Congolais et Sénégalais en France face et au regard du Droit

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L’étranger en France face et au regard du Droit
Contributions du
Laboratoire d’Anthropologie juridique de Paris (LAJP)
au rapport de synthèse collectif
Congolais et Sénégalais en France
face et au regard du Droit
par
Camille KUYU MWISSA
Etienne LE ROY
Ibra Ciré N’DIAYE
Paris, décembre 1998, janvier 1999
La documentation Française : "Congolais et Sénégalais en France face et au regard du droit / Ministère de la Justice, Mission de recherche droit et justice ;
Laboratoire d’anthropologie juridique de Paris ; sous la direction d’Etienne Le Roy ; Camille Kuyu Mwissa ; Ibra Ciré N’Diaye."
Ce rapport d’une recherche contractuelle a été réalisé à la demande du
groupement d’intérêt public »mission de recherche Droit et Justice » du
ministère de la Justice dans le cadre du programme « l’étranger en France
face et au regard du Droit ».
Les auteurs de ce rapport sont seuls responsables
à titre personnel des
opinions émises dans ce texte.
La documentation Française : "Congolais et Sénégalais en France face et au regard du droit / Ministère de la Justice, Mission de recherche droit et justice ;
Laboratoire d’anthropologie juridique de Paris ; sous la direction d’Etienne Le Roy ; Camille Kuyu Mwissa ; Ibra Ciré N’Diaye."
Introduction
par Etienne Le Roy
responsable scientifique
J’introduirai les résultats de mes collègues Camille Kuyu et Ibra Ciré N’Diaye en rappelant tout
d’abord les choix initiaux qui avaient été présentés lors de la remise des rapports intermédiaires.
Puis je réaliserai une « mise en perspective anthropologique » des rapports qui constituent
l’essentiel de la contribution du LAJP, document ainsi constitué de deux parties auxquelles sont
associées des annexes.
A-
Les choix initiaux tels que présentés
dans les rapports
intermédiaires en décembre 1997.
I - Le rapport d’Ibra Ciré N’Diaye, concernant la communauté sénégalaise, illustrait
l’importance que gardent pour les étrangers leurs « cultures de départ » puis, plus spécialement,
les conditions culturelles présidant à leur départ, prédisposant à la réussite ou à l’échec de
l’aventure de la migration. Une importante littérature y est consacrée. Ses illustrateurs en sont les
maliens Fili Dabo Cissoko et Amadou Hampaté Ba, le sénégalais Cheix Hamidou Kane...Mais il
convient aussi de prendre en compte les cultures du voyage, les récits de ces voyageurs car c’est
l’ensemble de ces expériences et références qui déterminent les attitudes à l’égard de la société
d’accueil et les positions de résistance, de négociation ou d’adhésion aux formes institutionnelles et
aux comportements de la société d’accueil.
Le rapport mettait en évidence une autre contrainte qui devient de plus en plus lourde à gérer pour
les parties prenantes, étrangers comme nationaux : le crise du système éducatif à la française, ce que
le rapport dénomme « la socialisation institutionnalisée ». La crise du système scolaire qui frappe
directement l’ensemble des enfants est d’autant plus cruelle qu’elle intervient dans un champ
volontairement ruiné par l’école et la modernité, celui de l’éducation traditionnelle, au nom d’une
rationalité supérieure qui s’avère pour beaucoup vide de sens et d’espoir. Comme le suggère le titre
du mémoire de DEA de Samba Ouattara, il s’agit alors non d’intégration mais de « Désintégration à
la française.. » d’une manière bien cruelle pour certains...Plus généralement, la crise des
du droit civil dans le domaine du statut personnel transforme
dispositifs institutionnels
fondamentalement la perception de la modernité et revalorise des dispositifs traditionnels avec des
avantages mais aussi les inconvénients de proximité des comportements aux marges de la déviance,
voire de la délinquance.
Une dernière réflexion peut enfin être faite. Le rapport insistait sur les caractéristiques du
communautarisme, sans doute pour mieux expliquer qu’il ne saurait être confondu avec ce qui est
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désigné dans certains documents officiels comme du « communautarisme » mais qui n’est, en fait,
qu’une mauvaise traduction de la notion anglo-américaine le « communalism », reposant sur une
appartenance donnée une fois pour toute à la communauté et induisant un enfermement dans le lien
identitaire. Un enjeu des travaux à venir sera de contribuer à une définition renouvelée, ouverte et
« africaine» du communautarisme pour mieux encadrer les pratiques des acteurs à partir des actes
et des gestes qu’ils posent au quotidien.
II - Le rapport de Camille KUYU et concernant les congolais, mettait l’accent, lui, sur
la diversité des stratégies d’acteurs dans la société d’accueil. Il privilégiait les situations
matrimoniales sans faire l’impasse sur d’autres situations. En particulier, les travaux à venir
devront développer les rapports au Droit de l’enfance et les problèmes posés par l’inversion de
certains statuts en immigration, avec le grave problème des enfants sorciers. Le chapitre des
rapports parents-enfants est donc amené à être fortement développé dans le futur.
Par contre, et sans doute à la différence d’autres étrangers qui sont de plus en plus amenés à
renoncer à un retour ou qui optent pour une intégration dans la société d’accueil, les Congolais (exzaïrois) ont des stratégies de passage en France pour une valorisation du retour au pays. De ce fait,
en matière de droit des biens, ce qui est privilégié , c’est la circulation des ressources entre le pays
et la France et le renforcement du statut social, ce qui est dénommé « logique de statut ».
L’utilisation des agences de fret est ici illustrative de l’efficacité de dispositifs apparemment
informels mais reposant sur la confiance (sous tendu par un contrôle social très prégnant). Le droit
successoral se révèle quasi inutile et d’autres secteurs de la vie économique vont faire l’objet d’une
analyse pour mieux appréhender l’incidence de ces priorités ainsi accordée à une accumulation qui
privilégie la parade sociale et ce qui peut apparaître comme une « consommation -destruction
somptuaire », au sens de « l’essai sur le don » de Marcel Mauss.
Une autre observation, complétée par d’autres observations sur les communautés maliennes et
ivoiriennes, montre l’importance du pays et de la famille restée au pays, le migrant étant une sorte
d’éclaireur en mission pour ramener vers les siens le maximum de patrimoine. Les rapports entre
les sexes qui émergent de ces descriptions ne sont pas strictement le produit de la migration car en
Afrique il n’est pas rare d’examiner les relations matrimoniales sous l’angle de la guerre de
tranchées. Ce qui est ici notable c’est l’utilisation systématique par les femmes des assistantes
sociales, mobilisables au nom des valeurs féminines et apportant ainsi la légitimité des instances
étatiques dans cette nouvelle grande guerre entre les sexes : une phrase telle «ton mari n’est pas
ton frère » est bien révélatrice de cette tension.
En conséquence, les deux rapports confirmaient déjà au moins deux de nos hypothèses initiales :
d’une part que les conditions présidant à l’immigration ont une influence directe sur les attitudes du
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migrant à l’égard de la société d’accueil, d’autre part que la migration désagrège avant d’agréger et
qu’il faut « donner du temps au temps ».
Par ailleurs, les données privilégient des solutions relevant de l’évitement, de l’escapisme ou du
contournement, voire du détournement plutôt que des réponses se présentant comme des
alternatives. L’alternative suppose de prendre une position explicite pouvant conduire à une
confrontation dans laquelle l’étranger se sait toujours en position délicate et inférieure. On peut
donc supposer que les pratique juridiques qui émergeront de nos conclusions ne pourront être
présentées comme des réponses originales si, par là, on recherche des réponses alternatives
susceptibles de fonder des situations de pluralisme juridique. En effet, comme on le sait, le
pluralisme juridique est un impensé des politiques juridiques à la française.
B- Mise en perspective anthropologique des résultats
Les rapports d’Ibra Ciré N’Diaye (Crise de la socialisation institutionnalisée et normes de référence
des Peuls d’Île de France ) et de Camille Kuyu Mwissa (Les Congolais d’Île de France) proposent
des lignes de force propres à ces aires culturelles et qui doivent être mises en évidence
préalablement à l’élaboration de propositions plus générales.
Je concentrerai mes observations, d’un point de vue anthropologique, sur les points suivants :
1) Je confirme tout d’abord que la situation de l’étranger doit toujours être associée aux conditions
de la migration. Dans le cas des Africains étudiés, la migration n’est pas seulement un événement
individuel mais un acte social qui produit des conséquences très particulières de maintien de
relations « distanciées » et « élastiques» entre le migrant et le groupe de départ, dans ce qu’on
pourrait appeler une sorte de « jeu de Yo-Yo » des migrations internationales.
2) Une deuxième conclusion paraît plus originale par rapport à nos hypothèses de départ.
L’insertion de l’étranger dans le milieu qui le reçoit s’inscrit dans un cadre culturel qui est marqué
par une double problématique de l’altérité. Il y a l’altérité problématique de la société française en
tant que milieu receveur, d’une part, en relation avec l’image de l’étranger en général et de ces
étrangers en particulier. Mais aussi, et d’autre part, il y a une altérité des Africains à prendre en
considération, exprimée par des étrangers jugeant des conditions offertes pour leur insertion et, en
particulier comme on le constate dans le rapport sur les Congolais à propos des valeurs de
socialisation, des enfants des Etrangers.
3) L’escapisme et l’évitement dont nous avons parlé sont liés à une confrontation tensionnelle et
lourde de dangers entre deux conceptions du Droit. Le rapport au Droit tel qu’il est analysé dans la
suite des travaux permet de mettre en évidence ce qui est bien connu en Afrique mais que différents
acteurs « institutionnels » (dont les juristes) ont tendance à occulter : il y a deux registres
juridiques, l’un constitué par un droit « savant », officiel et étatique, l’autre par un droit
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« pratique ou de la pratique » qui est souvent d’inspiration « africaine » comme référant à
certaines expériences vécues au pays, mais qui est le produit des apports de la migration, de
nombreuses requalifications et donc de changements importants qui interdisent de qualifier ce droit
pratique de « traditionnel» ou de « coutumier ». Au delà de l’effet schizophrénique de cette
négation d’une réalité il y a donc une production juridique originale comme produit de cette
dissociation.
4) En conséquence, on voit émerger un Droit « populaire » et « métisse » comme caractéristique
de l’insertion sans assimilation d’une classe sociale essentiellement prolétarisée mais apte à profiter
de « l’ascenseur social » à chaque fois qu’il peut fonctionner tout en jouant de manière utilitariste
et opportuniste avec les divers modes de régulation.
I - La migration comme processus socialisé
La définition implicite que nous donnons, en France, de la migration se ressent principalement du
fait que nous n’avons pas été un pays d’émigration (en dehors de l’Algérie) et que l’immigration y
est vécue depuis une vingtaine d’années sur la mode de la forteresse assiégée. Au mieux, pour
nous, la migration est un événement plutôt désagréable que nous devons nous efforcer d’éviter.
Socialement disqualifiée, la migration n’est donc pas perçue comme un processus social mais
comme un événement affectant une catégorie particulière de population, les Etrangers. Ainsi, ni les
circonstances particulières entourant le choix du départ, ni les modes de sa préparation au sein de la
communauté, ni les ruptures qu’elle peut induire tant chez les acteurs qui la vivent que dans le
groupe qui l’autorise, la prépare ou l’organise ne sont prises en considération. Inscrites au sein
d’une nomenclature comme migrations de travail ou demandes d’asile sur le territoire français pour
des motifs tenant à la sécurité des individus pour des raisons politiques ou au nom des droits de
l’homme, nous envisageons la migration comme un déplacement opportuniste ou comme demande
de refuge/asile au nom de valeurs dont on peut abuser.
Notre sociologie spontanée n’identifie pas dans la migration ce qui a trait au départ, à l’arrivée et à
la durée du séjour selon des relations de confiance pouvant ouvrir, éventuellement, à l’assimilation.
- C’est donc le premier mérite du rapport d’I.-C. N’Diaye que de souligner qu’une migration se
prépare et que, chez les Peuls, comme dans d’autres groupes, quatre étapes structurent l e
départ d’un membre : préparatifs, adieux, confidences et départ matériel. Dès l’introduction,
l’auteur nous livre le sens véritable de la migration dans une société africaine : toute organisation
d’un départ est préparation d’un retour. Il n’est pas envisageable qu’un groupe prévoit de se priver
d’un de ses membres « de gaieté de coeur ». S’il peut avoir besoin d’un apport neuf au terme de
l’expérience, le lien entre le migrant et son groupe d’origine n’est pas sécable et on sait combien ce
lien est constamment enrichi et revalorisé dans les foyers africains de la région parisienne par une
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circulation constante d’hommes, d’informations, de ressources etc. D’où la métaphore du «jeu du
yo-yo » évoquée en introduction.
Dans les représentations traditionnelles, la migration avait une place d’autant plus fondamentale que
l’histoire de l’Afrique est d’abord une histoire de migrations. Comme dans le cas des cités grecques
de la Grande Grèce, l’objectif de ces migrations est de reproduire sur le nouveau lieu, et si possible
à l’identique, le modèle « matriciel » d’organisation sociale du lieu d’origine qui seul donne
autorité ou légitimité aux organisateurs de la migration1. C’est en fait ce qu’on retrouve dans
certains foyers ou certains quartiers de la banlieue parisienne non par manque d’imagination mais
comme un effet de structure légitimant le sens même de la migration. Ces relations du point
d’origine au lieu de migration sont donc orientées et canalisées, voire dynamisées et c’est à l’image
d’un cordon ombilical virtuel qu’il faudrait recourir pour suggérer l’importance des réseaux qui
vont structurer les rapports entre le point de départ et le lieu de la migration. Sous cet angle, les
rapports concernant l’Afrique de l’ouest et l’Afrique centrale sont concordants pour souligner d’une
part que tout départ suppose un retour et que cette affirmation reste pour ces groupes, ne vivant pas
dans des conditions de surpopulation, une constante de leurs représentations. D’autre part, ces
rapports indiquent que circulent avec les individus des ressources mais aussi des valeurs et des
nouvelles représentations de la vie en société, dans les deux sens. Ceci explique que la
modernisation actuelle de la vie sociale et politique en Afrique ait été largement influencée par les
effets indirects des migrations internationales et des retours de migrations quand ces retours ont été
bien négociés, comme j’ai pu l’observer personnellement au Mali depuis 1991.
- Le principe du parallélisme des formes suggérerait qu’à l’organisation des procédures de départ
devraient correspondre des procédures analogues à l’arrivée pour conforter la socialisation ainsi
recherchée, structurer le lien social et finalement favoriser le retour dans les meilleurs délais ou
conditions. Or, la société d’accueil, dans le cas la France, non seulement sous estime son devoir
d’hospitalité mais encore organise un accueil policier et suspicieux qui décourage les plus
volontaristes. Tel n’était pas le cas dans des sociétés qui, comme l’Australie au XIX˚ siècle où je
viens de travailler, avaient conscience que l’accueil allait déterminer les conditions de socialisation,
donc la fusion des personnalités et des références culturelles particulières dans le « melting pot ».
Il est donc paradoxal qu’on exige des étrangers une assimilation dans les valeurs et les
représentations de la société française alors que celle-ci se présente comme si peu réceptive aux
apports « en industrie » des étrangers et si peu soucieuse de leur intégration initiale.
- Une troisième observation peut apparaître concernant la durée du séjour et la transformation d’une
migration temporaire en un séjour définitif. La migration congolaise se présente comme
typiquement temporaire. Récente, concernant plutôt des jeunes membres, axée sur des pratiques
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d’ostentation au pays (à Kinshasa), elle développe également des représentations de la société
d’accueil critiques qui ne suggèrent pas de prolonger le séjour au delà des besoins qui l’ont
motivée. Plus ambiguë serait la migration peule, même si un effet de « noria » pousse à réduire les
temps de séjour pour multiplier les expériences de migration afin que tout le monde puisse
bénéficier au village des effets de la migration sans que les rapports des jeunes célibataires avec le
village ne soient rompus.
Actuellement, le véritable critère à prendre en considération est l’attitude des membres de la
communauté expatriée à l’égard des défunts à la suite de décès en situation de migration. Tant que
ces défunts sont rapatriés au pays, la représentation classique de la migration comme un aller-retour
pour conforter le modèle de la société de départ reste pertinente. Mais, quand les défunts vont être
enterrés dans le pays d’accueil, celui-ci cesse d’être un pays étranger comme on cesse d’être un
étranger quand ses ancêtres sont enterrés « ici ». En octobre 1988, dans certains milieux algériens
de la région parisienne, suite aux émeutes d’Alger, on relevait ainsi une attitude neuve qui n’a fait
que se confirmer depuis. Le rêve d’un prochain retour a été remplacé par le cauchemar de la
violence et le choix de faire souche en France s’est exprimé, plutôt timidement. Car il est difficile
de faire confiance à une terre étrangère pour y accueillir ses morts. De manière plus générale, pour
qu’un étranger puisse faire confiance à la société d’accueil, il faut « donner du temps au temps » et
bien appréhender le travail qu’induit l’insertion progressive non seulement dans les modèles de
conduites et de comportements mais aussi dans des habitus spécifiques2. A l’inverse de l’idée
simpliste que l’assimilation est conversion dans une civilisation naturellement supérieure, il nous
faut être sensible à ces multiples négociations qui finalement permettent à des étrangers de se sentir
aussi familiers dans la culture du pays d’accueil que dans sa propre culture, au point de pouvoir
choisir de s’y inscrire pleinement ou de négocier des appartenances biculturelles. Le rapport au
Droit permettra particulièrement de le souligner.
II - Les représentations de l’altérité sont, chez les Africains, le reflet de la société
qui les reçoit
Le rapport de Camille Kuyu contient une analyse très pertinente mais aussi interpellante des
représentations que développent certains groupes africains (et sans doute non africains). Nous
savions déjà que l’altérité est une notion problématique dans toute société et en particulier dans la
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société française où elle est abordée comme un tabou qui doit être censuré3. Nous découvrons ici
que, sous la forme du principe de l’englobe ment du contraire que Louis Dumont analyse comme
un effet de l’idéologie moderne4, des membres de la communauté congolaise pensent leurs
pratiques à l’aune de la société française et comme le contraire de ce qu’ils observent ici. D’où trois
jugements présentés page 22 :
«- Les Européens inculquent à leurs enfants le savoir-vivre barbare,
- les Européens n’ont plus d’humanité,
- les blancs laissent leurs enfants regarder des films pornographiques. »
Quelques lacunaires et simplistes que soient de telles représentations, elles confirment bien ce que
disait Roland Barthe en ce que « l’altérité est le concept le plus antipathique au bon sens » que cite
également C. Kuyu. On perçoit bien ce que de telles explications ont de « réactives » à l’égard de
présentations tout aussi simplistes, voire racistes venant de membres du pays d’accueil. Mais
voyons bien que la conclusion qu’en tire l’auteur n’est pas seulement de justifier une tendance au
repliement dans la communauté quand il écrit « les préjugés à l’égard du blanc et de sa culture
s’accompagnent d’un repli identitaire, communautaire » (page 23). En effet, quelques lignes plus
loin il ajoute « la communauté de repli n’est plus entièrement africaine. Elle est un mélange des
cultures africaines et occidentales ». Ces représentations sont donc à l’image des modes de
régulation, métisses, comme nous allons de souligner à propos des pratiques juridiques.
III - Une dissociation des registres juridiques et une instrumentalisation du Droit
du pays d’accueil
Ces diverses caractéristiques du rapport au Droit, mises en évidence dans les deux rapports,
n’étonneront pas les spécialistes de la vie juridique en Afrique au sud du Sahara. Ce sont en effet
des traits que, depuis une vingtaine d’années, la recherche souligne, se demandant comment il est
possible à une très grande majorité des Africains de vivre en dehors ou en opposition à des
régulations qui sont dites « de droit positif » mais dont l’effet est éminemment négatif pour la
concrétisation de ce qu’on dénomme l’Etat de Droit, d’où le soupçon de schizophrénie qui pèse sur
certaines attitudes.
Dans la mesure où c’est bien un modèle « à la française » qui inspire les régulations juridiques et
les Droits d’Afrique noire, les migrants retrouvent en France la même situation que dans leurs pays
d’origine, à cette réserve prés que ce qui est ultra minoritaire chez eux est très largement majoritaire
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ici et qu’en outre les Français ont développé un véritable culte de l’Etat et du Droit qu’il énonce,
sacralisant ainsi toute mise en cause des normes générales et impersonnelles entendues comme le
Droit - Loi.
Ainsi, si les Africains peuvent reconduire l’usage d’un droit de la pratique qu’ils connaissent dans
leurs sociétés, ce n’est pas sur le même mode qu’ils le valorisent. Les Français n’acceptent pas
facilement de reconnaître que le Droit pratiqué s’écarte du Droit proclamé car leur idéal de l’unité
du système juridique répond à un grand fantasme de l’égalité des conditions ou des statuts par
l’uniformité des régulations. Les Africains sont donc obligés de s’adapter à cette autocensure et
doivent pratiquer en secret ou à l’ombre du Droit officiel les solutions qu’induit le
communautarisme encore largement présent.
