Les récentes victoires aux frontières de la jeune République française à la fin de l'année 1793, en guerre contre l'Europe des
rois, eurent des répercussions aussi bien militaires que politiques : la mise à l'ordre du jour de la Terreur le 5 septembre
1793, censée répondre aux invasions extérieures des puissances européennes, avait plus que rempli ses objectifs lorsque
les premières contre-offensives poussèrent les combats sur les territoires mêmes des ennemis de la France.
Dès lors, deux partis irréconciliables s'affrontèrent à Paris sur la question de la poursuite ou non des mesures d'exception :
les "Enragés" : emmenés par Jacques-René Hébert, substitut du procureur de la Commune de Paris et journaliste
engagé, ils réclamaient le durcissement de la Terreur,
les "Indulgents" : ils souhaitaient, par la voix de Danton, la fin de la Terreur et la libération immédiate des nombreux
"suspects" entassés dans les prisons.
Le malaise était grand et se ressentait jusque sur les bancs de la Convention dont les députés, indécis, se déchiraient à la
tribune. Mais les envolées lyriques des débats parlementaires de 1789 n'avaient plus la même saveur quatre ans plus tard
car le poids de la guillotine pesait sur toutes les têtes et pouvait frapper quiconque perdait cette bataille des idées et des
mots.
Le 3 décembre 1793, Danton est attaqué publiquement par Hébert et les siens au club des
Jacobins, centre névralgique de la Révolution. Bénéficiant du soutien inespéré de Robespierre,
alors membre du Comité de Salut Public - le gouvernement de la France révolutionnaire - le
tribun entama un long bras de fer contre les Enragés. Mais le positionnement politique des deux
factions, quel qu'il fut, attaquait aussi indirectement les actions du Comité jugées soit trop, soit
pas assez excessives.
Ce dernier, jusqu'ici spectateur, prit la décision de frapper sur sa gauche : Hébert et ses
partisans furent arrêtés dans la nuit du 13 au 14 mars 1794. Jugés sommairement par le
Tribunal révolutionnaire, ils seront tous exécutés le 24. Sûrement Danton et les "Indulgents" se
sont-ils sentis à cet instant en position de force mais ils oublièrent en l'état les nombreuses
mises en garde de Robespierre, dont celle-ci mettant sur le même plan l'excès, c'est-à-dire les
"Enragés", et le modérantisme, c'est-à-dire les "Indulgents" :
Le Gouvernement révolutionnaire doit voguer entre deux écueils, la faiblesse et la témérité, le modérantisme et
l’excès ; le modérantisme qui est à la modération ce que l’impuissance est à la chasteté ; et l’excès qui ressemble
à l’énergie comme l’hydropisie à la santé.
Le Comité de Salut Public, ne supportant plus la poursuite des attaques contre sa politique, décida de frapper sur sa droite.
Les députés Danton, Desmoulins, Lacroix et Philippeaux furent arrêtés dans la nuit du 30 au 31 mars 1794 et transférés
dans un premier temps à la prison du Luxembourg.
L'INSTRUCTION
L'ENQUÊTE
[ Les procès de la Révolution Française, et surtout ceux s'étant déroulés pendant la Terreur, ne brillèrent pas
particulièrement pour la qualité de leurs enquêtes préliminaires. Du moins, la constatation des infractions était latente et le
rassemblement des preuves pour le moins expéditif, répertoriées dans des actes d'accusation ressemblant plus à des
pamphlets qu'à de véritables rapports juridiques. Schématiquement, l'accusation avait parfois valeur de preuve et le
simple fait de semer le doute ou de jeter le discrédit sur un individu suffisait au ministère public dans les cas les plus
extrêmes.]
Juste après l'exécution d'Hébert le 24 mars, le Comité de Salut Public discutait déjà de sa prochaine cible, conclusion
logique de cette entreprise d'épuration.
Robespierre, toujours hésitant à frapper "l'idole pourrie" Danton et surtout son ami d'enfance, Camille Desmoulins, confia à
Saint-Just quelques observations griffonnées sur un bout de papier. Il n'en fallut pas plus à "l'archange de la Terreur" pour
bâtir un solide acte d'accusation qu'il présenta le 31 mars à 2 heures du matin aux autres membres du Comité. Tous
signèrent l'arrestation des principaux "Indulgents", à l'exception de Lindet, apostrophant pour l'occasion ses collègues : "J'ai
été choisi pour soutenir les révolutionnaires, pas pour les tuer".
LES FAITS IMPUTÉS
Saint-Just fera lecture le même jour à la Convention de l'acte d'accusation justifiant l'arrestation de Danton et de ses
proches. Dans ce violent réquisitoire, le député de l'Aisne accusera le principal intéressé :
d'avoir entretenu des relations avec Mirabeau, déclaré traître à la Patrie pour ses échanges secrets avec Louis XVI, et
Philippe d'Orléans, cousin de ce dernier ;
d'avoir entretenu des relations avec les frères Lameth et Barnave, royalistes notoires ;
d'avoir entraîné, en tant que rédacteur de la pétition demandant la République en 1791, le peuple au Champs-
de-Mars, victime de la répression militaire tandis que lui, Danton, aura été épargné ;
d'avoir émigré en Angleterre suite à cet évènement ;