1 DANTON Nous sommes réunis aujourd’hui pour parler de Georges Jacques Danton, l’un des personnages les plus emblématiques de la Révolution Française, l’un de ceux dont la notoriété a traversé le temps sans discontinuer… Cette célébrité, il la doit naturellement à son physique hors norme et à ses talents d’orateur, spécificités que personne ne remet en cause… Mais concernant ses idées personnelles et même la réalité de son engagement, il y a encore débat et il ne date pas d’hier... Notre objectif du jour est donc de tenter de « percer » cet homme qui fut, déjà à son époque, fortement controversé et qui, bien qu’il ait déjà fait l’objet de nombreuses études, continue encore de garder une part de mystère. Avant de vous raconter son histoire, et pour vous permettre de mieux le situer à l’intérieur de cet épisode exceptionnel que fut la Révolution Français, retraçons préalablement les moments clés de celle-ci. Bien que l’exercice soit parfaitement subjectif, il semble possible de faire apparaître cinq épisodes distincts, à l’intérieur desquels apparaissent trois ruptures. La première période va du 20 juin 1789 – date du serment du jeu de Paume - au 3 septembre 1791, date à laquelle est votée la constitution faisant de la France, et pour la première fois, une monarchie constitutionnelle. Cette longue séquence de plus de deux ans est aussi une période de rupture, car les Etats Généraux (contre l’avis du roi) décident d’euxmêmes de devenir Assemblée Nationale Constituante… Cela dit, la période reste encore très légaliste… 2 Les aristocrates sont loin d’avoir tous émigrés, la grande bourgeoisie conserve de l’influence, le roi détient encore une certaine autorité et globalement la monarchie n’est pas vraiment remise en cause… du moins jusqu’en juin 91,… jusqu’à la fuite de Varennes… C’est le règne de ce que l’on appelle « les monarchiens », partisans d’un changement progressif de société, prônant à la fois un rééquilibrage des pouvoirs et une disparition complète de l’Ancien Régime. D’ailleurs, dès le 4 août 1789, les droits féodaux sont abolis. La seconde période va du 3 septembre 1791 au 10 août 1792, date à laquelle, le roi et sa famille sont arrêtés sur ordre de l’Assemblée. C’est vraiment la période des occasions perdues... Le roi utilise trop souvent son droit de veto, la monarchie constitutionnelle, sous le contrôle d’un peuple de plus en plus méfiant, ne fonctionne pas très bien. C’est le moment où la guerre, déclarée sans préparation, est voulue à la fois par l’entourage du roi et par les girondins. C’est enfin la pression croissante de certains extrémistes jusqu’à l’invasion des Tuileries, le 10 août, mettant fin à 805 ans de royauté ! La troisième période s’étend du 10 août 1792 au 21 janvier 1793, date de l’exécution du roi. C’est la seconde rupture. On passe en République. Une nouvelle assemblée constituante se met en place : La Convention. Ce sont les premières inquiétudes nées des défaites aux frontières, les premières convulsions intérieures avec les massacres de Septembre, mais ce sont aussi deux victoires qui redonnent le moral aux révolutionnaires : Valmy et Jemmapes. On peut enfin juger le roi… Et observer que les révolutionnaires les plus durs montent en puissance. Le roi est exécuté… à la stupéfaction de l’Europe monarchique !! 3 La quatrième période va du 21 janvier au 17 septembre 1793, date à laquelle est votée la terrible « loi des suspects ». C’est la période où face au péril extérieur, au soulèvement de la Vendée et à la fronde fédéraliste (en gros la Province contre Paris), la « course » au pouvoir s’exacerbe entre révolutionnaires. Ce sont les premières instances « d’exceptions » : Comité de Salut Public, Tribunal révolutionnaire… C’est enfin la période d’élimination des « girondins » trop fédéralistes par des « montagnards » parisiens, en surenchère révolutionnaire permanente. La cinquième et dernière période va du 17 septembre 93 au 27 juillet 94, date de la fin de la Révolution proprement dite. C’est la troisième et dernière rupture, la plus dramatique, celle dite de la « Terreur » et de la « Grande Terreur »,… près d’une trentaine de guillotinés par jour de juin à juillet 94 !! C’est la période la plus folle où les révolutionnaires devenus ivres de sang s’entretuent sans aucun discernement, de façon d’autant plus absurde que les généraux républicains multiplient les exploits contre l’ennemi extérieur tout en matant la sédition vendéenne. Tout ce gâchis humain se termine enfin en juillet avec la chute de Robespierre, l’Incorruptible. Le décor est désormais en place… Cinq grandes périodes à l’intérieur desquelles nous allons donc zoomer l’action personnelle de notre héros du jour, Georges Danton. Et d’abord d’où vient-il ? Quelles sont ses racines ? Que sait-on de sa jeunesse ? C’est un champenois, né à Arcis-sur-Aube, une petite bourgade près de Troyes. Ses parents n’étaient déjà plus des paysans… Ce sont des petits bourgeois locaux qui lui ont permis de suivre des études très convenables chez les oratoriens. 4 Ses résultats scolaires furent dit-on inégaux. Il ne semblait guère apprécier la discipline des « pères » et travaillait par a- coup. Pourtant, il assimilait vite mais restait catalogué comme doué …mais fondamentalement paresseux. Cette observation n’est pas neutre. Ce côté « paresseux » lui sera reproché plus tard, en des circonstances beaucoup plus fâcheuses pour lui. En revanche, l’activité physique ne le rebutait pas. Très tôt corpulent, il s’était fait une « tête » dans sa jeunesse en prenant des risques avec des animaux de ferme qui, à coup de sabots, lui labourèrent la face. Comme il sera victime par ailleurs de la petite vérole, son visage déjà tourmenté achèvera de prendre une forme assez hideuse,… en tous les cas impressionnante. Après sa formation initiale que l’on qualifiera d’approximative, Danton est monté à Paris en 1780, pour faire son droit, il avait alors 21 ans. Pendant quelques années, il a « vivoté » comme clerc, puis comme avocat, après avoir acheté sa charge dans des conditions financières un peu troubles et en s’endettant fortement… Juste avant la révolution, il s’est marié avec une femme « solide », à tout point de vue, dont le père avait un peu de biens, ce qui a amélioré la situation du couple, qui restait cependant très endetté. Quant à ses engagements politiques de l’époque, Danton ne semblait pas être très engagé. Il s’intéressait aux évènements en cours, mais ni plus ni moins qu’un homme de son âge, travaillant à Paris. En réalité, il cherchait comme tout le monde à faire son « trou » dans la grande ville. 