accompagnés. C'est qu'il est difficile, quand on est si proche de la
finance, et qu'accessoirement on vit à son crochet, de crier «
casse-cou » quand tout le monde s'en met plein les poches...
Catastrophiquement procycliques là où elles devraient être
contraclyliques, les agences laissent faire à la hausse... et se
mettent, paniquées, à réviser dès que le retournement s'amorce,
contribuant ainsi à le changer en effondrement.
Et la crise n'en est probablement qu'à ses commencements.
C'est que les défaillances immobilières à venir des ménages
s'accumulent silencieusement dans l’antichambre des teasing
rates, ces taux d'appel très attrayants à l'aide desquels les
courtiers appâtent les chalands selon la règle dite des « 2 + 28 »
- les deux premières années au taux sympathique, les vingt-huit
suivantes au taux plein qui fait mal. On n'a donc pas encore vu
débouler la promotion 2006, et à peine celle de 2005, celles du
plus fort de la bulle immobilière, et qui vont sans doute faire des
étincelles. Tout comme les admirables fonds spéculatifs gavés de
leurs produits dérivés.
Et comme la mondialisation mondialise la finance, et avec elle la
bêtise financière, rien de tout cela ne se limite aux frontières
américaines. Certes, c'est bien là-bas que le marché
hypothécaire délire, mais la titrisation dérivée s'offre
magnifiquement à tous les fonds spéculatifs de la planète ! Les
Allemands, longtemps réputés ternes et ennuyeux, accrochés à
leurs banques de détail grisâtres, ont, au tournant du siècle,
décidé de devenir « modernes », et de s'orienter plus
franchement vers les activités de marché. Résultat des courses :
après le grand frisson de 1998 (risque russe), les raclées de
l'Internet (2001), voici qu'une banque, IKB, se trouve au bord de
la faillite pour cause de surexposition aux subprimes...
5. Contagion de la suspicion
Tout s'enchaîne maintenant d'un bout à l'autre du globe et des
marchés. Le fragile équilibre des produits dérivés résistait tant
que... personne ne le sollicitait, c'est-à-dire tant que tout le
monde feignait de croire liquide le marché où ils s'échangent.
Mais sitôt qu'un des acteurs souffre exagérément et commence à
vouloir se dégager en vendant ses CDO, la crainte latente se
cristallise et tous les acheteurs disparaissent. La liquidité
évaporée, les actifs, formellement négociables, cessent
pratiquement de l'être, et deviennent même inévaluables puisque
leurs prix peuvent virtuellement tomber à zéro.
Hilarant - avant qu'on en pleure -, le communiqué de BNP
Paribas qui, le 9 août, ferme trois de ses fonds -« dynamiques »
eux aussi : « La disparition sur certains segments du marché de
la titrisation aux Etats-Unis conduit à une absence de prix de
référence et à une illiquidité quasi totale des actifs [des fonds],
quelle que soit leur qualité ou leur rating (6). » Ce qui n'avait pas
empêché un instant M. Baudoin Prot, patron de la banque,
d'affirmer catégoriquement une semaine auparavant que la
liquidité des trois fonds était assurée. C'est dire surtout que
l'inquiétude dépasse largement le périmètre des produits les plus
risqués et contamine les tranches réputées les plus sûres.
Or la contagion ne va pas s'arrêter en si bon chemin. Non
seulement elle gagne toutes les classes de risque dans le
compartiment des RMBS et dérivés, mais elle s'étend à d'autres
compartiments de marché, qui n'ont rien à voir avec celui-là. Sauf
de s'être adonnés, eux aussi, à l'orgie de crédits indiscriminés.
C'est tout particulièrement le cas du secteur de la private equity,
ces fonds d'investissement, vedettes de la finance de ces
dernières années, qui rachètent intégralement des entreprises
jugées prometteuses, les font sortir de la Bourse, les
restructurent au knout pour les revendre deux à quatre années
plus tard avec force plus-values.
Or ces fonds n'engagent que très peu de leurs capitaux propres
et « carburent » massivement à la dette - dont ils font d'ailleurs
payer le service par l'entreprise rachetée ! Les bénéfices qui en
résultent sont tout simplement exceptionnels. Ceux-ci ont atteint
de tels niveaux que les banques se sont littéralement précipitées
pour financer ces opérations. Dans un état de quasi-mystification
et persuadées qu'à tous les coups on gagne, elles ont consenti à
ces fonds des conditions d'emprunt proprement ahurissantes.