Par là je souligne que si les Africains expriment une très réelle originalité en relation avec des
spécificités culturelles et comme une expression d’une vision du monde « animiste » que C. Kuyu
évoque dans son rapport, il n’est pas facile de faire la part entre ces raisons « culturalistes» et des
motifs plus pragmatiques qui sont caractéristiques du milieu social que le Droit va réguler.
Ibra Ciré N’Diaye fait justement la part entre ’la vie en appartement’ et ’la vie en foyer’, l’une
individualisante, l’autre communautaire (pp. 14/19). Camille Kuyu rappelle la définition que donnait
Michel Alliot de la communauté comme un triple partage, définition qui se trouve largement justifiée
dans les contextes de résidence dans la région parisienne. Il indique également, et surtout à mes
yeux, que la communautarisme ainsi revisité en France impose de valoriser des relations
« internes » ou « externes» par rapport à la communauté de référence (pp. 25 et s.) plutôt que
des rapports privés ou publics. Ce sont de telles exigences qui conduisent à concevoir et à mettre
en oeuvre ce que j’appelle par ailleurs un « droit de la pratique ».
Ce droit de la pratique s’exprime d’abord dans le registre de la parenté et du mariage : mariages
arrangés, polygamies de facto, répudiations, bureaugamies illustrent les limites de la réception des
régulations du droit positif français. L’idéal de régler les différends au sein du groupe qui a vu
naître le conflit réduit fortement la possibilité pour les autorités françaises de connaître réellement la
nature et l’étendue de la contestation/contradiction ainsi énoncée.
Mais ce droit de la pratique s’énonce aussi dans d’autres domaines conceptions du patrimoine,
droit des biens ainsi que le soulignait le pré-rapport de C. Kuyu en 1998.
Une caractéristique particulière de ce Droit de la pratique est qu’il n’est utilisable, voire valide,
qu’auprès de certaines catégories d’acteurs, comme l’expliquent bien dans le domaine du mariage,
ceux des acteurs qui justifient pourquoi ils ont pu échapper à l’obligation du mariage civil. Ce sont
donc tous ceux qui pratiquent de tels dispositifs qui se reconnaissent dans ce « droit de la
pratique ».
Par ailleurs, une autre caractéristique de ce droit est son caractère composite. S’il peut se dire
« africain » en ce qu’il se différencie du droit du pays d’accueil, il n’est ni « traditionnel » ni
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« coutumier ». Il condense ou exprime certaines valeurs de l’Afrique de toujours mais ses
régulations sont « contemporaines ». C’est le fruit d’une adaptation contextuelle à des situations
plus ou moins violentes et plus ou moins logiques où domine le pragmatisme.
Mais, enfin, l’utilitarisme apparaît également fortement. Tant le droit positif de l’Etat français que
leurs propres réponses « pragmatiques » sont instrumentalisés par les Africains. Nulle valorisation
des régulations mises en oeuvre ou des solutions adoptées pour résoudre les conflits. Cette attitude
parait se différencier de ce quej’ai dénommé ci-dessus le culte de l’Etat et de sa loi. Il faudra sans
doute que le contenu des lois et le sens du règlement judiciaire des conflits deviennent plus
favorables à leurs intérêts pour que les Africains acceptent de s’inscrire dans la sacralité juridique et
institutionnelle qui est ainsi exprimée. A l’évidence la société d’accueil n’est pas préparée à de telles
évolutions.
En conclusion
On voit apparaître à travers ces travaux deux observations qui confirment ce que nous savions ou
ce que nous pouvions supposer.
1) La part d’invention et d’adaptation dans la vie juridique de ces Africains est beaucoup plus
importante que ce que l’opinion générale ou le sens commun pourrait leur prêter sur la base de la
prolétarisation de leurs conditions de travail. La pauvreté en capital financier n’étant pas corrélative
d’une analogue pauvreté en capitaux symboliques, les Africains pratiquent des alternatives
intelligemment conceptualisées et en apportent des explications particulièrement logiques qui
devraient retenir l’attention des concepteurs de politiques juridiques cherchant à promouvoir le
pluralisme juridique.
2) Leur efficacité réside dans le fait que telles pratiques sont métisses et empruntent autant au pays
d’accueil qu’aux cultures originelles. Appartenant à l’une et à l’autre des cultures, elles ne
s’opposent frontalement ni à l’une ni à l’autre tout en les enrichissant. Cette logique « de l’entre
deux » prend ici une signification particulière. Le droit de la pratique qui émerge ici se veut
pragmatiquement adapté à la diversité des situations et à la rapidité des mutations. Il autorise chacun
à trouver ses marques et à gérer posément une insertion dans la société d’accueil qui ne peut être ni
rejet ni assimilation.
Ce que nous avons vu émerger ici nous informe donc de manière positive que le processus
d’adaptation progressive des communautés migrantes d’Afrique noire à la société française a évolué
de telle sorte que les uns et les autres expérimentent des formules d’insertion sans dissolution
culturelle qui pourraient être approfondies et généralisées.
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Mais ne cachons pas que des obstacles sérieux restent présents.
D’une part, nous devons approfondir la perception que les Africains ont de « l’institution » afin de
mieux comprendre comment il serait possible dans les formules d’encadrement juridique qui leur
seraient proposées (en particulier dans le cadre des expériences d’intermédiation culturelle au profit
des enfants d’origine africaine) de mieux associer les approches ’fonctionnelles’ de leur ’droit de la
pratique’ et les démarches institutionnalistes qui caractérisent notre Droit.
D’autre part, nous connaissons mal la perception qu’ont de ces questions les membres de la société
française. Il est clair que des évolutions apparaissent mais il est malaisé de généraliser. On a vu que
des améliorations réelles des conditions d’accueil des étrangers en situation régulière devraient voir
le jour et être encouragées par l’Etat. Sous quelles conditions cela serait-il possible ? Jusqu’où
racisme et anti-racisme sont-ils actuellement convoqués ? C’est donc à un prolongement de l’étude
qu’il conviendrait d’aboutir pour interroger la conception de l’altérité des Français à l’aube du
troisième millénaire.
La présentation des résultats reproduit la démarche de recherche et la spécificité de deux populations
qui, tout en ayant la caractéristique commune d’ être « Africains », représentent des histoires de
migrations et des interprétations de leurs rapports au Droit français trop originales pour qu’on
puisse généraliser.
- La première partie Crise de la socialisation institutionnalisée et normes de référence des Peuls
d’Île de France a été rédigée par Ibra Ciré N’Diaye, responsable de ce volet de la recherche.
- La seconde partie Les Congolais d’île de France a été rédigée par Camille Kuyu, également
responsable de la recherche sur les populations congolaises.
Une brève conclusion des deux auteurs ferme le rapport qui est suivi en annexe d’extraits des
interviews réalisés
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Première Partie
Crise de la socialisation institutionnalisée
et normes de référence des Peuls d’Île de France
par Ibra Ciré N’Diaye
Les entretiens ont été réalisés avec la participation de
Yaya Lam, doctorant au Laboratoire d’Anthropologie Juridique de Paris
L’entrée et le séjour des étrangers en France sont régis par l’ordonnance du 2 novembre 1945
modifiée au fil des années. En vertu de cette ordonnance, l’Office National de l’Immigration (ONI)
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devenu l’Office des Migrations Internationales (OMI) assurait l’entrée des étrangers en France.
Pour séjourner en France, il fallait produire un contrat de travail.
La loi Bonnet du 10 janvier 1980conduit à une révision de l’ordonnance de 1945. Pour
certains peuls, cette loi symbolise le malheur des étrangers : Ko bone tan Bonnet addi : « Bonnet
n’a apporté que le malheur ».
Cette loi place au même niveau les étrangers entrés illégalement en France et ceux qui
ont des difficultés de renouvellement de leur titre de séjour.
cent étrangers.
Parmi la centaine d’interlocuteurs que nous avons rencontrés, beaucoup sont entrés en
France dans les années 1970, période de la grande sécheresse dans le Nord du Sénégal d’où ils
sont originaires. Cette catégorie composée de cinquante étrangers évoque deux autorités (
« MARCOLLIN » et « FONTENAY »). Il s’agit d’une déformation de MM. MARCELIN et
FONTANET, respectivement ministre de l’Intérieur et ministre du travail. En croisant les
informations, nous avons trouvé qu’il a bien existé les circulaires MARCELIN-FONTANET ( et
non de lois ). En 1975, le Conseil d’Etat avait annulé partiellement certaines dispositions de ces
circulaires.
Trente autres de nos interlocuteurs sont entrés vers la fin des années 1970 et ont été
régularisés en 1981 sous le gouvernement de M. MAUROY.
Quinze personnes ont le statut de réfugié politique accordé par l’Office Français pour la
Protection des Réfugiés et Apatrides (OFPRA) après le conflit d’avril 1989 entre le Sénégal et la
Mauritanie.
Cinq personnes n’ont pas pu renouveler leur titre de séjour en tant que chômeurs en fin
de droits.
Le présent rapport est structuré en deux chapitres.
Dans un premier chapitre, nous présenterons une synthèse des récits de vie des Peul en
Ile de France face et au regard du Droit
Dans un second chapitre, nous identifierons les normes de références valorisées.
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Laboratoire d’anthropologie juridique de Paris ; sous la direction d’Etienne Le Roy ; Camille Kuyu Mwissa ; Ibra Ciré N’Diaye."
Chapitre Un : Récits de vie des Peuls d’Ile de France face et au regard du droit
Parmi les étrangers en situation régulière, il y a les travailleurs immigrés, les réfugiés
et les demandeurs d’asile... Ils vivent majoritairement dans des foyers. Il arrive exceptionnellement
que des époux sans enfant en France vivent dans un foyer.
Dans la phase actuelle de notre travail, les populations étudiées sont des Toucouleurs (
Peul), et accessoirement des Wolof et Soninke venant de la vallée du fleuve Sénégal. Sur la base
des focus -groupes, nous avons rencontré cent personnes dans des foyers à Paris. Ces cent
Sénégalais sont soit résidents dans des foyers soit visiteurs vivant en regroupement familial en
dehors du foyer. Ce sont tous des hommes.
Notre problématique s’articule essentiellement autour de l’interrogation suivante : Y a-til un paradoxe entre l’appartenance communautaire et le respect du droit en France par les
Sénégalais ?
Pour y répondre, nous chercherons d’abord à cerner ce qu’est une communauté. Puis
nous en identifierons les implications la nature des relations juridiques se révélant plutôt internes
ou externes que privées ou publiques.
I - La notion de communauté et le rapport aux autres
La communauté se définit par son mode d’organisation et les membres qui la
composent5.
Selon Michel ALLIOT,
« la communauté se définit non par une ressemblance mais par un triple partage.
a) Partage d’une même vie. C’est le partage d’un espace, d’une vie quotidienne, des
jeux, de nourriture, le partage d’ancêtres communs, celui d’une langue commune...d’une volonté
commune...
b) Partage de la totalité des spécificités ...Les communautés valorisent plus les
hiérarchies et les différences que l’égalité et les similitudes...Elles répondent à un modèle de
complémentarité....
c) Partage d’un champ décisionnel commun...Il ne suffit pas de prendre soi-même ses
décisions. Il faut pouvoir les prendre dans le cadre de ses propres règles : l’indépendance sans
autonomie est un leurre... »6
La communauté n’est pas une construction abstraite et s’enracine dans des valeurs qui
légitiment ou délégitiment les conduites et les comportements de ses membres7.
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Le sens que les Sénégalais donnent à la notion de communauté valorise les
appartenances lignagères. De la naissance à la mort, les êtres sont insérés dans des réseaux de
lignages8.
Chez les Toucouleurs ( Peuls ), les Wolof et les Soninkés, les logiques sociales
engendrent une mise en relation de l’enfant avec plusieurs pères et plusieurs mères. Le géniteur de
l’enfant n’est pas le seul père de celui-ci. Les frères du géniteur ont aussi le statut de père (baaba )
tout comme les soeurs de la génitrice ont le statut de mère ( yumma ). L’enfant ( biddo ) rassemble
le sang de plusieurs lignages : biddo ko yiiyam leñol.
Cette conception de la famille (besngu) valorise plus la notion de filiation que celle de
paternité.
Le sens de cette logique sociale ne décharge pas le géniteur de ses responsabilités
familiales sur la communauté. L’enfant bien éduqué (biddo nehiido) aura encore plus de mères et
pères que celui qui ne l’est moins.
Quels sens les populations rencontrées donnent-elles à cette conception de la famille
dans leur vie en France ?
Il s’agit prioritairement de chercher à comprendre quels types de relations les immigrés
entretiennent avec leurs mères et leurs pères restés au village.
Quitter sa communauté d’origine pour un autre lieu de vie est une décision à laquelle les
aînés sont forcément associés parce qu’il y a des préalables qu’ils doivent accomplir compte tenu de
leurs statuts. Quatre étapes essentielles structurent brièvement le départ d’un membre de la
communauté à l’étranger. Il s’agit des préparatifs ( 1 ), des adieux (2), des confidences ( 3 ) et le
départ (4).
1 - Les préparatifs (kebaali)
Selon les familles c’est le géniteur ou la génitrice ( les deux dans certains cas) qui doit
« consulter les forces invisibles » pour assurer la protection de son enfant et surtout son retour
éventuel au village. Les grands-parents (taaniraabe) et les familles alliées ( sattidiibe) se mobilisent
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pour la matérialisation du projet. La fonction des préparatifs est de renforcer la protection et la
sécurité de l’émigré. C’est une accumulation d’énergie et de force pour affronter le départ.
2 - Les adieux (bayniigu )
Quelques jours avant son départ, l’émigré doit aller dans certaines concessions (
galleeji; singulier galle ) pour faire ses adieux. Cette étape est marquée par une série de conseils.
Nous en retenons essentiellement deux :
- Ladde welaani, sa yehi muñ sabu ladde endda bi moyyo. Kono kala ko jiida koko
gasata so wonaa laamuu Alla ( signifie littéralement : vivre à l’étranger n’est pas facile car
l’immigré peut être facilement accusé de tous les maux. Dis -toi que la souffrance ne perdure
jamais).
-Kala no tawda yimbe no bay waanoon ( il faut t’adapter aux différentes situations sans
pour autant te renier ).
La fonction des adieux est double :
a - Recueillir les conseils des aînés ( bawdo joodo yiya suka daro yiyata : (signifie
littéralement : même assis, l’aîné peut détecter les dangers invisibles au cadet même si celui-ci est
perché sur le toit) est indispensable.
b - C’est une autre façon de manifester son enracinement aux lignages et adoucir (
maslaha, welditinde) les tensions ( ou résoudre des problèmes ) qui pourraient altérer la cohésion
sociale. L’émigré exerce ainsi une fonction de médiation dans la communauté.
La veille du départ, est souvent organisée une soirée musicale avec la classe d’âge de
l’émigré. Les jeux langagers ( cifti ) y sont fortement valorisés
3 - Les confidences (deeyo; ñoode; weeyde)
Les pères, mères et familles alliées expriment leurs souhaits par des confidences.
Inversement l’émigré fait connaître les siens.
Le candidat au départ ne doit jamais renoncer à la solidarité communautaire sans
laquelle, son projet d’émigration ne se réalise pas. Du jour de sa naissance au jour de son départ
pour l’étranger, ses mères, ses pères et familles alliées l’ont protégé directement ou indirectement.
Les parents transmettent certaines fonctions et des secrets familiaux ( pensant que le monde
invisible peut les appeler pendant l’absence de leur fils ).
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Les confidences ont pour fonction de renforcer la mémoire des ancêtres. Il arrive
qu’elles privilégient plus la réussite familiale. C’est une manifestation de l’individualisme par
rapport notamment à des frustrations vécues dans la communauté.
S’il est établi que le communautarisme privilégie la solidarité, il demeure que
l’individualisme se manifeste aussi dans la communauté. La fonction de la solidarité est de corriger
les tendances individualistes de ses membres9.
4 - Le départ (dannungal )
La coutume veut, dans certaines familles et dans certains contextes, qu’au moment de la
séparation, le candidat au départ enjambe quelques pas, le pied droit doit rester nu. Au seuil de la
grande entrée de la maison familiale (damal galle ), l’une de ses mères doit récupérer la dernière
marque de son pied droit. Après avoir accompli ce geste, la mère prononce trois fois et à haute voix
le prénom de fils. Celui-ci regardant fixement sa mère doit répondre tout en lui tenant par la main
gauche. Cette pratique est souvent critiquée par certains marabouts qui la jugent contraire à l’Islam.
Certaines familles font venir une personnalité religieuse généralement membre de la famille du
marabout qui avait béni l’émigré le jour de son baptême.
Les tensions, les conflits, les haines et les représentations dans la communauté obligent
des émigrés à éviter de rencontrer certaines personnes ou croiser leur regard le jour de leur départ.
Cette volonté est d’autant plus forte que certains émigrés s’éclipsent à l’aube (nibbel subaka) pour
ne pas compromettre leur réussite à l’étranger.
Les activités agro -halio -pastorales des communautés étudiées ont souvent conduit ses
membres au nomadisme avant la sédentarisation progressive. Cela est plus perceptible chez les Peul
de la vallée du fleuve Sénégal qui comme certains Wolof ou Soninkés devenaient saisonniers soit
dans le bassin arachidier le Baol, le Cayor..., soit dans des grandes villes comme Saint-Louis,
Dakar pour travailler chez Morel et Prom par exemple.
Le contexte de sécheresse dans les années 1970 a accéléré l’émigration vers des villes
africaines (Abidjan, Libreville...) et européennes (Bruxelles, Bordeaux, Marseille, Paris...).
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II - Les normes de régulations intra et extra communautaires
Il convient dans cette brève partie d’évoquer les relations entre époux et celles entre
enfants et parents.
1 - Les populations rencontrées appartiennent à des sociétés patrilinéaires, inégalitaires
et gérontocratiques.
Il apparaît de plus en plus que certaines femmes en France remettent en cause la
position du mari dans le foyer.
Cette remise en cause, souvent incitée par des assistances sociales (d’après nos
interlocuteurs) introduit des dysfonctionnements dans certaines familles. Une volonté d’autonomie
des femmes par rapport au pouvoir des époux conduit à une réorientation des relations
femme/homme dans la gestion quotidienne du ménage. Mais certaines femmes ne sont pas encore
prêtes pour assumer les responsabilités des maris surtout par manque de moyens. Dans certains
cas, quand la femme revendique la gestion des allocations familiales, les maris se désengagent des
charges familiales : fournitures scolaires, habillement des enfants.
Comment passer du désordre à l’ordre dans les relations entre époux ?
Certaines femmes renoncent aux allocations familiales.
Les conflits entre époux sont nombreux mais il y a toujours des personnes disponibles
dans la communauté pour faire l’intermédiation. Toutes les énergies sont mobilisées pour que le
conflit ne soit pas géré par une personne extérieure10 à la communauté notamment le juge.
2 - Les jeunes nés en France interpellent les formes d’éducation peul, wolof ou soninké
dans le milieu français. Certaines personnes ont réussi à s’adapter avec leurs enfants. D’autres
n’ont pas pu gérer les mutations. Les difficultés d’adaptation ont engendré une certaine détresse
familiale, la délinquance des enfants, la drogue...
Des parents conseillent à leurs enfants de respecter les normes juridiques en France
comme eux le font alors que leurs manières de socialiser les enfants abouti souvent à un résultat
paradoxal.
Parmi les questions posées par les populations rencontrées, il a été évoqué le problème
de la responsabilisation dans l’éducation des enfants. En France, la responsabilisation est
institutionnalisée.
L’institutionnalisation très spécialisée pose un problème de coordination des formes de
socialisation.
Qui doit exercer les fonctions de socialisation de l’enfant et de responsabilisation ?
Il ressort de nos enquêtes que la socialisation institutionnalisée est en crise.
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L’émergence d’une certaine pratique de droit apparaît à travers les cent enquêtes que
nous avons menées.
La problématique de la deuxième partie s’articule autour de deux questions essentielles.
Quelles sont les normes de référence que valorisent les peuls d’Ile de France?
Quel est le contenu de la crise de la socialisation institutionnalisée?
Chapitre Deux : Normes de référence valorisées
Les Peuls rencontrés ont majoritairement vingt ans de résidence en France et sont entrés
dans ce pays aux termes des articles 5 et 5 alinéa 3 de l’ordonnance du 2 novembre 1945.
Certains dont l’entrée dans le territoire français a été refusé au titre des articles 5 et 5
alinéa 2, ont pu contourner les obstacles juridiques avec la complicité de certaines entreprises de
restauration ou de nettoyage. Pour ceux qui ont vécu l’expérience d’expulsion, le contournement a
été indispensable au nom du devoir de solidarité communautaire : No min mbatta? So besngu ma
ala mo yaakri so wona e ma, woodan ma tan ko sakkude feere hay sa soka ma habbu heen wonki
ma. (Comment devons-nous faire ? Surtout lorsque nous symbolisons l’espoir de la communauté.
Il n’y a qu’une réponse : persévérer à ses risques et périls. On a le droit de contourner le
verrouillage mis en place).