5 A partir de juin 89, le train révolutionnaire se met en route, et Danton, comme un certain nombre de personnages qui feront leur chemin par la suite, tels Mirabeau et Barnave, le prend quasiment dès le départ. Cette révolution l’intéresse finalement diablement. Et pour au moins deux raisons…, d’abord parce qu’elle lui permet, grâce à sa faconde naturelle, de prendre rapidement l’ascendant sur de nombreuses personnes autour de lui, et ça le flatte…, ensuite parce qu’il pressent que des opportunités de pouvoir ou de prébendes vont s’offrir aux plus dégourdis, dont il pense, à juste titre, faire partie. Car au début, Danton ne représente juridiquement pas grand-chose. Il n’est pas élu à l’Assemblée constituante, il ne fait pas partie du club des Jacobins - un club à l’origine « fermé » où il faut être coopté - et il n’est pas davantage membre de la Commune. Et pourtant, dès cette époque, il se fait connaître rapidement des milieux populaires, en étant le tribun le plus virulent de l’un des districts parisiens les plus actifs, celui des cordeliers, à ne pas confondre avec le club du même nom qui ne se créera qu’un peu plus tard. Le district était à la fois une assemblée d’électeurs de la commune et un foyer naturel d’agitation. Il y en avait une soixantaine dans tout Paris et Danton et ses amis vont transformer le leur en une véritable tribune permanente, en pointe pour les revendications sociales les plus avancées. A ce titre, il se glorifie déjà d’une action spectaculaire… Il est l’un de ceux qui parvient à exciter la foule parisienne en octobre 89, lorsque celle-ci, en proie à une violente crise frumentaire, va chercher le roi et sa famille, alors à Versailles, pour les ramener à Paris, sous bonne et joyeuse escorte. C’est le fameux épisode du retour du « boulanger, de la boulangère et du petit mitron» censés donner du pain au peuple. 6 C’est l’époque enfin où Danton de sa voix tonitruante poursuit quotidiennement au Cordelier ses deux principales « têtes de turc », le chef de la Garde Nationale, le marquis de la Fayette, qu’il n’aime vraiment pas… un blondinet affrété, et le maire de Paris, Jean Sylvain Bailly, qu’il n’apprécie pas davantage,… trop intellectuel à son goût. S’il a déjà des ennemis, Danton a-t-il à cette époque des amis ? Oui, il en a… Il en a même un peu trop, de toute tendance et surtout de toute mentalité. Certes, il fréquente des gens honorables comme Camille Desmoulins, un journaliste de talent, mais également des individus peu scrupuleux comme Fabre d’Eglantine ou des hommes de main comme le boucher Legendre. De même, au plan politique, hors des réunions publiques, il parle aussi bien avec l’entourage de Philippe d’Orléans qui espère tirer parti de l’affaiblissement du roi, qu’avec des « monarchiens » comme Barnave ou les frères « Lameth », favorables à une monarchie libérale, qu’avec des théoriciens quasi républicains, déjà très excités comme Jean-Paul Marat. Et c’est d’ailleurs le problème de Danton… Toute sa courte vie révolutionnaire (car celle-ci ne durera jamais que 5 ans), il pratiquera le mélange des genres sans se fixer une ligne claire et çà aussi, ça finira par le rattraper. A ce stade, faisons un premier arrêt sur image. La « révolution » est en marche depuis 7 ou 8 mois. L’Assemblé a déjà pris un certain nombre de mesures, la départementalisation du pays, la mainmise des biens du clergé pour gager les dettes de l’Etat, la création des assignats… mais quid du positionnement politique exact de Danton ? Nous l’avions quitté, au tout début de la révolution, en train de jauger des avantages divers qu’il pourrait tirer de la situation nouvelle…. 7 Et bien, incontestablement, il s’est pris au jeu, celui d’une plus grande égalité entre les diverses couches de la société, celui également d’une forte rénovation des structures politiques existantes. Est-il déjà républicain ? Non…, pas encore… S’il n’aime pas la cour et l’aristocratie, il reste bienveillant vis-à-vis de la monarchie. En réalité, son cœur balance pour une monarchie beaucoup plus moderne qu’il verrait bien représentée par un homme comme Philippe d’Orléans ! C’est pourquoi, à cette époque, Danton mène deux types d’actions radicalement différentes. D’une part, il parvient à pénétrer enfin le club des Jacobins où ses qualités de tribun et ses excès verbaux le font tout de suite remarquer. D’autre part, et en coulisse, il monnaye déjà sa propre image de révolutionnaire avancé vis-à-vis de tiers divers et variés. Qui sont ces tiers ? Et bien, ce sont tous ceux qui veulent revenir en arrière - les monarchistes et les grands bourgeois - tous ceux qui veulent contrôler le rythme de cette révolution - les « monarchiens » et les petits bourgeois propriétaires - et enfin tous ceux qui ont des intérêts politiques à entretenir le désordre ambiant, le clan Orléans et même l’Angleterre de Monsieur Pitt. Mais pour l’instant et pour la plupart des sans-culottes, citoyens déjà manipulés, et qui votent peu, Danton apparaît comme un révolutionnaire authentique… qui défend sans faille la classe populaire. Malheureusement pour lui, après que les districts se soient transformés en sections, unités plus ramassées, cela ne se traduit absolument pas dans les urnes. 8 Au contraire, ses interventions parfois emphatiques, ses excès coutumiers de langage, le manque de clarté de certains de ses propos, le rendent antipathique à nombre d’électeurs des sections, par ailleurs encore très embourgeoisées. Soit Danton fait peur, soit on le juge excessif !! Résultat : Lorsqu’il se présente au poste de maire face à Bailly, ce dernier recueille plus de 12 000 voix, Danton 49 seulement. A des élections concernant d’autres postes de la municipalité, il est encore largement battu. Bref, à cette époque, Danton n’est absolument pas crédible, au plan électoral tout au moins... Alors, pour se légitimer et pour s’ouvrir une nouvelle tribune, il est de ceux qui créent, en avril 1790, le fameux club des Cordeliers, censé concurrencer celui des Jacobins, où les propos tenus restent encore un peu trop feutrés. Ce club des Cordeliers, lui, est largement ouvert aux tribuns gouailleurs et à tous les démagogues en mal de public. En conséquence, ce lieu constitue rapidement la principale estrade de Danton et de Marat, les deux révolutionnaires les plus véhéments de l’époque… C’est le moment, après un an et demi de révolution, de faire un premier point sur les supposées turpitudes de Danton et de se poser quelques questions : Danton est-il vénal ? A-t-il déjà été acheté ? Par qui ? Pour quels motifs, combien et surtout y-a-t-il des preuves ? Nous allons tenter de répondre à chacune de ces questions. Danton est-il vénal ? La réponse est oui. Le personnage n’a que peu de scrupules et c’est un bon vivant. Il aime faire la fête avec des amis et n’est pas insensible aux charmes féminins…. 9 En tous les cas, l’argent pour lui n’est pas une fin, c’est un moyen facile de se faire plaisir. Il lui faut donc en trouver… A-t-il déjà été acheté, par qui et pour quels motifs ? Acheté ?? Oui, naturellement et l’on considère que ses trois sources de corruption sont par ordre d’importance : le parti Orléans qui pour saper l’autorité des bourbons paye tous les agitateurs qui acceptent de se vendre, puis le parti monarchiste qui achète le même type d’individus pour tenter d’infiltrer la révolution. Enfin, et même si cela paraît étonnant, la diplomatie secrète anglaise n’est pas en reste pour affaiblir une royauté française dont l’activité économique la gêne dans le nouveau monde. Si l’on présume que Danton est acheté, peut-on établir si cela porte sur des sommes importantes et peut-on en fournir la ou les preuves ? Là encore, on peut répondre oui dans les deux cas. Concernant les preuves, certaines sont indirectes, d’autres directes. Les preuves indirectes ? Très endetté par l’achat de sa charge d’avocat, il la rembourse très vite alors qu’il plaide peu (et ce sont de petites affaires). D’ailleurs, très rapidement, il va la revendre pour n’exercer bientôt que sa seule activité de « révolutionnaire professionnel ». Enfin, ses achats fonciers se multiplient curieusement entre 1790 et 1791… alors qu’il n’a que peu de moyens déclarés. Quant aux preuves directes, elles aussi, ne manquent pas. Des fac-similés de reçus (notamment un de 300 000 livres que tous les historiens connaissent) en provenance du parti monarchiste. Des correspondances récupérées dans lesquelles Danton est cité comme personne achetable, des mémoires enfin de contemporains qui donnent des détails précis sur les modalités de certaines transactions. 