INTRODUCTION Je travaille depuis 10 ans en tant qu'infirmière dans l'unité d'admission du Dr CHEMLA à la clinique Henri Ey. Aujourd'hui je vous présente une réécriture d'un texte que j'avais préparé pour les 4èmes rencontres de Corbeil l'année dernière. Je vais vous parler de la prise en charge d'un patient que je nommerais John, qui souffre de schizophrénie dysthymique et qui a été très formatrice pour moi. D'une part parce qu'elle se poursuit depuis 9 ans à sa demande et en fonction des aléas de sa vie ; d'autre part parce qu'elle m'a amenée à de multiples questionnements sur ma fonction de soignante aussi bien individuellement qu'au sein du collectif thérapeutique. En effet la prise en charge de ce jeune homme de 25 ans à l'époque m'a permis de mettre en perspective les principes fondamentaux enseignés lors de ma formation infirmière. Dans un premier temps je vais vous parler de la façon dont il m'a proclamée infirmière référente. Ensuite je vais vous exposer mon embarras face à la manière dont il s'adresse à moi comme à une thérapeute. Puis de mes interrogations au sujet de la question du cadre de la relation transférentielle dans l'institution. Pour en finir par son innovation dans la construction de ses soins : sa circulation sur notre secteur. Je suis fraîchement diplômée depuis à peine un an lorsque je rencontre John pour la première fois John. Il nous est adressé pour décompensation psychotique d’allure maniaque suite à la perte de son emploi. Il est en HDT fait par le père et nécessite l’isolement. Les premiers échanges vont s’établir lorsqu’un collègue et moi-même le faisons fumer. John s’apaise un peu ! En effet, dès que les moments de soins négociés et programmés avec lui se terminent, les angoisses massives réapparaissent. Il tape dans la porte de toutes ses forces, hurle, nous insulte et nous menace. Il ne supporte pas sa solitude : ses symptômes sont majorés en isolement et la déstructuration s’aggrave. Son délire est polymorphe : A la fois hallucinatoire (expériences télépathiques dans lesquelles il reçoit des messages de prémonition d’évènements de société via les médias) et d’autres lui demandant de faire telle ou telle chose dans le but de sauver le monde (automatisme mental – syndrome d’influence). Mais aussi, interprétatif (système de code couleur comme les cibistes pour le classement des messages : vert pour les proches, bleu pour la police et rouge pour nous) tout ceci entraîne des montées de persécutions puisqu’il est bloqué dans l’unité et ne peut pas mettre en œuvre les commandements de son délire. Nous pointons assez rapidement toute la difficulté de la prise en charge. Elle se situe entre ces moments de partage dans le soin où ce grand jeune homme se montre cultivé, « de bonne éducation », généreux et attentionné. Mais aussi dans les moments où, ne canalisant pas sa production délirante, il est très agressif et menaçant verbalement envers l’équipe et les patients. Lors des entretiens médicaux, John met toute son énergie à canaliser ses symptômes productifs ayant bien compris que c’est son psychiatre, de surcroît responsable de l’unité, avec qui il doit négocier l’assouplissement de son cadre de soins. Malgré les inquiétudes de l’équipe sur la violence qu’il pouvait mettre en scène : les temps d’ouverture de chambre d’isolement se négociaient. Heureusement une partie des tensions se déplace : John n’est plus soumis à notre disponibilité mais à un contrat thérapeutique qui se veut instaurer de la confiance mutuelle et lui permet de devenir co-responsable du déroulement de ses soins. Malgré tout, John, toujours très provoquant, continue de nous mettre en ébullition lorsqu’il navigue dans l’unité. C’est à cette période, par la force des choses, que je vais avoir plus de contact avec lui. A cette époque j’ai peu de pratique et je me souviens que je trouvais compliqué de prendre en charge de jeunes patients psychotiques d’à peu près mon âge. Je ne me sentais pas encore très à l’aise face à la distance relationnelle à tenir avec ces patients qui ont tendance à nous idéaliser dans une certaine normalité. Nos