que sa question directrice est celle de “l’advenir de la raison dans le temps”. Et on se demandera
alors si, après un siècle de multiples développements, la phénoménologie a vraiment répondu à
la vocation que lui assignait Husserl.
Toute phénoménologie est sans doute un essai de refondation de la
phénoménologie. Non seulement la phénoménologie assume en notre siècle, comme l’assure
J.-L. Marion, “le rôle de la philosophie”
, en tant qu’elle en entreprend un nouveau
commencement, mais l’histoire même de la phénoménologie se présente comme une répétition,
de son commencement. La phénoménologie n’est ni une école ni une doctrine philosophique
mais une nouvelle méthode pour philosopher, riche de multiples possibilités originales.
L’histoire de la phénoménologie contient aussi bien les voies empruntées et délaissées par
Husserl lui-même que les “hérésies issues de Husserl”
. Parmi ces “hérésies”, J. Greish parcourt
quatre figures, dominantes dans l’université française, et qui sont autant de refondations de la
phénoménologie : la greffe herméneutique de P. Ricœur, la phénoménologie matérielle de M.
Henry, la phénoménologie génétique de M. Richir, et enfin la phénoménologie de la donation
de J.-L. Marion.
La philosophie d’E. Lévinas est-elle à mettre au compte de ces refondations
? Il se
pourrait que l’expérience du regard d’autrui engage une redéfinition radicale de l’intentionalité,
un affranchissement par rapport au paradigme de l’intentionalité objectivante et du “ voir
phénoménologique ” ? L’article de F. Guibal se demande quel peut être le statut de la
subjectivité dans cette esquisse d’une phénoménologie de l’archi-éthique telle que la
philosophie de Lévinas, à la jointure “ de l’élection et la loi, du singulier et de l’universel ”,
entre Kant et Kierkegaard.
Si la phénoménologie n’a d’autre exigence que son effacement devant le
phénomène dont elle est le logos, on peut se demander ce qui est pour elle proprement
phénomène, phénomène “ en un sens insigne ”. Commentant le Séminaire de Zähringen de
Heidegger, en chemin vers l’ “ extrême phénoménologie ”, la “ phénoménologie de
l’inapparent ”, G. Guest affronte cette question : la possibilité de la phénoménologie se porte à
son extrême, parvient au comble du voir phénoménologique, au moment où elle cherche à
penser ce qui, demeurant en retrait, requiert, en tant qu’inapparent, la phénoménologie
.
Quel sens et quel rôle doit-on attribuer à la subjectivité dans l’apparaître des
phénomènes ? R. Barbaras présente la phénoménologie “ asubjective ” de Patocka en montrant
que dans une phénoménologie du mouvement, la subjectivité inhérente à la structure de
l’apparaître doit être comprise comme une subjectivité finie, non constituante mais
co-déterminante de la phénoménalité, incarnée, immanente au monde. Dans le mouvement
vivant, l’être et l’apparaître coïncident absolument : si l’apparaître est l’apparaître d’un monde,
le sujet auquel le monde apparaît est action et non pensée. Le moi est l’être-auprès-de-soi du
mouvement.
La phénoménologie, en quête d’une pensée du sujet, d’une figure de l’ego en-deçà
du sujet connaissant qui domine la tradition métaphysique, est ainsi conduite à approfondir le
sens de l’action : si la réduction phénoménologique a su affirmer l’irréductibilité de l’être de
l’ego à l’objectivité, l’exploration de sa vie transcendantale doit renoncer à la problématique de
l’intentionalité. A l’instar de Patocka, M. Henry recherche dans la “ théorie ontologique de
l’action ” de Maine de Biran, la voie d’une pensée originaire de l’ipséité, c’est-à-dire
Réduction et donation, PUF, 1989, p. 7.
P. Ricœur, A l’école de la phénoménologie, éd. Vrin, 1987, p. 8.
Voir à ce sujet l’article de S. Strasser, “Antiphénoménologie et phénoménologie dans la philosophie de
Emmanuel Lévinas”, Revue philosophique de Louvain 75, 1977, p. 101-125 ; et Etudes sur Lévinas et la
phénoménologie, éd. PUF, 2000.
Voir le § 44 d’Etre et temps.