10 Une question importante reste cependant posée ? Certes Danton est « achetable » mais est-il « vendu » pour autant ? A cette question précise, la réponse n’est pas si évidente. Après avoir étudié les points de vue des historiens sur le sujet, livrons une vision personnelle. Danton n’est absolument pas un idéologue, tout le monde l’a compris. C’est un homme pragmatique, qui fait une analyse « politique » des forces du moment et qui en tire certaines conclusions. C’est donc un opportuniste qui essaie de « sentir » le courant dominant pour adapter son discours, par petites touches successives. Prenons deux exemples tirés des évènements en cours. Nous sommes en juin 1791. C’est la fameuse tentative de fuite du roi, rattrapé à Varennes et ramené aux Tuileries dans un impressionnant silence parisien, fait de colère rentrée pour les uns, de consternation pour les autres... Aux Cordeliers, la fureur est à son comble. Beaucoup veulent déchoir le roi et appellent déjà à une République. Que dit Danton ? Lui aussi est « officiellement furieux ». Il n’a pas de mots assez durs pour fustiger ce comportement, mais par petites touches, il en profite pour charger La Fayette, son grand ennemi, coupable de n’avoir pas su prévenir la fuite. Par ailleurs, il laisse entendre que des solutions de rechange sont peut être à portée de main... Pourquoi pas l’émergence d’une régence provisoire ? Et pourquoi pas le choix de Philippe d’Orléans, cet homme moderne, acquis à une monarchie constitutionnelle ?... Bref, quand on achète Danton, cela sert bien à quelque chose, mais il y va très prudemment. 11 Il suggère sans rien imposer et s’il y a levée de boucliers, il n’insiste pas… Deuxième exemple : La scission du club des Jacobins. Nous sommes en juillet 1791 et la fuite du roi a pour conséquence un reclassement chez les Jacobins. Un nouveau club se crée, celui des « Feuillants ». Pour faire imagé, nous dirons : autant le club des Cordeliers se situait à gauche des Jacobins, autant les Feuillants se placent à sa droite. Ces derniers, tenus par le célèbre trio, Barnave, Duport et Lameth, sont alors en position de force, du fait de leur nombreux relais à l’Assemblée, et sont ouvertement favorables à une monarchie parlementaire à l’anglaise, libérale et…censitaire pour mettre quand même celle-ci à l’abri de la rue. Que fait Danton, classé officiellement du côté des « durs », des Cordeliers ? Et bien, comme d’habitude, il va « tonner » en public contre ce nouveau club de « riches », mais dans les couloirs, il va continuer de parler avec tout le monde. Il est d’ailleurs très ami avec les frères Lameth. Du coup, Danton est désormais loin d’être le chef incontesté des Cordeliers. Il y a désormais d’autres personnages qui s’avancent et qui ne s’en remettent toujours pas de la tentative de fuite du roi. Ce sont d’ailleurs eux qui organisent le 17 juillet 1791, au Champ-deMars, une pétition demandant clairement la déchéance du roi. Le jour J, il y a foule pour signer le papier préparé et présenté par les Cordeliers. Danton cependant a d’autant mieux suivi le mouvement qu’il espère secrètement que le Conseil provisoire qui pourrait en sortir soit dirigé par le clan Orléans,… son principal bailleur de fonds. 12 Seulement, ça ne se passe pas comme prévu. Il y a des impondérables… des bousculades dégénèrent…, le maire Bailly proclame la loi martiale et demande imprudemment à la Garde Nationale de faire évacuer le Champ-de-Mars. Résistances, répressions, coups de feu… une cinquantaine de mort à déplorer… Les durs n’oublieront pas cet épisode sanglant. En attendant, l’Assemblée toujours dominée par les modérés n’apprécie pas cette émeute provoquée par les Cordeliers et demande l’arrestation des meneurs. Danton et quelques autres sont en première ligne. Il se cache quelques temps puis est carrément obligé de s’enfuir en Angleterre,… une fuite d’un mois puisqu’il rentrera début septembre 1791. Pourquoi peut-il rentrer aussi vite ? Tout simplement, parce que les esprits se sont calmés et que le propre des « modérés » c’est de toujours croire à la rédemption des « excités »… Il y a aussi une autre raison à la clémence de l’Assemblée, c’est que celle-ci a enfin fini ses travaux et qu’elle livre le 3 septembre 91 une nouvelle constitution à la France. C’est donc l’heure du consensus général. Pour les « monarchiens » la révolution est finie, aucun doute làdessus… Le pouvoir est équilibré entre une assemblée législative qui fait et vote les lois et un monarque, procédant du peuple, disposant d’un droit de veto suspensif mais limité… pouvant s’appuyer sur un exécutif mettant en œuvre les lois d’une monarchie moderne et rénovée… Mais est-ce aussi simple ? Bien sur que non, il y a chez tous les autres protagonistes beaucoup d’arrière-pensées. 13 Chez les monarchistes, on n’est pas dupe d’avoir concrètement perdu le pouvoir, chez les Jacobins, on considère que le roi en détient encore trop et chez les Cordeliers, on n’en veut tout simplement pas de cette Constitution… Et Danton, que pense-t-il de ce texte ? Pour l’instant, pas grandchose… Il attend de voir s’il va être élu à la nouvelle Assemblée Législative, qui succède à la Constituante… Celle-ci s’installe en définitive le 1er octobre 91… mais sans Danton, qui ne parvient toujours pas à séduire les électeurs… Furieux et déçu, il s’en retourne dans son Champenois natal, où il continue d’y acheter des terres. Il ne fera sa rentrée politique qu’en janvier 92. Pendant ce temps là, les lignes bougent... Certes, dans cette nouvelle Assemblée, il existe bien une droite « feuillantiste » encore conséquente, mais la gauche elle-même divisée en modérés (brissotins et girondins) et en radicaux (jacobins et Cordeliers) est désormais bien représentée. Or comme le centre vote souvent avec les modérés, çà penche du côté des girondins. D’ailleurs, Bailly n’est plus maire de Paris, il est remplacé par Pétion, …un pur girondin. Quant à La Fayette, il n’est plus commandant de la Garde Nationale. On l’a exilé en province à la tête de l’une des armées de la République, et pas la meilleure… Très rapidement brissotins et girondins fusionnent et deviennent les patrons de l’Assemblée. Louis XVI en prend acte, jusqu’à prendre en mars 92 des girondins comme ministres. 14 Mais déjà, le poids de l’Assemblée se fait sentir. Celle-ci vote des lois de plus en plus sensibles, notamment contre les émigrés et les prêtres réfractaires. En réaction, Louis XVI utilise à plein son droit de veto, essentiellement pour protéger les prêtres qui font de la résistance… Bien sur, cela exaspère les révolutionnaires les plus en pointe – les fameux montagnards - et l’on recommence à parler de déchéance… Les girondins sentent bien cette pression mais veulent rester en place. Ils tentent alors une curieuse diversion… Ils deviennent partisans d’une guerre contre les monarchies européennes, pour disent-ils « exporter la liberté partout où les peuples sont opprimés ». Vaste programme !! Naturellement, la cour et le roi s’empressent d’être d’accord avec cet objectif, avec l’arrière-pensée évidente d’être délivrés par l’extérieur de cette révolution… qu’ils subissent péniblement. Et Danton comment se positionne-t-il ? Comme toujours, sa ligne n’est pas claire. Au départ, il est d’accord avec Robespierre. Déclarer la guerre à l’Autriche et à la Prusse paraît bien imprudent et pourrait mettre en danger la jeune monarchie constitutionnelle. Et puis, devant l’insistance majoritaire girondine, il retourne sa veste. Le 20 avril 1792, le pas est franchi… La guerre est déclarée à l’archiduc d’Autriche François de Habsbourg… Dès les premières semaines du conflit, ce n’est pas brillant. Nos principaux généraux reculent un peu partout, l’un d’entre eux est même assassiné par ses propres soldats qui fuyaient devant l’ennemi. 