Intervention de Michel Tozzi à la journée d’échanges sur la discussion
philosophique pour enfants et adolescents (Programme Daphne)
Samedi 1er décembre 2001
Présentation de la séance par Sylvie Brel :
Quelques rappels : séance coordonnée par le BICE et financé par la Commission européenne, en partenariat
avec la Faculté d’éducation, le collège coopératif, et avec le soutien du Conseil National de l’innovation pour
la Réussite Scolaire du Ministère de l’Education Nationale.
Un programme d’initiation et d’échanges de pratiques autour de la discussion philosophique avec des enfants
et des adolescents, a déjà commencé : 5 séances depuis Avril 2001.
Pour la présente année scolaire, il s’agit d’une première rencontre.
Michel Tozzi, professeur des Université à Montpellier3, est le référent aujourd’hui de la discussion p
philosophique pour enfants , en France…
Introduction par Michel Tozzi : la problématique de la discussion
philosophique en général et en France
( Retranscription In Extenso )
M. Tozzi rappelle que de nombreuse personnes sont également impliquées dans la pratique, la formation
et la recherche sur cette question.
Si quelques-uns ont déjà commencé la discussion philosophique pour enfants, beaucoup d’entre vous
voudraient commencer mais se demandent s’ils en sont capables…
Ce problème m’intéresse à un double titre : j’ai été professeur de philo pendant 26 ans, dans une cité
technique, avant d’être nommé à l’université . A un moment où il y a eu la généralisation de la philo aux classes
de terminales des séries technologiques, 101ième proposition de François Miterrand à l’époque, j’ai subi de plein
fouet l’arrivée, dans les séries technologiques, de ceux que Dubet appelle les « nouveaux lycéens ». Cela veut
dire que je ne pouvais plus enseigner de la même façon : ou bien à ce moment-là je disais « je pratique les
techniques de survie jusqu’à la fin de l’heure, du week-end, jusqu’aux petites vacances, jusqu’aux grandes
vacances, jusqu’à la retraite, ou bien j’essaye de réfléchir pour essayer d’enseigner différemment la philo… »
De là est venue toute ma recherche depuis 1988.
L’autre élément, c’est que je suis militant aux Cahiers Pédagogiques depuis 30 ans, revue du CRAP (Cercle de
Recherche et d’Action Pédagogiques). A ce propos, le dernier numéro : Changer l’école primaire, peut
intéresser un certain nombre d’entre vous…
Etre professeur d’une discipline qui travaille essentiellement sur la spécificité d’un type de démarche et de
recherche qu’est la philosophie, et avoir acquis depuis 30 ans au sein d’un mouvement une culture générale
pédagogique, se sont croisés à un moment donné pour essayer d’enseigner la philosophie autrement. Très
rapidement, ce qui m’a intéressé, comme dit Diderot, c’est : « de rendre la philosophie populaire », prendre au
mot cette phrase de la philosophie des Lumières pour faire en sorte que le « peuple » s’approprie une capacité de
réflexion. Ce qui est une révolution, puisque jusqu’à maintenant on pensait que la philo était une rupture avec
l’opinion, le préjugé, donc avec la foule des préjugés et les préjugés de la foule . Et c’est d'’autant plus
révolutionnaire d'y réfléchir avec les enfants, puisque pendant très longtemps, l'’enfant a été déconsidéré : Platon
en effet voulait commencer la philosophie à 40 ans , et quand on connaît la moyenne d’âge de vie de l’époque,
ne pouvaient s’autoriser à philosopher que les « vieillards » à barbe blanche. Descartes disait de son côté: « nous
avons été enfants avant que d’être hommes », et philosopher, c’est sortir de l’enfance.
Donc revendiquer de faire de la philosophie avec des enfants, c’est quelque chose de révolutionnaire dans
l’histoire de la philosophie, mais aussi dans l’histoire de son enseignement. En particulier en France, puisque des
propositions ont été faites plusieurs fois pour commencer plus tôt qu’en terminale la philosophie, en 1ère
notamment… Derrida l’avait proposé dans un rapport pour Jospin en 1989, mais l’Association des professeurs
dephilosophie de l’enseignement public et l’Inspection Générale de philosophie ont refusé cette introduction, au
double motif que : il y avait un manque de maturité à cet âge là (donc qu’il y a un âge pour philosopher, voilà la
thèse), et que la philo devait être le couronnement du savoir à l’issue des études secondaires. Curieusement, au
Moyen Age, celle-ci est toujours représentée dans les allégories par une femme au sommet, et au-dessous
seulement, il y a les différentes Sciences, les Arts… Il y a donc une position de surplomb de la philosophie dans
l’iconographie. Il faudrait donc avoir acquis du savoir pour pouvoir réfléchir sur ce savoir.
