INTRODUCTION
Je travaille depuis 10 ans en tant qu'infirmière dans l'unité d'admission du Dr
CHEMLA à la clinique Henri Ey.
Aujourd'hui je vous présente une réécriture d'un texte que j'avais préparé pour les
4èmes rencontres de Corbeil l'année dernière.
Je vais vous parler de la prise en charge d'un patient que je nommerais John, qui souffre
de schizophrénie dysthymique et qui a été très formatrice pour moi.
D'une part parce qu'elle se poursuit depuis 9 ans à sa demande et en fonction des aléas
de sa vie ; d'autre part parce qu'elle m'a amenée à de multiples questionnements sur ma fonction
de soignante aussi bien individuellement qu'au sein du collectif thérapeutique.
En effet la prise en charge de ce jeune homme de 25 ans à l'époque m'a permis de mettre
en perspective les principes fondamentaux enseignés lors de ma formation infirmière.
Dans un premier temps je vais vous parler de la façon dont il m'a proclamée infirmière
référente.
Ensuite je vais vous exposer mon embarras face à la manière dont il s'adresse à moi
comme à une thérapeute.
Puis de mes interrogations au sujet de la question du cadre de la relation transférentielle
dans l'institution.
Pour en finir par son innovation dans la construction de ses soins : sa circulation
sur notre secteur.
Je suis fraîchement diplômée depuis à peine un an lorsque je rencontre John pour la
première fois John. Il nous est adressé pour compensation psychotique d’allure maniaque suite
à la perte de son emploi.
Il est en HDT fait par le père et nécessite l’isolement.
Les premiers échanges vont s’établir lorsqu’un collègue et moi-même le faisons fumer.
John s’apaise un peu ! En effet, dès que les moments de soins négociés et programmés avec lui se
terminent, les angoisses massives réapparaissent. Il tape dans la porte de toutes ses forces, hurle,
nous insulte et nous menace. Il ne supporte pas sa solitude : ses symptômes sont majorés en
isolement et la déstructuration s’aggrave.
Son délire est polymorphe : A la fois hallucinatoire (expériences télépathiques
dans lesquelles il reçoit des messages de prémonition d’évènements de société via les médias) et
d’autres lui demandant de faire telle ou telle chose dans le but de sauver le monde (automatisme
mental syndrome d’influence). Mais aussi, interprétatif (système de code couleur comme les
cibistes pour le classement des messages : vert pour les proches, bleu pour la police et rouge pour
nous) tout ceci entraîne des montées de persécutions puisqu’il est bloqué dans l’unité et ne peut
pas mettre en œuvre les commandements de son délire.
Nous pointons assez rapidement toute la difficulté de la prise en charge. Elle se
situe entre ces moments de partage dans le soin où ce grand jeune homme se montre cultivé, « de
bonne éducation », généreux et attentionné. Mais aussi dans les moments où, ne canalisant pas sa
production délirante, il est très agressif et menaçant verbalement envers l’équipe et les patients.
Lors des entretiens médicaux, John met toute son énergie à canaliser ses symptômes
productifs ayant bien compris que c’est son psychiatre, de surcroît responsable de l’unité, avec
qui il doit gocier l’assouplissement de son cadre de soins. Malgré les inquiétudes de l’équipe
sur la violence qu’il pouvait mettre en scène : les temps d’ouverture de chambre d’isolement se
négociaient. Heureusement une partie des tensions se déplace : John n’est plus soumis à notre
disponibilité mais à un contrat thérapeutique qui se veut instaurer de la confiance mutuelle et lui
permet de devenir co-responsable du déroulement de ses soins.
Malgré tout, John, toujours très provoquant, continue de nous mettre en ébullition
lorsqu’il navigue dans l’unité.
C’est à cette période, par la force des choses, que je vais avoir plus de contact avec lui.
A cette époque j’ai peu de pratique et je me souviens que je trouvais compliqué de
prendre en charge de jeunes patients psychotiques d’à peu près mon âge.
Je ne me sentais pas encore très à l’aise face à la distance relationnelle à tenir avec ces
patients qui ont tendance à nous idéaliser dans une certaine normalité.
Nos rencontres se font souvent au fumoir où John arrive à prendre le temps de parler de
lui. J’apprends ainsi qu’il a le niveau bac et a arrêté ses études, qu’il pratique du sport à un niveau
inter-régional, qu’il est en cours de divorce et revit chez ses parents. Il me parle aussi de ce
travail auquel il tenait tant.
John se détend réellement et parfois me demande de jouer au baby-foot. Au premier
abord je fus un peu embarrassée : pouvais-je m'autoriser cela dans le cadre du rôle infirmier ?
Mais devant son insistance j'accepte tout en l'avertissant de mon « incompétence » sur ce terrain.
Nous voilà parti ! Je me souviens qu’à cette époque, je le laissais m’apprendre et me
donner des conseils, d’ailleurs il se montrait indulgent à mon égard..
Avec le recul, aujourd’hui, je pense que de m'autoriser à partager ces simples moments
privilégiés de son quotidien et de son parcours a été une façon d’entrer sur son terrain et de
commencer à construire l'espace du soins. Vu la suite de mon exposé, ce type de relation
soignant-soigné va être fondamental.
Malgré tout, John continue de ne pas pouvoir canaliser son délire et ses pulsions, et il
est souvent réisoler. Je me pose la question de m'inscrire dans la référence infirmière quand deux
de mes collègues se décide!
Un soir, dans le contexte de travail habituel, je lui apporte le traitement et un tilleul
alors qu’il est toujours isolé pour essayer de l’apaiser et qu'il trouve le sommeil.