15 Et c’est pendant ce premier moment de panique que Louis XVI commet une terrible erreur politique. Il limoge les ministres girondins pour les remplacer par des ministres feuillants, qui affolés, sont redevenus monarchistes. Danton n’est pas le dernier à critiquer ce revirement et demande à ce que Marie-Antoinette, mauvaise conseillère du roi, soit bannie de France,… ce qu’au fond elle demande ardemment depuis Varennes, preuve une fois de plus que les propos de Danton sont toujours à double facette. En tous les cas, ce renvoi des girondins rend furieux es derniers et ils sont les premiers à mettre en place une journée d’action pour faire fléchir la politique de Louis XVI. C’est la fameuse journée du 20 juin 1792 où 8 à 10 000 pétitionnaires, braillards et avinés pour certains, envahissent les Tuileries pour intimider le roi et sa famille. Au final, à part de trinquer avec les sans-culottes et de porter le bonnet phrygien, Louis XVI ne laissera pas intimidé… Mais on sent qu’à la moindre étincelle, tout peut basculer… De fait, le cours des événements s’accélère… Le 10 juillet, les ministres feuillants, sans relais à l’Assemblée, démissionnent. C’est la fin des monarchiens… Le 11, les girondins proclament « la patrie en danger ». Le 15, des pétitions multiples circulent dans Paris pour que le roi soit déchu et que se mette en place une nouvelle assemblée constituante créant la fameuse République. On est au bord de l’insurrection générale. Il ne manque plus que l’étincelle !! Elle va venir de l’extérieur, téléguidée par des émigrés qui n’ont pas une vision très claire de la situation explosive régnant à Paris. 16 Cette étincelle, tout le monde la connaît, c’est le fameux manifeste de Brunswick du 25 juillet 1792, qui démontre par l’absurde la connivence entre la cour de France et l’Autriche, puisque c’est un ennemi officiel du roi qui demande à la population de ne pas le toucher sauf à raser Paris, rien que ça… Une explosion de colère s’empare des sections et des sans-culottes. Une commune insurrectionnelle naît du regroupement des sections. Danton harangue les foules pour ne pas être à la traîne, mais ce n’est pas lui qui organise la journée du 10 août. La preuve ? Du 6 au 9, il est à Arcis, en retrait. Un peu plus et il ratait ce moment historique… Non, d’un point de vue conceptuel, l’émeute vient des montagnards les plus décidés, dont Robespierre déjà, qui veulent profiter du « manifeste » pour mettre à bas la monarchie constitutionnelle… En revanche, il est probablement vrai que le 10, c’est Danton qui a donné l’ordre d’abattre le chef de la Garde nationale, un certain Mandat, pour le remplacer par l’un de ses hommes de main, Santerre. Grâce à cet épisode, Danton fait d’une pierre deux coups, il efface son curieux retrait - qui intriguait - et se repositionne comme l’un des meneurs du 10 août. Passons rapidement sur l’envahissement des Tuileries alors que le roi et sa famille se sont réfugiés à l’Assemblée. Une assemblée mal à l’aise devant la tournure des évènements. Dans un premier temps, celle-ci aurait bien voulu traiter cette affaire dans la sérénité mais la colère des manifestants fait couler le sang (environ 600 gardes sont massacrés par la populace en armes). Le roi est donc suspendu… La royauté française s’écroule… Immédiatement, les politiques qui tiraient les ficelles dans l’ombre de ces massacres prennent le pouvoir. 17 Un conseil exécutif provisoire naît de ce séisme constitutionnel, dominé naturellement par les girondins, qui bénéficient du soutien du marais. Pour ce dernier, passe encore qu’un putsch renverse le roi,… mais donnons le pouvoir aux plus modérés des révolutionnaires, et ce sont (presque par défaut) les girondins… Et curieusement, alors qu’il n’a jamais réussi à se faire élire à quoi que ce soit, Danton est nommé ministre de la Justice. Pourquoi ce choix alors qu’il est Montagnard ? Et bien, justement, pour les girondins, Danton présente deux avantages. D’abord, s’ils ne le prennent pas pour un homme d’Etat, mais pour un simple agitateur, ils lui reconnaissent une forte influence sur les sansculottes et c’est un « plus » considérable. Ensuite, Danton leur apparaît comme un relais acceptable, entre eux et les plus excités des montagnards. Ils le savent accommodant et favorable aux compromis… Bref, ce sera toujours plus facile avec lui qu’avec un Robespierre par exemple. Danton ministre !! Qui l’eut cru ?? C’est naturellement à partir de cette première nomination que le personnage va commencer à prendre de l’envergure. Ce poste de ministre de la justice, il ne va pourtant pas le garder longtemps. Deux mois exactement puisqu’il sera remplacé le 6 octobre 1792. Mais lui, en deux mois, il va en faire beaucoup plus que certains en deux ans. Qu’on en juge. 18 D’abord à son passif, il nomme à des postes importants tous ses affidés et notamment Fabre d’Eglantine, qui va s’avérer être un personnage corrompu et affairiste. Ensuite, il instrumentalise ses hommes de main pour se faire craindre de ses collègues ministres qui n’osent plus le contredire. Enfin et surtout il va utiliser les fonds officiels ou secrets mis à sa disposition de façon complètement opaque… Nous y reviendrons… A l’inverse, peut-on mettre quelque chose à son crédit ? Bien sur… Là où Danton se montre le plus convainquant, c’est lorsque la pression ennemie se fait de plus en plus forte. Le 25 août 92, Longwy tombe, c’est la première fortification d’importance qui lâche. Certains généraux sont en fuite à l’étranger, comme La Fayette qui a déserté le 19 août. A Paris, tout le monde est tétanisé et se rappelle soudainement l’avertissement de Brunswick. C’est Danton qui ranime une première fois la flamme des députés en exhortant à l’organisation d’une Défense nationale de fer et en obtenant du Conseil que le pouvoir reste à Paris. Mais quand on apprend que le 2 septembre, c’est Verdun qui tombe à son tour, alors là, c’est la panique générale qui oblige Danton à faire une seconde intervention encore plus musclée pour galvaniser les énergies chancelantes. Et c’est son célèbre discours sur l’audace, toujours de l’audace… Le 2 septembre 1792, c’est également le premier jour de ce que l’on a appelé les « massacres de septembre » qui firent, par la suite, beaucoup de torts à Danton. Etait-ce mérité ? Faisons un petit rappel sur ces terribles journées qui s’étalèrent du 2 au 5 septembre 92, à Paris, et qui se prolongèrent quelques jours de plus en province. 