rencontres se font souvent au fumoir où John arrive à prendre le temps de parler de lui. J’apprends ainsi qu’il a le niveau bac et a arrêté ses études, qu’il pratique du sport à un niveau inter-régional, qu’il est en cours de divorce et revit chez ses parents. Il me parle aussi de ce travail auquel il tenait tant. John se détend réellement et parfois me demande de jouer au baby-foot. Au premier abord je fus un peu embarrassée : pouvais-je m'autoriser cela dans le cadre du rôle infirmier ? Mais devant son insistance j'accepte tout en l'avertissant de mon « incompétence » sur ce terrain. Nous voilà parti ! Je me souviens qu’à cette époque, je le laissais m’apprendre et me donner des conseils, d’ailleurs il se montrait indulgent à mon égard.. Avec le recul, aujourd’hui, je pense que de m'autoriser à partager ces simples moments privilégiés de son quotidien et de son parcours a été une façon d’entrer sur son terrain et de commencer à construire l'espace du soins. Vu la suite de mon exposé, ce type de relation soignant-soigné va être fondamental. Malgré tout, John continue de ne pas pouvoir canaliser son délire et ses pulsions, et il est souvent réisoler. Je me pose la question de m'inscrire dans la référence infirmière quand deux de mes collègues se décide! Un soir, dans le contexte de travail habituel, je lui apporte le traitement et un tilleul alors qu’il est toujours isolé pour essayer de l’apaiser et qu'il trouve le sommeil. Le questionnant pour essayer de discuter, il me déclare que pour me parler réellement de ce qui l’amène à l’hôpital, il faut que je lise tout son dossier médical. Lui qui ne supportait pas la psychiatrie il sous entend que son dossier est déjà bien volumineux puisqu'il a été suivi dans un autre secteur pendant les 5 années précédentes. L'échange fut bref : je me sentie mise à distance! Je lui affirme tout de même que je vais en prendre connaissance. En rentrant de repos, deux jours plus tard, il vient me trouver de bon matin, ravi de me montrer en personne qu’une ouverture de la chambre s’était négocié. Je me trouvais à l’autre bout du service, dans le bureau de la secrétaire quand il me demande où j'en suis dans son dossier ! Il est stupéfait quand je lui réponds que je viens de finir. S'attendait-il à m'avoir découragé? A ce moment, il s’assoit, m’affirme que maintenant c’est sérieux et se met à me raconter ce qui se cache derrière ses hurlements de bête et ses insultes qu’il adresse à toute l’unité. Il finira l’entretien en me proclamant infirmière référente. Pour autant, John ne s’apaise pas durablement. Il passe encore d’un contact sociable et agréable à une grande persécution qui se manifeste entre autre par le fait qu’il est persuadé qu’on lui vole des objets du quotidien. Il le met en « scène » en fuguant de l'hôpital en pyjama pour porter plainte au commissariat contre le service. Que se jouait-il vraiment dans l’après-coup de ces entretiens puisque ce qu’il me dépose ne l’apaise pas vraiment ? Quelque chose que je ne soupçonne pas : cette part de lui qu’il me livre est tellement intime que s’il me la donne, il est obligé de s’en séparer un peu. Alors ne le vivait-il pas comme un vol dès qu’il n’était plus en ma présence ? Immédiatement prévenue par le commissariat, il me semblait de mon rôle de référente d’aller le rechercher surtout que je l’entendais crier derrière l’interlocuteur téléphonique. A force de réécriture de ce texte, j’ai fini par revoir cette scène oubliée. Il m’accueillait très agréablement. J’étais sa « sauveuse ». Mais lors du trajet de retour, ça ne l’empêchait pas de m’en vouloir de le contraindre aux soins en le ramenant à l’hôpital. Et dès l’arrivée, John était déjà dans la négociation du cadre !! Je me demande aujourd’hui comment malgré ces insultes, menaces et agressivité verbale, ces moments de partage et de calme pouvaient se produire. J’avais la sensation que John me mettait ainsi que l’équipe à rude épreuve au travers de toutes ces sortes de provocations qui exprimaient son mal être. Puis, lors d’un retour de quelques jours de congés ce fut « la cerise sur le