Joachim Bischoff (Hamburg)
Elmar Altvater:
La fin du capitalisme tel que nous le connaissons.
2005
En considérant les mouvements anticapitalistes divers et multiples du monde entier,
ALTVATER soulève la question de la fin du capitalisme. « Car le capitalisme n’est-il
pas un phénomène historique ? Par conséquent n’a-t-il pas non seulement un
commencement, mais aussi une fin, et ne devons-nous pas intégrer cela dans nos
réflexions théoriques et politiques ? » (10). Cette tentative d’une radicalisation de la
critique du capitalisme doit trouver sa place dans un ensemble de contradictions à
l’œuvre dans l’évolution des sociétés. D’une part, on y trouve l’échec du socialisme
réel au 20ème siècle. D’autre part, les défis écologiques et, enfin, les nombreuses
approches critiques des pratiques politiques, ainsi que les projets d’une économie
solidaire. Partout apparaissent les limites du capitalisme. ALTVATER, en se
rattachant à une argumentation de BRAUDEL, soutient la thèse suivante : il n’y aura
pas d’effondrement. « Il faudra donc nous mettre à chercher sur le plan intellectuel,
et en même temps tout à fait pratique, des bouleversements extérieurs, un choc
venant du dehors, et des alternatives convaincantes qui peu à peu mûrissent à
l’intérieur de la société et coopérer nous-mêmes à les faire générer, c’est la raison
d’être de la « recherche collective » qui circonscrit un cycle permanent
d’expériences pratiques et de réflexions théoriques (13).
Le défi que représente une radicalisation de la critique du capitalisme est complexe,
le point de référence ne peut pas se limiter aux métropoles capitalistes hautement
développées, mais, si l’on veut ancrer la critique du capitalisme sur une théorie
politique et donc offrir une perspective, il est nécessaire que la périphérie du système
mondial y soit incluse. Or, cela étant établi, même les questions fondamentales ne
font pas l’objet d’un large consensus. « Quelles sont les propriétés qui caractérisent
le capitalisme ? Pour répondre à cette question on n’a pas besoin de présenter une
analyse détaillée du capitalisme. Ni même de s’engager dans les nombreuses
bifurcations empruntées par les débats sur la mondialisation ou sur un nouvel
impérialisme. Il s’agit de l’essentiel, des formes de l’appropriation et de
l’expropriation, au sens économique aussi bien que social, culturel et écologique »
(19).
ALTVATER résume son interprétation du capitalisme : « Le mode de production
capitaliste est un système très flexible, dynamique, mais instable dès son origine, qui
présente des conjonctures de la même manière qu’il provoque continuellement des
crises économiques et politiques » (23). Fondamentalement, l’auteur considère qu’il
existe quatre attitudes possibles dans le processus de la recherche collective sur
cette forme de société :
Étudier les cycles économiques et conjoncturels
Faire ressortir la création contradictoire de proportions économiques dans le
processus d’accumulation et de reproduction appliqué à l’ensemble de la
société
Considérer le développement du mode de production capitaliste comme un
processus transformationnel, en y incluant des « révolutions passives »
survenant lors de l’adaptation à des changements structurels
Se représenter le capitalisme comme étant le sommet et le point final de
l’évolution sociale.
ALTVATER ne souhaite pas se laisser enfermer dans une discussion plus
approfondie de cette manière de voir et de ces attitudes. Pour lui c’est la mystification
spécifique des rapports sociaux (le caractère fétiche) qui est responsable de ce que
le capitalisme apparaît comme étant une forme illimitée dans le temps et dans
l’espace. Mais il existe des alternatives sociales. « L’histoire est ouverte à des modes
de production, des conditions de vie, des rapports à la nature au-delà du
capitalisme » (27). Derrière son plaidoyer pour l’ouverture de l’histoire, on trouve
aussi son scepticisme à l’égard d’analyses unilatérales. «Nous sommes à un
carrefour historique : la destruction écologique, les conflits pour les ressources,
d’âpres luttes de répartition, des crises sociales et financières désastreuses sont nos
compagnons sur ce chemin qui, il est vrai, pourra toujours prendre le tournant vers
une alternative sociale ».
L’examen global des formes et dimensions prises par le développement du
capitalisme aux 19ème et 20ème siècles montre un cheminement plutôt ininterrompu.
L’aiguillage décisif a eu lieu lors de l’association entre accumulation et supports
d’énergie fossiles. Le développement de cette association a eu pour résultat le
capitalisme d’actionnaires avec ses crises financières et écologiques. « Dans la
longue histoire du système capitaliste mondial, il n’y a pas eu de phase aussi
dynamique que celle qui s’étend de la fin de la deuxième guerre mondiale jusqu’au
milieu des années 1970 environ. Toutefois, cet « âge d’or » a pris fin brutalement
avec la crise pétrolière, le chômage de masse et la création d’un secteur informel,
avec des discours sur « l’ingouvernabilité » et la « crise de la démocratie » et
surtout avec l’effondrement du système monétaire mondial de Bretton Woods »(109).
En conséquence de cette estimation, l’auteur examine plus en détail les rapports
réciproques entre ces deux phénomènes : capitalisme d’actionnaires et fin de l’âge
d’or.