19 Danton a bien galvanisé l’énergie défaillante de l’Assemblée mais quid de la panique des sans-culottes et des boutiquiers, sensibles à toutes les rumeurs, même les plus folles ? Ainsi, dans le Paris sectionnaire naît fin août une véritable psychose de trahison, alimentée par les membres de la commune. Tout le monde en est désormais persuadé. Face à la mobilisation nécessaire contre l’ennemi autrichien, il ne faut surtout pas laisser de « traîtres » derrière soi. Or dans l’esprit des parisiens, toutes les prisons sont gorgées de cidevant, c'est-à-dire de nobles traîtres à la révolution. Bilan de ces 4 jours de tuerie à Paris : Sur 2 800 prisonniers, la moitié sont abattus dans les pires conditions. Bien sur, ces malheureux n’étaient pas spécialement des nobles, c’étaient majoritairement des prêtres réfractaires ou des prisonniers de droit commun. Dans ce chaos, quelle fut l’attitude de Danton ? qui rappelons le est ministre de la justice, l’homme en principe garant d’une certaine équité proclamée il y a peu dans la déclaration des droits de l’homme. Et bien, dans ces circonstances, il va appliquer la règle du chef qui ne pouvant contrôler la vindicte de ses troupes les minimise, voire les excuse. A sa décharge, il faut bien reconnaître que personne n’osa sérieusement s’opposer à cet accès de colère et puis comme l’a dit Danton à cette époque « J’ai quand même d’autres soucis en tête… » Et ces soucis, ce sont les autrichiens… et c’est déjà Valmy. La fameuse grande première victoire républicaine, remportée le 20 septembre 1792 par le général Dumouriez. Sur cette célèbre victoire, il existe des faits avérés et de la suspicion. 20 Les faits avérés ? Cette victoire a incontestablement fait beaucoup de bien au moral des troupes et a renforcé le crédit politique girondin… du moins à court terme…. La suspicion ? Curieuse bataille. Des milliers d’hommes mobilisés de part et d’autre. Un peu de canonnade… quelques centaines de morts. Des ennemis, malades, qui quittent très vite le terrain et Dumouriez qui ne les poursuit pas ! Alors, on a parlé d’adversaires achetés, notamment sur fonds secrets débloqués par Danton, ou encore d’entente entre autrichiens et Dumouriez, loin semble-t-il d’être un républicain convaincu. Après étude de la question, disons que ces suspicions semblent assez fondées… Mais ce qui semble certain, c’est que Danton, jusqu’à Valmy a consommé la quasi totalité des fonds secrets ou exceptionnels mis à sa disposition et même ceux d’autres ministères tant il était prodigue et qu’il dominait le conseil… De quelle façon a-t-il utilisé ces fonds ? Là est justement la grande question puisque ils sont secrets. En réalité, il n’aura pas de mal oralement à en justifier l’emploi, en gros soudoyer les chancelleries étrangères et mener une diplomatie secrète, pour limiter voire annihiler l’agressivité ennemie… En revanche, il aura beaucoup de difficulté à en apporter la preuve matérielle. Nous en reparlerons… Nous sommes donc le 20 septembre 92… le jour de Valmy... La nouvelle assemblée constituante dite « Convention » élue tout de suite après la suspension du roi se réunit pour la première fois. 750 députés dont, grande première, Danton, élu grâce à sa notoriété acquise le 10 août et à son action ministérielle. 21 Il y a de nouveau un reclassement politique. Le roi suspendu, les monarchiens balayés,… les girondins sont repoussés à droite… et les montagnards sont désormais seuls à gauche. Quant au centre – les craintifs et les opportunistes – il reste plus que jamais la variable d’ajustement… Dès le lendemain 21 septembre 92, la royauté est abolie, la 1ère république est proclamée. C’est le jour où Danton donne sa démission du ministère même s’il va rester en place jusqu’au 6 octobre suivant. Pourquoi démissionne-t-il ? Parce qu’il est lucide, rusé et méfiant. Lucide ?... Il pense que la Convention va vite prendre le dessus sur un conseil exécutif qui sera bientôt aux ordres, et c’est effectivement ce qui va se passer, Rusé ?... Il préfère quitter le poste sur une victoire militaire et sur d’apparents succès diplomatiques afin d’éviter qu’on lui demande trop de comptes. Méfiant ?... Il sait que les montagnards, Marat notamment, ne sont pas persuadés de la loyauté de Dumouriez. Or Danton est son ami. Donner des gages aux Montagnards s’impose donc… Malgré ces précautions, à partir du 10 octobre 92, Danton qui n’est plus que député, est immédiatement mis sur la sellette par certains girondins, très influencés par Manon Roland, leur égérie, qui voue une haine féroce au tribun… On demande à ce dernier de justifier l’emploi de 400 000 livres et il en est bien incapable, les historiens ayant mis à jour depuis que son ami, Fabre d’Eglantine en a détourné une bonne partie. Mais Danton, à cette époque, peut compter sur le soutien à la fois du club des Jacobins et des députés montagnards qui veulent se débarrasser prioritairement des girondins. Il n’est donc pas question de manquer de solidarité envers l’un des leurs. 22 Le plus curieux dans cette partie d’échec, c’est que Danton n’est que ‘montagnard’ en estrade. En coulisse, il se sent solidaire des girondins et souhaite même se rapprocher d’eux, mais ces derniers le récusent, prenant trop souvent ses propos publics à la lettre… Du coup, ils s’invectivent ! Funeste erreur pour les deux parties, pour la Gironde bientôt et pour Danton plus tard ! Mais une actualité chasse l’autre. L’Assemblée s’intéresse maintenant à la préparation et au procès du roi. Danton n’y sera pas mêlé car envoyé en Belgique, comme commissaire de l’Assemblée, pour régler des problèmes de détournement de fournitures. Danton chevalier blanc…! C’est dire que les gens de l’époque ne disposaient pas des bonnes sources !! Il réapparaît à la Convention le 14 janvier 1793 et vote la mort du roi le 17, sans discuter. Pourtant là aussi, les historiens ont récupéré depuis un certain nombre de preuves démontrant que les monarchistes et l’étranger (l’Espagne et l’Angleterre notamment) ont cherché jusqu’au bout à sauver la tête du roi en achetant le vote de quelques conventionnels. Et si l’on s’en tient aux mémoires de Théodore de Lameth - un monarchien – Danton, approché lui aussi, laissa entendre qu’il ne le ferait qu’à la condition expresse que cela soit sans grand risque…. Or il considéra, comme beaucoup, que le 17 janvier 1793, il ne fallait surtout pas se démarquer d’une majorité qui épiait chacun des membres de la Convention, le vote étant public… Enchaînons avec le premier trimestre 93, une période intéressante. C’est le moment où le processus révolutionnaire commence vraiment à s’emballer. 23 Pourquoi ? Parce que ça craque de partout… L’étranger est maintenant convaincu que ce qui se passe en France est vraiment dangereux pour tous les régimes. Un roi décapité, une République proclamée, une Belgique bientôt annexée, une Hollande très menacée… Résultat, les déclarations de guerre se multiplient contre la France,… l’Angleterre, le 1er février,… la Hollande et l’Espagne le 7 mars. Avec l’Autriche et la Prusse, c’est la première coalition européenne,… il y en aura beaucoup d’autres jusqu’en 1815. Mais ce n’est pas tout, la nouvelle « levée en masse » proclamée le 21 février 1793, c’est l’ultime décision qui fait éclater de colère les régions qui n’ont accepté ni la constitution civile du clergé, ni l’abolition de la royauté. Ainsi, en Bretagne et en Vendée, on fait plus que de gronder, on prend les armes… Enfin, il y a le dossier Dumouriez. Fort de ses victoires à Valmy et à Jemmapes, fort du soutien politique des girondins,… fort probablement de ses ambitions personnelles, le général victorieux devient de plus en plus incontrôlable. Il cherche désormais à imposer ses vues politiques qui consistent tout bonnement à interrompre le processus révolutionnaire et même à marcher sur Paris à la tête de ses troupes. Danton est renvoyé en Belgique pour tenter de ramener Dumouriez à la raison mais échoue dans sa tentative. Dès lors, à Paris, les cordeliers se déchaînent