1.6 CROISADES D'HIER, DJIHAD D'AUJOURD'HUI INTRODUCTION _ 17
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chacune. On ne vit pas de la même manière dans les pays chauds d'Afrique et les régions
froides de l'Alaska. Les règles de la pudeur par exemple seront forcément différentes.
Il existe encore peu de gens qui soient véritablement capables de cette distanciation par
rapport à leurs propres valeurs,! parce que l'éducation traditionnelle n'habitue jamais à ce
décentrage indispensable. Pourtant, dans un monde qui développe les moyens de
communication, qui facilite les rencontrés des hommes de toutes les langues et de toutes les
cultures, c'est par là qu'il faut commencer si l'on veut que les hommes se comprennent
pàr-delà leurs différences. Il en existe même beaucoup qui ne soupçonnent pas que cette
distanciation soit possible voire bénéfique, et donc qu'elle puisse être souhaitable. Ceux qui
pensent ainsi n'ont pas encore pris conscience que le monde à la fin de ce xxe siècle a
formidablement évolué et que ce que connaîtront nos enfants sera très différent de ce qu'ônt
vu nos pères.
Plus que jamais le monde occidental et le monde ârabonusulman, spécialement celui du
Moyen-Orient, connaissent une )hase de tension politique qui sous-tend en réalité le problème
nfiniment plus grave de l'incompréhension quasi séculaire qui fivise l'Orient et l'Occident.
S'agit-il d'un état de fait onjoncturel, donc de détail, ou bien est-il question dei deux ilions du
monde ? Dans ce cas, l'Orient et l'Occident icarneraient-ils deux manières de voir, deux
sensibilités, deux taons de penser et d'appréhender le réel? A quoi est alois due 'tte différence?
Souvent, l'incompréhension résulte du fait que l'on parld deux .zigues différentes. Or,
précisément, les langues de l'Occident et :l'Orient n'appartiennent pas au même groupe
linguistique et ne )ssèdent donc pas forcément la même logique interne. A-t-on iffisamment
exploité lés différences des langues sémitiques et do-européennes dans le- sens où, bâties sur
des structures fférentes, elles véhiculent par conséquent une vision du monde Cférente ? 1
En effet, les grammaires sémitiques et indo-européennes nous prennent, par exemple, que les
structures de ces deux langues
se recoupent pas exactement. Pour ne donner qu'un exemple
rapide, on fera remarquer que la langue arabe n'aborde pas la notion de temps de la même
manière que le latin ou le grec d'où dérivent toutes les langues dites romanes. L'arabe oppose
une action achevée (le passé, al-mâdi) à une action non encore achevée (al-mudâri°). Ce
second aspect du temps, l'inaccompli", recouvre le présent comme le futur des langues
occidentales. Celles-ci affirment nettement des temps verbaux : le présent, le futur et le passé,
alors que l'arabe met en évidence l'aspect verbal, la qualité de l'action exprimée par le verbe.
Cette différence ne peut pas ne pas avoir une influence sur la manière de penser et donc de se
situer vis-à-vis du temps, tant il est vrai que la structure d'une langue organise la pensée et que
celle-ci modèle une manière d'agir. Un autre exemple est suggestif. La phrase arabe dite
verbale commence par un verbe et place le sujet en seconde position. Ainsi est valorisée en
premier lieu l'action, alors que les langues occidentales, valorisent le sujet. C'est dans cette
logique grammaticale que se comprend aussi l'existence d'un complément d'agent attesté dans
les langues latines alors que ce complément est absent en arabe. Sachant cela, oin s'étonnera
moins que l'Occidental se pose sans cesse comme un démiurge, Prométhée avide d'actions,
tandis que l'Oriental structuré par les grammaires sémitiques s'efface derrière l'action dont
l'auteur principal demeure d'abord Dieu.
Dans les pages qui vont suivre, nous n'allons pas directement expliciter ces différences du
point de vue grammâtical. Mais nous essayerons de comprendre deux institutions majeures de
ces deux cultures, les croisades et le djihâd, qui illustrent suffisamment bien la tension