L’impérialisme pétrolier est responsable d’une nouvelle qualité des luttes de
répartition. La thèse d’ALTVATER est la suivante : « Dans la mesure le pétrole
devient une denrée rare et où, en même temps, tout le monde y a de plus en plus
recours et donc aussi de manière toujours plus avide, parce les alternatives de
l’approvisionnement énergétique ont été trop peu développées, les conflits pour la
répartition de cette denrée rare deviennent plus aigus. On constate en outre que la
combustion de pétrole n’a pas seulement des conséquences négatives pour
l’environnement, mais constitue un danger pour la cohabitation pacifique des
peuples ». (163).
Dans la même mesure, l’augmentation des conflits de répartition et de la fracture
sociale est directement liée au capitalisme de marché financier. « La base légitimant
le capitalisme d’actionnaires asocial est réduite et en cours de disparition. Dans
l’économie de marché, chez beaucoup de familles, les incertitudes ‘normales’ de la
vie sont devenues des peurs. Ces peurs sont très dangereuses, parce que des
propositions de solutions autoritaires et de nature ‘populiste’ peuvent devenir
attractives » (17). Le processus de genèse du capitalisme d’actionnaires en relation
avec la dérégulation, la privatisation et la libéralisation est mis en lumière de manière
plus précise, parce que ce sont ces phénomènes qui marquent de leur empreinte les
aspects actuels du capitalisme.
Ces scénarios de crise sont de notoriété publique. Néanmoins selon ALTVATER
« Une société ne peut dépasser les formes qui caractérisent le capitalisme qu’au
cours d’un processus révolutionnaire. » (177). La relation entre des attaques
extérieures et des alternatives convaincantes est esquissée comme suit par
ALTVATER : « L’une de ces attaques extérieures est l’existence de limites aux
ressources d’énergie fossiles, limites qui préparent la fin de la congruence entre
capitalisme, ressources fossiles et rationalisme. Toutefois, les attaques venues de
l’extérieur ne sont pas les seules auxquelles on peut penser, car il peut y en avoir
aussi d’autres générées par le processus de marché agissant à l’intérieur et par les
contradictions devenues plus aiguës. Les effets désastreux des crises financières
…… Les alternatives politiques ne sont pas inventées dans les cercles académiques
ou politiques. Elles naissent dans, et à partir de, la pratique politique, sociale,
économique des hommes, dans les mouvements sociaux. » (178)
ALTVATER englobe dans ce qu’il appelle « fixation d’un objectif global de solidarité
et de durabilité» ses considérations sur les formes multiples de la résistance et de la
‘protestation’ contre la restructuration néo-libérale de la société. « L’économie
‘éthique’ est un moyen pratique pour tenter d’empêcher que le marché vienne à être
expulsé de la société, donc de défense contre les contraintes économiques
matériellement inévitables …..Ces conflits ont toujours une dimension politique. »
(187) Les objectifs fixés, à contenu programmatique, sont la durabilité (surtout le
remplacement du régime énergétique actuel) et la genèse d’une nouvelle forme de
sécurité socio-économique. Cette dernière n’a pas pour seul objectif la revalorisation
du travail salarié, mais une sécurité de vie minimale pour tous les membres de la
société. Cela se réfère à des interventions dans les rapports de distribution des
richesses et dans la réintroduction de biens dans le domaine public. « La sécurité
humaine est un élément de l’économie solidaire et équitable et, inversement,
pratiquer l’économie solidaire est une condition pour l’amélioration de la sécuri
socio-économique et humaine… Pour établir la sécurité, il faut que des biens publics
soient mis à disposition par le biais d’institutions locales, nationales ou encore
politiques agissant au niveau mondial. Cela ne peut se produire que si des
mouvements sociaux exercent une pression dans ce sens et militent activement pour
des alternatives d’une économie solidaire et durable (197).
En considérant les acteurs des mouvements sociaux ; ALTVATER résume, avec
raison, les défis : « La mondialisation et les tendances aux crises du capitalisme tel
que nous le connaissons représentent des défis nouveaux, que les ‘mouvements
sociaux du passé’ ne connaissaient pas… Il en résulte que les acteurs sont différents
et n’ont pas la même base de classe que le mouvement ouvrier traditionnel… En
outre, les confrontations ont également lieu de plus en plus en dehors des rapports
de classe « formels », dans la sphère de « l’informel » qui continue de s’étendre. Car
de plus en plus d’êtres humains se trouvent exclus des systèmes formels de la
production et de la distribution. » (200).
ALTVATER plaide non seulement pour la réalisation d’une alliance sociale large
contre le néo-libéralisme, il se fait aussi l’ardent défenseur d’un processus politique
transparent. « La forme appropriée aujourd’hui du fi à affronter est
l’entrelacement multiforme de groupes, d’initiatives, d’organisations, qui se
rencontrent régulièrement pour se conseiller ou tenir des forums à des niveaux divers
local, national, mondial -, qui échangent des expériences, suscitent des réflexions
théoriques ou décident d’actions et de campagnes communes. Il s’agit d’un
processus politique transparent, au cours duquel il est possible de renoncer à un
programme impératif. » (200). ALTVATER a insisté à juste titre sur la transparence et
la pluralité. Néanmoins, les acteurs en réseau et unis devront aussi réfléchir -
dans une alliance sociale sur la manière d’allier les projets qu’ils proposent et
leurs alternatives. Les changements doivent passer de la société civile dans les
arènes politiques et le défi des prochaines années consiste à combiner le
processus politique ouvert avec l’alliance politique des énergies dans le but de
changer la société.
Texte traduit de l’allemand par Nora Pettex
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