contre tous les girondins, ministres, députés, clubistes…bref tous les supposés amis de Dumouriez ! Le 9 mars 1793, une nouvelle émeute parisienne met la Convention sous pression, qui décide alors, pour donner des gages aux plus excités, de créer un Tribunal criminel extraordinaire, une instance qui va bientôt faire parler d’elle… 24 Pour autant, certains girondins sont persuadés que cette émeute est téléguidée par Danton pour reprendre le pouvoir par la force alors que d’autres montagnards pensent que ces troubles sont là pour créer de l’anarchie dans Paris, justifiant une possible intervention de Dumouriez, l’ami de Danton. Bref, ce dernier est au cœur de toutes les interprétations. On ne prête qu’aux riches… Mais le 18 mars 1793, Dumouriez est vaincu à Neerwinden. Il passe un accord avec les autrichiens pour effectivement marcher sur Paris, mais ses troupes ne le suivent pas… Il doit même se réfugier chez l’ennemi. Sa carrière personnelle est finie, mais sa trahison redistribue toutes les cartes à Paris. Les conséquences sont multiples. D’abord, étant donné que le fils de Philippe-Egalité – le futur Louis-philippe - a suivi Dumouriez, tout le clan Orléans est éclaboussé. On peut même dire que la solution de rechange qu’il représentait n’existe plus et Danton en prend acte ! Ensuite, les Girondins, inquiets des conséquences de la trahison du général, se déchaînent contre Danton qu’ils accusent d’avoir menti à la Convention sur le cas Dumouriez, ce qui d’ailleurs n’est pas faux. De fait, les montagnards, qui sont clairement engagés dans une lutte de pouvoir, attaquent désormais au grand jour les girondins, même s’ils savent parfaitement que l’action de Danton n’est pas très claire. Au final, ces joutes verbales leur permettent d’obtenir la création, le 5 avril 93, du fameux CSP, le Comité de Salut Public, une nouvelle entité qui va bientôt se substituer au faible conseil exécutif… tenu encore par les girondins. 25 Et devinez qui va dominer ce comité pendant quelques mois... Danton !... Celui-là même qui a tellement insulté la gironde en public qu’il en a reçu une nouvelle récompense. Son influence dans ce premier comité sera telle qu’on l’appellera bientôt « le comité Danton » bien que ce dernier ne soit officiellement en charge que de la diplomatie et des envoyés en mission. Dès lors, les girondins deviennent nerveux. Le 12 avril 93, faute de pouvoir s’attaquer directement à Danton, ils s’en prennent à Marat, qui n’arrête pas de les harceler dans son journal brûlot « l’ami du peuple ». Ils parviennent même à le faire décréter d’accusation mais comme on pouvait s’y attendre, le Tribunal l’acquitte. Pire… des listes de girondins complices de Dumouriez commencent à circuler dans Paris, à l’initiative des Cordeliers. Le mois de mai 93 devient le mois charnière. Celui où le pouvoir des girondins va céder la place à celui des montagnards, avec l’aide de la rue…comme toujours. Début mai, Hébert, le rédacteur en chef du sinistre « Père Duchesne », devenu l’emblème des Cordeliers, et ses sbires font pression sur la Convention pour que celle-ci s’attaque une nouvelle fois aux girondins. Ces derniers résistent. Ils obtiennent avec l’aide du marais que se constitue une commission dite des « douze » ayant pour but de les disculper et même de leur permettre une contre attaque. A la fin du mois, tout se joue. Hébert est brièvement arrêté mais aussitôt relâché. Les « douze » sont dissous mais eux aussi sont rétablis par la Convention. 26 En réaction, le 30 mai se forme un nouveau comité insurrectionnel, très puissant celui-là, car bénéficiant de l’appui de la Garde nationale, commandée par un certain Hanriot, un dur,… à la solde d’Hébert. Le 2 juin, les montagnards profitent de cette terrible pression armée pour demander l’arrestation de 29 députés girondins parmi les plus célèbres (Brissot, Vergniaud, Gensonne… et même Madame Roland) et obtenir gain de cause d’une Convention qui n’a plus vraiment le choix, puisque délibérant sous la menace des canons de la Garde Nationale. Quelques uns pourront s’enfuir, mais la Gironde à Paris et à la Convention, c’est fini... Naturellement, pendant ces évènements, Danton « le Montagnard » s’est trouvé du bon côté. Il n’a pas ménagé sa peine puisque c’est lui par exemple qui a fait relâcher Hébert et qui a cassé le comité des « douze ». De là à voter l’arrestation des girondins, finalement des frères d’armes comme lui, il trouve cela très exagéré mais une fois de plus, il juge plus prudent de ne pas extérioriser ses états d’âme. Malgré tout, malgré cette duplicité, la période qui va suivre jusqu’au 10 juillet 1793 ne va pas lui être favorable. Le comité Danton avait en charge trois dossiers : La guerre extérieure, la guerre intérieure contre la Vendée et la répression du fédéralisme provincial. Au plan extérieur, ses tentatives de recherche de la paix avec les coalisés échouent. Il achète du vide… Contre les insurgés vendéens, ce n’est guère mieux. Pendant que ces derniers remportent certains succès, Danton cherche d’impossibles compromis. 27 Quant aux soulèvements populaires en province, il s’en désintéresse complètement, laissant bientôt des tortionnaires irresponsables, envoyés de Paris, commettre les pires atrocités. La sanction de ces insuffisances ne se fait pas attendre. Le 10 juillet 93, minoritaire, il doit quitter le CSP. Ceux qui rentrent sont des montagnards « inflexibles » comme Collotd’Herbois et Billaud-Varenne ou dogmatiques comme Robespierre et Saint-Just… On voit comment, inexorablement, la machine infernale qui va conduire à la Terreur se met en place. Danton pendant ce temps donne l’impression de se lasser un peu de la révolution. Il va encore aux Jacobins, mais il y a bien longtemps qu’il ne fréquente plus les cordeliers dont tous les membres sont devenus des extrémistes. Un nouvel événement va le déstabiliser davantage. L’assassinat de Marat par Charlotte de Corday…. Marat était certes suspicieux vis-à-vis de Danton mais d’anciennes complicités l’empêchaient d’être féroce avec le tribun. Celui qui le remplace, Hébert, lui, n’a aucun scrupule pour enfoncer un homme qu’il a toujours jalousé et qui, de plus, s’est éloigné de la ligne dure des cordeliers. A partir de septembre 93, d’autres évènements vont faire définitivement basculer la révolution vers la « Terreur ». Sur le front extérieur, les deux mois écoulés, juillet et août, ont été catastrophiques. L’Autriche tient désormais le nord du territoire. A l’Est, les armées françaises se replient… 28 En province, de nombreuses grandes villes, comme Toulon et surtout Lyon se révoltent contre le pouvoir parisien. Pour couronner le tout, une nouvelle crise frumentaire éclate le 4 septembre entraînant une énième émeute menaçant la Convention. Tous ces événements ont pour conséquence de faire raisonner les montagnards en extrémistes : Puisque nous sommes débordés par les « traîtres » de tout bord, il faut « terroriser » nos adversaires. La fuite en avant révolutionnaire, voilà le salut !!! Cela débouche le 17 septembre 93 sur la terrible loi des « suspects » fonctionnant sur les principes de délation et de jugements sommaires permettant d’envoyer n’importe qui, n’importe quand à la guillotine. Cela se traduit également par l’épuration des comités du Salut Public et de Sûreté Générale, qui sont désormais aux mains d’hommes sans états d’âme,… pour ne pas dire sans aucuns scrupules moraux. Ce commencement de Terreur se fera sans Danton. Du 15 septembre au 19 novembre 1793, il quitte Paris et va se ressourcer à Arcis. On le dit fatigué, malade, dépressif… Ce n’est pas faux. Danton est un sanguin qui fait de la corde raide depuis plusieurs mois. Il a beaucoup grossi et il est fatigué de toutes ces luttes intestines. Pourtant après la mi-novembre, il reviendra requinqué pour livrer sa dernière bataille… Pour l’heure, absent, il n’assiste pas à l’accélération du cours de l’Histoire. A la chute définitive des girondins, tous arrêtés, guillotinés ou poursuivis un peu partout en France. Il n’assiste pas non plus à la chute des plus extrémistes des révolutionnaires, les « Enragés », dont le leader l’abbé Roux, arrêté, se suicide en prison. 