Nguurdam Mamadu e France ne muusi. Kono ko min nji do fof ma nattu (La vie des
Mamadou en France est dure mais il faut supporter; cela ne durera pas éternellement). Vingt ans de
résidence n’efface pas ce que nous vivons quotidiennement au travail, dans les transports en
commun et périodiquement à la Préfecture lors des renouvellements de titre de séjour.
Pour mieux identifier les normes auxquelles se réfèrent les personnes rencontrées, nous
avons tenté de les interroger sur les régimes matrimoniaux et l’éducation des enfants nés en France.
I - Les régimes matrimoniaux
Une approche dynamique du mariage nous permet de faire une articulation entre le droit
traditionnel, le droit musulman, le droit moderne prévu par le Code sénégalais de la famille et le
droit français.
A chaque échelle de mariage, les acteurs mobilisent tout ou une partie du droit.
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Acte de liaison intra ou interlignagère, le mariage dépasse les rapports établis par les
futurs époux et nécessite le consentement des aînés.
Le lignage paternel implique au moins les arrières grands-parents, les grands-parents,
les parents, les frères, les soeurs et les cousins consanguins du père.
Le lignage maternel implique aussi les arrières grands-parents, les grands-parents, les
parents, les frères, les soeurs et les cousins utérins de la mère.
Chez les Peul, Wolof et Soninkés, l’enfant symbolise un noeud de lignages entre les
familles ou entre les lignages différents.
En droit traditionnel peul, La filiation résulte d’un processus que nous résumons
brièvement en trois étapes essentielles ( le ñumbordi,le kumal et la célébration du mariage )
auxquelles les aînés sont obligatoirement associés pour l’enracinement et la publication du mariage.
1 - Le ñummbordi
Il correspond à une manifestation de volonté discrète des lignages ou des familles qui
décident de s’allier par l’intermédiaire des futurs époux. Pour être concrète cette manifestation de
volonté doit être authentifiée par le déplacement des parents ou des alliés de la famille du futur
époux vers ceux de la future épouse. A l’issue de cette rencontre, la délégation qui représente la
famille ou le lignage du futur époux doit remettre à celle de la future épouse des produits de nature à
titre symbolique. Cette étape permet de déterminer l’état des ressources du prétendant en bétail, mil,
sorgho, or, argent... Avec le temps, ces produits sont remplacés progressivement par l’argent
surtout en France.
Pour anticiper les demandes en mariage, il arrive que cette étape de la procédure ne soit
pas respectée pour deux raisons essentielles:
- La faiblesse des ressources disponibles du prétendant,
- La pacification des liens interlignagers dans un contexte tensionnel ou conflictuel.
Ces deux motifs peuvent conduire le prétendant appuyé par sa classe d’âge à organiser
le « rapt » (caaynungu) de la jeune fille pour quelques heures le temps que s’ouvrent des
négociations entre les membres du lignage ou de la famille.
Courante dans la coutume peule, cette procédure d’anticipation des liens du mariage n’a
été appliquée que par deux interlocuteurs dans leur village. Il arrive que le « rapt » (caaynungu) ne
conduise pas au mariage. Ce qui poussent certains malheureux prétendants à l’émigration.
Le ñummbordi est annonciateur d’un kumal probable.
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2 - Le kumal
C’est une assemblée qui réunit exclusivement des hommes.
Le kumal s’inscrit dans le processus d’institutionnalisation du mariage par le droit
malikite. A cet effet, la présence du marabout est indispensable pour trois raisons fondamentales :
- Apprécier la recevabilité de la demande en mariage en se fondant sur le droit
musulman,
- Rendre public la nature ou le montant de la dot ( tenngue ) que la famille du prétendant
remet à celle de la future épouse.
- Bénir les époux même si ces derniers ne doivent pas assister à la cérémonie,
obligatoire dans la coutume, la célébration du mariage est accessoire au sens du droit malikite.
Le kumal est la seule étape du droit musulman qui intervient dans le processus
traditionnel du mariage. On assiste ainsi à un syncrétisme, un métissage juridique.
3 - La célébration du mariage
D’un commun accord, les mères des deux familles déterminent le jour de la célébration.
S’il est vrai que les hommes y sont associés, il demeure que ce sont les femmes qui en assurent la
coordination. Une part considérable des aides remises aux familles des époux est destinée à la
redistribution dans la communauté. Pendant environ une semaine, des ressortissants de villages
voisins et des nécessiteux sont gracieusement nourris et logés.
Le mariage traditionnel valorise la solidarité communautaire et exerce trois fonctions
essentielles :
- Une fonction d’enracinement de l’enfant dans le lignage paternel à travers la dot,
- Une fonction de parentalisation et de pacification des familles et des lignages,
- Une fonction de partage ( de redistribution ) des ressources légitimée par le
communautarisme.
Un enfant issu d’un mariage légitime (cuddunngu, dewgal) est directement inséré dans
les réseaux d’initiation communautaire.
Un enfant né hors mariage (deedaado mo ala baammum : littéralement celui qui est sans
père) est marginalisé et constitue un déshonneur familial. Il est souvent à la recherche d’un père
spirituel. Il peut arriver que les oncles maternels jouent ce rôle.
Plus de quatre vingt pour cent des peuls rencontrés
ont choisi
leur
épouse soit dans le lignage paternel (gorol) soit dans le lignage maternel ( d e w o l ) .
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Pour éviter des conflits avec l’un des lignages, il arrive exceptionnellement que
certains optent pour la polygamie.
Les peuls rencontrés sont des ruraux d’origine. Ils ont tous eu le consentement de
leurs aînés avant de se marier même si l’article103 du Code sénégalais de la famille précise que:
«...Chacun des fiancés doit donner librement son consentement indépendamment du
consentement des parents nécessaires aux mineurs ».
En droit traditionnel peul, on ne raisonne pas en terme de majorité/minorité. Ce qui est
valorisé, c’est la hiérarchisation selon les classes d’âge. Quel que soit l’âge, on ne peut pas ne pas
tenir compte de ses devoirs vis-à-vis de la communauté.
Dans la majorité des cas, les époux n’avaient pas 21 ans, l’âge de la majorité requise
par le droit officiel sénégalais. Ce qui a prévalu, c’est l’idée selon laquelle le mariage doit être
accompli tôt (resde law). Une logique qui se préoccupe de l’accumulation de l’énergie vitale pour le
prolongement du lignage.
Quatre vingt dix pour cent des personnes rencontrées ont célébré leur
mariage au Sénégal. Les dix autres l’ont célébré en ville après le kumal au village.
Nos interlocuteurs ont mobilisé prioritairement le droit traditionnel et le droit malikite.
L’officier de l’Etat civil prévu par l’article 115 du Code sénégalais de la famille n’a été
saisi que des années plus tard dans une perspective de regroupement familial ou de prestations
sociales.
Pour nos interlocuteurs, le mariage célébré devant les autorités traditionnelles est un
mariage accompli devant la communauté et devant Dieu par la lecture de certains versets du Coran.
Les articles du Code civil que prononce l’Officier d’Etat civil ne sont mobilisables que dans une
logique administrative ou pécuniaire...Les époux ne se présentent devant l’Officier d’Etat civil que
lorsqu’ils peuvent en tirer des avantages directs.
Parmi les cent personnes interrogées, seulement vingt vivent en famille dans des
appartements, trois vivent en famille dans des foyers, soixante dix sept vivent dans des foyers loin
de leur (s) épouse (s).
a - La vie dans un appartement (hodorde tubakoobe:littéralement habitat du toubab)
Pour les Peul rencontrés, quand on vit seul, il faut résider dans un foyer. Ils ne se
préoccupent de vivre dans un appartement que dans une perspective de regroupement familial.
Le regroupement familial est soumis à des conditions de ressources et à un logement
décent pour accueillir l’épouse. Pour un couple sans enfant, la superficie prévue varie entre 15 et 25
m2. Pour un couple avec enfant, il faut au moins une superficie de 34 m2...etc.
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Parmi les vingt familles, neuf gagnent plus du SMIC. Les hommes travaillent chez
Peugeot ou à la Régie Renault, d’autres dans la restauration notamment au CROUS. Certaines
femmes font du ménage dans l’administration. Elles travaillent en contrat à durée déterminée avec
plusieurs avenants ou en Contrat Emploi Solidarité.
Les salaires étant faibles, certains ont bénéficié de la complicité de leur patron pour faire
établir de fausses fiches de paie et l’appui de celui-ci pour obtenir un logement.
D’autres interlocuteurs attendent depuis plus de dix ans qu’un logement leur soit
attribué. Les prix dans le privé étant dissuasifs, ils ont renoncé à faire venir leur épouse.
Dans une concession peule traditionnelle, la répartition des rôles entre les classes d’âge
est manifeste. Les relations entre le mari et la femme ne sont pas seulement régies par les liens entre
époux. Il est important de se rappeler que les époux appartenant à un même lignage valorisent
forcément des relations d’aîné à cadette. Ainsi, la femme n’est pas seulement l’épouse, elle aussi la
cadette (banndiraado debbo) de son époux.
La volonté d’adaptation en Région parisienne conduit certains hommes à accomplir des
tâches qui dans la tradition peule sont destinées à des femmes.
Par contre certains maris n’ont accepté que tardivement que leur femme exercent un
emploi salarié. Pour eux, accepter que leur femme travaillent est un aveu d’irresponsabilité du mari.
Pourtant, il y eut des cas où c’est l’emploi de la femme qui a permis de faire face au
chômage du mari.
Les relations conflictuelles entre M. et Mme X ont conduit cette dernière à demander le
divorce après que toutes les voies coutumières de réconciliation aient été épuisées. Mme X. invoque
dans ses arguments les infidélités de son mari qui l’ont poussées à demander et obtenir que son
mari quitte l’appartement ainsi que la garde des enfants. C’est le seul cas de divorce par la voie
judiciaire qui nous a été révélé.
Parmi les tensions et conflits qui opposent certains époux, l’hébergement d’un tiers
pose problème compte tenu de l’exiguïté de certains appartements. M. X. a loué une petite
« chambre de bonne » destinée à héberger momentanément les visiteurs qui peuvent venir de la
France ou même du Sénégal. Il faut d’une part protéger l’intimité du ménage et d’autre part la
logique de solidarité alors que la logique de solidarité (jokkere en dam; littéralement; prolongement
du lignage) menace la logique d’intimité du ménage (sutura galle).
S’il est vrai que les résidents peuls ont le devoir d’appuyer l’entrée et le séjour d’un des
leurs, il apparaît de plus en plus manifeste que certains ne renoncent pas à cette forme de solidarité
mais orientent le candidat à l’émigration vers les Etats-Unis par exemple. Nos interlocuteurs ont
tous contribué financièrement au séjour d’un frère, d’un cousin, d’un fils ou d’un neveu compte
tenu de la conception élargie de la famille.
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De plus en plus, les femmes renoncent au retour même après la retraite du mari:
« Sukaabe amen ko do njibina, ko do mawni. Ko be batta Sénégal; littéralement: Nos enfants sont
nés en France. Ils ont grandi en France. Que vont-ils devenir s’ils rentrent au Sénégal ? »
Certains maris ont choisi de séjourner au Sénégal pendant la période d’hiver en France.
Ils reviennent en France dès qu’il commence à faire très chaud au Sénégal. D’autres reviennent en
France au mois de ramadan parce que, selon les saisons, l’abstinence est difficilement supportable
au Sénégal.
Parmi les Peuls rencontrés, un seul est propriétaire d’un pavillon à Epone dans les
Yvelines, où il vit avec sa famille. « Kono ngadiimi maade ko galle baabam. Hay somi hodaani
heen ma wihe kam galla baamum kaari nani. Mais j’ai construit d’abord au village la maison de
mon père. Ce n’est pas un investissement nul car quiconque verra le bâtiment identifiera ma
filiation. »
D’autres renoncent à l’accès à la propriété dans un pays où la vie de l’étranger est
difficile. «Arani njido suurade fof oto naaywu e France; sa naywi tan be biyata ko hoore ma heli;
nayeejo itanaaka gedal manngu; ene seerti e cuudi men. littéralement: Tout étranger qui veut garder
sa dignité ne doit pas vieillir en France. Dès que tu vieillis, on te traite de tous les noms alors que
chez nous plus tu vieillis plus tu es respecté »
La vie des Peuls dans un appartement (guurndam mariye) ne constitue pas une rupture
avec ceux qui vivent dans les foyers dans la mesure où le mari assiste tous les mois aux réunions
du village qui s’y tiennent.
b - La vie dans un foyer (guurndam Mamadu e fooye)
Juridiquement, un couple marié ne doit pas vivre dans les foyers Soundiata ou
Sonacotra que nous avons visités. Les difficultés liées à l’obtention d’un logement ont conduit
certains à faire venir leur épouse en dehors du régime légal de regroupement familial prévu par
l’ordonnance de 1945. Les verrouillages juridiques et administratifs sont contournés par une
tactique de visa touristique pour l’épouse. Quatre cas concernent des couples sans enfants après des
années de mariage sans communauté de vie. Les femmes restent très souvent dans leurs chambres.
Il est rare qu’elles prennent des transports en commun. Mme B. affirme qu’elle ne craint pas le
contrôle d’identité pour les femmes « Sa famdiini kooyde tan ma suuru; littéralement: L’essentiel
c’est de limiter les déplacements ».
M. B. apporte une précision « Holno neddo hadiirde wuurdude e debbomum walla e
gorko mum sabu waasde partament walla kahitaaji. Be biya Ko lowaaji.So tuubakoobe ene pini
won ko heddi. durwa (une déformation peule du mot droit) wadirtaake ha lorla himbe; littéralement:
comment vivre dans un pays sans son épouse ou sans son mari sans obtenir un appartement ou des
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papiers? On nous dit que ce sont les lois qu ’on applique. La fonction du droit est d’encadrer les
bons choix. Vivre avec sa femme est un choix que le droit nous dissuade defaire ».
La vie dans les foyers ne s e limite pas aux couples dont l’épouse est en situation
irrégulière.
Contrairement à ce qui a été dit, la vie dans un foyer n’est la reproduction de celle du
village. Préoccupées par leur travail, les personnes rencontrées le sont aussi pour des valeurs qui
constituent un des traits distinctifs de leur vision du droit.
Les chambres sont d’abord attribuées par contingent aux communautés peules et
soninkées par l’intermédiaire des délégués. Ces derniers saisissent l’assemblée des villages qui
déterminera les locataires officiels. Dans chaque contingent, il est prévu des chambres
individuelles, des chambres doubles, triples...etc.
Dans la pratique, une chambre héberge toujours plus d’individus que le nombre
officiellement prévu. Des lits d’une place sont occupés par deux personnes. Dans certaines
chambres, certains ’villageois’ se relaient pour dormir. Mais les officiels sont toujours prioritaires.
Les officieux sont appelés rofaabe (littéralement: ceux dont on a facilité l’insertion ou « les
intercalaires »). Le dofaado, celui qui est hébergé dans ces conditions, a le devoir de contribuer au
loyer s’il exerce un emploi rémunéré. S’il ne travaille pas quel qu’en soit la raison, il doit trouver
un emploi même non déclaré. Parmi ceux qui partent en vacances pour six mois environ au
Sénégal, certains renvoient leur carte de séjour pour un proche par l’intermédiaire d’un ami. Cela
permet à celui qui était en situation irrégulière de travailler pour gagner un peu d’argent et faire face
le jour venu à la reconduite. La carte de séjour est renvoyée à son titulaire par le même circuit de
solidarité. «Min ngujaani, min mbaraani, ala mo min tammpini, ala mo min lorli: Nous n ’avons ni
volé ni tué, ni porté le moindre préjudice ou dommage à qui que se soit ».
La reconduite à la frontière n’est pas un déshonneur en soi pour ces populations. Le
déshonneur c’est le fait d’être expulsé sans argent gagné par le labeur du travail (kaalis badaado
barke).
La communauté ne prend pas en charge ceux qui se complaisent dans l’oisiveté.
« Addi en France ko liggey. Mo liggaagi fof yo fa Fuuta; Littéralement: Nous sommes en France
pour travailler. Ceux qui ne travaillent pas doivent retourner au Fuuta(vallée du fleuve Sénégal) ».
C’est une logique pragmatique qui lutte contre les effets pervers de l’individualisme et du
communautarisme pour mieux garantir et préserver la solidarité de tous ses membres.
Chaque ressortissant cotise pour le plat commun (barme). Le montant est géré par
l’aîné du village qui inspire la confiance unanime des membres. Les fonctions de trésorier implique
donc un critère d’âge et d’intégrité. Cet argent est thésaurisé pour faire face à toute situation.
« Kaalis cokleteedo ñandefof resnde taake bangke. Te bangke ene heewi is is; litéralement:
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Laboratoire d’anthropologie juridique de Paris ; sous la direction d’Etienne Le Roy ; Camille Kuyu Mwissa ; Ibra Ciré N’Diaye."
L’argent dont on a besoin quotidiennement ne doit pas être confié à la banque. A la banque, c’est
souvent trop compliqué».
Les chômeurs sont exemptés de cotisation. Mais le sens de l’honneur pousse certains
chômeurs à donner leur contribution financière. Quelqu’un qui ne participe pas financièrement n’a
pas, dans certains cas, de voix délibérative aux assemblées (batu), de droit de vote (woote).
Le foyer est aussi un espace où se discute les projets économiques ( élevage,
maraîchage, Groupement d’Intérêt Economique (GIE), les jumelages avec d’autres communes
françaises. Lieu de culte par sa salle de prière, le foyer est aussi un lieu où sont célébrés des
mariages, des baptêmes, des prières pour les morts.
c - Les réseaux de solidarité
Les récits de vie de nos interlocuteurs mettent en évidence des réseaux de solidarité.
Les ressortissants de chaque village se sont organisés autour d’une association. Les ressortissants
faiblement représentés sont rattachés à ceux du village voisin. Cette catégorie d’associations
fonctionne sans démarche préalable auprès de la Préfecture de police.
Par contre, certaines associations intervillageoises sont régies par la loi 1901 et
enregistrées à la Préfecture : Dental Fuuta Tooro ( Rassemblement du Fuuta Tooro créé en 1985),
l’Association du Laaw ( regroupe les ressortissants de la province de Laaw dans le département de
Podor).
Les critères d’adhésion ne sont pas déterminés par le principe de nationalité mais par la
proximité géographique, les alliances historiques du fait des lignages.
Les réseaux villageois mettent en place une dynamique de soutien et d’appui des
résidents. Les déboutés du droit d’asile et ceux qui sont incarcérés peuvent être appuyés par
l’association qui prend en charge les frais d’avocat à condition que le demandeur n’ait commis ni
contravention ni délit volontaire.
En définitive, il faut être de bonne vie et moeurs pour être solidairement soutenu par la
communauté.
En 1984-1985, certains ont obtenu de manière frauduleuse la nationalité française,
moyennant une somme d’argent. Les villageois ont supporté les frais d’avocat pour assurer leur
défense.
Certains résidents légalement installés en France sans titre de séjour en cours de validité
et menacés de reconduite pour cause de non renouvellement sont soutenus par l’association
villageoise.
« Joginoono kaayitaaji ne ronngki renuwelement wona kalanndestin. Won be ngala do
hannde kaayitaaji ngonaani e sagooji mumen. Fawi koye perefecturaaji e yimmbe munen, Won be
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ngala kaayitaaji ne ngannduno kebata hade mumen ummade Fuuta» (Ceux qui sont confrontés au
problème de renouvellement de leur titre de séjour ne sont pas des clandestins. Certains sans
papiers sont très perturbés surtout lorsque le renouvellement des titres de séjour dépend de certains
agents de la Préfecture. Certains « sans papiers» étaient déjà informés du verrouillage
administratif sur l’entrée et le séjour des étrangers en France avant de quitter le Fuuta ).
« Tuubakoobe natti soklude en . Hay njogiibe kaayitaaji noon. Soy geere be ngon no day ma be
ndokku en kaahitaaji. Cehilaagal mabbe fof ko ebe ji heen intaret » ( Les Toubabs n’ont plus
besoin de nous avec ou sans papiers. S’ils étaient en situation de guerre, il n’y aurait pas de « sans
papiers ». Leur fidélité à l’amitié va dans le sens de leurs propres intérêts).
« Woodani noon Fuutankoobe leydi ndi ko nanngondirde» (La solidarité peule est
donc indispensable pour mieux être dans ce pays). A l’appui de cet argument, certains déplorent le
refus de l’administration d’enregistrer leur intégration à la nationalité française au titre de l’article
153 du Code de la nationalité. Cet article permet à ceux qui sont nés avant l’indépendance de
demander leur réintégration sous certaines conditions de résidence, de ressources... Quatre
interlocuteurs ont obtenu leur réintégration à la nationalité française entre 1985 et 1987. Les
déboutés le sont pour « défaut d’assimilation » : ils ne savent pas lire et écrire le français. Ainsi,
certains se sont inscrits en alphabétisation tous âges confondus : une volonté d’insertion est ainsi
manifeste.
Les associations participent au rapatriement des morts, aux projets de développement
villageois... avec l’appui du réseau intervillageois selon les contextes.
