Théâtre :
changer nos représentations !
Coincé entre d’une part l’apprentissage par cœur et la mise en
scène de dialogues d’auteurs adultes et d’autre part l’image du
« théâtre scolaire » que nous caricaturent à l’excès certains films
américains : du grand spectacle haut en couleur et en musique
les pauvres bambins maquillés et déguisés font figures de pots de
fleurs à photographier… le théâtre serait-il le parent pauvre des
techniques d’expression dans l’école d’aujourd’hui ?
S’interroger sur la place du théâtre dans l’école nous amène à questionner nos propres représentations du
théâtre ainsi que la dimension éducative qu’il peut apporter dans une dynamique de classe basée sur
l’expression libre, la communication et la coopération.
« On n’a pas tiré du théâtre des enfants le centième de ce qu’il peut donner socialement et pédagogiquement [...] Il faut faire
une plus grande confiance à la jeunesse, lui donner des exemples, certes, l’aider techniquement, mais la laisser libre en fin
de compte de porter sur la scène ses pensées, ses croyances, ses conceptions et de les exprimer sous la forme qui lui est
familière.
Exactement comme pour nos journaux scolaires et nos textes libres.
On arrive ainsi à des réalisations tout simplement étonnantes et qui sont d’un intérêt majeur pour tous les élèves [...]. »
C. Freinet. Brochure d’Education Nouvelle Populaire. N° 19. Janvier 1946.
Dans ce dossier, nous avons réuni des pratiques qui présentent l’éventail des problématiques liées au théâtre à l’école :
- son rôle et sa place dans l’expression ;
- la question du rôle du public : de la fonction structurante du groupe-classe vers les garde-fous quant aux représentations face aux
parents ;
- la place et le rôle des intervenants extérieurs ; du lien possible et souhaitable entre expression théâtrale et les apprentissages.
Théâtre ? Théâtre !
Vous avez dit « Théâtre »…
Quelle définition peut-on donner du théâtre, et quels apports l’expression théâtrale peut-elle offrir à la classe ?
Ce n’est pas par hasard si, lorsque Élise et Célestin Freinet conçurent leur école de Vence, ils créèrent en tout premier
lieu un théâtre de plein air : un espace spécifique dévolu à l’expression enfantine par le théâtre, le mime, la danse.
Aussi la pédagogie Freinet a-t-elle toujours favorisé ce mode d’expression global : le théâtre comme expression des
sentiments, des émotions, d’une réalité intérieure et d’une culture en voie de construction ; expression tâtonnée de soi,
du monde qui nous entoure, de nos rapports familiaux et sociaux.
Un état des lieux
Le plus souvent, le théâtre rentre dans l’école par la petite porte :
- c’est la pièce de théâtre à monter pour la fête de fin d’année. Certes, le projet est motivant, il va mobiliser l’intérêt des
enfants, il met à contribution les parents (les décors, les costumes…) mais bien souvent l’objectif de « rentabilité »
(réussir une « belle représentation ») ou l’affligeante influence du théâtre de boulevard font tomber le tout dans les plus
désolants travers d’une pratique élitiste : à l’enfant bien parlant, beau diseur, le plaisir et la gloire, quant aux autres, au
mieux leurs mimiques feront rire tout le monde, au pire, ils resteront cachés derrière le groupe… ;
- autre pratique, peut-être moins stéréotypée mais tout aussi sclérosante : l’enseignant va chercher à multiplier les
situations de découverte plus originales les unes que les autres et ceci soutenu par moulte objectifs pédagogiques ;
- enfin le dernier cas de figure, peut-être le plus alarmant, est celui où, à grands renforts de moyens financiers,
l’enseignant délègue le travail au « spécialiste », intervenant théâtre.
Un minimum de moyens,
de grands bénéfices pour la classe et pour l’enfant
Certaines formes d’expression (écrites, orales, picturales,…) relayées par des supports techniques pointus (son,
internet, vidéo,…) nécessitent bien souvent des savoir-faire longs et difficiles; à contrario, le théâtre, l’expression par
le geste et la parole ont avant tout besoin d’une mise en situation de communication pour aboutir à une production
valorisante.
