Après la soirée du samedi 18 avril 2009 Après la soirée, oui… D’un côté, l’impression que nos corps deviennent de plus en plus libres. On ne doit pas être les seuls, sûrement, à avoir vécu dans des lieux comme le shoushou des moments de vide, presque de stress, parfois même de crise, ou de silence, ou de non sens. Quelque chose qui ressemble à ce que j’ai pu parfois ressentir en allant à la piscine, enfant !! Le bruit avant d’arriver dans le bassin, le temps des vestiaires (oui, c’est peut-être ça, la même ambiance des vestiaires : se « déshabiller » et descendre les marches pour se « jeter à l’eau », le moment du corps habillé au corps déshabillé, du privé au public !! Un souvenir d’enfance « traumatisant » !!). Eh bien ce passage là disparaît de plus en plus au fil des soirées au shoushou, nos corps, à peine entrés, accueillis par Chimène, et avant même les vestiaires, tout de suite comme « un poisson dans l’eau » … Et lorsque quelque chose pourrait ressembler à ce passage à vide , il se transforme vite en passage avide, avide d’aller danser, avide de partager cela avec toi, avide de regarder les autres personnes, avide de te regarder être regardée , et de parler avec ceux qu’on croise, et avide de monter … On retrouve un couple rencontré la dernière fois, Jacques et Véronique (je ne suis pas sûr de ton nom, zut !), qui me dit avoir lu le dernier texte de la rubrique « philosophie ». On parle de l’intérêt et de l’importance qu’il peut y avoir d’informer et former tous ceux qui peuvent l’être, les enseignants, les éducateurs, les journalistes, aux questions de genre et aux questions sexuelles. On parle aussi de ce à quoi sont confrontés encore aujourd’hui les adolescents et les adultes homosexuels, trans’ ou tous ceux qui ne réduisent pas leur vie affective et sexuelle à la norme (c’est-à-dire au refoulement de ce qui ne se confond pas avec la norme)… Quoiqu’on dise, vivre « hors norme » reste une aventure, non seulement pour la personne concernée, mais aussi pour l’entourage : ce n’est jamais seulement une histoire « privée » mais toujours aussi familiale, sociale, « publique », certains disent « politique » (C’est aussi pour cela qu’il y a cette rubrique « philosophie » sur ce site , pour parler de cela) C’est une facilité de faire croire que c’est facile, et quand on parle de façon un peu plus approfondie avec les personnes du shoushou ou d’ailleurs, on s’aperçoit vite que la plupart du temps ce n’est pas si simple. Mais qu’en même temps, les personnes qui franchissent le pas ne le regrettent pas… Donc d’un côté il y a cela , de voir à nouveau après cette soirée, que c’est devenu plus facile pour nous de ne pas se laisser prendre par l’inhibition, les formes subtiles d’oppression (à table, un homme dira de nous deux, en nous présentant à un autre homme travesti : « c’est un couple hors norme », et on ébauchera une discussion sur la « norme »…) Hors norme. C’est un travail à l’extérieur, de déconstruire la norme, ses effets destructeurs sur la vie de chacun et y compris des « normaux » (par exemple cette idée de Judith Butler dans « Trouble dans le genre » pour qui l’hétérosexualité est construite structurellement sur la mélancolie sous la forme d’un manque en permanence nostalgique, répété et entretenu : cf l’amour courtois, l’amour « romantique »). Mais c’est un travail aussi à l’intérieur, à l’intérieur d’un lieu comme le shoushou et l’intérieur de soi… Et donc d’un autre côté : c’est une des choses qui est plus claire après cette soirée : la difficulté de déconstruire la norme aussi au shoushou. On a pu jouer en haut, mais finalement ça a été difficile de trouver d’autres personnes, d’autres scénarios que les scénarios « normaux ». C’est quoi la norme ? Globalement, c’est la manière dont les hommes jouissent en ayant l’air de mettre les femmes au centre… On avait vu un couple en bas, E et A, déjà entrevu dans une soirée précédente, qui à certains égards nous ressemble. (F. qui nous a rejoints pour cette soirée, nous fait remarquer qu’A. te ressemble dans son allure. Tu dis que oui, c’est bien aussi parfois de se désirer spéculairement !). On les retrouve en haut. Elle suce E. d’une belle manière… Il nous voit et nous fait signe. On se rapproche d’eux. A. est allongée sur le dos. Tu me dis de lui sucer les pieds, ce que je fais longuement et avidement… Je ne vois pas beaucoup ce qui se passe ailleurs. Je vois que F nous rejoint, elle te caresse, puis suce les seins d’A. que tu branles avidement je crois. Parfois tout en suçant les pieds d’A., mes mains remontent sur ses jambes, ses cuisses, son sexe, où je croise tes doigts. Et puis je ne sais plus comment, je me retrouve à lui sucer le sexe. Je ne vois plus rien du reste, peut-être E. qui s’est rapproché de toi. Parfois je sens que tu viens derrière moi, tu m’encules d’un doigt , me branle. Je suce longuement son sexe jusqu’à ce qu’A. jouisse (je crois…). On s’arrête , elle nous dit merci, « mais non c’est nous »… On se parle, on entend le chien de Shoushou qui a hâte de sortir, on parle du livre « La femme aux chiens », du dessin de couverture de Mirka Lugosi, du photographe Gilles Berquet, et de l’intérêt et l’importance qu’il y a à diffuser la littérature et les images érotiques non codifiées par la pornographie, pour que d’autres esthétiques, d’autres images, d’autres phantasmes nourrissent l’imaginaire sexuel. E. parle d’une galerie à Bruxelles qui s’y emploie parfois. On parle de la librairie Jaybird… Bon, c’était