Dental Fuuta Tooro organise tous les ans des colonies de vacances au Sénégal et en
Mauritanie. Cette association appuyée souvent par le Fonds d’Action Sociale (FAS) négocie les
tarifs avec les agences de voyages. L’objectif de Dental Fuuta Tooro est de faire découvrir aux
enfants de la deuxième génération (enfants d’origine africaine nés en France) leurs origines compte
tenu de leur double appartenance culturelle. Cette dynamique va dans le sens de la socialisation
fonctionnelle des enfants nés en France.
II - Crise de la socialisation institutionnalisée et alternatives peule
Comment concilier les droits des enfants et les devoirs de transmission des valeurs par
les parents ?
Cette question ne concerne directement que ceux qui vivent dans les appartements
(nguurndam marie e galle mum) et indirectement la communauté peule. Ceux qui n’ont pas réussi à
vivre avec leur famille en France ne regrettent rien du fait des difficultés liées particulièrement à la
transmission des valeurs. D’autres n’ont jamais eu le projet de regroupement familial tant les
obstacles et l’insertion en France sont réels.
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Pour mieux comprendre le processus de socialisation de l’enfant, il faut se rappeler que
celui-ci est inséré dans un réseau de lignages. Ce réseau assure la transmission des valeurs.
A - Les relations enfants/pères
Placées sous le signe de la méfiance mutuelle, les relations entre l’enfant et son géniteur
sont régies par la rigueur des pères justiciers en tant que garants de la patrilinéarité et l’obéissance
de l’enfant vis-à-vis de ces derniers : ce sont les frères, les cousins consanguins, les cousins
utérins, la classe d’âge du père géniteur ainsi que celle des frères et cousins (baabiraabe sawndiibe).
Le regard de l’enfant évite souvent de croiser celui des pères. Certains aliments sont réservés
prioritairement aux aînés. La distribution de la viande ou du poisson placés au milieu du plat
commun (pawdi, cakkudi) est assuré par l’aîné pour l’enfant. Les aînés doivent quitter le plat
commun et laisser les enfants finir la nourriture sous le contrôle du chef de famille dont le rôle est
d’initier aux bons comportements et conduites autour du plat commun. La logique du plat commun
étant le partage, chaque membre de la famille doit limiter sa consommation.
Tant que dure le repas, l’enfant ne participe pas à la conversation et doit s’alimenter
assis par terre en s’appuyant sur l’un de ses jambes (hofaade). Seul le chef de famille installé sur
une peau de mouton du laid el kébir (fête du mouton) peut s’asseoir les jambes croisées (ferlaade).
La circoncision constitue une étape considérable dans le processus de socialisation de
l’enfant et dans la transmission des valeurs.
Les pères assurent le rôle d’éducatif et de correction. Le géniteur reçoit les plaintes.
Lorsque que celui-ci apparaît comme « un papa poule », l’un des pères se charge
d’exercer son rôle d’éducation et de correction.
B - Les relations mères/enfants
Elles sont placées sous le signe de la tendresse et de la complicité. C’est par les mères
(yummiraabe) que les enfants obtiennent des pères certaines dérogations. Les mères, ce sont
toutes les soeurs de la génitrice ses cousines utérines, consanguines et croisées (yummiraabe
sawndiibe), ainsi que leurs classes d’âge.
La transmission des valeurs est assurée par la génitrice avec l’allaitement maternel et
aussi par le fait que l’enfant est porté sur le dos de celle-ci et de ses autres « mères ». L’enfant est
aussi porté par ses grandes soeurs, la logique étant que les aînés doivent s’occuper des cadets.
L’excision, ablation du clitoris, est pratiquée par les aînées qui pensent agir dans
l’intérêt de l’enfant. La famille D. n’envisage pas de séjourner au Sénégal pour éviter l’excision de
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leurs filles. Madame F. maintient ses vacances annuelles au Sénégal et refuse systématiquement que
ses filles soient excisées.
Certaines interlocutrices ont avoué avoir accompli ce geste au Sénégal, d’autres y ont
renoncé du fait des dangers que comporte cette pratique et de son interdiction en France.
« Neede biddo e France ne satti. Luwaaji leydi ndi mbi ko yo suka dacce e libarte
mum ». (L’éducation en France n’est pas facile. Les lois dans ce pays laissent aux enfants une
liberté totale). « Suka nehete. Suka fakka jogo hurum e jinaabe mun e mawbe mum. Suka ne foti
dooftaade ceerno mum » ( Un enfant doit être éduqué par la transmission des valeurs culturelles.
Un enfant doit être respectueux de ses parents et de ses aînés. Un enfant doit obéir à ses
enseignants ».
« Biye sa furiima dum e mbedda. Yimmbe njeeyo, mbiya ka bonndo bicaado » ( En
France, lorsqu’on engueule son enfant, ou qu’on le corrige, on risque d’être diabolisé). « Suka
hulaani alla huli ko loocol » (L’enfant peut se douter de l’existence de Dieu mais pas de celle d’une
cravache ou d’un martinet).
La transmission des savoirs est assurée par les aînés et par l’école.
Les familles rencontrées s’indignent d’être déresponsabilisées parce qu’une correction
est souvent considérée comme une forme de maltraitance. Certains enfants n’hésitent pas à menacer
leurs parents de saisir le juge si ces derniers lèvent le doigt sur eux. « So biye nawiima tirbinal a
wirtiima. » (Quand ton enfant te conduit au tribunal ton déshonneur est assuré).
Dans les cultures peule, wolof, sonink_, l’ascension sociale est subordonnée à
l’obéissance que l’enfant doit à ses parents. La culture juridique de ces communautés valorise les
droits et les devoirs de l’enfant, les droits et les devoirs des parents. Il ne peut exister de droits sans
devoirs: une logique juridique qui met en avant l’équilibre des intérêts tensionnels entre les sujets de
droit.
Les relations parents/enfants sont marquées par un fort respect. Les enfants se méfient
que la colère des parents s’exprime par des malédictions (kuddi jinnaabe). Un enfant désobéissant à
l’égard de ses parents est maudit et risque la marginalisation. Vis-à-vis de la communauté, il n’aura
plus ni plusieurs pères ni plusieurs mères... Il est isolé (o ko gacaado).
En France, l’enfant n’est pas protégé par les réseaux des pères et des mères. Les associations
villageoises et intervillageoises constituent un relais que l’institution pourrait appuyer pour
légitimer l’autorité parentale. Les parents se sentent déresponsabiliser par une institution qui
dévalorise leur rôle au lieu de le renforcer. A cela s’ajoute une violence institutionnelle très
forte.
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La notion d’intérêt de l’enfant est indissociable du sens qu’en donne la communauté à
laquelle cet enfant appartient. Notion centrale et vague en droit français, l’intérêt de l’enfant
n’a pas de contenu juridique précis et doit être apprécié contextuellement.
En conclusion à cette première partie, nous pouvons noter que les conduites et les
comportements des Peuls d’Ile de France ne visent pas un mimétisme juridique mais des
formes d’adaptation originales. Le droit n’est qu’un aspect de la vie. Valoriser la
socialisation par la négociation et la médiation c’est aussi savoir renoncer momentanément à
son droit au nom de la cohésion sociale et des intérêts de la République.
Tous les interlocuteurs ont approuvé la logique selon laquelle le droit en France est à
l’origine d’une certaine désarticulation entre le droit formalisé et le droit vécu. Ce qui rend
ce droit abstrait, difficile à maîtriser et dans une certaine mesure inefficace puisqu’il
n’intègre pas leurs logiques de socialisation.
Il n’y a pas de paradoxe entre l’appartenance communautaire et le respect du droit en
France. Selon les contextes, les communautés apportent des réponses originales en faisant
appel tantôt au droit traditionnel, tantôt au droit moderne dans une perspective de métissage.
Les réseaux de solidarité peuls, wolof, ou soninkés...constituent des relais face à la crise de
la socialisation institutionnalisée. Ils peuvent servir de base de partenariat avec les pouvoirs
publics pour aider à l’insertion dans le pays d’accueil et éventuellement à la réinsertion dans
le pays d’origine.
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Seconde partie
Les congolais d’île de France
par Camille KUYU MWISSA
avec la collaboration, pour les enquêtes de :
- Mr Jeannot KATI KATI HAMBA,Doctorant en droit à l’Université de Paris 1
- Mr Vava TUKE BONDJOLO,Diplômé en droit et économie des pays d’Afrique, Université de
Paris 1.
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INTRODUCTION
a- Présentation de l’enquête
La réalisation d’une enquête sur les étrangers en situation régulière s’est révélée opportune.
Elle est intervenue à un moment où le droit français insiste sur l’étranger en situation irrégulière. Le
présent rapport présente les résultats de l’enquête effectuée auprès des Congolais vivant de façon
durable dans la région île -de -France. Les objectifs de l’enquête présents dans les termes de
référence sont clairs: identifier les ordonnancements auxquels obéissent les Congolais, et leurs
représentations du droit du pays d’accueil.
Notre enquête devrait donc permettre d’appréhender, avec la plus grande précision possible,
les perceptions des étrangers originaires du Congo-Kinshasa en matière du droit de la famille :
formation du lien matrimonial, modèle matrimonial, dissolution du lien matrimonial, vie conjugale
et rapports avec les enfants, successions, etc.
Notre hypothèse de départ est la suivante : la « communauté congolaise de France » est
largement régulée par un « droit des pratiques » importé du Congo. De ce fait, elle ne se réfère au
droit français que de façon opportuniste et sélective. Cette hypothèse sera vérifiée à partir des
données du terrain.
Pour recueillir ces données, trois types d’entretiens ont été combinés : les non-directifs, les
semi-directifs et les directifs. En ce qui concerne les entretiens non directifs, les plus importants
pour nous, 100 récits de vie ont été collectés. Un lecture anthropologique des données recueillies
nous a permis de distinguer trois types de représentations: triviales, intellectualisées et
anthropologiques (à partir des impensés des discours). Les trois types de représentations ont été
présentés dans les chapitres trois à cinq du rapport. Il convient aussi de noter ici que les entretiens
ont été doublés d’une observation participante que notre appartenance à la communauté congolaise a
rendu aisée.
D’un point de vue scientifique, la connaissance du « réel juridique » des Congolais d’île
-de -France est certes étayée par les réponses disponibles. Mais on doit considérer que, faute de
moyens financiers, la population étudiée ne peut être considérée comme représentative, au sens
statistique, de la population totale. Ainsi la généralisation de ces interprétations exigerait une
enquête de vérification complémentaire si l’on souhaite se donner toutes les garanties scientifiques
dans les choix des politiques judiciaires.
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b) Les Congolais de France: état des lieux
Les communauté congolaise de France, forte de plus de 20 000 personnes, est relativement
jeune. La moyenne d’âge oscille autour de 30 ans. La grande majorité est originaire de Kinshasa, et
la région parisienne est le point de chute privilégié. Plus de la moitié des Congolais de France est en
effet concentrée dans la région île de France. Comparée à celle d’autres communautés africaines
francophone, l’immigration congolaise en France est récente. Elle ne date réellement que des années
80. Cela s’explique par des raisons historiques et économiques. Le Congo a des relations
privilégiées avec la Belgique, dont elle était une colonie. Aussi, ce dernier pays était la destination
principale des congolais qui n’y émigraient d’ailleurs que pour des raisons d’études, de santé et de
commerce.
Bien qu’appartenant à des communautés de vie hétérogènes allant des communautés de
prière à celle des « coop », c’est-à-dire des personnes ayant en partage des activités illicites, les
congolais de France ont une culture commune qui se manifeste par des comportements sociaux et
un mode de vie propres, connus et maîtrisés. L’habillement (la sape) occupe une place capitale dans
cette culture véhiculée par la musique congolaise. Une bonne partie d’artistes -musiciens congolais
a d’ailleurs élu domicile en île de France.
Lorsqu’on veut rencontrer des Congolais, les lieux indiqués ne sont pas les foyers, comme
pour certaines autres communautés africaines. La vie quotidienne du Congolais baigne dans une
logique du statut qui lui fait considérer les foyers comme des espaces dégradants. Ce sont plutôt
des églises évangéliques africaines et des restaurants -bars spécifiquement congolais appelés
« Nganda » qui sont des lieux de rencontre privilégiés. Pendant l’été, des manifestations festives
sont organisées autour des rencontres de football dans des terrains municipaux. Elles attirent de
nombreux Congolais non seulement résidant en île de France, mais aussi en provinces et dans
d’autres pays européens.
Chapitre T r o i s : DES
JUGEMENTS DE REALITE
REPRESENTATIONS
TRIVIALES
AUX
Dans cette partie de notre rapport, nous analysons quantitativement et qualitativement les
données que nous avons recueillies sur le terrain. Nous décomposons l’ensemble selon cinq axes
principaux: la formation du matrimonial, le modèle matrimonial, la dissolution du lien
matrimonial, les successions et la vie familiale au quotidien.
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I - La formation du lien matrimonial
Sur les personnes interrogées, 96% ont épousé des Congolais (ses), 40% ont rencontré
leurs partenaires au Congo, 35% se sont connus en France, 8% n’avaient jamais rencontré leurs
conjoints avant et ont fait confiance aux choix faits par leurs parents restés au Congo, 8% vivent en
concubinage avec des congolais (ses) ou des européens.
En ce qui concerne les personnes qui se sont connues au Congo, elles ont généralement
immigré en France avec quelques mois voire quelques années d’intervalles. L’un des époux,
généralement le mari, a envoyé le billet d’avion et fait les démarches nécessaires pour que l’autre le
rejoigne. S’ils n’étaient que des fiancés, les formalités coutumières de l’union matrimoniale sont
accomplies avant le voyage ou plus tard.
Certaines épouses sont des « colis postaux ». La famille du mari choisit la femme pour leur
fils qui vit en France, sur demande de ce dernier ou tout simplement avec son accord :
« pour le moment, ma famille m’a trouvé une autre femme. Elle attend son visa
pour me rejoindre. Elle a vu mes photos, on se parle au téléphone. Elle est d’accord.
Il n ’y a pas de problèmes. »
Après la cérémonie coutumière à laquelle le mari est représenté par un membre de sa
famille11,
la femme est expédiée en mariage en France. Il peut aussi arriver que la décision de la
famille soit prise contre la volonté de leur fils. Ce dernier est parfois obligé d’accepter pour éviter
des représailles de la part de sa famille.
Sur les personnes interrogées, 58 % ont fait leur mariage civil en France, 29% l’ont fait au
Congo, 4% n’ont fait que le mariage coutumier, et 11% ont divorcé. 100% d’entre elles
n’accordent pas d’importance au groupe ethnique du conjoint, 96% des enquêtés estiment que le
mariage coutumier est plus important que le mariage civil :
« Le mariage est une affaire des familles et non des mariés.. D’où le mariage
coutumier est plus important pour moi ».
« Je me suis marié civilement et coutumièrement. Pour moi, le mariage coutumier
est le plus important parce qu’il véhicule nos valeurs traditionnelles. Les deux
familles se rencontrent... Le mariage civil est seulement l’affaire de l’Etat. »
« Entre le mariage selon la coutume et celui de la Mairie, j’accorde plus
d’importance au premier, parce que c’est là où on sent la chaleur, on voit les deux
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familles se réunir, on voit comment les familles s’élargissent, comment les alliances
se créent... »
Le mariage civil n’intéresse réellement nos enquêtés que pour des raisons administratives et
sécuritaires :
« Si nous étions au Congo, l’union coutumière aurait suffi comme acte matrimonial.
Nous avons des coutumes suffisamment complètes qui pourraient aisément
remplacer le droit étatique. »
« Si nous vivions au Congo, le mariage coutumier aurait suffi... Malheureusement,
il faut un livret de famille ou plutôt une fiche familiale d’état civil pour la CAF.
Donc, il faut être marié légalement. »
« Le problème du mariage civil ne se posait pas dans la mesure où nous étions tous
les deux en situation régulière. »
« Partout où nous allions, on nous demandait le livret de famille. Il fallait donc se
marier également à la mairie et être comme tout le monde. »
« Ma compagne... est Française et moi je suis en situation régulière. Je ne vois pas
pour le moment l’intérêt d’un quelconque mariage qui n’apporterait rien de plus à
notre relation. »
100 % des personnes qui ont rencontré leurs conjoints en Europe ont envoyé la dot aux
parents de la femme ou comptent le faire :
« Vivre en union libre, c’est quelque part une dette morale vis-à-vis de la belle
famille. »
« Si je vis en union libre, je penserai à verser la dot pour ne pas avoir une dette
morale ».
« En tant que congolais, surtout nous les bambala qui sommes très attachés à nos
coutumes, on ne peut prendre femme sans remettre la dot à ses parents ».
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« Mon épouse... tient particulièrement à la dot qui, pour elle, pour moi aussi, ferait
se rencontrer les deux familles et consoliderait véritablement notre union. »
Les formalités peuvent avoir lieu en Occident. La dot est remise aux parents de la fille qui y
vivent. Ces derniers se chargent de la transmettre à qui de droit au Congo. Généralement, ce sont
les parents biologiques des époux qui organisent le mariage coutumier en Occident. Mais, au cas où
les époux n’ont pas de parents biologiques sur place, ceux-ci sont remplacés par d’autres aînés
choisis dans les communautés de vie auxquelles ils appartiennent. Parmi ces dernières, les
communautés de prière sont les plus importantes. On dénombre, en effet, à Paris et dans ses
environs, plusieurs dizaines de ces communautés communément appelées « églises congolaises »,
mais qui sont en réalité des associations régies par la loi de 1901. Leurs membres s’appellent
« frères » et « soeurs ». Ces termes d’adresse et de référence correspondent à une réelle
parentalisation qui se traduit par un partage effectif des événements de la vie. En ce sens, il n’est
pas rare de voir des « frères et soeurs en christ » représenter ou se substituer aux parents
biologiques des époux, remettre ou recevoir la dot, et la transmettre au Congo. Les parents peuvent
aussi être représentés par des aînés choisis parmi les amis et/ou des connaissances :
« J’avais une fiancée... elle vivait en Grèce où son oncle maternel était affecté
comme diplomate. Je suis allé sur place en Grèce pour les cérémonies de pré-dot.
J’ai demandé à un Congolais marié à une grecque de représenter ma famille ».
L’organisation d’une cérémonie coutumière en occident n’exclut pas qu’une autre soit
organisée au Congo, simultanément, pour les deux familles qui doivent se rencontrer et faire
connaissance.
Le mariage coutumier peut aussi avoir lieu au Congo, en l’absence des époux. Dans ce cas,
chacune des deux familles biologiques des époux choisit un représentant pour leur fils ou fille. Le
« couple » circonstanciel joue les mariés jusque dans les détails (habillement, place d’honneur,
ouverture du bal dansant, etc). Il leur est interdit seulement la lune de miel. Ce mariage dit par
« procuration » confirme l’actualité du caractère familial et non individuel des alliances
matrimoniales africaines. Malgré le changement d’environnement, les Congolais de France restent
attachés à cette conception du mariage. Et pour preuve : 25% des personnes interrogées ont
affirmé avoir fait un mariage par « procuration ».
Pour clore cette section consacrée à la formation du lien matrimonial, disons un mot sur le
cas des mariages endogamiques, entre « frères et soeurs » membres des communautés de prières
dont nous avons fait mention ci-dessus. Ces communautés fonctionnent aussi comme de véritables
agences matrimoniales. De nombreux jeunes Congolais y rencontrent leurs conjoints. Le rôle du
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« papa pasteur », leader spirituel et père social de la communauté n’est pas négligeable ici. Il fait et
défait des mariages, selon sa volonté ou plutôt selon la volonté de Dieu qu’il prétend discerner. Sur
le plan juridique, ces communautés bafouent doublement le droit français. D’une part, les « papa
pasteurs » célèbrent des mariages au mépris total de la loi qui stipule que le mariage religieux doit
être postérieur au mariage civil, et d’autre part, ces mariages sont célébrés en dépit du statut
d’association culturelle (et non culturelle) que la loi reconnaît à ces communautés. La loi congolaise
qui veut que le mariage coutumier précède tout autre mariage n’est pas, non plus respectée.
II - Le modèle matrimonial
Officiellement, la monogamie est le seul modèle matrimonial reconnu par la loi congolaise
qui stipule que « nul ne peut contracter un nouveau mariage avant la dissolution du premier ».
Aussi, aucune union polygamique n’a été observée dans la communauté congolaise d’île de France.
Mais, dans la pratique, une autre forme d’union matrimoniale est observée: la
« bureaugamie ». Il s’agit d’une « union matrimoniale » métisse et originale qui emprunte ses
éléments à la polygamie, à la monogamie et à la pratique occidentale des maîtresses, tout en se
distinguant de chacune d’elle. La pratique qui se généralise et se pérennise déjà au Congo est de
plus en plus observée en France et en Occident d’une façon générale. Au départ, des dignitaires du
régime Mobutu et d’autres personnes aisées installaient leurs « bureaux» en occident et les
retrouvaient à l’occasion des voyages officiels, d’affaires ou d’agréments. Avec le temps, la
pratique a gagné la communauté résidente.
Sur l’ensemble des personnes interrogées, 30% seulement se sont prononcées sur la
pratique bureaugamique. Parmi elles, 44% l’approuvent :
« La bureaugamie compense le manque du ménage. Donc,je préfère cette
forme d’union au divorce ».
