Congolais et Sénégalais en France face et au regard du Droit

L’étranger
en
France
face
et au
regard
du
Droit
Contributions du
Laboratoire d’Anthropologiejuridique de Paris (LAJP)
au rapport de
synthèse
collectif
Congolais et Sénégalais en France
face et au regard du Droit
par
Camille KUYUMWISSA
Etienne LE ROY
Ibra Ciré N’DIAYE
Paris,
décembre
1998,
janvier 1999
La documentation Française : "Congolais et Sénégalais en France face et au regard du droit / Ministère de la Justice, Mission de recherche droit et justice ;
Laboratoire d’anthropologie juridique de Paris ; sous la direction d’Etienne Le Roy ; Camille Kuyu Mwissa ; Ibra Ciré N’Diaye."
Ce
rapport
d’une recherche
contractuelle
a été
réalisé
à
la demande
du
groupement d’intérêt public »mission de recherche Droit
et
Justice » du
ministère de la Justice dans le cadre
du
programme « l’étranger
en
France
face
et
au
regard
du
Droit
».
Les auteurs de ce rapport sont seuls responsables à titre personnel des
opinions émises dans ce texte.
La documentation Française : "Congolais et Sénégalais en France face et au regard du droit / Ministère de la Justice, Mission de recherche droit et justice ;
Laboratoire d’anthropologie juridique de Paris ; sous la direction d’Etienne Le Roy ; Camille Kuyu Mwissa ; Ibra Ciré N’Diaye."
Introduction
par Etienne Le Roy
responsablescientifique
J’introduirai
les résultats
de
mes
collègues
Camille
Kuyu
et Ibra
Ciré
N’Diaye en
rappelant
tout
d’abord
les choix
initiaux
qui
avaient
été
présentés
lors
de
la
remise
des
rapports
intermédiaires.
Puis
je
réaliserai
une
« mise
en
perspective
anthropologique » des rapports
qui
constituent
l’essentiel de
la contribution
du LAJP,
document
ainsi
constitué de
deux
parties
auxquelles
sont
associées des annexes.
A - Les choix initiaux tels que présentés dans
les
rapports
intermédiaires
en décembre 1997.
I - Le rapport d’Ibra Ciré N’Diaye, concernant la communauté sénégalaise,
illustrait
l’importance
que gardent
pour
les
étrangers
leurs
«cultures
de
départ » puis, plus
spécialement,
les
conditions
culturelles présidant
à
leur
départ,
prédisposant
à
la
réussite
ou
à
l’échec
de
l’aventure
de
la
migration.
Une
importante
littérature
y
est
consacrée.
Ses
illustrateurs
en sont
les
maliens
Fili
Dabo
Cissoko
et
Amadou Hampaté
Ba,
le
sénégalais
Cheix
Hamidou
Kane...Mais
il
convient
aussi
de
prendre
en
compte
les
cultures
du voyage,
les
récits
de ces voyageurs car
c’est
l’ensemble
de ces
expériences
et
références
qui
déterminent
les
attitudes
à
l’égard
de
la société
d’accueil
et
les
positions
de
résistance,
de
négociation
ou
d’adhésion
aux
formes
institutionnelles
et
aux
comportements
de
la
société
d’accueil.
Le
rapport mettait
en
évidence une
autre
contrainte
qui
devient
de plus en plus
lourde
à
gérer
pour
les
parties
prenantes,étrangers
comme
nationaux :
le
crise
du
système
éducatif
à
la
française, ce
que
le
rapport
dénomme « la
socialisation
institutionnalisée ».
La
crise
du système
scolaire
qui
frappe
directement
l’ensemble
des enfants est
d’autant
plus
cruelle qu’elle
intervient
dans
un
champ
volontairement
ruiné
par
l’école
et
la
modernité,
celui
de
l’éducation
traditionnelle,
au nom
d’une
rationalité
supérieure
qui
s’avère pour
beaucoup
vide
de sens
et
d’espoir. Comme
le
suggère
le titre
du
mémoire
de
DEA
de Samba
Ouattara,
il
s’agit
alors
non
d’intégration
mais de «
Désintégration
à
la
française.. » d’une
manière
bien cruelle
pour
certains...Plus
généralement,
la
crise
des
dispositifs
institutionnels
du
droit civil
dans
le
domaine
du
statut personnel
transforme
fondamentalement
la
perception
de
la
modernité
et
revalorise
des dispositifs
traditionnels
avec
des
avantages
mais
aussi
les
inconvénients
de
proximité
des
comportements
aux
marges
de
la déviance,
voire
de
la
délinquance.
