Texte n° 7
LE HORLA, Guy de Maupassant
Introduction :
Le Horla de Maupassant est une nouvelle qui appartient au genre fantastique. Elle se
présente sous la forme d’un journal intime, c’est donc un récit à la 1ère personne, le « je » est
à la fois personnage et narrateur.
Ce journal débute le 8 mai et se termine le 10 septembre. Le passage que nous allons étudier
est daté du 19 et du 20 août, nous sommes donc très proches du dénouement.
Le personnage-narrateur est hanté par un être étrange : le Horla. Dans notre extrait, le
personnage est persuadé de l’existence de cet être car il l’a vu, et veut désormais le tuer pour
mettre fin à son cauchemar.
LECTURE
Nous nous demanderons comment le récit de la vue du Horla, partagé entre la
narration du personnage et celle du narrateur, permet d’inscrire le texte dans le genre
fantastique.
3 mouvements :
l. 1à 13 : 19 août, le personnage attend le Horla dans le but de le tuer.
l. 14 à 32 : apparition du Horla et disparition de l’image du personnage dans le miroir.
l. 33 à fin : 20 août, le personnage, résolu à tuer le Horla, se demande comment il pourra le
faire.
I- l. 1 à 13 : L’attente
l. 1 : « 19 août » le personnage a déjà écrit à cette date, depuis le 6 août, il écrit tous les
jours et maintenant, il écrit 2 fois dans la même journée, le Horla est devenu pour lui une
véritable obsession. De plus, cette obsession est aussi visible dans la 1ère phrase : « Je le
tuerai » la présence des pronoms « je » et « le » collés centre le texte sur la relation du
personnage et du Horla. « Le » est anaphorique, il désigne évidemment l’être surnaturel
dont la référence a été donnée bien plus tôt dans la nouvelle, le personnage n’a pas
besoin de le renommer puisque c’est cet être qui est, depuis plusieurs jours, le sujet de
l’écriture.
Le futur, le passé composé et le point d’exclamation montrent que l’on entend ici la voix
du personnage. Ces 2 1ères phrases sont marquées par la certitude avec le futur, la forme
assertive et le « ! »: le personnage est déterminé, il ne remet plus en cause l’existence du
Horla.
Après le « ! », il va nous donner les raisons de sa détermination par un retour en arrière.
C’ est d’abord le personnage qui parle, on le voit à travers le passé composé « je me suis
assis » et le déictique « hier soir », interprétable que par rapport à la situation
d’énonciation, cette situation nous est donnée par la date : « 19 août », mais c’est une
fausse indication car nous n’avons pas l’année. Puis, le narrateur prend le relais de la
narration : « je fis » : le passé simple est le temps du récit.
Dans une même phrase, nous assistons à une tension entre je personnage et je narrateur.
Or, comme l’explique Tzvetan Todorov dans l’ Introduction à la littérature fantastique, le
fantastique se reconnaît, entre autre, par l’hésitation du lecteur et du personnage entre
une explication rationnelle et une explication surnaturelle de l’événement narré. Et le
choix d’un narrateur-personnage permet cette hésitation puisque, par convention, on ne
remet jamais en cause les paroles du narrateur (par exemple, on ne doute jamais de ce
que nous dit le narrateur d’Une vie), en revanche, il est tout à fait permis de ne pas croire
aux paroles d’un personnage. Donc ici, dans Le Horla, d’un côté nous croyons à ce que
nous dit le narrateur, c’est-à-dire qu’il existe un être qui le torture, et nous sommes alors
dans le domaine du surnaturel, et d’un autre côté, il arrive fréquemment que nous
entendions la voix du personnage, et là, nous pensons qu’il est fou, et nous avons une
explication rationnelle des événements. Cette hésitation constante inscrit le texte dans le
genre fantastique.
l. 2-3 : « Je savais bien…le saisir » l’allitération en [r] et l’assonance en [ou] font
imaginer le Horla tournant autour du personnage. Comme je viens de le dire, on n’est pas
obligé de croire sur parole le personnage, mais les sonorité et la gradation « tout près, si
près » sont là pour nous inviter à sentir avec lui la présence du Horla. Le paradoxe du
journal intime en littérature est que le texte de ce journal n’a, dans la vie courante, qu’un
seul destinataire : soi-même, mais en littérature, il en a de multiple : les lecteurs, ainsi, le
narrateur de ce texte utilise des procédés stylistiques pour convaincre les lecteurs.
« le saisir ? » l’interrogation abrupte montre un sursaut d’espérance.
l. 3 la répétition de « alors » hache la phrase et nous fait volontiers penser à la folie du
personnage. De plus, à la l. 4, l’énumération des parties du corps et des actions est en
asyndète, c’est-à-dire sans liens coordonnants « j’aurais mes mains…le déchirer »,
l’énumération des parties du corps est faite sans aucune gradations : les mains, les
genoux, la poitrine, le front, les dents, elle donne à voir un esprit peu ordonné, et nous
donne l’impression que le personnage est fou. En revanche, les verbes de étrangler à
déchirer comportent une hiérarchie de l’humanité à l’animalité : étrangler, écraser,
mordre, déchirer. Le narrateur régresse vers l’animalité, mais le lecteur ne sait pas si
c’est la folie du personnage qui a créé le Horla, ou si c’est la présence effective du Horla
qui a rend le personnage fou. Encore une fois, le lecteur hésite entre 2 interprétations.
l. 6 « Et je … » on a une ligne/un paragraphe pour dire l’attente du personnage. Le blanc
jusqu’au paragraphe suivant fait aussi attendre le lecteur. Le personnage, qui a la parole
ici, nous met dans la même situation que lui pour nous pousser à le croire.
l. 7-8 « mes 2 lampes et les 8 bougies de la cheminée » : les déterminants devant 2 et 8 et
le « et » montrent la frénésie du personnage, mais après la virgule, « comme si j’eusse
pu » le « comme si » et le subjonctif trahissent la présence du narrateur qui commente les
actions du personnage.