« La bureaugamie détend les nerfs ».
« Je suis pour la bureaugamie. Je peux avoir des bureaux sans que mon épouse ne
soit au courant ».
« J’exclus le divorce de ma vie... Je n’exclus pas la bureaugamie... le temps de
loisir peut être consacré à la bureaugamie ».
La documentation Française : "Congolais et Sénégalais en France face et au regard du droit / Ministère de la Justice, Mission de recherche droit et justice ;
Laboratoire d’anthropologie juridique de Paris ; sous la direction d’Etienne Le Roy ; Camille Kuyu Mwissa ; Ibra Ciré N’Diaye."
« Si mon épouse était ici, cela ne m’aurait pas dérangé de prendre un deuxième
bureau. Car notre coutume ne l’interdit pas, et elle le sait bien. Du moment que l’on
ne perturbe pas l’ordre public, l’Etat ne viendra pas fouiller dans notre vie privée.
On ne peut même pas vous taxer de polygamie. Car le deuxième bureau, même doté
coutumièrement, n’est pas une épouse légale ».
Par contre, 56% des personnes qui se sont prononcées sur la « bureaugamie »
désapprouvent:
« La bureaugamie, c’est de la perversité sociale »
la
« La bureaugamie est un abus de système coutumier »
« La bureaugamie est une insécurité juridique »
«La bureaugamie devient de plus en plus dangereuse compte tenu du développement des M.S.T., notamment du SIDA ».
La bureaugamie est mieux acceptée par des femmes congolaises de France si l’épouse légale
est une blanche. Pour mieux comprendre les nouvelles rationalités de cette pratique hors de son
contexte originel, arrêtons-nous sur deux cas précis :
1er cas : MA est marié à une française. Il a aussi un deuxième bureau, une congolaise, dans
une banlieue éloignée de son domicile conjugal. La congolaise accepte la liaison de son « époux »
avec la française. Mais, le met en garde contre toute relation avec une femme noire.
2ème cas :
L. est marié à une belge. Ils ont un appartement à Bruxelles. L. a aussi un
« bureau » originaire du Congo. Le bureau réside à Paris et accepte la liaison de son « époux »
avec la femme blanche. La Communauté congolaise ignore l’épouse légale. Car on ne la voit
jamais. Il en est de même pour la famille au Congo qui ne sait même pas que L. a une femme
blanche et qui ne connaît que le « bureau ».
Les logiques qui déterminent ces deux cas de « bureaugamie » peuvent être dévoilées
facilement. Dans le premier, MA avait épousé une femme blanche pour des problèmes
administratifs. Ses amis se moquent de lui. Car sa femme n’a pas une bonne présentation physique.
Comme ils ont déjà des enfants, MA ne tient pas à divorcer. Aussi, a t-il opté pour la bureaugamie.
Son « deuxième bureau » est extrêmement belle. C’est elle qui l’accompagne à différentes
invitations dans les milieux congolais.
Vu du côté du « deuxième bureau », une « rivale » blanche n’en est pas une. Car, elle sait
que la femme blanche n’acceptera pas facilement d’aller s’installer au Congo avec son mari quand le
moment viendra. Elle sait aussi que l’environnement familial et socio-économique, au Congo,
jouera en sa faveur, même si sa « rivale » accepte d’aller au Congo. Ce qui ne sera pas le cas si la
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rivale est congolaise ou noire. Elle sait, enfin, que pendant leur séjour en France, la femme blanche
offre une certaine sécurité administrative voire matérielle au mari, qui lui profitera à coup sûr.
Le deuxième cas est beaucoup plus complexe. L. a certes épousé sa femme belge pour des
problèmes de papiers administratifs. Mais, il nous a avoué qu’il l’aime profondément. Ils ont des
enfants qui sont déjà scolarisés. Pour satisfaire ses parents au Congo qui ne voulaient pas entendre
parler d’une femme blanche dans sa vie, il a épousé coutumièrement une congolaise. Celle-ci étant
la seule « épouse» connue au Congo, L. s’efforce de ne pas s’afficher avec son épouse légale en
public, notamment dans la communauté congolaise. Du côté du « deuxième bureau », nous
retrouvons les mêmes logiques que dans le premier cas.
III - La dissolution du lien matrimonial
Parmi les personnes interrogées, 84% affirment être opposées au divorce à l’occidentale, et
préfèrent une séparation à l’amiable si les procédures de conciliation échouent. Celles-ci peuvent
avoir lieu simultanément au Congo (entre les familles) et en France. Par contre, 16% sont
favorables au divorce devant les tribunaux. Il s’agit notamment des personnes qui ont épousé des
étrangers :
« du fait que nous sommes de nationalités différentes, nous ne pouvons que
recourir à la justice étatique ».
Dans bien des cas, le recours à la justice étatique intervient après l’échec d’une tentative de
règlement amiable:
« Si j’ai un problème dans mon foyer, la première solution c’est de trancher à la
congolaise c’est-à-dire par la conciliation, Et si vraiment nous ne trouvons toujours
pas d’issue favorable, je crois que nous irons devant un tribunal compétent ».
« Si un divorce devait avoir lieu dans notre couple, il se ferait selon le droit civil
français. Cependant, puisque le mariage a engagé nos deux familles, il serait normal
et de bonne politique qu ’elles soient impliquées, consultées ou du moins informées
avant toute procédure de divorce. Une tentative de conciliation peut même intervenir
à ce niveau ».
20 % des maris, en l’occurrence ceux qui ont épousé leurs femmes au Congo se disent prêts
à les y renvoyer au cas où elles commettraient une faute grave, si elles l’acceptent et/ou avec
l’accord de leurs familles :
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« S’il arrive à mon épouse de commettre une faute, je pourrais la renvoyer avec
l’accord de sa famille. Mais Si elle ne veut pas partir, je ne la forcerai pas. »
« Si ma femme commet une faute grave comme l’adultère, je la renverrai au Congo
parce que si elle reste en France et qu’un problème lui arrive, elle sera toujours à ma
charge. Mais si ma femme refuse de partir, j’informerai ses parents qu’elle n’est
plus à ma charge ».
Par contre, 80 % des maris affirment que même s’ils ont fait venir leurs épouses en France,
ils ne les renverront pas au Congo :
« Je ne peux pas renvoyer mon épouse au pays même en cas de désaccord total, car
légalement c’est impossible ».
« Je ne peux pas renvoyer mon épouse au pays même si elle a commis une grosse
bêtise, car je ne dispose pas de ce pouvoir sur elle ».
Le remboursement du billet d’avion et de la dot est souvent exigé des femmes
« malhonnêtes » :
« Beaucoup de femmes qu’on fait venir en Europe ont d’autres amants sur place.
Ces demiers ne pouvant pas les faire voyager, elles acceptent des demandes en
mariage d’autres hommes, avec l’idée de les laisser tomber une fois arrivées en
Europe ».
Le remboursement du billet d’avion et de la dot est ici une sanction. La contrainte privée
n’est pas exclue. Il peut aussi arriver que ces femmes soient dénoncées à la police pour immigration
clandestine, situation irrégulière ou usage de faux documents de voyage. Ce genre de vengeance est
généralement suivi d’effet.
IV -Les successions
Toutes les personnes interrogées, soit 100 %, ont affirmé qu’ils privilégient le droit français
pour le règlement de leurs successions, au cas où elles auraient des biens en France au moment de
leur disparition. La plupart d’entre elles comptent sur la bonne volonté des conjoints survivants et
des enfants, pour un éventuel partage avec des parents au pays :
« Si ma famille réclame quelque chose, je crois qu’on lui donnera une petite part
d’héritage ».
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« ... je dirai à mes enfants qu’ils sont héritiers de droit. Mais, si un membre de ma
famille se trouve en difficulté, qu’ils veillent bien voler à son secours ».
« Les avoirs du couple doivent avant tout bénéficier à la famille restreinte, mais ceci
n ’empêche pas, en cas de fortune importante, qu ’un geste soit fait en direction de la
famille du défunt ».
« Si je meurs, mes enfants et mon épouse hériteront de mes biens. Il leur
appartiendra de voir s’ils peuvent aider lafamille ».
« Si je meurs, les biens vont revenir à ma femme. Elle va bien les gérer. S’il y a un
surplus, elle n ’oubliera pas ma famille ».
La confiance au droit français en matière de succession semble être une réaction contre une
pratique dont sont victimes les épouses et les enfants, après le décès de leurs maris et pères :
« J’étais victime, lors du décès de mon père. La famille a tout confisqué. Aussi, je
réglerai ma succession selon le droit français. Si ma famille au Congo réclame
quelque chose, il lui faudra avoir le moyen de venir chercher ce « quelque chose »
ici en Europe ».
Cette pratique qui bafoue le droit positif congolais, la coutume et la morale est une des plus
choquantes et scandaleuses des pratiques sociales congolaises. S’il est un domaine de la vie
familiale congolaise où le besoin d’Etat et du droit est le plus fort, c’est bien celui des successions.
Mais, que peuvent l’Etat et le droit devant la croyance en la sorcellerie qui, souvent, pousse les
individus à éviter une confrontation directe avec la famille ? De nombreux enquêtés nous ont
raconté des mésaventures qu’ont connues leurs amis, frères et connaissances qui ont osé défier la
famille en cette matière de successions.
Il est toutefois permis de se demander si le droit français met les Congolais à l’abri de cette
pratique qu’ils dénoncent. La question mérite d’être posée lorsqu’on sait que la plupart des
congolais n’investissent pas en France mais au Congo et qu’ils considèrent leur vie en Occident
comme un « examen » dont la « proclamation » des résultats aura lieu au Congo. En effet, rares
sont les Congolais qui disposent des biens en France, susceptibles de constituer une fortune
importante. Par contre les « parisiens» déploient tous les efforts en fonction du statut à conquérir
ou à valider au Congo, et précisément à Kinshasa. Aussi, nombre d’entre eux possèdent des biens
importants au pays.
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V - La vie familiale au quotidien
1. Les rapports entre époux
L’immigration congolaise en France est déterminée par plusieurs logiques dont les plus
importantes sont les logiques statutaire et économique. La perception communautaire du statut de
l’individu et la crise économique qui sévit au Congo depuis plusieurs années font que la présence
d’un membre de la famille en Occident est un investissement sûr. Les congolais d’île-de France,
comme d’ailleurs la plupart d’autres immigrés africains en Occident, voient intervenir dans leurs
projets de vie un faisceau de représentations et d’attentes parfois contradictoires qu’ils doivent
assumer et gérer. Ils se trouvent par conséquent placés au centre d’un réseau de satisfactions et
d’insatisfactions symboliques. Ils évoluent au coeur d’enjeux familiaux dont certains contours leur
échappent. Ces enjeux sont à la fois ceux de la réputation à conquérir et ceux de la richesse à
laquelle aspirent leurs familles.
Le devoir de solidarité avec leurs familles est visiblement l’objet de préoccupation chez les
congolais de France. Les conséquences de ce lien avec les parents restés au Congo sur la vie des
couples en France sont énormes. Les époux sont de plus en plus égoïstes et individualistes. Chacun
voit d’abord sa propre famille. Les femmes, davantage que les hommes, ne lésinent pas sur les
moyens pour faire venir en Europe des frères et soeurs et/ou leurs père et mère. A défaut, il faut
leur envoyer régulièrement de l’argent, des vivres et d’autres biens de consommation. De
nombreux maris nous ont confié qu’ils ne considéraient pas leurs épouses comme des partenaires,
mais comme des concurrentes. De nombreuses femmes auraient même quitté leurs maris pour
bénéficier des avantages matériels relatifs au statut de femme seule ou isolée :
« Je pense que c’est surtout l’argent qui l’intéressait. Une femme seule perçoit, en
effet, des allocations familiales »
« Les allocations font beaucoup de mal aux ménages »
Ce qui précède n’est qu’un des facteurs parmi tant d’autres qui génèrent des conflits de tous
genres dans la vie quotidienne des couples congolais en France. La voix royale de règlement de ces
conflits est la médiation. 90 % des personnes interrogées sont, en effet, pour un règlement de leurs
problèmes familiaux « à la congolaise » :
« Je pense qu’un règlement familial des problèmes est toujours préférable à l’étalage
sur la place publique »
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« S’il m’arrive d’être en désaccord total avec mon épouse, si le problème peut se
régler d’une manière africaine, je ne m’empêcherai pas. Il faut savoir que les procès
laissent des séquelles qui, en général, sont indélébiles ».
« Pour les problèmes familiaux, même graves, je me vois mal les étaler sur la place
publique ».
« Il faut le plus possible éviter de mêler la justice dans les affaires privées. Car ce
qui est petit et sans importance chez nous, peut paraître très grave chez les
européens ».
« Les affaires familiales doivent se régler en famille ».
Si les congolais de France tiennent majoritairement à ce que tous leurs problèmes familiaux
se règlent « dans le ventre du village », il faut remarquer toutefois que 55 % des personnes
interrogées se méfient de l’ingérence de leurs parents restés au Congo dans leurs affaires :
« En cas de problèmes au sein de ma famille, je n’écris pas à mes parents »
« Je n’écrirais pas à mes parents en cas de désaccord ou de problèmes avec ma
future épouse »
« J’ai toujours essayé de régler mes problèmes avec mon épouse plutôt que d’écrire
aux parents au Congo ».
« Dans la vie quotidienne, j’évite de mettre mes parents au courant de nos
problèmes... J ’évite de mettre les deux familles en conflit ».
1.5.2. Les rapports parents/enfants
100% des personnes interrogées affirment accorder moins d’importance aux systèmes de
filiation traditionnels et préfèrent le droit français en la matière. Si les opinions favorables
l’emportent quant à l’option pour la nationalité française, il ne reste pas moins que 77 % des parents
pensent que leurs enfants doivent être socialisés selon les valeurs africaines :
« S’ils sont nés en France, ça ne me dérange pas qu’ils soient français. Selon moi,
le problème n’est pas important carje vais leur inculquer la culture africaine ».
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« La notion de nationalité pour moi ne représente rien. En effet, nous sommes des
noirs africains, même si aujourd’hui nous sommes naturalisés français, ça ne change
rien pour nos enfants. Ceci dit, nous leur apprenons à vivre comme des africains ».
« Lorsque j’aurai des enfants, je les éduquerai comme au Congo ».
« Nous devons inculquer à nos enfants le savoir-vivre noble et aussi nos coutumes
qui ne sont pas aussi rétrogrades qu’on peut le faire croire».
« Nous devons apprendre nos coutumes à nos enfants, pour qu’ils ne perdent pas la
part d’humanité que nous avons encore en nous, contrairement aux européens... pas
d’histoires des blancs chez nous ».
« Je dis toujours à mes enfants que nous sommes des noirs et que nous avons nos
manières de faire que nous ne pouvons ni abandonner, ni oublier. Par exemple :
mes enfants savent que je n’aime pas qu’ils regardent des films pornographiques ».
Cette socialisation aux valeurs africaines accorde une place importante au respect dû aux
aînés :
« Mes enfants... appellent mon grand frère « papa de Kinshasa »
Ce système d’appellation s’explique de la manière suivante: « dans
les droits
originellement africains, les individus ont généralement beaucoup plus de pères et des mères (et
relativement beaucoup moins d’oncles et de tantes) qu’en Europe. Tous les frères du père d’un
individu sont aussi ses pères, toutes les soeurs des mères sont aussi ses mères. Souvent, le rapport
paternel ou maternel est encore multiplié : les soeurs des pères sont des pères -femmes et les frères
des mères sont des mères -hommes. A la limite, dans certaines sociétés ou les parents par le père
sont des pères (hommes ou femmes) et tous les parents par la mère sont des mères (hommes ou
femmes). Il arrive même que les habitants du village d’origine du père ou de son père soient tous
des pères, tandis que ceux du village d’origine de la mère ou de la mère sont tous des mères »12.
Malgré l’attachement des congolais à leurs traditions, la terminologie décrite ci-dessus est
difficilement praticable dans le contexte occidental où l’école et la société imposent aux enfants une
autre terminologie. Aussi, pour ne pas créer la confusion dans les esprits des enfants, et pour
permettre à ces derniers d’avoir les mêmes repères familiaux que leurs camarades français, la
terminologie descriptive, occidentale, a fini par prendre le dessus sur la terminologie classificatoire
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africaine. L’essentiel pour les parents est que leurs enfants n’appellent pas les aînés par leurs noms
et/ou prénoms :
« Mes enfants ne peuvent pas appeler un grand Monsieur par son prénom. Il faut
toujours qu’ils commencent par Tonton ou tantine, ou encore oncle ou tante ».
Dans la vie de tous les jours, de nombreux parents cultivent une complicité avec leurs
enfants, notamment par rapport aux institutions françaises. Les enfants apprennent à ne pas violer
les secrets familiaux, c’est-à-dire à se méfier des assistantes sociales, des maîtresses, des juges,
voire de tous les blancs. Un enfant qui, consciemment ou non, cause des ennuies à ses parents en
les entraînant devant une institution chargée de la protection juridique, judiciaire ou sociale des
enfants, risque de se voir rejeté non seulement par sa famille, mais aussi par sa communauté
parentale. Il peut même être accusé de sorcellerie ou d’envoûtement. Un exemple en guise
d’illustration: Mr N., accusé par sa fille Isa d’abus sexuels, puis relaxé faute de preuves, se
présente au tribunal pour enfants de Paris pour demander que lui soient restitués ses deux enfants,
Isa et Yan, placés respectivement dans un foyer et dans une famille d’accueil. Il affirme que sa fille
Isa est sorcière et qu’elle doit être envoyée au Congo pour y être soignée. En effet, pour Mr. N. et
sa communauté parentale, il n’est pas raisonnable qu’un enfant livre son père « aux blancs »,
même s’il a commis une grosse bêtise.
sorcellerie ou
Un tel comportement ne peut s’expliquer que par la
l’envoûtement.13
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Chapitre Quatre : LES REPRESENTATIONS DU DROIT
FRANÇAIS AU REGARD DU VECU JURIDIQUE REEL
DES CONGOLAIS D’ILE-DE-FRANCE : LA GESTION
SELECTIVE ET OPPORTUNE D’UN PLURALISME
JURIDIQUE
Les Congolais, comme tous les étrangers qui résident durablement en France sont soumis
aux lois et règles françaises. Dans la pratique, l’application de ces normes ne va pas de soi.
Certaines pratiques et les logiques de leur déploiement inteme sont révélatrices d’un foisonnement
des ordres juridiques que nous allons tenter d’identifier ici. Ces différents ordres juridiques
combinés constituent le réel juridique des congolais d’Île -de France. Examinons les représentations
intellectualisées qu’ils en ont.
I - La coutume
La coutume14 est « l’ensemble des manières de faire, considérées comme indispensables à
la reproduction des relations sociales et à la survie des groupes, lorsque ces groupes ne font pas
appel à une instance extérieure ou supérieure (tels Dieu et l’Etat) pour les réguler ». Cette manière
de faire consiste à maintenir les communications entre le visible et l’invisible, c’est-à-dire à faire
comme les ancêtres ont fait.
D’après les résultats de notre enquête, les congolais d’Île-de-France accordent beaucoup
plus d’importance au mariage coutumier qu’au mariage civil. La dot qui scelle l’alliance entre les
deux familles reste une institution respectable et respectée. Le mariage est toujours considéré
comme l’affaire des familles et non des deux individus, ce qui justifie la pratique du mariage dit
« par procuration ».
Concernant le règlement des conflits, la quasi totalité des personnes interrogées sont
favorables à un règlement de leurs problèmes à l’africaine, c’est-à-dire sous la forme négociée. En
effet, selon les coutumes africaines, il importe, d’une part, d’apporter à chacun, lors de la
résolution des conflits, un minimum de satisfaction. Car l’insatisfaction n’est pas propice à la
reproduction des structures sociales. D’autres part, c’est entre soi qu’on doit chercher à partir des
modèles de comportement connus de tous, et compte tenu des particularités de la situation, la
meilleure solution pour l’avenir.
Parmi les personnes interrogées, celles qui ont épousé des non Congolais optent
systématiquement pour la justice étatique. Il ressort également de l’enquête que les conflits entre
congolais sont généralement réglés à l’amiable, et qu’ils sont portés devant les tribunaux quand ils
opposent des congolais aux étrangers à leur communauté :
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« Pour un litige m’opposant à un français, je m’adresserai naturellement au droit
étatique si cela s’impose. Mais si j’ai un problème avec un compatriote, je pense que
nous devrions privilégier un arrangement amiable ».
Nous sommes ici au coeur même des pratiques coutumières décrites par M. Alliot: « les
conflits entre originaires d’un village et étrangers à ce village sont fréquemment portés devant les
tribunaux d’Etat. Mais les conflits entre originaires du village sont encore souvent réglés autrement.