gâteau » : Mes collègues m’attendaient de pied ferme ! A peine avais-je mis un pied dans le service que j’eus des nouvelles de John. Cela faisait quelques jours qu’il m’appelait en hurlant de jour comme de nuit en arpentant le long couloir pour essayer de lutter contre une augmentation du traitement. Evidemment surprise je ne comprend pas pourquoi moi ,qu'attend-il de moi? De ce fait mon premier réflèxe fut de l'éviter. Je sentis de leur part un soulagement mêlé d’ironie et de désapprobation. John m'avait mis, en mon absence, dans une situation très peu confortable vis-à-vis du collectif infirmier. Par ses paroles il avait réussi à convaincre l'imaginaire du groupe que ma présence allait apaiser cette situation devenue insoutenable. De plus, le fait qu’il classe les infirmiers en bons/mauvais nous nous avaient mis un peu plus sous-pression. Finalement, après avoir produit de l’incompréhension médecin-infirmier, il opère une scission dans l’équipe. J'étais désemparée par ces tensions. D'un côté je me sentais rejeté par mes collègues qui me disaient :"puisqu'il n'y a que toi qui compte débroille toi!"A ce moment je me demande ce qui a pu traverser l'imaginaire du groupe, est-ce que mon empathie et ma compréhension pour John ne cautionnait pas son comportement injurieux envers le collectif soignant? Et de l'autre côté j'étais idéalisée par John de façon tellement massive que cela me poussait plutôt à fuir! Il réussit à me désolidariser de l’équipe, m’en a éloigné et malgré mon grand embarras, j’ai accepté de relever le défi en continuant de m’avancer personnellement auprès de lui . Il fallait qu’il me singularise du groupe soignant pour singulariser son discours. Et c’est dans un rapport de force qu’il m'a soustrait à l’équipe pour pouvoir m’amener à sa position : que je devienne son porte-parole. C' est dans la résistance que je vais continuer à m'occuper de lui. Pendant les entretiens, au travers des éléments qu’il apporte, j’eus envie de travailler avec lui ce point qui me semblait important :cette forme de "toute puissance" et de clivage qu'il met en jeu dans le soins !Il était vital pour moi qu'il accepte que mon positionnement individuel était en adéquation avec celui du collectif. En tant que référente j’allais essayer de l’aider tant au niveau de son histoire qu’au niveau de la gestion du quotidien : toute l’équipe devait pouvoir s’occuper de lui. Qu’est-ce qui fait que de nouveau, lors d’une décompensation récente, il classe les infirmiers en bons et mauvais « objets » ? Comment a t’on pu adhérer à cet imaginaire qui nous engluait ? Il m’a fallu presque 6 ans de prise en charge pour réaliser que malgré la place privilégié que John m'attribuait les bons n'était pas épargnés par l’agressivité et les menaces de mort. D’ailleurs ne serait-ce pas un privilège qu’il puisse m’adresser cela sans craindre de m’anéantir ? Cette place de l’équipe me paraissait d’autant plus essentielle que j’avais été très surprise et inquiète qu’il m’appelle comme cela à longueur de journée et parfois de nuit. Cela s’ajoutait au fait que, pendant les entretiens, je me demandais si John ne laissait pas paraître un sentiment par trop affectueux à mon égard ! Dans la jeunesse de ma pratique je craignais de ne pas avoir su maintenir la juste distance relationnelle soignante. Je me sentis débordée et je me demandais s’il n’irait pas plus mal si je continuais de le suivre. Comment allais-je faire pour replacer le cadre de la relation soignant-soigné sur laquelle je n’avais aucun doute ? alors, après un entretien médical auquel j’assistais je fis part de mes inquiétudes à son psychiatre, et dans l’éventualité que je prenne de la distance quelles en seraient les conséquences ? La réponse fut brève et me figea : « C’est plutôt bien, c’est positif : il reconstruit ». Que faire de cela ? Quelques jours plus tard, alors que je suis toujours bien embarrassée dans mon questionnement, ouf la date de sortie est décidée ! Je suis soulagée de pouvoir en rester là ! Mais John me prend au dépourvu et vient me déclarer ses sentiments lors d’une discussion au fumoir. Je