29 Ces « Enragés » dénonçaient la quasi-totalité du personnel politique de la Révolution comme étant des bourgeois accapareurs du pain du « vrai » peuple. On se doute que les accapareurs en question voulurent les réduire au silence… Danton n’assistera pas davantage aux procès et aux exécutions de Marie-Antoinette et de Philippe-Egalité, …les derniers représentants de la monarchie d’ancien régime. On peut penser que pour toutes ces exécutions, Danton fut finalement soulagé de ne pas à avoir à les cautionner, car s’il n’était pas un ange, il était déjà revenu de tout ce sang versé. Et la terreur va s’amplifiant… En octobre, Lyon subit une effroyable répression sous l’impulsion des envoyés du CSP, Fouché et Collot d’Herbois. En novembre, les personnalités de la première période sont impitoyablement éliminées… - Barnave, Bailly, Brissot…-, presque toutes les églises sont fermées, les prêtres exécutés, les vendéens pourchassés… Tous ces crimes sont d’ailleurs d’autant plus facilement commis à l’intérieur des frontières que sur le front extérieur, les bonnes nouvelles arrivent enfin. On ne dira jamais assez combien les excès de la révolution intérieure auront été parfaitement corrélés avec les victoires de nos armées. Car, miracle, le pays est en mesure de sortir au bon moment des généraux de qualité comme Carnot, Jourdan, Hoche et bien d’autres encore…, des chefs pouvant piocher à volonté dans l’une des populations les plus nombreuses d’Europe. Mais bientôt, c’est l’entourage de Danton qui est mis sous pression. 30 Sans rentrer dans le détail, il faut savoir qu’au fur et à mesure que la révolution avançait, des hommes sans scrupules s’enrichissaient de diverses façons. Beaucoup de monde trafiquait sur les variations de cours de l’assignat, sur l’approvisionnement des fournitures de l’armée,… en fait sur tout ce qui passait… La liquidation de la Compagnie des Indes donne par exemple l’occasion à Fabre d’Eglantine et à d’autres de s’enrichir impunément… Un autre ami de Danton, un capucin défroqué, du nom de François Chabot va également lui causer bien des torts. Compromis dans cette fameuse liquidation, il est arrêté et ne va pas cesser d’avouer tout ce que certains voulaient entendre…et même plus pour s’en sortir… C’est lui par exemple qui dénonce un ultime complot royaliste ourdi par un homme peu connu du public, le baron de Batz, aidé de fonds étrangers. Or, à cette occasion, il semble que certains montagnards ont été achetés, dont notamment le sulfureux Hébert, pas plus vertueux que beaucoup d’autres. Bref, quand Danton revient, et qu’il se sent à la fois sali et menacé, il tente de se repositionner en menant deux nouvelles actions. D’une part, lancer, via son compère Desmoulins, un nouveau périodique – Le Vieux Cordelier – censé contrebattre les positions extrémistes d’Hébert qui s’est encore plus radicalisé depuis que son nom a été cité dans l’affaire Batz. D’autre part, tenter de se rapprocher de Robespierre, qui à ce moment ne joue encore qu’un rôle d’arbitre entre les factions mais dont l’influence n’arrête pas de croître, notamment chez les sans-culottes. Disons tout de suite que la première action de Danton va être couronnée de succès… mais pas la seconde… 31 Car il va y avoir maldonne entre Robespierre et Danton. Pour ce dernier, il faut se débarrasser d’Hébert parce que celui-ci est démagogue, excessif et politiquement dangereux… Mais aussi, parce que c’est l’heure de revenir à plus de raison, à plus de concorde nationale, à plus de mesure… Pour Robespierre, ce n’est pas tout à fait la même chose. Hébert a repris le flambeau des « enragés » et tient désormais des propos que l’on qualifierait aujourd’hui de marxiste. Or Robespierre est un bourgeois qui veut simplement que la révolution reste vertueuse. Il invoque à tout bout de champ un peuple « virtuel » qui serait exempt de tous vices… En réalité, il ne connaît pas le peuple réel, bien trop débraillé pour lui. Ainsi, Robespierre s’il est bien d’accord que l’on se débarrasse d’Hébert et de ses amis, qui remettent en cause son propre pouvoir, n’a pas du tout l’intention d’arrêter la terreur, seul moyen, pour lui, de lutter contre le « Vice contre révolutionnaire »… Or, en mars 94, les hébertistes commettent la faute de fomenter une nouvelle insurrection armée contre les « corps constitués ». Robespierre n’a alors aucune difficulté à convaincre ses collègues députés, qu’il est de la plus haute nécessité de les éliminer sans plus tarder… Résultat : Hébert et ses amis sont arrêtés le 13 mars et guillotinés une semaine plus tard, au motif qu’ils ont mis en place une « famine organisée ». Au passage, vous noterez le motif relativement fantaisiste utilisé pour se débarrasser d’une faction. Bientôt, dans ce domaine, on va atteindre des sommets d’hypocrisie lorsqu’il conviendra par exemple de faire chuter Danton. 32 Revenons à lui justement. Comment voit-il désormais la situation ? Pas de façon très claire malheureusement. Il manque de lucidité au mauvais moment. Par l’intermédiaire de son nouveau journal, il se lance dans des propos, justes sur le fond… mais qui vont le condamner irrémédiablement. Il faut, selon lui, que le cours de la révolution se calme. Il faut même arrêter la terreur qui a de moins en moins de sens depuis que la Vendée se soumet et que les victoires militaires s’enchaînent… Bref, pour Danton, c’est vraiment l’heure de la concorde et même de l’indulgence…ça y est, le mot est lâché… N’hésitons pas à le dire... Compte tenu des événements à venir, Danton avait naturellement raison, il sentait bien que la population parisienne était au bord de la rupture… Malheureusement…, il a eu raison trop tôt… la suite précisera même de 4 mois ! Pourtant, Robespierre à ce moment là n’avait pas encore condamné Danton. Au CSP, ce sont principalement Billaud-Varenne et Saint-Just qui veulent le faire tomber, d’ailleurs pour des motifs différents. Billaud, parce que Danton en sait trop sur les trafics des uns et des autres, Saint-Just car Danton n’est pas « pur » et qu’il est corruptible. Au Comité de Sûreté Général, c’est Vadier son principal adversaire et pour une autre raison. Lui, c’est pour donner des gages de loyauté à Robespierre, devenu le guide suprême de la révolution, afin d’éviter sa terrible sentence de « modérantisme ». 