse. Le
fœtus recouvre les stades de développement à partir desquels l'ensemble des principaux
organes est constitué et la " forme générale, caractéristique de l'espèce, acquise ", jusqu’à ce
qu’il soit viable hors du corps de sa mère. Ces définitions laissent planer un flou sur la période
préembryonnaire.
En Europe, l’Allemagne, l’Autriche, l’Espagne, le RU se sont dotés de définition de
l’embryon. Mais les définitions varient de la notion de « cellules aptes au développement »
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(Autriche) à « l’ovule humain fécond pouvant se développer » (Allemagne) ou « ovule en
cours de fécondation » (RU).
L’utilisation de ces cellules préembryonnaires et embryonnaires recouvrent un enjeu
scientifique énorme, car, au fur et à mesure de la différenciation cellulaire, le zygote offre
une réserve de cellules totipotentes (permettent de reproduire tout le corps humain), puis
multipotentes tous les tissus humains) puis pluripotentes (les tissus d’un seul organe).
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2) La personne décédée
Les atteintes au respect des morts constituent un délit. Dans l’arrêt MILHAUD du 2 juillet
1993, le CE a affirmé que les principes déontologiques fondamentaux de respect de la
personne humaine qui s’imposent au médecin dans ses rapports avec ses patients ne cessent
pas de s’appliquer avec la mort de ceux-ci ». Il a pu condamner un médecin ayant pratiqué des
expérimentations médicales sur un patient en état de comas dépassé.
Ce qui ne veut pas dire que la dépouille soit juridiquement intouchable (Affaire Montand).
Certains droits de vivants pouvant prévaloir sur le droit des morts.
Le droit au respect de la personne en droit français s’entend donc de la personne à naître
virtuelle , la personne réelle, vivante et la dépouille mortelle.
3) L’indifférence au consentement
Le principe d’inviolabilité interdit toute atteinte à l’intégrité physique de la personne que cette
atteinte soit effectuée avec son consentement ou sans son consentement.
Le droit français ne reconnaît donc pas le droit d’organiser sa mort . La divulgation de
modes d’emploi pour le suicide est un délit (C Cass 26 avril 1988 Affaire du livre
Suicide, mode d’emploi).
C’est par la force qu’on résout les refus de transfusions sanguines ou les grèves de la
faim, contrairement à la Déclaration de Tokyo de l’OMS de 1975.
Le droit français récuse l’euthanasie active ou passive. Le refus de la France de
reconnaître le droit de mourir dans la dignité est périodiquement relancé par des
affaires douloureuses qui défrayent la chronique. De nombreuses propositions de lois
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Ce sont principalement les cellules souches qui intéressent les scientifiques. Une cellule souche est,
par définition, " une cellule mère indifférenciée, capable, dans certaines conditions, de donner
naissance à toute une population de cellules filles qui lui sont rigoureusement identiques, mais dont la
descendance, après plusieurs divisions cellulaires (mitoses) et sous l'influence de divers facteurs
chimiques, mécaniques ou autres - peut se spécialiser (" différenciation ") en un à deux cents types
distincts de tissus aux fonctions spécialisées. " Denis Sergent, " Cellules souches Bienvenue dans la
fabrique d'organes ", Eurêka, n°65, mars 2001, p.40
Plus la cellule est prélevée tôt, plus leur potentialité de différenciation est importante. Cette capacité
est en effet naturellement perdue au fur et à mesure du développement embryonnaire : d'abord
totipotentes (capables de donner toutes les cellules de l'organisme), mais seulement au stade 2 de
développement (c'est-à-dire les deux premières cellules de l'embryon), les cellules deviennent
progressivement pluripotentes (capables de former plusieurs organes), puis multipotentes (capables
d'engendrer seulement un groupe d'organes).
Ce que l'on appelle " cellules souches embryonnaires " sont les cellules pluripotentes qui se trouvent
au sein du bouton embryonnaire lorsque l'embryon est au stade blastocyste à savoir à peu près au
cinquième jour suivant la fécondation.
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ont été déposée à l’initiative des associations pour le droit de mourir dans la dignité .
Pour une comparaison des législations européennes voir le site Sénat une étude
comparée sur l’euthanasie.
Hors motif médical sérieux, la stérilisation de l’homme ou de la femme est prohibée.
La stérilisation forcée est totalement exclue c/ USA où 100 000 malades mentaux sont
stérilisés chaque année ou au Danemark la stérilisation des femmes ayan un QI < à
75 est admise.
Les mutilations rituelles sont interdites sauf la circoncision.
4) La sanction du principe d’inviolabilité
La violation du principe tombe sous le coup des textes réprimant le meurtre, le viol, les
atteintes volontaires ou involontaires à l’intégrité physique et pour les plus graves d’entre
elles, sous les chefs de torture, traitement inhumains et dégradants.