Une dernière réflexion
peut enfin
être
faite.
Le
rapport
insistait
sur
les
caractéristiques
du
communautarisme, sans
doute pour
mieux
expliquer
qu’il
ne
saurait
être
confondu
avec ce
qui
est
La documentation Française : "Congolais et Sénégalais en France face et au regard du droit / Ministère de la Justice, Mission de recherche droit et justice ;
Laboratoire d’anthropologie juridique de Paris ; sous la direction d’Etienne Le Roy ; Camille Kuyu Mwissa ; Ibra Ciré N’Diaye."
désigné
danscertains
documents
officiels
comme
du «
communautarisme »
mais
qui n’est,
en
fait,
qu’une mauvaise traduction
de
la
notion
anglo-américaine
le
«
communalism
»,
reposant
sur
une
appartenance
donnée
une
fois
pour
toute
à
la
communauté
et
induisant
un
enfermement
dans
le
lien
identitaire.
Un
enjeu
des
travaux
à
venir
sera
de
contribuer
à
une
définition
renouvelée,
ouverte
et
«
africaine»
du
communautarisme
pour
mieux
encadrer
les
pratiques
des acteurs à
partir
des
actes
et
des
gestes
qu’ils
posent
au
quotidien.
II -
Le
rapport de Camille KUYU
et
concernant les congolais,
mettait
l’accent,
lui,
sur
la
diversité
des
stratégies
d’acteurs dans
la
société
d’accueil.
Il
privilégiait
les
situations
matrimoniales
sans
faire
l’impasse
sur
d’autres
situations.
En
particulier,
les
travaux
à
venir
devront
développer
les
rapports
au Droit
de
l’enfance
et
les
problèmes
posés par
l’inversion
de
certains
statuts
en
immigration, avec
le
grave
problème
des enfants sorciers.
Le
chapitre
des
rapports
parents-enfants
est
donc
amené
à
être
fortement
développé
dans
le
futur.
Par
contre,
et
sans doute à
la
différence
d’autres
étrangers
qui
sont de plus en plus
amenés
à
renoncer
à
un
retour
ou
qui
optent
pour
une
intégration
dans
la
société
d’accueil,
les
Congolais
(ex-
zaïrois)
ont
des
stratégies
de
passage en France
pour
une
valorisation
du
retour
au
pays.
De
ce
fait,
en matière
de
droit
des
biens,
ce
qui
est
privilégié , c’est
la
circulation
des ressources
entre
le
pays
et
la
France
et
le
renforcement
du
statut
social,
ce
qui
est
dénommé
« logique de statut ».
L’utilisation
des agences
de
fret
est
ici
illustrative
de
l’efficacité
de dispositifs
apparemment
informels
mais
reposant
sur
la
confiance
(sous
tendu
par
un
contrôle
social
très
prégnant).
Le
droit
successoral
se
révèle
quasi
inutile
et
d’autres secteurs
de
la
vie
économique
vont
faire
l’objet
d’une
analyse
pour
mieux
appréhender
l’incidence
de ces
priorités ainsi
accordée
à
une
accumulation
qui
privilégie
la
parade
sociale
et
ce
qui
peut
apparaître
comme
une
« consommation
-destruction
somptuaire »,
au
sens de
« l’essai
sur
le
don »
de
Marcel
Mauss.
Une
autre
observation,
complétée
par
d’autres
observations sur
les
communautés
maliennes
et
ivoiriennes,
montre
l’importance
du pays
et
de
la
famille
restée
au
pays,
le
migrant
étant
une
sorte
d’éclaireur
en
mission
pour
ramener
vers
les
siens
le
maximum
de patrimoine.
Les
rapports
entre
les
sexes
qui
émergent
de ces
descriptions
ne
sont
pas
strictement
le
produit
de
la
migration
car
en
Afrique
il
n’est
pas
rare
d’examiner
les
relations
matrimoniales
sous
l’angle
de
la
guerre de
tranchées. Ce
qui
est
ici
notable
c’est
l’utilisation
systématique
par
les
femmes
des assistantes
sociales,
mobilisables
au nom
des
valeurs
féminines
et
apportant
ainsi
la
légitimité
des
instances
étatiques
dans
cette
nouvelle
grande guerre
entre les
sexes :
une
phrase
telle «
ton
mari
n’est
pas
ton
frère »
est
bien
révélatrice
de cette
tension.