Citer l’adversaire devant un tribunal crée un traumatisme et souvent une désapprobation qu’on ne
souhaite pas. Mais il y a d’autres moyens de régler un conflit: l’opinion publique se charge
volontiers de désigner le gagnant et le perdant et d’imposer à celui-ci sinon aux deux des
comportements réglant le litige ou en tout cas limitant ses effets ».15
Il convient de remarquer avant de clore ce paragraphe consacré à la coutume que celle-ci,
loin d’être rigide, est essentiellement fluide et se transforme à tout instant. Elle est « un contenant
qui peut recevoir des contenus très divers ne cesse d’évoluer et de se transformer, au moins tant
qu’elle n’est pas figée dans un code coutumier »16
II - Le droit français
Les Congolais d’île de France connaissent assez bien les valeurs légales et précisément les
règles du droit positif. Mais leur représentation du droit est d’abord pénale et répressive, et ils
l’utilisent de façon sélective, quand il les arrangent. Des extraits du récit de vie ci-après sont
éloquents :
«... il exigea d’avoir la garde de son fils. Etant avec un autre homme..., je sentais
que l’arbitrage traditionnel auquel nous avions souvent fait appel pouvait lui donner
raison. Je fis alors le chantage de la justice. C’était une question d’opportunité. Car,
étant sorti de prison, traînant avec lui un casier judiciaire, il n’aurait eu aucune
chance devant les tribunaux pour la garde de notre fils. Finalement, nous avons
trouvé une solution qui nous arrange tous. Il voit son fils quand il veut et nous ne
sommes pas fâchés ».
Notre enquête a révélé que les Congolais font confiance au droit français en matière de filiation et de
successions. Les femmes, davantage que les hommes, se tournent généralement vers la justice
officielle.
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En définitive, même si les Congolais d’île de France s’efforcent de « connaître » le droit
français et l’utilisent de temps en temps, ils ne font pas entièrement confiance à ceux qui sont
chargés de faire respecter ce droit :
«Je sais qu’il y a des droits que certains textes m ’accordent mais je ne les obtiendrai pas...
entre avoir un droit et en bénéficier, il y a toujours une marge ».
«...la justice de ce pays...est loin d’ être impartial. Surtout pour nous qui
vivons avec des européennes, la justice penche souvent en faveur du
ressortissant européen ».
« Mon épouse vante d’ailleurs la justice française et prétend que les femmes
obtiennent toujours gain de cause devant les tribunaux français »
Ces trois énoncés expriment un besoin d’impartialité et met en évidence un paradoxe. Car,
la conception française de l’Etat de droit repose, en particulier, sur la garantie d’impartialité et de
neutralité que tout citoyen et toute personne présente sur le sol français peut trouver auprès de la
justice.
III - Le droit des pratiques
Notre enquête révèle aussi que la communauté congolaise d’île de France est largement
régulée par un droit des pratiques. Nombre de ces pratiques ont été importées du Congo. Elles font
partie de la culture commune kinoise. C’est le cas notamment de la « bureaugamie » que 44% des
personnes qui se sont prononcées sur la pratique trouvent raisonnable, même si elle est
difficilement praticable hors de son contexte originel. De nombreuses autres pratiques originales et
pragmatiques sont attestées. Elles sont créées ex nihilo ou à partir d’une réinterprétation des valeurs
coutumières, légales, religieuses, etc. Un exemple précis pour illustrer notre propos.
Lorsqu’on demande la main d’une femme congolaise en France, on se retrouve face à des
exigences différentes selon que la fille est née en France ou qu’elle est venue du Congo. Ceux qui
ont fait venir la fille en France exigent systématiquement le remboursement du billet d’avion et
d’autres frais relatifs aux formalités de son voyage. C’est dire en d’autres termes que les congolais
préfèrent se marier entre eux. Mais, face à la pénurie des femmes congolaises en France, et à celle
des hommes au Congo, une nouvelle stratégie de placement des soeurs, nièces et cousines sur le
marché matrimonial est mise en place: on les fait venir en France où l’on est sûr de leur trouver
des maris. Ceux-ci acceptent sans problème les conditions qui leur sont imposées. Car, après tout,
s’ils allaient eux-mêmes chercher des femmes au Congo, ça leur reviendrait certainement plus cher.
L’innovation ici c’est le billet d’avion qui fait désormais partie intégrante des objets
demandés au titre de la dot par les parents « parisiens» des jeunes femmes. La pratique est
aujourd’hui généralisée et se pérennise.
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Chapitre Cinq : DES JUGEMENTS IMPLICITES AUX
REPRESENTATIONS ANTHROPOLOGIQUES
Certains jugements émis par nos enquêtés sont riches d’implicites qui nous ont permis
d’accéder à un troisième niveau de notre analyse, celui des représentations anthropologiques. Nous
les avons classées en trois groupes différents :
I - L’altérité : le moi, le soi, l’autre
En restituant les données de notre enquête relatives aux rapports parents/enfants, nous
avons noté que 77 % des parents interrogés pensent que leurs enfants doivent être socialisés selon
les valeurs africaines. Trois énoncés tirés des arguments avancés pour justifier cette préférence des
valeurs africaines ont retenu notre attention :
- Nous devons inculquer à nos enfants le savoir-vivre noble
- Nous devons apprendre nos coutumes à nos enfants, pour qu’ils ne perdent pas la part
d’humanité que nous avons encore en nous, contrairement aux européens... pas d’histoires des
blancs chez nous.
- Mes enfants savent que je n’aime pas qu’ils regardent les films pornographiques
Ces trois jugements ont comme implicites :
- Les européens inculquent à leur enfants le savoir-vivre barbare
- les européens n’ont plus d’humanité
- les blancs laissent leurs enfants regarder des films pornographiques
La conclusion qui émerge de ces prémisses ne peut qu’être : « l’enfer, c’est les autres ».
Cela n’a rien d’étonnant. Car, comme le dit Roland Barthes: « L’altérité est le concept le plus
antipathique au bon sens ».
Ce qui précède nous introduit dans la problématique anthropologique de l’altérité qui a déjà
fait l’objet d’une recherche contractuelle réalisée dans le cadre du Laboratoire d’Anthropologie
Juridique de Paris par un groupe de chercheurs, pour le compte du Ministère de la Justice. Elle
avait pour titre: « La différence culturelle: fonction et usages d’un argument devant les
juridictions françaises des mineurs ». Le groupe est parti de cette hypothèse centrale selon laquelle
« la différence culturelle ne pourra être prise en charge par la société française que si elle est en
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mesure de relever un défi : aborder frontalement ce qu’elle refoule et censure ; c’est-à-dire le tabou
de l’altérité »17.
Nous retrouvons donc cette problématique de l’altérité dans notre enquête, avec cette
différence qu’ici l’autre n’est pas l’étranger mais le national. En effet, notre enquête met en lumière
que les congolais d’île de France ont une représentation négative des européens et de leur culture
jugée immorale, inhumaine et barbare. Les « préjugés»
à l’égard du blanc et de sa culture
s’accompagne d’un repli identitaire, communautaire. Les congolais d’île de France transposent en
France leur environnement originel et sa culture commune :
« Nous vivons en France, mais selon les manières de notre pays ».
Ce repli identitaire va de soi avec une exaltation des cultures africaines, des valeurs morales
et de l’humanisme relatifs à ces cultures. Et pourtant, la réalité est là : la communauté de repli n’est
plus entièrement africaine. Elle est un mélange des cultures africaines et occidentales.
II - Visions du monde et visions du droit
90 % des personnes qui ont participé à notre enquête se sont montrées hostiles à un
règlement juridictionnel de leurs conflits familiaux et privilégient un règlement négocié, à
l’africaine. Les énoncés ci-dessous montrent bien qu’elles ne se reconnaissent pas dans le droit du
pays d’accueil :
- Ilsjugent suivant leur droit et leur culture
- ils ont jugé selon leurs principes européens
- Je trouve cela aberrant, mais c’est leur logique
- Il fallait se conformer à leur loi
Ces quatre jugements ont comme implicites :
- Nous avons aussi nos modes de règlement de conflits et nos cultures
- Nous avons aussi nos principes africains
- Nous avons aussi nos logiques
- Nous avons aussi nos coutumes.
De ces jugements implicites nous pouvons déduire les conclusions suivantes :
- Il n’y a pas de mode de règlement de conflits et de culture universels
- Chaque société a ses principes pour les règlements des conflits
- Les logiques sociétaires sont différentes
- La loi et la coutume appartiennent à des modes différents de penser le monde et la société.
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Laboratoire d’anthropologie juridique de Paris ; sous la direction d’Etienne Le Roy ; Camille Kuyu Mwissa ; Ibra Ciré N’Diaye."
Ces postulats nous indiquent que toute organisation judiciaire est l’expression d’une vision
du monde en fonction de laquelle la cosmologie est traduite en institutions rectrices.
L’anthropologue du droit M. Alliot distingue trois visions du monde différentes18 : la vision
occidentale et islamique, la vision animiste et la vision chinoise. Seules les deux premières nous
intéressent ici :
La vision occidentale est celle d’un monde créé par un Dieu unique et transcendant, à
l’origine des temps, et qui dicta sa loi à toutes choses, après les avoir nommées. Avec le processus
de laïcisation, l’Etat s’est substitué au Dieu législateur. Cet Etat, à l’image du Dieu transcendant et
tout puissant, continue à gouverner le monde par des lois qu’il est le seul habilité à créer : « Hors
de l’Etat et de ses lois uniformes point de droit. » De même, « l’Etat est le maître du Droit qu’il
peut imposer, modifier ou abroger. »
A l’opposé de la vision occidentale, la vision négro-africaine est celle d’un monde résultant
transitoirement d’une création que précédait le chaos. Celui-ci n’était pas le néant, mais contenait en
puissance aussi bien la création que le créateur. Le dieu primordial se différencia progressivement
en couples de divinités complémentaires lesquelles tirèrent le monde et l’homme du chaos, au terme
d’essais souvent infructueux.
Il résulte de ce qui précède que les sociétés négro-africaines ne cherchent pas la voie de leur
cohérence dans la soumission à des forces externes et concrètement à la loi entendue comme norme
générale et impersonnelle préexistant au conflit et déterminant sa solution. La conception de la
justice moderne occidentale repose sur deux notions, la responsabilité et la culpabilité qui n’ont pas
d’équivalent sur les conceptions communautaires mais qui permettent de décider qui est en droit,
puis qui est en tort et doit être sanctionné. Quand il ne s’agit pas de juger au sens ci-dessus mais de
gérer ou de reconstruire une relation dans la durée, la conception sanctionnatrice de la justice est
inefficace, voire contradictoire avec les objectifs poursuivis. En Afrique noire, c’est entre soi qu’on
doit chercher, à partir des modèles de comportement connus de tous (celui du bon père, celui du
bon fils, ceux du bon roi, etc...), et compte tenu des particularités de la situation, la meilleure
solution pour l’avenir.
En définitive, les comportements des congolais vis-à-vis du droit français ne peuvent pas
seulement s’expliquer par le répli identitaire consécutif à l’antipathie pour l’autre. Ils s’expliquent
davantage par la différence des visions du monde occidentale et africaine. D’ailleurs, les mêmes
comportements sont observés au Congo et dans d’autres pays d’Afrique où l’in effectivité du droit
moderne, hérité de la colonisation, est aujourd’hui flagrante.
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III - Le champs judiciaire : internalité VS externalité, plutôt que public VS privé
Les dimensions publiques et privées, citées par nos interlocuteurs renvoient-elles à
l’opposition public/privé selon laquelle est construite le champ judiciaire français ? L’énoncé cidessous a retenu notre attention et peut nous fournir des éléments de réponse à cette question :
« Il faut le plus possible éviter de mêler la justice dans les affaires privées, car ce
qui est petit et sans importance chez nous peut paraître très grave chez les
européens. »
Dans cet énoncé, l’expression « affaires privées » renvoie de premier abord à la distinction
public/privé, chère au droit moderne. La première partie de l’énoncé signifie, en ce sens, que les
« affaires privées » devraient être réglées hors du « palais de justice», car elles ne concernent pas
la justice. Cette interprétation se révèle, à l’analyse, piégée. Car, dans la conception moderne du
droit, les « affaires privées » sont saisissables par le droit privé. La deuxième partie de l’énoncé
nous aide à sortir du piège. Notre interlocuteur fait une distinction entre « chez nous » et « chez
les européens ». Cette distinction nous indique que le champ judiciaire congolais (au sens de
« champ sociaux semi-autonomes », Sally falk MOORE, Law as process, London, Henley, 1978)
est construit non selon l’opposition du public et du privé caractéristique des sociétés individualistes
à Etat libéral, mais selon le couple externalité/intemalité, caractéristique des sociétés
communautaristes. Les « affaires privées signifient ici les affaires internes à la communauté. C’est
dans cette même logique qu’il convient d’appréhender les deux autres énoncés suivants :
«... un règlement familial... est toujours préférable à un étalage sur la place
publique »
« pour les problèmes familiaux, je me vois mal les étaler sur la place publique »
Il résulte de ce qui précède que le communautarisme est le mode principal de l’organisation
de la vie sociale des Congolais en France. Il s’agit en réalité d’un néo-communautarisme où des
biens nouveaux qui engendrent des communautés d’un type nouveau sont partagés et valorisés. Le
quartier et la prière peuvent être retenus comme exemples. Les néo-communautés apparaissent
aujourd’hui, en France, comme des lieux qui tentent d’apporter des solutions symboliques ou
concrètes à cette situation où les individus n’ont pas la possibilité de se référer à leurs anciens
cadres et où ils éprouvent en même temps des difficultés de vivre et de se reproduire socialement.
En rétablissement sous de nouvelles formes (néo-fraternités et nouvelles solidarités) les anciennes
pratiques communautaires, les néo-communautés permettent à leurs membres de réaliser, dans leur
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nouvel environnement, le sens de leur vie communautaire antérieure en le réorientant vers de
nouvelles valeurs et de nouvelles motivations à caractère communautaire.
Les Congolais de France forment une communauté. Celle-ci n’est en réalité qu’une
communauté de référence. Mais, la vie réelle se passe au sein des « néo-communautés de vie ».
L’individu peut appartenir à la fois à plusieurs communautés. On peut, en effet, appartenir à la
communauté des ressortissants du quartier Ndjili et en même temps à la communauté de prière
dirigée par le pasteur X ou Y.
L’opposition internalité/externalité est opératoire aussi dans la communauté congolaise ellemême. Un conflit qui concerne les membres d’une communauté de prière X peut être réglé au sein
de cette communauté qui l’a vu naître sans que des membres d’autres communautés de prière ne
soient au courant.
Enfin, à partir de l’opposition communautariste externalité/internalité, il est possible
d’examiner les niveaux d’organisation du pluralisme judiciaire qui caractérise le champ judiciaire
congolais. Notre enquête a permis, en effet, de distinguer trois types de conflits :
1) les conflits intra-communautaires mineurs
2) les conflits extra-communautaires
3) les conflits mixtes
Les conflits intra-communautaires sont généralement réglés au sein des communautés. Les
conflits extra-communautaires nécessitent l’intervention des tribunaux. Les conflits mixtes sont
ceux qui sont en rapport avec les communautés et l’Etat, mais qui ne peuvent être saisis dans ou par
le droit moderne seulement parce qu’impliquant plus la restauration du lien social que la sanction.
CONCLUSION
La principale conclusion qui se dégage de nos analyses est que la vie sociale des Congolais
d’Île de France est organisée selon un mode communautariste qui s’accompagne d’un repli
identitaire important. Les rapports sociaux sont construits à partir de l’opposition externe/interne
qui détermine également la vie juridique et l’organisation judiciaire.
Le réel juridique congolais est fait d’un foisonnement des ordres juridiques. Le recours à
l’un ou à l’autre relève de l’opportunisme et se fait de façon sélective. La permanence de la coutume
et des pratiques socio-juridiques du pays d’origine est importante. Cela ne signifie pas qu’il n’y a
pas d’innovation normative. Celle-ci est significative et permet à de nombreux congolais de
s’adapter aux contraintes de leur nouvel environnement.
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Les attentes de la communauté congolaise par rapport au droit français sont nombreuses.
Les plus importantes, nous semble t-il, sont la prise en compte de la différence culturelle, et la
nécessité de préserver ou de restaurer une image impartiale de lajustice.
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CONCLUSION GÉNÉRALE
On tirera ici deux conclusions relatives à la production juridique d’une part, à l’ordonnancement
normatif de l’autre.
I - La production juridique
Tableau N˚ 1
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1˚Il y a des domaines de la vie juridique où les migrants africains n’apportent aucune réponse
originale et s’inscrivent directement, sinon, volontairement, dans les cadres juridiques de la société
d’accueil. Il en est ainsi par exemple du Droit de la filiation où les Congolais sont amenés à
expérimenter l’inapplicabilité de leurs conceptions originelles de la filiation basée sur le principe de
la linéarité (mono ou bilinéarité). Ces systèmes de parenté sont trop compliqués et trop "exotiques"
pour être compatibles avec l’exigence d’identification des partenaires administratifs des Africains.
De manière opportune le droit du pays d’accueil est donc appliqué.
Mais cette attitude d’adhésion et d’application du droit du pays d’accueil est marginale.
2˚ Dans le domaine du mariage et de la vie conjugale, ainsi que dans le domaine des successions, le
Droit pratiqué est de nature différente de celui ci-desssus évoqué et que nous qualifions souvent de
Droit-Loi. Les solutions mises en oeuvre ne reposent pas sur des normes générales et
impersonnelles mais sur des modèles de conduites et de comportements, ce qui assure le caractère
non concurrentiel de ce type de production normative par rapport aux catégories du Droit-Loi.
On voit ainsi apparaître une pluralité de modèles répondant à la diversité des besoins des acteurs de
la vie juridique et c’est, plus généralement, en terme de pluralisme juridique que le rapport de ces
étrangers au Droit doit être apprécié.
1 -COMMENTAIRES POUR LE DROIT DE LA FAMILLE
La filiation est plus valorisée que la paternité tant dans la pensée juridique négro-africaine que dans
les pratiques des acteurs en France. Cette logique légitime prioritairement les mariages préférentiels
et leur enregistrement par la communauté d’abord et l’officier de l’Etat civil ultérieurement voire
accessoirement.
Le rapport à l’enfant est fondé sur la recherche d’une meilleure transmission des valeurs. Le devoir
de transmission des valeurs est donc pour les aînés plus fort que le droit de l’enfant. En matière
judiciaire, nos divers interlocuteurs posent
le problème de la qualification de certains actes
éducatifs des enfants d’origine africaine sous la dénomination de
maltraitance. Pour nos
interlocuteurs, les services sociaux confondent maltraitance, difficultés psychologiques et devoir
de correction.
Quelle que soient leur durée de séjour en France, les informateurs interrogés n’envisagent pas leur
enterrement en France. Sur la base des cotisations de leurs membres, les associations villageoises
ou les groupements d’originaires négocient avec des agences de voyage les modalités de
rapatriement des corps. Cette pratique était inconnue dans la coutume. Les rapatriements de corps
ont soulevé des débats chez des juristes peuls en droit musulman par rapport au respect du rituel
funéraire où se mêlent des aspects socio-juridiques. Ce qui importe pour les immigrés c’est le
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retour du défunt à la communauté qui avait organisé et préparé le départ. Une telle conduite
relativise la durée de séjour en France des Peuls et des Congolais. Par exemple, enterrer un Peul en
France c’est rompre définitivement l’appartenance à la communauté et les liens entre le visible et
l’invisible. Il n’existe pas de Droit qui soit supérieur à cette conception du monde apparemment
destinée à défier le droit français et le temps.
En matière de succession, un Peul ne peut pas déshériter son enfant quelle que soit le
comportement de celui-ci. Dans l’échelle des valeurs, la relation à l’être est prioritaire par rapport
aux biens matériels.
2 - COMMENTAIRES POUR LE DROIT DE LA PROPRIETE
La conception civiliste du droit d’accès à la propriété privée n’est valorisée que si la communauté
peut partager la jouissance avec le propriétaire. Être propriétaire en France, c’est une façon de
renoncer à son appartenance communautaire. Pour les Sénégalais, construire la maison de ses
ancêtres au village ne permet pas aux immigrés d’accéder à la propriété individuelle que recherchent
certains. Ainsi, plusieurs immigrés sont propriétaires à Dakar après avoir construit un bâtiment en
dur dans la vallée du fleuve, vallée des ancêtres. Les Congolais envisagent le problème dans le
contexte d’un retour rapide: une immigration réussie implique absolument un retour dans la
communauté et le départ d’un autre membre. « Renvoyer l’ascenseur » fait partie du savoir vivre
des immigrés africains. Une conduite contraire est source de marginalisation.
Parmi nos interlocuteurs sénégalais, un seul est propriétaire en Île De France. Ouvrier chez Renault,
il est propriétaire à Dakar et a reconstruit la maison de ses ancêtres.
Il n’y a pas de vie réussie contre la communauté. Dans le cheminement migratoire, la France est
une étape de consolidation mais aussi d’adaptation à la fois de la communauté, de la tradition et
d’une "modernité" originale.
I I - L’ordonnancement normatif
La principale conclusion qui émerge de nos enquêtes et de nos analyses est que les communautés
sénégalaises et congolaises de France obéissent à plusieurs ordres juridiques: les coutumes de
leurs terroirs respectifs, les pratiques héritées des cultures originelles ou créées sur place et qui
relèvent du ’droit de la pratique’, le Droit musulman pour les Sénégalais de rite malékite et enfin le
Droit français.