Les puristes nous diront qu’il faut d’abord travailler la gestuelle, la diction,… or, notre souci éducatif n’est pas de
transformer nos élèves en petits acteurs prodiges, mais bien de forger des caractères uniques, entiers, sachant vivre,
coopérer et travailler dans un groupe. Le théâtre à l’école est avant tout un outil au service d’un développement social
et relationnel de la personne.
Le rôle primordial du groupe-classe
Une telle ambition éducative et formatrice de la personne ne pourrait avoir lieu d’être sans compter sur le groupe
classe. S’exprimer, oui, mais dans un milieu protégé la communauté porte un regard positif et constructeur sur la
représentation.
En fait, même si l’imitation ou la métamorphose sont le propre du théâtre, la confrontation au public est toujours
confrontation au regard de l’autre. L’estime de soi est évidemment un des objectifs premiers du théâtre à l’école. Dans
son rôle d’équilibration psychique de la personne, la confiance en soi et dans le groupe vont faciliter l’accès aux
savoirs, à tous les savoirs. Le soin que l’éducateur a à apporter à la qualité de l’écoute dans le groupe, au respect de
l’autre, au dialogue est d’autant plus important.
La compétence du maître ?
Rien ne sert d’être un spécialiste pour dire combien on a apprécié une gestuelle, une mimique, une présence, une
parole. La confiance en soi naît du retour positif du groupe et la valorisation répétée incite l’enfant à améliorer sa
technique.
Comment plus loin ?
- Donner du temps et un espace à l’expression théâtrale
- enrichir le milieu en introduisant du matériel (malle à costume, accessoires...) et en proposant de nouvelles
techniques à explorer (mime, marionnettes...)
- découvrir des spectacles et se confronter aux différents modes d’expression théâtrale à travers l’espace et le temps
(enrichissement culturel).
Le théâtre :
l’équilibration du groupe
Le groupe-classe, à l’exemple de tout groupe social, a besoin de temps de respiration : moment de désacralisation de
(ou des) autorité(s), moment de rire… on préférera ce temps placé sous le signe de la re-construction symbolique plutôt
qu’à celui du carnaval-fouloir ou encore de l’Halloween commercial. Lorsqu’on introduit un moment théâtre dans la
classe, passé les premiers instants de l’incompréhension, les enfants ont vite fait de s’accaparer cet espace
d’expression. Dossier coordonné par Patrick Pierron
avec la participation de Martine Boncourt, Jean-Marie Boutinot, Marisa Celestino, François Le Menahèze, Catherine Ouvrard,
Monique Ribis, Marie Van Der Linden.
Le théâtre est le propre de l’homme
A travers le temps et l’espace, les traces du simulacre dramatique sont présentes dans toutes les civilisations humaines.
Du jeu symbolique, représentation ritualisée des relations humaines ou de l’expression du lien au sacré, l’homme, à
travers l’élaboration d’un univers scénique, ne copie pas la réalité mais en donne un équivalent plus puissant, porteur
de son expression et de ses représentation les plus intimes.
Le théâtre est l’affirmation de l’humanité, par opposition au rituel religieux ou magique.
Comment, l’éducateur peut-il prendre en compte cette dimension dans le cadre scolaire ?
Le théâtre, des formes multiples liées aux Cultures humaines :
Chanson de geste
Théâtre Nô
L’Epopée
Le spectacle Kathàkali
Théâtre de Java
Théâtre d’ombre
Le théâtre de marionnettes
Le clown
Le Kabuki
Le mime
La tragédie
La comédie
La satire
Le théâtre invisible
L’agit-prop
Le théâtre de rue
Commedia dell’arte
Les mystères
La farce
Les happenings
Les tropes
L’opéra
L’opérette
à explorer et à faire découvrir aux enfants...
Nos textes libres, nous les mettons en scène
Quel théâtre à l’école ? Pour Patrick Pierron*, il s’agit d’abord d’épurer
l’expression d’un maximum de contraintes afin d’aller à l’essentiel :
l’expression de soi, par le corps, la voix, le chant, confortée, valorisée par le
regard d’un groupe-classe accueillant.
Patrick Pierron est membre de l’Icem 62, La pratique de classe présentée s’est déroulée dans une classe de Mat-Grand - CP - CE1 à
l’école publique de Dohem (Pas-de-Calais).
