Toujours dans ce même livre, vous vous demandez si « le foulard ne parasite pas
le débat de fond en concentrant l’attention sur lui. Il le déplace sur le domaine
juridico-laïque au lieu de se concentrer sur la question essentielle des valeurs ».
Pouvez-vous développer ce point de vue ?
C’est selon moi une question essentielle, qui est assez complexe. Le débat du foulard tourne
autour du port des attributs religieux et de la laïcité. Je pense néanmoins que cela est un
faux débat. Cette question du voile est souvent perçue comme un obstacle à
l’épanouissement, à l’égalité et la liberté de la femme. Du coup, on réduit les femmes
voilées à leur foulard, sans jamais, à quelques exceptions près, s’interroger sur le sens
qu’elles donnent à ce port du voile. La façon dont les médias ont abordé ce sujet en a fait le
symbole même de l’islam, autant pour les musulmans que pour les non musulmans. On se
retrouve dans une situation où les filles voilées sont perçues comme celles qui défendent
leur islam « à tout prix », contrairement aux autres… Personnellement, je me bas contre
tous les modèles uniques. Je trouve d’ailleurs que c’est un des fondement de l’islam : que
chacun se construise comme il le sent, en fonction de sa propre évolution, de sa propre
histoire et de ses propres choix, en relation directe avec Dieu. Cela revient à dire que je
voudrais me battre sur deux plans : que les femmes qui choisissent de ne pas se voiler
soient autant considérées comme musulmanes que les autres, et que les femmes
qui choisissent de se voiler soient autant considérées comme françaises que les
autres… Autrement dit, ce qui me paraît fondamental, c’est la question des valeurs. Qu’est-
ce qu’elle défend, cette femme, sous le voile ? Qu’est-ce qu’elle veut ? L’accès au savoir, au
dialogue, à la contradiction, à la citoyenneté ? Ou au contraire se séparer des autres, se
sentir supérieure et mépriser tout ce qui n’est pas comme elle ?
Pour moi, il est important que tous les français se rejoignent sur des valeurs communes,
quelle que soit la référence qu’ils utilisent pour y accéder. On se doit de faire comprendre
que l’islam peut être un moyen d’accès à ces valeurs universelles. Il convient de faire
comprendre que les valeurs universelles sont aussi dans l’islam. Mais pour cela, il faudrait
arriver à parler de valeurs au lieu d’être enfermés dans la question du port des attributs
religieux en système laïque, et discuter de ce qui sous-tend tel ou tel choix. Dans le livre, je
me demande donc si le foulard ne retarde pas le débat sur les valeurs puisqu’il cristallise les
débats sur la question de la laïcité. Mais Saïda répondrait ici que si elle doit enlever son voile
pour débattre, elle ne pourra jamais prouver qu’il n’est pas incompatible avec égalité,
liberté, fraternité, citoyenneté… Et elle m’a convaincue sur ce point : ce n’est pas le foulard
qui bloque, ce sont les préjugés dont il est l’objet, toujours en reflet de la situation
étrangère.
De quelles valeurs par exemple parlez-vous ?
Et bien, de celles-ci : liberté, égalité, fraternité, citoyenneté, modernité… Prenons la
dernière : que signifie être moderne ? C’est dire « je » - ne pas laisser le(s) clan(s) définir
l’individu - et utiliser la raison pour remettre en cause les traditions ancestrales. Qu’est-ce
que font la plupart des filles qui pratiquent l’islam ? Elles retournent elles-mêmes aux textes
sacrés de l’islam et s’aperçoivent que, souvent, il y a une confusion entre traditions et
religion. Elles découvrent qu’elles ont « l’obligation d’acquérir le savoir » comme les
hommes, qu’il n’y a aucun critère ethnique dans le mariage musulman, que leur
consentement est obligatoire, que notre Prophète (Paix et Salut sur lui) avait un
comportement exemplaire avec les femmes, etc… En passant par l’islam, elles disent « je »
et elles remettent en cause les traditions ancestrales dans lesquelles on a souvent essayé de
les enfermer, donc elles accèdent à la modernité. Ce qui ne veut pas dire qu’il faille
absolument « passer » par l’islam pour atteindre la modernité, ni que tous les jeunes qui