rie : L’Eucharistie.
Conférence : 2 - «CECI EST MON CORPS»
La brièveté lapidaire de la fabuleuse formule : «Ceci est Mon Corps»,
ressemble à la splendeur d'un diamant jaillissant des ciselures d'une bague,
comme un fruit merveilleux, attendu et surprenant.
Beaucoup se sont pris à regretter que l'apôtre St Jean, tout brûlant du souvenir
du repas où il avait reposé sur la poitrine de Dieu, ne s'en soit pas souvenu, au
point d'avoir omis la citation inouïe : «Ceci est Mon Corps livré pour vous»,
«Ceci est Mon Sang, buvez-en tous». D'aucun y verront peut-être l'occasion
d'affirmer l'inexistence de cette phrase, d'autres la jugeront susceptible d'une
interprétation symbolique, puisque le témoin le plus témoin de la Cène passe
en somme sous silence le fait historique le plus extraordinaire de la vie du
Christ : l'institution de Sa Présence définitive dans l'hostie. Ils accordent aux
trois autres évangélistes le bénéfice d'un récit qui, omis par l'évangéliste le
plus indiqué pour le faire, donne le droit de l'infirmer quant à son sens absolu.
La réponse à faire est plus belle et plus solide que l'objection trop matérielle
des intelligences pointilleuses.
Bien avant la dernière Pâques, mais, retenez déjà le fait, aux environs d'une
Pâques, sans doute la troisième, Jean, en Galilée avec Jésus transcrit un
discours en soixante lignes, prononcé par le Maître face à une foule déjà
hargneuse et hostile. Le discours est à lui seul un long développement
anticipé de la phrase consécratoire. La théologie, la doctrine, le bon sens et la
tendresse annoncent la solennité du Jeudi-Saint sans le dire explicitement,
tout en le disant formellement. Et cueillir dans ce discours les rayons les plus
lumineux des affirmations de Jésus c'est avoir déjà en main un ostensoir d'or
n'attendant plus que l'hostie consacrée.
Voyez plutôt : Jésus reproche doucement à la foule de Le suivre uniquement
pour les miracles accomplis, et, en particulier pour celui de la multiplication
des pains dont ils se sont rassasiés. Pour ces hommes, c'est le miracle type, le
miracle inouï, et Jésus les prépare à comprendre que ce miracle n'est rien à
côté d'un autre miracle qui aura lieu et qui réclame la Foi en Lui et en Sa
Parole.
«Procurez-vous, leur dit-Il, non la nourriture périssable, mais la nourriture qui
demeure pour la vie éternelle, celle que le Fils de l'homme vous donne, car
c'est Lui que Dieu le Père a marqué de Son sceau».
Toute la scène du Jeudi-Saint, tout le «Ceci est mon corps», est dans cet
avertissement. Déjà le Christ précise qu'il y a deux espèces de nourriture, une
qui est périssable, la manne dont se sont nourris les Hébreux dans le désert et
qui n'a pu les empêcher de mourir, et une autre dont Il sera seul l'auteur. A la
cène, sur la table, il y aura la nourriture périssable dont il parle : le pain,
l'agneau pascal, les herbes amères, comme tous les autres hommes, Il ne lui
reconnaît aucune propriété transcendante. Puis, remarquez son geste, de cette
nourriture périssable, il va prélever une partie, il va la séparer de celle qui
reste périssable en l'isolant entre ses doigts divins, comme pour l'associer déjà
directement à son corps vainqueur de la mort, on dirait que, même
extérieurement, le pain destiné à devenir impérissable présence de son corps,
Il le veut déjà en contact physique avec Sa Toute-Puissance sur la mort. «Il
prit le pain», donc en le prenant, Il en fait déjà une propriété réservée à Dieu.
Ceci fait, «Il le bénit», Il y ajoute ainsi la capacité de fécondité vitale propre à
la bénédiction. Bénir, c'est procurer à quelqu'un de la part de Dieu des
chances de vie.
Avant même que la parole fabuleuse soit prononcée, Jésus isole le pain, il le
bénit, c'est-à-dire le place déjà dans des conditions de destinée supérieure à la
nourriture périssable, soulignant ainsi sa décision de le mettre définitivement
en état de remplir un rôle unique.
«Ceci» : il ne s'agit pas du pain qui traîne sur la nappe, ni du vin qui reste
dans les flacons, «ceci» désigne ce qu'il y a de plus près du Christ, le morceau
de pain séparé des autres morceaux de pain par le fait même qu'il est tenu par
sus.
