Quant au rejet qu’anime un certain milieu juridique à l’égard de la philosophie du droit dans
le rôle présupposé d’une “Raison-Ordonnatrice” nuisible, il nous semble que personne
d’autre que le philosophe du droit Michel Villey n’a pu le croquer au vif. Comme il l’affirme
sur un ton de confidence, ou de confession :
“Je suis persuadé pour ma part qu’à nous, juristes, les philosophes modernes ont
fait beaucoup de mal. Je le dirai aussi bien de Hobbes, Locke, Hume, et même de
Leibniz, Kant, Fichte, Hegel et la quasi-totalité des philosophes du XIVème siècle et
XXème siècles. Quand il leur arrive de parler “droit”, c’est dans une totale ignorance
du métier spécifique du droit. Que savent-ils? Des mathématiques, une sociologie
plus ou moins marquée par l’évolutionnisme, de la logique, parfois de la morale.
Ainsi ont-ils transplanté dans notre discipline des systèmes scientifiques fondés
sur des expériences extrinsèques. Leur influence a perturbé notre propre
représentation du phénomène juridique, y injectant les positivismes légaliste ou
sociologique”
Certes, observons-nous que Villey se limite à vilipender la philosophie dite “moderne”, de
même qu’à élaborer une stratégie argumentative reliant la philosophie moderne du droit à
l’émergence “quasi-causale” du positivisme juridique, il n’empêche que l’accusation
d’ignorance contre lesdits philosophes va direct au but. Car si les philosophes modernes
du
droit étaient généralement bien renseignés sur les affaires publiques de leur temps, et le
“droit” qui s’y rapporte, et s’ils avaient lu les classiques du “droit naturel” rationaliste,
personne parmi eux avait effectivement une connaissance spécifique du métier du droit.
De là l’efficacité de la charge qui est ici dirigée contre eux. La conclusion qui s’impose est
qu’il ne vaut pas la peine d’étudier la philosophie du droit dite moderne. Personne ne peut
Michel Villey, “Préface”, à Chaim Perelman, Le raisonnable et le déraisonnable en
droit. Au-delà du positivisme juridique ”, Paris, L.G.D.J., coll. Bibliothèque de
philosophie du droit, vol. XXIX, 1984, p. 8. La même idée s’exprime dans, La formation
de la pensée juridique moderne, Paris, Monchrestien, 1968 (plusieurs fois réédité). Voir,
la contre critique “philosophique”, d’Alain Renaut et Lukas K. Sosoe, Philosophie du
droit, Paris, PUF, 1991.