33 Robespierre, qui a pourtant eu de l’amitié pour Danton, se laisse fléchir et accepte d’envoyer la charrette des « indulgents » à l’échafaud. La « Vertu » est plus forte que tout… Danton est arrêté le 30 mars 1794. Procès immédiat… Saint-Just en procureur… A l’époque, il y a peu de preuves sur la collusion du tribun avec les milieux monarchiques, sur ses corruptions diverses… sur son enrichissement personnel… Tout le réquisitoire est fondé sur des insinuations,… des « intimes convictions », des indélicatesses d’amis dont on lui attribue la paternité... Et surtout comme déjà précisé, sur la pratique de l’amalgame, consistant à mélanger son cas à ceux d’aigrefins reconnus. Au tribunal, pourtant complètement partial, Danton n’a pas de mal à se justifier, à exiger des preuves qui ne peuvent être produites, à tourner en dérision ses accusateurs dont bon nombre sont allés plus loin que lui dans la concussion. Bref, rapidement, il retourne le public à son avantage et les juges accusent le coup, semblent même désemparés. La solution est trouvée. On continue le procès contre lui, mais cette fois-ci hors de sa présence. Il est expulsé de son propre procès pour insulte à magistrat. C’est évidemment plus simple… Condamné à mort le 4 avril 94, il est guillotiné le lendemain avec une quinzaine d’autres accusés, dont Desmoulins et Fabre d’Eglantine. Jusqu’au bout, il se montra plus que courageux, bravache, faisant des bons mots, encourageants ses camarades d’infortune. On a même l’impression qu’il s’en va avec un certain soulagement. Il était vraiment fatigué de la Révolution… 34 La suite est connue… Après avoir éliminés les « enragés » de Roux, les « exagérés » d’Hebert et les « indulgents » de Danton, on aurait pu penser que la révolution allait enfin se calmer. Malheureusement, Robespierre se grisa de sa puissance et perdit définitivement toute lucidité. Selon nous, celui qui précipita le mouvement dans cette folie sanguinaire de la « Grande Terreur », fut Saint-Just. Son maître, Robespierre, n’était qu’un idéologue qui voyant le mal partout se résignait aux exécutions quand Saint-Just, totalement hermétique à toute compassion humaine, tuait à titre sacrificiel au nom d’une vertu purificatrice. Mais ceci est un autre débat… Ces deux hommes seront arrêtés et exécutés fin juillet 1794 quand les « survivants » de la Convention seront définitivement convaincus que plus personne n’était à l’abri de leur folie… Nous pouvons maintenant revenir à Danton. C’est l’heure des analyses et des bilans. Vous avez écouté son histoire, ses actions, ses hésitations… On a évoqué ses qualités et ses faiblesses… Danton ne fut pas réhabilité par les thermidoriens. Ils considérèrent que si son procès fut effectivement inique, les faits qui lui étaient reprochés étaient globalement exacts. Et c’est vrai que l’on est surpris de la férocité de ses contemporains. Après lecture de certains d’entre eux, ils sont sans appel pour notre tribun… Par la suite, au vingtième siècle, deux écoles s’affrontèrent, celle qui le réhabilita presque entièrement sous la plume d’Alphonse Aulard et celle qui, sous l’autorité d’Albert Mathiez, le condamna d’autant plus qu’il fallait encenser son rival Robespierre. 35 Les arguments des uns et des autres sont souvent recevables, chacun s’efforçant d’éclairer les côtés positifs ou négatifs du personnage selon la conclusion à laquelle il veut parvenir. C’est de bonne guerre… Toutefois, dans le cadre des études faites sur notre héros, arrêtons nous un instant sur celle d’un historien de renom, Georges Lefebvre, qui s’est évertué à juger « sereinement » les actions purement politiques de Danton, en laissant de côté les aspects cauteleux du personnage. Examinons… et critiquons son point de vue : Lefebvre s’intéresse d’abord à l’action de Danton quand il fut ministre de la justice d’août à septembre 92. Il la juge satisfaisante au motif que celui-ci a su trouver les mots qu’il fallait pour galvaniser à la fois la population, les corps constitués et l’armée, alors désemparés face au péril extérieur. C’est incontestable, rajoutons quand même qu’il est dommage qu’au moment de son accès au pouvoir, Danton se soit entouré de gens douteux qui vont assez vite décrédibiliser son propos. Lefebvre se montre en revanche circonspect sur son « irresponsabilité » quant aux massacres de septembre 92. Nous dirions plutôt que si Danton ne s’est pas grandi dans cette affaire il convient de rappeler que c’est toute la classe politique de l’époque qui fut lâche. Notre homme, de surcroît, ne disposait pas de réel pouvoir de police. Ensuite, Lefebvre examine la période d’octobre 92 à mars 93 où Danton est l’envoyé principal de la Convention pour traiter avec l’étranger de la diplomatie secrète. Il lui reconnaît que son attitude conciliante vis-à-vis de la monarchie s’explique assez logiquement par son souci de donner des gages de bonne volonté aux coalisés, pour obtenir une paix honorable. 36 Et de conclure : « Un objectif louable… mais à contre courant de la pensée prédominante girondine de l’époque ». Donc, une politique personnelle secrète, dispendieuse, et sans grande chance de succès…un point de vue qui fait consensus... Puis, c’est la période ou Danton domine le premier Comité de Salut Public, d’avril à juillet 93. Lefebvre pense que Danton, là encore, a échoué dans les objectifs qu’ils s’étaient fixés… Rappelons les : Soumettre les contre révolutionnaires chouans et fédérés, Conduire la Convention à désavouer la guerre, Négocier à tout prix avec l’ennemi, Il semble possible, dans ce cas, de considérer que Lefebvre se montre trop sévère. Les deux derniers objectifs, à l’époque, étaient encore atteignables… Simplement, Danton a été la grande victime, comme les Girondins, de la trahison de Dumouriez. Malgré la puissance de son verbe, cette trahison a ouvert un « boulevard » aux révolutionnaires les plus durs, qui ont pu ainsi légitimer le recours à la violence à l’intérieur… et la levée en masse à l’extérieur. Et comme déjà précisé, ces hommes intransigeants ont eu la chance de bénéficier d’une génération exceptionnelle de chefs militaires. Enfin, c’est la dernière période d’août 93 à mars 93 où Lefebvre ne semble vraiment pas convaincu par le Danton de cette époque. De fait, en apparence, beaucoup d’atermoiements. D’abord, il disparaît sans raison, puis il revient pour s’allier à Robespierre afin d’ éliminer les hébertistes,… avant de favoriser la faction des « indulgents » sans en prendre la tête, de peur de déplaire à Robespierre… puis de se lancer enfin contre la Terreur, trop tard, et de chuter sans gloire. 37 Là encore, soyons plus nuancé que Lefèvre. Son absence prolongée ?? Elle s’explique par le fait que Danton est vraiment malade et dépressif. En fait il a pris la révolution un peu en grippe… On a dit qu’il s’était embourgeoisé et qu’il voulait profiter de ses rapines révolutionnaires… Ce n’est pas faux, mais sa lassitude est réelle. D’ailleurs il sera conduit à l’échafaud presque avec soulagement, lui qui fut l’archétype du jouisseur de la vie. Quant à son engagement final vers l’atténuation, voire l’arrêt de la terreur, qui peut sérieusement lui en tenir rigueur ? Disons même que cette lucidité, qu’il a acquise, dès le printemps 93, le rachète, selon nous, de presque toutes ses turpitudes des années 90 à 92. On peut reprocher beaucoup de chose à Danton mais le fait que dans un sursaut d’humanité, alors que Robespierre et ses amis perdaient tout sens commun, il ait voulu arrêter la main du bourreau est vraiment à mettre à son crédit. « Faire le mal pour faire le bien !! » disait Robespierre. C’est une belle envolée !! Mais l’histoire enseigne qu’il ne faut jamais abuser trop longtemps de ce genre de formule. Voilà, Mesdames, Messieurs, ce que nous voulions dire aujourd’hui, à propos de Georges Danton, un homme vraiment emblématique de la Révolution Française car finalement, et à son image, il mélangea le bien et le mal, le glorieux et le pathétique, le majeur et le dérisoire…