le developpement local

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APPROCHE SOCIOLOGIQUE
DU DEVELOPPEMENT LOCAL
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APPROCHE SOCIOLOGIQUE
DU DEVELOPPEMENT LOCAL
SOMMAIRE
INTRODUCTION.....................................................................................................................3
1-HISTOIRE DES POLITIQUES DU DEVELOPPEMENT LOCAL ..................................... 7
2-LE DEVELOPPEMENT ECONOMIQUE LOCAL ENDOGENE ..................................... 20
3-LE DEVELOPPEMENT LOCAL AU PLAN POLITIQUE ................................................. 37
4-LE DEVELOPPEMENT LOCAL AU PLAN AGRICOLE.................................................. 53
5-DÉVELOPPEMENT LOCAL AU PLAN GEOGRAPHIQUE :
L’AMÉNAGEMENT DU TERRITOIRE ................................................................................. 57
6-MENER UN PROJET DE DÉVELOPPEMENT LOCAL.................................................. 66
7-LES CONFLITS THEORIQUES AUTOUR DU DEVELOPPEMENT LOCAL ............... 84
CONCLUSION GENERALE ............................................................................................... 103
BIBLIOGRAPHIE.....................................................................................................107
3
APPROCHE SOCIOLOGIQUE
DU DEVELOPPEMENT LOCAL
INTRODUCTION
L’histoire des politiques du développement local est un long chemin qui débute
à la fin des années 70, une période où la perception du monde et de ses rapports
de forces, en termes économique et politique, est basée sur le constat de la
dépendance des pays de l’ancienne aire coloniale.
Le modèle dominant est celui d’un centre (les pays développés du Nord)
entravant le développement à la périphérie (les pays du Sud). Au plan doctrinal et
des pratiques, la réponse de la gauche marxisante, c’est le protectionnisme, la
substitution de la production locale aux importations et la théorie des pôles de
développement. Celle-ci prône la construction en un lieu donné d’une plate-forme
d’industries lourdes de base, par exemple sidérurgique et pétrochimique, qui doit
mécaniquement engendrer de l’activité alentours. Or toutes ces recettes sont alors
en échec, de l’Argentine à l’Algérie.
Au contraire, on s’aperçoit que l’autonomie de petites et moyennes entreprises
locales est de nature à engendrer à terme de nouvelles dynamiques locales de
développement, y compris orientées vers l’exportation. Au début des années 80,
les économistes emploient alors les mots de développement « endogène » ou «
local » et parlent d’« industrialisation diffuse»1.
Le développement local naît d’expériences, à la fin des années 1970, dans des
espaces ruraux, ou des acteurs, associatifs, individus, chefs d’entreprises…
s’organisent pour résister au processus de marginalisation économique de ces
espaces.
La crise du modèle de développement fordiste et des rapports internationaux
renforce une conception de l’espace rural, antagonique de celle mise en avant par
l’idéologie libérale qui tend à ignorer tout espace qui n’est pas polarisé et
compétitif.
Au cours des années 1980, le local, assimilé au départ au rural, est pensé
comme un lieu alternatif à la crise. Peu à peu, le discours sur le local s’est étendu
à tous les types d’espaces, les quartiers urbains et surtout les bassins d’emploi2.
Dans les années 1990, tout un courant de pensée, notamment autour des
Italiens et des radicaux américains (pas nécessairement marxistes), affirme que le
LIEPIETZ Alain, « Du développement local au développement durable : Limites d’une pratique, perspectives
de deux idéologies », Territoires n°431, octobre 2002.
2 Yves JEAN, Du développement local au développement durable : la nécessaire mutation culturelle de l’état
et des élus, p. 22-31, in "Emigrés - immigrés dans le développement local", sous la direction de Mohamed
CHAREF et Patrick GONIN. - Agadir : Editions Sud-Contact, 2005, 361 p.
1
4
modèle du développement local devient la forme typique du post-fordisme3. On
serait passé à un modèle de développement « flexible », dans lequel des
communautés locales de travailleurs qualifiés vont représenter les nouveaux pôles
de développement; le développement local deviendrait la forme «normale» du
développement.
Les marxistes de la vieille école, qui s’appuient aussi sur des études
empiriques, contestent fortement cette approche. Les transnationales se portent
bien, soulignent-ils, constatant que, pour quelques cas de développement local
authentiquement endogènes qui parviennent, avec l’aide d’administrations
publiques locales, à s’élever jusqu’à la compétitivité internationale, la géographie
économique est en fait majoritairement déterminée par le jeu des transnationales
qui délocalisent où et quand elles le veulent leurs unités de production. Mais
certains des membres de l’école de la régulation, tel Liepietz (qui est aussi
marxiste) critiquent ces thèses qu’ils considèrent comme trop structuralistes4 et
trop déterministe5.
L’historien Fernand Braudel a dit que « l’Histoire, c’est 95 % de déterminisme
et 5 % de liberté». Liepietz estime que ces 5 %, c’est le développement local, c’est
la possibilité, par un "volontarisme local", de renverser une situation de
dépendance ou de marginalité. Ce qui suppose une claire conscience des
déterminants structuraux qu’il faut surmonter ou contourner6.
Mais qu’est ce qui caractérise le développement local et comment est-il mis en
oeuvre? C’est à cette question que nous chercherons à répondre et nous verrons
que le développement local, prend des formes multiples, il est tour à tour, social,
économique, politique, écologique, géographique... en perpétuelles interactions. Il
suppose donc une approche pluridisciplinaire et une vision suffisamment
synthétique.
Mais dans un premier voici deux définitions significatives du développement
local :
- A partir d'initiatives africaines, les centres Concept de Dakar et Djoliba de
Bamako définissent ainsi le développement local : « Une volonté politique de
certains acteurs de changer la situation du territoire sur lequel ils vivent, en
entamant un processus et des actions en vue de construire, par leurs efforts
conjoints avec le reste de la population, un projet d'avenir à ce territoire, en
3
Postfordisme : Le modèle de développement fordiste (qui a dominé de 1945 à 1975) était fondé sur la grande
entreprise, le taylorisme et les contrats rigides. D’où le mythe d’un "post-fordisme" qui serait, point par point,
l’inverse : réseaux flexibles de PME qualifiées
4 Structuraliste : qui pense que la place d’un élément dans un structure détermine irrévocablement son destin.
Par exemple, un pays périphérique (dominé) serait condamné à le rester.
5 LIEPIETZ Alain, BENKO Georges « Les régions qui gagnent » P.U.F, en 1992.
6 LIEPIETZ Alain, « Du développement local au développement durable, 2002.
5
intégrant les différentes composantes économique, sociale et culturelle, en
articulation constante avec les autres niveaux de décision.»
- De manière plus institutionnelle, en France, pour la DATAR, « le développement local est la mise en oeuvre, le plus souvent dans un cadre de coopération
intercommunale, d'un projet global associant les aspects économiques, sociaux et
culturels du développement. Généralement lancée par les élus locaux une
opération de développement local s'élabore à partir d'une concertation locale de
l'ensemble des citoyens et des partenaires concernés et trouve sa traduction dans
une maîtrise d'ouvrage commun ».
La « Déclaration de Sherbrooke » énonce la vision du développement local que
partagent les réseaux concernés. «Le développement local constitue une
référence, une base pour aborder autrement la mondialisation. Il s'agit, non pas de
construire un modèle alternatif replié sur lui-même, mais de se réapproprier la
mondialisation d'une autre manière, de lui donner du sens au travers des
démarches locales. » Ce développement repose sur :
- l’importance pour chacun et chacune de devenir auteur et acteur du
développement de son territoire,
- une approche globale de la réalité des individus, intégrant les préoccupations
de la solidarité, du développement économique, de la lutte contre l'exclusion, de la
préservation de l'environnement,
- l'articulation, à l'échelle du territoire de proximité, de l'indispensable capacité
d'initiative locale et de la nécessaire cohérence des politiques nationales,
- la reconnaissance de la contribution spécifique des femmes, notamment de
leur travail souvent invisible pour le bien-être de leurs proches et de leur
communauté. Le développement local contribue à l'émergence de nouvelles
façons de produire et de partager les richesses, de vivifier la participation
citoyenne, de faire grandir la démocratie, pour que chacun ait à la fois de quoi
vivre et des raisons de vivre.
Ces différentes définitions du développement local, sont intéressantes,
cependant, nous retiendrons la définition plus large proposée par Houée : « le
développement local est une démarche globale de mise en mouvement et de
synergie des acteurs locaux pour la mise en valeur des ressources humaines et
matérielles d'un territoire donné, en relation négociée avec les centres de décision
des ensembles économiques, sociaux, culturels et politiques dans lesquels ils
s'inscrivent »7.
7
HOUEE Paul, Le développement local au défi de la mondialisation, L’Harmattan, 2001,
6
Afin d’aborder les différentes dimensions du développement local, nous
débuterons par l’histoire des politiques du développement local en France.
Puis dans le 2e chapitre, nous présenterons le développement économique local
endogène.
Le 3e sera consacré aux actions politiques et démocratiques du développement
local, qui dépendent notamment des différentes formes de régulation politique et de
la prise en compte d’une démocratie participative à la fois locale et nationale.
Le 4e chapitre, présentera les démarches de développement local au plan
agricole, en particulier dans sa recherche d’accès à l’accès à l’autonomie
Le 5e abordera les dimensions géographiques, territoriale et urbanistique du
développement local et notamment l’enjeu des transports.
Le 6e chapitre examinera les différentes étapes de la réalisation d’un projet de
développement local, de l’étude des besoins, à la mise en oeuvre, jusqu’à la
dernière phase de l’évaluation.
Enfin, dans le dernier chapitre, nous confronterons les différentes théories du
développement local, afin de comprendre les enjeux analytiques et politiques sous
jacents, telle la différence entre les notions de développement local, de
développement durable et de refus du développement.
7
1-HISTOIRE DES POLITIQUES DU DEVELOPPEMENT LOCAL
L’historique des formes françaises du développement local
Les théoriciens du développement local s’appuient sur l’économiste Marshall
qui, au début du XXe siècle, théorise les "districts industriels". Il désigne ainsi une
ville industrielle spécialisée dans une branche, avec une ambiance de compromis
social et de relations partenariales entre les entreprises, basée sur la qualification
professionnelle commune, qu’il appelle « atmosphère industrielle ».
Les sociologues nous disent que celle-ci, qui est un cas particulier de bloc
hégémonique tel que le définit Gramsci. C'est-à-dire que les infrastructures
économiques imprègnent l’idéologie, la culture, les mœurs, l’ambition pour les
enfants et s’appuie sur un réseau d’institutions locales (écoles, journaux,
chambres de commerce etc.)
La France au début du XXe siècle est un damier de districts «marshalliens»,
dans lesquels chaque ville est associée à une spécialité (dentelle de Calais,
coutellerie de Thiers, etc.). Les districts basés sur une grande entreprise (Michelin,
etc.) sont rares. Les politiques de la IVe et de la Ve République, avec la Délégation
de l’Aménagement du Territoire (DATAR) ont, dans les années 50-60, assassiné la
plupart de ces districts qui, en France, survivaient essentiellement grâce au
protectionnisme. Ce dernier consiste à limiter les importations, afin de permettre le
développement de l’économie nationale. Au contraire, les districts industriels
italiens sont devenus fortement exportateurs (70 villes en Italie réalisent, chacune
sur leur branche, 90 % des exportations italiennes).
La fin du protectionnisme à la sortie de la 2e guerre mondiale a tué les districts
en France. La politique publique a été la mise en place de grandes entreprises
avec des bureaux d’étude parisiens et des ateliers en province, utilisant les
ouvriers comme simples OS. Le Fordisme à la française a rejeté les savoir-faire
locaux estime Liepietz8.
La théorie des pôles de développement imprégnait l’ensemble de la
technocratie, des communistes aux gaullistes, accompagnée d’une vision
centraliste de l’Île de France, de la "province" et "du désert français" 9. Pour
développer ce désert, on faisait alors Fos-sur-mer ou Dunkerque. Il s’agissait de
doctrines qui se voulaient « ultramodernes », imprégnées par le même rejet
8
9
LIEPIETZ Alain, « Du développement local au développement durable, Op. cit. 2002.
GRAVIER Jean-François, Paris et le désert Français, 1947.
8
technocratique des savoir-faire traditionnels et des capacités de développement
local.
L'Etat Nation a perdu la plus grande partie de son pouvoir de coordination de
l'activité économique elle-même de plus en plus soumise au marché mondial. La
mise en œuvre d’une nouvelle économie politique qui se mette en place lentement
pour remplacer la politique économique actuelle défaillante suppose une
transformation profonde des champs de conscience et des mentalités
essentiellement dans nos pays riches, chefs d'orchestre de l'économie mondiale.
Ceci suppose de privilégier les espaces de reconquête de plus d'autonomie et
de liberté. C’est à dire créer de nouvelles formes de vie sociale et de
consommation avec une relation au travail et un partage du travail différent. Une
stratégie nouvelle de dialectique est à inventer entre les sociétés autonome et
hétéronome (c'est-à-dire dépendante de l’extérieure)10.
L’émergence du développement local11
Le développement local est d'origine récente en France, où il a dû effectuer un
laborieux parcours pour se faire reconnaître. Le concept développement local
apparaît en 1975 dans les débats sociaux, eu 1982 dans les propositions et
mesures ministérielles, avant de trouver sa place dans les politiques territoriales
en 1995 et en 1999. Mais sa réalité est beaucoup plus ancienne et plus riche que
ces documents officiels. Selon la grille retenue, ces formes de développement
local apparaissent comme des compromis entre les politiques descendantes
longtemps prédominantes et des dynamiques ascendantes qui ont peiné à
s'entendre entre elles et surtout à se faire entendre.
Sous la chape des institutions républicaines (1945-1959)
Le développement local a dû s'infiltrer dans le socle institutionnel hérité de
Colbert, de la Révolution et de l'Empire. Cette conception de l’Etat républicain
prend les formes suivantes :
- Un État, expression de la souveraineté du peuple et de la raison, qui doit
garantir à tout citoyen où qu'il soit la liberté, l'égalité des droits et des devoirs.
- Un pouvoir central qui élabore les objectifs et les règles, redistribue les
moyens par plusieurs ministères, qui ont chacun leur propre rationalité, leurs
intérêts leurs programmes sectoriels et leurs découpages du territoire.
10
11
François Plassard, Autonomie au quotidien, Réponses à la crise ? Pratiques Sociales, Paris, 1984.
HOUEE Paul, Les politiques de développement rural, Paris, INRA (Economica, 2, éd.) 1996, 316 p.
9
- Dans chaque département, des administrations qui exécutent les décisions du
pouvoir central, avec le concours de quelques grands élus encadrant leur clientèle
d'élus locaux.
- Une poussière de communes atomisées (plus de 36 550) sous la tutelle de
l'État, où il y a place pour « la défense des intérêts locaux» plus que pour la
promotion du développement local.
- Une nette distinction entre les acteurs : aux élus la gestion des affaires
communales sous la sanction du vote populaire; aux acteurs économiques et
sociaux la conduite des affaires privées selon les lois du marché; aux associations
dont on se méfie des compétences et des moyens trop limités.
Une tendance « aménagiste » essaie de se faire entendre : l'ouvrage de J.-E
Gravier qui dénonce le déséquilibre entre « Paris et le désert français », une
Direction de l'Aménagement du Territoire et un « Plan national d'Aménagement du
Territoire » proposés par Claudius Petit en 1950. Sous la IVe République, il n'y a
pas de place pour un développement local, seulement pour des programmes
d'équipement et de modernisation économique conduits par l'État.
Devant ce bétonnage, c'est surtout la pensée prophétique de L.J. Lebret et du
mouvement Économie et Humanisme qui nourrit de ses orientations et de ses
enquêtes participatives les premières forces de développement ascendant. « Le
premier travail à entreprendre pour remettre l'économie au service des hommes
est de reconstituer partout des unités élémentaires complètes de vie, à portée
d'homme, harmonieusement distribuées sur le territoire, harmonieusement
coordonnées... Il faut refaire partout des unités équilibrées de tailles diverses, où
l'homme puisse retrouver champ d'activité utile, sécurité fondamentale, accès
progressif au confort et facilité d'épanouissement » souligne le Guide du Militant
(1946). Les échelons essentiels de cet aménagement sont la commune, le pays
rural, industriel ou mixte, la région faite de pays et de cités.
En septembre 1952, la première grande session d'Aménagement du Territoire
réunit à l’Arbresle 70 responsables politiques dont Claudius Petit, des militants de
base, des experts. Dans la charte finale, Lebret donne à l'aménagement toute sa
signification. « Un double écueil menace l'aménagement: l'anarchie impuissante
des "micro" tentatives, l'intervention trop décisive des "macro- technocraties". Dans
l'un et l'autre cas, l'indispensable accord entre l'économique et l'humain est
compromis... L'aménagement suppose un double mouvement : de bas en haut
pour que s'expriment correctement les besoins et les possibilités tant matérielles
que spirituelles de répondre, de haut en bas pour qu'une coordination réalise
l'unité.
10
L'aménagement ne saurait se limiter à la valorisation d'un seul niveau de
territoire, ni à « consolider les privilèges des peuples prospères». Des unités de
base aux regroupements de nations, c'est la Terre entière qu'il faut aménager,
rééquilibrer pour (utiliser les ressources, structurer les surfaces, abolir les sousprolétariats, nourrir, vêtir, loger et instruire l'humanité ».
Cette conception de l'aménagement et la méthode des enquêtes-participation
qui la traduit sont largement diffusées par les publications et les sessions
d'Économie et Humanisme, mises en oeuvre par une vingtaine d'équipes locales,
dont la plupart animent des comités d'expansion économique (140 en 1957)
rassemblant des acteurs économiques, des élus, des enseignants avant tout dans
les centres urbains qui s'industrialisent; le gouvernement Mendès France leur
confie en décembre 1954 quelques fonctions d'expertise et de consultation dans
les programmes d'action régionale. Le courant Lebret se propage surtout par les
mouvements de jeunesse chrétiens ou laïques : ainsi en milieu rural, les sessions
de la JAC, les publications de son prolongement adulte, le MFR, initient le monde
rural au fonctionnement des communautés. Les groupes jacistes, les Foyers
Ruraux, les Foyers de Progrès sont vraiment les lieux où se forment ceux qui vont
impulser les premiers chantiers de développement local.
Les débuts du développement local dans la modernisation de la France
(1960-1975)
La création de la DATAR en 1963 ouvre une brèche prometteuse dans le,
paysage institutionnel français. Structure légère de mission d'abord rattachées au
Premier ministre, elle entreprend de faire converger les diverses politiques
ministérielles vers une approche globale et prospective, dans un souci d'animation
et de participation élargie. Il s'agit en fait de décloisonner les administrations
enfoncées dans leurs habitudes, de remplacer le marchandage État-élus par des
relations contractuelles plus rationnelles, de contourner le système départemental
du «préfet de ses notables» pour atteindre les acteurs économiques et sociaux
porteurs de modernisation. On rappelle pour mémoire les 3 grands axes de cette
politique : maîtriser la croissance urbaine en freinant la concentration parisienne,
en renforçant des métropoles d'équilibre et des villes moyennes pour réduire
l'engorgement urbain et l'exode régional; favoriser l'expansion régionale en aidant
les décentralisations industrielles (500 000 emplois directs créés et autant
d'emplois induits); développer les zones rurales par des mesures diversifiées et
adaptées.
En 1964, quelques réformes administratives engagent un début de
déconcentration plus que de décentralisation. Un préfet de région reçoit la mission
11
de mettre en oeuvre la politique du gouvernement concernant le développement
économique et l'aménagement du territoire. Il est assisté d'une conférence
administrative régionale (CAR) composée exclusivement de fonctionnaires et
d'une assemblée consultative, la CODER (Commission de développement
économique régional) composée d'élus des Conseils généraux, des délégués des
Chambres consulaires et de personnes qualifiées désignées par le Premier
ministre; ses compétences restent très limitées, ses moyens totalement
dépendants du préfet de région; elles seront élargies par les EPR (Établissement
Public Régional) créés en 1972, mais opérationnels en 1975.
Chaque ministère réalise à sa manière la modernisation de ses services et de
ses interventions. Sous la vigoureuse impulsion d'E. Pisani, le ministère de
l'Équipement, né de la fusion de plusieurs grandes administrations, entreprend de
moderniser le territoire national à partir des centres urbains. En application de la loi
foncière (30 déc. 1967), des SDAU (schémas directeurs d'aménagement et
d'urbanisme) fixent les orientations fondamentales d'utilisation des espaces
urbains et ruraux. En 1980, on a dénombré 404 SDAU délimités et seulement 149
approuvés, 9 640 POS prescrits et 2 280 approuvés. Il s'agit là de procédures
techniques destinées à endiguer la croissance urbaine et son déversement : les
services de l'État y sont prédominants, le rôle des élus assez formel, la
participation populaire inexistante. Il en va de même pour la plupart des opérations
de lotissement et d'urbanisme, où la population concernée n'est pas encore là. On
devra attendre les premières rénovations de quartiers, pour qu'une meilleure
concertation s'établisse entre les divers partenaires et s'ouvre aux populations
concernées (procédure Habitat et Vie sociale). Pour l'essentiel, le développement
local urbain s'identifie aux interventions des divers services de l'action sociale et
de l'animation culturelle. A l'occasion des différents plans et lois-programmes, on
construit des Centres Sociaux pour répondre aux besoins immédiats, des Maisons,
Foyers ou Clubs de Jeunes financés par l'État et les collectivités, des Maisons des
Jeunes et de la Culture (MJC), que l’on veut ouvertes au plus grand nombre. Mais
beaucoup demeurent dus équipements sans équipe.
Le développement des zones rurales va susciter le plus d'essais de
développement local. La politique de la Rénovation Rurale, mise en oeuvre de
1969 à 1975, entreprend de mobiliser les approches sectorielles classiques pour
promouvoir une stratégie globale de développement adaptée à chaque territoire.
Chaque commissaire dispose d'une certaine autonomie pour secouer les
pesanteurs institutionnelles élargir le champ des partenaires. Son action consiste
moins à appliquer des directives qu'à susciter des initiatives, provoquer et
12
conforter des projets, interpeller les administrations, inventer avec elles les
mesures capables de lever les blocages et de mettre en mouvement les acteurs
locaux; il dispose pour cela de crédits spéciaux, suscite beaucoup d'espoirs assez
vite déçus. Mais une nouvelle démarche globale et ascendante, un nouveau mode
de relation entre les services publics, les collectivités locales, les organisations
économiques et sociales trouvent là un début de reconnaissance officielle. Initiée
elle aussi par la DATAR en 1967, la politique des parcs naturels régionaux (PNR)
est le creuset où vont s'expérimenter la plupart des objectifs et des moyens de
développement local aujourd'hui proposés par l'État. Chaque PNR comporte une
charte constitutive, élaborée par l'ensemble des communes volontaires, qui définit
le territoire de solidarité, les objectifs et les moyens.
Les objectifs initiaux de conservation et de mise en valeur du patrimoine
naturel et culturel s'élargissent aux activités touristiques, au développement des
ressources et des productions locales, dans une grande diversité des actions
suscitées et une volonté de les articuler à un niveau territorial précis.
A son tour, le ministère de l'Agriculture, va faire de l'aménagement rural une
politique cohérente, complémentaire de la grande politique d'organisation agricole
et alimentaire qu'il conduit avec l'appui de la PAC (politique agricole commune).
Elle conjugue :
- la déconcentration, la modernisation et la diversification des activités agricoles
et non agricoles,
- l'amélioration du cadre et des conditions de vie par la gestion des ressources
naturelles et culturelles du milieu rural, le développement des services publics, des
moyens de communication, le renforcement d'un réseau dense de petites villes
formant l'armature du milieu rural, l'émergence de groupes locaux dynamiques
capables de prendre en charge la gestion des investissements et le contrôle de la
réalisation des projets. Au ministère, FACEAR (Atelier Central d'Études et
d'Aménagement Rural) définit les objectifs, les concepts, élabore les méthodes,
que reprennent les ateliers régionaux en les adaptant à chaque zone.
Les PAR (plans d'aménagement rural) constituent l'apport le plus spécifique et
l'avancée la plus significative du développement local dans les procédures
publiques. Le PAR est :
- un document d'orientation et de référence pour les décisions administratives,
mais ne créant pas de contraintes,
- un document de cohérence entre les différents niveaux et procédures
d'aménagement, compatible avec les choix du SDAU,
13
- un document de participation et de concertation avec les élus et les
représentants des populations concernées.
La première génération des 69 PAR engagés entre 1970 et 1974 demeure une
démarche très administrative. A partir de 1975, la commission officielle est
maintenue mais les opérateurs ont compris l'intérêt des réunions d'information: des
méthodes d'animation et surtout des groupes de travail ouverts où se réalise
l'essentiel de l'élaboration. Le document s'allège du poids de trop d'études pour
devenir plus opérationnel.
Assez souvent à l'occasion de ces opérations descendantes, parfois à l'écart
ou même contre elles (ainsi les Monts du Lyonnais sont nés du refus d'un PAR
imposé), des forces ascendantes s'expriment, venant souvent de courants
différents que l'on peut ranger en deux catégories.
a-Les acteurs du développement local
Les jeunes forces avant tout rurales, s'engouffrent dans les politiques
modernisatrices de la Ve République. Les plus nombreuses s'engagent dans les
organisations professionnelles (vulgarisation-développement agricole, gestion des
exploitations, organisation des marchés) animées par un syndicalisme qui a dit «
oui au progrès, non à la prolétarisation... ; les voies du progrès sont diverses, mais
chacun doit trouver son chemin ». D'autres privilégient l'action sociale et l'aménagement rural : actions et services de la MSA (Mutualité Sociale Agricole), Comités
de l'Habitat Rural, groupements de la « Famille Rurale » qui rassemble 15 000
associations, Foyers Ruraux, etc., tous très attachés à la revitalisation rurale.
Dans certaines régions marquées par une forte identité et par la crainte de la
marginalisation, en Bretagne, dans les vallées de montagne et sur certains
plateaux, surgissent les Comités de pays, en s'appuyant sur les formes naissantes
de coopération intercommunale.
Une enquête-participation, conduite par les jeunes ruraux encadrés par des
étudiants originaires du secteur, déclenche un remarquable élan populaire qui se
structure rapidement avec le concours des élus. Une démarche qui se définit
d'emblée globale, endogène, fondée sur une forte participation initiale, surprend,
agace les administrations départementales, tarde à traduire les grands objectifs en
opérations concrètes. Mais dès 1967, elle s'enrichit des apports de l'animation
rurale au Niger, des méthodes de conscientisation de Paulo Freire au Brésil. Elle
devra attendre 1969 pour recevoir l'appui de la Rénovation Rurale, 1976 pour se
faire reconnaître dans un PAR exemplaire. En 1975, la Bretagne comptait ainsi 12
14
comités de pays d'origines. A tous les responsables et animateurs de telles
expériences, il faut associer les coopérants de retour de leurs stages en Afrique ou
en Amérique latine; de fécondes confrontations s'opèrent dans les organismes qui
les emploient ou à l'occasion de rencontres plus ou moins reconnues.
b-Les militants d'un autre développement
Ces derniers expriment les contestations et les revendications de la révolution
culturelle de 1968 : écologistes luttant contre les atteintes à l'environnement,
autogestionnaires en quête de nouveaux modes de production et d'échange,
néo-ruraux fuyant les nuisances de la ville pour les charmes de la campagne,
régionalistes affirmant leur identité contre le centralisme jacobin. Intellectuels,
étudiants, travailleurs sociaux, fonctionnaires, animateurs de services, militants
syndicaux, politiques, associatifs, tous dénoncent le système dominant, veulent
bâtir un autre monde où chacun pourra conduire librement son existence, «vivre,
travailler et décider au pays ». On redécouvre les racines culturelles, les territoires
d'appartenance; on rêve de lieux de vie, d'unités de travail, de services conviviaux
gérés démocratiquement pour sortir des carcans d'un monde compliqué,
encombré de structures et de technocraties. Ces courants sont trop foisonnants
pour trouver une traduction politique efficace, mais ils imprègnent les idées des
baby-boomers qui accèdent aux emplois, aux responsabilités.
Une synthèse apparaît difficile, à tout le moins prématurée, entre les praticiens
du développement local luttant pour faire vivre et entendre leurs territoires et les
partisans d'un développement alternatif aux critiques radicales et aux perspectives
envahissantes.
Le développement local au temps de la crise et de la décentralisation
(1975-1990).
A partir de 1974-1975, la crise économique et la poussée libérale transforment
une politique volontariste d'aménagement et de développement descendant en
une profusion de mesures d'urgence pour éteindre les incendies sociaux, voler au
secours des bassins d'emploi, des entreprises, des leaders politiques en difficulté.
La poursuite d'une croissance vigoureuse aurait pu exorciser les doutes nés de
la révolution de 1968; son ébranlement révèle l'impuissance de l'État à entreprendre les réformes qui s’imposent, à offrir de nouvelles perspectives pour
chasser l'interrogation et la morosité ambiante. Désormais, il n'y a plus de grand
modèle ni d'antimodèle; à chacun d'inventer constamment son chemin. Les
chantiers du développement local trouvent dans ce brouillard l'opportunité de
15
prouver leur intérêt, sans trouver encore leur place dans les stratégies des
pouvoirs publics et des groupes sociaux.
a-Face à la crise, une multiplication de mesures.
L’Etat jacobin a perdu le monopole de la décision : il doit composer en amont
avec les directives d'une Europe qui s'affirme et avec la concurrence internationale
qui se durcît, en aval avec les collectivités territoriales qui semblent mieux armées
que lui pour répondre à la diversité des problèmes. En accédant au pouvoir en
1981, la Gauche découvre que de grandes entreprises et d'importantes réformes
sociales ne suffisent pas à relancer l'économie.