Le paragraphe des lignes 9 à 13 marque une pause : il s’agit de la description de la
chambre du personnage, et cette description est prise en charge par le narrateur. Les
indications nous sont données par rapport à la position du personnage. La description est
précise : « en face de moi », « à droite », « à gauche », « derrière moi ». Le lit et
l’armoire sont décrit avec des adjectifs « vieux », « très haute » et des compléments
« (lit) de chêne » et « (armoire) à glace ». Ce retour du narrateur dans la description
rationalise le texte, on y croit. Toutefois, le personnage n’est pas absent pour autant, sa
vison du monde transperce dans ce paragraphe :
Nous avons beaucoup de pronoms personnels de rang 1 : « moi…mon lit…me raser…
j’avais », la 1ère personne est déclinée sous toutes ses formes, en outre, on nous dit que le
personnage se regarde dans le miroir « chaque jour […] de la tête aux pieds, chaque fois
qu [‘il] passai[t] devant », et il ne faut pas oublier que la nouvelle se présente sous la
forme d’un journal qui est un moyen de S’écrire, de SE regarder : nous avons donc
affaire à un personnage narcissique, en quête de son identité, qui se cherche, et qui, peut-
être, se retrouve paradoxalement dans le Horla.
On peut pousser l’interprétation plus loin : le personnage est centré sur lui-même et se
regarde sans cesse dans le miroir, nous avons ici la figure mythologique de Narcisse, or,
Narcisse se regarde dans l’eau, et le miroir symbolise souvent l’eau, et si nous regardons
les autres parties de la pièce décrites, nous constatons qu’à droite, il y a la cheminée,
donc le feu, à gauche, la porte, c’est-à-dire l’air car c’est par là qu’il circule, et enfin le lit
qui est fait, on nous le précise, de chêne, donc la terre. Les quatre éléments sont dans la
chambre et le personnage est au centre, soit le moi persécuté par le Horla se fait centre du
monde, nous avons un indice plaidant en faveur de sa folie, soit le Horla est
effectivement un 5ème élément et a convoqué les quatre autres dans la chambre du
personnage pour le hanter et justifier ainsi l’intuition de celui-ci qui écrivait, quelques
lignes avant notre passage : « Pourquoi pas d’autres éléments que le feu, l’air, la terre et
l’eau ? Ils sont quatre, rien que quatre, ces pères nourriciers des êtres ! ».
Encore une fois ici, la narration partagée entre narrateur et personnage permet d’inscrire
le texte dans le genre fantastique puisqu’il existe une tension entre la rationalité de la
description et le surnaturel des 4 éléments convoqués dans la chambre par le Horla qui
serait le 5ème.
II- l. 14 à 32 : l’image dans le miroir
Après la pause descriptive, le changement de paragraphe et le « Donc » marquent le
retour à la narration.
l. 14 « je faisais semblant d’écrire pour le tromper, car il m’épiait lui aussi » peut être vu
comme une référence méta textuelle. En effet, tout comme le personnage écrit pour
tromper le Horla et tout comme chacun épie l’autre, l’écrivain écrit pour tromper son
lecteur, il lui ment en lui racontant des histoires et chacun épie l’autre : l’écrivain épie
par avance les réactions de son lecteur, et le lecteur, dans l’explication de texte
notamment, épie l’écrivain en découvrant ses procédés d’écriture, comme le Horla, il lit
« par-dessus [son] épaule » (l. 15).
l. 15 « frôlant mon oreille » : les sonorités du verbe « frôler » [f], [r], [l] évoquent le bruit
entendu par le personnage, et associées au déictique « », elles nous donnent
l’impression de sentir l’être invisible avec le personnage.
l. 17 « je faillis tomber » : la position du personnage en déséquilibre est en même temps
celle du lecteur du texte fantastique : dans l’entre 2.
l. 18 « on y …glace ! » le « je » est opposé au « on », pronom personnel à sémantisme
indéfini, on peut y voir un indice de paranoïa du personnage qui s’exclut du reste du
monde.
Dans « je ne me vis pas dans la glace ! », on entend les 2 voix, celle du narrateur avec le
passé simple « vit » et celle du personnage avec le « ! ». La forme du journal laisse le
lecteur seul face à un texte brut, il n’entend qu’une version des faits (dédoublée entre
personnage et narrateur mais qui ne forment qu’un) sans personnage intermédiaire pour
l’aider dans son interprétation, sa solitude fait écho à celle du narrateur face au Horla.
Le « ! » nous fait douter, si c’est le personnage qui parle, on peut toujours hésiter quand à
la véracité de ses propos, le « ! » peut venir de sa stupéfaction face à cet événement
surnaturel, mais c’est aussi une modalité caractéristique de la folie.
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