B. Le principe d’indisponibilité du corps humain
Le corps humain ne peut pas faire l’objet de convention. Il est hors du commerce juridique et
hors de toute possibilité de transaction, d’échange que ce soit à titre onéreux ou non. La
personne, le corps humain, ses éléments, et ses produits ne peuvent faire l’objet d’un droit
patrimonial (art 16-1 du C Civil).
1) Aliénation de la personne
Elle est interdite au titre de la prohibition de l’esclavage et devrait l’être au titre de la
prostitution.
Cependant la prostitution n’est ni interdite ni prohibée. Les législations ont oscillé dans ce
domaine entre trois attitudes :
- la prohibition
- la réglementation
- l’abolitionnisme (c’est le parti pris des conventions internationales qui engagent à
supprimer toutes les formes de trafic des femmes, des enfants et des être humains et
l’exploitation de la prostitution des femmes c’est-à-dire le proxénétisme.
Il n’y a aucun consensus en France sur la pénalisation de la prostitution ou « des travailleurs du sexe ».
Catherine Millet, Catherine Robbe-Grillet, Marcella Iacub, Agnès B., Christine Angot, Arielle
Dombasle... de nombreuses personnalités ont signé un manifeste assorti d'une pétition s'élevant contre
la tentation d'interdire la prostitution et défendant le droit des femmes à vendre leurs charmes
librement. On peut être féministe et - comme Elisabeth Badinter, par exemple - défendre la
prostitution. On peut aussi être féministe et militer pour son abolition comme les Chiennes de garde.
Cependant la Loi Sarkozy 2003-239 du 18 mars 2003 art. 50 Journal Officiel du 19
mars 2003 réprime le fait, par tout moyen, y compris par une attitude même passive, de
procéder publiquement au racolage d'autrui en vue de l'inciter à des relations sexuelles en
échange d'une rémunération ou d'une promesse de rémunération. Ce texte réprime le client
au titre du racolage passif (article 225-10 du CP) de deux mois d'emprisonnement et de
3 750 Euros d'amende. Le racolage est punissable de trois ans d'emprisonnement et
45000 euros d'amende si la personne est mineure, présente une particulière vulnérabilité,
apparente ou connue de son auteur, due à une maladie, à une infirmité, à une déficience
physique ou psychique ou à un état de grossesse. Les prostituée sont passibles d’une peine de
contravention.
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Une répression particulière est organisée contre la de la traite des êtres humains (Sarko) ( mais
aussi l’exploitation de la mendicité).
2) Aliénation des éléments du corps humain (hors cheveux et lait maternel)
Sous réserve de libre consentement, des finalités thérapeutiques, de la gratuité et de
l’anonymat il est possible de donner son sang. Quant aux dons d’organes ils sont soumis à des
conditions particulières
le don d’organe entre vifs
Sous réserve de son consentement recueilli par le prdt du tribunal, le donneur peut être
toute personne majeure et capable ayant avec le receveur un lien de parenté, désormais
élargie …alors que les dispositions antérieures limitaient le don au cercle de parenté
directe (père et mère, fils et fille, frère et sœur). Le projet de loi souhaitait promouvoir le
critère du lien affectif, mais le sénat a réduit le cercle des donneurs potentiels à la famille
élargie : petits-enfants, neveux, cousins germains, enfants du conjoint receveur et
concubin notoire. (risque de dérives mercantiles et de pressions morales);
le don après la mort
Il est possible dès lors que la personne n’a pas fait connaître son refus de son vivant
(présomption de consentement).
§2- Les confrontations des principes de dignité et de liberté
Le concept de dignité de la personne humaine entretient un rapport complexe avec l’idée de
liberté. Le principe de respect de la dignité est devenu un standard juridique d’interprétation
des droits qui permet de combiner des préoccupations hétérogènes et même contradictoires,
sans que la synthèse soit toujours satisfaisante. Après avoir posé le problème, j’essaierai de
l’illustrer par 2 cas qui mettent en évidence les appréciations contradictoires entre ces deux
notions
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2. Le traitement de la délinquance
Pédophiles en série arrêtés des années après les faits, violeurs rechutant à leur sortie de
prison... Les scandales de ce type se multiplient. En 2002, 24% des personnes condamnées
et incarcérées l'ont été à la suite de viols et/ou d'agressions sexuelles. Elles représentent
donc un quart des condamnations, contre 9% en 1980!
Pour lutter contre la récidive, deux nouvelles voies sont explorées :
a) le suivi judiciaire
- D'une part, en accélérant l'alimentation du fichier national des empreintes génétiques
(FNAEG), notamment par le biais de prélèvements ADN effectués, en prison, sur des
personnes condamnées.
- D'autre part, en mettant en place un fichier des délinquants sexuels qui sera notamment
alimenté et remis à jour à partir des données figurant au casier judiciaire. Ce nouvel outil,
qui permettra notamment de localiser les grands criminels, vise à assurer leur traçabilité
au sein de la population
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