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© Carole Bellaich© Bénédicte Deramaux
ENTRETIEN LUC BONDY
ODéON-THéâTRE DE L’EUROPE /
DE / MES LUC BONDY
EN PLEIN BURN-OUT
Un peu moins d’un an après lui avoir confié le rôle-titre de Tartuffe,
Luc Bondy retrouve Micha Lescot dans Ivanov d’Anton Tchekhov. Une
création à travers laquelle le directeur du Théâtre national de l’Odéon
cherche, comme toujours, à échapper aux artifices pour rejoindre une
vérité organique du théâtre…
Vous avez mis en scène Platonov en 1978,
La Mouette en 2000 et, aujourd’hui, vous
présentez Ivanov. Comment pourriez-vous
éclairer le parcours que vous effectuez à l’in-
térieur du théâtre de Tchekhov ?
Luc Bondy : Je pense que tout cela est assez
inconscient. Platonov, en 1978, était un
désastre. Je ne l’avais pas bien distribué, je
n’avais pas réussi à réunir des comédiens qui
se sentaient bien ensemble. Car la distribu-
tion est la chose la plus importante, lorsqu’on
monte Tchekhov. Les personnages forment
comme des grandes familles qui vivent dans
de mêmes enclos, avec leurs habitudes, leurs
méchancetés, le besoin qu’ils ont les uns des
autres… Alors, il faut choisir des acteurs qui
puissent ne pas avoir trop d’inhibitions à jouer
ensemble. Quant à La Mouette, je suis venu à
cette pièce parce que j’avais, à Vienne, une
constellation d’acteurs avec laquelle j’avais
envie de le faire. Ce sont presque toujours les
comédiens qui me donnent l’idée de mettre en
scène une pièce…
C’est donc l’envie de voir Micha Lescot jouer
Ivanov qui est à l’origine de ce projet…
L. B. : Oui. J’ai voulu lui proposer d’être le
contraire de la personnalité hyperactive qu’il
montre souvent. C’est-à-dire : faire le mini-
L. B. : A partir de la première, mais en ajou-
tant certains passages de la deuxième. C’est
un mix. La première version a un côté plus
extrême, plus proche de l’univers de Gogol.
Dans la deuxième version, qui est moins
mystérieuse, Ivanov ne meurt pas « de
lui-même », comme on pourrait dire, sans
cause explicite, mais il se suicide. Tchekhov
donne davantage de précisions psychologi-
ques, dans cette deuxième version - ce que
je trouve dommage, car ça la rend un peu
trop explicative, et même parfois un peu
bavarde…
Au-delà du personnage d’Ivanov, quelle vision
avez-vous des êtres tchekhoviens ?
L. B. : Ce sont des êtres qui ont tous, plus ou
moins, des tendances neurasthéniques…
Finalement, aucun d’eux n’a d’existence pro-
pre. Ils vivent tous en lien les uns avec les
autres. A part peut-être le personnage de Firs,
dans La Cerisaie, qui reste enfermé seul, à la
fin de la pièce. A ce moment là, son existence
se suffit à elle-même… Et puis, la plupart du
temps, chez Tchekhov, les gens n’arrivent pas
à aller de l’avant. Le rythme et les contraintes
matérielles de la vie ne leur permettent pas
de devenir ce qu’ils auraient souhaité être.
Se pose alors la question de ce que requiert
l’existence par rapport à la capacité de la
réaliser, la question de l’incapacité profonde
d’exister.
mum, se concentrer sur quelque chose qui
ne serait même pas de la mélancolie, mais
une analyse complètement négative de soi-
même par une personne arrivée au bout d’el-
le-même, une personne qui ne pourrait plus
rien donner à qui que ce soit… Ivanov est un
personnage qui doute de sa capacité à jouer
un rôle social, à apporter quelque chose aux
autres. S’il vivait aujourd’hui, on dirait qu’il est
en plein burn-out.
Qu’est-ce qui vous inspire le plus chez Micha
Lescot qui est devenu, en quelques années,
avec Louis Garrel, l’un de vos acteurs français
fétiches ?
L. B. : C’est un animal bizarre… ! Il a une capa-
cité de changement, une capacité à devenir
un autre étonnante. J’essaie de l’empêcher
d’aller dans des choses trop faciles et cari-
caturales. Car je pense que c’est un acteur
profond et qu’il peut l’être encore plus… Il a
ce physique particulier qui l’emmène vers des
attitudes très comiques, mais il est doué pour
d’autres choses. Je l’aime vraiment beaucoup.
C’est un peu comme un alter ego… Mais en
plus grand !
A partir de quelle version de la pièce avez-
vous choisi de travailler ?
Ce qui nous ramène à la mélancolie…
L. B. : Oui. Souvent, en France, on croit que
cette mélancolie est une musique. Or, ce
n’est pas ça. Chez Tchekhov, la mélancolie, ce
n’est pas une musique, c’est une maladie. La
mélancolie ne crée pas une sorte de nostal-
gie dans laquelle on peut jouer. Elle est d’une
dureté extrême.
Quelle est, en fin de compte, la chose essen-
tielle, s’il l’on ne devait en retenir qu’une,
que vous souhaiteriez faire ressortir de cette
pièce ?