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Chacune de ces régulations est utilisée de manière sélective et opportuniste. Il y a donc une grande
flexibilité dans le rapport au Droit et il n’est pas aisé de prédire ou de prévoir laquelle de ces
références l’emportera même dans une situation déjà observée.
La dernière conclusion qui apparaît avec force est que les migrants des deux communautés
n’entretiennent avec la communauté d’accueil que des relations réduites, sélectives et secondaires,
essentiellement dans le contexte de la vie professionnelle. Nous avions déjà, dans l’introduction
générale, suggéré que le rapport au Droit du pays d’accueil était, de ce fait, instrumentalisé.
Certains propos cités ci-dessus ou qu’on retrouvera en annexe laissent à penser que l’écart
pourrait être plus important que ce que suggère l’explication instrumentale. En effet, si le Droit du
pays d’accueil est connu et si les membres de ces communautés s’efforcent, en général, de
s’acquitter scrupuleusement de leurs obligations à l’égard de la société française et de son Droit,
l’idéal reste de ne pas être saisi par ce Droit. Vécu comme dangereux, voire mortifère, le rapport au
Droit
français est abordé sous la forme de l’évitement, du contournement et parfois du
détournement. Sans surévaluer le rôle de leurs propres conceptions ou de leurs solutions, donc de
la permanence de référents communautaires, les membres de ces communautés ont appris, souvent
à leurs dépens, à se méfier du Droit du pays d’accueil trop souvent utilisé comme une arme pour
maintenir une discrimination ou forcer à une acculturation improvisée.
Il en résulte que le danger d’une dérive communautariste, au sens de l’enfermement dans le ghetto
du communalism anglo-saxon et que craignait le Haut conseil sur l’Intégration ne se justifie pas
dans la mesure où les communautés de référence n’apparaissent pas comme « africaines » mais
bien comme « métisses » donc déjà ouvertes sur un processus d’acculturation confrontant et
mêlant des apports africains et européens.
Mais, on ne peut considérer comme concrétisable le désir parallèle de l’assimilation. Comme le
suggère Fernando AINSA, ceci doit nous pousser à regarder l’immigration des Africains en France
« en fonction d’un résultat plus modeste et plus palpable, : l’acculturation, c’est-à-dire une
interaction entre les cultures 19». Comme dit le même auteur, « là où certains voient une rupture
totale il n’y a qu’une métamorphose, et là où l’on croit entrevoir une perte d’identité culturelle, il y a
un enrichissement par la nouvelle société et enrichissement de la société d’accueil. C’est la
possibilité d’un pluralisme culturel, d’un métissage et d’une diversification toujours positifs, un
facteur de dynamisme social, en somme 20« .
Roger Bastide abonde dans le même sens quand il affirme : « C’est l’acculturation qui transforme
les sociétés fermées en sociétés ouvertes. La rencontre des civilisations, leur métissage, leurs
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interpénétrations sont facteurs de progrès, et la maladie, quand il y en a, n’est que l’envers de la
dynamique sociale ou culturelle21 ».
ANNEXE
Sélection d’opinions extraites d’entretiens
concernant les rapports des Congolais au Droit
Chercheur, marié, sans enfant
. Lorsque j’aurais des enfants, je les déclarerai à la Mairie.
. Je ne suis pas de la même région que mon épouse.
. La nationalité des enfants, selon moi, c’est l’appartenance à une communauté.
. La polygamie est une forme d’union archaïque parce qu’elle ne correspond pas à la vie
moderne
. La bureaugamie, c’est de la perversité sociale car cette pratique traduit une forme d’ennui et
une absence d’activité intellectuelle ou sportive.
. S’il arrive un problème dans mon foyer, dans un premier temps, je réglerai ce conflit à la
lumière de mes convictions chrétiennes sans penser à la justice. Mais si le problème perdure,
je vois les parrains du mariage. Au second degré,je crois que nous trouverons la solution.
. Si mon épouse commet une faute, je ne peux pas la renvoyer au Congo, dans la mesure où je
l’ai trouvé dans sa famille en France. Même si c’est moi qui l’avais fait venir, je procéderai de
la même façon.
. S’il m’arrive un malheur, je ne serais pas intestat. Ceci dit : je laisserai le testament, et mon
contrat de mariage le prévoit. C’est la communauté totale des biens.
. Le mariage coutumier, c’est pour consolider les relations ente les deux familles.
Linguiste, marié, sans enfant
. Nous sommes mariés civilement en France. Le mariage coutumier auquel mon épouse tient
particulièrement n’a pas encore été célébré. Il se fera par procuration au Congo. Le problème
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.
.
.
.
est que pour le moment, il y a un léger différend avec ma famille qui voulait me marier à une fille
Tetela au Congo. Le temps fera oublier ce malentendu
Je n’avais mis au point aucune stratégie pour me marier. Toutefois, n’eût été mon épouse (...),
je serais peut-être devenu un SDF, car je traversais une période extrêmement difficile.
Le mariage à la Mairie devait essentiellement rassurer mon épouse... De la même manière, elle
tient à la dot qui, pour elle, pour moi aussi, ferait se rencontrer les deux familles et consoliderait
véritablement notre union.
Si nous avions été au Congo, l’union coutumière seule aurait suffi comme acte matrimonial.
Nous avons des coutumes suffisamment complètes qui pourraient aisément remplacer le droit
étatique ;
En matière de règlement de conflits... Nous ne faisons appel à la justice ou à l’administratior
que pour composer avec l’environnement dans lequel nous évoluons ici. D’ailleurs, certaines
communautés mieux organisées (les maliens par exemple) se passent bien, même en France, de
la justice étatique.
Femme sans emploi, célibataire, 1 enfant
. Le problème du mariage civil proprement dit ne se posait pas dans la mesure où nous étions
tous les deux en situation régulière.
. Mon deuxième compagnon était arrogant et parfois brutal. Et comme j’ai, dit-on, une grande
gueule moi aussi, il y avait souvent des tensions entre nous. Et lorsqu’il y avait des
problèmes, ce sont soit mes parents soit ma famille, ou encore des tiers qui venaient les
régler. Même si nous avions été mariés coutumièrement ou civilement, je ne pense pas que
nous ayons eu recours à la justice pour régler nos différends matrimoniaux.
. Lorsqu’il est sorti de prison, j’étais déjà en ménage avec quelqu’un d’autre. C’est du reste
mon père qui est allé l’attendre à sa sortie de prison pour lui expliquer que j’avais refait ma
vie et qu’il devait me laisser tranquille.
. Ayant appris ma nouvelle liaison, il exigea que mon père lui rembourse la dot. Mais, avec des
membres de sa famille, mon père lui fit comprendre qu’il ne s’agissait pas d’une dot, mais
simplement d’une pré-dot qui n’était pas exigible en cas de non mariage.
. ... Il exigea d’avoir la garde de son fils. Etant avec un autre homme qui n’est pas le père de
mon fils, je sentais que l’arbitrage traditionnel auquel nous avions souvent fait appel pouvait
lui donner raison. Je fis alors le chantage de la justice. C’était une question d’opportunité.
Car, étant sorti de prison, traînant avec lui un casier judiciaire, il n’aurait eu aucune chance
devant les tribunaux pour la garde de notre fils. Finalement, nous avons trouvé une solution
qui nous arrange tous. Il voit son fils quand il veut et nous ne sommes pas fâchés...
. Je pense qu’un règlement familial des problèmes est toujours préférable à l’étalage sur la
place publique.
Employé, divorcé sans enfant
. Si j’avais des enfants, j’allais les déclarer à la Mairie.
. En ce qui concerne la nationalité des enfants, s’ils sont nés en France, ça ne me dérange pas
qu’ils soient français. Selon moi, le problème n’est pas important car je vais leur inculquer la
culture africaine.
. Je ne suis pas d’accord avec la polygamie... je suis contre la bureaugamie.
. Si j’étais marié et s’il m’arrivait un problème, je trancherai à la congolaise, c’est-à-dire
j’appelerais les membres des deux familles pour envisager la conciliation.
. S’il arrive à mon épouse de commettre une faute, je pourrais la renvoyer avec l’accord de sa
famille. Mais si ele ne veut pas partir, je ne la forcerai pas.
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. En cas de malheur, c’est mon épouse et les enfants qui hériteront de mes biens.
. Entre les mariages coutumier et civil, c’est le premier qui est important parce qu’il réunit deux
familles... A la Mairie, on peut se rendre seulement avec 2 ou 3 personnes, dans un cadre
beaucoup plus restreint, mais au coutumier, le cadre est élargi.
. En Afrique, se rendre à la Mairie sans le consentement des deux familles est un mariage voué à
l’échec.
. Vivre en union libre, c’est une dette morale quelque part vis à vis de la belle famille.
. Je pense que les églises jouent un rôle important car on retrouve l’esprit de communauté c’est-à
dire l’entraide.
. En cas de problème dans mon couple,je procéderai par étapes : le régler à l’intérieur du couple,
consulter ma famille proche sur place, contacter ma famille en Congo en dernier recours.
Chef d’entreprise, marié, 5 enfants
. Mes cinq enfants sont déclarés à la Mairie. J’allais faire de même si c’était au Congo.
. Je suis de la même région que mon épouse.
. La notion de nationalité pour moi ne représente rien. En effet, nous sommes des noirs africains,
même si aujourd’hui nous sommes naturalisés français, ça ne change rien pour nos enfants.
Ceci dit, nous leur apprenons à vivre comme des africains. Par exemple, mes enfants ne peuvent
pas appeler un grand monsieur pas son prénom. Il faut toujours qu’ils commencent soit par
tonton ou tantine, ou encore par oncle ou tante.
. La polygamie ne devrait normalement pas exister. En effet, après avoir crée l’homme, Dieu a
pris l’os de ce dernier pour créer ensuite la femme...
. Si j’ai un problème dans mon foyer, la première solution, c’est de trancher à la congolaise,
c’est-à-dire par la conciliation. Et si vraiment nous ne trouvons toujours pas d’issue favorable,
je crois que nous irons devant un tribunal compétent.
. Je ne veux pas renvoyer mon épouse au pays même en cas de désaccord total, car légalement
c’est impossible.
. S’il m’arrive un malheur en France, c’est mon épouse et mes enfants qui hériteront de mes
biens. Mais toutefois, mes parents auront un droit de regard.
. Les deux types de mariage coutumier et civil se complètent. Le premier est la rencontre entre
deux familles qui forment une famille élargie... le mariage civil ne peut se limiter qu’au niveau
des mariés.
. En cas de problème au sein de ma famille, je n’écris pas à mes parents.
Chargé d’enseignement, célibataire
. Si j’avais des enfants, j’allais les déclarer à la mairie. Si au Congo cela est faisable, je les
déclarerai aussi.
. Lorsque j’aurai des enfants, je les éduquerai comme au Congo. Je leur dirai que la famille ce
n’est pas seulement le père, la mère et les enfants, mais aussi les oncles, les tantes, les cousins,
les cousines...
. La polygamie est une institution qui n’a plus de raison d’être... la bureaugamie compense le
manque du ménage. Donc,je préfère cette forme d’union que le divorce.
. S’il m’arrive d’épouser une congolaise et qu’il m’arrive un problème dans le foyer, je n’irai pas
à la justice mais je trancherai à la congolaise.
. En ce qui concerne la succession, je laisserai un testament au cas où j’aurais un patrimoine
important. C’est mon épouse et mes enfants qui hériteront de mes biens. Si ma famille réclame
quelque chose et s’il y en a assez,je crois qu’on lui donnera une petite part d’héritage.
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. Entre le mariage civil et le mariage coutumier, c’est le deuxième qui est plus important parce
qu’il crée une alliance entre les deux familles. C’est la reconnaissance officielle de l’union des
deux familles.
. Si je vis en union libre,je penserai à verser la dot pour ne pas avoir une dette morale.
. Je n’écrirai pas aux parents en cas de désaccord ou de problèmes avec ma future épouse.
Etudiant- salarié, marié, 4 enfants
. Trois de mes enfants sont nés en France et sont déclarés à la mairie. Le premier est né au Congo
et a été reconnu par le service de l’Etat civil.
. Je suis de la même région que mon épouse mais nous sommes de tribus différentes.
. Quant à la nationalité... je ne vois pas ce problème pour moi mais pour les enfants. Si ces
derniers peuvent acquérir la nationalité du pays dans lequel ils sont nés, c’est une bonne chose.
D’autant plus que ces enfants, sur le plan culturel, ne peuvent pas être rattachés à leur pays
d’origine parce qu’ils subissent et vivent la réalité du pays de naissance par le fait de
l’instruction et de contact avec le milieu. Vraiment du noir, ils n’ont que la peau.
. Mes enfants peuvent acquérir quelques éléments culturels de mon pays qui ne seront pas
dominateurs. Car ils se sentent de la nationalité du pays de naissance. Ces éléments sont, par
exemple, le respect qu’ils doivent à certains membres de la famille. Par exemple, ils appellent
mon grand frère « papa de Kinshasa ».
. La polygamie... peut paraître comme un obstacle à un certain progrès.
. La bureaugamie est un abus du système coutumier.
. S’il m’arrive d’être en désaccord total avec mon épouse, si le problème peut se régler d’une
manière africaine,je ne m’empêcherai pas. Il faut savoir que les procès laissent des séquelles qui
en général sont indélébiles. S’il s’agit par exemple du divorce, nous serons obligés d’aller en
justice. Mais si c’est un problème dont la sagesse oblige le recours aux sources africaines, je
serai favorable pour éviter ce phénomène de juridiciarisation à l’extrême.
. Je ne peux pas renvoyer mon épouse au pays même si elle a commis une grosse bêtise car je ne
dispose pas de ce pouvoir sur elle.
. La succession est un droit quej’imagine selon les règles du pays dans lequel je vis... toutefois,
je dirai à mes enfants qu’ils sont héritiers de droit, mais, si un membre de ma famille se trouve
en difficulté, qu’ils veillent bien voler à son secours.
. ... Dans le mariage coutumier, ce qui m’intéresse le plus c’est la rapprochement entre les deux
familles et la fête qui suit.
. Je sais qu’il y a des droits que certains textes m’accordent mais je ne les obtiendrai pas... entre
avoir un droit et en bénéficier, il y a toujours une marge.
. En cas de problèmes au sein de mon foyer, j’écris à mes parents pour les informer, mais je ne
les consulte pas.
. Je donne plus d’importance à la famille que je forme avec mon épouse mais je ne renie pas mes
origines c’est-à-dire ma famille élargie.
Electricien, marié, 1 enfant
. Après ma régularisation, j’ai rencontré, grâce à une cousine, la femme qui me fallait... elle avait
déjà été mariée, mais avait demandé le divorce, car son ex-mari la maltraitait.
. Nous sommes mariés, traditionnellement et civilement. En tant que congolais, surtout nous les
bambala qui sommes très attachés à nos coutumes, on ne peut prendre femme sans remettre une
dot à sa famille. Moi je l’ai fait par procuration.
La documentation Française : "Congolais et Sénégalais en France face et au regard du droit / Ministère de la Justice, Mission de recherche droit et justice ;
Laboratoire d’anthropologie juridique de Paris ; sous la direction d’Etienne Le Roy ; Camille Kuyu Mwissa ; Ibra Ciré N’Diaye."
. Si nous vivions au Congo, le mariage coutumier aurait suffi... Malheureusement, il faut un
livret de famille ou plutôt une fiche familiale d’Etat civil pour la CAF. Donc, il faut être marié
légalement.
. ...C’est dommage qu’on soit obligé de passer par les tribunaux. De la même manière que nous
allons voir les aînés en cas de conflit familial ici en France ou pour les cérémonies de mariage
coutumier, on devrait également faire appel à eux lorsqu’on ne souhaite plus continuer à vivre
ensemble.
. N’oublions pas que les juges sont étrangers à nous, ils jugent suivant leur droit et leur culture.
. Pensez bien que ce n’est pas normal qu’un père doive se contenter de la volonté d’un juge pour
voir ses enfants.
. De toute façon, il faut éviter d’avoir affaire avec la justice surtout pour les affaires familiales
Employé, marié
. ...Partout où nous allions, on nous demandait le livret de famille. Il fallait donc se marier
également à la Mairie et être comme tout le monde.
. M o n épouse tenait à ce que nous soyons officiellement mariés. Je crois savoir qu’elle le voulait
non pas pour elle-même, mais surtout pour le bien des enfants. D’une part, ils seront enfants
légitimes, et d’autre part, la loi protège bien les enfants en cas de décès du père. Car, ils sont
légalement héritiers, alors qu’en Afrique certaines familles terrorisent la femme et les enfants, et
leur ravissent tout.
Journaliste, marié, 3 enfants
. ...J’ai vécu en concubinage pendant sept ans avec une européenne. Nous n’avons pas eu
d’enfants, nous vivions cependant en vrai couple, mais avec beaucoup de heurts. Notre union a
fini par battre de l’aile et j’ai alors rencontré ma femme, une congolaise, que j’ai très
officiellement épousée devant le maire en 1986.
. J el’ai épousé civilement, puis j’ai envoyé une dot à sa famille au Congo.
. I l faut éviter le plus possible de recourir au juge... devant les juges ou ces vraies pestes que sont
les assistantes sociales, tu n’es plus le père, plus rien, juste un justiciable...
. Nous devons inculquer à nos enfants le savoir-vivre noble et aussi nos coutumes africaines qui
ne sont pas aussi rétrogrades qu’on peut le faire croire.
Ingénieur de formation, marié
. Je connaissais déjà mon épouse. Nous étions ce qu’on appelle ici des fiancés... la mariage
coutumier a été célébré en 1991, au Congo, par procuration.
. C h e z nous les Bayanzi où les gens sont très fétichistes, le mariage coutumier est beaucoup plus
important que le mariage civil. La famille joue vraiment un rôle prépondérant.
. Pour n’avoir pas respecté la procédure administrative de regroupement familial, nous sommes
amenés à passer à nouveau devant le Maire pour être considérés ici comme époux. Je trouve cela
aberrant, mais c’est leur logique.
. Je pense que nous autres africains devons toujours trouver des compromis pour avoir la paix ici.
Mais lorsque nous aurons les règnes du pouvoir chez nous, un droit fondamentalement inspiré
de nos coutumes devrait l’emporter sur le droit d’essence occidentale.
. Pour un litige m’opposant à un Français, je m’adresserai naturellement au droit étatique si cela
s’impose. Mais si j’ai un problème avec un compatriote, je pense que nous devrions privilégier
un arrangement amiable. Pour les problèmes familiaux, même graves, je me vois mal les étaler
sur la place publique sauf si c’est mon épouse qui en prend l’initiative, ce qui m’étonnerait
beaucoup du reste.
La documentation Française : "Congolais et Sénégalais en France face et au regard du droit / Ministère de la Justice, Mission de recherche droit et justice ;
Laboratoire d’anthropologie juridique de Paris ; sous la direction d’Etienne Le Roy ; Camille Kuyu Mwissa ; Ibra Ciré N’Diaye."
Surveillant, marié, enfants
. Mon épouse et moi, nous sommes mariés coutumièrement et civilement au Congo... notre union
était d’office valable en France. Nous n’avons pas eu besoin de nous remarier « pour la
forme » comme le font beaucoup d’autres ici.
. Si j’ai un litige avec une personne, je tenterai, en tant que chrétien, de trouver une solution à
l’amiable. Si c’est un problème familial, je suis très bien placé pour le résoudre, car je ne fais
que cela pour les fidèles de l’église dont je suis pasteur.
. J’essaie d’inculquer à mes enfants une éducation à la fois de chez nous et chrétienne.
. Il faut le plus possible éviter de mêler la justice dans les affaires privées. Car ce qui est petit et
sans importance chez nous, peut paraître très grave chez les européens.
. Je suis français depuis quelques années. Donc, s’il y a un problème sérieux qui dépasse mon
pouvoir, c’est naturellement à lajustice officielle de le résoudre.
. Je conseille toujours à tout le monde d’éviter le recours à la justice officielle. On y devient un
numéro. On vous applique anonymement un texte de lois.
. Je suis maintenant français. En matière de filiation et de succession, c’est la loi française qui
s’applique à la famille.
. Nous devons apprendre nos coutumes à nos enfants, pour qu’ils ne perdent pas la part
d’humanité que nous avons encore en nous contrairement aux européens... pas d’histoires des
blancs chez nous.
. Technicien, marié, 1 enfant
. Je ne suis pas divorcé de mon épouse restée au Congo... le fait d’avoir une autre femme ici n’est
pas un problème en soi, car même si la loi l’interdit, nos coutumes admettent l’état de
polygamie.
. Si mon épouse était ici, cela ne m’aurait certainement pas dérangé de prendre un deuxième
bureau. Car notre coutume ne l’interdit pas, et elle le sait bien. Du moment que l’on ne perturbe
pas l’ordre public, l’Etat ne viendra pas fouiller dans notre vie privée. On ne peut même pas
vous taxer de polygamie. Car, le deuxième bureau, même doté coutumièrement, n’est pas une
épouse légale. Les blancs aussi ont des maîtresses.