«Ceci» désigne ce pain encore périssable dans sa substance, et néanmoins
déjà différent des autres pains que le Christ ne tient pas dans ses mains ... car
dès que Dieu tient quelqu'un ou quelque chose, ce quelqu'un et ce quelque
chose ne sont plus comme les autres ...
Restons-en là pour le moment, et reprenons St Jean, dans ce discours où Jésus
révèle l'impuissance radicale de la nourriture ordinaire à faire vivre; «Vos
pères sont morts» leur dit-Il, et cela malgré la manne. Si donc, en consacrant
le pain, Il savait que la consécration ne changeait absolument pas le caractère
périssable de la nature du pain, Jésus mentait à Lui-même et au monde entier,
puisqu'Il affirme devant tous les juifs que l'Eucharistie est le contraire de ce
qui périt et de ce qui fait périr et que douze fois, au cours de Son exposé
devant les juifs, Il associe le mot vie, ou résurrection, à l'annonce du pain
mystérieux, alors qu'Il vient d'avouer que le pain ordinaire n'empêche pas de
mourir.
Nous sommes là, au nom du bon sens, tenus de reconntre vraie l'affirmation
de Jésus : Il est en possession d'une science à Lui pour communiquer aux
autres la vie définitive au-delà de la mort corporelle. Cette science s'identifie
à Son Etre personnel; le toucher, pour la femme atteinte d'un flux de sang,
c'était récupérer la santé, que sera-ce de le recevoir intimement, d'être, à son
tour, «touché» par la vie éternelle charriée par les apparences du pain ?
La netteté des affirmations de Jésus dans ce discours de St Jean fusionne avec
la netteté de la parole consécratoire de la Cène. Il s'agit du même problème,
du même pain, du même mystère, et de la même certitude, et de la même
présence.
On est alors acculé à cette monstruosité :
1 Si la Présence Réelle dans l'hostie n'est pas possible, un an d'avance Jésus
en affirmait solennellement la possibilité en sachant que c'était impossible.
Autrement dit : Il faisait mentir les mots de la manière la plus odieuse car Il
utilisait douze fois le mot de vie et de résurrection pour annoncer seulement
un symbole incapable de faire vivre et de ressusciter, puisqu'en Lui-même le
symbole est une absence de la réalité absolue qu'il représente.
2 Cette supercherie détruit toute la raison d'être qu'Il donne à la dernière
Cène : annoncer Sa mort et l'effusion de Son Sang. On ne voit pas comment
un morceau de pain qui reste pain, peut établir une continuité de ressemblance
et d'identité entre le corps de Jésus «livré pour le salut du monde» et le pain
lui-même incapable d'opérer le salut, puisqu'il resterait une nourriture
périssable.
3 Jésus terminait sa vie de lumière, de puissance, de vérité, et d'intégrité sur
cette supercherie, la plus formidable qui soit.
C'est ce qu'il y a de terrible avec la précision de puissance et de pensée du
Christ : dès qu'on le nie, on tombe dans la catastrophe des absurdités
intellectuelles, des non-sens, des contradictions, des oppositions violentes
entre les mots et le sens des mots, catastrophes infiniment plus absurde pour
la raison que n'est étonnante et sensée l'adhésion intelligente à la parole du
Verbe. Dès qu'on prétend contrôler le Christ, on perd le contrôle de son
propre raisonnement, et beaucoup ont légitimé cette perte de contrôle par le
souci de conserver une grandeur rationnelle dont la stérilité révèle qu'elle est
fausse.
Ce n'est pas tout : l'identité des expressions employées par Jésus dans son
discours recueilli par St Jean, et dans la formule de la Consécration est telle
qu'on s'explique que St Jean n'ait pas songé à décrire la Cène qui, pour lui,
existait déjà psychologiquement parlant dans le discours du Seigneur.
«Je suis le pain de vie», dit Jésus à tous les juifs ... La phrase est si claire et si
choquante qu'un grand nombre le quitte ...
«Ceci est Mon Corps», dit-il à la Cène; la phrase est si claire que Judas sort
pour le trahir. Lui aussi comprend qu'Il n'a plus rien à attendre de Jésus
comme grandeur humaine devant cet anéantissement de l'hostie.