bien de se rencontrer, de jouer ensemble, de se parler et de découvrir qu’on avait cela en commun. Le shoushou, la rencontre … Mais le lendemain, en reparlant de la soirée, on revient sur ce qui s’est passé. Tu te dis ambivalente, on a eu de bons moments (oh, cette image où tu branles Pascal assis entre deux danses, toi allongée comme l’odalisque d’Ingres, mais cette fois ci c’est l’homme qui est entièrement nu et toi « habillée » (tu as une longue robe noire en fine maille, transparente, qui laisse voir tout ton corps dessiné dessous), tu le branles « naturellement ». Mais ça a été difficile d’échapper à la « norme ». Tu n’as pas pu « jouer », taquiner les hommes pour leur faire dépasser le rôle qu’ils se donnent presqu’inévitablement de se croire la « cause » active de la femme passive. C’est difficile de sortir de ce scénario qui revient à toute vitesse, même quand la femme « active » est en fait active pour le désir de l’homme. Même F., déclarée lesbienne, est toute fière de me montrer qu’elle est persuadée que je ne « sais » pas te sucer correctement, qu’une femme « sait » mieux faire jouir une autre femme. Je lui montre que je veux bien la croire, qu’elle me montre, m’apprenne, que je ne me sens pas blessé narcissiquement parce que je ne sais pas tout ! Mais c’est étrange que du côté des hommes il ne semble pas y avoir ce même phantasme (les hommes qui « sauraient » mieux comment faire jouir un autre homme : c’est dommage qu’ils ne soient pas plus nombreux à croire cela, ils se branleraient plus facilement entre eux !!). Le phantasme de la « cause » - et sûrement du pouvoir quasi divin de se croire être la cause de la jouissance de l’autre : « regarde, je « sais » te faire jouir, moi le tout puissant »… Et inversement, la dépression ou la dépréciation si on pense qu’on ne « sait » pas… Phantasme narcissique, qu’on n’est pourtant pas obligé d’avoir ici au shoushou, mais qui contribue sûrement à bien des malentendus de maîtrise… Les jeux de cravache, de « soumission » soft (cf le texte « après la soirée du 21 mars 2009 ») aident peut-être à traverser cela, à détabiliser ces places imaginaires qui codifient les rencontres sexuelles. Lors de la conversation avec Jacques et sa femme, elle me dit qu’ils apprécient de venir au shoushou parce que la présence de trans’, de Shoushou d’abord, des travestis, des homos quand il y en a, crée une autre climat. Oui, oui…Mais c’est quoi ce climat ? C’est peut-être cela : le brouillage des rapports de places (et de classes ?) dans la sexualité que la « norme » tend à distribuer en actif/passif, dominant/dominé, masculin/féminin, cause/effet, sujet/objet etc, etc… Cette norme s’insinue partout, dans le monde social et dans ce que nous avons de plus intime. Etre « hors norme », c’est faire bouger cette logique binaire qui fonctionne pas opposition… Ah, tiens, on peut lire un beau texte sur cela de Loïc Jacquet dans « Nouvelles Questions Féministes » (vol 27 n° 1 2008) : Loïc Jacquet est une personne trans’ (FtoM) qui parle très bien de cela à partir de son expérience, de faire bouger les places pour jouir autrement ; Il sait de quoi il parle, d’être passé de fille à garçon, et de ce que ces « rôles » induisent très insidieuseusement (ainsi dieu se ment …), et souvent pas tellement pour soi mais pour les partenaires. On peut lire aussi dans le même numéro de NQF un autre texte important de Vincent Guillot qui parle de l’innommable dans le sexuel et de la violence que peuvent susciter les personnes ( en particulier les personnes intersexes) qui ne correspondent pas aux images « binaires » soit masculin, soit féminin et à ce qui pourrait arriver si on faisait autrement avec toute cela C’est pour cela, peut-être qu’il y a un autre climat chez Shoushou. Parce qu’il y a des personnes non binaires, ou du désir non binarisé. Mais cette soirée du 18 avril nous rappelle que cela ne va pas de soi, c’est un certain travail – auquel, il faut bien le dire, les hétéros résistent beaucoup même si venir au shoushou n’est pour eux sans doute pas pour rien : mais il ne faut pas seulement regarder, il faut « être » ! Ce n’est pas pour faire la morale que je dis cela, c’est parce que c’est bien plus excitant et jouissif, vous verriez… Au début de la soirée, on s’est interrogés avec Pascal et Dayse sur les raisons pour lesquelles il n’y a pas ( à notre connaissance) d’équivalent du shoushou en France (en tous cas en province). Tu parles du film « Short Bus » qui met en scène un lieu aussi déjanté, mais c’est aux USA… Pascal propose l’idée d’un rapport entre cela et le fait qu’il y a quelque chose de particulier chez les « belges », un rapport à soi et à l’autre où on taquine, où on se moque, gentiment mais vraiment, comme signe, peut-être, de ne pas se laisser impressionner pas « l’esprit de sérieux ». Mais l’étrange, quand cela arrive à se sexualiser, c’est que cette manière d’être, ce style « belge » (peut-être) permet quelque chose de plus vrai (ce n’est pas de la blague pour la blague, la distraction débile pour « oublier », « ne pas se prendre la tête » et toutes ces bêtises là) non : la rencontre entre ce « style » là et le sexuel rend le hors norme désirable, nommable, jouissif, non violent, « vrai », « normal », et inversement, cela rend le « normal » assez bizarre. Il y en a qui appelle cela « queeriser » (inverser le mal vu et le sexuel stigmatisé en fierté)…Tout un climat, effectivement. Une « philosophie » … ******************************