La statuaire royale de Sésostris Ier. Art* et politique au début de la

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* Sauf mention contraire, toutes les illus-
trations sont de l’auteur.
1 Voir le propos de la Prophétie de
Neferty ∞∞: Aménemhat est le «∞∞fils d’une
femme de Ta-Sety, (…) le fils d’un homme∞∞».
Cf. l’édition de W. Helck, Die Prophezeiung
des Nfr.tj, Wiesbaden, 19922.
2 L’hypothèse apparaît dès le milieu du
XIXe siècle sous la plume d’E. de Rougé,
avant de connaître plusieurs reprises et de se
cristalliser dans l’ouvrage de W.J. Murnane
en 1977. Cl. Obsomer, à la suite des travaux
de R. Delia, a montré de façon convaincante
qu’il ne pouvait être question de corégence
durant la XIIe dynastie. E. de Rougé, «∞∞Lettre
à M. Leeman, Directeur du Musée d’Antiqui-
tés des Pays-Bas, sur une stèle égyptienne de
ce musée∞∞», RevArch 6 (1849), p. 572-574∞∞;
W.J. Murnane, Ancient Egyptian Coregen-
cies (SAOC 40), 1977∞∞; R.D. Delia, «∞∞A New
Look at Some Old Dates. A Reexamination
of Twelfth Dynasty Double Dated Inscrip-
tions∞∞», BES 1 (1979), p. 15-28∞∞; id., «∞∞Doubts
about Double Dates and Coregencies∞∞», BES
4 (1982), p. 55-69∞∞; Cl. Obsomer, Sésostris
Ier. Étude chronologique et historique du
règne (Connaissance de l’Égypte ancienne 5),
1995, part. p. 35-155.
La statuaire royale de Sésostris Ier.
Art* et politique au début de la XIIe dynastie
David LORAND – IFAO – FRS-FNRS
Khéperkarê Sésostris Ier est le
deuxième roi de la XIIe dynastie. Il
succède sur le trône du Double-Pays
à son père Séhetepibrê Aménem -
hat Ier, qui n’appartient pas à la
famille royale du dernier souverain
de la XIe dynastie, Nebtaouyrê Mon-
touhotep IV1. Cette rupture dynas-
tique explique sans doute, en partie
du moins, l’assassinat d’Aménemhat
Ier et les circonstances de l’accession
au trône de Sésostris Ier.
Le caractère exceptionnel d’un tel
événement au début de la XIIe dyn-
astie, couplé à une documentation
littéraire contemporaine qui pré -
sente quelques particularités dans
la notation des dates des règnes
d’Aménemhat Ier et Sésostris Ier, est
à l’origine d’un important débat
égypto logique quant à la possible
existence de corégences en Égypte
ancienne – dont celle entre Amén-
emhat Ier et son fils Sésostris Ier,
longue de dix ans, est considérée
comme le locus classicus de ce pro-
cédé institutionnel2.
24 BSFE 180
3 Voir le bref historique de la question fait
par Cl. Obsomer, op. cit., p. 37-41.
4 À titre de seuls exemples∞∞: K. Sethe,
Sesostris (UGAÄ 2), 1964 (reproduction
anastatique de la version de 1900), p. 3-24∞∞;
J. Omlin, Amenemhet I. und Sesostris I. Die
Begründer der XII. Dynastie, 1962∞∞; D. Wil-
dung, L’âge d’or de l’Égypte. Le Moyen
Empire, 1984∞∞; Cl. Vandersleyen, L’Égypte
et la vallée du Nil 2. De la fin de l’Ancien
Empire à la fin du Nouvel Empire, 1995∞∞;
W. Grajetzki, The Middle Kingdom of
Ancient Egypt. History, Archaeology and
Society, 2006∞∞; N. Favry, Sésostris Ier et le
début de la XIIe dynastie, 2009.
5 Voir les travaux pionniers de G. Posener,
Littérature et politique dans l’Égypte de la
XIIe dynastie, 1956∞∞; id., L’enseignement
loyaliste. Sagesse égyptienne du Moyen
Empire, 1976. Voir également les questions
que soulèvent ses recherches, et par exemple
W.K. Simpson, «∞∞Belles Lettres and Pro-
paganda∞∞», dans A. Loprieno (éd.), Ancient
Egyptian Literature, History and Forms
(ProblÄg 10), 1996, p. 435-443∞∞; W. Schen-
kel, «∞∞„Littérature et politique“∞∞ – Fragestel-
lung oder Antwort∞∞?∞∞», dans E. Blumenthal
– J. Assmann (éd.), Literatur und Politik im
pharaonischen und ptolemaïschen Ägypten.