Sous dictée à l’adulte, puis seuls, les enfants de la classe ont pris l’habitude d’écrire des textes personnels. Ces écrits,
illustrés et recopiés avec application dans le cahier de textes personnels, sont le plus souvent destinés aux
correspondants, au journal de la classe ou à l’album de vie de la classe. Chaque semaine les enfants les présentent à la
classe.
Je ne peux plus dire précisément comment cette nouvelle habitude s’est mise en place dans la classe : ai-je lancé
l’idée ?... Un enfant a-t-il lu son texte avec une gestuelle particulière ? Toujours est-il que, dès le début d’année, les
enfants se sont mis à rejouer, à « théâtraliser » leurs textes pendant la récréation. A la fin de la journée, durant le temps
de présentation des travaux personnels, ils peuvent « représenter » leur texte à la classe.
Voici quelques exemples qui ont marqué la vie de la classe :
J’aime bien aller
avec maman
en voiture
chez pépé et même.
Hier, j’y suis allée.
Mélanie (5ans)
Le texte lu à haute voix par son auteur, c’est ensuite le moment de mise en scène : On se rejoue et on se réinvente
l’histoire. Le jeu scénique nous révèle tout ce que le texte ne nous a pas confié...La ceinture à accrocher,... le bruit du
moteur,... surveiller la route,... passer ses vitesses, le tressautement de la route, les virages trop serrés... se blottir dans
les bras de mémé...
Dans ce moment de plaisir, Frédéric et Annabelle sont devenus nos spécialistes du rire. Christophe, notre doux rêveur,
est toujours aussi silencieux face au groupe, mais quelle présence sur scène !
C’est notre « petit théâtre à nous », un théâtre sans représentation avec un grand « R ».
Puis le théâtre s’est plus institutionnali: avec mon aide, les enfants se sont organisés avec plus d’efficacité, en
prévoyant leur matériel, etc. Le moment s’est ritualisé. C’est à cette époque qu’Arnaud s’est mis à explorer le mode
d’écriture dialoguée : il est devenu notre scénariste de référence !
Je vends des jouets.
Mon père est marchand, je l’aide.
Je crie :
- Venez acheter mes jouets !
Venez acheter mes jouets !
Venez acheter mes jouets !
Les enfants disent :
- Papa ! je veux une voiture !
- Papa ! Tu peux m’acheter une poupée ?
Arnaud (7 ans)
Ce texte de Cindy a lancé la classe vers de nouvelles découvertes :
J’aimerais bien aller
à la piscine.
J’aime bien l’eau
et aussi nager.
J’aime sauter et nager
avec des bouchons.
Cindy (6 ans
)
Pour cette occasion, c’est la classe entière qui s’est mise à mimer : la nage, le plongeon, le « sous l’eau », le corps qui
flotte... La musique du « grand bleu » nous a bien aidés à mieux nous imprégner des sensations de légèreté, mieux
ralentir et poser nos gestes.
Le texte libre peut être mis en scène, en chant, en musique. Dans cette démarche, c’est toute l’expression de l’enfant
qui s’en trouve transcendée. L’écrit prend vie. Assurément, l’expression écrite s’enrichit de cette mise en mouvement.
Patrick Pierron
Théâtre, gerbe de pratiques
Vous allez faire un arbre !
J'avais quatorze ans. Le professeur nous dit un jour :
« Vous allez faire un arbre. »
J'en avais très envie ; je me sentais toute petite, une petite graine, je me concentrais pour faire vraiment naître les branches, les yeux
fermés... quand tout d'un coup cette bonne femme vient derrière moi, me touche brusquement et dit :
« Ce n'est pas comme ça un arbre ! Il faut que tu ouvres plus les doigts et que tu tournes ton corps vers la droite... »
Ah !... je ne voulais plus jamais entendre parler de théâtre ! Heureusement, j'ai eu par la suite un autre professeur qui me disait :
« C'est celui-là ton arbre, il n'est pareil à aucun autre, il est très joli parce que c'est le tien et chaque arbre est très joli parce qu'il est
réellement l'arbre de quelqu'un, et c'est ça le théâtre. On va faire une forêt qui sera très jolie à voir parce que chacun de nous va
montrer son propre arbre. »
Et je pense que c'est cela, le groupe et l'individu : chacun est, chacun a quelque chose à exprimer, chacun a sa place et tout ça dans un
groupe va faire une image très belle. [...] Marisa Celestino. Extrait de la revue « Création », Avril 1994.