lui signifie que je l’entends mais que je suis infirmière alors il y a deux solutions : soit il préfère que je passe le relais, soit il essaie de privilégier les soins s’il pense que je peux l’aider à aller mieux. C’est sans doute à ce moment que se consolide la relation thérapeutique : d’une certaine façon je posais le cadre de soin minimal nécessaire à ma disponibilité pour lui : ma fonction et lui laissais le choix de s’en saisir. L’impossibilité de transgression de l’interdit autorisait la possibilité de suspendre nos entretiens. D’autre part, il arrivait en fin d’hospitalisation. Il sort le lendemain pour partir en foyer de post-cure. Voilà pour la première manche ! C’est la première fois que je vis un patient sortir si peu stabilisé. En effet, John supportait toujours difficilement la frustration mais il en canalisait mieux les effets. Pendant les trois ans qui suivent je m’investis dans des nouvelles prises en charge tout en prenant de temps en temps des nouvelles de John qui poursuit son chemin tout en acceptant un suivi sur le C.A.T.T.P. de notre secteur. John arrive un jour pour une nouvelle hospitalisation et le match reprend là où nous l’avions suspendu. Il a arrêté son traitement et décompense sur un mode dépressif. Mais le cadre hospitalier lui est tellement intolérable qu’il réexplose avec agressivité : cette nouvelle manche s’annonce aussi serrée que la première. De nouveau en refus de soins, dans le dénis des troubles, il est en H.D.T., et nécessite l’isolement. Nous voilà tous repartis dans l’effervescence qu’il induit à la différence près qu’avec l’expérience et le recul, la cohérence est plus importante entre la direction médicale et l’équipe infirmière. Cette hospitalisation va marquer un tournant décisif dans la construction du soin. Il me semble que l’enjeu de la relation soignante est de transformer la relation de force en relation de confiance. Il renomme aussitôt ses trois référents. Sans se le dire, l’orientation thérapeutique se fait différemment avec chacun des trois infirmiers. Mes collègues l’amènent sur le terrain du Club thérapeutique alors qu’à mon niveau les échanges reprennent sous forme d’entretiens formels ou informels pluri-quotidiennement. L’expérience et le temps faisant je ne me pose plus trop la question du lien entre nous. D’une part, John commence à me parler de cette relation sentimentale qui dure depuis plusieurs mois : il est amoureux. D’autre part, nos rendez-vous lui permettent aussi de déposer ses terribles hallucinations visuelles et auditives qui participent à ses crises d’angoisse majeures. Il m’explique qu’il assiste à des drames terribles et morbides qui arrivent à ses proches et que le recours à la télépathie le rassure et le protège notamment quand c’est avec son frère ou sa sœur. Puis, nouveauté, John aborde le contenu de ses cauchemars. Il se met à pleurer et m’en veut d’accepter de le voir ainsi. Il me parle des douleurs de son enfance. De son père hyper violent verbalement et très jaloux avec la mère qui s’alcoolise et tyrannise la famille. John repense aux violences physiques qu’il lui a fait subir. Il me décrit une scène très précise où il est sur les genoux de sa mère alors que le père la menace d’un couteau. A ce moment, il se ressaisit pour me dire qu’il rend son père responsable de sa maladie, de celle de son frère (antécédents de toxicomanie) et de l’instabilité de sa sœur. Ma position de référente m’a permis de ne plus m’arrêter aux symptômes. C’est à cette période qu’une espèce de commerce du langage va s’établir entre nous comme mode de communication pour participer à sa reconstruction. En effet, pendant les entretiens John me pose parfois des questions sur moi qui sont de l’ordre de la vie privée. J’en fus encore une fois bien embarrassée ! Y avait-il danger ? Mais dans la continuité de ce que j’évoquais en première partie, il me semble que John tentait de nouveau de me soustraire quelque chose pour me donner de lui en échange dans la continuité de la relation de confiance Me voilà au départ d’une réflexion entre la vie privée et la vie intime. Il n’était