Ces deux arguments ont un certain poids, et on ne peut les repousser sans examen.
Donc, refus de la philo en 1ère, et nous allons parler de philo dès la Maternelle !
Donc quelque chose bouge dans les représentations. Je suis en débat permanent avec mes collègues
philosophes sur la question : ceux-ci trouvent que c’est très intéressant de faire réfléchir les enfants mais à
condition de ne surtout pas appeler cela « philosophie ». Alors appelons-le « ateliers de pratique réflexive »…
Certains professeurs de philosophie d’IUFM, une dizaine en France, font maintenant de la formation initiale
et continue sur de telles pratiques : il y a donc une certaine prise en compte dans et par l’institution.
J’insiste sur ce caractère d’innovation, de rupture dans la tradition de l’enseignement de la philosophie que cela
représente en France.
Je dis en France, car aux USA s’est tenu en 1999 un Congrès intitulé : « Trente ans de pratiques et de
recherches sur la philo pour enfants », où de nombreux pays étaient représentés, dont la France d’ailleurs !
M. Lipman en effet est un philosophe américain qui a mis au point depuis les années 70 une méthode de
philosophie pour enfants, en écrivant 7 romans qui vont du début du cycle II jusqu’à la Terminale, chacun
représentanrt un âge (il s’est appuyé sur les stades de développement de PIAGET), et où des enfants discutent,
évidemment avec les mots de leur âge, sur des questions très fortes au niveau anthropologique, des questions
existentielles. Méthode mise au point, avec des livres de propositions pour les maîtres, précisément pour
philosopher avec des enfants.
Cette idée, curieusement, avait été lancée en France dans les années 90, notamment avec l’aide des
Québécois, qui pratiquent cette méthode depuis 1982. Mais c’était retombé comme un soufflet, cela n’avait pas
pris. Or, cela prend dans les années 97/2000. Pourquoi donc à ce moment?
A l’heure actuelle, le groupe de J.LEVINE, qui est un psychanalyste de l’éducation, a mis en place à la
maternelle des « Ateliers philo », sur Lyon et Paris notamment, qui représentent plus de 200 enseignants sur le
terrain. Des pratiques se développent un peu partout, et vous en êtes ici le témoignage.
On peut se demander pourquoi des professeurs débutants se lancent dans ces expériences alors qu’ils sont
dans des écoles où personne ne peut les conseiller. Pourquoi tous ces enseignants se lancent là-dedans, pourquoi
ça prend, pourquoi aussi une large partie de l’Institution commence à s’y intéresser ?
D’habitude les innovations, au sens logique de rupture comme FREINET, se font contre le système. Celui-ci
a dû à un moment donné sortir du système et créer sa propre école, ce qu’il proposait dérangeait tellement …
Soit elles se font dans le cadre de ce qu’on appelle les innovations du système scolaire : le système éducatif
ayant lui-même mis en place un système de détection et de valorisation des innovations. Ce qui pose problème :
est ce que le système lui-même peut créer des innovations ou pas ?
Ce que je constate sur le terrain, c’est que des gens commencent, des instituteurs, professeurs d’école, ont des
pratiques de type philosophique avec des enfants, sans demander l’autorisation à personne, d’une part, et d’autre
part, il y a des inspecteurs qui sont en train d’encourager cela. L’innovation qui a l’adhésion en même temps de
praticiens qui s’autorisent à… et de représentants de la hiérarchie qui les autorisent à…, c’est intéressant, car il y
a là une conjonction qui est extrêmement particulière.
Un ouvrage que j’ai coordonné va paraître dans quelques jours. C’est le premier ouvrage en France qui essaye
de faire la synthèse sur la question : L’éveil de la pensée réflexive chez l’enfant Discuter philosophiquement à
l’école primaire, co-publié par le CRDP Languedoc-Roussillon et Hachette.
Deuxième ouvrage, en février, au CRDP Languedoc-Roussillon , Discuter philosophiquement à l’école
primaire Pratiques, formations, recherches .
