François Garczynski Grenoble, septembre 2005 ingénieur du génie rural des eaux et des forêts (retraité depuis 2002) arbre, agriculture, environnement, santé, tiers-monde 11 chemin de Gordes 38100 Grenoble tél., répondeur & fax : 04 76 51 05 90 e-adresse alias adrel : [email protected] Notes de lecture avec en caractères gras des mots, expressions et phrases à discuter, sur : Au printemps des paysages par Henri et Odile Décamps Buchet/Chastel, Ecologie (2004) -p. 33-35 : PAYSAGES D’ANTAN Relire Fernand Braudel (…) : “ Vous les croyez méditerranéennes. Or, à l’exception de l’olivier, de la vigne et du blé – des autochtones très tôt en place –, elles sont toutes nées loin de la mer (…). Ces fruits d’or, dans ces arbustes vert sombre, orangers, citronniers, mandariniers (…), ce sont extrême-orientaux, véhiculés par les Arabes. Ces plantes bizarres aux silhouettes insolites, piquants, hampes fleuries, noms étrangers, cactus, aloès, figuiers de Barbarie (…), ce sont des Américains. Ces grands arbres au feuillage pâle (…), eucalyptus (…), ce sont des Australiens. Et les cyprès (…), ce sont des Persans (…). Qu’il s’agisse de la tomate, cette péruvienne ; de l’aubergine, cette indienne ; du pigment, ce guyanais ; du maïs, ce mexicain ; du riz, ce bienfait des Arabes, pour ne pas parler du haricot, de la pomme de terre, du pêcher, montagnard chinois devenu iranien, ni du tabac. ” -p. 35 : Les bords de la Méditerranée ont vu en effet les civilisations façonner les paysages comme nulle part ailleurs (…), non sans oscillations sur plus de 50 000 ans, non sans ruptures, à commencer il y a 10 000 ans, quand les chasseurs du Moyen-Orient se fixèrent et apprirent à domestiquer les plantes et les animaux. L’épuisement des ressources a alterné avec leur utilisation durable au fil des générations et des invasions, dans une série de tâtonnements, d’échecs et de succès, le tout animant une mosaïque toujours changeante de champs, de pâturages, de forêts, de maquis et de garrigues. -p. 36 : Les déboisements, pratiqués par des coupes ou par le feu, ont profondément marqué cette histoire commune. Commencés il y a près de 8 000 ans, développés par les Perses, les Grecs et les Egyptiens, ils n’ont jamais cessé de fluctuer, la forêt reprenant quant les activités humaines régressaient, comme à la fin de l’Empire romain et (…) comme après les épidémies du Moyen Age ou (…) pendant une partie du XXe siècle. Ces déboisements ont conduit au remplacement des forêts à feuilles caduques par des forêts sclérophylles, des garrigues et des maquis ; ils ont conduit par endroits à la dominance des chênes-verts ou des chênes-kermès (…). Ces déboisements ont aussi conduit à un dessèchement général de la région, avec augmentation du ruissellement, des variations du débit des cours d’eau, de l’érosion des sols, fragilisant les pentes des collines. -p. 40 : Dans un premier temps, les chasseurs-cueilleurs de la forêt semblent avoir créé et maintenu des clairières pendant plus d’un siècle, par coupes ou par le feu, pour attirer de grands mammifères (…). L’idée d’utiliser ces terres pour l’agriculture ne serait venue qu’après, sur des espaces aménagés au départ pour la chasse, et d’ailleurs fertilisés sans intention par le feu et les déjections animales. On peut ainsi imaginer (…) une culture de céréales (…) ajoutée à la chasse. -p. 40 : FONDAMENTALEMENT, L’ECHELLE 2 -p. 41 : systèmes d’échelles emboîtées (…) ; les échelles correspondant aux aires les plus grandes (et aux temps les plus longs) englobent et contraignent celles qui correspondent aux aires plus petites (et aux temps les plus courts) -p. 43 : Plus le dénominateur est grand, plus l’échelle est petite (…). Pour lever toute ambiguïté, il faut rappeler deux aspects bien distincts de la notion d’échelle : le premier correspond à l’étendue considérée, autrement dit au cadre, local ou régional d’un processus écologique, le deuxième au mode de résolution de ce processus écologique (…). On parle plutôt d’échelles locale et régionale à propos de l’étendue et d’échelles fine et grossière à propos du grain -p. 112 : FRAGMENTATION DES HABITATS Le processus de fragmentation transforme une surface relativement vaste de l’habitat d’une espèce en une collection d’îlots – ou taches – de plus en plus petits. -p. 113 : Chablis créant des clairières dans une forêt, labours épargnant des bosquets au milieu des terres cultivées, substrat rocheux (…). La régénération d’un couvert végétal ou l’ensemencement d’espèces disséminées çà et là peuvent également produire des habitats fragmentés. -p. 114 : La fragmentation d’un habitat entraîne l’existence de populations subdivisées. Chaque