pas question ici d’un déballage mais de savoir ce que je pouvais lui répondre du privé dans une construction de soins. C’est à dire ce qui peut devenir publique et circuler sans me mettre en danger. Au niveau collectif je peux avancer sur le terrain de la négociation du cadre de soin pour continuer à détourner le duel. Pendant cette hospitalisation, il a aussi, avec ses parents, et en accord avec son médecin, cherché un logement pour apaiser les tensions familiales. Quelle ne fut pas ma surprise quand il jeta son dévolu sur ce F1 à 500m de la Clinique, assez loin du centre ville et du CATTP et à l’opposé du quartier de ses parents. La fin de cette deuxième manche est inattendue ! Ces nouveaux investissements psychiques lui permirent d’entamer le processus de reconstruction. John n’est pas rétabli mais la sortie est décidée avec un dispositif de suivi quotidien extra-hospitalier. A la fin du printemps, un an plus tard, ça me fait plaisir de le revoir. John semble serein quand il revient en visiteur dans le service. Je me souviens que le CLUB vient d’investir dans la table de ping-pong. Il souhaite soutenir des patients qu’il connaît et est content de nous montrer qu’il va mieux. Assez rapidement John me demande si on peut parler. Alors je profitais de ce bel été pour que les discussions se fassent au jardin. John commença à évoquer ce qu’il fait au centre de jour, les péripéties de son existence et notamment de la relation amoureuse que je lui connaissais et qui ne le comble plus. Il se pose la question de comment prendre de la distance alors que l’alternative est de vivre seul ! Pourquoi était-ce moi qu’il choisit pour adresser ses petites difficultés de la vie ? Bien souvent embarrassée par ses questions et ses attentes j’avais l’impression d’être en position de conseillère ce qui ne me satisfaisait pas : Comment était-ce thérapeutique ? A ce moment là, en plus d'en parler en réunion institutionnelle, je recommence mes discussions à son psychiatre qui est devenu le support de mes interrogations. Je le signifie à John, qui en est plutôt mécontent mais je voulais qu’il sache que je ne cloisonne pas sa parole livrée à la soignante. En effet, dans notre travail les multiples intervenants forment une constellation de soins. Dans la psychose le transfert est dissocié et il est important de se donner les moyens de réunir les différentes informations que dépose le patient comme des morceaux de lui aux divers interlocuteurs dans les différents pôles du service : entretiens médicaux, entretiens infirmiers, club thérapeutique, activités...Les bénéfices de ce rassemblement étant très constructif dans le soin. Pour en revenir à John, son médecin m’explique que cette position de « conseil » n’est pas dramatique et que je ne dois pas m’inquiéter car John ne fait toujours que ce qu’il estime être bien pour lui. Cette réponse fut, à l'époque, pas assez précise mais elle me laissa les champs de la pensée et du dire ouvert. Je n’eus pas le temps de réajuster ma position après cette mise au point, car enceinte, je dois arrêter de travailler plus tôt que prévu. Pas le temps non plus de prévenir John de mon absence soudaine. Finalement je suis 6 mois « hors service » et quand je reviens j’ai un peu de mal à me réadapter au travail. Alors quand John réapparaît 6 mois plus tard, à l’occasion d’une visite à un patient je ne m’y attendais plus ! Il est radieux. Il me demande des nouvelles de mon bébé et cherche même à grappiller quelques infos sur moi depuis qu’il ne m’a pas vu ! M’empressant de retourner la conversation, il m’annonce réjouit qu’il n’a quasiment plus de traitement et qu’il est en pourparler pour que le dernier rempart neuroleptique : l’injection retard s’arrête. La levée de tutelle est aussi en cours. John a organisé sa vie sociale. Après une formation de remise à niveau il a, par l’intermédiaire de sa mère, un emploi de magasinier à mi-temps. Il a repris les entraînements sportifs et bientôt la compétition . Il s’est aussi inscrit à un club de tarot près de chez lui. Malgré tout, ses passages à la clinique sont de plus en plus