Cet ouvrage s’intéresse sur la façon dont on peut accompagner cette innovation par de la formation qui
concerne les IUFM, les inspections de circonscriptions, et de la recherche.
Je développe à l’université Montpellier 3 tout un secteur de recherche sur la question, avec trois thèses en
cours :
1) Y.Pilon va essayer de réfléchir sur la façon dont ces pratiques à l’école peuvent contribuer à une
éducation interculturelle, en développant le souci de la différence, l’écoute et le respect.
2) G.Auguet, à l’IUFM de Bordeaux, développe une thèse sur la didactisation de l’apprentissage du
philosopher à l’école primaire comme nouveau genre scolaire. Il analyse comment un genre scolaire
nouveau est en train de se chercher à l’heure actuelle à travers tous les tâtonnements des innovateurs.
3) Troisième thèse, dont le DEA vient d’être soutenu par un Instituteur de La Paillade (quartier sensible de
Montpellier), Sylvain Connac, intitulée : « La discussion philosophique comme nouvelle institution dans
les pédagogies coopératives ». Elle montre les différences que font les enfants entre le « Conseil », lieu
où l’on règle des conflits ou vote des projets, et la discussion philosophique ; entre ces moments qui se
ressemblent au niveau démocratique, mais qui n’ont pas les mêmes fonctions, ni les mêmes types de
fonctionnement.
Il y a par aileurs beaucoup de mémoires professionnels sur la question . Je m’occupe par emple de 7 étudiants
au CFP de Montpellier, qui ont des approches différentes sur le sujet :
- Maîtrise orale de la langue, genre débat
- Education à la citoyenneté
- Articulation oral-écrit
- Statut et rôle du maître dans la discussion philosophique
- Façon dont on peut mettre en scène théâtralement des idées à partir de la discussion philosophique, à
partir d’analyses de vidéos.
Dans le 1er ouvrage qui va paraître, j’ai identifié quatre courants :
1) Premier courant, que je nomme psychanalytique
Protocole où pendant 10 mn, les enfants parlent entre eux d’un sujet existentiel, le maître n’intervenant
absolument pas.La discussion entre enfants est enregistrée sans intervention du maître. Celui-ci repasse
ensuite la vidéo aux enfants et à ce moment là conduit une discussion où on réfléchit, on réagit …
Il me semble que J.Lévine travaille sur l’amont, les conditions de possibilité d’une discussion philosophique ;
il cherche que l’enfant fasse l’expérience existentielle d’une pensée., qu’il s’autorise à parler à haute voix
dans un groupe de pairs, donc une parole publique, qui se vit comme pensée. Ce fait, de faire l’expérience de
l’être qui parle et pense serait selon l’idée de J.Lévine, fondamental pour la construction , l’élaboration de
l’identité . J’ai beaucoup discuté des fondements théoriques de cette méthode. J. Lévine dit : « l’enfant fait là
l’expérience du cogito » , c’est-dire du « je pense » : je pense, donc je suis un homme, un être humain. A.
Pautard est représentative de ce courant.
2) Deuxième courant
Ensuite, vous avez un deuxième courant, qui est plutôt de type maîtrise orale de la langue. Comme on
considère maintenant l’oral comme l’une des priorités dans l’enseignement primaire, comme mission
fondamentale, beaucoup de gens pratiquent maintenant celui-ci, et commencent à le pratiquer dans son genre
« débat ». Il y a donc toute une démarche, qu’on appelle l’oral réflexif, c’est-à-dire, pas un oral où l’on parle
seulement pour parler. C’est certes intéressant de s’exprimer, par exemple en pédagogie Freinet (le quoi de
neuf ?), d’avoir un petit moment, le matin, pour parler, où l’enfant raconte et « se raconte ». On va un petit
peu plus loin dans l’oral réflexif : on ne parle pas pour parler, bien que ce soit très intéressant de parler pour
mettre en avant le vécu, et que ce vécu soit écouté par d’autres . On ne peut nier les vertus structurantes,
pédagogiques de l’oral au niveau du contenu de l’apprentissage langagier, mais on peut aller plus loin, non
pas simplement parler pour parler et être écouté, mais parler pour penser, donc avoir une posture par rapport
au langage, qui n’est pas seulement un moyen de communication, donc utilitaire, pour entrer en contact, se
faire comprendre, produire des effets sur autrui, mais pour penser, se penser, penser son rapport à soi, son
rapport à autrui, son rapport au monde. Il y a tout un travail fait par certains instituteurs sur la façon dont on
peut, en travaillant ainsi le langage, travailler la pensée, et articuler aussi l’oral et l’écrit .