En
conséquence,
les
deux
rapports confirmaient
déjà
au
moins
deux de
nos
hypothèses
initiales :
d’une
part
que
les
conditions
présidant
à
l’immigration
ont
une
influence
directe
sur
les
attitudes
du
La documentation Française : "Congolais et Sénégalais en France face et au regard du droit / Ministère de la Justice, Mission de recherche droit et justice ;
Laboratoire d’anthropologie juridique de Paris ; sous la direction d’Etienne Le Roy ; Camille Kuyu Mwissa ; Ibra Ciré N’Diaye."
migrant
à
l’égard de
la
société
d’accueil,
d’autre
part
que
la
migration
désagrège avant
d’agréger
et
qu’il faut «donner du temps au temps ».
Par
ailleurs, les
données
privilégient
des
solutions
relevant
de l’évitement, de
l’escapisme
ou
du
contournement,
voire
du
détournement
plutôt
que
des
réponses
se
présentant
comme
des
alternatives.
L’alternative
suppose
de
prendre
une position
explicite
pouvant
conduire
à
une
confrontation
dans
laquelle
l’étranger
se
sait
toujours en
position
délicate
et
inférieure.
On
peut
donc
supposer que
les
pratique
juridiques
qui
émergeront de
nos conclusions
ne
pourront
être
présentées comme
des réponses
originales
si, par
là,
on
recherche
des
réponses
alternatives
susceptibles
de
fonder
des
situations
de pluralisme
juridique.
En
effet,
comme
on
le
sait,
le
pluralisme
juridique
est
un
impensé
des
politiquesjuridiques
à
la
française.
B- Mise en perspective anthropologique des résultats
Les
rapports
d’Ibra Ciré N’Diaye
(Crise
de
la
socialisation
institutionnalisée
et
normes
de référence
des
Peuls
d’Île
de
France )
et
de
Camille
Kuyu Mwissa
(Les
Congolais d’Île
de
France)
proposent
des
lignes
de
force
propres à ces aires
culturelles
et
qui
doivent
être
mises
en évidence
préalablement
à
l’élaboration
de
propositions
plus
générales.
Je concentrerai
mes
observations,
d’un
point
de
vue
anthropologique,
sur
les
points
suivants :
1)
Je
confirme
tout
d’abord
que
la
situation
de
l’étranger
doit
toujours
être
associée
aux conditions
de
la
migration.
Dans
le
cas des
Africains
étudiés,
la
migration
n’est
pas
seulement
un
événement
individuel
mais
un
acte
social
qui produit
des
conséquences très
particulières
de
maintien
de
relations
« distanciées »
et
« élastiques»
entre
le
migrant
et
le
groupe de départ, dans
ce
qu’on
pourrait
appeler
une
sorte de «jeu de
Yo-Yo »
des
migrations
internationales.
2)
Une
deuxième
conclusion
paraît
plus
originale
par
rapport
à nos hypothèses de départ.
L’insertion
de
l’étranger
dans
le
milieu
qui
le
reçoit
s’inscrit
dans
un
cadre
culturel
qui
est
marqué
par
une
double
problématique
de
l’altérité.
Il
y
a
l’altérité
problématique
de
la société
française
en
tant
que
milieu
receveur, d’une part,
en
relation
avec
l’image
de
l’étranger en
général
et
de ces
étrangers
en
particulier. Mais
aussi,
et
d’autre
part,
il
y
a
une
altérité
des
Africains
à
prendre
en
considération,
exprimée
par des
étrangers
jugeant
des
conditions offertes
pour
leur
insertion
et,
en
particulier
comme
on
le
constate
dans
le
rapport
sur
les
Congolais
à propos des valeurs de
socialisation,desenfants des Etrangers.
3)
L’escapisme
et
l’évitement
dont nous avons
parlé
sont
liés
à
une
confrontation
tensionnelle
et
lourde
dedangers
entre
deux conceptionsdu
Droit.Le
rapport
au
Droit
tel
qu’il
est
analysé
dans
la
suite
des
travaux permet
de
mettre
en
évidence
ce
qui
est
bien connu
en
Afrique
mais
que
différents
acteurs « institutionnels » (dont
les
juristes)
ont
tendance
à
occulter
:
il
y
a
deux
registres
juridiques,
l’un constitué par
un
droit
« savant »,
officiel
et
étatique,
l’autre
par
un
droit
La documentation Française : "Congolais et Sénégalais en France face et au regard du droit / Ministère de la Justice, Mission de recherche droit et justice ;
Laboratoire d’anthropologie juridique de Paris ; sous la direction d’Etienne Le Roy ; Camille Kuyu Mwissa ; Ibra Ciré N’Diaye."
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