Journée 2014 des AMOPAs picardes Le 24 septembre dernier, c’était au tour de l’AMOPA 60 d’accueillir les sections sœurs de l’Aisne et de la Somme. Une bonne centaine d’amopaliens picards se retrouvèrent donc dans le cadre enchanteur de l’ancienne abbaye royale de Chaalis, au sud-est de Senlis. M. Gérard Nourry, nouveau président de l’AMOPA 60, présenta le premier conférencier de la matinée, M. Jean-Marc Vasseur, lequel captiva l’assemblée par son histoire aussi passionnante que passionnée de l’abbaye de Chaalis, avant de poursuivre par une incursion dans la vie et l’œuvre de l’illustre écrivain dont les jours se terminèrent à deux pas de là, à Ermenonville : Jean-Jacques Rousseau. L’abbaye royale de Chaalis Cette grande abbaye cistercienne fut fondée en 1137 par le roi de France Louis VI le Gros en mémoire de son cousin Charles le Bon, assassiné dans l’église de St-Donatien à Bruges. Située à proximité du palais du roi à Senlis, au cœur du domaine royal médiéval, l’abbaye connut un essor des plus rapides. Un siècle après sa fondation les granges autour de l’abbaye et les hôtels urbains s’étaient multipliés. La proximité des chantiers cathédraux de Paris et de Senlis, les relations étroites entre l’abbaye-mère de Pontigny (dans l’Yonne) et celle de Chaalis, sa digne fille, influencèrent la construction de la seconde église abbatiale, laquelle devenait alors la première église gothique cistercienne. De nombreux abbés de Chaalis furent des docteurs en théologie de l’Université de Paris. Rien d’étonnant alors qu’une vie intellectuelle remarquable ait animé les lieux. Des écrivains comme le Normand Guillaume de Digulleville, qui passa toute sa vie de moine à Chaalis, marquèrent la littérature française médiévale. Petit-fils de Philippe-Auguste, lui-même petit-fils de Louis VI le Gros, saint Louis aimait venir à Chaalis partager la vie des moines. La Renaissance ne diminua en rien l’éclat culturel de l’abbaye. En 1541 le roi François Ier nommait à Chaalis un abbé commendataire de renom : Hippolyte II d’Este, cardinal de Ferrare. Projetant de recevoir assez rapidement la cour de France, Hippolyte d’Este fit venir à Chaalis des artistes italiens comme Francesco Primaticcio, dit le Primatice, et Sebastiano Serlio, architecte. À Chaalis le premier peignit à fresque la chapelle Sainte-Marie tandis que le second édifiait le mur crénelé qui ferme à l’occident la roseraie actuelle. Les fresques de Chaalis sont les seules fresques italiennes d’inspiration religieuse encore visibles en France. Leur restauration exemplaire fut dirigée par M. J.-Pierre Babelon. Arrivé en France à la suite du cardinal Luigi d’Este, neveu d’Hippolyte II, l’illustre poète italien Torquato Tasso dit le Tasse passa l’hiver 1570-1571 à Chaalis. L’abbaye après la Révolution française Au cours de la première moitié du XVIIIe siècle, de nombreuses abbayes furent reconstruites ; c’est ainsi qu’en 1737, Louis de Bourbon, comte de Clermont, décida que les bâtiments médiévaux de Chaalis devaient céder la place à un palais abbatial dessiné par Jean Aubert, architecte des Grandes Écuries de Chantilly. Las ! Le projet ne put être mené à terme pour cause de faillite ; ne fut construite que la première aile du cloître prévu. En 1793 l’abbaye et son domaine furent vendus comme biens nationaux. Un acquéreur, Pierre-Étienne-Joseph Paris, s’installa avec sa famille dans le bâtiment neuf puis racheta le domaine par morceaux. À sa mort en 1824, l’ensemble fut vendu à Philippe-LouisArmand, marquis de La Briffe, qui en resta propriétaire jusqu’à son décès en 1846. En 1850, une « grande dame venue de Paris », Rose-Paméla Hainguerlot, épouse d’Alphée Bourdon de Vatry, acheta à son tour le domaine de Chaalis. Madame de Vatry fit installer un bélier hydraulique pour approvisionner le domaine en eau potable et transforma Chaalis en une résidence de campagne digne des plus belles propriétés de l’aristocratie anglaise. Les réunions mondaines s’y succèdent. Des artistes : Adolphe Sax, Jakob Meyerbeer, Adolphe-Charles Adam ou Daniel Auber, des hommes politiques comme Adolphe Thiers, des aristocrates, tels le duc de Chartres ou le duc d’Aumale, princes de la maison d’Orléans venus de Chantilly, se retrouvent à Chaalis pendant la période de la chasse à courre en forêt d’Ermenonville. C’est lors de l’installation de madame de Vatry que Gérard de Nerval revient à Chaalis, un Chaalis qu’il décrit à de nombreuses reprises dans son Valois recomposé. Dans l’entourage de madame de Vatry, une jeune artiste peintre, Nélie Jacquemart, rencontrait le Tout-Paris, dans l’hôtel parisien des Vatry ou bien à Chaalis. Mariée au très riche banquier Édouard André, Nélie Jacquemart, en 1902, acquit à son tour Chaalis qu’elle modernisa dans le style de vie germanopratin proche de celui de Marcel Proust ; en particulier elle fit installer dans l’ancien moulin une turbine américaine destinée à produire de l’électricité. Nélie Jacquemart décida d’installer à Chaalis une partie de l’étonnante collection d’œuvres d’art rapportées de ses nombreux et lointains voyages. En 1912, par testament, elle légua l’ensemble de sa fortune à l’Institut de France, à charge pour ce dernier d’ouvrir les collections au public. À son ouverture en 1913, le musée JacquemartAndré présentait plus de 4 000 œuvres et objets d’art. En 1924 il s’enrichit du fonds du comte Fernand de Girardin, fonds essentiellement consacré à J.-J. Rousseau. Depuis la Grande Guerre D’illustres conservateurs se sont succédé à Chaalis : le grand historien d’art Louis Gillet, l’historien de peinture religieuse Émile Mâle, le peintre Jean-Gabriel Domergue, les historiens Paul Deschamps, Pierre Marot et Robert-Henri Bautier. L’actuel conservateur est M. Jean-Pierre Babelon, déjà cité supra. Les ateliers des parfums Hébergés dans les anciennes écuries du domaine, ils furent créés en l’an 2001. Les visiteurs, après un bref apprentissage, appliquent leur tout nouveau savoir à la fabrication d’une eau de parfum qu’ils emporteront avec eux. Ces ateliers sont désormais complétés par un jardin à feuillages odorants où chacun peut humer et toucher les plantes. La roseraie Qui s’intéresse aux plantes ne saurait manquer d’aller, au-delà de la chapelle Sainte-Marie, franchir le mur crénelé de Sebastiano Serlio, ce mur constituant l’un des côtés de ce qui est aujourd’hui la roseraie de Chaalis. À la Renaissance, c’est un jardin dans lequel Hippolyte d’Este, créateur, souvenons-nous, des célèbres jardins de la Villa d’Este à Tivoli, se plaît à faire repiquer nombre de végétaux importés d’Italie. Lorsque Nélie Jacquemart s’installe à Chaalis, elle développe le jardin fleuriste, soucieuse qu’elle est du bon fleurissement de ses appartements de Chaalis mais aussi de son hôtel particulier du boulevard Haussmann à Paris. L’actuelle roseraie date des années 1920 ; elle est due à l’initiative du conservateur de l’époque, M. Louis Gillet. Ce 24 septembre 2014 la saison était trop avancée pour que couleurs, formes et parfums pussent combler les yeux et les narines des amopaliens qui déambulaient dans la roseraie. Pourquoi ne reviendraient-ils pas au printemps, par exemple en juin, pour les Journées de la rose ? Ce serait d’ailleurs une bonne occasion de revoir les collections de Nélie Jacquemart ou de revisiter la chapelle Sainte-Marie ou encore d’aller jouer les promeneurs (solitaires ou non) sur le Sentier des écrivains ! Texte de J.-Paul Lesueur à partir de l’ouvrage de J.-Pierre Babelon et J.-Marc Vasseur : L’Abbaye royale de Chaalis et les collections Jacquemart-André éd. du patrimoine, CNMH Vue aérienne de l’abbaye de Chaalis - photo Alain PETIT Au fond à gauche, le mur crénelé de Sebastiano Serlio ; au centre, la chapelle SainteMarie ; à droite, les ruines de l’église abbatiale - photo J.-Paul LESUEUR Intérieur de la chapelle Sainte-Marie - photo M. Poche Musée Jacquemart-André : la salle des Moines - photo V. POTDEVIN Dans la roseraie - photo J.-François LEROUX