Elle lance alors plusieurs procédures concernant aussi bien la ville que le
milieu rural et qui contribuent à cette concertation nécessaire à tout
développement local. Les Comités locaux pour l'emploi, créés en 1975 et devenus
en 1983 les Comités de bassin d'emploi (313 CBE constitués en 1983), permettent
un dialogue social territorialisé.
En 1997, l'État crée la procédure « Habitat et Vie Sociale » pour associer les
différents opérateurs sociaux et les représentants des usagers dans la rénovation
des quartiers et la coordination des services de proximité. Devant la montée du
malaise et des violences dans les quartiers de banlieue (Us Minguettes en 1981),
le gouvernement Mauroy confie à M. Dubedout la mise en place du «
Développement Social des Quartiers » (DSQ) pour une approche globale de ce
problème de société, pour une action concertée des différents intervenants, un
brassage des groupes sociaux et la participation de la population à la gestion de
son milieu de vie. Ces mesures de développement social urbain trouveront plus
tard leur place dans la politique de la ville, ses pactes de relance et ses contrats
spécifiques. Un peu partout, l'appui aux initiatives locales économiques tait du
développement local la référence obligée pour toute demande d'aide publique.
En 1975, la DATAR inaugure la politique des contrats de pays, dont les
objectifs expriment bien ses missions: lutter contre le dépeuplement en valorisant
les ressources du pays, rechercher les solutions adaptées aux spécificités de
chaque petite région, renforcer les solidarités et la prise en charge du
développement du pays par l'ensemble des acteurs. Mais leur application va trop
souvent dériver et compromettre cette démarche prometteuse : à la rigueur
technocratique des PAR s'oppose le laxisme des contrats de pays.
Là où le contrat a été précédé d'un PAR, d'une étude sérieuse et d'une
concertation approfondie, il a favorisé l'habitude de se rencontrer, de s'ouvrir à
d'autres catégories et de faciliter une dynamique de développement local; ailleurs,
16
il a renforcé le clientélisme, le saupoudrage de subventions, la logique de guichet
et de l'assistance, des actions sans portée significative et sans lendemains.
Les lois de décentralisation de 1982-1983 ont introduit une nouvelle donne
institutionnelle, de nouvelles relations entre l'État et le développement local, mais
sans accorder à celui-ci le statut et les moyens qu'il pouvait escompter. Ces
mesures rapprochent les décideurs des réalités territoriales, mais créent plus de
confusion que de cohérence accessible aux citoyens. De nouveaux rapports
contractuels deviennent nécessaires entre les niveaux. Le rapport
Guigou-Macquart distingue et articule trois niveaux :
- le plan de la Nation en charge de l'intérêt général de l'égalité des citoyens,
(les grands équilibres),
- le plan de la Région qui élabore ses propres priorités et négocie le contrat de
plan État-Région,
- enfin le plan local, celui des bassins d'emploi, des pays, des espaces de
solidarité villes-campagnes, des agglomérations. Un comité local d'aménagement,
de planification et de développement, comprenant des représentants des
syndicats, des entrepreneurs et des associations assure, sous le contrôle des élus,
la coordination des projets locaux, contractualise avec la Région, devient ainsi
l'unité de base de la planification décentralisée. Ce niveau local ne sera pas
retenu, mais laissé à l'initiative des Régions, pour ne pas porter atteinte aux
départements.
Les chartes intercommunales de développement et d'aménagement constituent
l'apport significatif de cette décentralisation inachevée d’une démarche
ascendante y trouve une brèche importante. A la différence des PAR qu'elles
prolongent ou actualisent souvent, ces chartes s'adressent aussi bien aux villes
qu'aux campagnes, sont dominées par les problèmes économiques tout en
intégrant l'aménagement et les équipements. Surtout, ce sont les communes et
elles seules qui en décident la création, les objectifs et les moyens, qui fixent le
périmètre et le contenu par des délibérations concordantes des municipalités à
l'unanimité, le rôle du préfet étant de vérifier cette concordance, d'assurer le
contrôle de légalité et la publication de la charte. Celle-ci ne comporte pas
d'engagement financier de l'État, mais la loi fait obligation à la Région de consulter
les communes associées pour l'élaboration du plan régional.
b-L'affirmation du développement local ascendant
Un critère prévaut : le nombre d'emplois créés ou maintenus, la capacité à
apporter des solutions aux problèmes économiques, à exprimer les questions
17
d'environnement, d'intégration sociale. Économistes, sociologues, géographes
s'interrogent sur la portée et la signification des initiatives locales : réflexes de
défense de sociétés marginales condamnées, contre-pouvoirs face au système
centralisé ? Remèdes illusoires qui détournent des grands enjeux et conflits de
société ou germes pour un développement alternatif ? Mise en scène de nouveaux
acteurs pour capter les aides publiques et favoriser leur promotion ou affirmation
d'une société civile qui cherche à s'exprimer? Mode éphémère ou mouvement
social: on n'ose encore se prononcer.
Les responsables, les permanents des organismes de développement local et
des structures d'appui organisent des rencontres nationales, répercutées ensuite
par des réunions régionales, où s'affirme le mouvement :
- La première rencontre nationale des animateurs et agents de développement
en milieu rural (Melun, mars 1975) est la fête d'animateurs heureux de sortir de
leur isolement, de faire connaître leurs expériences et de crier leurs problèmes,
l'occasion de débats idéologiques sur l'autonomie des petites régions devant la
bureaucratie centralisatrice, sur les relations conflictuelles entre animateurs et
gestionnaires, sur les fonctions intégratrices ou critiques de l'animation.
- Les Assises nationales de Pays et Comités d'aménagement (Vitré, mai 1976)
organisées par le CNAR favorisent des échanges difficiles mais fructueux entre les
courants idéologiques de l'animation, du développement alternatif (tel le PSU) et
les courants politiques dominants en recherche de nouveaux modes de gestion.
Les États Généraux de Mâcon en juin 1982 marquent sans doute la naissance
officielle du développement local12. De ces débats, avec Michel Rocard, alors
ministre du plan et de l’aménagement du territoire, se dégage une conception
partagée du développement local :
- le pays est un territoire pertinent pour redécouvrir une identité collective et
des solidarités efficaces;
- le développement autocentré, ascendant et global peut être la voie permettant
au plus grand nombre de vivre et de travailler au pays;
- les structures de développement local présentent une grande hétérogénéité,
reflétant la diversité de situations et des approches;
- le pays ainsi conçu est un espace de démocratie et il a, en tant que tel, droit à
être reconnu comme espace de développement 21 »13.
12
Actes des États généraux des pays, supplément à Correspondance Municipale, n°231.
in COULMIN (P.), La dynamique du développement local, Syros, 1986.
13 Actes des États généraux des pays, Op. cit.
18
Dès sa création, l’ANDLP (Association Nationale pour le Développement Local
et les Pays) s'affirme comme une structure légère de personnes physiques
travaillant dans ou pour Ie développement, en fonctionnant comme réseau et non
selon le modèle hiérarchique et pyramidal des fédérations représentatives. Mais ce
choix entraîne l'hégémonie des permanents d'organismes au détriment des élus;
ceux-ci s'organisent à leur tour la Fédération des Pays de France. Rapidement, un
accord est trouvé qui aboutit, en octobre 1992, à la fusion créatrice de l'UNADEL
(Union Nationale des Acteurs et Structures du Développement Local), qui ne va
cesser d'agir auprès des pouvoirs publics pour faire reconnaître sa démarche
globale fondée sur des territoires et des projets.
Le développement local dans les réformes des politiques et collectivités
tenitoriales (1992...)
a-La reconnaissance des niveaux de mobilisation et de développement
Au terme d'un large débat national, la LOADT (Loi d'Orientation pour
l'Aménagement et le Développement du Territoire) ou loi Pasqua du 4 février 1995
fixe une grande ambition de reconquête du territoire, de cohésion nationale et
d'égalité républicaine, en apportant à tout citoyen, où qu'il soit, l'égalité des
chances et un égal accès au savoir. Cette loi reste d'inspiration jacobine mais
s'ouvre à des nouveaux : elle mise avant tout sur l'État et son pouvoir régulateur,
sur la réorganisation de ses services à la population, sur la redistribution de
Moyens financiers pour réduire les inégalités géographiques les plus graves,
assurer un développement mieux équilibré et plus solidaire du territoire national,
faire participer les populations aux actions conduites par l'État avec le concours
des élus locaux. Mais l'innovation majeure de la LOADT est l'introduction du pays
dans le dispositif institutionnel, non comme un découpage déterminé par les
administrations, mais comme la reconnaissance d'une réalité socio-économique
qui façonne la vie courante des habitants, d'un territoire - projet assez cohérent et
pertinent pour conduire une action globale de développement. Dans la loi Pasqua,
le pays (dolois, monbéliardais…) est à la fois le lieu où les collectivités territoriales
élaborent leur projet commun de développement, le cadre dans lequel l'État coordonne ses services et ses actions avec celles des collectivités. Ces pays sont
reconnus à l'échelon départemental, de manière souple ou vague dans leur
fonctionnement et leurs compétences.
Avec l'alternance politique de 1997, la LOADDT (Loi d'Orientation pour
l'Aménagement et le Développement Durable du Territoire) ou loi Voynet du 25
juin 1999 relève d'une autre conception, plus éprise de dynamisation sociale
19
ascendante que d'administration territoriale, d'animation des initiatives locales et
régionales que de répartition de subventions. La loi crée les agglomérations dans
les aires urbaines et renforce les pays comme fédérateurs des initiatives
ascendantes et bases des politiques contractuelles, selon le triptyque : un territoire
- un projet -un contrat. Le pays est alors reconnu comme partenaire de la Région.
b-Les avancées de l’intercommunalité.
Les lois ATR (Administration territoriale de la République), ou loi Joxe-Baylet
de février 1992, et la loi Chevènement de juillet 1999, s'inscrivent dans ces
orientations plutôt ascendantes, mais relèvent de la rationalité gestionnaire et
administrative du ministère de l'Intérieur et des organisations d'élus. Le grand
succès des communautés de commune (environ 1900 en place) est dû à quelques
principes simples :
- la libre adhésion des communes qui fixent elles-mêmes leur périmètre de
coopération, précisent les pouvoirs qu'elles transfèrent au sein de blocs de
compétences obligatoires ou optionnelles,
- l'autonomie financière de la communauté qui prélève directement l'impôt
selon les modalités qu'elle retient,
- la souplesse de l'État et des départements dans la reconnaissance de la
communauté.
La loi Chevènement de juillet 1999 tire les leçons de sept années
d'intercommunalité, simplifie les modalités de coopération et surtout organise les
communautés d'agglomération dans les aires urbaines comptant plus de 50 000
habitants autour d'un pôle de plus de 15 000 habitants. Ne subsistent plus que
trois types d'intercommunalité : les syndicats intercommunaux laissés à leurs
ressources et à leurs pratiques, les communautés de communes ou
d'agglomérations en privilégiant celles qui pratiquent la plus grande solidarité
fiscale (taxe professionnelle unique), les grandes communautés urbaines dont la
composition, les règles et les ressources sont fixées par la loi. La France de
demain se dessine : 3 500 communautés de communes, 350 communautés
d'agglomération et pays, une vingtaine de communautés urbaines. Mais d'autres
réformes s'avèrent indispensables : l'élection au suffrage universel des conseillers
communautaires qui prélèvent l'impôt, une meilleure information des citoyens à
tous les niveaux, un accès facilité aux fonctions électives, plus de clarté dans les
niveaux de compétence, une attention particulière aux structures de proximité.
20
2-LE DEVELOPPEMENT ECONOMIQUE LOCAL ENDOGENE
Pourquoi privilégier les petites entreprises pour promouvoir le développement
local ?
L’économie étant le moteur de tout développement, les collectivités publiques
locales se doivent de donner la priorité à l’accompagnement de ce développement
à l’échelle territoriale et régionale. On constate cependant qu’elles privilégient
traditionnellement les investissements visant à financer des aménagements ou à
attirer les gros investisseurs.
En Europe - dans un contexte de concurrence entre villes et territoires - les
politiques structurelles visent principalement à améliorer la capacité
(infrastructures, pôles ou « clusters ») des villes et régions à gagner la compétition
pour attirer les grandes entreprises, considérées comme les plus susceptibles de
tirer des avantages des potentialités immédiates qu’offre la globalisation.
Des nouveaux acteurs – le Brésil, la Chine et l’Inde, mais aussi les nouveaux
États-membres de l’Europe - participent à l’accélération de la globalisation et
génèrent des mouvements de délocalisations industrielles – désinvestissement –
qui obligent les villes et régions d’Occident à réagir rapidement et efficacement
pour que des activités de substitution, principalement sur des créneaux innovants
(nouvelles technologies, connaissances, sciences du vivant..) puissent prendre le
relais.
Cette politique est soutenue par les institutions nationales comme
européennes, qui mettent avant tout l’accent sur les mécanismes favorables au
développement local exogène par les subventions directes et indirectes ; par
l’harmonisation des réglementations, par la réduction des politiques protectrices,
par l’élaboration des lois, réglementations et procédures, qui répondent le mieux
aux besoins des grands investisseurs, mais qui peuvent pénaliser la compétitivité
des petits acteurs économiques. Ainsi, tant les régions métropolitaines que les
villes s’organisent pour créer et attirer davantage d’activités cognitives,
scientifiques et de services, c’est-à-dire pour faire venir des entreprises dont la
base capitalistique est importante. Les marchés de ces nouvelles activités se
définissent à l’échelle transcontinentale : ils attirent l’attention des agences de
développement, qui ignorent souvent les acteurs économiques locaux et régionaux
qui pourraient pourtant y participer, mais se trouvent souvent exclus.
De ce fait – et malgré leurs déclarations en faveur des PME – la pratique des
acteurs publics à tous les niveaux renforce souvent les désavantages structurels
des petits acteurs économiques, pourtant promoteurs du développement local
endogène.
Cette pratique contradictoire s’explique par toute une série de facteurs :
21
-La prédominance de la pensée macro-économique « globalisante» : L’action
publique prend insuffisamment en compte les dimensions microéconomiques et
méso-économiques. Elle sous estime fréquemment l’importance des petits
investisseurs dans le financement et la dynamique du développement territorial.
Pourtant la valeur de la somme des petits investissements dépasse facilement
celle des projets de tailles importantes.
-Les effets des lobbies des grands acteurs, à l’échelle locale, nationale et
européenne : ils exercent une influence sur les contenus des textes de lois et
régulations, sur les pratiques administratives, et entretiennent constamment le
dialogue avec les responsables politiques.
- À ces avantages s’ajoute une tradition de défense des « champions »
nationaux, qui, par définition, sont grands. Le mécanisme même de la subvention
publique favorise les grands acteurs : elle s’applique difficilement aux petits
projets.
- Aussi, cette méthode porte fortement l’attention des élus et responsables des
collectivités en difficulté d’abord vers l’obtention des subventions, plutôt que vers la
croissance de l’assiette fiscale locale, c'est-à-dire le développement endogène.
- L’organisation politique et comptable des collectivités locales n’est pas
structurée autour de leur action sur un bassin économique. En conséquence la
qualité et la cohérence des services souffrent d’une mauvaise gestion. Il en résulte
une importante ‘prime’ concurrentielle pour les villes capables d’une bonne gestion
intégrée de services à fort impact économique. La valeur de cette prime est sousévaluée par les élus.
Dans ce tableau, il ne reste que peu de place pour ce qui relève du
développement économique local au sens du développement endogène :
l’accumulation entre les mains des acteurs locaux de l’économie du capital, des
ressources en savoir-faire et des capacités de production.
Cette dimension territoriale est vitale pour le développement économique, or
peu de collectivités se donnent les moyens d’une politique. Ce constat amène
Marjorie Jouen, ancienne conseillère du président de la Commission Européenne,
à souligner que « sous prétexte de rationalisation, la plupart des recommandations
relatives au développement local ont été supprimées » 14 dans les versions
successives de la Stratégie de Lisbonne lancée en 2004.
14
JOUEN Marjorie, « Pourquoi le développement local endogène reste-t-il le parent pauvre des
stratégies de développement ? », en association avec Notre Europe, CNRS, Académie des
Technologies, 2007.
22
La plupart des orientations européennes 2007 – 2013 mettent ainsi l’accent sur
la « compétitivité des régions » (des premiers pays de l’Union européenne) en
réservant l’objectif de la « cohésion » aux nouveaux états membres en retard de
développement. Nous pouvons ainsi dire avec l’ancien directeur du programme
européen FAST (Forecasting and assessment in science and technology), Ricardo
Pétrella15, que la primauté des orientations économiques européennes , en visant
le renforcement des marchés internationaux, la grande entreprise nationale et
transnationale et l’accès aux capital exogène, choisit d’ignorer l’efficience des
marchés de biens et services locaux, l’accumulation et le réinvestissement de
capitaux régionaux pour le développement endogène. Et donc qu’elle admet que
se renforcent les inégalités économiques et sociales.
Selon cette perspective, l’apport des petits investisseurs, entreprises et
activités est relégué au second plan, considéré comme négligeable ou comme un
domaine résiduel de l’action publique de « réparation », où l’on classe surtout les
interventions sociales en faveur des quartiers en difficulté. Or, cette perspective
est imposée sur les régions et territoires par les politiques de subvention, qui
remplacent les recettes fiscales des territoires en désinvestissement.
Cela montre que les politiques des collectivités en matière de développement
économique endogène sont généralement peu pertinentes : rares sont les cas où
elles génèrent l’accumulation, sur leurs territoires et par les acteurs locaux de
l’économie, du capital, des ressources en savoir-faire et en capacité productrice.
En somme, leur capacité à fixer la création de richesse est faible. Là où ces effets
sont observés, ils sont plutôt le résultat de l’action des acteurs économiques qui se
passent du rôle des collectivités.
L’absence d’une politique territoriale est sans doute aussi une des explications
du peu de connaissances qu’ont la plupart des collectivités des compétences et
capacités économiques de leur tissu de petites entreprises et activités. Pourtant,
aucune économie territoriale ne peut fonctionner durablement si elle n’équilibre
pas le développement exogène et le développement endogène. Pire, les
responsables des collectivités ignorent l’importance que représente l’activité
endogène dans leur développement actuel. Car les collectivités territoriales
n’exploitent pas les informations et statistiques pouvant instruire leurs actions, qui
sont pourtant détenues – voir créées – par les différents acteurs du service public.
L’accent mis par les autorités publiques sur le développement exogène – pourtant
nécessaire – semble alors s’apparenter à une soumission irréfléchie aux seules
attentes de l’économie globale. S’adonner aux opportunités de la globalisation
semble faire abandonner trop souvent la dimension endogène du développement
15
PETRELLA Ricardo, Pour une Autre Narration du Monde, Montréal (Ecosociété) 2007
23
économique territorial. Un aveuglement qui fait perdre de vue les potentialités
économiques importantes que les collectivités pourraient mieux utiliser et
mobiliser.
Ces éléments de réflexion sont au centre du projet LCS. C’est pourquoi nous
empruntons à Fernand Braudel sa notion de trois grandes échelles des échanges,
en tension permanente16 :
- le premier niveau, celui des échanges de proximité et du troc, à
réglementation coutumière (économie de proximité) ;
- le second niveau, celui de l’économie politique, d’un marché réglementé, où la
loi impose une concurrence pour stimuler, cadrer et orienter les dynamiques
économiques selon les finalités issues des débats politiques ;
- le troisième niveau, celui des échanges qui échappent à une régulation
politique commune, et où en conséquence les marchés fonctionnent
imparfaitement du fait d’arrangements souverains ou oligopolistiques, des jeux de
pouvoir ou de la corruption.
Dans cette optique il s’agit de cadrer l’action publique territoriale par rapport
aux deux premiers niveaux, où elle se trouve souvent en relation dynamique, voire
conflictuelle avec le troisième. Cette dynamique est au cœur de la politique, car
elle se joue précisément autour des intérêts des acteurs locaux dans la régulation
des marchés, et peut mener à des frictions entre les collectivités locales et les
instances nationales et européennes.
Les cinq familles de services clés
pour un développement local
«endogène»
Khnet a identifié cinq familles de services pouvant contribuer à ce
développement endogène, grâce à l’exercice de capitalisation réalisé pour le Puca
à travers l’analyse des meilleures pratiques des villes aux États-Unis, en France,
en Allemagne et en Angleterre a permis d’identifier les cinq familles de services
publics les plus importantes pour les petits acteurs économiques :
1. les services urbains de proximité ;
2. La réglementation et le contrôle de l’application des textes ;
3. la commande et les achats publics ;
4. l’information et les systèmes d’information ;
5. la gouvernance.
16
BRAUDEL Fernand, Civilisation matérielle, économie et capitalisme, Paris (Colin) 1997. Voir également La
dynamique du capitalisme, Paris (Arthaud) 1985-1987
24
En agissant en synergie sur ces cinq domaines, les collectivités territoriales
pourraient, à terme, générer un meilleur développement de leurs territoires. La
prestation de ces services améliore la viabilité des projets économiques et réduit
les risques notamment pour les petits investisseurs. Elle peut être finement
optimisée et ciblée quartier par quartier pour créer la confiance et favoriser
l’implantation de ces petits investisseurs, ce qui a toutes les chances d’agir comme
amplificateur de l’économie locale. Les collectivités peuvent adopter les stratégies
de gestion intégrée pour harmoniser leurs prestations sans modifier leurs
compétences. Cela montre qu’une politique de services intégrée permet aux élus
des collectivités locales d’un bassin économique de venir en appui au
développement pour y générer un avantage compétitif.
Les services de proximités sont essentiels pour les petits investisseurs,
les petites entreprises et les petits commerces. Les services de proximité ont
pour objet l’embellissement, l’entretien, la sécurité, l’image et l’attractivité du
quartier. Les services urbains de proximité sont de plusieurs sortes :
- Services de sécurité et de maintien de l’ordre, lutte contre les incivilités.
- Services de propreté qui assurent l’entretien des espaces et du mobilier
public, l’enlèvement des graffitis, des ordures, l’entretien de la voirie et des
espaces verts.
- Services de communication et de « marketing » permettant d’assurer l’identité
du quartier, signalisation, éclairage public et mobilier urbain spécifiques,
événements culturels.
Le projet LCS, « Leveraging city services » (« Effet de levier des services
publics locaux »), né de ces travaux, se veut un outil interactif mis à la disposition
des collectivités pour la définition et la mise en oeuvre d’une politique visant à
promouvoir le développement du tissu économique local.
Pour ce faire, il réunit les collectivités internationales et leurs partenaires,
investisseurs, entreprises, associations et entrepreneurs pour tester, puis évaluer
et mettre en oeuvre une politique de services. Leur objectif commun est
d’améliorer la compétitivité des territoires par l’optimisation des conditions durables
de marché pour les petits acteurs économiques (réduction des coûts d’entrée sur
les marchés, nouvelles opportunités économiques, attractivité), notamment dans
les quartiers défavorisés.
Le développement économique local suppose-t-il la décroissance de la
consommation des ressources non renouvelables ?
25
Le mouvement écologiste, propose de mettre en œuvre un changement de
société et une décroissance de l’économie de différentes manières selon leurs
orientations idéologiques.
Cependant, il existe un élément commun à la plupart des écologistes c’est le
fait chercher à limiter la consommation des ressources non renouvelables, mis en
évidence notamment par l’empreinte écologique.
Avec un taux de croissance de 2% (donc très bas !) en 2000 ans, le PIB serait
de 150 millions de milliards. En 2000 ans avec seulement 7/1000 (0,7% de
croissance), il serait de un million de fois le PIB actuels ! Or, le taux de croissance
moyen dans l’OCDE, navigue plutôt entre les 3 et 5% en moyenne.
Serge Latouche, dans son livre le Pari de la décroissance préconise que nous
adoptions "8 R" : réévaluer, reconceptualiser, restructurer, redistribuer, relocaliser,
réduire, réutiliser, recycler.. qui l'amène aux préconisations suivantes. Latouche
préconise que nous adoptions "8 R". Réévaluer, reconceptualiser, restructurer,
redistribuer, relocaliser, réduire, réutiliser, recycler, à partir desquels il fait les
propositions suivantes :
1)
Revenir à l’empreinte écologique d’une seule Terre pour la France,
2)
Internaliser les coûts des transports
3)
Relocaliser la production
4)
Restaurer l’agriculture paysanne
5)
Utiliser les gains de productivité pour faire de la RTT
6)
7)
8)
9)
Produire des biens relationnels
Réduire les gaspillages d’un facteur 4
Pénaliser les dépenses de publicité
Décréter un moratoire sur les innovations technologiques17.
La relocalisation économique contre la délocalisation et la perte
d’autonomie du développement économique local
Pour l’écologie sociale, les 8 «R» formant le cercle vertueux de la construction
d'une société écologique soutenable , la réévaluation constitue logiquement la
première action et la base du processus. Toutefois, la relocalisation représente à
la fois le moyen stratégique le plus important et l'un des principaux objectifs de ce
dernier. Cela traduit en quelque sorte l'application du vieux principe de l'écologie
politique : penser globalement, agir localement.
La «relocalisation» est un thème récurrent dans les discours politiques et dans
les médias. Il s'agit incontestablement d'une aspiration assez largement partagée.
Il y a d'abord ceux qui veulent «vivre et travailler au pays», et puis plus simplement
17
LATOUCHE Serge, Le pari de la décroissance. 2006, Fayard, 302 p.
26
tous ceux qui préféreraient ne pas voir leur entreprise délocalisée dans le Sud-est
asiatique ou leur emploi supprimé pour cause de privatisation des services publics,
avec la fermeture programmée des bureaux de poste, des dispensaires, des
dessertes ferroviaires secondaires, etc.
Si, économiquement parlant, le «local» est ambigu du fait de son extension
géographique à géométrie variable - de la localité à la région transnationale, du
micro au macro, en passant par le méso, il renvoie de façon non équivoque au
territoire, voire au terroir, et plus encore aux patrimoines installés (matériels,
culturels, relationnels), donc aux limites, aux frontières et à l'enracinement.
Selon Latouche, qui est un des principaux penseurs de la décroissance et de
l’écologie sociale, « cerner l'enjeu local, c'est d'abord dénoncer l'imposture du local
lorsqu'il est accolé au développement, afin de penser sa renaissance dans un
‘’après-développement’’»18. La reconstruction sociale du territoire n'est plus alors
seulement économique mais aussi politique et culturelle. Elle participe pleinement
de l'objectif d'une société de décroissance.
Le retrait relatif au Nord du national et de ses tutelles, engendré par la
mondialisation, réactive le «régional» et le «local». On a même forgé un vocable, «
glocal », pour désigner cette nouvelle articulation entre le global et le local.
En desserrant les freins du dynamisme à la base, ce processus impulse parfois
un regain culturel qui peut provoquer des synergies économiques. Les loisirs, la
santé, l'éducation, l'environnement, le logement, les services à la personne se
gèrent nécessairement, en effet, au niveau microterritorial du bassin de vie. Cette
gestion du quotidien entraîne, de la part dune fraction de la population, exclue,
contestataire ou solidaire, des initiatives citoyennes riches et méritoires pour tenter
de retrouver une emprise sur le vécu. En Europe, mais aussi aux États-Unis, au
Canada, en Australie, on assiste à un phénomène nouveau, la naissance de ceux
que l'on a désignés comme les néoagriculteurs, néoruraux et néoartisans.
Les limites d’un développement économique local non autonome ou
dirigé de l’extérieur
On a vu fleurir ces dernières années une myriade d'associations à but non
lucratif (ou du moins non exclusivement lucratif) : entreprises coopératives en
autogestion, communautés agricoles, AMAP (associations pour le maintien d'une
agriculture paysanne), LETs (Local Exchange Trade System) et SEL (systèmes
d'échange locaux), banques du temps, temps choisi, régies de quartier, crèches
parentales, boutiques de gestion, guildes d'artisans, agriculture paysanne,
banques éthiques ou mutuelles de crédit-risque, mouvements de commerce
18
LATOUCHE Serge, le Pari de la décroissance, Fayard, 2006, p. 198.
27
équitable et solidaire, associations de consommateurs, entreprises d'insertion,
bref, toute la nébuleuse de l'économie sociale et solidaire.
Les « retombées » économiques éventuelles de ce mouvement sont
problématiques. Outre les auto-emplois, il crée surtout des emplois de services
(administratifs ou services aux entreprises), de sous-traitance ou de services de
proximité pour les résidents, que ne sont évidemment pas le résultat d'une
dynamique intégrée.
S'articulant au développement économique et au marché mondial (avec les
subsides de l'État ou de Bruxelles...), ces entreprises sont condamnées tôt ou tard
à disparaître ou à se fondre dans le système dominant estime Latouche (2006 :
199), qui est très critique sur les méfaits du développement. « Elles perdent alors
littéralement leur âme et finissent par être «instrumentalisées» par les pouvoirs
publics, par les usagers, par leurs permanents et même par leurs « militants»
bénévoles (qui y cherchent une expérience ou une formation valorisante).
À défaut d'une décolonisation en profondeur de l'imaginaire, au lieu d'inventer
un art de l'usage et de la bonne consommation de ‘’l'autre’’ elles retombent dans
les ornières du monde de la marchandise, même lorsqu'elles sont en marge du
marché » Latouche (2006 : 199).
Si le « local » émerge aujourd'hui, il est ainsi le plus souvent accolé au concept
de «développement». Il s'agit là d'un système désignant au mieux un « localisme
hétéro-dirigé », au pire le cache sexe d'un processus de désertification et de
dégradation des territoires, car l'on peut dire que nous sommes face à des
territoires sans pouvoir à la merci de pouvoirs sans territoire.