fragment peut abriter une population locale (…). L’aptitude des espèces à se déplacer, de même que l’arrangement des fragments dans l’espace jouent un rôle déterminant sur la nature des relation entre ces populations locales. Divers aléas démographiques et environnementaux peuvent par ailleurs frapper d’extinction ces populations locales, d’autant plus qu’elles occupent des fragments petits, isolés et faiblement peuplés. -p. 193-194 : LE BOCAGE ENTRE NATURE, TECHNIQUE ET SOCIETE La gestion actuelle du bocage est celle d’un paysage entre nature, culture et société 1 .Des haies bocagères accompagnent en effet l’agriculture ouest-européenne depuis des siècles. On en retrouve des traces en divers sites préhistoriques, notamment en Grande-Bretagne. Les sociétés agraires les ont particulièrement développées au Moyen Age. Plus tard, avec l’intensification et la mécanisation de l’agriculture, les haies ont été perçues comme des obstacles et supprimées, principalement après la Seconde Guerre mondiale. Plus tard encore, à partir des années 1970, leur absence conduisant à reconnaître leurs avantages, on replanta des haies et des talus (…). -p. 194-195 : L’intensification de l’agriculture et sa mécanisation ont conduit à agrandir le maillage du bocage, à allonger les périodes de temps entre deux émondages, à abandonner et à araser certaines haies. Ces pratiques ont modifié la valeur accordée aux haies (…). Les paysages du bocage sont donc nombreux et variés, en Europe comme dans le monde. On les rencontre en France dans les régions atlantiques, mais aussi dans les piémonts alpins et pyrénéens, dans le Massif central, dans les régions méditerranéennes. Ils sont essentiellement caractérisés par des haies, structures linéaires, constituées au moins partiellement de ligneux – arbres et arbustes –, et gérées. Les haies occupent une place prépondérante dans l’aménagement des territoires bocagers, étant donné leur rôle de brise-vent, leur aptitude à retenir les sols et les eaux, leur fonction d’épuration. Les haies servent en effet de brise-vent. A condition d’être relativement ouvertes à leur base, pour permettre à l’air de circuler, évitant au vent de se rabattre trop rapidement après son passage au-dessus des arbres (…). Des espacements de 12 à 15 fois la hauteur des haies ont été proposés (…), passant de 12 fois la hauteur du brise-vent en Allemagne à 25 fois en Russie (…). 3 -p. 195-196 : Le bocage exerce aussi un rôle régulateur sur le cycle de l’eau : les haies modifient les écoulements, affectent l’évapotranspiration, diminuent les effets des fortes précipitations 2 . Ce rôle est toutefois moins sensible sur les terrains granitiques, comparés aux terrains schisteux. Les premiers, par leurs fissures et leurs sols facilement humectés, jouent eux-mêmes un rôle tampon vis-à-vis des écoulements, contrairement aux seconds dont les limons sont épais et imperméables. Le rôle d’une haie dépend également de son orientation et de sa position par rapport à l’écoulement. Une haie placée par exemple en limite de fond de vallée peut s’avérer déterminante, car elle sépare les sols des versants de ceux des talwegs plus humides. Les spécialistes s’interrogent encore sur l’efficacité hydrologique du bocage, notamment en fonction de l’influence des écoulements profonds, de la nature des haies, de l’organisation du paysage. -p. 197 : Enfin, un nouveau thème attire l’attention depuis quelques années, celui de l’effet du bocage sur la qualité de l’eau. Sur un basin versant, les haies semblent pouvoir atténuer les effets des pollutions diffuses, en synergie avec d’autres structures paysagères telles que les zones boisées riveraines dans les fonds de vallée. Elles sont en effet susceptibles de jouer un rôle de barrière, à l’image des bandes enherbées, vis à vis de l’érosion des sols, des nitrates, des pesticides (…). Il reste encore à préciser comment la diversité des végétaux d’une haie affecte cette fonction de rétention des polluants, comment même l’organisation du bocage intervient. -p. 203-204 : DEVELOPPEMENT DURABLE La notion de viabilité – sustainability des auteurs anglo-saxons – fut d’abord portée à l’attention du public vers la fin des années 1970, à propos d’agriculture et de conservation. En 1987, un rapport international (…) la définit comme l’aptitude à “ répondre aux besoins du présent sans compromettre la capacité des générations futures à répondre à leurs propres besoins 3 ”. Cette notion devint alors, quelles que soient les ambiguïtés de sa définition, la base de tout débat sur l’avenir de l’humanité sur Terre. Et l’on parla de sustainable evelopment – en français de développement durable – pour qualifier une développement viable et acceptable (…). Relations entre l’homme et la nature (…). Plusieurs images viennent à l’esprit : celle d’une planète Terre transformée jusque dans ses moindres recoins par les activités humaines, celle d’un vaisseau spatial (…), d’un jardin planétaire, telle que l’a développée le paysagiste français Gilles Clément (…). Cette image avait déjà été évoquée (…) par l’écologue canadien William Clarke : “ La terre est plus semblable à un jardin qu’à une forêt primaire, même si le jardin est mal entretenu 4 ” (…). Les problèmes à cet égard sont complexes : le réchauffement climatique, le partage des ressources en eau, l’alimentation des populations humaines, l’érosion de la biodiversité…Ils touchent aux relations entre les pays du Nord et ceux du Sud. Ils soulèvent d’énormes difficultés (…). En ce domaine, l’approche interdisciplinaire est indispensable, car tous les aspects des sciences de la nature, de l’homme et de la société sont impliqués. Aussi les bases théoriques sont-elles rares. Celles de la panarchie* (…) se révèlent suffisamment prometteuses. -p. 210-211 : L’AVENIR PAR LE PAYSAGE Effervescence autour de l’avenir du climat, des ressources en eau, des forêts, des terres agricoles, de la biodiversité…Curieusement, le paysage est absent de cette effervescence (…). Peut-on imaginer les paysages insensibles à l’artificialisation des territoires ? En France, selon l’Institut français de l’environnement, les surfaces bâties ont augmenté leur superficie de 12% depuis 1992, les routes et les parkings de 7% et les sols artificiels – jardins, pelouses, etc. – de 17% 5. En outre, l’habitat individuel continue à s’étendre (…). Une augmentation de température de 1° C correspond à un déplacement virtuel de la nature de 160 km vers le sud, avec des conséquences sur le cycle de l’eau, sur la flore et la faune. 4 -p. 213 : De plus en plus, des institutions départementales et régionales interviennent sur l’espace rural au nom du paysage (…). Le paysage devient alors une catégorie d’action publique 6 où s’expriment diverses influences, y compris issues des connaissances écologiques. Sans doute revient-il aux sociologues, et plus généralement aux sciences humaines, de comprendre comment ces influences conduisent à mettre en œuvre tel ou tel type d’intervention paysagère. Mais il revient aux écologues de s’inquiéter de la façon dont leurs connaissances sont transmises et interprétées dans le cadre de ces mises en œuvre. Et de rappeler la nature de ces connaissances : ni dogmatiques ni idéologiques, mais simplement scientifiques, c’est à dire démontrables, réfutables, modifiables. -p. 217 : EPILOGUE La configuration de l’espace interagit avec les processus écologiques. Une particularité de ces interactions est leur instabilité dans l’espace et dans le temps ; elles n’aboutissent jamais à des équilibres durables (…). L’écologie du paysage ne peut donc se satisfaire d’études locales impliquant un seul site et portant sur un simple cycle annuel. Cette exigence l’amène à solliciter à la fois la géographie et l’écologie pour forger ses propres concepts, ses propres méthodes. Aussi, l’écologie du paysage apparaît-elle parfois comme une discipline hybride, marginale (…). Cette marginalité renforce son aptitude à appuyer l’action des paysagistes (…) dans l’invention des paysages. Appui nécessaire mais, en aucun cas suffisant. Nécessaire, parce que tout paysage s’inscrit dans une réalité objective déterminée par les lois de la nature. Insuffisant, parce que tout paysage se nourrit de subjectivité, avec des symboles et des perceptions issus d’une histoire culturelle. Les paysages sont à la fois nature et culture (…). Leur compréhension s’inscrit dans un large concert de disciplines. L’écologie sera d’autant plus utile dans ce concert qu’elle saura y tenir sa place, rien que sa place mais toute sa place. -p. 230 * Panarchie. Terme créé à partir du mot “ hiérarchie ” et du nom de pan, dieu des bergers d’Arcadie, pour traduire l’association de la notion de cycle adaptatif, caractérisant des systèmes naturels et humains, à la notion d’emboîtement des échelles d’espace et de temps. 1.Baudry J. & A. Jouin éds.(2003) : De la haie aux bocages, Organisation, dynamique et gestion INRA 2.Mérot P. et al (1999) : Revue des Sciences de l’eau 12 : 23-44 3.Rapport publié par la Commission mondiale sur l’environnement et le développement, sous la présidence de G.H. Bruntland : Our Common Future (1987), Oxford 4.Clark W.C. & R.E. Munn eds (1986) 5.IFEN (2003) : Les données de l’environnement, 80 : 1-4 6.Candau J. & Le Floch S. (2002) : Natures Sciences Sociétés 10 : 59-65