Le questionnant pour essayer de discuter, il me déclare que pour me parler ellement
de ce qui l’amène à l’hôpital, il faut que je lise tout son dossier médical.
Lui qui ne supportait pas la psychiatrie il sous entend que son dossier est déjà bien
volumineux puisqu'il a été suivi dans un autre secteur pendant les 5 années précédentes.
L'échange fut bref : je me sentie mise à distance! Je lui affirme tout de même que je vais
en prendre connaissance.
En rentrant de repos, deux jours plus tard, il vient me trouver de bon matin, ravi de me
montrer en personne qu’une ouverture de la chambre s’était négocié.
Je me trouvais à l’autre bout du service, dans le bureau de la secrétaire quand il me
demande où j'en suis dans son dossier !
Il est stupéfait quand je lui réponds que je viens de finir. S'attendait-il à m'avoir
découragé? A ce moment, il s’assoit, m’affirme que maintenant c’est sérieux et se met à me
raconter ce qui se cache derrière ses hurlements de te et ses insultes qu’il adresse à toute
l’unité.
Il finira l’entretien en me proclamant infirmière référente.
Pour autant, John ne s’apaise pas durablement. Il passe encore d’un contact sociable et
agréable à une grande persécution qui se manifeste entre autre par le fait qu’il est persuadé qu’on
lui vole des objets du quotidien.
Il le met en « scène » en fuguant de l'hôpital en pyjama pour porter plainte au
commissariat contre le service.
Que se jouait-il vraiment dans l’après-coup de ces entretiens puisque ce qu’il me
pose ne l’apaise pas vraiment ? Quelque chose que je ne soupçonne pas : cette part de lui qu’il
me livre est tellement intime que s’il me la donne, il est obligé de s’en séparer un peu.
Alors ne le vivait-il pas comme un vol dès qu’il n’était plus en ma présence ?
Immédiatement prévenue par le commissariat, il me semblait de mon rôle de référente
d’aller le rechercher surtout que je l’entendais crier derrière l’interlocuteur téléphonique.
A force de réécriture de ce texte, j’ai fini par revoir cette scène oubliée. Il
m’accueillait très agréablement. J’étais sa « sauveuse ».
Mais lors du trajet de retour, ça ne l’empêchait pas de m’en vouloir de le contraindre
aux soins en le ramenant à l’hôpital. Et s l’arrivée, John était déjà dans la gociation du
cadre !!
Je me demande aujourd’hui comment malgré ces insultes, menaces et agressivité
verbale, ces moments de partage et de calme pouvaient se produire.
J’avais la sensation que John me mettait ainsi que l’équipe à rude épreuve au travers de
toutes ces sortes de provocations qui exprimaient son mal être.
Puis, lors d’un retour de quelques jours de congés ce fut « la cerise sur le gâteau » : Mes
collègues m’attendaient de pied ferme !
A peine avais-je mis un pied dans le service que j’eus des nouvelles de John. Cela
faisait quelques jours qu’il m’appelait en hurlant de jour comme de nuit en arpentant le long
couloir pour essayer de lutter contre une augmentation du traitement.
Evidemment surprise je ne comprend pas pourquoi moi ,qu'attend-il de moi? De ce fait
mon premier réflèxe fut de l'éviter.
Je sentis de leur part un soulagement mêlé d’ironie et de désapprobation. John
m'avait mis, en mon absence, dans une situation très peu confortable vis-à-vis du collectif
infirmier. Par ses paroles il avait réussi à convaincre l'imaginaire du groupe que ma présence
allait apaiser cette situation devenue insoutenable. De plus, le fait qu’il classe les infirmiers en
bons/mauvais nous nous avaient mis un peu plus sous-pression.
Finalement, après avoir produit de l’incompréhension médecin-infirmier, il opère une
scission dans l’équipe.
J'étais désemparée par ces tensions.
D'un côté je me sentais rejeté par mes collègues qui me disaient :"puisqu'il n'y a que toi
qui compte débroille toi!"A ce moment je me demande ce qui a pu traverser l'imaginaire du
groupe, est-ce que mon empathie et ma compréhension pour John ne cautionnait pas son
comportement injurieux envers le collectif soignant?
Et de l'autre côté j'étais idéalisée par John de façon tellement massive que cela me
poussait plutôt à fuir!
Il réussit à me solidariser de l’équipe, m’en a éloigné et malgré mon grand embarras,
j’ai accepté de relever le défi en continuant de m’avancer personnellement auprès de lui .
Il fallait qu’il me singularise du groupe soignant pour singulariser son discours. Et c’est
dans un rapport de force qu’il m'a soustrait à l’équipe pour pouvoir m’amener à sa position : que
je devienne son porte-parole. C' est dans la résistance que je vais continuer à m'occuper de lui.
Pendant les entretiens, au travers des éléments qu’il apporte, j’eus envie de travailler
avec lui ce point qui me semblait important :cette forme de "toute puissance" et de clivage qu'il
met en jeu dans le soins !Il était vital pour moi qu'il accepte que mon positionnement individuel
était en adéquation avec celui du collectif.
En tant que référente j’allais essayer de l’aider tant au niveau de son histoire qu’au
niveau de la gestion du quotidien : toute l’équipe devait pouvoir s’occuper de lui.
Qu’est-ce qui fait que de nouveau, lors d’une décompensation récente, il classe les
infirmiers en bons et mauvais « objets » ? Comment a t’on pu adhérer à cet imaginaire qui nous
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