Surtout si l'économie locale est dépendante de l'implantation d'un
établissement rattaché à une grande firme. « En facilitant une gestion à distance,
écrit Jean-Pierre Garnier, à la fois décentralisée et unifiée, d'unités dispersées
dans l'espace, les nouvelles technologies de la communication permettent aux
grandes firmes de superposer un espace organisationnel hors sol dont la structure
et le fonctionnement obéissent à des stratégies d'entreprise de plus en plus
autonomes à l'égard des activités et des politiques autocentrées sur des territoires
déterminés19. »
L’hétéronomie est un obstacle au développement local
Le concept d’autonomie est cher à beaucoup. Il regroupe un ensemble
d’institutions, d’aspirations profondes du style : prise en charge de son devenir,
diminution de ses dépendances avec les mécanismes économiques que nous ne
19
Jean-Pierre Garnier, Le Capitalisme high tech, Amis de Spartacus, Paris, 1988, p.55.
28
maîtrisons plus directement, pas plus que nos représentants ou délégués directs,
créativité personnelle par opposition à l’Etat.
Toutes les personnes qui profitent en abondance des marchandises seront des
adversaires acharnés de toute reconquête d’espace d’autonomie. Elles ne voient
pas, en effet, ce qu’elles perdent dans cette accumulation, ni quelle société elle
prépare pour leurs enfants. Mais, avant de plonger dans le concept d’autonomie, il
nous faut préciser davantage son contraire : l’hétéronomie20.
Toute, société a besoin pour sa stabilité de poser un lieu extérieur à elle-même
qui lui assurera un but existentiel, un sens à sa vie. Du bouc émissaire des tribus
primitives au sacré » de la société traditionnelle, le sacré extérieur est intériorisé,
c’est l’Etat, mais aussi la science, la technique, explique Jacques Ellul 21 à la suite
de Girard.
Dès que des conflits apparaissent entre les individus au point de compromettre
l’équilibre social, la liaison de chacun à la totalité se renforce, c’est le processus de
la société hétéronome largement décrite par Y. Illich 22. Car, face au danger, les
citoyens, sentent qu’il est préférable de faire preuve de solidarité, de cohésion,
sinon ils risquent d’être majoritairement perdants.
« Au-delà de cet aspect volontiers provocateur, Ivan Illich s’est attaché à
développer une critique radicale de ce qu’il appelle-le ‘’mode de production
industriel’’. De quoi s’agit-il ? Pour lui, les hommes ont deux façons de produire ce
qu’ils estiment nécessaire ou important de produire. Ou bien ils s’y attellent euxmêmes, en produisant directement les valeurs d’usage qu’ils souhaitent, à la façon
du jardinier amateur ou du bricoleur artisan. Ou bien ils ont recours à des
marchandises produites par d’autres. L’humanité a très longtemps utilisé
essentiellement la première voie, celle qu’Illich appelle le « mode de production
autonome». Mais, pour des raisons d’efficacité, la seconde voie – le ‘’mode de
production hétéronome’’ – est devenue prépondérante depuis quelques siècles, et
omniprésente depuis quelques décennies. En apparence au moins, la division du
travail permet en effet de produire davantage, elle facilite la mise au point de
technologies performantes et la création d’objets innovants »23. Or, cette voie est
une impasse, parce qu’elle prive l’homme de sa capacité à être autonome, de « la
capacité personnelle de l’individu d’agir et de fabriquer, qui résulte de l’escalade,
constamment renouvelée, dans l’abondance des produits» (Le chômage
20
François PLASSARD, Autonomie au quotidien, Réponses à la crise ? Pratiques Sociales, Paris, 1984
ELLUL Jacques, L'empire du non-sens. L’art et la société technicienne, Paris, Presses Universitaires de
France, collection La politique éclatée, 1980.
22 ILLICH Yvan, La convivialité, in OEuvres complètes, Volume 1, Editions Fayard, 2003
23 CLERC Denis, « Ivan Illich et la critique radicale de la société industrielle », Alternatives économiques, mai
2001.
21
29
créateur)24. Il est remarquable de constater que les deux grandes idéologies de
nos sociétés modernes, le libéralisme et le marxisme qui ont toutes les deux
voulues le dépérissement de l’Etat au profit de citoyens, sont arrivées au contraire
de leur objectif : le renforcement de l’Etat et de la société hétéronome.
Il est probable que « la stabilité d’une société serait dépendante de sa capacité
à maintenir l’équilibre entre la présence de deux forces contraires, l’autonomie et
l’hétéronomie25.
Une action de développement économique locale exemplaire :
le district de Parthenay
La Gâtine est un - pays » dans le département des Deux Sèvres, structuré
autour de sa capitale Parthenay (13 000 habitants). Le district de Parthenay a
engagé depuis près de dix ans une action économique résolument volontariste.
Dans un premier temps, les élus ont cherché à valoriser l'emploi par des
apports extérieurs en utilisant l'éventail classique des interventions financières et
immobilières. Les résultats sont positifs, une entreprise américaine, Macrodyne,
société de construction aéronautique, a créé localement près de 200 emplois.
Dans un second temps, la collectivité a pris la mesure de la mutation d'un
monde rural à un monde plus industriel qu'elle était en train de vivre. Il devenait
nécessaire de mettre en relation les besoins des entreprises et les aspirations de
la population. Dès 1978, se crée le Club des entreprises de Gâtine qui regroupe
près de 200 entreprises.
A travers plusieurs rencontres, les entrepreneurs ont pris conscience de
l'intérêt qu'ils auraient à mieux se connaître pour agir en commun, s'échangent des
savoir-faire, mettent en commun des locaux et des matériels, partent ensemble à
la conquête de nouveaux marchés. L’osmose est plus forte aujourd’hui puisqu’ils
engagent des campagnes de promotion collective sans que la puissance publique
intervienne pour les y inciter.
Parmi les autres initiatives, on notera l'implantation du centre de recherche et
d’études pour les aides techniques et leur industrialisation (Créati 84). Ce centre
rassemble des industriels, des foyers pour handicapés, la collectivité locale,
l'université de Poitiers et le ministère de la Recherche. Son objet est de mettre au
point des produits sophistiqués facilitant la vie et l'autonomie des personnes à
mobilité réduite. Un tel projet crée une liaison entre le monde de l'entreprise, les
secteurs de la recherche et les acteurs du social en même temps qu'il débouche
sur une création industrielle. Ces réalisations s'inscrivent dans un projet
24 ILLICH Yvan, Le Chômage créateur, Postface à la convivialité, Paris, Seuil, 1977.
25 PLASSARD, Op. cit. p.87
30
d'animation et de partenariat global que Michel Hervé, maire de Parthenay,
exprime ainsi : « Maintenant, ce qui nous intéresse est de créer des structures qui
mettent ensemble des gens en provenance, de domaines très différents : par
exemple, mélanger les structures culturelles, sportives et économiques.
En associant ces divers aspects (…) on peut dépasser le cadre économique
traditionnel cloisonné, où les entreprises s'inscrivent dans un domaine, les
associations culturelles dans un autre, les écoles, le sport dans d'autres domaines
encore, etc. Notre objectif est de bien valoriser à la fois les besoins culturels et
l'extension
des marchés d'entreprises. Cette valorisation passe par un
développement des échanges »26.
Les propositions du développement économique local selon l’écologie
sociale
La mise en oeuvre des alternatives concrètes pour sortir de l'impasse du
développement se produit d'abord localement. Il est nécessaire de revitaliser le
terreau local, au Nord comme au Sud, d'abord parce que, même dans une planète
virtuelle, jusqu'à preuve du contraire, on vit localement, mais surtout pour sortir du
développement, de l'économie et lutter contre la mondialisation.
Un enjeu consiste à éviter que le « glocal », cette instrumentalisation du local
par le global, ne serve d'alibi à la poursuite de la désertification du tissu social.
Relocaliser, c'est bien sûr produire localement pour l'essentiel les produits
servant à la satisfaction des besoins de la population à partir d'entreprises locales
financées par l'épargne collectée localement.
Face aux dérives d'un modèle urbain centralisé dévoreur d'espace, il importe
de travailler à une «renaissance des lieux » et à une reterritorialisation 27.
Le « principe de subsidiarité du travail et de la production » formulé par Yvonne
et Michel Lefebvre, c'est-à-dire le principe de la priorité à l'échelon décentralisé.
Toute production pouvant se faire à l'échelle locale pour des besoins locaux
devrait être réalisée localement.
Un tel principe repose sur le bon sens et non sur la rationalité économique.
"Qu'importe de gagner quelques francs sur un objet, précisent les auteurs, quand il
faut contribuer de plusieurs milliers de francs, par des charges diverses, à la survie
d'une fraction de la population qui ne peut plus, justement, participer à la
production de l'objet"28. En effet, le chômage à un coût économique important.
26
PROJET n° 216, mars-avril 1989 et Entretien avec la Mairie de Parthenay.
Alberto MAGNAGHI, dans son livre Le Projet local (Mardaga, Sprimont, 2003), aborde avec pertinence et
compétence de vraies questions.
28 Yvonne MIGNOT, LEFEBVRE et Michel LEFEBVRE, Le Patrimoines du futur: Les sociétés aux prises avec
la mondialisation, L’Harmattan, Paris, 1995, p. 235.
27
31
Pour les partisans de l’écologie sociale, si les idées doivent ignorer les
frontières, les mouvements de marchandises et de capitaux doivent être réduits à
l'indispensable.
Aujourd'hui, « les activités productives locales concernent avant tout le
processus d'autoproduction : entretien urbain, services de base et de secours
réciproque, potagers urbains et marchés locaux, entretien du milieu, activités
culturelles et ludiques, activités d'autoconstruction, artisanat local. Ces activités de
proximité favorisent les échanges non mercantiles, des relations de réciprocité et
de confiance : en d'autres termes, elles permettent la création d'un espace public
fondé sur la reconnaissance et la valorisation d'un patrimoine commun, et
l'émergence de nouvelles relations évitant la clôture sur soi-même » affirme
Alberto Magnaghi29.
Pour l’écologie sociale, il faut pour cela impulser une réalisation plus complète.
C'est l'essentiel de l'activité économique et de la vie tout court qui doit être
reterritorialisé. Comment y parvenir? En internalisant les coûts externes du
transport (infrastructure, pollution, dont effet de serre et dérèglement climatique),
on relocaliserait probablement un grand nombre d'activités. Avec un coût du
kilomètre multiplié par dix, les entreprises productrices redécouvriraient les vertus
des produits et des marchés de proximité.
La relocalisation suppose d'en revenir à l'autoproductîon. L’autoproduction
énergétique est aussi un argument fort de la relocalisation. Les énergies
renouvelables comme le solaire ou les éoliennes sont adaptées à des
implantations et à des usages locaux. On évite les déperditions dues au transport
et la soustraction du sol aux usages agricoles. Avec la fin du pétrole, produire et
consommer son énergie au plus près va devenir une nécessité.
Il existe, bien sûr, toute une série d'autres moyens pour susciter la
relocalisation qui sont à leur tour des instruments et des objectifs et qui, tous, se
renforcent réciproquement. On peut songer à la réappropriation de la monnaie à
travers l'usage de monnaies locales, de monnaies fondantes ou de monnaies non
convertibles (comme les Tickets-Restaurant, les bons vacances, etc.)
Finalement, on ne peut qu'adhérer aux conclusions d'Alberto Magnaghi: "La
reterritorialîsation commence lorsque le territoire se voit restituer sa dimension de
sujet vivant hautement complexe. Elle suppose une phase complexe et longue (50
ou 100 ans?) « d’assainissement », au cours de laquelle il ne s'agira plus de créer
de nouvelles zones cultivables et de construire de nouvelles voles de
communication » au profit de la préservation de l’environnement.
29
Alberto MAGNAGHI, Le Projet local, Op. cit. p. 92.
32
L’économie solidaire est une forme de développement local
L’ambition de l’économie sociale et solidaire, c’est de créer des outils pour le
développement de l’activité de la communauté pour la communauté. Donc elle
relève du développement local. Mais il y a toujours une articulation des deux
stratégies, en ce sens que même dans un développement très autocentré, il faut
une source de financement qui permet l’achat de produits de la « grande économie
» mondialisée (des ordinateurs, des téléviseurs...). Cette source, c’est la
redistribution nationale (administration, dépenses sociales) ou les exportations
locales. Un projet de développement de pays intègrera par exemple le tourisme à
la ferme, ou la production bio et fermière de qualité. L’ambition est double : celle
du marché local mais aussi, via le tourisme et l’appréciation des productions, une
volonté exportatrice.
A Lyon, des chercheurs de toute discipline se réunissent en association pour
consacrer 5% de leur temps à des recherches appliquées multidisciplinaires au
service d'associations, de collectivités ou de petites entreprises.
Dans plusieurs villes de France, sous l'impulsion de l'ALDEA (Agence de
Liaison pour le Développement de l'Expérimentation Alternative) des clubs
d'investissements originaux se mettent en place. Au lieu d'épargner pour placer
leur argent dans des valeurs boursières, des groupes de quinze individus d'une
même localité misent leur épargne collective pour aider au démarrage d'une
expérience alternative qu'ils ont sélectionnée auparavant personnellement. Ces
expériences se poursuivent actuellement avec des organismes du même types
nommés NEF et CIGALES. Il y a aussi portent les "boutiques de gestion", qui sont
des associations d'accueil, d'aide à la maturation de micro-projets, liées à un
réseau bénévole de compétences professionnelles variées attachées à un
animateur permanent salarié. Toutes ces boutiques de gestion sont des
associations 1901 d'individus qui ont signé, le 5 décembre 1980 à Cognac, une
charte commune: « Le désir grandissant de vivre d'autres relations au travail et à
l'argent, et d'accéder à un emploi autonome, conduisent des personnes ou des
groupes à la création ou au développement d'organisations de production de biens
ou de services n'ayant pas exclusivement des objectifs économiques. Ces
personnes ou ces groupes recherchent à la fois, l'autonomie financière, un mode
de fonctionnement collectif, et/ou une activité ayant une utilité sociale. La gestion
est un outil indispensable à ces organisations, un outil qu'elles doivent être
capables à terme de maîtriser collectivement. Les boutiques de gestion s’engagent
à soutenir techniquement les promoteurs et les gestionnaires des organisations
33
décrites ci-dessus, dans une perspective d'entraide de formation à l'autonomie et
dans le respect des personnes »30.
Le développement économique local autogéré en France
L'important n'est pas forcément que ces expériences durent, mais qu'il se crée
plus de nouveaux îlots d'autonomie qu'il n'en disparaît. Notre but n'est pas d'en
faire un inventaire. Nous citerons simplement de nouveaux exemples, dans la
simple intention de montrer la gamme étendue d'expression possible de ces
pratiques sociales qui ne sont pas le fait seulement d'un milieu militant déterminé
et conscientisé.
Dans les années 70, on à observer une recrudescence d’activités économiques
fondées sur un développement autogéré. A Grenoble et à Mulhouse des citadins
se dotent d'un atelier de menuiserie en commun, à l'image des ateliers collectifs
autogérés qui fonctionnent depuis de nombreuses années à Stockholm.
A Lyon, cent cinquante citadins achètent un fonds de commerce dans une
banlieue morose et installent un bistrot librairie. Une commission sélectionne les
livres les plus intéressants, fait écrire un livre par un groupe d'enfants le mercredi
après-midi. Un groupe de bénévoles aidé d'un salarié assure la restauration et
diverses animations rencontres.
A Toulouse, un ensemble d'étudiants investisse tout un immeuble et transforme
spontanément un des appartements en appartement collectif, lieu de rencontre et
d'accueil.
A Lyon, cent cinquante individus investissent un local d'accueil et de rencontres
où les expériences de chacun sur la santé sont échangées. L'objectif est de
passer de la situation de malade spectateur de sa maladie, d'ignorant soumis à la
Science Médicale sacralisée, à la situation d'acteur critique face à l'objet de sa
maladie mieux comprise.
A Langogne, petite ville en milieu rural, deux infirmières et cent vingt usagers
montent, malgré l'hostilité des médecins et notables locaux, un centre de soins et
d'aides ménagères à domicile. Seuls les matériaux sont achetés, les travaux
représentant quelques milliers d'heures sont réalisés bénévolement.
Dans la Loire, des agriculteurs embauchent deux jeunes vétérinaires qui
partagent leur temps en visites préventives et curatives et en activités de formation
pour rendre les agriculteurs plus autonomes et plus aptes à intervenir eux-mêmes
sur les animaux malades.
30
François PLASSARD, Autonomie au quotidien, Réponses à la crise ? Pratiques Sociales, Paris, 1984, p.
120.
34
Aux portes de Lyon, treize agriculteurs et trois artisans montent une halle
paysanne, sorte de petit supermarché, pour écouler en commun leur production
agricole diversifiée... à quelques kilomètres d'une grande surface.
Dans une petite commune rurale de la Manche, les habitants font en commun
l'inventaire de leurs dépenses en énergie et des disponibilités en combustible de la
commune : bois détaillés, paille, fumier. Un digesteur à méthane est construit et la
commune passe un contrat avec les agriculteurs de livraison de plaquettes de
broussailles broyées pour le chauffage des locaux communaux.
A Chambéry, des habitants lancent sur une grande parcelle en friche une
remise en valeur de jardins familiaux avec des équipements collectifs.
A Lyon, des mères de famille montent une coopérative d'approvisionnement,
un magasin de vente seconde main d'habillement et une crêperie.
A Toulouse, des étudiants montent un garage mutuel pour réparer leur véhicule
eux-mêmes. Un après-midi par semaine un garagiste professionnel est embauché
pour donner des conseils. A Lyon, c'est la même démarche qui est effectuée par
une société coopérative ouvrière de production intitulée : "Les ateliers du temps
libre". Chaque nouveau coopérateur dispose d'outils de professionnels et de
conseils pour réparer sa voiture.
Caractéristiques des entreprises autogérées concernant la motivation
vers l’autonomie :
- L'expérience autogestionnaire reste le fait de groupes restreints où les rapports de
convivialité sont possibles, où les communications entre les individus peuvent se
faire par interpellation directe, sans passer par la délégation de pouvoir venant du
haut (hiérarchie) on du bas (élections).
- La spécialisation de chacun clans les taches est moins poussée que dans
l'entreprise classique, souvent même il y a alternance ou polyvalence dans le
travail et les responsabilités.
- Les prises de décisions et les objectifs sont discutés et pris en commun alors
que, dans le meilleur des cas, dans la société hétéronome, il y a délégation
successive (le pouvoir sur plusieurs échelons hiérarchises.
- La dimension relativement restreinte du groupe autogéré, son mode de
production et d'organisation, la plus grande proximité des bénéficiaires ou clients
des produits ou services, sont plus favorables à la présence de la "Relation" ce
niveau noble de l'information, que nous avons défini par son niveau de complexité
élevé englobant de l'incertitude, du hasard, de la surprise. Dans la société
hétéronome, seule l'information (ou presque) n'a lieu d'être qui peut être codifiée,
traitée, télématisée, informatisée ; la relation à l’autre est canalisée et sans
surprise.
35
Ainsi, ce que nous appellerons société autonome n'est rien d’autre que
l'existence de micro-sociétés hétéronomes dont la dimension permet aux hommes
de maîtriser leur lieu de vie ou de production. Parce que ce lieu de projection
collective a une signification concrète, palpable (qualité de vie, valorisation d'un
espace de vie…). La survie de la société au présent dépend d'un rapport de forces
plus équilibrées entre autonomie et hétéronomie.
Les jardins de Cocagne, un exemple de développement local
En, 1977, à Genève, une quarantaine de personnes invente les jardins de
Cocagne. En 1982, 180 citadins coopérateurs organisés par quartiers regroupés
en trois unités, embauchent deux jardiniers qui sont payés au moins pour cultiver
des légumes. Ils louent deux hectares de terrain maraîcher à dix kilomètres de la
ville. En contrepartie d'une cotisation annuelle par ménages de 460 frcs de
l’époque, ces citadins reçoivent tous les mardis pendant neuf mois leur
consommation de légumes pour la semaine.
Les deux jeunes jardiniers de l'association se déclarent enthousiasmés par la
formule :
« Sur deux hectares nous, cultivons 24 légumes différents, suivant un planning
de production décidé une fois par an avec tous les coopérateurs. Notre voisin
agriculteur cultive cinq légumes sur quatre hectares, il est obligé d'utiliser
beaucoup plus de produits de traitements. Ses légumes produits il n’est jamais sur
de pouvoir les vendre à leur prix de revient, alors que nous n'avons pas cette
inquiétude et nous avons le privilège de pouvoir prendre deux mois de vacances
par an ».
Cette activité autogérée, de dimension relativement restreinte, permet une
polyvalence. « Nous ne sommes pas uniquement des maraîchers professionnels,
mais surtout les animateurs de l'association. Nous avons aménagé un
demi-hectare de prairie et de jeux d'enfants ou les coopérateurs qui le désirent se
retrouvent le dimanche ; nous élaborons des recettes de cuisine facile sur les
légumes de saison que nous livrons, et la récolte de fraises et de framboises est
effectuée par les coopérateurs eux-mêmes. Notre voisin agriculteur a environ 30%
de déchets entre les invendus et les produits qui ne satisfont pas à la
normalisation de gestion des marchés. Nous ne connaissons pas ce problème.
Cette année si les coopérateurs avaient du acheter les légumes que nous leur
avons apportés, leur cotisation n'aurait pas dû être 460 Frcs, mais de 520 Frcs,
mais il se peut que les très mauvaises années climatiques ce rapport soit
inversé ».
36
Nous pouvons comparer ainsi la différence entre cet agriculteur chef
d'entreprise et propriétaire de son capital, et le statut de ces deux jeunes salariés
d'association. La comparaison est loin d'être aisée et met au défi toutes les luttes
idéologiques partisanes quel que soit leur bord.
Dans ce cas précis les deux jeunes jardiniers n'envient pas l’agriculteur
propriétaire de son capital et soumis aux aléas du marché, lequel marché prend de
moins en moins en compte les prix de revient réel du produit. Nos deux jeunes
jardiniers mettent en avant les qualités d'animateur qu'exige leur travail en plus de
leur compétence professionnelle maraîchère. Cette double fonction les valorise
humainement et les deux mois de vacances qu'ils prennent chaque aimée ne sont
pas neutres quant au choix de vie qu'ils ont fait.
Mais le plus important dans cet exemple n'est-il pas encore que des personnes
différentes, de milieux socio-professionnels variés se rencontrent spontanément
alors qu'elles n'auraient jamais eu l'occasion de le faire, prisonnières de leur
quotidien au sein de la société hétéronome.
Nous touchons ici le point central de notre plaidoyer sur l'autonomie : c'est à
l'articulation entre l'hétéronomie et l'autonomie que de nouvelles pratiques sociales
s'inventent parce que riches de relations. C'est à ce niveau que les individus
cessent de subir pour devenir acteurs de quelque chose qui les concerne
directement31.
31
François PLASSARD, Autonomie au quotidien, Réponses à la crise ? Pratiques Sociales, Paris, 1984
37
3-LE DEVELOPPEMENT LOCAL AU PLAN POLITIQUE
Le développement local dépend des différentes formes de régulation
politique
En 2000 on constate, qu’il y a effectivement des cas de développement local
partout dans le monde. Par exemple au Pérou, en pleine guerre civile avec le
Sentier Lumineux, dans un « barrio » très pauvre de Lima où s’est constitué un
pôle de confection qui irradie maintenant dans le monde entier. Mais ce qui reste
très majoritaire, ce sont les zones productives locales mises en place par les
transnationales sur la base de la recherche de bas salaires ou de réglementations
laxistes en matière d’environnement32.
Pour arriver à un bon développement économique local, Liepietz essaye de
montrer qu’il faut arriver à un accord, aussi conflictuel soit-il mais aboutissant à
des compromis négociés, entre quatre acteurs : les syndicats, le patronat, le
système de formation professionnelle et les collectivités locales à différentes
échelles33. L’exemple typique (et qui sera usé jusqu’à la corde) de la doctrine du
développement local des années 80, c’est l’Émilie Romagne 34: les travaux
montrent un développement local basé sur une petite bourgeoisie paysanne qui
accumule de l’argent dans la famille et dont les fils deviennent des ouvriers
qualifiés puis de petits patrons. Mais l’Émilie Romagne est une région où le Parti
Communiste organise tout, c’est-à-dire aussi les quatre acteurs précités du
développement local : une très forte cohérence politique donc, fondée par la
domination d’un parti. La même chose se retrouve plus au Nord, en Vénétie
Julienne, où la Démocratie chrétienne joue exactement le même rôle.
Nous avons là deux exemples de régions assez petites, à l’intérieur de l’Italie.
Mais la Corée du Sud, pour changer de continent et d’échelle, est l’exemple d’un
développement centré sur un bloc social promu et organisé par la dictature
militaire, qui joue exactement le même rôle et qui développe la Corée grâce à une
mobilisation de toutes les ressources de l’État et de la Société. La Corée réalisera
une transition qui, en trente ans, la hissera du niveau des Pays les Moins Avancés
jusqu’à surclasser la Grande-Bretagne35.
Donc, la notion de "local" s’entend à diverses échelles : à l’échelle
internationale, la Corée du Sud, c’est du local ; au niveau français, par exemple, le
Choletais c’est local. Le local, c’est toujours un « lieu politique » où le
développement se réalise grâce à un « prince moderne » (selon une expression de
32
BENKO G., LIPIETZ A. (dir), 2000, La richesse des régions. La nouvelle géographie socio- économique,
Paris, PUF
33 BENKO, Ibid.
34 Emilie ROMAGNE : région italienne située dans le Nord de l’Italie le long de l’Adriatique, capitale Bologne.
35 LIEPIETZ Alain, « Du développement local au développement durable, Op. cit. 2002.
38
Gramsci commentant Machiavel), c’est à dire un groupe social catalyseur des
potentialités locales. Ce prince peut s’incarner dans un groupe de journalistes ou
d’enseignants, un parti politique local, l’Église, aussi parfois… Il y a un catalyseur
politique qui permet cette négociation à quatre et donne à l’espace local une
personnalité et une ambition.
Le développement local dépend largement de la forme de gouvernance. C’est
pourquoi, des différences d’analyse doivent être apportées en fonction de la
présence ou non de l’État : la Corée n’est pas Cholet. Par sa puissance législative
et son "monopole de la violence légitime", l’État national a une capacité
d’intervention d’un autre ordre et d’une puissance supérieure à ce qu’on appelle la
gouvernance. Le mot est d’ailleurs venu de l’école de géographie humaine
californienne. Une des définitions de la « gouvernance », est celle-ci : « c’est la
capacité à forger des compromis sociaux sans utiliser nécessairement l’État
central »36.
Le développement local suppose le développement d’une démocratie,
d’un pouvoir local
La production locale se fonde également sur l’autonomie politique et
économique, c'est-à-dire l’autoproduction. Chacun de ces choix doit être posé et
débattu démocratiquement, sinon il s’agit d’une forme d’écofascisme en ce qui
concerne les éléments de relocalisation à visée écologique. La relocalisation, peut
contribuer à revivifier la démocratie locale.
Cette dernière « qui ne saurait être promu par des instances technocratiques,
nécessite de nouvelles formes de démocratie, qui favorisent l'autogouvernement
des communautés établies. La possibilité de réhabiliter et de ré-habiter les lieux ne
se réalisera que lorsque les individus qui vivent dans ces lieux pourront à nouveau
en prendre soin quotidiennement, secondés par une nouvelle sagesse
environnementale, technique et gouvernementale »37.
C’est aux citoyens de prendre le pouvoir politique pour débattre et organiser
cette production qui répondrait à leurs besoins, et... construire une société
équitable socialement et soutenable écologiquement.
La renaissance politique et culturelle du local est à la fois un objectif en soi
pour "réenchanter" la vie et un moyen pour la réalisation d'une relocalisation de
l'économie, moins comprise comme aménagement économique du territoire que
comme réenchâssement de l'économie dans la société locale. Dans la situation
36
37
LIEPIETZ Alain, « Du développement local au développement durable, Op. cit. 2002.
Alberto MAGNAGHI, Le Projet local, Mardaga, Sprimont, 2003 p. 38.
39
actuelle, selon Zygmunt Bauman, « exister localement dans un univers mondialisé
est un signe de dégradation et de dépossession sociales. Aux désagréments de
l'existence locale s'ajoute le fait que les espaces publics se situent maintenant en
dehors de la sphère locale : de sorte que les localités perdent peu à peu leur
capacité à produire et à traiter de la signification »38. C'est-à-dire donner un sens
par eux-mêmes, à leur propre production, à leur travail, à leur décision politique.
Savoir ce qui les pousse à produire un type de légume, plutôt qu’un autre, une loi,
plutôt qu’une autre.
C'est bien ce qui se passe, en effet, avec le "glocalisme". «Si nous, par
exemple, à Varanasi, nous cessions de croire que nous sommes au centre du
monde et que vous êtes périphériques, cela représenterait pour nous le suicide »
affirme Raimon Panikkar39 . En effet, il souligne le besoin des individus de se
sentir au centre du monde, pour pouvoir se développer. C’est finalement à la fois
une faiblesse et une force. Il importe donc de renverser la vapeur. Et, partant,
avant tout, de relocaliser le politique, par exemple d'inventer ou de réinventer une
démocratie de proximité. La démocratie écologique se réalisera dans le
"localisme".
Chez Takis Fotopoulos, qui a développé cette idée, le localisme se présente
presque exclusivement sous cette dimension politique, tout en étant la solution des
contradictions économiques.
