principes, relevant de la philosophie politique fondamentale, non seulement
a traversé toute l’histoire de la discipline, mais, dans le cadre contemporain
de la réflexion, a été largement ouvert à nouveau depuis trente ans sous la
forme des innombrables discussions suscités par la reformulation et la
refondation rawlsiennes des principes du libéralisme politique : à partir des
principes rawlsiens de justice se sont en effet affrontées de multiples
positions, soit pour les contester, soit pour les récuser, soit pour les
compléter, à travers toute une série de débats sur la justice ( c’est-à-dire au
fond sur les principes d’une société et d’une politique justes ) opposant
tantôt libéralisme et communautarisme, tantôt libéralisme et néo-libéralisme,
tantôt libéralisme et républicanisme, sans oublier les dégradés de débats plus
anciens entre socialisme et libéralisme ou encore, ici aussi, entre les héritiers
de l’utilitarisme et ceux du kantisme, voire entre certains héritiers se
réclamant du même héritage. Ces débats sur les principes sont assurément
passionnants et sans doute ne sont-ils pas clos, mais nous voyons bien que
s’ils deviennent aujourd’hui des objets de recherche, c’est plutôt sous la
forme de leur transformation en objets de recherche quasiment historique ou
historienne – je veux dire qu’ils donnent lieu à des contributions savantes, de
plus en plus savantes même, sur la genèse des positions en présence, sur
l’argumentaire de chacune d’elles, sur les oppositions qu’elle a suscitées ou
peut susciter encore : bref, mon sentiment est qu’au plan de la philosophie
politique fondamentale nous sommes en train de vivre depuis quelques
années la fin d’une époque créatrice ( créatrice de positions prises sur les
questions de principe ) pour entrer dans une époque où les positions forgées
depuis une trentaine d’années commencent à se figer et à devenir objets
d’histoire de la philosophie politique – des objets d’histoire de la philosophie
politique contemporaine, certes, mais tout de même des objets d’histoire de
la philosophie. Le meilleur symptôme en est au demeurant que, même dans
l’Université française, qui reste dominée, pour des raisons multiples, par une
pulsion historienne forte, ces positions donnent lieu désormais à de
nombreux enseignements, ce qui n’était pas le cas quand j’ai moi-même, il y
a une dizaine d’années, commencé à en parler ici. Bref, dans l’état actuel des
choses, je crois de moins en moins que s’il peut et doit y avoir une activité
créatrice en philosophie politique dans les années qui viennent, ce puisse
encore être, au moins pour un temps, au niveau des questions de principe :
d’une part, ce niveau, qui est celui de la philosophie politique fondamentale,
est largement saturé par la production très intense et de grande qualité qui est
intervenue depuis trente ans ; d’autre part, il me semble de plus en plus que
sur le terrain des questions de principes, soit nous sommes de plus en plus
d’accord sur l’essentiel, soit, si nous sommes en désaccord, les désaccords
sont désormais bien balisés et renvoient à des choix de valeurs dont je ne
suis pas certain que nous puissions les uns ou les autres envisager, en tout
cas si nous en restons sur le terrain des principes, de les faire bouger (