Il y a par exemple une institutrice qui enseigne depuis 26 ans, qui vient de faire avec moi un mémoire en
Sciences de l’éducation, en CE1, à partir du protocole suivant : elle demande à partir d’un sujet choisi par les
enfants d’écrire ce qu’ils pensent par rapport à cette question, et ensuite vient la discussion . Elle demande
ensuite aux enfants d’écrire 3 ou 4 phrases pour savoir où ils en sont . On analyse ensuite la différence qu’il y
a entre le premier écrit et le deuxième, on repère dans la discussion, dont on a fait le script, les idées émises
par d’autres enfants, qui n’étaient pas dans le premier écrit, et qui sont dans le second écrit . En terme un peu
pompeux, j’appelle cela un « indicateur d’intégration de l’altérité » . C’est très intéressant car on se donne là
les moyens de voir comment une pensée d’enfant a été altérée, au sens de modifiée, au sens où on a intégré
«l’ alter », l’autre . Aprés 26 ans d’enseignement, l’institutrice a dit : « mon regard sur les enfants vient de
changer ! ». E. Auriac-Peyronnet travaille en ce sens à l’Iufm de Clermont-Ferrand.
3)Troisième courant, que je dirais démocratique : l’entrée étant ici la question de la citoyenneté .L’éducation
à la citoyenneté étant une seconde mission de l’école primaire avec l’enseignement de l’oral, beaucoup de
professeurs d’école se sentent très concernés par cette éducation ; civilité et citoyenneté sont tout un travail
nécessaire à l’école sur le lien social et le lien politique. Certains n’ont pas attendu que l’institution dise qu’il
faille éduquer à la citoyenneté ! Je pense précisément à tous ceux qui travaillent avec la pédagogie
institutionnelle, au niveau des méthodes actives de l’école nouvelle, à ce qu’ont apporté tous les grands
pédagogues de la fin du XIXème siècle et du XXème siècle,et qui ont mis en place des structures
démocratiques dans leurs classes , essayant d’introduire la démocratie au coeur même de l’acte d’apprendre.
Dans ces classes, on a une structure démocratique, que les enfants ont acquise par tout le travail qui est fait :
président de séance, secrétaire, tours de prise de parole, ordre du jour, déroulement suivant des procédures…
On a acquis des « habitus » démocratiques, comme dirait Bourdieu . On a une stucture démocratique qui est
déjà là, et ce qui est intéressant, c’est de mettre à l’intérieur de cette structure des sujets existentiels pour
qu’on débatte démocratiquement de sujets qui sont essentiels pour l’homme. Le problème à ce niveau là,
c’est d’introduire dans cette structure démocratique, des exigences intellectuelles (de problèmatisation, de
conceptualisation, d’argumentation). Ce courant est incarné par des instituteurs comme Alain Delsol ou
Sylvain Connac.
4)Quatrième courant, qui est proprement philosophique, porté d’ailleurs soit par des philosophes, c’est le cas
de M.Lipman, soit par des professeurs d’école, qui ont eux-mêmes fait des études de philosophie, et pour
lesquels c’est un moyen de renouer avec leur formation.
Ce qui est intéressant dans ce cas est qu’il y a deux façons , deux sous-ensembles de ce courant :
- il y a le courant de Lipman à proprement parler, où l’on part d’un support, où on lit un roman, un chapitre,
où on demande aux enfants quelles sont les questions qu’ils se posent par rapport à ce chapitre, où l’on retient
les questions à dimension philosophique. On vote ensuite pour choisir la question à retenir, et puis on
instaure la classe en communauté de recherche : les enfants vont réfléchir ensemble sur cette question.
Une deuxième forme, incarnée par Anne Lalanne, qui est à Montpellier et travaille depuis 5 ans la-
dessus. On va avoir cette année toute une cohorte d’enfants qui aura eu pendant toute sa scolarité , du CP au
CM2, un atelier de philo par semaine. Possédant l’ensemble des enregistrements, elle va écrire un ouvrage
qui sera très intéressant.