La démocratie généralisée que préconise cet auteur suppose une
"confédération de dèmoï", c'est à dire de petites unités homogènes de 30 000
habitants environ. Ce chiffre permet, selon lui, de satisfaire localement la plupart
des besoins essentiels. Contrairement aux idées reçues, la taille ne serait pas un
"déterminant exclusif ni même décisif de la viabilité économique"40. "Il faudra
probablement, précise-t-il, morceler en plusieurs ‘’dèmoï’’ de nombreuses villes
modernes étant donné leur gigantisme41
On obtiendrait en quelque sorte de petites républiques de quartier, en attendant
ce réaménagement du territoire souhaité par Magnaghi. " La nouvelle organisation
politique pourrait être, par exemple, une confédération de groupes autonomes (aux
niveaux régional, continental et mondial) oeuvrant à la mutation démocratique de
leurs communautés respectives »42.
Cette utopie démocratique locale rejoint les idées de la plupart des penseurs
d'une démocratie écologique, comme l'anarchiste Murray Bookchin. " Il n'est pas
38
Zygmunt BAUMAN, Le Coût humain de la mondialisation, Hachette Littérature, 1999 p. 9.
Raimon PANIKKAR, «Alternative à la culture moderne », Interculture (Montréal), n, 77, octobre-décembre
1982, p. 15.
40 Takis FOTOPOULOS, Vers une démocratie générale, Une démocratie directe écologique et sociale, Seuil,
Paris, 2002. p. 115
41 Takis FOTOPOULOS, Op. cit. p. 215.
42 Takis FOTOPOULOS, Op. cit.. p. 243
39
40
totalement absurde, écrit ce dernier, de penser qu'une société écologique puisse
être constituée d'une municipalité de petites municipalités, chacune desquelles
serait formée par une "commune de communes" plus petites (...) en parfaite
harmonie avec leur écosystème43. « Cela rejoint la vole tracée par le mouvement
des " villes lentes " (Slow City), à la suite de celui des Slow Food. Il s'agit d'un
réseau mondial de villes moyennes qui limitent volontairement leur croissance
démographique à 60 000 habitants.
Au-delà, il deviendrait impossible de parler de " local " et de " lenteur ". On
retrouve là encore l'idée du " village urbain " de l'urbaniste L. Lyon, visant à
reterritorialiser la ville dans son espace environnant en repensant de fond en
comble les logiques d'occupation des sols44.
Le même souci anime le réseau des communes nouvelles (Rete del Nuovo
Municipio) en Italie, association qui propose des idées alternatives
d'épanouissement local et de bonnes pratiques participatives, à la base, comme
les budgets participatifs. Le réseau comprend des chercheurs, des mouvements
sociaux et beaucoup de responsables locaux provenant de petites communes,
mais aussi des entités plus importantes comme la province (département) de Milan
et la région de Toscane. L'originalité du réseau consiste dans le choix d'une
stratégie reposant sur le territoire, c'est-à-dire dans le fait de concevoir le local
comme un champ d'interactions entre acteurs sociaux, environnement physique et
patrimoines territoriaux.
Comme le dit la charte, « il s'agit d’un projet politique qui valorise les
ressources et les spécificités locales, en encourageant des processus d'autonomie
consciente et responsable et en refusant le pilotage extérieur (hétérodirection) de
la main invisible du marché planétaire ». Dans la perspective offerte, le local n'est
pas un microcosme fermé, mais un nœud dans un réseau de relations
transversales vertueuses et solidaires, en vue d'expérimenter des pratiques de
renforcement démocratique capables de résister à la domination libérale.
Autrement dit, il s'agit de laboratoires d'analyse critique et d'autogouvernement
pour la défense des biens communs explique Latouche45.
Plusieurs auteurs venus d'horizons divers se retrouvent ainsi autour de l'idée
de "biorégions" ou de pays. Pour Paul Ariès, "cette relocalisation passera
probablement par la montée en puissance de la notion de "pays" entendus comme
des unités humaines, sociales et économiquement relativement proches,
homogènes et solidaires". Il ajoute : " Nous ne devons pas seulement préserver la
43
Cité par Alberto MAGNAGHI, Le Projet local, Op. cit., p. 100.
HOMS, " Le localisme et la ville : l'exemple du village urbain " 2010.
45 LATOUCHE Serge, Le pari de la décroissance. 2006, Fayard, p. 208.
44Clément
41
variété des semences paysannes mais aussi celle des diverses façons d'être au
monde46. "
Ainsi comprise, la politique ne serait plus une technique pour détenir le pouvoir
et l'exercer, mais redeviendrait l'autogestion de la société par ses membres47.
L’agir local constitue même une voie de solution pour des impasses globales.
Utopie, dira-t-on ? Certes, pourtant, l'utopie locale est peut-être plus réaliste
qu'on ne le pense, plus réaliste que, par exemple, la perspective d'une démocratie
mondiale estime Latouche48.
Comme il est exclu de renverser frontalement la domination du capital et des
puissances économiques, il ne reste que la possibilité d'entrer en dissidence. La
reconquête ou la réinvention des commons (communaux, biens communs, espace
communautaire) et l'auto-organisation de "biorégions" constituent une illustration
possible de cette démarche'. C'est au niveau du vécu concret des citoyens, en
effet, que se manifestent les attentes et les possibles.
« Se présenter aux élections locales, affirme Takis Fotopoulos, donne la
possibilité de commencer à changer la société par en bas, ce qui est la seule
stratégie démocratique, contrairement aux méthodes étatistes (qui se proposent
de changer la société par en haut en s'emparant du pouvoir d'État) et aux
approches dites de la "société civile" (qui ne visent pas du tout à changer le
système). C'est parce que le dèmos (le peuple) est l'unité sociale et économique
de base de la future société démocratique que nous devons partir du niveau local
pour changer la Société »49. "
Dès aujourd'hui, conclut le député Verts Yves Cochet, nous devons « nous
impliquer dans la vie municipale en participant aux élections, en assistant aux
réunions du conseil, en devenant membre d'une association de Citoyens ayant
pour objectif un aspect ou un autre de la sobriété : plus de place pour la marche à
pied et les pistes cyclables, moins pour les voitures; plus de commerces de
proximité variés, moins de grandes surfaces; plus de petits immeubles, moins de
tours; plus de services proches, moins de zonage urbain, etc. »50
Dans ces conditions, selon Fotopoulos, "le grand problème d'une politique
d'émancipation, c'est de trouver comment unir tous les groupes sociaux qui
forment la base potentielle du nouveau sujet de la libération, comment les
rassembler autour d'une vision du monde commune, d'un paradigme commun
désignant clairement les structures actuelles qui ne cessent de concentrer le
pouvoir à tous les niveaux, et les systèmes de valeur qui leur correspondent,
46
Paul ARIES, Décroissance ou barbarie, Golias, Villeurbanne, 2005, p. 111.
Takis FOTOPOULOS, Vers une démocratie générale, Op. cit., p. 15.
48 LATOUCHE Serge, Le pari de la décroissance. 2006, Fayard, p. 208.
49 Takis FOTOPOULOS, Vers une démocratie générale, Op. cit., p. 241
50 Yves COCHET, Pétrole Apocalypse, Fayard, 2005, p. 200.
47
42
comme la cause ultime de la crise multidimensionnelle en cours". Il faut que "les
diverses catégories qui constituent le nouveau sujet de la libération puissent
devenir, ensemble, le catalyseur d'une nouvelle organisation sociale, qui
réintégrera la société dans la politique, dans l'économie et dans la nature" 51. La
prise de conscience des contradictions globales suscite ainsi un agir local qui
introduit le processus de changement. Voir dans la démocratie radicale et locale
ou dans la démocratie participative la solution à tous les problèmes est sans doute
excessif, mais la revitalisation de la démocratie locale constitue sûrement une
dimension de la décroissance sereine.
La stratégie de la renaissance locale ne consiste donc pas à construire et à
préserver une oasis dans le désert du marché mondial, mais à multiplier les
expériences de reterritorialîsation et à étendre progressivement le réseau des "
organismes " sains pour faire reculer le désert ou le féconder.
Latouche estime qu’il « s'agit de coordonner la protestation sociale avec la
protestation écologique, avec la solidarité envers les exclus du Nord et du Sud,
avec toutes les initiatives associatives qui vont dans le sens d'une revitalisation du
local, pour articuler résistance et dissidence et pour déboucher, à terme, sur une
société autonome participant à la ‘’décroissance conviviale’’» 52.
Les pratiques politiques des élus : du national au local
Depuis les années 80, quelle que soit l’orientation
politique
des
gouvernements, toutes les lois d’aménagement du territoire en France poursuivent
une triple finalité : réconcilier le citoyen avec la politique, réduire les inégalités
sociales et spatiales et améliorer l’efficacité des politiques publiques.
Ces lois ne peuvent être comprises qu’en abordant la mutation du contexte
idéologique et en analysant les effets des « mots de l’aménagement » sur les
pratiques individuelles et collectives. Depuis 1985, les lois de décentralisation, ont
permis l’émergence de 5 figures de gouvernements locaux, selon les
comportements et les pratiques des élus53:
a- Le local néo-jacobin avec un souverain local, dans une région, un
département voire une communauté d’agglomération ou de communes,
caractéristique du pouvoir d’un leader incontesté, disposant d’un pouvoir
hiérarchique fort, centralisé, qui a renforcé son fief. Régulièrement les élus parlent
de leur fief ; N. Sarkozy se félicitant d’être accueilli par son ami Jean-Pierre
Raffarin «dans son fief» (9 novembre 2002, Futuroscope). Dans cet espace local,
51
Takis FOTOPOULOS, Une Démocratie Générale, Op. cit., p. 244.
LATOUCHE Serge, Le pari de la décroissance. 2006, Fayard, p. 208.
53 Dans chaque région, l’État et la Région pourraient organiser une conférence annuelle de l’intercommunalité
à fiscalité propre afin d’éviter le raisonnement en îlot des élus et pour faciliter le développement de politiques
publiques transversales.
52
43
le leader crée souvent un grand parc à thème, sur l’image, les volcans, la
préhistoire…
b- Les baronnies locales ou la multiplication des féodalités, caractéristique
souvent du développement du « quatrième pouvoir » ou de l’intercommunalité à
fiscalité propre. Ce type d’espace voit les élus multiplier les « maisons », de la
pêche, de la forêt, des loups, une ferme aux bisons, une forêt ou une vallée des
singes, un château avec des aigles, une île aux serpents, un musée des modèles
réduits, un labyrinthus… On assiste à un clonage et une concurrence des projets
locaux, entre baronnies, mobilisant d’importants fonds publics sans aucune
régulation par l’État.
Ainsi, dans les espaces ruraux et périurbains, le retour en force du conseiller
général, avec l’explosion des communautés de communes sur une base cantonale
illustre ce phénomène. Ce retour se traduit parfois par une mobilisation des
acteurs et des atouts du canton mais, très souvent, l’on observe le développement
d’un comportement de clientélisme, le renforcement d’un pouvoir personnel de
type notabiliaire qui bloque les initiatives et nuit à la démocratie ;
c-Le local libéral, piloté et régulé par la demande des entrepreneurs ; dans ces
espaces, les politiques publiques oublient les préoccupations sociales et
culturelles ;
d-Le local technico-managérial, ou le pouvoir des techniciens est déterminant.
Ce pouvoir est conforté par les réseaux techniques aux autres échelles
décisionnelles, en particulier l’échelle régionale, ou la technostructure légitime la
pratique des techniciens face à l’atonie des élus locaux. Ces derniers laissent
faire, sans s’approprier la mise en oeuvre des politiques publiques. Ce sont des
territoires qui multiplient les diagnostics, les projets, les procédures, les contrats et
donc captent des subventions importantes, mais oublient le sens des politiques
publiques.
e-Le local démocratique, ou les élus favorisent la concertation à tous les
niveaux, décloisonnent les échanges, créent des espaces publics de débats, de
participation, de co-élaboration des politiques publiques. Dans ces espaces,
depuis plus de vingt ans, les initiatives individuelles et collectives, privées et
publiques, associatives et entrepreneuriales… se sont multipliées, de façon très
variable d’un territoire à l’autre favorisant un renouvellement inégal, dans l’espace
44
et dans le temps, des sociétés locales : ce foisonnement d’initiatives a donné lieu
au développement local 54.
Il ne suffit pas de transférer de nouvelles compétences aux régions, pour
réconcilier le citoyen avec la politique, et disposer de politiques publiques plus
efficaces. Le développement de l’intercommunalité en agglomération et
communautés de communes a souvent favorisé l’enfermement des réflexions des
élus en îlot, les facteurs endogènes de l’espace local étant pris en compte, sans
analyser les dynamiques spatiales à d’autres échelles.
Ce processus intercommunal favorise aujourd’hui les espaces qui disposent
des moyens intellectuels, humains, techniques et financiers de mise en oeuvre des
compétences décentralisées, mais laisse de côté de nombreux espaces urbains
ou ruraux.
Les intercommunalités qui réussissent sont caractérisées par l’édification des
politiques locales par des réseaux larges, ouverts, complexes d’acteurs.
Les espaces locaux néojacobins, de baronnies, libéraux ou technicogestionnaires confortent la république des féodalités et ne favorisent pas un
développement territorial équitable. Cette mutation doit accompagner de nouvelles
façons de faire des élus. Les élus développent trop souvent des comportements
notabiliaires, ce qui réduit fortement l’efficacité sociale des actions.
Il semble nécessaire de légiférer pour limiter le nombre et le cumul des
mandats. Les situations sont trop nombreuses où le député est maire, conseiller
général, vice-président du Conseil Général, président de la communauté de
communes, du syndicat de « pays », d’un important syndicat de travaux agricoles
(qui réalise la collecte des ordures ménagères pour la communauté de
communes), président d’une structure de gestion à l’échelle du département (eau,
électricité…) la régie d’électricité du département.
La limitation du cumul des mandats, est une condition nécessaire mais non
suffisante, elle doit s’accompagner de nouvelles façons d’être des élus, favorisée
par une formation régulière. Ces derniers doivent élaborer, en amont, la réflexion
avec les habitants, consulter, co-construire avec eux, afin que les décisions soient
partagées et aient du sens pour ceux qui utilisent les réalisations communales ou
intercommunales.
Ce vaste chantier replace « l’acteur ordinaire » au centre du processus
d’élaboration des politiques publiques et de l’action collective. Ce mouvement
pourrait favoriser le développement d’une citoyenneté localisée qui repose sur
Yves JEAN, Du développement local au développement durable : la nécessaire mutation culturelle de l’état
et des élus, p. 32-39, in CHAREF, 2005, Op. cit.
54
45
l’empathie, la civilité et la pluralité de l’espace public. Cette nouvelle approche de
la citoyenneté concerne la politique, c’est-à-dire la tension entre l’amélioration de
l’efficacité des actions et l’équité pour les habitants et les territoires, soit le besoin
d’équité sociospatiale.
Le développement de la citoyenneté localisée a été évoqué par de nombreux
auteurs, une citoyenneté qui oblige à séparer l’appartenance sociale et
l’appartenance citoyenne afin de privilégier l’individu, qui met l’accent sur
l’empathie, c’est-à-dire, la capacité à se mettre à la place de l’autre pour le
comprendre et qui s’appuie sur la civilité.
Cette multitude d’initiatives favorisant la citoyenneté active a souvent pour
origine une réaction aux effets de la mondialisation des échanges. C’est un
premier stade de reconstruction citoyenne qui intègre une vision globale au niveau
local, en prenant en compte les interactions complexes entre l’économique, le
social, le culturel, l’environnement.
Cela nécessite, d’une part, une plus grande circulation des informations pour
que les politiques publiques soient débattues et appropriées par les citoyens, en
particulier grâce à des espaces publics plus nombreux et, d’autre part, des
politiques publiques ayant pour finalité de réduire les inégalités sociales et
spatiales par une péréquation aux différentes échelles, du régional au national et à
l’Union européenne55.
Quatre thèmes à approfondir pour analyser la démocratie locale
1. les approches multiscalaires – du local au mondial – par l’observation, dans
le temps long et immédiat, des relations entre le local et l’extérieur afin de préciser
les chaînes de réseaux avec l’extérieur. Plus ces chaînes sont longues et
diversifiées, plus l’espace local est capable d’autonomie et d’innovation
économique et sociale.
Plusieurs questionnements doivent être abordés : est-ce que les modes de
développement à l’œuvre dans chaque espace observé permettent un
développement de ces espaces reconductible sur le long terme, en particulier, est
ce qu’il permet d’assurer le bien-être, pour les régions périphériques étudiées, et
un bien-être accru pour les populations dans le futur ? Comment articuler le
développement durable intra-régional, local avec un développement durable
régional, national et mondial soit les questions liées aux articulations des échelles
intra et inter-régionales ? Pour préciser cette idée, est-ce que la promotion d’un
bien-être ou d’un mieux-être des populations régionales, reproductible à long
Yves JEAN, Du développement local au développement durable : la nécessaire mutation culturelle de l’état
et des élus, p. 33- 39, Op.cit.
55
46
terme, est-elle compatible avec un développement économe en ressources
environnementales et un mieux-être au niveau global ? Ceci invite à insister sur
l’importance des régulations à l’échelle des États, entre le local et le global.
2. La réflexion sur les notions de frottements, de tensions, de conflits ainsi que
celle de l’apprivoisement du pouvoir pour devenir citoyen.
3. Une utilisation précise des termes, souvent polysémiques, tel que pouvoir,
identité, communauté, culture, local, acteur, environnement, territoire. La question
d’identité est très présente dans les discours des acteurs et il n’est pas certain que
le rapport de l’individu à l’autre, à la famille, au groupe, à la «communauté», au
temps et au territoire se pose de façon semblable dans l’ensemble des espaces
étudiés.
Enfin S. Gruzunski qui nous invite à se méfier des termes de culture et
d’identité. Ainsi : « La notion de culture entretient la croyance qu’il existerait un
ensemble complexe, une totalité cohérente, stable, aux contours tangibles,
capable de conditionner les comportements… mais cette démarche culturaliste
conduit à imprimer à la réalité une obsession d’ordre, de découpage et de mise en
forme qui est le propre de la modernité »56.
4. Le double processus de territorialisation des politiques publiques nous invite
à observer et analyser les formes du retour au local, le développement d’une
nouvelle forme de citoyenneté, localisée et articulée au global, aux enjeux
mondiaux.
La problématique environnementale favorise souvent la mise en scène d’une
citoyenneté localisée qui oblige à séparer l’appartenance sociale et l’appartenance
citoyenne afin de privilégier l’individu, qui met l’accent sur l’empathie, c’est-à-dire,
la capacité à se mettre à la place de l’autre pour le comprendre et qui s’appuie sur
la civilité.
Articuler les coopérations a l’échelle d'un territoire 57 : l’exemple de
l’Ardecod58 et d’Avicom-ci59
Comment au sein d'une même région, d'un même territoire, articuler les
différentes coopérations en présence ? Comment assurer un cadre de
concertation et d'échanges et organiser les complémentarités entre les différents
56
GRUZUNSKI (S.), 1999, La pensée métisse, Fayard, 385 p.
ALLOU Serge, DI LORETO Philippe, Coopération décentralisée au développement local urbain en Afrique,
Pratiques et débat, Les éditions du Gret, juin, 1999.
- Entretien de Philippe Lecomte, chargé de mission à l'Ardecod.
- Assises régionales de la coopération et de la solidarité internationale, 26 avril 1999.
- Programme de développement municipal et régional à Man en Côte divoire, Cuf.
58 Ardecod: Association régionale pour le développement de la coopération décentralisée, regroupant 23
communes ainsi que le Parc naturel du Haut-jura.
59 Avicom-CI: Association des villes et communes de l'Ouest montagneux, regroupant 25 communes.
57
47
acteurs du développement local ? Quelles peuvent être les spécificités de la
coopération décentralisée pour mener ces articulations ? Le cas de l’Ardecod de
Franche Comté et de l'Avicom-Cl-' de Côte d'ivoire apporte un éclairage innovant.
a-Le contexte et les enjeux
Derrière ce projet, il y a une volonté d'élargir le champ des projets de
coopération décentralisée, de ne plus réfléchir uniquement au niveau du
développement des villes mais également à l'échelle de la région. En 1986-87, le
ministère de l’environnement de Côte d'ivoire cherchait un partenaire pour
intervenir sur le Parc du Mont Sangbé. Cette demande a rencontré un écho
favorable auprès de la Diren (Direction de l'Environnement) de Franche-Comté et
du Parc naturel régional du Haut-Jura. En 1989, cette coopération est élargie par
un jumelage entre deux régions et les villes et/ou communes qui les composent :
celles de Franche-comté et celles de la région des montagnes de l'Ouest ivoirien.
Cette coopération entraîne, en 1991, la création de deux associations : l'Ardecod
en Franche-Comté et l'Avicom-CI en Côte d'ivoire.
À la suite d'une rencontre organisée à Man, qui regroupait plusieurs villes de
Franche-Comté ainsi que des bailleurs de fonds, pour présenter le projet de
coopération entre la ville de Man et de Besançon, les acteurs en présence ont
décidé de réfléchir à la mise en place de projets de coopération décentralisée au
niveau de la région. Les bailleurs de fonds (Union européenne, Coopération
française) ont vivement encouragé les différentes villes françaises et ivoiriennes
dans cette voie.
b-Les enjeux d'une réflexion et d'une action à l'échelle de la région sont
divers :
- En Côte d'Ivoire, la région Ouest sert de « test » pour la régionalisation en
cours. Un Haut Commissariat pour le développement' de la région a été constitué
spécialement pour mener cette régionalisation;
-Le regroupement de plusieurs villes de tailles différentes permet à des petites
villes aussi bien au Nord qu'au Sud de s'impliquer dans des actions de coopération
décentralisée.
- La réflexion sur un programme de développement des villes menée à l'échelle
d'une région permet de confronter des points de vue et d'articuler les actions avec
d'autres coopérations qui interviennent souvent à une échelle nationale ou
régionale (projets de l’Union européenne ou de la Coopération française).
48
La constitution d'instances régionales permet d’avoir accès à des projets et des
financements plus importants. L'Ardecod et Avicom-CI gèrent ainsi un programme
important de l'Union européenne d'amélioration de l'environnement urbain.
c-Les modalités de mise en œuvre
Les objectifs de l'Ardecod et de l'Avicom-CI sont de développer au Nord
comme au Sud :
- La capacité de concertation des villes et des acteurs (élus, techniciens,
habitants)
- La capacité opérationnelle intercommunale des villes.
Bien que constituées sur le même principe, les deux structures présentent
cependant des particularités :
- Au niveau de l’Ardecod, le conseil est constitué d'élus des différentes villes et
la structure est gérée par un permanent chargé d'assurer le suivi des projets. Les
membres du conseil sont rarement les maires des villes qui préfèrent déléguer le
suivi de ces dossiers à un adjoint. Des cadres techniques des villes participent
souvent aux réunions du conseil où ils viennent rendre compte des missions
effectuées dans le cadre de leur coopération. L’Ardecod n'a pas d'enjeux
politiques, c'est un cadre de concertation et d'échanges.
Au niveau de l'Avicom-CI, les membres du conseil sont les maires des villes. Il
n'y a pas de représentants des services municipaux. Si l’intercommunalité existe
en Côte d'Ivoire, la structure reste le jeu de tensions pour le leadership de la
région. La structure rencontre ainsi des problèmes de désaccords politiques et des
problèmes liés à la recherche de leadership pour le contrôle de la région. En effet,
pour certains élus, la structure constitue une « vitrine » pour légitimer leur pouvoir
au niveau de la région.
Les deux structures sont associées dans la gestion des dossiers. Sur des
projets qui génèrent des gros financements (cas du Fonds européen de
développement), des frais de gestion sont affectés aux deux structures. La gestion
des crédits d'investissement reste à la charge de l'Ardecod qui implique Avicom-CI
dans l'utilisation de ces crédits (la structure ivoirienne anime le projet localement
selon une méthodologie définie en commun avec l'Ardecod).
La gestion du programme européen a permis à l'Ardecod et à Avicom-CI
d'expérimenter des méthodologies et des outils de travail :
49
- définition du cadre de sélection des quartiers à équiper (il faut en priorité
toucher les personnes défavorisées, impliquer la municipalité, etc.);
- mise en place d'outils pour réaliser des appels d'offres (définition des cahiers des
charges) ;
- capitalisation au fur et à mesure de l'avancée du projet.
L’articulation du travail de tous les acteurs en charge du développement social
urbain est une fonction essentielle des municipalités. Elles ont en effet, une réelle
légitimité pour assurer cette concertation.
Sur ce programme européen, la priorité des deux structures a été d'impliquer
un maximum d'acteurs:
- État ivoirien : le comité de pilotage, constitué pour ce programme, est dirigé
par le préfet de la région qui vérifie si les aménagements prévus sont en
cohérence avec la politique ivoirienne.
- Les services d'État concernés : l'avis et l'intervention de la direction de
'Hydraulique sont sollicités pour réaliser les grosses infrastructures (service
hydraulique urbain) et les réfections des pompes (service hydraulique villageoise).
- Les autres opérateurs : tous les intervenants dans le domaine de l'eau sur la
région (bailleurs, autres coopérations, ONG, bureaux d'études, etc.) ont été
rencontrés afin qu'une bonne coordination entre les différents projets ait lieu.
L’Ardecod et l'Avicom-CI ont toujours été à l'initiative de ces rencontres et
demandeurs d'une collaboration avec les autres opérateurs, afin qu'il y ait une
harmonisation des actions des uns et des autres. Ce rôle ne leur était pas
demandé explicitement, mais dans la mesure où ils travaillent sur
l'intercommunalité et sur une gestion de projets à l'échelle de la région, il leur a
semblé évident et nécessaire d'établir ces concertations.
Cette logique d'intervention relève du rôle assigné à la commune et à la mairie
en France. Pourtant, cette fonction de coordination des actions n'est pas toujours
évidente à mener pour les maires de Côte d'Ivoire. En effet, ils sont confrontés à
plusieurs problèmes :
- manque de légitimité : les maires sont souvent encore considérés par la population
comme des représentants de l'État. Ils sont souvent vus comme «ceux qui vont mettre des bâtons dans les roues», qui vont bloquer l'avancement des projets, etc.
- préjugés de la plupart des acteurs de développement qui sont méfiants
vis-à-vis des objectifs politiques des mairies et de leurs capacités à remplir leurs
fonctions. Ainsi, ils tiennent systématiquement la mairie à l'écart des programmes.
Les intervenants du développement (ONG, bureaux d'études, opérateurs
locaux, etc.) tiennent souvent les mairies à l'écart en recherchant un contact direct
•
50
avec un quartier ou une association. Quand ils informent les municipalités, ils ont
néanmoins tendance à contourner, la municipalité dès les premières difficultés et à
se méfier des structures politiques. Les projets des coopérations bilatérale et
multilatérale sont négociés avec l'Etat et souvent des projets sont menés dans des
communes sans que le maire soit informé et consulté. Ces projets contournent
l'autorité locale en s'appuyant sur les institutions nationales.
Or, pour la coopération décentralisée, les municipalités du Sud sont les
interlocuteurs directs dont il faut appuyer et renforcer le rôle et la légitimité. De
plus, le développement communal est la pratique quotidienne des villes du Nord et
constitue le cœur de l'expérience qu'elles ont à transmettre. Elles connaissent
l'inertie des municipalités et savent que l'apprentissage de la gestion municipale
est un long cheminement. Elles acceptent ce fait, car il est pour elles impensable
de travailler autrement qu'en relation avec les communes.
d-Les intérêts et les impacts de ce type d'intervention
Le travail développé dans le cadre de l'Ardecod et l'Avicom-CI présente
plusieurs avantages :
- Ces structures ont permis à des petites villes du Nord comme du Sud d'accéder à
la coopération décentralisée et à des projets plus importants que ce qu'elles auraient
pu mettre en oeuvre seules. Sans l'Ardecod, seules deux ou trois grosses
communes franc-comtoises pourraient gérer une coopération décentralisée. Au
niveau de l'Ardecod, les villes françaises cotisent à hauteur de ce qu'elles peuvent
engager et profitent des mêmes services et échanges quelle que soit leur
participation financière.
- Toutes les villes qui se sont impliquées dans l’Ardecod affirment en retirer
énormément : plus grande ouverture, richesse des échanges, volonté de
s'impliquer à un niveau plus large, etc.
- Les projets mis en oeuvre ont permis une amélioration de la démocratie
locale et des services urbains au niveau des villes du Sud.
- Elles représentent également un atout fort pour coordonner des actions de
coopération à l'échelle d'une région et inscrire les projets de développement social
urbain dans une logique municipale. La municipalité devient le coordonnateur et
l'opérateur central du développement de la ville.
e-Les limites et les contraintes de ce type d'intervention
L’intercommunalité est un difficile aussi essentiel pour initier des opérations
d'envergure à l’échelle d’une région. Cependant, l’intercommunalité ne fonctionne
pas toujours bien en Côte d'Ivoire et la structure ivoirienne a tendance à être trop
politisée. Ainsi, en période électorale, toutes les villes ivoiriennes sont paralysées
et la structure ne fonctionne plus.
51
De plus, il est difficile de faire vivre la structure. Si les villes ivoiriennes
reconnaissent un intérêt fort à la structure pour échanger au niveau de la région,
elles ne lui donnent pas les moyens de fonctionner efficacement et de jouer son
rôle de coordination (toutes les villes ne paient pas leur cotisation et il est difficile
de salarier une personne compétente sans pouvoir lui assurer un minimum de
budget de fonctionnement). Actuellement, le travail de coordination est assuré par
un coopérant français du service national sur financement de la Coopération
française, mais cette solution ne peut être que provisoire.
Pour les maires ivoiriens, l'Avicom-CI est beaucoup plus considérée comme
une réponse à des problèmes logistiques au profit de chaque ville plutôt qu'un tout
en étant un outil moteur du développement régional.