Vorträge der Tagung zum Gedenken an
Georges Posener, 5.-10. September 1996 in
Leipzig (BdE 127), 1999, p. 63-74. Quant à
l’idéologie royale et la légitimation, au sein
d’une abondante bibliographie, voir entre
des études consacrées aux proces -
sus de légitimation du pouvoir royal
au Moyen Empire et en particulier
sous Sésostris Ier. L’analyse des
moyens d’expression du pouvoir et
de son idéologie à travers les pro-
ductions artistiques de l’Égypte
phara o nique, et notamment la litté-
rature, se caractérise par une abon-
dante production scientifique5 mais,
Si je m’accorde avec plusieurs
auteurs sur la faiblesse de l’hypo-
thèse «∞∞corégenciste∞∞», tant à propos
des arguments épigraphiques et
philologiques qu’à propos de ceux
relatifs à l’idéologie du pouvoir pha-
raonique, il importe en outre de
signaler que l’étude du début du
règne de Sésostris Ier s’est très forte-
ment polarisée sur cette question des
corégences putatives3, avec pour
conséquence l’absence de toute
reconstitution du canevas événemen-
tiel des premières années passées par
le souverain à la tête de son pays. Ce
constat concerne plus globalement la
totalité des 45 années durant les-
quelles le roi exerça son pouvoir,
puisqu’il n’existe, à ma connais-
sance, aucune étude retraçant le
déroulement diachronique du règne
de Sésostris Ier. Cela ne signifie pas
pour autant que ce champ d’investi-
gation soit une terra incognita, car
de nombreuses publications ont
abordé cette période4, mais force est
de constater que ces diverses contri-
butions ont surtout été thématiques
et n’ont jamais cherché à associer
dans une même trame chronologique
les projets architecturaux du souve-
rain, les productions artistiques, les
campagnes militaires et les expédi-
tions en direction des carrières et
des gisements minéralogiques.
L’assassinat d’Aménemhat Ier a
également suscité le développement
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autres, R. Gundlach, «∞∞Die Legitimationen
des ägyptischen Königs – Versuch einer Sys-
tematisierung∞∞», dans R. Gundlach – Chr.
Raedler (éd.), Selbstverständnis und Realität.
Akten des Symposiums zur ägyptischen
Königsideologie in Mainz 15.-17.6.1995,
1997, p. 11-20∞∞; id., «∞∞„Schöpfung“∞∞ und
„Königtum“∞∞ als Zentralbegriffe der ägyptis-
chen Königstitulaturen im 2. Jahrtausend
v. Chr.∞∞», dans N. Kloth – K. Martin –
E. Pardey (éd.), Es werde niedergelegt als
Schriftstück. Festschrift für Hartwig
Altenmüller zum 65. Geburtstag (SAK Bei-
hefte 9), 2003, p. 179-192∞∞; id., Die Königs-
ideologie Sesostris’I. anhand seiner Titulatur
(Königtum, Staat und Gesellschaft früher
Hochkulturen 7), 2008.
6 «∞∞On voudrait pouvoir insérer dans le
tissu historique du règne la construction de
temples, l’érection d’obélisques et de statues.
Malheureusement, l’exploitation de la docu-
mentation relative à ces activités-là – dont la
richesse s’accroît d’année en année – exige-
rait une étude spéciale, une synthèse qui n’a
pas encore été entreprise∞∞»∞∞: Cl. Vanders-
leyen, op. cit., p. 71.
7 H.G. Evers, Staat aus dem Stein.
Denkmäler, Geschichte und Bedeutung der
ägyptischen Plastik während des mittleren
Reichs, 1929.
8 D’après N. Favry, «∞∞on connaît une tren-
taine d’exemplaires∞∞», soit moitié moins que
l’actuel corpus des œuvres certifiées et
attribuées au roi∞∞: N. Favry, op. cit., p. 220.