Dans ce que j’appelle « le modèle Lalanne », il ne s’agit pas comme dans la communauté de recherche
d’une discussion philosophique, mais d’un entretien philosophique de groupe où c’est l’enseignante qui en
même temps donne la parole, reformule, synthétise, questionne, avec un guidage très fort sur le déroulement.
La différence est grande entre le modèle Lévine par exemple, où l’enseigant n’intervient absolument pas dans
la première phase, et le modèle Lalanne, à l’opposé au niveau du guidage du maître, qui n’intervient jamais
sur le fond, dans le sens où elle ne donne jamais son point de vue sur la question, (point commun à tous les
courants), mais où elle intervient très fort sur la visée conceptualisante . J’ai une vidéo par exemple sur
« qu’est-ce que penser ? », au CP, très significative à cet égard.
Avec ces quatre courants, une forme se cherche, un genre scolaire, porté actuellement par des
innovateurs, par des pratiques extrèmement diversifiées. Celles-ci instituent une pratique non normée par
l’institution, parce que la philosophie n'est pas une discipline de l’école primaire , et qu’il n’y a aucune
obligation de l'enseigner, donc de l'évaluer et de mettre des notes, ce qui change énormément de choses dans
le système scolaire.
Qu’est-ce que ça change ?
C’est le remplacement d’une culture de la réponse par une culture de la question. Et cela est une
révolution ! Le fonctionnement ordinaire dans une classe, c’est l’enseignant qui pose aux élèves des
questions dont il sait la réponse pour vérifier s’ils savent. Dans la démarche philosophique, ce sont les
enfants qui se posent d’abord les questions et qui les posent au groupe, dont le maître. Des questions dont le
maître n’a peut-être pas la réponse ou sait que la réponse qu’il a n’est peut-être pas partagée par d’autres et
qu’elle pourra toujours être approfondie. On voit donc ici quelque chose de très significatif, qui renverse
complètement le fonctionnement classique.
Cette pratique rencontre énormément d’objections , beaucoup de réticences, extrêmement de curiosité, et
beaucoup d’enthousiasme. Il est intéressant de voir que, comme toute innovation, il y a nombre de
questions…
On postule l’éducabilité philosophique de l’enfant , c’est-dire non quelque chose que l’on constate, mais
quelque chose qui est postulé . Ce postulat devient une idée régulatrice pour l’action . Des choses émergent ,
et ce qui sidère les instituteurs, c’est que les enfants les étonnent . Ils ne croyaient pas que les enfants étaient
capables de… Mais ce n’est pas parce que l’on ne croyait pas qu’ils n’étaient pas capables de…qu’ils
n’étaient pas capables ! On teste donc à travers ce postulat d’éducabilité philosophique, ce que Vygotski
appelle la zone proximale de développement : on ne peut pas savoir ce qui est possible pour un enfant tant
qu’on ne lui a pas donné la possibilité que des choses se produisent . Et puis on est aussi sur des schémas,
comme les stades de développement de Piaget : phase logico-formelle seulement à la fin du cycle III, CM2 et
début de la sixième, pour maîtriser le développement du raisonnement hypothético-déductif. Dès le CP,
certains enfants sont capables de faire une hypothèse et de développer à partir d’elle un raisonnement. C’est
une mini expertise locale, qui fonctionne dans un contexte de discussion, et qui n’est pas encore stabilisée,
pas encore transférable. Elle est là, présente, en acte, elle n’a même pas conscience qu’elle existe, mais elle
fonctionne dans les pratiques. C’est quelque chose d’étonnant !
J’ai géré cette présentation en fonction du temps dont je dispose et non en fonction de ce que j’ai à dire, Ce
qui compte c’est : qu’est-ce qu’entendre et qu’est-ce qu’écouter une question existentielle d’enfant ? Tout est
là. Est-ce que les enfants valent la peine qu’on écoute leurs questions existentielles ? (ils sont petits, on verra
plus tard, ils auront assez de temps pour réfléchir…à la mort…, pensons plutôt à la vie !).
Quand on entend une question existentielle d’enfant : ( Ex : maîtresse, ou maman, pourquoi tu as des
cheveux blancs ? Est-ce que tu vas mourir ?) on entend l’affect, l’enfant en train de me parler de ma propre
mort, qui me fait peur, et la réaction spontanée de l’adulte est la sécurisation : j’ai une réaction affective,
comme si j’ n’avais pas entendu la question . Je l’ai entendu « psychologiquement » dans le sens d’une
écoute au niveau affectif, de l’enfant en tant que personne qui exprime une souffrance .