fréquents et sans qu’il le demande explicitement les entretiens au jardin reprennent ! Il me semble entendre qu’il s’inquiète. En effet, il se questionne sur l’après ? Va-t-il tenir ou va-t-il repartir à « zéro » comme il dit ? Une de ces dernières requêtes est : »est-ce que parfois nous pourrions aller à la cafétéria du CHU voisin pour les entretiens ? » Me voilà encore indécise ! Je diffère ma réponse en prétextant un accord médical et hiérarchique pour réfléchir à cette demande de déplacement de mon cadre de travail. Etais-je en mesure d'y construire un espace de rencontre thérapeutique. Maintenant, John s’amuse de mes transmissions à son psychiatre en me disant même qu’il y a des choses qu’il ne devrait pas me confier au cas où ça lui ferait du tort! Néanmoins, devant un café, il avait une révélation à me faire. Il y a quelques années, lors de son entrée dans son appartement suite à l’hospitalisation, il avait passé des nuits à être très angoissé alors il avait de nouveau crié mon prénom et avait halluciné mes paroles rassurantes. Ce n’est pas commun ! D’autant que quelques temps après il m’apprend assez réjouit que sa petite amie le questionne et est jalouse du temps qu’il passe à la Clinique pour voir sa référente. De plus, même sa famille le taquine quant il part plus tôt pour repasser me voir. Mais après l’avoir écouté au premier degré et m’être réfugiée derrière mes résistances j’ai pris du recul et me suis rendu compte que c’était sans doute plutôt pour lui une façon d’accepter le regard de l’autre sur son mode d’être. Aujourd’hui je ne me pose plus la question de suspendre cette prise en charge même si je continue parfois d’être embarrassée par la façon dont il s’adresse à moi comme à une thérapeute. Il m’a fallu tout ce temps et ce difficile exposé pour en arriver à entrevoir l’élément qui traverse la relation transférentielle ! Est-ce que le support de ces entretiens n’est pas tout simplement le fait que je sois une femme? A ce titre, je serais là pour lui permettre la traduction de ce qu’est une autre femme. Là où chaque nouvelle rencontre féminine amène répétitivement une décompensation. Je ne pensais pas, lorsque j’ai commencé à travailler, que je serais un jour en mesure de tenir une place apparemment si importante dans la vie d’un patient qui de surcroît n’est plus hospitalisé !! [……… ] Fort heureusement, je ne suis pas la seule à porter son histoire. Cette prise en charge, assez lourde, est soutenue au niveau du secteur tout entier. John a une grande confiance en son psychiatre qui tient la place centrale du soin et à qui la constellation soignante se réfère. Evidemment, entre ces hospitalisations qui durent parfois quelques mois, John circule sur le secteur. Au niveau du CATTP c’est suite à son premier passage dans l’unité qu’il va rencontrer ma collègue Barbara encore référente elle aussi aujourd’hui. Etonnamment nous nous servons l’une et l’autre du médecin pour faire le point de la prise en charge mais nous rencontrons peu pour des synthèses. Elle m’apprend que l’accroche aux soins s’est faite aussi sur un mode de séduction. Elle rencontre rarement John dans un bureau : lieu trop formel pour lui. Elle me dit aussi qu’elle le voit à la demande en fonction de son niveau de stabilisation et du soutien dont il a besoin. En effet, depuis le centre de jour, la prise en charge est lourde, surtout dans les suites d'hospitalisation car il est parfois impulsif et met en ébullition la salle d’accueil. D’ailleurs, dans ces moments là elle n’hésite pas à le raccompagner sur la clinique pour faire baisser la pression. Pour autant là-bas, il arrive à se canaliser dans les jeux de société dont son préféré est le scrabble. Petit à petit, il s’intègre à des activités tenues par sa référente et l’autre infirmière qu’il cible (Christine) : le cinéma, le café des cartes puis les séjours thérapeutiques…toujours ce qui est tourné vers l’extérieur et qu’il aimerait pouvoir faire seul une fois que la maladie sera moins envahissante. Plus tard, il co-animera même avec ses référentes une activité sportive dans un gymnase extérieur