9 K. Dohrmann, Arbeitsorganisation,
Produktionsverfahren und Werktechnik –
eine Analyse der Sitzstatuen Sesostris’ I. aus
Lischt. Dissertation zur Erlangung des Dok-
torgrades der Philosophischen Fakultät der
Georg-August-Universität Göttingen, 2004
(thèse inédite).
10 Voir par exemple L. Manniche, L’art
égyptien, 1994, p. 92∞∞; Cl. Vandersleyen, op.
cit., p. 71.
une disparité pourtant manifeste. Par
ailleurs, la statuaire, en tant que
de nouveau, ces études ne permettent
pas d’aborder la totalité du règne du
souverain. Ce défaut de la recherche,
que pointait déjà Cl. Vandersleyen
en 19956, conduit insidieusement à
une vision monolithique et «∞∞a-chro-
nologique∞∞» des 45 années durant
lesquelles l’Égypte a été gouvernée
par Sésostris Ier.
Parallèlement à ce constat, il res-
sort avant tout de la littérature con-
sacrée à l’histoire de l’art égyptien
une vision uniforme et décontextua-
lisée de la statuaire de Sésostris Ier∞∞:
l’œuvre présentée est une œuvre de
musée, sa provenance étant subsi-
diaire et sa portée limitée à une
explication esthétisante de l’appa-
rence iconographique et stylistique
de l’œuvre. Il est en outre sympto-
matique de constater que le corpus
statuaire ne s’est en apparence pas
enrichi depuis la publication de H.G.
Evers en 19297 et que l’on peine à
dénombrer les œuvres qui le consti-
tuent8. Parfois de grande ampleur
comme celle de K. Dohrmann9, les
études existantes discutent ponctuel-
lement d’une œuvre ou d’un groupe
de statues mais la statuaire de Sésos-
tris Ier n’est, en définitive, jamais
abordée comme un corpus.
L’activité architecturale du souve-
rain n’échappe pas à ce constat, et
les trente-cinq sites traditionnelle-
ment comptabilisés comme porteurs
des traces du pharaon10 cachent mal
26 BSFE 180
11 D. Laboury, La statuaire de Thoutmo-
sis III. Essai d’interprétation d’un portrait
royal dans son contexte historique (AegLeod
5), 1998, p. 70.
12 Cl. Obsomer, Sésostris Ier. Étude chro-
nologique et historique du règne (Connais-
sance de l’Égypte ancienne 5), 1995.
appartenant tant à la sphère royale
qu’à celle des particuliers. L’accès à
la majorité de ces informations a été
grandement facilité par le dépouille-
ment effectué par Cl. Obsomer à
l’occasion de ses recherches sur plu-
sieurs questions touchant à la chro-
nologie du règne du souverain12. La
disponibilité d’un corpus traduit,
doté d’une bibliographie de réfé-
rence, m’a ainsi autorisé à retourner
rapidement aux editio princeps de
nombreuses inscriptions et d’y con-
trôler la portée et les moyens d’ex-
pression des informations histori-
ques contenues dans ces monuments,
et d’en proposer systématiquement
une nouvelle traduction. Ce principe
a également été appliqué à la docu-
mentation iconographique tout au
long de ce travail.
Aussi, l’étude historique du règne
de Sésostris Ier, qui ne peut raisonna-
blement pas prendre en considéra-
tion l’hypothèse d’une corégence
avec son prédécesseur Aménemhat
Ier – pas plus qu’avec son propre fils
Aménemhat II – faute de preuve
composante des sanctuaires, n’est
qu’exceptionnellement évoquée alors
que, comme le rappelle D. Laboury,
«∞∞les statues de rois de l’ancienne
Égypte étaient toujours destinées à
fonctionner dans un édifice, ce qui
signifie qu’elles étaient toutes en cor-
respondance avec une architecture.∞∞»11
Les enjeux d’une étude consacrée
à la statuaire de Sésostris Ier se con-
cen trent donc en trois points∞∞:
établissement d’une chronologie
et sa présentation, non thématique
mais diachronique, permettant
l’insertion et la mise en corres-
pondance éventuelle des chantiers
architecturaux, des expéditions
pacifiques et militaires, et des
œuvres sculptées∞∞;
élaboration d’un catalogue cri-
tique de la statuaire royale de
Sésostris Ier, dont l’ambition est
d’être exhaustif et non simple-
ment illustratif de tendances dans
l’histoire des pratiques artistiques
de l’Égypte pharaonique∞∞;
nécessaire révision des données
relatives aux activités de bâtisseur
du souverain, notamment en
termes de relocalisation des ves-
tiges et de restitution du plan des
édifices érigés.