Enfin, l'intercommunalité est un outil au service des villes quand celles-ci
rencontrent des problèmes de fonctionnement, mais il ne doit pas y avoir de
substitution d'une structure intercommunale aux municipalités. Entre autres, cette
structure ne doit pas dessaisir les villes de leurs compétences et agir à leur place.
Elle doit rester un vecteur d'initiatives et un élément moteur. L’intercommunalité
n'est également pas évidente en France. Elle demande une forte implication des
élus pour peu de compensations électives directes.
f-Conclusion sur le projet de développement local de l’Ardecod et de
l’Avicom
Les villes du Nord comme du Sud reconnaissent tirer de nombreux avantages
de l'intercommunalité et beaucoup avouent que sans la mise en place de l’Ardecod
et de l'Avicom-CI, elles ne feraient rien. Les villes échangent ainsi des points de
vue, des pratiques, des savoir-faire et travaillent sur des méthodologies
communes. Quand une ville ne sait pas comment mener un projet ou des actions,
elle trouve un cadre de concertation.
Avicom-CI est devenue en quelque sorte un label en Côte d'Ivoire et d'autres
régions commencent à mettre en place des structures équivalentes.
La coopération décentralisée a un rôle important à jouer dans l'animation de la
coordination des actions au niveau d'un territoire donné. Un exemple de l'Ardecod
et de l'Avicom-CI montre des axes de réflexions intéressants pour l'articulation des
différentes coopérations.
La mise en place de structures intercommunales permet une collaboration entre les
villes partie prenante de la coopération décentralisée et une structuration des
acteurs, en mesure alors de s'affirmer comme des interlocuteurs auprès de bailleurs
de fonds plus importants.
52
53
4-LE DEVELOPPEMENT LOCAL AU PLAN AGRICOLE
La production extensive et naturelle permet une forte productivité et
l’accès à l’autonomie.
C’est ce que nous montre le film documentaire, « Herbe » sorti en 2008,
réalisé par Matthieu Levain et Olivier Porte. Il se déroule dans la Bretagne
paysanne. Alors que des fermes se sont engagées depuis plusieurs années dans
une agriculture autonome, durable et performante, la majorité de la profession
refusent cette approche. Ce film illustre très bien, deux orientations opposées de la
production agricole. D’un côté la production extensive et naturelle et de l’autre, la
production agro-industrielle qui est intensive, productiviste, chimique, modifié
génétiquement et fortement irriguée. Cette dernière approche est le résultat de
l'industrie agro-alimentaire et du complexe pétro-chimique de transnationales, telle
Monsanto. Elle a pour objectif de vendre plus d’engrais et de pesticides qui
proviennent en large partie de la production de pétrole. Cette orientation qui s’est
fortement accélérée durant ce que l’on a appelé la révolution verte au cours de la
période 1944-1970. Mais cette dernière devrait plutôt être qualifiée de révolution
industrielle de l’agriculture, dans la mesure ou il se s’agit que de la couleur verte
des plantes et non pas du vert de l’écologique. Cette approche est encore
renforcée par le fait que les faits que les ingénieurs agronomes sont formés dans
cette optique. D’ailleurs les lobbies de l’industrie font pressions de diverses
manières afin que les ingénieurs, soient formés ainsi.
Or, ce mode de production fondé sur le pétrole et la mécanisation va devenir
de plus en plus coûteux du fait de la raréfaction du pétrole. Il a déjà un coût très
important en terme même simplement financier, car les agriculteurs de ce type
doivent emprunter aux banques privées. Ces prêts vont leur permettre d’acheter
de gros tracteurs, de grands systèmes de traites automatisées, de fabriquer de
très grosses exploitations agricoles, capables d’accueillir un gros troupeau de
vaches laitières et de les nourrir, mais aussi de stocker du mais et du soja qu’ils
produisent eux-mêmes. Ce modèle de production industrialisé, permet de produire
beaucoup, avec très peu de personnel. Cependant cela à plusieurs inconvénients.
Le premier c’est qu’il a un coût financier très important, ce qui oblige les
agriculteurs à travailler de très longues journées à un faible salaire, afin de
rembourser leurs emprunts aux banques. C’est par contre un mode de production
très rentable pour le capitalisme bancaire et pétrochimique.
A l’inverse les paysans qui ont choisi de nourrir leur troupeau avec de l’herbe
en laissant paître leur troupeau dans les prairies, n’ont pas eu besoin de faire de
prêts si importants. Le mode de production naturel et extensif peut-être qualifiée
de post-moderne, dans la mesure ou elle cherche à conjuguer certains avantages
54
de l’agriculture moderne (un petit tracteur) et de l’agriculture traditionnelle (laisser
les vaches brouter l’herbe qui pousse grâce aux seules force de la nature : la terre,
la pluie et le soleil). Ainsi, dans ce film on constate, que les salaires mensuels de
ce type de paysans sont relativement proche de ceux de l’agriculture industrialisés,
mais par contre leur salaire horaire est considérablement plus élevés, car ils ne
travaillent environ 30 à 50% de temps en moins !
André Pochon, est un agriculteur breton qui fait la promotion d’une agriculture
non productiviste. Il affirme qu’une « une prairie bien exploitée produit beaucoup
d’énergie (jusqu’à 10000 à 12000 unités fourragères/ha), et pléthore de protéines
(de 1800 à 2000 kg de matière azotée digestible). Qui donc prétend que le retour à
la prairie est le retour à l’extensif? Avec de l’herbe vous allez doubler votre
production en travaillant beaucoup moins… Le suivi des 27 exploitations par l’Inra,
et, d’une manière très pointue, des 17 fermes laitières reconverties, montre que
ces dernières ont amélioré leur revenu; le travail y est plus agréable, et la pollution
azotée est diminuée de 2/3. Quant aux pesticides, il a été impossible d’en trouver
trace à l’exutoire du mini bassin versant de Trémargat. Mais depuis cette étude qui
s’étend de 1993 à 1998, le Cedapa a fait tache d’huile. En 2002 en Côtes d’Armor,
ce sont plus de 400 éleveurs, dans le Grand-Ouest plus de 3000, qui se sont
reconvertis. Pas un seul ne voudrait revenir à sa situation antérieure. A titre
d’exemple, voici l’évolution du coût alimentaire d’un litre de lait de l’un d’entre eux,
sur deux ans:
AVANT
APRÈS
Coût des concentrés
0,25 F
0,124 F
Coût des fourrages
0,22 F
0,102 F
Total
0,47 F
0,226 F
Economie par litre de
lait
0,245 F (- 48%)
La production avec de l’herbe permet, donc de diminuer le coût de production
de 48% ! (Pochon, 2003)60. De plus le temps de travail est lui aussi presque divisé
par 30 à 50%. Cela offre donc rendement supérieur d’environ 70 à 100%. Dans
certains cas, on estime qu’un agriculteur gagnerait 10 000 Euros de plus par an en
nourrissant son troupeau de vache avec de l’herbe, plutôt qu’avec du soja et du
mais61. Cette comparaison illustre à quel point la productivité de l’agriculture
POCHON André, L’almanach des vingt ans de l’agriculture durable, Edité par la Mission Agrobiosciences,
2003. Edité par la Mission Agrobiosciences, 2003.
61 JARDINONS LA PLANETE, 2009, Vivre d’herbe et d’eau fraîche: un exemple concret de décroissance,
http://jardinons.wordpress.com/2008/11/23/decroissance-herbagere-en-pays-de-caux/
60
55
naturelle et extensive est la plus forte. C’est donc une véritable remise en cause
du dogme industriel et techniciste.
Le mode de production industriel promu, notamment par la « révolution verte »
se révèle aussi trop coûteux pour les paysans des PED. Un mode de production
plus naturel, tel que l’utilisation de l’herbe et l’usage des technologies appropriées,
comme la traction animale par exemple, semble plus soutenable. Pour la
population paysanne, qui représente encore la majorité des actifs dans le monde,
L’autre priorité consiste dans l’accès à la terre et donc au partage des terres. Or, la
pression du capitalisme et de l’industrialisation pousse au contraire vers la
concentration.
En Europe la progression de l’industrialisation dans les villes et le besoin de
main d’œuvre ouvrière a conduit l’Etat à verser des subventions au départ pour les
paysans. Ajouter à la mécanisation de la production agricole, cela a conduit à un
fort exode rural. En France le secteur primaire représente une part très faible de la
population active, par contre le nombre de chômeur, lui, augmente régulièrement
depuis au moins un siècle. On peut donc constater que la prolétarisation, et la
précarisation du monde rural ont été organisées au détriment de la classe
paysanne, qui travaillaient de manière relativement autogestionnaire et qui
représentait un pouvoir économique et politique fort en France, auparavant. Un
document de prospective nommé World Urbanization Prospects publié par l’ONU
en 2006, montre que la population rurale représentait encore plus de la moitié de
l’humanité.
« L’agriculture, qui figure parmi les plus vieux métiers du monde, continue à
être le premier employeur de la planète : 45% de la population active mondiale
travaillaient encore dans l’agriculture. Selon la FAO, que l’on peut croire à ce sujet
(plus que sur ses prospectives récentes concernant l’agriculture biologique) leur
nombre est encore appelé à progresser dans les deux décennies qui viennent.
Conservons toujours en mémoire que sur les 1350 millions d’agriculteurs de la
planète, les 2/3 sont soit chinois, soit indiens » précise Landy (2006)62.
Dans les pays industrialisés, certaines communautés alternatives, tel « Lango
Mai », font la promotion du retour à la terre, comme une solution simple, vers une
plus grande autonomie professionnelle et économique, dans la ligne du socialisme
autogestionnaire. Suivre cet exemple, dans certaines villes des PED, où il existe
un haut niveau de chômage, offriraient aussi, aux plus pauvres et aux plus
précaires des travailleurs, une plus une plus grande autonomie professionnelle et
alimentaire et pour leur pays.
62
LANDY F. 2006, Un milliard à nourrir : grain, territoire et politiques en Inde, Belin.
56
Culture Moderne
(du capitalisme
occidental technoindustriel)
Culture traditionnelle
(des peuples premiers)
Mode d'échange
(lien socioéconomique)
Recherche de
l'intérêt individuel par le
profit économique ou
symbolique (prestige)
Echange
monétaire international
Ouverture des
marchés à la loi du
plus fort
Don et contre don
matériel, symbolique et social
Troc
Méthode
de
culture
Productiviste
Intensive
Chimique,
génétique, enrichissant
l'industrie agroalimentaire
Extensive
Fondée sur l'harmonie
avec les esprits des plantes,
de la pluie…
Cueillette, chasse
(Nomadisme), culture sur
brûlis
Culture
postmoderne
(de l’écosocialisme
autogestionnaire)
Monétaire (globale)
et monnaie locale (SEL)
Economie de
proximité (pour privilégier
aussi la relation sociale)
Protectionnisme
Biologique
Culture de proximité
Rotation des cultures
57
5-DÉVELOPPEMENT LOCAL AU PLAN GEOGRAPHIQUE :
L’AMÉNAGEMENT DU TERRITOIRE
Histoire du développement local au plan géographique
La notion de développement local va être remplacée, à partir des années 1990,
par celle de territoire, qui deviendra hégémonique. Dans le langage commun, tout
devient territoire, des politiques publiques qui ont le leur comme les minorités
ethniques, les différentes espèces animales comme les tribus en Afrique ou à
l’Assemblée nationale63, les universitaires comme les élus…
Ce retour du territoire, s’inscrit dans un contexte économique et idéologique
caractérisé
par
un
phénomène
de
mondialisation
et
une
déterritorialisation/reterritorialisation accentuée de la production, des échanges,
des concentrations industrielles et financières, de la circulation accélérée des
idées, des capitaux, des marchandises, des hommes et par une volonté
individuelle d’ancrage, d’identité, d’un « besoin de territoire, d’être de quelque part
». La notion de territoire traverse les sciences sociales. Pour les géographes, le
territoire peut être défini comme un espace réel et rêvé, qui ne peut pas se réduire
ou se résumer à la seule entité géographique ; Il est produit par les acteurs et sert
de concrétisation à leurs comportements64.
Le territoire est également un espace géographique qui regroupe en un tout un
système de production, des réseaux proches, (proximité géographique) ou qui ne
sont pas présents physiquement sur l’espace local ; d’où l’importance de la
proximité organisationnelle, favorisée par les Techniques d’Information et de
Communication. Ces dernières peuvent développer des systèmes d’intenses
interactions entre agents sur une base qui n’est pas seulement territoriale.
Enfin il est un ensemble de signes, de symboles, d’images inscrites dans le
temps. Cette définition met l’accent, d’une part, sur l’importance de l’identité
historique du territoire liée au culturel, au politique, au social qui deviennent des
facteurs agissant sur les dynamiques spatiales de localisation des activités, et,
d’autre part, sur l’existence de la logique d’acteurs dans le processus de
structuration de l’espace.
Le territoire renvoie à une relation espace / société, et, en ce sens, il apparaît
comme un espace identifié. C’est une construction sociale qui se traduit, soit par
un contrôle territorial, soit par un aménagement ou une structuration de l’espace.
Cette appropriation est symbolisée par l’identification, la dénomination qui participe
à créer un sentiment d’appartenance.
63
64
Cf. ABÉLÈS (M.), 2001, Un ethnologue à l’Assemblée, O. Jacob, Paris.
Yves JEAN, Du développement local au développement durable, p. 22-31, in CHAREF, 2005, Op. cit.
58
Enfin, le territoire se spécifie par des pratiques et des représentations : c’est un
rapport collectif à l’espace et il participe à l’élaboration de comportements
spécifiques et d’images collectivement admises, qui renforcent la cohésion du
groupe. Il y a une convergence des géographes pour admettre que le territoire est
un construit social, consolidé par l’histoire, qui contribue à le fonder comme un
espace identifié, caractérisé par des pratiques et des représentations.
Le développement local et la notion de proximité
Pour les économistes, les instruments d’analyse conceptuels des dynamiques
spatiales reposent sur deux axes, selon la position théorique de la notion de
proximité :
1- Il y a la théorie qui s’inscrit dans le paradigme de l’économie régulationniste :
dans le contexte de mondialisation, la proximité géographique ne joue plus le rôle
déterminant dans la structuration spatiale.
Elle privilégie la proximité organisationnelle soit un système d’intenses
interactions entre les agents dont la base n’est pas nécessairement locale.
La notion de réseau, soit un ensemble de points géographiques interconnectés,
est centrale dans l’analyse des économistes de la régulation. L’innovation est le
fruit du comportement des agents qui entrent en interaction aussi bien dans des
réseaux locaux et dans des réseaux non locaux.
2-L’autre théorie relève plus du fonctionnalisme. C’est un « retour des
territoires » qui repose souvent sur une conception naturaliste, organique de
l’espace ou les tensions, les luttes et les conflits seraient absents ! C'est-à-dire ou
chaque acteur dispose d’une fonction, quasi-naturelle, donc le conflit, est alors pas
considéré que comme un dysfonctionnement et non pas comme la résultante,
d’une lutte des classes, à l’instar des marxistes. Ainsi, si des entreprises
s’implantent dans une zone franche, autour d’une ville, les fonctionnalistes,
considéreront que c’est avant tout pour des raisons d’espaces disponibles et
parce-que les entreprises sont nécessaires au développement organique de la
ville. Tandis que les marxistes estimeront que c’est surtout à cause du faible
niveau des taxes et des cotisations sociales que les entreprises choisissent de s’y
implanter.
Relocaliser pour refonder le local
Entendons-nous à nouveau sur les termes : la relocalisation économique
désigne un changement d’implantation géographique de tout ou partie des
activités d’une entreprise, qui a pour objectif de rapprocher les lieux de production
de ceux de consommation.
59
Elle peut aussi être définie comme le retour dans un pays développé d’une
activité qui avait précédemment été délocalisée dans un pays en développement.
« La stratégie de la renaissance locale, écrit S. Latouche dans Le pari de la
décroissance, ne consiste pas à construire et à préserver une oasis dans le désert
du marché mondial », mais bien à créer une société autonome65.
La relocalisation servira à construire l’après-capitalisme selon Latouche.
Précisons qu’elle ne concerne pas uniquement le terrain économique, mais surtout
les terrains politiques et culturels. Relocaliser, c’est bien sûr produire, transformer,
distribuer et consommer localement. Mais cela doit aller bien au-delà : c’est la vie
tout court qui doit être reterritorialisée.
Il est nécessaire de prendre en compte la raréfaction à venir du pétrole, les
coûts de transport, qui devraient devenir beaucoup plus importants, conduiront à
des relocalisations.
Cette refondation du local n’est nullement synonyme de repli sur soi ou de repli
identitaire . « L’écorégion favorise les échanges internes mais ne s’interdit pas les
partenariats », écrit Nicolas Ridoux66. Qui en effet, pourrait croire qu’une région
pourrait se suffire à elle-même, que chaque région du monde serait suffisamment
dotée pour se passer de tout échange avec ses voisines ?
Ne proposer qu’un (re)développement local ne servirait à rien, si le territoire est
à l’abandon, c’est-à-dire sans biens communs publics, et si ce territoire n’est plus
qu’un espace à gérer au service des intérêts des entreprises capitalistes, « des
territoires sans pouvoir à la merci de pouvoirs sans territoire », comme l’écrit S.
Latouche.
Favoriser la production locale, c’est poser la question de son utilité réelle, une
utilité autre que la rentabilité ;
Un vrai mouvement autour du développement local a vu le jour en France à
partir de la naissance des pays du début des années 80. Il s’agit d’une démarche
qui approfondit la notion de développement local en y intégrant des aspects
culturels, identitaires, les savoir-faire locaux et surtout qui identifie l’habitant
comme ressource.
Le mouvement des "pays" correspond en effet à la prise de conscience du
déclin de la DATAR avec la crise du fordisme, dans les années 1970. Dès la fin
des "pôles de développement" ou de la "décentralisation industrielle" (les usines
de montage parachutées à coups de primes). On comprend alors que le local doit
se développer en "comptant sur ses propres forces", en mobilisant ses propres
ressources humaines. Mais, en France, il manque une ressource importante : un
65
66
S. LATOUCHE, Le pari de la décroissance, Op. cit.
RIDOUX Nicolas. "La décroissance pour tous", Ed. PARANGON, 2006, 155 p.
60
instrument de mobilisation et de gouvernance locale d’échelle suffisante, plus
grand que les 36 000 communes héritées des paroisses. Le "pays" est une
tentative de réforme tant au niveau symbolique (avec un "nom", une personnalité)
qu’au niveau institutionnel (un lieu politique supra-municipal mais infra-régional,
pour tisser des compromis autour d’un projet)67.
Les dynamiques de pays ont un poids croissant dans l’économie marchande
globalisée (on le voit bien dans la floraison des publicités pour les sites touristiques
ou les produits "de pays"). Mais surtout elles sont l’occasion du développement
des services que les communautés locales se rendent à elles-mêmes, ce qui
représente quand même la majeure partie de l’activité humaine 68.On estime que
80% du travail d’autrui consommé par un individu est produit dans un rayon de
20km autour de lui.
Le développement géographique local face aux transports
La croissance infinie des transports permet de vivre dans un mouvement
perpétuel favorable à l’oubli de soi et au capitalisme néolibéral. La décroissance
des transports est une des clés du projet décroissant et écologiste. En particulier,
parce que la pollution liée au transport est la première cause de réchauffement
climatique. Comme l’a montré Ivan Illich au début des années 70, la voiture
individuelle est le symbole de la civilisation occidentale. Ivan Illich calculé qu’un
Américain moyen passait plus de mille six cents heures par an à sa voiture, que ce
soit en roulant ou en travaillant pour la payer. Ce dernier permet d’éviter de passer
sa vie à gagner de l’argent, pour s’acheter une voiture pour pouvoir aller travailler !
Une véritable histoire de shadoks … S’il exerce une activité professionnelle,
l’Américain moyen dépensait ainsi 1600 heures chaque année pour parcourir
10000 kilomètres. Cela correspondait une vitesse moyenne d’environ 6 km/h, soit
à peine plus que la vitesse moyenne d’un piéton (4 à 5 km/h) (Illich, 1973) 69. La
voiture a donc un rapport coût/efficacité largement plus faible que le vélo, un des
anciens symboles de la république démocratique de Chine.
Dans le modèle capitaliste et plus largement le productivisme, le transport
s’inscrit lui aussi, dans un projet de croissance mondiale infinie. L’axiome premier
de son développement est le besoin du marché et non par la rationalité écologique
et sociale. L’organisation mondiale du commerce (OMC) a pour mandat prioritaire,
la levée des obstacles au commerce et notamment des obstacles techniques. Les
dirigeants de l’OMC cherchent donc à faire disparaître, les normes sociales et
environnementales qui sont des obstacles au commerce.. De plus cette dernière
67
LIEPIETZ Alain, « Du développement local au développement durable, Op. cit. 2002.
LIEPIETZ Alain, Op. cit. 2002.
69 ILLICH Ivan, Energie et équité, Le Seuil, 1973.
68
61
s’inscrit dans le cadre de l’économie néolibérale, qui met en avant l’avantage
comparatif (Ricardo) et la division internationale du travail. Elle se fait donc l’apôtre
d’un accroissement des échanges commerciaux, des délocalisations au détriment
de la relocalisation ou du droit à certain protectionnisme permettant un
développement autonome. Ce dernier est d’ailleurs la condition préalable à
l’ouverture économique, sinon l’économie nationale risque d’être dominée les
entreprises transnationales étrangères.
A l’inverse dans les cultures traditionnelles, les moyens de se déplacer étaient
plus lents, souvent pédestre, fondés sur la traction animale ou l’usage de la voile.
Ils respectaient l'environnement et leur vitesse était plus humaine, plus proche du
rythme des pas du marcheur, qui d’une certaine façon est l’étalon premier de
l’individu décroissant. Ce dernier cherche donc une décroissance des transports
afin de réduire l’empreinte écologique individuelle, nationale et mondiale,
notamment par une relocalisation de la production. La décroissance des
transports suppose aussi de savoir retrouver le goût des vacances de proximité,
du plaisir de simple promenade dans les campagnes environnantes, plutôt que
l’exotisme systématique du bout du monde.
Les petites villes ou les gros villages sont l’avenir de l’urbanisation future. Dans
les communautés traditionnelles, les relations sociales étaient facilitées par la taille
relative des villages. Cependant, cela pouvait être aussi relativement étouffant ou
sclérosant. Seul une autonomie quasi complète, sur le plan économique, sociale
ou relationnelle permettrait d’éviter les déplacements en excès, ce qui semble
assez difficilement envisageable à présent. En effet, sur le plan de l’empreinte
écologique, l’excès de déplacement a un coût écologique important (pétrole, CO2,
métaux du véhicule…). Il en est de même pour l’idée d’avoir chacun sa maison.
Pour ces différentes raisons, notamment économique, l’humanité va
progressivement chercher à minimiser le coût écologique de son habitat et de ses
déplacements, en favorisant le développement de gros villages ou de petites villes.
Pour les décroissants, la solitude individualiste, dans des mégalopoles, sera
remplacée par plus de relations sociales, grâce à la création de réseaux sociaux
situés dans de petites villes ou des villages. Mais créer une multitude de maisons
et de villages dans les campagnes, n’est pas viable par ce que cela suppose
d’importants déplacements entre les villages et/ou la ville la plus proche.
62
Culture Moderne
(du capitalisme
occidental technoindustriel)
Mode
de transport
Localisation
de la
production
Croissance infinie
et mondialisée
Régulée par les
besoins du marché et
non par la rationalité
écologique
Spécialisation
Domination du
centre sur la
périphérie
Inégalité des
termes de l'échange
Ouverture des
marchés
Culture
traditionnelle
(des peuples premiers)
Culture
postmoderne
(de
l’écosocialisme
autogestionnaire)
Lent car pédestre,
animal, voile, mais
respectueux de
l'environnement
Décroissance
des transports visant
à réduire l’empreinte
écologique
Production locale
Echanges limités
essentiellement aux
nomades
Autonomie locale
et nationale, avant
d’échanger
Relocalisation
sélective de la
production
La mise en concurrence des territoires
La vérité du prétendu « glocalisme » est alors une mise en concurrence des
territoires qui sont invités à offrir des conditions toujours plus favorables aux
entreprises transnationales : avantages fiscaux, flexibilité du travail et de la
réglementation (ou plutôt de la déréglementation) environnementale. C'est le jeu
du moins-disant fiscal, social et environnemental et du mieux-disant économique
(en termes de subventions), un véritable encouragement à la perte de l’identité
locale.
Les initiatives, la créativité locales évoquées ci-dessus sont dévoyées,
récupérées, marginalisées dans la logique de l'économie et du développement.
Les patrimoines subsistants sont mis en coupe réglée, par exemple par un
«tourisme prédateur»70.
Latouche estime même que « le comble est sans doute atteint avec les zones
franches urbaines (ZFU) créées en France en 1996 et qui concernent 84
périphéries de grandes villes à problèmes. Il s'agit de nouveaux paradis fiscaux
dans lesquels les entreprises de moins de 50 salariés sont totalement exonérées
de charges sociales, d'impôts sur les bénéfices, de taxes professionnelles et de
taxes sur les propriétés bâties »71.
« Accolé à « développement », le « local » est tout juste, en effet, comme le
social et le durable, ce qui permet au développement de survivre à sa propre mort.
Le concept de «développement local» n'échappe pas plus que celui de
‘’développement durable’’ à la colonisation de l'imaginaire par l'économique »
selon Latouche72.
70
Luisa BONCSIO, «Paysages et sens du lieu», in Eléments, n" 100, mars 2001 : « Une réponse à la
mondialisation : le localisme ».
71 LATOUCHE Serge, le Pari de la décroissance, Fayard, 2006, p. 200.
72 LATOUCHE Serge, le Pari de la décroissance, Fayard, 2006, p. 200.
63
Le développement a détruit et détruit le local en concentrant toujours plus les
pouvoirs industriels et financiers. Ce qui s'est passé avec les banques est
révélateur. Au XIXe siècle, il y avait une foule de petites banques locales et
régionales, fortement enracinées dans l'économie de proximité. L’expansion des
banques nationales les a fait disparaître pour les remplacer par des agences qui
drainent l'épargne locale et financent la grande industrie nationale. Aujourd'hui, ce
sont les banques transnationales qui à leur tour font disparaître les banques
nationales au profit des firmes multinationales. Si l'argent est le nerf de l'économie,
la disparition des banques locales a signifié la fin de l'économie locale. Comme
l'écrivent les théoriciens de Time Dollars d'Ithaca, l'économie assure sa croissance
« en se nourrissant de la chair et des muscles qui maintiennent soudée la
société»73.
Le marché a de ce fait, progressivement marginalisé des aires importantes tant
au Sud qu'au Nord. Dans de telles zones déprimées qui survivent grâce aux
subsides, subventions, assistances, presque tout l'argent gagné sur place ou
provenant de l'extérieur est accaparé par les supermarchés et drainé hors de la
région. On débouche ainsi sur le cas limite des réserves indiennes
nord-américaines où « il ne faut que 48 heures à 75 % des dollars alloués par le
gouvernement fédéral pour s'écouler vers les villes limitrophes»74.
Pour l’écologie sociale, en France, le développement local est considéré
comme un slogan de technocrates qui est né dans les régions rurales (et à leur
propos), en particulier les zones d'agriculture de montagne, victimes du
productivisme. Le discours du développement local faisait écran au « grand
déménagement» du territoire et sa mise en oeuvre visait à faire passer en douceur
cette destruction, à mettre du baume sur les blessures et à réutiliser au mieux les
décombres... Dans les années 70, ne disait-on pas déjà que les routes construites
à grands frais, sur les crédits départementaux de l'agriculture destinés au bien-être
des paysans, sous le prétexte de désenclaver les zones rurales, servaient au
dernier agriculteur à procéder à son déménagement vers la ville et au premier
Parisien à installer sa maison de campagne dans la ferme ainsi libérée?
Supprimer une école de village, une gare ferroviaire secondaire, une antenne
médicale de campagne ou un bureau de poste dans un bourg rural au nom du
développement, de la modernisation ou de la rationalité, quelles que soient les
critiques que l'on puisse - et que l'on doit - adresser par ailleurs au système
73
E. CANE et J. RAWE, Time Dollars, Rodale Press, Ernmaus (Pennsylvanie), 1991
Perry WALKER et Edward GOLDSMITH, « Une monnaie pour chaque communauté », Silence, n, 246-247,
août 1999, p. 19.
74
64
scolaire, au système de santé ou aux services publics, c'est contribuer à la mort du
local et saboter les efforts de ceux qui résistent et luttent pour redonner sens aux
lieux.
Utiliser la créativité populaire et locale et les ressources diverses du territoire
pour tenter de le «redévelopper», comme le font certaines associations plus ou
moins bien intentionnées, signifie d'une certaine façon aller contre l'histoire et se
condamner à une impasse. « C'est bien plutôt dans le cadre d'un
‘’après-développement’’, ou d'un ‘’au-delà du développement’’, et dans la
construction d'une société de décroissance que le local peut prendre tout son
sens, celui d'une véritable et nécessaire renaissance » affirme Latouche75.
L’exemple de la régulation foncière de la ville et de la communauté
urbaine de Fribourg.
La ville allemande de Fribourg est un pôle culturel et universitaire du bassin
rhénan. Elle est gérée depuis plus de 15 ans selon les principes du
développement durable, ce qui correspond par ailleurs à une stratégie de
développement d’un pôle des technologies vertes.