Cet éloignement des hommes révèle l'authenticité du sens formel des phrases
dans le discours : Jésus Lui-même est ce pain, et, à la Cène ce pain estsus
Lui-même, sans quoi on ne voit pas pourquoi ce départ scandalisé et ce départ
en trahison. Un symbole aurait soulevé l'admiration, une réalité aussi
insaisissable soulève l'indignation des logiciens et des ambitieux : "Comment
peut-Il prétendre nous donner sa chair à manger ?" disent-ils. Mettons-nous à
leur place : ils n'avaient pas tout-à-fait tort, car Jésus ne montrait pas encore
comment Il allait s'y prendre, mais Il se contente d'utiliser le même verbe qu'Il
utilisera à la Cène : Je suis, le verbe "être", celui qui épuise l'action, qui lui
donne la plénitude du sens qu'on exprime et qui ne laisse pas de place à la
discussion.
Lorsque vous dites : "Je crains d'avoir une maladie", il reste une place pour le
doute, pour le réconfort également, et pour l'espérance de la santé.
Si vous dites : "Je suis malade", vous chassez de votre être le mot "santé",
vous vous consacrez malade, vous le devenez même davantage en
abandonnant délibérément les éléments d'espoir qui vous restaient.
«Je suis le pain de Vie», pas n'importe quel pain, un pain très spécial aux
vitamines spirituelles qui apportent en nous les effluves neutralisant les
fièvres mortelles du péché.
«Ceci est Mon Corps», «EST» : le mot des hommes d'action et de pensée, le
mot qui DECIDE de ce qui suit et de ce qui l'on va faire. Dans le cas présent :
le mot qui chasse du pain sa "paneïté", qui lui enlève toute espérance de rester
pain, et qui le consacre Dieu, le mot après lequel il n'y a plus de place pour
aucune rectification.
"Je suis malade" interdit de rectifier : "Je pense être malade".
"Je suis pauvre" interdit de rectifier : "Je me figure être pauvre".
La phrase de Jésus est autoritaire, impérieuse, sans aucun adjectif ni
comparatif, ni superlatif; elle EST terriblement simple, et cette simplicité crie
une telle puissance que les juifs s'en vont et que Judas sort dans la nuit.
Soit dit en passant, cela démontre combien l'homme, qui est un affolé de
puissance, est le contraire même de la puissance, puisqu'il se sauve dès qu'elle
se manifeste sans falbalas et sans clairons, avec le seul verbe sans lequel elle
ne peut pas exister : le verbe ETRE, le verbe qui dispense d'avoir recours à
tout le reste, puisqu'il contient tout le reste, lorsque SOI-MEME, comme
Jésus, on le contient absolument : «Je SUIS le pain de Vie», «Ceci est Mon
Corps».
Ce calme irrésistible de l'ETRE vivant qu'est Jésus passant dans ce calme
adorable de l'hostie, ce passage tranquille d'une personne qui EST
suffisamment, pour pouvoir se déplacer d'elle-même dans une autre substance
au point de la faire devenir Sa substance personnelle, cette autorité émouvante
de l'être absolu sur l'être des choses, cette poésie métaphysique de la réali
d'un peu de pain chantant sa bienheureuse défaite devant la réalité irrésistible
de l'Etre de Dieu, tout cela représente une conclusion logique et lumineuse,
une apothéose nécessaire à tous les miracles antérieurs de Jésus. Ils
annonçaient de plus en plus l'autorité de Jésus sur l'être des choses : depuis le
jeune miracle de Cana où la substance de l'eau cède la place à la substance du
vin, en attendant qu'à la Cène, ce repas des noces sanglantes, la substance du
vin cède la place à la substance du sang, jusqu'au miracle ultime de la
résurrection de Lazare où la décomposition d'un cadavre est d'autorité,
substantiellement recomposée par le même Esprit, la même voix, les mêmes
paroles, et les mêmes lèvres qui composeront substantiellement, peu de jours
après, la Présence réelle dans l'hostie, tout cela crie une telle unité, une telle
logique et une telle splendeur, qu'une émotion irrésistible jaillit de la réflexion
comme la flamme jaillit du bois, pour traduire cette idée : la Présence réelle se
présente si absolument comme la logique du coeur, la logique de la puissance
et la logique de la délicate fidélité de Jésus que, S'il n'avait pas été jusque là,
Il aurait menti à Sa naissance, à Ses affirmations d'amour, à Ses souffrances,
en un mot à Sa raison d'être, puisque, pour Lui, ETRE c'est rester parmi les
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