Ainsi celles des prêts dits « covenant-lite », c'est-à-dire allégés
de toutes les clauses respectant les ratios financiers
élémentaires, auxquelles sont normalement soumis les
emprunteurs - « faites n'importe quoi, nous vous suivons ! »...
Mieux encore, les prêts dits «PIK» (payment in kind), ou encore «
IOY» (I owe you), dont les intérêts et le principal sont remboursés
non pas en cash, mais en supplément de dette ajouté à la dette
initiale ! Les encours de crédit dirigés vers les fonds de private
equity ont ainsi atteint des volumes faramineux. O^ les opérations
de ce type sont particulièrement vulnérables au moment de leur
« débouclage » puisqu'il s'agit de ; revendre des actifs
notoirement « illiquides » : non pas des blocs d'actions mais des
entreprises tout entières ! Que vienne le premier accident de
débouclage" - revente impossible, différée, ou avec moins-value -
et tout le secteur de la private equity connaîtra à son tour son
moment de stupéfaction.
Des opérations de levée de fonds récemment lancées s'achèvent
plutôt laborieusement, par rapport à l'aisance triomphante des
mois précédents. C'est que les banques, de complices laxistes^
deviennent soudainement réticentes. Car, par un effet
d'amalgame typique des crises financières, la soudaine révélation
des risques dans un secteur suscite des interrogations dans
d'autres où l'euphorie a, à peu près, autant dégénéré. De même
que les déboires du Mexique en 1994 avaient induit le doute sur
la Thaïlande -pourtant pas la porte à côté !- par pur effet
d'amalgame avec la catégorie « marchés émergents », de même
ici l'immobilier produit des effets sur la private equity, qui n'a rien
à voir avec lui... sinon qu'il s'y est commis des excès à peu près
aussi pendables.
6. Choc sur les banques
Si elles ont réussi dans l'ensemble à se défaire de leurs
portefeuilles de crédits immobiliers par le jeu de la titrisation, les
banques encaissent tout de même le retour de manivelle, et par
de multiples voies. D'abord, elles ont laissé leurs fonds de
gestion se charger des produits dérivés, et le risque
hypothécaire, chassé par la porte, est revenu par la fenêtre. Mais
c'est aussi la contagion latérale qui les menace, et notamment via
la private equity, où elles sont, là, directement exposées.
Or la régulation prudentielle du secteur bancaire ne plaisante pas
: les banques sont priées de maintenir soigneusement des ratios
dits « de solvabilité » entre leurs capitaux propres et leurs
engagements. Si des moins-values, même latentes, se
manifestent - et les voici qui s'annoncent d'autant plus fortes que
les agences de notation sont en train de se réveiller et de revoir
toutes les évaluations à la baisse -, les banques doivent passer
dans leurs comptes les provisions correspondantes, et, pour
maintenir leurs ratios, il leur faudra réduire le dénominateur (les
crédits accordés) en proportion de la contraction du numérateur
(les capitaux propres entamés par les provisions).
Au total, et comme toujours, ce sont les agents de l'économie
réelle, entreprises et salariés, éloignés de toutes les turpitudes de
la spéculation, qui se retrouveront face à des robinets à crédit
fermés sans même comprendre ce qu'ils ont pu faire pour mériter
ça. Car, pour restaurer les bilans des banques, la contraction du
crédit sera générale, tous emprunteurs confondus.
7. Les banques centrales sont appelées à la rescousse
Ils ont maintenant fière allure les héros de la finance. Modernes
et arrogants quand les marchés étaient haussiers, les voilà, tel le
juge de Brassens face au gorille, « criant maman, pleurant
beaucoup », et se jetant dans le giron de la « mamma étatique »
qu'ils vomissent quand la fortune leur fait lâcher toutes les
vannes de la régurgitation idéologique. Certes, la banque
centrale, priée de venir les tirer de la déconfiture en baissant ses
taux pour restaurer la liquidité générale, n'est pas l'Etat lui-même,
mais elle est le pôle public, le « hors-marché », abhorré quand
les profits coulent à flots, supplié quand il fait mauvais temps.
Jim Cramer, qui tient sur la chaîne boursière CNBC une émission
de conseil financier tout en hurlements et en chemisette à
manches courtes, sur fond de hard rock saturé, de buzzers et de
bulls (7) en surimpression, pique une crise de nerfs (8), vitupérant
M. Ben Bernanke, le président de la Réserve fédérale, aux cris
de « eut ! eut ! (9) ». Et comme M. Bernanke semble prendre son