Laurent Calvignac
4ème année
La musique au cinéma
La musique de film connaît aujourd'hui un engouement toujours croissant de la part du
public et des médias. Les "BO" des films se retrouvent maintenant dans les bacs quasi
systématiquement, et les compositeurs gagnent de plus en plus de notoriété, alors qu'auparavant,
dénigrés par leurs pairs, de nombreux compositeurs s'abstenaient de figurer aux génériques.
Pourtant, depuis plusieurs décennies, de nombreux titres sont devenus mondialement connus, et
incontournables, comme par exemple la musique de "Jeux Interdits", "La guerre des étoiles", ou
encore "Singin' in the Rain". Les musiques de film sortent des salles de projection, et il est devenu
habituel de les rencontrer dans des émissions de télé, divers spectacles, ou encore chez soi grâce
aux CD. Nous allons faire ici un petit historique de la musique de film, et de son rapport à
l'image.
La musique de film apparaît pratiquement en même temps que le cinéma. La technique de
synchronisation du son et de l'image n'étant pas encore inventée, la musique est jouée en direct,
pendant la projection du film. Elle sert alors principalement à masquer le bruit du moteur du
projecteur, installé au milieu du public, et très bruyant. Il s'agit à cette époque de compositions
non originales, parfois inspirées de thèmes classique, ou d'improvisation. Les formations sont
toujours les mêmes: le plus souvent, un pianiste, seul, mais il arrive aussi qu'un petit orchestre
soit présent, afin de donner des effets plus saisissants.
L'instrumentiste choisit une ligne rythmique générale, et joue sans discontinuer du début à
la fin de la projection. On ne peut pas imaginer une seconde de silence. La musique apporte une
stimulation à certaines séquences, et bien souvent, le musicien va chercher ses motifs dans les
catalogues de musique de théâtre, et utilise des images stéréotypées: gammes descendantes quand
l'acteur descend un escalier, accords plaqués pour la fermeture d'une porte, etc... Le registre varie
selon la tonalité des séquences: burlesque, dramatique, la musique commence d'ors et déjà à se
codifier. L'interprète profite également des cartons pour réexposer la tonalité du film.
La première musique originale est créée par Camille Saint Saëns en 1908, pour le film
L'assassinat du Duc de Guise de Fernand Leborgne. Par la suite, Erik Satie écrit la musique du
film Relâche en 1910, puis celle de Entracte de René Clair, en 1924. Il est le premier, avec Saint
Saëns à adapter la musique classique à l'écran. Le rythme des images donne de nouvelles sources
d'inspiration aux compositeurs, et on commence à voir apparaître des ensembles instrumentaux et
des durées inhabituelles.
Certaines tentatives sont faites pour essayer de synchroniser la musique avec l'image.
Quand Henri Rabaud écrit la musique du film " Le miracle des loups " en 1921, il fait en sorte
que la durée de chaque morceau de sa partition coïncide avec la durée exacte de chaque bobine de
film. La même année, Marcel L'Herbier a l'idée d'utiliser un miroir dans lequel le chef d'orchestre
peut voir le film, afin que le déroulement de la musique se coordonne avec celui de la bande
cinématographique. En 1927, le compositeur Paul Hindemith utilise pour la première fois un
appareil de synchronisation pour le dessin animé Félix le chat. Cet appareil permet de faire
défiler la partition du chef d'orchestre au même rythme que les images, pour qu'il puisse accorder
parfaitement la musique au film (1).
C'est cette même année qui est définie comme celle de la naissance du cinéma parlant. En
1910, Léon Gaumont avait déjà mis au point un système de synchronisation du son et de l'image,
le chronophone, mais l'histoire aura préféré retenir 1927 et les Etats Unis pour les débuts du
cinéma parlant, sans doute parce qu'à cette date, deux films vont sortir avec deux procédés
concurrents. Le Chanteur de Jazz est considéré comme le premier film parlant de l'histoire du
Cinéma, avec une piste sonore gravée sur un disque séparé de la pellicule (2). Quelques mois plus
tard, sort Le Septième Ciel qui pose les bases la technique utilisée de nos jours: la piste sonore est
enregistrée sous forme optique à même la pellicule. Simultanément, le projecteur quitte la salle
de spectacle, et l'insonorisation réalise des progrès. La musique ne semble alors plus
indispensable. Les auteurs pour le cinéma écrivent maintenant des dialogues plus conséquents
pour leurs personnages. La musique ne peut donc plus s'exprimer avec tant d'insistance. Sa place
diminue dans la durée, mais paradoxalement, elle gagne en importance pour le récit. On se rend
alors compte qu'elle permet de galvaniser le spectateur, ou d'exprimer tout ce que l'image est
incapable de dire. L'image et la musique deviennent alors un couple indissociable, et surtout,
complémentaire. Alors qu'auparavant il n'existait que très peu d'échanges entre le musicien et le
réalisateur, l'apparition des dialogues parlés rend la collaboration obligatoire. Cette collaboration
va également permettre au compositeur de réaliser une musique originale et étroitement liée à
l'esprit du film. La musique est plus réfléchie, et plus sérieuse, puisqu'elle participe maintenant
directement au récit. Les années 30 voient apparaître les premiers grands noms de la musique de
film: Maurice Jaubert, Sergueï Prokofiev, Benjamin Britten, etc... La musique n'est pas seulement
liée à l'esprit du film, mais le choix des formations instrumentales, de l'arrangement et du style
reste également liée à la thématique générale de l'œuvre.