La mise en oeuvre est facilitée par le fait que toutes les communes
périphériques ont été incorporées à la ville. En matière d’urbanisme, la ville a pour
objectifs : la maîtrise de la croissance urbaine, le développement de la «villenature » autant que de la ville construite, la réduction du trafic automobile, la
promotion prioritaire du développement des énergies renouvelables et le
renforcement de l’écologie urbaine. La politique de la ville repose sur la
planification du développement urbain en concertation avec les habitants. Le plan
d’utilisation du sol (FNP 2020) traduit cette volonté. Cette politique foncière
proactive vise à renforcer l’attractivité du centre-ville et des centres des quartiers.
Le plan définit les endroits réservés aux implantations commerciales en veillant à
ce que toute la population puisse bénéficier d’un accès sans voiture aux
commerces et services qui répondent aux besoins d’approvisionnement quotidien.
Il s’agit d’une politique préférentielle en faveur des petits commerces de la villecentre et des quartiers urbains. Elle consiste à restreindre le développement des
grandes surfaces qui sont rejetées vers des parcs d’activité périphériques après en
avoir extrait les «marchandises à effet d’entraînement central»; ces marchandises
sont toutes celles qui sont nécessaires à l’approvisionnement quotidien des
habitants (ce qui aboutit à n’autoriser les grandes surfaces que pour les
commerces spécialisés : meubles, jardinerie, bricolage…) Le concept « centres et
75
LATOUCHE, 2002, Op. cit.
65
marché » est fondé sur des diagnostics, établis au cas par cas. Il utilise des
critères de référence comme la localisation et le type d’implantation proposé, la
population couverte par l’implantation éventuelle et le degré d’approvisionnement
du quartier. Il a fait l’objet d’une vaste consultation de la population et des acteurs
locaux en septembre 2004 qui a abouti à jumeler ce qui relève de la régulation des
implantations de grandes surfaces et le principe de la proximité
d’approvisionnement quotidien de la population par les centres des quartiers et le
centre-ville.
Cette intégration d’objectifs économiques au droit de l’urbanisme autorise une
régulation stricte mais équilibrée des conflits d’intérêts. Elle renforce la fonction de
centre supérieur d’aménagement du territoire de Fribourg tout en rendant les
commerces accessibles en tous lieux par les transports en communs et les modes
doux («ville des courtes distances»).
Pour garantir la mise en oeuvre coordonnée du plan de développement de la
ville, la nature et la qualité des services attendus sont définies de manière
opérationnelle pour chaque direction publique. Un petit groupe d’experts
chapeauté par l’adjoint au maire effectue un suivi méthodique des actions mises
en oeuvre par chaque département en fonction de normes de qualité prédéfinies. Il
rédige un rapport d’évaluation des actions pour chaque service à l’intention du
maire, du Chef des services, des élus des arrondissements et des organisations
de la société civile. Deux fois par mois, l’ensemble des acteurs se réunit pour
analyser le déroulement des projets et identifier les dysfonctionnements à l’aide du
rapport d’évaluation. Ces réunions permettent de réagir rapidement et imposent un
suivi rigoureux des décisions.
66
6-MENER UN PROJET DE DÉVELOPPEMENT LOCAL
Introduction
La préparation de la démarche constitue un préliminaire elle-même. En effet,
elle sert à :
- formuler la demande, c'est-à-dire, principalement, vérifier l’existence d'une
demande clairement exprimée par un ou des acteur(s) économique(s) local (caux);
- vérifier l'émergence d'une volonté de faire, c'est-à-dire constater l'ancrage
dans la réalité locale de la demande ;
- mettre en place le phasage de la démarche, c'est-à dire dérouler la logistique
de l'opération.
Il existe 5 étapes majeures à suivre pour permettre le suivi la réalisation du
plan de développement local (ou territorial) :
1-Diagnostique stratégique du territoire (évaluation des besoins et potentialités)
2-Plan stratégique du projet de développement local
3-Du projet à l’action (repérage des acteurs concernés et des lieux)
4--La mise en oeuvre des actions de développement
5-Evaluation, suivi du plan stratégique général et de chaque action
1-L’ évaluation des besoins et potentialités
1.1- La formulation de la demande
a-Existence d'une demande d'intervention formulée par les acteurs
locaux
Il est nécessaire dans cette phase d'interrogation sur la préparation de la
démarche, de vérifier que le projet envisagé émane d’une demande et d’un besoin
réel.
On distingue ici l'expression de la demande d’une part et des porteurs projets
d'autre part. En effet, les acteurs qui initient sont pas forcément ceux qui
généreront.
Ainsi, en l'absence de ces relais, le projet de développement local risque de se
limiter à l'application de procédures venues de l’extérieur.
En outre, l'existence d'une demande par les acteurs locaux permet d'assurer la
mobilisation des principaux partenaires à associer et à impliquer dans la
démarche.
a-1 - Les personnes à rencontrer forment trois groupes
- Les « incontournables » :
67
Il s'agit pour la plupart de représentants départementaux ou locaux
institutionnels à rencontrer et informer de manière systématique.
- Les « utiles » :
Personnes qui peuvent donner des informations précieuses, pas tant sur eux
ou sur leur organisme que sur l'environnement économique, social et culturel du
territoire. Elles peuvent jouer un rôle-clé dans la mise en oeuvre de l'opération.
- Les « leaders reconnus » :
Personnalités économiques, sociales ou politiques, qui de par leur charisme,
leur compétence, ou leurs actions exemplaires, sont des leaders reconnus par
l'ensemble des partenaires.
b- Situer cette démarche dans le contexte du développement local
On peut retenir comme principe général qu'il n'y a pas de développement
économique s'il existe des tensions sociales, pas d'équilibre social.
c- Définir des enjeux pour le territoire
Mettre en oeuvre un projet global de développement local pour un territoire,
c'est anticiper l'avenir en esquissant les scénarii de ce que sera ce territoire dans
quinze ou vingt ans. Ainsi, il convient de dégager la finalité du projet :
- en assurant les meilleurs choix stratégiques compte tenu du contexte local,
- mettant sur pied les appuis institutionnels à partir desquels l’action va pouvoir
démarrer.
d-Parmi les facteurs de réussite internes au projet, on trouve :
d-1 - La formulation des objectifs du projet
Une démarche volontairement sélective, centrée sur un problème spécifique,
est un facteur déterminant de la cohérence du projet :restructuration d'une filière
de production, réorganisation d'une branche d'activité, remise en activité d'une
ressource ou d'un savoir-faire.
d-2 - Le dimensionnement du projet
Un projet trop petit n'a pas d'effet d'entraînement sur ses acteurs. Un projet
trop important échappe à l'emprise locale, parce qu'il nécessite des études, des
capitaux qui se négocient à un niveau sans concertation véritable avec le milieu
local. Ainsi, il y a un décalage certain dans le volume et l'ambition de la plupart des
projets.
68
Dans un site comme celui du Vigan, on se trouve dans une situation de zone
rurale à faible densité dans laquelle les ambitions tiennent plus à la conservation et
la valorisation des potentiels existants plutôt qu'au développement diversifié.
d-3 - L'équilibre économique du projet
Il s'agit en fait de vérifier l'existence d'un marché et d’une rentabilité
garantit la viabilité du projet.
qui
d-4 - La création d'avantages psychologiques
La dimension du projet n'est pas seulement économique ou technique.
Sa réussite tient aussi aux avantages comparatifs que peuvent tirer ces
acteurs. Il doit améliorer ou renforcer l'image de la collectivité qui le prend en
charge. Il doit être suffisamment fort pour que l'appartenance à la réalisation du
projet soit le signe d'une reconnaissance positive par l'environnement ou
l'occasion d'une valorisation personnelle.
1.2 Ancrage dans la réalité locale :
a- La rencontre des leaders et décideurs locaux
Un projet global de développement local implique pour réussir l’optimisation
d’un système complexe d’acteurs.
La rencontre des leaders et décideurs locaux vise-t-elle à poser les fondements
mêmes de la construction du partenariat local,
Nécessaire au projet de développement. Celle-ci peut prendre la forme de
lettre, conversation téléphonique, entretiens, réunions.
En effet, l’information préalable est destinée à :
- Enrichir le contenu de l’action
- lever ou neutraliser les blocages
- constituer de façon adapter le partenariat local.
Cette étape essentielle va permettre de vérifier l’existence d’une réelle volonté
locale et le rôle que chaque acteur peut jouer dans le dispositif envisagé.
b-Dégager les spécifiés du territoire
Cette étape permet de faire « l’inventaire de l’existant ». Pour ce faire nous
distinguerons deux grands types de ressources locales :
- Les ressources naturelles (Géologiques, psychologiques, agricoles…)
- Les ressources industrielles mortes ou « friches »
69
-
Les
ressources
culturelles
et
patrimoniales
(afin
de
le
valoriser
éventuellement)
- Les ressources liées au tissu économique
1.3 Phasage de la démarche
a- Choisir un point d'appui local
En effet, l'espace local apparaît comme un élément dynamique de
développement. Ainsi, depuis une quinzaine des territoires organisent leur
développement sur des bases
Dans le cas où l'action de développement n'a pas pour cadre géographique
une zone d'emplois déjà circonscrite, il convient de délimiter une aire
d'intervention.
Quels sont alors les points importants à prendre en considération ?
a-1 - Délimitation à partir des objectifs poursuivis :
• Quels sont les objectifs ?
• Les acteurs à mobiliser ?
• Leur localisation ?
• Leur champ de compétence et d'intervention ? Quels sont les moyens
disponibles localement ? Autres moyens pouvant être réunis champ d'intervention
?
Un secteur géographique sera retenu dès lors que le champ d'intervention de
telle ou telle structure, ou de tel ou tel secteur, apparaîtra comme déterminant.
Les zones ainsi délimitées sont superposées dans un premier temps, afin
qu'apparaisse une zone commune -dite d'action prioritaire, qui ne doit pas
cependant se résumer au plus petit commun multiple.
a- 2- Prise compte de la géographie économique locale
Quelques critères simples peuvent contribuer à appréhender cette dimension :
- Le relief de la géographie physique et climatique
- Les moyens de communication existant,
- Le ou les pôles d'attraction avec leur évolution récente et future, évalués en
terme de :
- trajet domicile-lieu de travail,
- d'attraction commerciale (zone de chalandise),
- de déplacements pour les loisirs, d'échanges et de relations commerciales
pour les entreprises, etc.
70
- La prise en compte des habitudes locales (manifestations diverses),
- L’appréhension des flux de la main-d’œuvre, et des échanges commerciaux
avec les aires géographiques environnantes.
En confrontant la zone d'équilibre naturel ainsi délimitée aux aires des
différents acteurs et à la zone d'action prioritaire, les éléments qui permettent de
choisir la zone d'action sont rassemblés.
Ce pendant, l'espace est une réalité vivante, en mouvement, ses frontières
peuvent évoluer, car il est simultanément :
- un espace perçu par les habitants : « le pays »,
- Un territoire d'échanges : la zone d'activité et d'emploi,
- et lieu d’intervention, celui des structures et des élus,
b- Définir les étapes de la démarche
Nous proposons ici de retenir quatre phases successives indispensables à la
réalisation du projet développement local.
b- 1-En premier lieu la phase de diagnostic. Il s'agit en fait de la conclusion de
la réflexion sur la faisabilité du projet qui vérifie l'ancrage du projet dans la réalité
locale avec les moyens adéquats et une demande identifiée. Ce diagnostic est
nécessairement étayé par une étude (ou plusieurs) concernant le site. Le
diagnostic doit pouvoir être renouvelé périodiquement
Le diagnostic doit produire des conclusions qui mènent à la formulation d'un
projet. Un tel projet doit être porté par une structure d'animation.
b-2-Cette seconde phase est une dynamique de mobilisation et de partenariat.
Il s'agit de passer d'une idée portée par un ou quelques acteurs à un processus
concret, porté par l'ensemble des acteurs concernés. Autrement dit, la phase
d'animation doit permettre la mise en place d'une structure-pivot » qui va porter le
projet et servir d'interface entre les différents acteurs.
Cependant, la création de cette « structure-pivot » ne doit pas être considérée
comme un but en soi. Pour qu'il y ait dynamique de développement local, les
acteurs concernés ne peuvent pas se contenter de déléguer une légitimité pour
l'action à une structure.
b-3-Une troisième phase est nécessaire, c'est celle de la validation ou encore
approbation/appropriation du projet par l'ensemble des acteurs. Les procédures de
validation sont multiples (rédaction de livre blanc, enquêtes locales, travail en
71
commission…). Cette 3e phase est beaucoup plus rarement existante. Elle est
pourtant très importante dans l'esprit même du développement local, dans la
mesure où cette phase illustre la démocratie locale, c'est à dire la capacité
d'expression individuelle de chaque acteur vis-à-vis de projets à taille humaine, et
qui le concernent directement. Cette phase doit se renouveler périodiquement pour
lui apporter les infléchissements rendus nécessaires par l'évolution de l'économie
locale.
b-4-Enfin, la mise en oeuvre et son suivi constituent la dernière phase de
l'action d'engagement du projet. La mise en oeuvre n'est pas seulement le
déclenchement des actions décidées dans le cadre du projet. Cette phase contient
également l'exigence de suivi. C'est là où le Comité de pilotage (ou la
structure-pivot) peut vérifier la cohérence des actions dans divers domaines
(habitat, entreprise, aménagement, formation, etc.).
Le suivi consiste à s'assurer de l'exécution effective des actions décidées, de
leur conformité au projet, mais aussi permet de proposer des rectifications
éventuelles.
C- De la négociation à la contractualisation
Prendre en compte le rapport de force politique et la condition la plus délicate à
évaluer. En effet, sur le principe, il n'est pas rare de voir des élus de sensibilités
politiques différentes collaborer sur des projets de développement local.
Cependant les rivalités politiques ou plus généralement de pouvoir, peuvent
bloquer une situation. En outre, il n'existe pas de projets qui puissent se faire
contre l'assentiment des principaux élus (communaux et départementaux).
La recherche du consensus est un processus de concertation entre les
principales forces politiques et institutionnelles. Ainsi un projet peut pas non plus
réussir contre un pouvoir institutionnel fort.
Des retards dans la réalisation des actions ont pu être constatés faute de
consensus et d'accord politique dans la vallée, de l’Ondaine par exemple. La
singularité d'Argenteuil dans le département du Val-d'Oise et dans la région est
renforcée par l'isolement politique des communes communistes dans une
assemblée départementale à majorité
de droite. Ainsi s'explique
qu'Argenteuil-Bezons ait fonctionné très tôt de façon relativement autonome, en
constituant ses propres outils. Cette situation a conduit le pôle d’Argenteuil à se
tourner vers Gennevilliers, qui, en 1982, représentait une des communes a ayant
le plus d'échanges domicile-travail, et a fait alliance dans le cadre d'une charte
72
avec les communes voisines des Yvelines, Houilles et Sartrouville, séparées par la
simple frontière administrative du département.
La capacité à ancrer le projet dans l'intercommunalité constitue une clé
d'articulation entre le rôle du leader et la recherche du consensus. En effet, audelà des coopérations « forcées » tels les travaux d'assainissement, les projets
intercommunaux posent souvent des problèmes d'évaluation de la participation.
Chaque fois que des structures locales, mieux appropriées pour faciliter le
dialogue, ont relayé les politiques nationales dans les domaines de l'emploi et du
développement économique, on a constaté une optimisation sensible des moyens
mis en oeuvre. En effet, la déconcentration des moyens et la maîtrise de leur gestion par des organismes partenariaux locaux permettent une sensibilisation et un
réel investissement des partenaires socio-économiques, même si les orientations
globales restent indispensables pour fixer le cadre des engagements de l'Etat.
D'où la naissance et le développement des Comités de Bassin d’Emplois (CBE).
2-La pertinence et la connaissance du territoire
Le diagnostic du territoire a pour objectifs :
- de rassembler tous les éléments d'informations sur le bassin considéré,
- d'évaluer les atouts et les handicaps du territoire,
- de faire ressortir des pistes de recherches ou d'opportunités pour le futur
projet global de développement local,
- de faire émerger des leaders qui seront en mesure d'animer les groupes
d'actions, appelés à travailler sur les pistes ou opportunités,
- d'initier ou de développer un processus de partenariat impliquant l'ensemble
des acteurs économiques locaux.
2-1-Connaître le milieu local
a- L'analyse socio-économique
Il s'agit de réunir les données principalement sur :
- l'emploi, la qualification, - le parc d'entreprises et son évolution,
- l'épargne et la fiscalité,
- les équipements communaux et départementaux,
- les études économiques récentes.
Il s’agit aussi de distinguer l'analyse de base, qui permet de distinguer les
tendances lourdes du bassin d'emploi, d'une analyse plus fine sous-tendue par
l'objectif poursuivi : l'analyse finalisée.
73
Quelle,,, que soient les sources d'informations disponibles, l'INSEE notamment,
il est essentiel d'aborder l'analyse par un choix pertinent de questions 76. Voici
quelques exemples de questions, concernant un projet de développement
économique local :
QUESTIONS
INFORMATIONS
NÉCESSAIRES
SOURCES
Quelle est la
composition de
la population
active ?
*Dernière structure
connue de la population
active par sexe, âge,
nationalité, chômeurs.
*Taux d'activité des
femmes et des hommes
par âge.
*Le rapport actifs/inactifs.
* Recensement de la population.
* Eventuellement enquête
emploi local à mettre en oeuvre.
* Données plus récentes
(annuelles) mais partielles
(ASSEDIC).
Quelle est
l'évolution de la
population
active ?
*Les informations cidessus une dizaine
d'années auparavant.
*Evolution de la population
locale, des naissances et
décès et du solde
migratoire
depuis dix ans.
*Origine et destination des
migrants de la zone par
rap-port à l'extérieur avec
indication de leur âge.
* La part des femmes
dans l’accroissement de la
population active.
* Les deux recensements de
la population précèdent.
Origines de
l'évolution,
notamment
diminution ou
augmentation de
la population
active dans la
zone ?
* Derniers recensements de
la population. Statistiques naissances et décès.
Indicateurs annuels d'évolution de la population
totale (nombre d'abonnés domestiques à EDF /
nombre d'assujettis à la taxe d'habitation).
* Recensement de la population.
D’autres questions sont à envisager :
- La répartition des emplois ?
- La population active trouve-t-elle du travail sur place ?
- La nature et l’importance des exploitations agricoles
- Comment à évolué le tissu économique des derniers mois et depuis 10 ans ?
- Quel est le poids du secteur public ?
- Quel est la part des emplois de production dans l’industrie et le tertiaire ?
- Quelle est l’importance des emplois saisonniers ou temporaires ?
- Quelle est le devenir professionnel des jeunes qui trouvent un emploi dans la
zone ?
76
D'après le « guide de l'action économique locale : concept et méthodes
pour entreprendre », DATAR, Syros, 1987.
74
En outre, télématique et services aux entreprises se développant un peu plus
chaque jour, il nous paraît utile de compléter la connaissance d'un territoire en
utilisant quelques services Internet et fiables. Nous avons retenu entre autres :
- EURIDILE : infos légales sur les entreprises immatriculées au RC.
- FICPLUS - fichier d'entreprises classées par noms, produits, activités.
- SIRENE : répertoire national des entreprises,
- SOCRATE : chambre syndicale des sociétés d'études et de conseils.
- INSEE.
- Répertoire de sociétés, bilans de sociétés…
b- Situer le territoire dans son environnement
Positionner le territoire dans son environnement consiste à restituer aux
acteurs locaux dans une note de synthèse les éléments de l'analyse
socio-économique ci-avant.
Cette synthèse reprendra notamment les points marquants suivants :
- situation géographique du territoire,
- évolution et structure de la population,
- agriculture,
- industrie et services,
- emploi et qualification,
- revenus.
2-2- Identifier les potentialités économiques de développement
a- Repérer les forces et faiblesses du territoire
a-1-Le repérage de la nature des forces et des faiblesses du territoire est
permis par :
- Le profil de développement qui émerge des données économiques recensées
antérieurement,
- La connaissance qu'ont les divers acteurs de leur territoire. En effet, une
enquête d'intérêt général auprès des élus permet d'explorer les ressources
locales.
Un questionnaire, mis au point par le Parc Naturel Régional du
Haut-Languedoc, a eu pour objectif d'initier les élus des communes rurales, à
prendre en compte le potentiel existant, et à mettre à la disposition des,
techniciens une information rendant compte le plus finement possible du
fonctionnement de l'économie locale, de son évolution et de ses potentialités.
75
a-2-Analyse générale de l'activité économique
- Recensement des entreprises, avec pour chacune le nom Lie l'entreprise, ses
principales caractéristiques (secteur d'activité, taille, âge et origine du chef
d'entreprise, année de création et les opportunités éventuelles qu'elle pourrait
offrir.
-Le recensement peut être fait en distinguant les entreprises en voie
d'expansion, arrivant à succession dans les années à venir, connaissant des
problèmes (en précisant les difficultés), nouvellement créées (en précisant les
opportunités de création), ayant fermé récemment (en précisant les raisons de la
cessation d'activités et leur durée de vie).
-Recensement des manques ou insuffisances d'activités en matière de
services, commerces, artisanat, professions libérales, autres domaines.
-Personnes ressources pouvant apporter soit des informations, soit une
assistance technique, soit des moyens financiers, soit de l'activité en sous
traitance, soit une mise en relation avec débouchés.
On cherchera à repérer les personnes, et ce qu'elles sont susceptibles
d'apporter régulièrement, auprès des catégories suivantes :
- Personnes originaires de la commune ou ayant des attaches et exerçant des
responsabilités importantes ou ayant beaucoup d'argent, personnes de la
commune ayant un savoir-faire particulier (métier traditionnel ou activité nouvelle),
-Personnes de la commune ou originaires ayant des moyens financiers ou
susceptibles de participer au capital d'une société, entrepreneurs à contacter ayant
des idées et une bonne capacité de réalisation, centres de formation
professionnelle, d'apprentissage, lycées techniques...
a-3-Matières premières, ressources et axes d'opportunités de valorisation
Une identification des ressources et des opportunités de valorisation qui
peuvent s'envisager se fera par types de ressources : agricoles, bois,
sous-produits, patrimoine, sites...
a-4-Idées d'activités
On cherchera à faire exprimer très librement toutes les idées d'activites
possibles en distinguant, pour chacune, les potentialités locales sur lesquelles
s'appuyer : savoir-faire locaux, besoins en services (les habitants et événements
particuliers, patrimoines locaux : naturel, culturel, bâti, capacités immobilières, etc.
76
a-5-Infrastructures d'accueil
Dresser un inventaire des infrastructures d'accueil en terrains, bâtiments, fonds
de commerce et autres est un exercice souvent peut pratiqué et ouvre parfois des
perspectives. On notera pour chaque infrastructure d'accueil inventorié :
-sa nature et son utilisation actuelle,
- ses caractéristiques,
- ses atouts et vocations,
- son propriétaire et sa disponibilité.
a-5-Aides pouvant être apportées par la commune
Ce peut être des locaux, infrastructures, recherches d'opportunités, de
créateurs potentiels, de main-d'oeuvre, mises en relation, aides financières et
fiscales, logements etc.
b- Apprécier les initiatives et réalisations existantes
Il s’avère que le développement local ne doit produire systématiquement du
neuf, avant d'avoir tenté de concrétiser ou d’améliorer des projets existants.
Ainsi, pour ce faire des fonds d'aide ou d'appuis aux initiatives locales existent.
Cependant, il s'agit essentiellement de fonds d'aides institués par l'Etat et gérés à
l'échelon régional. Ils n'ont pas toujours la souplesse, la rapidité et la bonne
perception du projet dans son environnement, qui s'imposent pour guider un
projet.
En effet, il y a besoin de fonds d'aides d'études de faisabilité afin d'apprécier la
pertinence des initiatives existantes sur un territoire donné. Ces fonds peuvent se
constituer et se gérer à l'échelon local. Ils constituent ainsi des outils bien adaptés.
Une tentative de ce type avait été imaginée dans les vallées de
Durance-Bléone durant les années 80; du reste, un programme existe au niveau
de la Fédération des Parcs Naturels en France.
2-3-Les éléments de la stratégie d’action
a- La demande de construction stratégique
La pertinence d'une démarche de construction stratégique suppose de bien
identifier et d'apprécier :
- la logique selon laquelle la stratégie sera progressivement élaborée, - la façon
dont les problèmes à résoudre ont été perçus et posés par ceux qui s'engagent
dans l'opération,
- les sources et la fiabilité des informations collectées.
77
Nous proposons ici, ce qu'on pourrait appeler une grille d'analyse stratégique,
qui doit beaucoup à une note de travail que Yves janvier, ingénieur-conseil a
rédigée pour le compte de la DATAR. Voici quelques éléments de diagnostic
dominants sur :
- L'environnement local
- L'identité de la zone
- La notoriété de la zone
- Les possibilités d'accueil
-Les possibilités commerciales
- Quelles sont les ressources locales à valoriser ?
Les perspectives de valorisation de la ressource
Les possibilités de définir un pré-diagnostic des ressources locale.
- Les compétences disponibles
- Les partenaires
- Les compétences à rassembler
- Les candidats entrepreneurs
- L'organisation à créer
- Les moyens financiers
-Le budget prévisionnel local
Les sources de financement mobilisables
- Les motivations des acteurs
- Identification des partenaires prenant des initiatives et leurs motivations
- Résultats attendus par les acteurs locaux.
b-Restitution/appropriation
aux
acteurs
locaux
des
données
du
diagnostic
Dans la plupart des sites, on remarque que les phases de diagnostic, puis
d'animation sont systématiquement présentes. Par contre la troisième phase de
restitution/appropriation est beaucoup plus rarement existante. Elle est pourtant
très importante dans l'esprit même du développement local dans la mesure où
cette phase illustre la démocratie locale, c'est-à-dire la capacité d'expression
individuelle de chaque acteur vis-à-vis de projets à taille humaine et qui le
concerne concrètement. Cette phase doit se renouveler périodiquement pour
78
apporter les infléchissements rendus nécessaires par l'évolution de l'économie
locale.
Ainsi, la restitution des données du diagnostic aux acteurs locaux doit
permettre de restituer le territoire dans une démarche positive et réaliste.
En effet, l'étape précédente aura, en principe, permis de dégager un certain
nombre de pistes de recherches. Ainsi, dans cette dernière phase, l'objectif est de
rassembler les forces vives du territoire : élus, techniciens, acteurs privés, etc. afin
de constituer des groupes d'actions.
De la concertation doivent naître des points d'accords et les éléments de
stratégie qui vont permettre l'élaboration du projet global de développement local.
3-Arrêter un plan d’actions
a- Mise en place d'un tableau de bord local
Au-delà des différentes données de base recueillies lors de l'analyse
socio-économique d'un territoire, la démarche d'élaboration de projet de
développement doit aboutir à la mise en service d'un tableau de bord des actions
socio-économiques menées dans la zone.
En effet, l'analyse finalisée du tissu local permet de guider et d'orienter les
actions, mais doit être complétée par un instrument de gestion, qui, s'inscrivant
dans le temps, suit les évolutions et les effets des politiques et permet de les
corriger le cas échéant.
Ce tableau de bord local étant, par définition, directement lié à l'objectif
poursuivi, il conviendra de recourir à des systèmes simples de ratios peu
nombreux, fiables et faciles à mettre à jour.
b- Élaborer un document de synthèse
La formulation du document final comprend la stratégie à moyen terme des
acteurs locaux. Ainsi, le plan d’action retenu comprend :
- Une grille synthétique (les facteurs de développement du territoire que les
phases méthodologiques antérieures auront permis de mettre en exergue.
- Le projet dans ses moyens et dans ses résultats escomptés (budget global,
budget par orientation stratégique, budget par action ; fiches de suivi issues du
tableau de bord local,
- Le chronogramme (Calendrier détaillé des différentes phases de l'ensemble
de la démarche du projet de développement local.
c-Diffuser le projet global de développement local aux différentes parties
prenantes
79
Assurer la communication du plan d'actions en direction de l'environnement et
des différents partenaires constituent l'ultime étape de l'élaboration du projet global
de développement local.
En effet, sachant que la mobilisation des acteurs et la recherche du consensus
sont le gage d'un projet réussi, le coordonnateur de l'opération doit toujours veiller
à une parfaite circulation de l'information, et se ménager ainsi les « feed-back »
nécessaires à tout moment de la démarche.
4-La mise en oeuvre du projet global de développement local
Par définition, cette phase ne peut se définir précisément ni dans son contenu,
ni dans sa durée. Des actions, au sens où nous l'avons défini, ont déjà pu être
lancées. En revanche les programmes et les axes plus globaux démarrent à ce
stade du projet.
4.1-mobiliser les moyens nécessaires à la réalisation de chaque action
a- Activer les moyens humains, techniques et financiers
Le projet doit être assuré de disposer de moyens financiers suffisants. On
distingue les moyens de fonctionnement des structures qui portent le projet, des
moyens en investissements à mettre en oeuvre sur le site. Les premiers sont
relativement modestes, les seconds dépendent de la nature de l'action envisagée.
Contrairement à une idée souvent répandue, le projet de développement local ne
coûte généralement pas cher dans la mesure où il peut être une procédure de
gestion et de contrôle d'investissements qui auraient été engagés de toute
manière et parfois dans des conditions de contrôle et d'évaluation aléatoires.
La crédibilité d'un projet de développement local se mesure souvent à sa
capacité à obtenir des subventions dont les sources sont multiples (locales ou
européennes). Dans la plupart des cas, les structures d'animation du projet sont
légères et peuvent se substituer à des fonctionnements plus lourds.