L’étude que j’ai menée ambition-
nait donc de préciser l’historique du
règne de Sésostris Ier, en mettant en
œuvre des ressources documentaires
BSFE 180 27
13 Voir par exemple le texte du rouleau de
cuir de Berlin (8-13), la biographie de
Sinouhé (R93), le texte de fondation du tem-
ple de Montou à Tôd (13), la stèle Florence
2540 du général Montouhotep érigée à
Bouhen en l’an 18 (6-7), ou encore la stèle
Caire RT 19-4-22-1 d’Éléphantine (6-8).
A. De Buck, «∞∞The Building inscription of
the Berlin Leather Roll∞∞», AnOr 17 (1938),
p. 48-57∞∞; R. Koch, Die Erzählung des
Sinuhe (BiAeg 17), 1990∞∞; Chr. Barbotin –
J.J. Clère, «∞∞L’inscription de Sésostris Ier
à Tôd∞∞», BIFAO 91 (1991), p. 1-32∞∞; J.H.
Breasted, «∞∞The Wadi Halfa stela of Sen-
wosret I∞∞», PSBA 23 (1901), p. 230-235∞∞;
D. Franke, «∞∞Sesostris I., “∞∞König der beiden
Länder“∞∞ und Demiurg in Elephantine∞∞»,
dans P. Der Manuelian (éd.), Studies in
Honor of William Kelly Simpson, 1996,
p. 275-295.
14 Contra W. Helck, «∞∞Politische Span-
nungen zu Beginn des Mittleren Reiches∞∞»,
dans Ägypten, Dauer und Wandel. Sympo-
sium anlässlich des 75jährigen Bestehens des
Deutschen archäologischen Instituts Kairo
am 10. und 11. Oktober 1982 (SDAIK 18),
1985, p. 52∞∞; id., Politische Gegensätze im
alten Ägypten (HÄB 23), 1986, p. 37∞∞; Chr.
Barbotin – J.J. Clère, loc. cit., p. 1-32.
15 Blocs Metropolitan Museum of Art de
New York MMA 08.200.9, MMA 08.200.10,
MMA 09.180.13∞∞; musée égyptien du Caire
JE 31878. Publiés en dessin au trait par J.-E.
Gautier – G. Jéquier, Mémoire sur les fouilles
de Licht (MIFAO 6), 1902, respectivement
aux fig. 112, 110, 113 et 111.
celle choisie par son devancier. À
Licht-Nord, les représentations de
Sésostris Ier, dans la décoration d’un
monument de type cultuel dédié
pour son père15, appartiennent pro-
bablement à ce même désir de
objective, m’a aussi amené à propo-
ser une vision plus nuancée et moins
tranchée de la période qui suit
immédiatement l’assassinat d’Amen-
emhat Ier. Si la prédestination du
jeune prince Sésostris est régulière-
ment évoquée dans la littérature13,
en particulier sous la forme de son
élection divine et de sa filiation avec
le(s) démiurge(s), c’est sans doute
qu’en plus d’être un topos de l’idéo-
logie pharaonique, cette autojustifi-
cation s’impose au vu des circons-
tances dramatiques qui paraissent
avoir présidé à son accession au
trône. Mais il n’en reste pas moins
que les raisons à l’origine de la
conspiration de palais – qui vise tout
autant le pharaon en exercice que
son héritier présomptif – demeurent
floues, et l’identité des conjurés une
inconnue. Par ailleurs, il est difficile,
pour ne pas dire plus, de conclure à
un état de «∞∞guerre civile∞∞» au début
du règne de Sésostris Ier, les inscrip-
tions royales de Tôd et d’Éléphan-
tine ne pouvant prétendre en donner
la preuve, même de façon sugges-
tive14. Néanmoins, confronté à une
violente remise en cause de sa légi-
timité à l’occasion de l’assassinat de
son père, Sésostris Ier a manifeste-
ment cherché à combattre ces velléi-
tés, notamment d’un point de vue
formel lors de l’établissement de sa
propre titulature royale qui n’est autre
que le prolongement idéologique de
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