au centre. Pour lui ce fut une étape très importante de pouvoir partager un savoir avec les infirmières et d’apprendre des choses aux autres patients. Plus récemment, il a investi une activité randonnée. Quand il est totalement stabilisé, il met à profit les activités qui l’ont soutenu au centre pour se réorienter sur la vie culturelle de la cité. Par exemple, il retourne dans son club sportif et il s’inscrit au club de tarot de son quartier. Ses soins se sont toujours contractualisés au CATTP mais il a aussi franchi le pas de se déplacer au club thérapeutique de l’extra-hospitalier (le Grillon) alors qu’il a toujours tant de difficultés à accepter sa maladie. […] Par contre, à notre niveau nous avons bien essayé, lors de ses hospitalisations, de l’attirer aux activités thérapeutiques. Mais que ce soit le collage, l’art’gile (que je co-anime) ou même la gymnastique, ces activités dans des pièces fermées lui étaient insoutenables. Entre temps, le service d’admission a emménagé dans de nouveaux locaux neufs et confortables. Pendant les hospitalisations John investit le redémarrage du Club M.E.I.D de façon décisive pour s’en soutenir. D’une part, lors de ses hospitalisations avec ses deux autres référents. John participe volontiers à la vie de l’unité. Bien étonnant pour ce patient qui déteste tout ce que représente l’HP. Pourtant, il s’investit dans tout ce qui se programme sur l’extérieur, quand il en est capable physiquement : cinéma, rando… Mais aussi dans toutes les démarches pour améliorer le quotidien : l’achat du meuble et du four pour le groupe pâtisserie. Il se mêle aussi au groupe qui prospecte pour l’acquisition du premier meuble bar pour le kiosque (animation pivot de l’unité). Et de fait, John participe par ces biais à la construction et au renouveau de l’histoire du service. Il inscrit son passage et son investissement d’une façon concrète et durable. D’autre part il poursuivra la fréquentation du Club à l’occasion de nos entretiens. D’autant que nous venons de trouver à remplacer le baby-foot par une table de ping-pong. Grande nouveauté : « L’extériorité que John amène au club va venir greffer de l’ouvert » ( cf Gisella PANKOFF). En effet, John s’arrange souvent pour venir dans le service au moment où le kiosque ouvre. Dans la convivialité de la consommation de friandises et de boissons, les liens se font entre ce qui se passe ici et la vie à Artaud tant au niveau des activités que dans la transmission de nouvelles les uns des autres. Cela surprend et questionne positivement les patients hospitalisés qui ont du mal à se déplacer vers le centre d’accueil. Ils se demandent ce que John vient faire là ? Tantôt une partie de scrabble, tantôt jouer au ping-pong…et chose incroyable, rencontrer les soignants ! Du coup, sa présence dans les murs du service a créé un nouvel espace de circulation dont les patients et nous, nous saisissons au quotidien. POUR CONCLURE Depuis la relocalisation**, il y aura bientôt 6 ans nous avons constaté de réels bénéfices soignants pour nos patients psychotiques. Nous avons essayé de travailler tout ce que chacun d’entre eux nous a amené . Les institutions se décloisonnent un peu…La vie circule ! Quant à John, il continue son chemin parfois cahoteux. Il circule entre ses divers référents, tantôt présent, tantôt plus en retrait. Je continue de le recevoir très souvent. Depuis il a co-animé avec son psychiatre un temps MAH-JONG en salle d’accueil au centre de jour. Il y a quelques temps, il a organisé une rencontre très formelle à la clinique pour me présenter à sa mère qui n’hésite pas, maintenant, à me contacter dès qu’elle en éprouve le besoin. Cette façon de me faire entrer dans sa famille fut très étrange pour moi ! Une nouvelle dimension de la prise en charge s’est ouverte dans ce déplacement insolite. Aujourd'hui il est de nouveau stabilisé. John cherche une formation professionnelle en cuisine et attend la main levée de sa curatelle renforcée. Il reste dans la négociation constante du cadre de soins que nous lui proposons tant au niveau médical qu'infirmiers. Le tournoi continue !!!