4.2-La conduite du projet
a- Rester fidèle à la programmation prévisionnelle lors du lancement de
chaque action
Tout au long de cette méthodologie nous avons insisté sur le caractère
qualitatif des projets discutés ici. En effet, les objectifs trop précis (notamment en
termes d'emploi) paraissent dangereux car ils peuvent devenir des fins en euxmêmes sans souci de pérennité et de globalité, c'est-à-dire sans maîtriser la
durée. Il n'en demeure pas moins que l'évaluation d'un projet doit faire apparaître
une part de résultats tangibles. Des consultants-experts ont sur le site de Limoux,
80
par exemple distingué les actions, du projet. Ainsi, l'évaluation quantitative va
porter sur les actions dont la somme constitue le projet. Le bilan des actions se fait
au regard des objectifs suivant les critères classiques : nombre d'emplois créés,
taux de remplissage d'un équipement, équilibre financier, etc.
On restera donc très prudent sur la validité de ce type d'évaluation action par
action mais on conviendra de la nécessité de ces résultats partiels pour valider les
actions ponctuelles, rester fidèle à la programmation initiale, et rendre plus crédible
le projet aux yeux des bailleurs de fonds.
b- Existence d'un processus de suivi des opérations en cours
La solidité d'un projet et sa capacité à se reproduire se mesurent enfin à
l'existence d'un processus de suivi des opérations. La structure-pivot ne peut pas
se contenter d'initier les actions, elle doit en évaluer l'exécution de façon
permanente.
Trop souvent, on confond le lancement d'un projet avec le développement local
lui-même. Le projet n'est que le support d'une dynamique d'acteurs. Très peu de
projets parmi ceux qu'ont examiné des experts, se sont dotés explicitement d'un
processus de suivi. Le suivi, ce n'est pas seulement le pilotage, c'est aussi la
mémoire et la prospective du projet.
5-Evaluation des résultats
L'évaluation des actions locales de développement est confrontée aux
obstacles existants dans les autres domaines de l'action publique : faible
engagement des décideurs et crainte des risques politiques, information et
ressources insuffisantes, absence de tradition et manque d'évaluateurs qualifiés,
opacité et multiplicité des objectifs et des méthodes77).
Pourtant, le processus d'évaluation est essentiel pour légitimer le projet global
de développement local. Il convient cependant de distinguer la phase de
l'évaluation, par rapport à celle du contrôle78. Le contrôle d'une action ou d'un
ensemble d'actions, porte généralement sur la conformité à des règles ou à des
normes, il est vécu par les acteurs comme une menace ou même comme un
processus qui débouche naturellement sur des sanctions. De la part d'un
financeur, il est légitime que ce type d'évaluation existe mais on en perçoit
facilement les limites (risque de rétention d'information, utilisation politique, etc.).
Dès lors, on doit envisager l'évaluation sous un autre jour, comme un outil
d'aide au pilotage des projets. Pour cela, deux exigences apparaissent en priorité :
77
P. PELLEGRIN, « L'insertion, une affaire maîtrise du développement », in Europe sociale, n°1, 1992.
RAPPORT VIVERET, « L'évaluation des politiques et des actions publiques », La documentation Française,
Paris, 1989.
78
81
5-1-Bien savoir ce que l'on voulait faire
L'évaluation repose sur l'efficacité et sur l'efficience. L'efficacité se mesure à la
conformité du projet aux objectifs que le projet s'est assigné, tandis que l'efficience
confronte les résultats aux moyens mis en oeuvre.
a-L'efficacité
Le projet doit dégager à l'avance les principaux objectifs qu'il vise, par exemple
ceux-ci :
1 - La baisse du chômage et la pérennisation des emplois.
2 - Attirer des entreprises nouvelles.
3 - Retenir les entreprises et leur permettre de s'agrandir.
4 - L'innovation et la diversification de la production.
5 - Le renouvellement du tissu industriel (apparition de nouveaux secteurs
dynamiques).
Ces objectifs doivent être discutés et hiérarchisés. Ils peuvent être aussi
détaillés de façon plus précise.
Un projet de développement local ne retient pas nécessairement la totalité des
cinq objectifs proposés ici. Il peut se cantonner à la réalisation de certains d'entre
eux. Il peut aussi avoir une visée plus qualitative et se proposer des objectifs
moins facilement quantifiables relatifs au mieux vivre et à l'équilibre social. La
mesure de l'efficacité est directement une fonction du choix initial des objectifs.
b-L'efficience
Le projet peut aussi être évalué non pas à travers ce qu’il proposait de créer,
mais plutôt au regard des moyens mis en œuvre. Il s’agit alors de mettre en place
une grille de lecture qui rapporte les résultats aux moyens engagés. Ainsi une
meilleure organisation peut permettre d'obtenir les mêmes résultats pour un coût
moindre et ainsi augmenter l'efficience.
L'évaluation rapportée aux objectifs et aux moyens doit également tenir compte
de plusieurs facteurs. En particulier, elle doit prendre en considération les
conséquences pour le projet de décisions prises par d'autres acteurs et qui
modifient le contexte de l'action. Par exemple, le projet porté par une commune ou
un groupement de communes doit intégrer les actions de ses voisins pour éviter
les concurrences stériles.
82
L'évaluation prend en compte les risques spécifiques juridiques et écologiques.
En effet, si ces risques sont négligés mais que l'on est obligé de modifier le projet
(non-conformité, action d'associations de riverains, etc.) le coût final sera
beaucoup plus élevé que prévu.
L'évaluation permet enfin d'exercer un contrôle démocratique sur le
déroulement du projet. Elle permet en particulier de vérifier si le projet n'a pas été
confisqué.
5.2-Maîtriser le temps de l'évaluation
On retiendra trois moments qui doivent être pris en considération au cours de
la démarche 79:
a- L'évaluation en amont de la démarche (ex-ante)
Il s'agit de la phase préliminaire (voir plus haut la préparation de la démarche)
qui détermine la faisabilité du projet. A ce stade, il convient de formuler les grands
choix, les finalités de long terme.
b-L'évaluation pendant le déroulement du projet (évaluation concomitante
ou ex-tempore)
Elle se réalise pendant le déroulement du projet. Cette évaluation est
permanente et vise à ajuster ait fur et à mesure les pratiques aux objectifs. Soit on
ramène les pratiques sur les objectifs de départ, soit on modifie les objectifs suite
aux enseignements qu’apportes les pratiques. Les changements de cap sont alors
décidés et justifiés régulièrement.
c-L’évaluation en fin de projet (ex-post)
Elle intervient lorsque le projet est arrivé à son terme. C’est donc un dispositif
complet qui doit être mis en place pour évaluer le projet.
Les phases d'évaluation ex-ante et ex-post doivent se faire soit avec la
collaboration de tiers, soit, mieux encore, entièrement confiés à des tiers. Par
contre l'évaluation ex-tempore constitue un outil de pilotage permanent qui relève
de l'auto-évaluation. C'est le regard que les porteurs de projets portent sur leur
propre action. Dans les faits, l'évaluation est rarement engagée car elle est
exigeante, demande un certain temps, accroît le coût du projet et résulte d'une
démarche commune à tous les acteurs du projet. Pour autant elle est
indispensable à la crédibilité du projet et à l'efficacité de sa conduite.
79
RAPPORT VIVERET, « L'évaluation des politiques et des actions publiques », La documentation Française,
Paris, 1989.
83
Pour aller plus loin, on pourra se reporter à différents travaux de réflexion sur
l'évaluation des politiques économiques locales telle cette approche méthodologique menée par l'association RREPEL (Réseaux et Recherches pour
l'Evaluation des Politiques Economiques Locales)80.
80
RREPEL, Actes du colloque de Lyon des 19 et 20 janvier 1989, Editions IRES, Lyon, 1989.
84
7-LES CONFLITS THEORIQUES AUTOUR DU DEVELOPPEMENT LOCAL
L’approche systémique
Elle se développe à partir des travaux de Bertalanffy formulés en une théorie des
systèmes en 1968. L’approche systémique a d’autant plus d’audience qu’elle répond
à une mise en cause des méthodologies analytiques et réductionnistes.
L’approfondissement théorique et la multiplication des disciplines conduisent à un
émiettement du savoir et à une difficulté grandissante à entreprendre les
nécessaires synthèses. La démarche analytique, qui a permis de fonder la science
moderne, en particulier en physique et en chimie, est loin de donner une explication
suffisante.
La méthode analytique cartésienne, fondé sur l’analyse logique, tend à réduire
l’intérêt d’une collectivité à la somme des intérêts des individus qui la composent ; à
nier ses relations avec les environnements sociaux et naturels. Mais « le tout est
plus important que la somme des parties ». L’intuition est bien que le système
possède un degré de complexité plus grand que ses parties.
René Passet81 intègre l’approche systémique et le vivant dans une réflexion sur
l’économique. Cette articulation de systèmes, en diverses fonctions, à divers
niveaux, tel celui de la spécificité, puisque chaque niveau, chaque système est
détenteur de fonctions qui ne sont ni l’optimisation, ni la réduction des systèmes
inférieurs ou supérieurs. La fonction du quartier est spécifique, elle n’est pas une
fraction de la fonction urbaine. Et réciproquement, la ville est plus que l’addition des
quartiers, de même que l’interdépendance, et la rétroaction entre les niveaux locaux,
nationaux et les différents espaces.
81
René PASSET, L'économique et le vivant, Petite bibliothèque Payot, Paris, 1983.
85
Approches, analytiques et
technocratiques
Priorité aux analyses et diagnostics portants sur les
stocks, parcs (population, logement..) et les procédures.
Approches systémiques et
participatives
Priorité à la connaissance des mouvements, flux,
processus portés par des réseaux d’acteurs.
Définir des projets d’action à partir d’acteurs.
Définir des aménagements, équipements,
ordonnancer l’espace
Projets évolutifs, négociés et réalisés et réajustés en
permanence.
Evaluation par débat sur l’intérêt et la portée des
Evaluations souvent quantitatives
Raisonnements linéaires (cartésiens)
Attitude d’étude technocratique
projets et stratégies
Raisonnement en rétroaction (Cybernétique)
Attitude politique et d’adaptation au risque
Tandis que l’approche analytique (Descartes) et bureaucratique, est relativement
simple, elle manque de souplesse par rapport au projet de développement local et a
donc des difficultés à s’adapter. A l’inverse de l’approche systémique, qui n’est pas
linéaire et qui prend en compte les limites du terrain et les attentes des acteurs du
terrain tout au long du projet de développement local.
Le discours du Président Truman, sur l’état de l’Union, tenu le 20 janvier 1949 va
lancer un nouveau paradigme du développement. Il est inspiré de l’évolutionnisme
de Rostow, qui estime que toutes les sociétés passent par l’une des cinq phases
suivantes : la société traditionnelle, les conditions préalables au démarrage, le
démarrage, les progrès vers la maturité et l’ère de la consommation de masse82.
Mais de nombreux chercheurs historistes, structuralistes ou marxistes et
écologistes, estiment que cette théorie s’inscrit en réalité dans une stratégie de
domination, consistant à poser le modèle occidental (notamment Etats-Uniens),
comme le modèle à suivre. Ainsi, les pays en développement seraient en retard sur
les pays occidentaux, donc considérés comme inférieurs et devant en quelque sorte
se soumettre au modèle de développement dominant.
Historisme et développement
Or, les historistes, de même qu’Illich83, ou Latouche84, défendent l’idée de
relativisme culturel, estiment au contraire, que chaque nation, dispose de son génie
82
ROSTOW Walt, Les étapes de la Croissance économique, Paris, Le Seuil, 1963.
ILLICH Ivan, Energie et équité, Le Seuil, 1973.
84 LATOUCHE Serge, Faut-il refuser le développement ? Paris, PUF, 1986.
83
86
propre et doit choisir son propre modèle de développement national et local, au plan
économique, politique, sociale...
L’historisme, dénonce toute tentative d’histoire théorique qui prétendrait définir
les lois générales de l’évolution du monde. Ce courant de pensée défend la thèse
selon laquelle l’avenir étant très largement indéfini, il est vain de s’interroger sur
l’existence de lois en histoire. L’historisme affirme donc le caractère singulier de
chaque processus de développement. Il estime qu’il n’existe pas de point d’arrivée
unique susceptible de produire un modèle et, par extension, incite à conclure que la
réussite d’une politique de développement dépend avant tout de sa capacité à
comprendre et à s’appuyer sur la spécificité de chaque espace. L’historisme s’inscrit
ainsi dans un principe de contingence : chaque politique de développement est
particulière ; il n’existe ni archétype, ni références universelles, mais seulement des
principes communs qui consistent à ancrer la stratégie et l’action dans l’histoire.
L’historisme suggère ainsi au moins deux transformations radicales dans le
paradigme évolutionniste du développement. Il nie tout d’abord le principe d’unité et
réfute l’existence d’un modèle universel. Il s’oppose à ce titre à la détermination a
priori de quelques étapes que ce soit, inspirées ou non du courant libéral. Il redonne
ensuite une épaisseur nouvelle à la culture et à l’espace ; un espace qui, du
micro-local au national, n’est plus considéré en référence à une norme de
développement unique, mais en termes de production de nouveaux modes et de
logiques spécifiques de développement.
A bien des égards, l’historisme peut donc être considéré comme l’un des
paradigmes fondateurs du développement dans la petite dimension. Ce courant
Présente toutefois plusieurs limites importantes dont deux au moins, d’ailleurs
complémentaires, font l’objet d’un large consensus. La première tient au danger
d’enfermement inhérent à un concept de spécificité souvent considéré de manière
réductrice. Il se traduit par ce que l’on pourrait nommer un syndrome localiste. La
seconde porte sur les relations entre le « local » et le «global» et sur le risque
d’occultation des décisions et des évolutions des systèmes économiques exogènes,
qui, même si elles sont dénoncées, existent et sont souvent en grande partie
déterminantes pour le local. Cette deuxième limite renvoie au registre de l’utopie du
repliement autarcique. Dans l’optique des politiques de développement, le syndrome
localiste et l’utopie autarcique constituent deux des travers parmi les plus souvent
rappelés. Alain Touraine écrivait ainsi, que « le danger de l’historisme est d’enfermer
chaque société dans sa particularité, c’est-à-dire de faire disparaître les sociétés
derrière les États, les systèmes sociaux derrière les politiques, et plus simplement
les pratiques derrière les discours »85.
85
TOURAINE Alain, Le retour de l’acteur, Fayard, 1984, p. 182.
87
Abdel-Malek distingue une troisième limite qui est celui de la « dialectique entre
des facteurs de maintenance avec les facteurs de transformation, finalement,
reviennent à priver le « local » d’un arsenal important de leviers d’action par le refus,
explicite ou implicite, du jeu de l’alliance et de l’ouverture. Le principe de spécificité,
au cœur des thèses de l’historisme, s’inscrit donc dans une palette de registres
contradictoires. D’un côté, il relativise la valeur des modèles de développement
présentés comme universels et facilite ainsi la mise en convergence des stratégies
individuelles et collectives. Dans cette optique, il remplit des fonctions d’intégration
et de médiation. Mais d’un autre côté, il élève parfois aussi de nouveaux murs qui,
finalement, pénalisent la « société locale ». L’historisme, est donc préoccupé par le
refus de toute modélisation.
Marxisme, structuralisme économique et dépendance
Le courant marxiste a pour l’essentiel concentré ses champs d’observation sur
les pays « en retard », sur la spécificité de leur situation et les effets de la
colonisation, en terme de développement économique, constitue avant tout un
ambitieux projet d’explication théorique des relations entre le capitalisme central et
les sociétés périphériques.
Les travaux des courants marxistes s’appliquent essentiellement à l’analyse des
contradictions des mécanismes d’évolution du capitalisme. Ils n’accordent ainsi que
peu de poids au local. Le cas du structuralisme marxiste, constitue également l’un
des exemples les plus souvent évoqués. Le structuralisme considère le
développement comme un ensemble d’éléments interdépendants qui forment un
système structuré. L’un des apports majeurs de ces théories tient au fait qu’elles
conduisent à intégrer le local dans un ensemble plus vaste.
Dans les théories structuralistes, l’idée de reproduction est en effet première. La
finalité du système consiste avant tout à assurer sa reproduction et à reproduire ses
structures pour assurer cette reproduction. Dès lors, les marges de manœuvre des
échelles et des organisations locales, se trouvent extrêmement réduites. Les travaux
de l’école de la dépendance ou du structuralisme marxiste s’avèrent caractéristiques
de ce type d’analyse. Ils ont développé une série de concepts, dont ceux de
l’échange inégal et des analyses fondées sur le schéma centre-périphérie, les liens
entre des formes de domination externes internes des entreprises capitalistes.
L’école de la dépendance refuse de considérer le sous-développement comme
«naturel» et attribue cette situation à des effets de domination du centre qui auraient
bloqué ou empêché des formes endogènes d’évolution des périphéries.
Malgré leurs apports incontestables, les analyses structuralistes révèlent
pourtant plusieurs limites de fond. Gilbert Rist (1996) en souligne deux principales.
88
La première tient à l’usage immodéré du terme dépendance qui a souvent conduit à
une simplification excessive de la théorie donnant à penser que le développement
du centre était exclusivement dépendant du «sous-développement» de la périphérie.
La seconde provient de la difficulté à cerner avec précision à la fois le sens et le
réel degré de dépendance d’un pays par rapport à un autre. Quelles sont en effet les
nations qui, y compris dans le monde occidental, peuvent se suffire à elle-même ?
Quelles sont les véritables conséquences de cette dépendance ?86
C’est ce qui fait écrire à Rist que « l’ethnocentrisme occidental est donc présent
non seulement dans la théorie de la modernisation (notamment libérale), mais aussi
dans certaines versions de celle de la dépendance qui, finalement, font assumer au
centre
l’entière
responsabilité
du
processus
de
développement
–
sous-développement et transforment les périphéries en victimes passives de
l’extension du système capitaliste»87
Dans ces conceptions dépendantistes, il existerait pour les zones périphériques
une sorte de solution de rechange indépendante et qu’il suffirait de sortir de la
logique de domination pour que cette solution émerge. L’exemple de l’école des
dépendances s’avère par conséquent caractéristique de certaines des limites d’un
structuralisme économique qui contribue, d’une part, à faire trop largement
disparaître l’homme derrière le poids des structures (le déterminisme).
Premières expériences de développement local : l’approche humaniste et
participative
Entre un évolutionnisme mécanique et universalisant, qui inspire les premières
politiques de développement, un historisme fondé au contraire sur un principe de
contingence mais guetté par des travers localistes et autarciques, un marxisme
réfutant de fait au local toutes réelles marges de manoeuvres au nom de l’attente de
l’autodestruction capitaliste, et un structuralisme incapable de dégager une véritable
alternative, le développement local va émerger dans un contexte idéologique pour le
moins marqué.
Les mouvements idéologiques de développement local ont connu un essor
relativement important en France dans les années 1960 et 1970. Refusant la théorie
évolutionniste et la pertinence des stades de développement, ces groupes
préconisent des démarches humanistes inscrites dans la durée. Ils militent pour une
approche non strictement marchande de l’économie fondée sur un ensemble de
processus d’apprentissage collectif et sur la recherche de nouveaux rapports entre
espace et pouvoir, plus participatif et égalitaire. Dans cette perspective, humaniste,
RIST Gilbert, Le développement, Histoire d’une croyance occidentale, Presses de Sciences Po., 1996, p.
193.
87 RIST, Op. cit. 1996, p.191
86
89
le psychologue Carl Rogers, souligne le fait que devenir une personne
suppose « d’accéder à une manière plus congruente d’agir et d’être »88. C’est à dire
de parler et d’agir de manière cohérente dans des actions de développement local.
Par exemple de militer pour l’écologie et d’agir dans sa vie quotidienne, pour réduire
sa propre consommation, sa pollution, empreinte écologique et carbone.
Le mouvement humaniste s’oppose souvent, à ce que l’on dénomme « l’écologie
profonde », qui place la nature et les animaux au même niveau que l’être humain,
dans les projets de développement local notamment. Pour « l’humanisme étroit »,
l’homme n’est pas l’égal de la nature. Cependant, pourquoi y aurait-il forcément un
antagonisme, alors qu’il peut s’opérer une recherche d’harmonie possible entre des
espèces relativement interdépendantes ? Cela consiste à respecter les droits de
chaque espèce, les hommes comme les animaux et la nature, sans domination de
l’un sur l’autre.
Le développement local face au développement durable et à l’écologie
sociale radicale
a-Le développement local comme anti-développement
Bernard Charlot, résume habilement cette situation en estimant que le
développement local tente de gérer à la périphérie les contradictions du « centre »
que ce « centre » ne parvient plus à traiter. Le développement local apparaîtrait
ainsi comme une tentative de gestion par les marges non seulement de leurs
propres contradictions mais aussi de celles du « centre ». Serge Latouche complète
cette analyse en rappelant que le concept de développement local apparaît
historiquement comme l’une des tentatives de recherche de solutions à la crise du
développement capitaliste, mais aussi du socialisme soviétique.
b-Le développement local endogène peut s’inscrire dans la culture
postmoderne. A l’inverse le développement local exogène, dépendant de la
mondialisation économique, tend à s’inscrire dans un besoin de croissance infinie,
de la vitesse extérieure contre celle de la lenteur et de la simplicité intérieure. Les
« occidentaux » sont poussés culturellement vers la suractivité, ce qui crée une
civilisation de la croissance et de la vitesse infinie. Une des raisons de cette
éternelle, course en avant et de l’hyperactivité des occidentaux en particulier,
s’explique à nouveau par un besoin de compenser la peur du manque, du vide et
finalement la peur de la mort. Dans la culture moderne, en particulier celle du
capitalisme occidental techno-industriel, une des valeurs dominantes repose sur la
recherche du rendement, de la productivité, de la croissance économique sans
88
ROGERS Carl, Le développement de la personne, Paris, Dunod, 1968.
90
limite. Tandis que dans la culture postmoderne, la priorité est donnée au temps
intérieur, à la quête de la lenteur, comme opportunité de la « simplicité heureuse ».
Ceci, afin de développer aussi les qualités intérieures de l’être humain. Un peu
dans la même veine, Paul Lafargue, le gendre Karl Marx, avait déjà écrit en 1881
« le droit à la paresse »89.
Dans une perspective productiviste capitaliste ou socialiste étatique, l’injonction
consiste à « travailler plus », plus vite, plus efficacement, recherche de la
productivité maximum, pour « gagner plus ». A l’inverse les peuples premiers,
cherchent à travailler en cherchant à suivre le rythme des saisons, de la lumière du
jour. Ils cessent généralement de produire, lorsque leurs besoins essentiels sont
satisfaits. Dans le cadre de du mouvement de la décroissance, les personnes
entendent partager le travail, pour que tous y aient droit. Ils tentent de travailler
moins pour accroître le temps pour soi et pour autrui.
Les membres « de la décroissance » proposent en particulier de débuter cette
décroissance par les plus riches et de dépasser le capitalisme en proposant des
solutions précises. Ainsi, le mouvement de la décroissance vise d’une part la
croissance des plus pauvres, au moins jusqu’à hauteur d’une empreinte
écologique soutenable pour tous. En 2005, elle était de 1,8 Ha/habitant, pour 6
milliards d’êtres humains90. D’autre part, elle ne s’oppose pas forcément à la
croissance des secteurs qui ne détruisent pas la nature et les ressources non
renouvelables, tels que le social et le culturel. Cette croissance sélective (qui peut
aussi être qualifiée de décroissance sélective), pourra se développer, tant que ses
externalités négatives (transports, communications…) du secteur socioculturel en
particulier, ne dépassent pas le niveau de l’empreinte écologique mondiale
soutenable et égale pour tous.
La culture capitaliste moderne pousse ainsi ses membres vers la quête du
pouvoir, de la prédation de l’homme sur ses semblables et sur la nature (dont il est
coupé). Tandis que certaines cultures traditionnelles, telles celle des indiens Kogis,
tendent vers la recherche de l’harmonie entre l’être humain, la Nature et la Terre
considérée comme une « mère symbolique »91. Ce qui implique alors
naturellement pour eux, comme pour les tenants de l’écologie post-moderniste, le
respect de la nature, afin de préserver sa propre santé et de partager des
89
LAFARGUE Paul, Le droit à la paresse, Altiplano, 2007.
Pour William E. Rees (1999), un des pères de ce concept: « l'empreinte écologique est la surface
correspondante de terre productive et d'écosystèmes aquatiques nécessaires pour la production des
ressources utilisées et l'assimilation des déchets produits par une population définie à un niveau de vie
spécifié, là où cette terre se trouve sur la planète ».
En 2005, l’empreinte écologique d’un européen était de 4,8 ha/hab, (France 5,2 ha) tandis que les USA sont à
9,5. La moyenne pour un terrien était de 2,23 ha, or l’empreinte écologique mondiale disponible n’est que de
1,8 ha. Ce qui permet au plus riche de vivre à ce niveau, c’est notamment le fait que les PED sont en
dessous (Afrique, 1,1 ha, Asie/pacifique, Chine 2 ha, 1,2 ha, Kenya, 1,1 ha, Inde 0,9 ha) (WWF, 2005).
91 JULIEN Eric, CRUZ Gentil, 2004, Kogis, le réveil d’une civilisation Précolombienne, Albin Michel.
90
91
richesses économiques et naturelles, en particulier lorsqu’elles sont limitées et non
renouvelables (pétrole, uranium, métaux…).
Pour y parvenir, les tenants de la décroissance, préconisent, une autolimitation
qui soit fondée sur le principe de « la sobriété heureuse » telle que le formule
Pierre Rabhi ou de la « simplicité volontaire »92 s’inscrivant dans le registre de
l’autonomie. On peut ainsi qualifier cette démarche d’autolimitation, de « simplicité
heureuse ». Elle vise aussi à développer les qualités psychologiques de l’être
humain (se détacher du besoin de posséder, de consommer, du pouvoir, de
s’oublier dans l’activisme…). Qualités qui sont nécessaires d’acquérir, afin de
pouvoir réellement mettre en œuvre cette autolimitation, en vue d’un partage
équitable des ressources entre tous les êtres vivants.
Rythme
de vie
Culture Moderne
(du capitalisme
occidental
techno-industriel)
Culture traditionnelle
(des peuples premiers)
Culture postmoderne
(De l’écologie
autogestionnaire)
Recherche de la
vitesse et de
l’accélération infinie
Priorité au temps
intérieur Recherche de la
lenteur afin de
développer aussi les
qualités intérieures de
l’être humain
Quête de la lenteur,
« éloge de la paresse »
comme opportunité de la
« simplicité
heureuse »
Il ne s’agit donc pas, dans cette optique, d’un courant de pensée évolutionniste,
il est plutôt possible de le qualifier de « régulationniste » à ambition réformatrice : il
participe à la gestion des dysfonctionnements structurels majeurs du modèle
dominant tout en tentant, à partir de cette gestion, d’inventer de nouveaux principes
de développement.
c-Besoins essentiels, self reliance et
fondements d’un développement autonome
identité
culturelle sont
les
Les trois concepts de besoins essentiels, self reliance et d’identité culturelle,
sont interdépendants et synergiques, dans le domaine du développement observe
93
Roy Preiswerk .
Un développement basé sur la « self reliance » signifie en quelque sorte un
développement plus endogène ou autocentré. Il renforce l’identité culturelle en
92
BURCH Mark, 2003, La voie de la simplicité, Ecosciété, Montréal.
PREISWERK Roy, in IUED: Il faut manger pour vivre...Controverses sur les besoins fondamentaux et le
développement, PUF, 1980, p 132.
93
92
centrant les efforts de développement sur les ressources (au travers la
participation des populations notamment) et les connaissances propres du pays.
En prenant appui sur la base et non pas sur les élites (souvent formées à
l’étranger dans les PED), le développement peut prendre en compte les attentes
des populations et ainsi répondre à leurs besoins essentiels.
La réappropriation par une population de son identité culturelle favorise la self
reliance, car elle permet de trouver confiance dans son propre potentiel. Elle peut
permettre aussi une meilleure réponse aux besoins des populations, car elle peut
orienter l’attention du gouvernement sur les préoccupations essentielles des
populations. Chaque peuple en développant ses qualités spécifiques, peut faire
émerger ou retrouver dans sa culture, son identité, son « génie » propre. La
technologie appropriée peut être un moyen de découvrir des techniques
spécifiques ou d’adapter des technologies extérieures aux besoins du pays.
L’’identité culturelle est notamment renforcée grâce à l’amélioration de l’éducation,
l’usage de la langue maternelle dans les manuels scolaires et par les enseignants,
l’appui sur les compétences humaines locales... Enfin la reconnaissance des
traditions favorise l’unité du pays et c’est bénéfique pour la cohésion sociale.
En répondant aux besoins essentiels des populations, en stimulant par
exemple la production des cultures vivrières, en permettant l’éducation de base, en
répondant aux besoins locaux avant de suivre la demande internationale, le pays
devient ainsi plus autonome et peut assurer sa croissance à long terme. La
satisfaction des besoins essentiels remet les attentes des hommes et leur droits au
centre du développement. L’identité culturelle est ainsi favorisée, car cela prend en
considération les besoins essentiels des populations qui ne sont pas seulement
matériels.
Nous venons de décrire brièvement le cercle vertueux formé par ces trois
piliers du développement local et national. Mais poussé à l’excès le mécanisme
peut devenir une spirale destructrice ou self reliance devient autarcie sclérosante,
l’identité culturelle un nationalisme au passéisme exacerbé et la satisfaction des
besoins essentiels devient à nouveau un moyen de conserver les privilèges des
plus riches. La vigilance et le discernement restent néanmoins nécessaire, lorsque
l’on s’appuie sur ces trois piliers du « développement ».
En réalité, ce modèle de développement dépend plus des obstacles à lever, pour
le réaliser, que de solutions réellement nouvelles à découvrir. Roy Preiswerk précise
que la définition de la stratégie dissociative (telle la self reliance) la plus appropriée
à chaque cas particulier doit se faire selon les ressources disponibles, les conditions
écologiques et la situation économique de la collectivité concernée. De plus ces
suites d’hypothèses ne représentent qu’un archétype, puisque certains pays n’ayant
93
pas suivis strictement ce modèle parviennent à ce développer correctement. « Les
stratégies fondées sur la satisfaction des besoins essentiels existent en
combinaison avec la self-reliance (Chine) aussi bien qu’indépendamment (Taiwan).