Stop aux grandes messes théâtrales solennelles !
Lors de la kermesse d’école, Marcelle Fontaine et ses élèves de CM1* invitent les parents à découvrir la pièce de
théâtre qu’ils ont inventée, dans la petite salle de classe aménagée pour l’occasion qui n’accueille pas plus de 25
spectateurs, et ceci à raison de 3 séances de 20 mn durant l’après-midi.
Cette technique a l’avantage de faire plus jouer ses élèves, mais aussi cela confère un caractère beaucoup plus intime à
la communication. Autres avantages : moins de trac, pas de problème de voix, bref, des enfants plus disponibles et
détendus dans leur représentation, et un public plus attentif ! P. P.
École P. Brossolette de Esquerdes (62)
Du texte au jeu.
Du jeu au texte
La guerre de cent ans sans Shakespeare.
Au cours d'un stage des instits tirèrent comme sujet de création une phrase extraite d’une BT: "En Auvergne, les paysans excédés
tendent des embuscades aux Anglais." Il sembla d'abord impossible de tenir 10 minutes avec un sujet aussi mince. Puis sur décision
syndicale sans doute, on représenta :
- des paysans et des paysannes ; ces dernières jouèrent le ras le bol de la soldatesque anglaise - et de leurs hommes s’entraînant à
taper..., le carton. Passa le seigneur, beau parleur (on eut dit le conseiller général).
- des anglais ; dont la maigre troupe fut comiquement rossée avec prime de horions pour l'adjudant ; passèrent des images de rugby.
Dans l'enthousiasme deux paysans se prirent à parler patois (applaudissements).
Le re-travail permit de forcer les caractères (râleur, timorés,...) les aspects physiques, le bègue, la pin-up... de préciser le scénario et
de resserrer les dialogues.
On convint que l'imagination historique se nourrit du vécu : modèles physiques et moraux, tours de langue. Jean-Marie Boutinot
Des pistes... des idées en vrac...
- la malle à déguisement (habits et accessoires) ;
- un espace scénique délimité, éclairé (projo sur pied), décoré (grand fil tendu pour accrochage, papier blanc, gros pinceaux) ;
- rejouer un événement raconté à l’entretien ;
- rejouer une situation vécue (à l’école, à l’extérieur,...) ;
- mettre en scène des phrases poétiques ou un écrit marquant (événement historique ou d’actualité ;
- se mettre à la place de... (animal, objet,...)
- lire un poème, un texte, en se roulant par terre, par deux, en mimant une action ;
- un outil : de grands tissus... pour se rouler, l’envelopper, bouger dessous,...
- le défilé de mode : avec des tissus et en musique ;
- des masques... ça aide à mieux s’exprimer par le corps ;
- des marionnettes... à doigt ou géantes ;
Marcelle Fontaine
Improviser, cheminer vers une expression personnelle :
le rôle du groupe.
La plupart du temps, les premiers essais d’improvisation sont un peu décevants. On se trouve en présence de situations
très stéréotypées. Les enfants reproduisent les scènes de la vie de tous les jours ou s’inspirent de ce qu’ils voient à la
télévision. Ils livrent des sentiments assez superficiels. Ils doivent sentir qu’il est risq de révéler leur monde
intérieur. Le stéréotype les protège.
Toutefois, il s’agit d’un passage obligé qu’il serait dommage de court-circuiter.
Ce n’est que dans un milieu sécurisant, l’on ne juge pas, l’on ne critique que pour construire, que les enfants
tentent de dire ce qu’ils ressentent profondément. Ensuite c’est au groupe à soutenir cette expression, à l’aider, à lui
apporter les moyens d’être la plus fidèle possible, en posant des questions, en montrant des exemples, en échangent
avec celui qui parle pour l’amener à expliciter ses dires.
A l’écrit, on appelle cela le maillage du texte que l’on tend à rendre, ensemble, dense, serré comme la texture d’un
tissu. A l’oral le travail est semblable.
C’est à ces seules conditions que l’expression prend de la valeur, ne reste pas en surface, s’étoffe et, ce faisant, libère
l’enfant. Monique Ribis Extrait de la revue « Création », Avril 1994.
Légende photo : c’est au groupe à soutenir cette expression, à l’aider, en échangeant avec celui qui parle pour l’amener à expliciter ses dires. M.R.
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