Employé de bureau, marié, 2 enfants
. Je me suis marié un peu comme tous les congolais. J’étais déjà en France, et c’est ma famille qui
a accompli les formalités pour le mariage coutumier avant le voyage de mon épouse.
. Je suis personnellement très attaché à nos coutumes, même si je suis français. C’est pour cette
raison que j’ai toujours fait appel aux sages de chez nous pour nos différends familiaux.
. A un moment donné, j’avais constaté un parti pris qui commençait à me faire douter de
l’impartialité de nos aînés.
. Si un problème devait surgir à l’avenir... Ce serait désormais à la justice de trancher, car nous
sommes français... mon épouse vante d’ailleurs la justice française et prétend que les femmes
obtiennent toujours gain de cause devant les tribunaux français. Dans mon cas, je ne sais plus à
qui faire confiance.
Artiste- musicien, vit maritalement, 1 enfant
. J’ai toujours été en ménage avec des européennes... avec une européenne, je peux me tailler
facilement lorsqu’on ne se supporte plus ; et surtout, la famille et les coutumes n’ont rien à voir
dans notre relation.
. Ma compagne... est française et moi je suis en situation régulière. Je ne vois pas pour le
moment l’intérêt d’un quelconque mariage qui n’apporterait rien de plus à notre relation.
La documentation Française : "Congolais et Sénégalais en France face et au regard du droit / Ministère de la Justice, Mission de recherche droit et justice ;
Laboratoire d’anthropologie juridique de Paris ; sous la direction d’Etienne Le Roy ; Camille Kuyu Mwissa ; Ibra Ciré N’Diaye."
. Mon fils porte mon nom et surtout, nous lui avons donné un prénom authentique, en plus du
prénom chrétien. Je suis tout de même congolais, et cela est très important pour la connaissance
de nos origines.
. Sij’ai un différend grave,même familial,je pense queje m’adresserai principalement à la justice
de ce pays, même si je pense qu’elle est loin d’être impartiale. Surtout pour nous qui vivons
avec des européennes, la justice penche souvent en faveur du ressortissant européen. Contre
cela, on y peut rien, ce serait peut-être la même chose en Afrique.
Informaticien, marié, 3 enfants
. Mon épouse est sénégalaise et moi-même congolais. Nous sommes africains, nous n’avons
certainement pas les mêmes coutumes, mais nous avons tout de même une approche identique
dans la façon de régler un conflit.
. S’il nous arrive d’avoir un problème, nous tenterons toujours de trouver une solution de
conciliation. Mais en cas de problème grave (divorce, succession...), du fait que nous sommes
de nationalités différentes, nous ne pourrions que recourir à la justice étatique... je sais que les
tribunaux ne sont pas toujours impartiaux.
Aide magasinier, divorcé
. J’avais rencontré et épousé mon ex-femme au Congo... nous vivions paisiblement... C’était un
mariage « Kitsul ». On ne pouvait pas divorcer à la légère, car cela impliquerait toutes les deux
familles...
. Vous savez, les allocations font aussi beaucoup de mal aux ménages.
. On s’était disputé un peu un soir, et le lendemain, elle avait quitté la maison pour aller s’installer
dans un foyer de femmes battues à Evry. Je l’avais supplié de revenir, beaucoup d’aînés sont
intervenus, en vain.
. Je pense que c’est surtout l’argent qui l’intéressait. Une femme seule perçoit en effet des
allocations familiales.
. Je suis très lié aux traditions. Jamais je n’aurai porté un différend familial devant la justice
française. Il y a toujours un moyen de régler les choses à l’amiable, en famille.
. Je suis sûr qu’ils ont jugé selon leurs principes européens...
. Pour le moment, ma famille m’a trouvé une autre femme. Elle attend son visa pour venir me
rejoindre. Elle a vu mes photos, on se parle souvent au téléphone. Elle est d’accord. Il n’y a pas
de problèmes.
Magasinier, marié, 3 enfants
. J’avais connu mon épouse quand j’étais encore au Congo... j’ai pris toutes les dispositions,
après mon arrivée en France, et j’ai délégué mes parents pour la célébration du mariage
coutumier au Congo, avant qu’elle me rejoigne en France.
. Mon épouse étant entrée par la Belgique, nous étions obligés de faire un mariage civil pour la
régularisation de son séjour. Pour moi, cela ne représentait pas grand chose si ce n’est
l’occasion de faire une petite fête, car la mariage coutumier célébré au Congo suffisait largement.
. Puisque les Français ne voulaient pas reconnaître notre mariage coutumier, il fallait se conformer
à leur loi. Car on est chez eux.
La documentation Française : "Congolais et Sénégalais en France face et au regard du droit / Ministère de la Justice, Mission de recherche droit et justice ;
Laboratoire d’anthropologie juridique de Paris ; sous la direction d’Etienne Le Roy ; Camille Kuyu Mwissa ; Ibra Ciré N’Diaye."
. Si j’avais un problème quelconque, sauf avec les institutions (Banques, Etat...), je ferais plus
confiance à un règlement amiable, par conciliation, comme cela se fait chez nous au Congo,
plutôt que de recourir auxjuges.
. Si nos femmes recourent parfois à la justice, c’est sous l’influence des assistantes sociales qui
ne connaissent pas du tout nos coutumes.
. Je connais une femme qui avait obtenu un divorce pour des raisons bidons. Mais, elle était
complètement désavouée par sa famille. Elle avait demandé pardon à son époux et l’avait supplié
de revenir à la maison malgré le jugement.
. Les européens recourent à la justice parce qu’ils sont individualistes, égoïstes.
Chômeur, marié
. J’ai rencontré ma femme en 1988.Je dis bien ma femme, car je l’ai déjà dotée... leur mariage à
la mairie, ils peuvent maintenant se le garder; surtout depuis qu’ils dénoncent les gens à la
police ou à la préfecture.
. On est pas de la même ethnie. Mais cela n’a aucune importance.
. Quand j’avais trempé dans la drogue, sa famille avait fait pression pour qu’elle me laisse
tomber, mais ça n’avait pas marché...
. N’étant pas marié civilement, je ne peux recourir à la justice officielle en cas de conflit familial.
De toute façon, chez nous les conflits familiaux ne sont pas l’affaire des juges. Tout doit se
régler devant les familles.
Informaticien, marié
. J’aurais pu épouser une européenne, mais j’ai préféré un congolaise pour que la vie soit moins
contraignante.
. Ma femme est la cousine d’un ami... nos familles se connaissent depuis longtemps, car nous
sommes également de la même ethnie.
. On peut dire que c’était un mariage arrangé... car, je ne suis pas allé au Congo. Mais, nous
étions tous deux consentants, car nous nous écrivions depuis longtemps.
. Le choix opéré par les parents est souvent un choix judicieux.
. Comme tout le monde, nous sommes allés devant le maire en France, pour nous conformer aux
règles en vigueur. Car il semblerait que notre mariage coutumier n’est pas reconnu légalement ici
en France.
. Nous sommes tout le temps partagés entre nos coutumes congolaises et les usages ou lois
françaises qui sont souvent obligatoires, donc contraignants, mais parfois aussi arrangeants.
. Je pense personnellement qu’en ce qui concerne le règlement des conflits familiaux, il faut éviter
le plus possible le systèmejudiciaire. En effet, les juges ici fonctionnent avec leur code... C’est
un peu, pour tel fait, voilà le tarif. Les parents et les enfants ne s’entendent pas, on y va, on
place les enfants.
. Recourir à la justice voudrait dire qu’on ne peut plus s’entendre..
. Malheureusement, en cas de divorce, par exemple, c’est à la justice française que je m’adresserai
bien naturellement.
. Je pense pour ma part qu’il faut éviter de penser la famille en terme de règlement de conflit.
C’est la vision occidentale.
. Les affaires familiales doivent se régler en famille.
. Pour la succession... c’est là l’avantage de vivre ici, les enfants sont héritiers légaux avec la
femme.
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. Si par hasard je devais divorcer si un juge me retire mes enfants... je les prends et on va au
Congo... Là-bas au moins, personne ne me les prendrait.
. Les conflits familiaux n’ont pas la même ampleur chez les occidentaux que chez nous.
Homme politique, divorcé, 3 enfants
. Mes enfants sont déclarés à la Mairie et si c’était au Congo,j’allais faire pareil.
. Ma première épouse était de la même ethnie que moi, la seconde non.
. Pour la nationalité des enfants, je crois que ces derniers se décideront eux-mêmes. Toutefois, ils
sont congolais d’abord.
. Lorsque je vois ce qui se passe dans les grandes banlieues, je me demande quelle influence
française on trouve dans ces quartiers difficiles. Au contraire, il n’existe que des Maghrébins qui
font leur loi. Donc ces enfants ne s’intègrent pas.
. La polygamie fait partie de la culture bantoue. Et je l’approuve parce que c’est la tradition.
. La bureaugamie détend les nerfs.
. S’il m’arrive un problème, je trancherai à la congolaise.
. Je ne peux pas renvoyer mon épouse au Congo même si elle a commis une grosse bêtise.
. Concernant la succession, j’étais victimelors du décès de mon père. La famille a tout confisqué.
Aussi,je réglerai ma succession selon le droit français. Si ma famille au Congo réclame quelque
chose, il lui faudra avoir le moyen de venir chercher ce « quelque chose ici en Europe »
. Entre les mariages coutumier et civil, c’est le premier qui est important car c’est un droit issu du
sang. Les deux familles se rencontrent pour créer des alliances.
. Je n’aime pas le mariage civil car ça m’a causé beaucoup de problèmes surtout pour mon
divorce.
. En cas de conflit au sein de mon foyer, je n’écris à personne, car je suis assez adulte pour régler
mes problèmes
Doctorant, 1 enfant
. J’ai connu mon épouse au Congo, bien avant mon voyage pour la France et nous entretenions
de bonnes relations d’amitié... Nous avions décidé que le mariage aurait lieu dans la période de
ma formation et que mon épouse viendrait me rejoindre en France.
. Je fis l’option d’un mariage traditionnel et d’un mariage civil, le premier étant d’ailleurs
incontournable. Je pouvais me faire représenter dans toutes ces cérémonies par un membre de
ma famille. Mais je voulus honorer de ma présence ces événements en retournant dans mon pays
pour la circonstance.
. Formés dans l’esprit de la religion catholique... et compte tenu de notre environnement culturel,
le schéma monogamique était le seul envisageable.
. Mon épouse est venue me rejoindre en France quelques temps après notre mariage. Nous avons
fait prévaloir notre état de mariés qui a, du reste, était reconnu par l’état civil français.
. Notre environnement intellectuel et culturel a fait que le modèle de vie de note couple est presque
celui d’un couple des français, avec les mêmes contraintes et les mêmes obligations. Il faut
reconnaître cependant que dans les détails, les choses ne sont pas identiques.
. Si un divorce devait avoir lieu dans notre couple, il se ferait selon le droit civil français.
Cependant, puisque le mariage a engagé nos deux familles, il serait normal et de bonne politique
qu’elles soient impliquées, consultées ou du moins informées avant toute procédure de divorce.
Une tentative préalable de conciliation peut même intervenir à ce niveau.
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. Il va donc de soi que ni la répudiation, ni le renvoi de la femme au Congo contre son gré ne sont
envisagés.
. Quant à la succession, notre point de vue est que les avoirs du couple doivent avant tout
bénéficier à la famille restreinte, mais ceci n’empêche pas (en cas de fortune importante) qu’un
« geste» soit fait en direction de la famille du défunt.
Juriste, marié, 2 enfants
. Je suis marié depuis 1984 et je suis père de 2 enfants que j’ai déclarés à la Mairie de Noisy le
Grand. Et je crois que si c’était au Congo, j’allais faire pareil.
. Je veux que mes enfants gardent des liens avec leurs origines... ma préférence se porte sur la
nationalité d’origine, toutefois avec cette possibilité aux enfants de choisir la deuxième
nationalité si possible.
. La polygamie sejustifie dans des sociétés purement africaines.
. La bureaugamie est une insécurité juridique par rapport à la polygamie qui, au contraire,
représente toute une garantie envisageable.
. S’il m’arrive un problème au sein de mon foyer,je trancherai à la congolaise.
. Je crois que mon épouse est libre de faire ce qu’elle veut, je n’ai pas l’intention de la renvoyer
un jour au pays en cas de désaccord total.
. Pour la succession, tout dépend s’il y a une incidence légale. En ce qui concerne les biens régis
par le droit français de succession, je respecterai les lois françaises. Mais en revanche, là ou la
loi nous laisse le choix, ça sera toujours la conciliation. Je respecterai la coutume tant quelle
n’est pas contraire à la loi.
. Le mariage est une affaire des familles et non des mariés. D’où, le mariage coutumier est plus
important pour moi.
. J’ai toujours essayé de régler mes problèmes avec mon épouse plutôt que d’écrire aux parents au
Congo.
Etudiante en 3ème cycle, mariée 1 enfant
. Je suis mariée civilement et coutumièrement.
. Ma fille est née à Kinshasa, et elle était déclarée à la Mairie.
. Je suis de la même région que mon époux.
. La naturalisation de ma fille ne me gênerait pas surtout qu’elle souhaite rester en France pour
quelques années après ses études universitaires. Cela lui permettra de s’intégrer, et par la suite
de trouver un emploi. Toutefois, elle ne coupera pas le contact avec ma famille et celle de son
père au pays, ainsi qu’avec ses amis.
. Je suis contre la polygamie. La bureaugamie devient de plus en plus dangereuse compte tenu du
développement des MTS, notamment du SIDA. D’où, les maris doivent préserver leurs familles
en se protégeant contre ces unions dangereuses. Toutefois, nous les femmes, nous ne pouvons
pas empêcher les hommes de regarder une autre femme.
. S’il m’arrive un problème, je chercherai une solution à la congolaise, c’est-à-dire, la conciliation
entre les deux familles.
. Je n’accepterai pas d’être renvoyée au Congo par mon époux, même si j’ai commis une faute.
Est-ce que moi je peux le envoyer ?
. S’il m’arrive un malheur en France, ma fille héritera d’une grande partie du patrimoine. Car je
ne peux pas le laisser à mon époux. Le risque est que ce dernier s’occupe de sa seconde femme
au détriment de ma fille. Je léguerai aussi une partie du patrimoine à mes parents pour éviter des
conflits avec ma fille et mon conioint.
La documentation Française : "Congolais et Sénégalais en France face et au regard du droit / Ministère de la Justice, Mission de recherche droit et justice ;
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. Les parents accordent beaucoup d’importance au mariage coutumier. Quant à moi, je trouve que
le mariage civil protège plus la femme et que le mariage coutumier est pour faire plaisir aux
parents, avec la dot comme symbole.
Informaticien, marié, 5 enfants
. Mes cinq enfants sont nés au Congo et ont été déclarés au service de l’état civil de la mairie. Ma
femme et moi ne sommes pas d’une même région. Je suis de l’Equateur. Elle est du Bas Congo.
. Pour moi, la nationalité française est une bonne chose pour aider les enfants à s’intégrer.
. Mais,je dis toujours à mes enfants que nous sommes des noirs et que nous avons nos manières
de faire que nous ne pouvons ni abandonner, ni oublier. Par exemple : mes enfants savent que
je n’aime pas qu’ils regardent des films pornographiques.
. Ma coutume m’autorise a avoir d’autres épouses. Mais, personnellement, je pense que la
polygamie n’est pas une bonne chose.
. Je suis pour la bureaugamie. Je peux avoir des « bureaux » sans que mon épouse ne soit au
courant.
. Si j’ai un problème dans mon foyer, je vais chercher à le régler avec mon épouse. Si nous ne
parvenons pas, nous allons faire appel aux membres de nos familles pour qu’ils nous donnent
des conseils.
. Si ma femme commet une faute grave comme l’adultère, je la renverrai au Congo parce que si
elle reste en France et qu’un problème lui arrive, elle sera toujours à ma charge. Mais si ma
femme refuse de partir, j’informerai ses parents qu’elle n’est plus à ma charge.
. Sije meurs, mes enfants et mon épouse hériteront de mes biens. Il leur appartiendra de voir s’ils
peuvent aider ma famille.
. Je me suis marié civilement et coutumièrement. Pour moi, le mariage coutumier est le plus
important parce qu’il véhicule nos valeurs traditionnelles. Les deux familles se rencontrent... Le
mariage civil est seulement l’affaire de l’Etat.
. Je n’aime pas aller chez les assistantes sociales. J’ai l’impression de me rabaisser en le faisant.
Les assistances sociales embêtent beaucoup les gens.
. S’il y a un problème dans mon foyer, après deux avertissements, si ma femme ne m’écoute pas,
j’écris à ses parents.
Etudiant- salarié, marié, 2 enfants
. J’avais une fiancée issue d’une ethnie matrilinéaire. Elle vivait en Grèce où son oncle maternel
était affecté comme diplomate. Je suis allé sur place en Grèce pour les cérémonies de pré-dot.
J’ai demandé à un congolais marié à une grecque de représenter ma famille.
. Les deux familles se sont retrouvées au Congo pour la cérémonie matrimoniale et la fête.
. Quand ma femme est arrivée, je me suis dit qu’il fallait aller à la Mairie pour que les enfants
soient inscrits dans un livret de famille.
. Quand les enfants sont nés, nous avons demandé la nationalité française pour eux. Car, on ne
sait pas ce que nous réserve l’avenir. Les enfants vont grandir en France, auront les mentalités
françaises. Moi, leur père je suis congolais. Je ne vois pas quelles difficultés ils auront pour
devenir congolais un jour, s’ils le désirent.
. Entre le mariage selon la coutume et celui de la Mairie, j’accorde plus d’importance au premier,
parce que c’est là où on sent la chaleur, on voit les deux familles se réunir, on voit comment les
familles s’élargissent, comment les alliances se créent.La Mairie, c’est la fête.
. Dans la vie quotidienne,j’évite de mettre mes parents au courant de nos problèmes... J’évite de
mettre les deux familles en conflit.
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. J’exclus le divorcede ma vie... Je n’exclus pas la bureaugamie. L’important c’est jouer mon
rôle à temps plein dans mon foyer principal et m’occuper de mes enfants. Le temps de loisir peut
être consacré à la bureaugamie.
. Si aujourd’hui ma femme veut me quitter, nous allons régler le problème à notre manière plutôt
que d’aller à la justice. Nous vivons en France, mais selon les manières de notre pays.
. Même si c’est moi qui l’avait fait venir en Europe, je ne la renverrai pas au Congo. Il y a des
gens qui renvoient leurs femmes pour diverses raisons. La plupart des femmes qu’on renvoie
sont des « colis postaux ». Le renvoi consiste en une vengeance. Beaucoup de femmes qu’on
fait venir en Europe ont d’autres amants sur place. Ces derniers ne pouvant pas les faire venir en
Europe, elles acceptent les offres d’autres hommes, avec l’idée de fuir une fois arrivées en
Europe.
. Si je meurs ici, les biens vont revenir à ma femme. Elle va bien les gérer. S’il y a un surplus,
elle n’oubliera pas ma famille.
Table des matières
Introduction
A - Les choix initiaux présentés dans les rapports intermédiaires en décembre 1997
2
B- Mise en perspective anthropologique des résultats
4
I - La migration comme processus socialisé
5
II- Les représentations de l’altérité sont, chez les Africains, le reflet de la société qui les reçoit
7
III - Une dissociation des registres juridiques et une instrumentalisation du Droit du pays
d’accueil
8
Première Partie : Crise de la socialisation institutionnalisée
et normes de référence des Peuls d’Ile de France
12
Chapitre Un: Récits de vie des Peuls d’Ile de France face et au regard
du droit
14
I - La notion de communauté et le rapport aux autres
14
II - Les normes de régulations intra et extra communautaires
17
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Laboratoire d’anthropologie juridique de Paris ; sous la direction d’Etienne Le Roy ; Camille Kuyu Mwissa ; Ibra Ciré N’Diaye."
Chapitre Deux : Normes de référence valorisées
I - Les régimes matrimoniaux
II - Crise de la socialisation institutionnalisée et alternatives peules
Conclusion à la première partie
19
19
27
29
Seconde partie : Les congolais d’île de France
30
Introduction
31
Chapitre
réalité
Trois
:Des
représentations
triviales
aux
jugements
de
32
I - La formation du lien matrimonial
32
II - Le modèle matrimonial
36
III - La dissolution du lien matrimonial
39
IV -Les successions
39
V - La vie familiale au quotidien
40
Chapitre Quatre : Les représentations du Droit français au regard des vécus
juridiques réels des Congolais d’Ile de France: la gestion sélective et opportune
d’un pluralisme juridique
45
I - La coutume
45
I I - Le droit français
45
III - Le droit des pratiques
46
Chapitre
Cinq
:
Des
jugements
implicites
aux
représentations
anthropologiques
47
I - L’altérité : le moi, le soi, l’autre
47
II - Visions du monde et visions du droit
49
III - Le champs judiciaire : internalité VS externalité, plutôt que public VS privé
51
Conclusion à la seconde partie
52
Conclusion
générale
Annexe : Sélection de propos réunis lors d’entretiens
Table des matières
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55
59
70
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