L'industrie du cinéma prend alors véritablement son essor, et le rythme des productions
s'accélère. Le cinéma commercial apparaît, les compositeurs sont obligés de travailler de plus en
plus vite (3). Les productions comportent de plus en plus un département musical. Pourtant, peu
de monde y prête vraiment attention. Les crédits et le temps sont d'abord alloués à la
scénarisation, à la mise en scène, mais la musique arrive souvent en bout de chaîne, quand tout
est joué. Elle devient donc véritablement sous influence du film. Le musicien est bridé par les
délais, par les exigences du montage, et souvent la musique se limite à une sorte de patchwork de
situations comiques ou dramatiques, qui va vers la surenchère, le pléonasme. D'autre part,
certains compositeurs se laissent tellement influencer par les codes déjà établis, qu'ils composent,
en quelque sorte, des musiques "préexistantes". Dans ce contexte, le compositeur se doit d'être
purement fonctionnel, efficace. Il n'a parfois malheureusement pas d'autre choix que de passer la
plus grande partie de son temps à élaborer ses thèmes, répéter un style ou des mélodies, au
détriment des recherches d'ambiance ou de l'expérimentation. Il arrive de plus que des musiques
enregistrées pour une séquence de film se retrouve finalement déplacée à un autre endroit lors du
montage, ou que certaines parties soient supprimées, sans avoir auparavant consulté le
compositeur. Il résulte de tout cela une mauvaise adéquation entre l'image et la musique, qui
prive le film de certaines nuances qui auraient pu être apportées par le compositeur. Le public ne
retient du film que ce qu'il y a de directement signifiant, et ne perçoit pas toutes les intentions du
réalisateur. Cette dépendance vis-à-vis de l'industrie cinématographique oblige les musiciens à
revoir leur manière de composer et d'arranger la musique.
Certains compositeurs vont comprendre l'importance de travailler dans un rapport étroit
avec la fabrication du film en elle-me. Ils se soucient des dialogues, des bruits d'ambiance, de
la couleur générale du film. Pour la musique de Citizen Kane d'Orson Welles, en 1940, Bernard
Herrmann travaille de manière très suivie avec le monteur du film, pour faire en sorte que sa
musique "colle" le mieux possible aux images. Les compositeurs choisissent maintenant les
instruments présents dans leurs compositions en fonction du film, et de son ambiance. Certaines
combinaisons instrumentales sont inattendues, mais fonctionnent à merveille. L'unité du film est
ainsi obtenue par des moyens purement instrumentaux. Après la première décennie du cinéma
sonore, on commence à voir la possibilité de se débarrasser de la thématique. On s'aperçoit qu'il
n'est plus nécessaire de se soucier d'une quelconque thématique générale pour écrire la musique
d'un film. En 1968 Stanley Kubrick, dans son film 2001, l'Odyssée de l'Espace utilise de la
musique classique pour ce film de science fiction. L'association fonctionne très bien car la
musique complète le contenu du film au lieu de le paraphraser. La musique se doit en effet de
participer au rythme du film par ses interventions et ses commentaires, plutôt que de le répéter.
Le film peut ainsi acquérir une nouvelle dimension, et une nouvelle profondeur. La musique pour
le cinéma est réellement une discipline artistique spécifique, très différente de la composition
pure.
(1): C'est le même principe qui sert aujourd'hui à faire les doublages d'un film ou d'un dessin animé: la bande rythmo.
(2): Le disque était lu par un pickup déclenché au moyen d'une encoche sur la pellicule. L'inconvénient était que les
disques de cette époque, en 75 tours n'étaient capables de ne contenir que 4 minutes pour chaque face.
(3): D'après une enquête réalisée dans les années 80, concernant deux cents compositions originales pour le cinéma
et la télévision, un compositeur a, entre le moment de la première vision du film et la date d'enregistrement de la
musique, un délai de quatre semaines maximum pour 60% des films produits. Seulement 10% des films tournés
accordent un délai de dix semaines au compositeur.
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