Sur les questions « Pourquoi je suis mortel ? qu’est-ce que l’humanité ? A quoi ça sert de naître si on doit
mourir ? Quel sens donner à la vie ? », les réponses données essayent d’être le bouche-trou à une question
d’ordre existentiel. Aucune réponse ne peut éteindre la portée existentielle des questions de ce genre là .
Pourquoi ? Parce que c’est à l’enfant de cheminer par lui-même , de penser par lui-me, et d’y réfléchir
toute sa vie puisqu’il portera cette énigme jusqu’à la fin. Le problème devient : comment accompagner ?
Quelle réaction avoir ?
J’ai fait une typologie, après une enquête auprès de parents et d’ enseignants pour savoir quelles étaient leurs
réactions à ce type de question . Dans un premier temps, je leur ai demandé quelles étaient les questions
existentielles posées, soit dans le cadre du cours, soit dans un cadre informel.
J’ai actuellement quelques types de réactions sur la question de la mort :
1) Non, moi je ne mourrai pas !
2) La pirouette : oui, je mourrai comme tout le monde, mais le plus tard possible !
3) C’est une question intéressante, mais tu demanderas à ta maman, à ton curé…(dévolution de la question à
une tierce personne).
4) C’est une question très importante, je vais y réfléchir et on en reparlera…
5) Cest une question personnelle, tout à l’heure, à la fin du cours, on en reparlera ensemble !
6) Vous avez entendu la question de Valérie, qui a demandé si j’allais mourir un jour ? Et vous qu’est-ce que
vous en pensez ? (dévolution d’une question d’un élève à la classe entière).
7) Ah, tu me demandes si je vais mourir un jour ? …(reformulation puis silence).
8) Autre type de réaction : et toi si on te pose cette question ? (dévolution de la question à l’enfant par
retournement de la question).
J’abrège …mais nous avons tous comme ça des réactions spontanées, que nous soyons parents ou
enseignants. Il est intéressant de prendre conscience du type de réaction à ces questions existentielles
d’enfant pour savoir comment on va les traiter pédagogiquement en tant qu’éducateur . Cela nous amène à
réfléchir : quelle différence y a-t-il à écouter psychologiquement un enfant, et l’écouter scientifiquement ?
Sur l’ exemple : « Maîtresse, comment on fait les bébés ? » Facile ! les chromosomes, les gènes, la petite
graine …On sait répondre scientifiquement, on sait comment clôturer la question, on a la réponse dans l’état
actuel des sciences. Mais il en est autrement si on essaye d’entendre philosophiquement la question : elle
reste alors ouverte ! Donc la question est : qu’est-ce qu’écouter une question existentielle d’enfant
philosophiquement ? Comment réagir par rapport à cette question ? Problème pédagogique, didactique. Et
comment accompagner tout au long de la scolarité ? Quelle différence entre une question d’enfant et une
question d’adolescent ?
Il y a peut-être tout un curriculum à penser dans l’accompagnement pour ne pas aboutir, et je vais terminer là
mon intervention, à ce qui se passe en classe terminale, où le prof de philo est persuadé que les problèmes
dont il va parler sont des problèmes qui concernent fondamentalement chacun et tout le monde, qu’ils ont une
portée existentielle, universelle. Et les élèves ne montrent pas qu’ils les portent spontanément ! D’où un
problème didactique extrêmement difficile de dévolution du problème à l’élève ! Portée spontanément par
l’enfant, la question recèle déjà une fracture chez l’adolescent, une recherche de fond, mais comment faire
émerger cette acuité en terminale ?N’ayant pas commencé assez tôt la philo, on éprouve toutes les peines du
monde à faire penser les élèves de classe Terminale…
On est à un moment historique où l’on est en train de problématiser la discussion philosophique à l’école
primaire. Personne n’arrive à bien formuler les questions . Il faut travailler à cette formulation des bonnes
questions. C’est par une pratique tâtonnante, diversifiée, même éventuellement incohérente, que l’on
avancera : avec à la fois le meilleur et le pire, car on s’autorise à… sans être autorisé par personne. D’où
l’intérêt de confronter les pratiques.
Bonne chance pour cette aventure !
Sylvie Brel :
Les questions que vous allez poser ce matin vont aussi alimenter les réflexions de nos penseurs .
Intervention de M.Tozzi à l’issue des Ateliers :
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