Il y a des cas de dissociation sans satisfaction des besoins essentiels (Haïti) aussi
bien que des cas d’association sans satisfaction des besoins essentiels (cas le plus
fréquent) »94. En s’appuyant sur ce modèle de référence, chaque pays devrait
trouver sa propre voie de développement, en choisissant de privilégier l’un des trois
pôles, en fonction de sa situation propre.
d-Différencier les notions de développement local et de développement
durable
Le modèle du développement durable s’appuie en large parti sur les principes
du développement local. Les Nations Unies ont adopté à Rio en 1992, une
définition du développement durable. Il s’agit selon eux, d’un développement « qui
satisfait aux besoins de la génération présente, à commencer par ceux des plus
démunis, sans compromettre la capacité des générations futures à satisfaire les
leurs». Elle insiste donc, sur une double dimension : sociale et
intergénérationnelle.
Or, précisément, les transnationales sont dans une logique de localisation
guidée par la recherche des plus bas salaires possibles et des réglementations
environnementales les plus laxistes possibles, c’est-à-dire le contraire du
développement durable.
Puis le développement durable investit le territoire à partir de 1995… À partir
du milieu des années 1990, la mise en scène de la mondialisation favorise
également l’effacement de l’État et la territorialisation des politiques publiques
créant une nouvelle scène locale ou le comportement des acteurs influence les
dynamiques spatiales et sociales. La notion de territoire va systématiquement être
lestée par celle de développement durable intégrant l’importance des enjeux
environnementaux, dans l’esprit du rapport Bruntland.
Les lois d’aménagement du territoire et les acteurs locaux évoquent alors, le
changement d’échelle des enjeux, l’ampleur sans précédent des menaces sur les
ressources naturelles et le fait que l’environnement devienne un enjeu économique
et diplomatique, une stratégie d’adaptation qui fait confiance à l’ingéniosité des
générations futures pour trouver des solutions aux problèmes posés par les choix
actuels de développement, soit une stratégie de croissance soutenable qui inclut a
94
PREISWERK Roy, in IUED: Il faut manger pour vivre...Controverses sur les besoins fondamentaux et le
développement, PUF, 1980, p.180.
94
priori, dans les décisions actuelles les conditions de reproduction à long terme des
bases écologiques de la croissance future95.
Le développement durable englobe les notions liées au développement local ;
c’est une notion programmatique qui élargit la problématique avec quatre
dimensions centrales :
- des critères éthiques reposant sur la responsabilité, la précaution, l’ouverture
et l’équité ;
- des critères environnementaux envisageant la protection et la valorisation des
ressources naturelles et patrimoniales ;
- des critères économiques qui abordent la distribution des richesses, la
diversification des ressources, la viabilité économique ;
- des critères sociaux qui concernent l’insertion, la qualification, l’emploi, le
cadre de vie.
Le développement durable doit s’accompagner d’une répartition équitable des
conditions de vie et de développement. L’équité sociale apparaît comme un aspect
majeur, indissociable du développement de la citoyenneté. Notons que très
souvent l’aspect environnemental l’emporte sur la notion d’équité sociale ; ainsi,
les politiques publiques privilégient souvent les aspects paysagers au détriment
des politiques sociales de réductions des inégalités.
Cet objectif de développement durable est affirmé à différentes échelles,
nationales, européenne, de l’OCDE et même mondiale par les grandes
organisations internationales qui légitiment cette notion. Plusieurs pays l’ont inscrit
comme objectif de leurs politiques environnementales et même de leur politique
économique : l’article 2 du traité de Maastricht impose aux États membres « la
tâche de promouvoir une croissance durable et non inflationniste respectant
l’environnement ; de même, l’OCDE affiche la nécessité d’intégrer l’environnement
dans les politiques sectorielles comme garant d’un développement durable et
l’Assemblée des Nations Unies en a fait un thème fort de son action avec la
« déclaration de Rio sur l’environnement et le développement » et l’adoption de
l’Agenda 21 ».
e-La diversité de conceptions du développement durable.
Ce concept renvoie tout d’abord à la notion de « développement », qui se
distingue, comme le rappellent certains auteurs, de la notion de croissance, en ce
95
Yves JEAN, Du développement local au développement durable, p. 22-31, in CHAREF, 2005, Op. cit.
95
sens qu’elle doit assurer la croissance économique mais également le bien-être
social et plus largement humain.
La définition du rapport Brundtland fait l’objet de conceptions différentes du
développement durable. Turner avait différencié en 1992, les approches en
durabilité forte ou faible96.
1-1-La durabilité forte est issue de l’économie des ressources renouvelables et
considère que la soutenabilité, y compris entre les générations dépend d’un
équilibre entre le taux de prélèvement et le rythme de croissance, qui assure au
minimum le renouvellement de la ressource afin de maintenir dans le temps un
stock constant de capital naturel.
1-2-La durabilité faible est centrée sur la satisfaction des besoins humains et
sur la viabilité inter-générationnelle de cette satisfaction. Ainsi, les objectifs portent
sur la non-décroissance du revenu par tête et du stock de capital total (naturel et
artificiel) de génération en génération.
Plus généralement, ces différentes visions révèlent des valeurs différentes
attribuées au processus de développement et des divergences concernant la place
de l’homme dans la nature.
2-1-Pour les uns, la conception est objective et biocentrique, l’environnement
est assimilé à la nature dont il s’agit d’assurer la conservation ou la reproduction.
2-2-Pour les autres, la conception est subjective et anthropocentrique,
l’environnement est assimilé à un ensemble de relations entre l’homme et le milieu
naturel construit, dans lequel il vit. Cette conception a le mérite de prendre en
compte l’environnement dans toutes ses dimensions. Ces deux conceptions,
antagoniques, alimentent les conflits entre écologistes, pour qui la préservation de
la nature est un objectif en soi, et les tenants du développement, pour lesquels
l’objectif est de maximiser le bien-être humain97.
2-3-Une troisième conception que J. Theys intitule «technocentrique ou
clinique» est fondée sur les interrelations entre l’homme et la nature : il s’agit de
déterminer ce qui est acceptable par l’homme dans la nature et ce qui, dans les
activités humaines, est acceptable pour la nature. Il s’agit d’une conception,
médiane, qui tente d’établir un compromis entre les deux précédentes.
Le développement local est fondé sur la mobilisation de tous les acteurs, y
compris les salariés (qui ne sont pas forcément les plus démunis), c’est-à-dire de
gens qui sont censés rester là de génération en génération, car le développement
local est fondé sur une accumulation collective de capital humain. Ces gens ont
96
TURNER, 1992, Speculations on Weak and Strong Sustainibility, CSERGE, University of EastAnglia and
University College London, GEC, p. 92-26.
97 Yves JEAN, Du développement local au développement durable, p. 22-31, in CHAREF, 2005, Op. cit.
96
généralement intérêt à préserver leur propre territoire et ils ont la conscience d’un
avenir partagé. Tout développement soutenable doit donc s’appuyer sur une
idéologie de développement local.
Mais, la première limite, c’est que le local ne se préoccupe pas forcément des
plus démunis, au contraire. Au Japon et en Corée, qui sont des cas de
développement local national contre les puissances dominantes, il s’agit de
modèles de « close shop», dans lesquels on trace une frontière entre ceux qui
participent aux bons côtés du modèle, et les « derniers arrivants » qu’on exclut.
L’esprit de solidarité qui caractérise le développement local peut donc
déboucher sur l’esprit de clocher, voire la xénophobie. Ce sont bien les régions du
Nord et Nord-est de l’Italie, ce qu’on appelle la 3e Italie, régions typiques du
développement local fondé sur le dialogue entre les quatre acteurs, qui ont
accouché politiquement de la Ligue du Nord. Mais elles ne sont pas les seules.
Tous les modèles corporatistes qui ont su construire un assez bon compromis
social engendrent des réactions populistes face aux nouveaux venus (voir
l’Autriche et les Pays-Bas).
Il y a une seconde limite au développement local, la conscience du caractère
environnementalement dangereux, à terme, d’une sur-spécialisation productive
industrielle n’apparaît pas tout de suite. Les exemples abondent : Silicon Valley,
tanneries de Fès, etc98.
f-Le passage vers un développement économique local décroissant ou
durable
Le capitalisme libéral mondialisé est fondé en particulier sur l’avantage
comparatif et la division internationale du travail, en particulier l’échange de
produits primaires en provenance des pays en voie de développement contre des
produits manufacturés exportés par les pays développés, comme l’analyse
Ricardo99. Il s’appuie aussi sur la domination du centre sur la périphérie, l’inégalité
des termes de l’échange100 renforcé par une ouverture « forcée » des marchés
nationaux au nom du néolibéralisme, en particulier par l’OMC, appuyé par les
institutions de Bretton-Woods. A l’inverse le mouvement écologiste, cherche à
développer l’autonomie locale et nationale, avant d’échanger et donc à exercer
une « relocalisation sélective » de la production favorable à la fois à la baisse de la
pollution liée aux transports, mais surtout une autonomie économique, alimentaire,
technologique, conditions d’un développement souverain, donc autogéré.
98
LIEPIETZ Alain, « Du développement local au développement durable, Op. cit. 2002.
RICARDO David, Principes de l’économie politique et de l’impôt, 1817
100 EMMANUEL Arrighi, L'échange inegal. Essai sur les antagonismes dans les rapports économiques
internationaux (Maspero, 1969)
99
97
Le développement local peut-il devenir une alternative au modèle de
développement libéral dominant au plan mondial ? Les principes du
développement local, ont été mis en pratique avec succès de la micro région au
plan national, dans certaines régions et pays du monde. De façon relativement
peu prévisible, un « prince moderne local » réalise la mobilisation d’acteurs locaux,
l’épargne locale servant à financer le capital local mis au service de savoirs faire
locaux ». Est-ce alternatif ? pas forcément. Oui, si l’on considère que ce n’est pas
initié ou directement contrôlé par les transnationales et les dominants. Non, car on
dira en général que le développement local a réussi quand il réussit à s’insérer
dans l’économie mondiale. Et à la première crise, les transnationales essayent de
racheter les entreprises locales (on l’a vu en Corée, comme dans le Choletais).
Bref, ce n’est pas très alternatif, car il ne s’agit la finalement que du politique de
nature capitaliste, ou les plus faibles, en particulier les femmes, y sont souvent
exploitées. Tout développement local n’est donc pas alternatif. Mais toute
démarche alternative est obligée de s’appuyer sur des démarches de
développement local. Les acteurs porteurs des ambitions locales de
développement ont au moins intégré qu’il ne faut pas tout attendre des
transnationales ou de l’État national. Deux stratégies existent alors : la première
c’est le développement du travail de la communauté pour la communauté ; dans la
seconde, la communauté construit une « base exportatrice » vers les marchés
extérieurs. Tout modèle de développement local est une combinaison des deux,
les écologistes et les alternatifs en général, insistant sur le premier terme, plus que
sur le second101.
L’écologie sociale préfère le pacifisme à l’action directe « violente ». Il faut
entendre « radical » avec son origine latine, c’est-à-dire « qui cherche à remonter
à la racine des problèmes observés ». L’idée principale est de ralentir la vitesse du
train pour, sinon éviter le mur, minimiser la violence du choc, et donc les
catastrophes humanitaires. Ramenée aux théories économiques et sociales, cette
solution relève d’un développement local et d’un partage raisonnable et économe
des ressources naturelles. Cette solution réclame un changement de
comportement individuel et collectif profond, un idéal de vie distancié du progrès
matériel, un plus grand partage des ressources existantes ainsi qu’une plus
grande humilité par rapport à la place de l’humain sur la Terre. Elle propose de
repenser la vie en société de façon radicale. En fait, pour certains, freiner le train
101
LIEPIETZ Alain, « Du développement local au développement durable, Op. cit. 2002.
98
ne suffit même pas car, en définitive, il faudrait descendre du train pour
éventuellement en prendre un autre102.
Serge Latouche et Edgar Morin, notamment critiquent le concept même de
«développement», donc de développement durable. Certains auteurs tels
Latouche contestent d’ailleurs le terme, qu’ils considèrent comme un oxymore,
c’est-à-dire la juxtaposition de deux notions opposées). Ils considèrent qu’il mène
la civilisation à sa perte, car il est fondé sur une conception occidentale d’un
modèle productiviste qui épuise la planète et qui n’est pas extensible à l’ensemble
des peuples.
Les approches fondées sur l’autogestion, mettent en cause l’approche marxiste
de même que l’approche capitaliste, consistant placer l’accumulation du capital
comme instrument nécessaire au développement des forces productives. Car il y a
contre-productivité lorsque apparaissent des dégâts sociaux et écologiques.
On opposait auparavant la notion de « croissance », quantitative et le
« développement », qualitatif visant l’harmonie. Mais avec Serge Latouche, ou
Paul Ariès et les décroissants, cette distinction relativement simple a été quelque
peu bousculée. L’idée de décroissance soutenable, est fondé sur l’harmonie et
intergénérationnel. « Cela implique une décroissance de certains facteurs, par
exemple les taux d’utilisation de l’énergie et des matières premières. Mais on
tombe dans une discussion sémantique sur le mot développement : dans toutes
les langues indo-européennes, ce mot inclut la racine « vol » (boucle). Le
développement est une boucle où la cause et l’effet sont repris de période en
période. L’expression ‘’développement soutenable’’ me paraît donc juste » estime
Liepietz103,
Cependant, le géographe Yves Gilbert, spécialiste du développement local
explique que “la notion de développement ne peut exprimer l’idée de croissance
au sens où l’entendent les économistes (lisible au travers d’accroissement de taux
de redressements tendanciels de courbes) mais celle d’approfondissement
entendue comme consolidation de l’épaisseur sociale : “approfondissement des
rapports d’intelligence entre une société et ses territoires”104.
La géographie et le territoire, comme outil d’analyse et de production du
développement local
L’un des outils de base du développement local est, dès l’origine,
éminemment géographique, c’est l’échelle du local ou, plus exactement, c’est la
102
La société de consommation: une société qui fonce dans le mur, Objecteur de croissance Vol-1 , Nicolas
Ottenheimer
103 LIEPIETZ Alain, « Du développement local au développement durable, Op. cit. 2002.
104 RIST Gilbert, “La recomplexification du territoire”, 2003.
99
territorialisation de l’action. Cet ancrage territorial est en effet pensé comme le
moyen, d’une part, de privilégier une approche « globale » ou de favoriser
l’organisation de processus de participation, d’autre part, de trouver de nouvelles
marges de manœuvre, voire une relative autonomie. «Les pratiques du
développement local supposent l’identification a un espace et l’appropriation de
celui-ci ; elles sont donc profondément ancrées dans un territoire, c’est-à-dire
qu’elles sont intimement liées à l’environnement dans lequel elles ont cours »
souligne Vachon105.
L’un des traits caractéristiques de ce mouvement porte sur la recherche d’un
pouvoir à la fois plus proche et moins vertical. Cette proximité est présentée,
comme un moyen de favoriser l’émergence de nouveaux instruments d’action, de
s’affranchir partiellement des processus de décision exogènes. « Ce n’est qu’en
accédant à une certaine autonomie qu’une collectivité sera en mesure d’établir
ses conditions d’existence et le niveau de qualité de vie qu’elle souhaite
atteindre... Ainsi cessera la soumission à une logique de croissance et de
développement venant uniquement de l’extérieur» poursuit Vachon106.
Développement et théories actionnistes
Les théories de l’action seraient désormais devenues dominantes dans les
sciences de l’homme, on prête davantage attention, d’une part, aux individus,
d’autre aux interactions et aux relations dans lesquelles les individus se construisent
eux-mêmes, construisent l’identité d’autrui et participent à la construction du social.
Ce serait en quelque sorte, « la fin des sujets collectifs ». Un consensus semble tour
d’abord se faire pour accorder désormais une relative liberté à l’individu. Elles se
fondent ensuite sur un schéma utilitariste : elles présentent l’intérêt comme mobile
d’action commun à tous les hommes. Pour ces théories, l’acteur serait par
conséquent intentionnel et cette intention se fonde sur la raison, la rationalité. Par
conséquent, dans cette perspective, le développement local, dépend des individus,
de leur volonté, de leur initiative, plus que du déterminisme des structures
économiques et sociales.
L’un des postulats fondamentaux des théories du développement local est le
vecteur «proximité », pour engager un ensemble de processus individuels et
collectifs. En ce sens, le local, longtemps assimilé à l’espace de proximité, constitue
potentiellement l’un des facteurs qui participent de la construction de la décision et
de l’action.
105
106
Vachon B., Le développement local, Théorie et pratique, Québec, G. Morin Editeur, 1993, p. 93.
Vachon, Op.Cit., 1993, pp. 96-97.
100
Les limites des théories actionnistes et l’approche de Bourdieu
P. Bourdieu ne s’inscrit pourtant à proprement parler dans aucun des deux
grands paradigmes sociologiques précédemment rappelés. Il développe une
sociologie centrée sur les pratiques sociales dont l’ambition est justement de
dépasser les approches structurelles et actionnistes. Pour lui en effet, toute pratique
sociale ne serait ni l’expression d’une structure, ni la manifestation d’une volonté
consciente, mais le produit d’un « sens pratique » acquis par les individus et qui leur
permet de s’orienter dans la vie sociale.
Pierre Bourdieu n’exclut pas la liberté de l’individu ou de l’agent ; en ce sens il ne
s’oppose pas fondamentalement aux courants de pensée centrés sur l’acteur. Il
borne toutefois cette liberté au sein d’un répertoire d’actions possibles partiellement
prédéterminé par l’habitus (les conduites liées à une classe sociale). En ce sens,
Bourdieu estime que les agents (aussi bien les élus, leurs citoyens, que les
entrepreneurs et les experts) sont autant conditionnés, qu’ils n’agissent, autant libre
que déterminé, dans un projet de développement local107.
Le territoire est une clé du développement local géographique de la
complexité
Le territoire, est un concept ambigu sur lequel les différentes disciplines qui
interviennent dans le développement local adoptent pour le moins des définitions
hétérogènes. La question clé du développement local réside dans la manière jouer
des moteurs du local ou plus largement des relations qui lient l’homme à l’espace
pour créer de la capacité à agir. Le « territoire » du local agit sur l’acteur de la même
manière que l’acteur agit sur lui. Tout le problème consiste à comprendre, d’une
part, de quelles manières se construit cette « influence territoriale » sans tomber
dans les pièges du déterminisme et, d’autre part, de cerner quelles sont les finalités,
les stratégies et les tactiques de ceux qui détiennent, partiellement, les « clefs de
démarrage ». On pourrait schématiser ce questionnement dans une formule
dichotomique, et donc réductrice, qui fixe pourtant assez correctement deux
extrêmes :
- soit « on » agit, à travers le territoire, pour produire de l’action ou de la capacité
à agir, et le territoire devient alors moteur (l’actionnisme) ;
- soit « on » tente plutôt, en s’efforçant par exemple de réduire au minimum
toutes réelles velléités d’implication, de s’approprier l’espace pour en faire un
instrument de pouvoir personnel et le territoire, au lieu d’être un instrument de
mobilisation, devient un strict outil de domination personnelle (le déterminisme).
Dans cette analyse, le champ du développement local (territorial) est considéré
107
Pierre BOURDIEU, Le sens pratique, Paris, Éditions de Minuit, 1980.
101
comme secondaire les inégalités sociales perdurent sans changement global
(holiste).
Le premier des facteurs caractéristiques des démarches de développement local
tient sans conteste à leur ancrage géographique. L’entrée territoriale constitue un
préalable incontournable, la convergence entre toutes les « théories » du
développement local.
Le second facteur caractéristique des démarches de développement local est à
la fois l’un des plus importants et l’un des plus mystérieux, il se décline d’ailleurs
sous une sémantique plurielle : mobilisation, implication, collaboration, citoyenneté,
voire responsabilisation.
A travers cette diversité émerge un objectif, que l’on peut nommer l’intégration
qui participe de l’essence même des démarches fondées sur le territoire. Il s’agit
d’une intégration qui renvoie en parti à la place et au statut du sujet individuel au
sein de la société. Il désigne le processus fondé sur une interaction entre individus
et entre l’individu et la société. La problématique du développement de l’individu et
de son intégration s’avère, directement ou indirectement, au centre de quasiment
toutes les démarches locales.
Le troisième facteur distinctif du développement local, relève de dimensions
que l’on peut qualifier de «culturelles». Les dimensions culturelles du
développement, après avoir été longtemps occultées, sont aujourd’hui à nouveau
largement reconnues.
Dans le développement local, la théorie dominante a souvent été l’historisme,
elles ont toujours figuré comme l’un des principes fondateurs. La culture y était donc
bien présente, car chaque culture est spécifique et localiste.
Le quatrième et dernier facteur fondateur renvoie au thème de la théorie de la
complexité, notamment aux travaux d’E. Morin sur la Méthode et à l’un des
problèmes fondamentaux qu’il soulève dans La Nature de la Nature108 : le problème
crucial, écrit-il « est celui du principe organisateur de la connaissance, ( ... ) ce qui
est vital aujourd’hui, ce n’est pas seulement d’apprendre, pas seulement de
réapprendre, mais de réorganiser notre système mental pour réapprendre à
apprendre... Ce qui apprend à apprendre, c’est cela la méthode ».
Ce principe méthodologique renvoie également au triple jeu de l’ordre, du
désordre et de l’organisation, aux processus de destructions créatrices de
Schumpeter, ou encore, parmi de nombreux autres, aux démonstrations de Kuhn
selon lesquelles la science n’évoluerait pas seulement par accumulation, mais aussi
grâce à la transformation et à la perpétuelle réinvention des principes organisateurs
108
MORIN Edgar, La Nature de la Nature, 1977.
102
de cette connaissance. Cette reconstruction des modes d’apprentissage est
implicitement au centre des démarches de développement local. Cela signifie donc,
que pour réussir le développement local, il faut développer une méthode adaptée,
mais aussi que les acteurs du développement local soient formés à cette méthode et
y participent .
Tous ces phénomènes confirme l’intensité des efforts de convergence, entre les
théories. En cette fin de siècle, tous les grands paradigmes du développement,
rappelés dans le premier chapitre, ont clairement montré leurs limites. La plupart
des théoriciens de la dépendance comme la majorité des prophètes annonciateurs
d’une rationalité universelle fondée sur un modèle unique admettent désormais en
partie leurs limites. La complexité est le nouveau défi auquel l’humanité est
confrontée et le développement local constitue sans doute l’un des domaines de
réflexion et d’action.
L’entrée territoriale, l’intégration et place de l’individu au sein de la communauté,
prise en compte des dimensions culturelles, l’adoption d’un mode de pensée
complexe, tels sont quatre des principaux traits au cœur des principes fondateurs du
développement local.
103
CONCLUSION GENERALE
a-Lors des années 1980, le développement local domine…
Au début des années 1980, l’ampleur de la crise économique et la crise
d’efficacité et de légitimité de l’action publique centralisée suscitent les premières
lois de décentralisation. Tous les États des pays de l’OCDE connaissent la même
crise qui les conduit à déléguer de nouvelles compétences aux échelons infranationaux.
Ce désengagement contraint de l’État, va être érigé en vertu, à partir de 1984,
sous l’effet convergent d’une part de l’idéologie libérale qui valorise l’entreprise et
l’entrepreneur ainsi que le maire chef d’entreprise ; l’individu autonome, créatif,
devient central, c’est le retour du sujet-acteur et de nouveaux mots gourous tels
que le « projet », de ville, de territoire, éducatif local, d’établissement…
À partir de 1986, toutes les initiatives doivent être inscrites dans un projet.
Cette « dictature du projet », favorise une banalisation du contenu des politiques
publiques locales qui perdent de leur sens, au profit des procédures et d’une
démarche technico-gestionnaire.
Les territoires, comme les individus, doivent être « motivés », « réactifs »,
«autonomes», « responsables ». D’autre part, les valeurs du développement local
prônent la synergie des acteurs – privés et publics, le monde syndical et le
patronat –, l’élaboration de projets globaux qui articulent l’économique avec le
social et le culturel grâce au partenariat et à la démocratie participative, selon un
esprit de solidarité.
Par ailleurs, ce désengagement de l’État est conforté par la découverte
empirique et théorique du pouvoir créateur des réseaux de communication,
informels, institutionnels entre acteurs. Lors des années 1980, la notion de
développement local domine les représentations et explique la territorialisation des
politiques publiques.
Le bilan des expériences conduites dans des espaces qui ont favorisé une
démarche de développement local depuis la fin des années 1970, en France, au
Québec ou sur le pourtour méditerranéen, nous pouvons souligner cinq
caractéristiques communes :
- la diversité des situations géographiques, sociales, économiques, identitaires
conduit vers des manières de réaliser le développement qui sont plurielles,
multiples. Il n’existe pas de modèle unique de développement : chaque expérience
dépend des initiatives des acteurs et par définition ces initiatives sont imprévisibles
et non transférables ;
- le développement comporte une dimension territoriale : les projets s’inscrivent
dans un espace avec une histoire singulière, une culture propre et où existe un
104
sentiment d’appartenance permettant de développer une capacité de maîtrise
collective du territoire ;
- l’existence d’une force endogène, qui oblige à mettre l’accent sur l’importance
de l’action individuelle et sociale comme élément d’évolution des territoires ;
- une volonté de concertation et la mise en place d’un partenariat autour de
projets. Toutes les expériences ont entraîné l’établissement de réseaux
d’échanges et de réciprocité et le décloisonnement des institutions ;
- ces expériences mettent en jeu une mutation culturelle par une réactualisation
des valeurs démocratiques comme la participation et la responsabilisation des
citoyens quant à l’aménagement et l’avenir du territoire où ils vivent.
b-Les articulations du développement local
Le développement local est fait d'articulations, de relations dialectiques entre :
- une dynamique ascendante exprimant les besoins, les demandes, les
initiatives des groupes locaux, enracinée dans un territoire, une histoire, des
valeurs partagées. Elle suscite des actions plutôt globales et transversales, une
logique de mobilisation des acteurs et de leurs potentialités autour d'un projet, de
rapports négociés avec l'ensemble des partenaires;
- une démarche descendante émanant de l'État et des pouvoirs institués, faite
d'orientations, de procédures, d'incitations administratives et financières, de
transfert de savoirs et de moyens. Elle privilégie les opérations sectorielles ou
thématiques précises, les équipements et les programmes structurants, une
logique de gestion et de répartition, la relation entre les relais administratifs et les
représentants reconnus de la population.
Initiatives ascendantes et mesures descendantes doivent sans cesse se
croiser: les premières doivent composer avec les dispositifs institués pour se faire
reconnaître, démontrer leur efficacité, traduire leur projet en programmes précis et
éligibles; les secondes ont besoin des forces et des initiatives ascendantes pour
atteindre leurs objectifs, s'adapter à la mouvance et à la diversité des situations109.
c-Récapitulatif des traits les plus saillants du motif et du mobile pour plus
d'autonomie
En l'espace d'environ deux siècles, un système historique : "le système
d'accumulation le capital", s'est imposé à l'échelle de la planète, aidé par les États
pour ensuite les dominer. L'organisation hétéronome nécessaire à la cohésion
sociale de toute société humaine a dépassé les seuils critiques au-delà desquels
109
HOUE, Op. cit. p. 109
105
les hommes peuvent rester maîtres de leur histoire (la violence du Sacré de
Girard).
L'idéologie libérale comme certains aspects de l'idéologie socialiste n'ont,
contrairement à leur intention première, jusqu'à présent fait que renforcer la
société hétéronome. Ce processus est inhérent à toute idéologie qui projette
au-delà d'elle-même l'image d'une société idéale.
En privilégiant presque exclusivement les rapports de coopération de type
vertical (facilité, moins de conflits immédiats, rapports de forces) au détriment des
coopérations de type horizontal, l'échange s'est trouvé très souvent dénaturé en
exploitation.
C'est sur ce point que la critique des partenaires de l'autonomie, du
développement local endogène et de l’écologie sociale, est la plus vive. Car ils
introduisent dans la notion de coopération horizontale la notion de valorisation des
ressources locales (physiques et humaines), de développement local et de
relocalisation. Cette articulation horizontale-verticale est nécessaire et suppose
« une progressivité dans les échanges et des conditions précises que ne
respectent plus les règles du jeu de l'économie de marché actuel »110.
e-Les composantes du développement local
Il faut retenir que le développement local est avant tout une démarche à la fois
stratégique et pédagogique :
- globale et transversale, prenant en compte dans leurs interactions les
différents aspects de la vie collective, à côté des logiques sectorielles, thématiques
habituellement pratiquées;
- territoriale, fondée sur des ancrages locaux vivants aux délimitations
variables selon les problèmes à traiter et les actions à conduire, à la fois assez
vastes et cohérentes pour peser sur les évolutions et les décisions les concernant,
assez rapprochés pour faire jouer les ressorts des appartenances et des
solidarités vécues;
- partenariale, en associant des acteurs, des réseaux aux positions et aux
fonctions différentes mais complémentaires, en conjuguant les orientations et les
équilibres définis par les instances supérieures, les aspirations et les demandes
des groupes locaux, par la conduite d'un processus allant du diagnostic au contrat
et à l'évaluation;
- prospective avant tout, car fédérée par un projet élaboré en concertation, qui
donne sens et cohérence à l'ensemble, qui anime une démarche alliant le
souhaitable, le possible et le prioritaire.
110
PLASSARD, Op. cit. p.148
106
107
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