L. B. : Ce serait une sorte de vérité possible,
une chose qui n’a pas de solution : comment
des êtres humains peuvent, ainsi, devenir
des bribes d’eux-mêmes. Comme dans les
tableaux de Cy Twombly, où les gens ne sont
plus que des morceaux. Et j’aimerais telle-
ment que « ça ne fasse pas théâtre »…
Ce qui est toujours l’une de vos ambitions
profondes, cette volonté de « ne pas faire
théâtre »…
L. B. : Oui, c’est ça : l’anti-théâtre ! J’essaie
de rendre les acteurs organiques, de ne pas
les laisser mettre en place des systèmes de
fabrication. Mais pour cela, il faut vraiment les
nourrir, les débrider, parvenir à rentrer en eux
pour que prenne corps ce que l’on veut faire…
Entretien réalisé par Manuel Piolat Soleymat
Odéon-Théâtre de l’Europe, place de l’Odéon,
75006 Paris. Du 29 janvier au 28 février
et du 8 au 29 avril 2015. Du mardi au samedi
à 20h, le dimanche à 15h. Tél. 01 44 85 40 40.
www.theatre-odeon.fr
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Le metteur en scène Luc Bondy.
LA MÉLANCOLIE,
CE N’EST PAS
UNE MUSIQUE,
C’EST UNE MALADIE.”
Luc Bondy
ENTRETIEN JEAN BELLORINI
THéâTRE GéRARD PHILIPE
D’APRèS LE ROMAN DE / MES JEAN BELLORINI
UN FILS DE NOTRE TEMPS
Jean Bellorini met en scène Un Fils de notre temps de Ödon von Horváth,
se répand. Un travail choral avec quatre jeunes acteurs instrumentistes,
Comment racontez-vous cette histoire ?
Jean Bellorini : Quatre comédiens instrumen-
tistes forment un chœur, une petite fanfare
avec trompette, guitare, claviers, et violon, qui
pourrait arriver sur n’importe quelle place de
village et raconter cette histoire de manière
simple et joyeuse. Par la force de l’évocation
et la puissance du souvenir, l’incarnation leur
tombe dessus, ils deviennent les personnages,
racontent à la première personne cette histoire
finement construite, parfois teintée d’humour,
qui finit très mal. Il n’y a pas de distribution,
les acteurs interviennent seul ou à plusieurs
et chaque spectateur est libre d’identifier tel
personnage à l’un des acteurs plutôt qu’à un
autre. Il s’agit de donner à imaginer, de met-
tre en œuvre une interprétation qui ne soit
pas uniforme et n’enferme pas le texte, mais
au contraire en explore la complexité et les
nuances dans une respiration commune, par
un travail choral. Le spectateur doit avoir la
liberté de rêver et d’inventer la réalité.
Le texte recèle aussi une dimension oniri-
que…
J. B. : Le texte reflète les obsessions méta-
“PRENDRE LE TEMPS
DE SE RACONTER DES
HISTOIRES ENSEMBLE,
ET L’ÉMOTION.”
Jean BeLLorini
Le metteur en scène Jean Bellorini.
physiques de Horváth, et leur dimension
onirique. Il a écrit plusieurs versions de ce
texte en réécrivant la fin, et ces réécritures
montrent son attachement à ces questions.
Ce texte résonne avec Liliom par l’évocation
de l’au-delà. C’est un ange imaginaire qui va
à la fin conduire le personnage principal vers
sa quête d’un amour raté. Plus métaphysique
et moins didactique que les œuvres de Brecht,
ce texte pose des questions de manière aiguë
mais non démonstrative, des questions qui
résonnent fortement avec notre époque.
En quoi résonnent-elles avec notre époque ?
J. B. : La perte des repères et la perte de sens de
l’action politique caractérisent notre époque et
tout cela favorise aujourd’hui la montée d’une
pensée fasciste. On constate un refus de ren-
dre la pensée et la conscience moteur de notre
monde, qui au contraire éprouve une nécessité
de simplification de tout, de réponses raccour-
cies. Le désœuvrement et l’absence de repères
peuvent conduire à des engagements absur-
des. Le personnage principal, chômeur, s’en-
gage dans l’armée allemande pour échapper à
la misère et donner un sens à sa vie. Il souhaite
faire partie d’un monde dont il a l’impression
qu’il est plus simple. A la fin des années trente,
le fascisme bat son plein. Le texte est magnifi-
que dans sa façon de poser les questions, en
laissant au spectateur le pouvoir de penser la
responsabilité ou l’irresponsabilité du person-
nage qui devient un meurtrier. C’est très théâ-
tral, et c’est un théâtre de la liberté.
Et un théâtre populaire…
J. B. : Ce spectacle joué au TGP et hors les
murs, sans contrainte technique ou de pla-
teau, a été conçu pour aller à la rencontre d’un
public qui n’a pas l’habitude d’aller au théâ-
tre, dans des lieux où il n’y a pas de théâtre.
L’être humain a droit à l’eau, l’électricité, et au
théâtre ! Nous voulons prendre le temps du
théâtre et de la parole partagée, prendre le
temps de se raconter des histoires ensemble,
à travers la réflexion et l’émotion. On a trop
tendance aujourd’hui à nous faire croire que
l’émotion va à l’encontre de la réflexion, et que
le populaire est populiste. Le théâtre rappelle
qu’il y a des endroits où on peut se poser des
questions sans réponses étriquées.
Propos recueillis par Agnès Santi
Théâtre Gérard Philipe, Centre dramatique
national de Saint-Denis, 59 bd. Jules-Guesde,
93200 Saint-Denis. Du 10 au 12 janvier, samedi
à 18h, dimanche à 16h, lundi à 20h30.
Et hors les murs jusqu’en mars.
Tél. 01 48 13 70 00.
Réagissez sur www.journal-laterrasse.fr
SIGNALÉTIQUE
Chers amis, seules sont annotées par le sigle défini ci-contre
les pièces auxquelles nous avons assisté. Mais pour que votre panorama du mois soit plus
complet, nous ajoutons aussi des chroniques, portraits, entretiens, articles sur des mani-
festations que nous n’avons pas encore vues mais qui nous paraissent intéressantes.
CRITIQUE