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le cadre de ce qu’on appelle l’ « économie standard » qui, on le sait, repose sur une
formalisation poussée des phénomènes économiques, très largement autonomisés des autres
sphères de la société. Si bien que les SES apparaissent aujourd’hui à bon nombre
d’économistes « modélisateurs » (expression commode que nous employons ici
provisoirement), formés dans les facultés des années 1980 comme un résidu anachronique de
conceptions laissant place à l’histoire sociale, économique et politique, et se donnant pour
méthode d’analyser les sociétés telles qu’elles sont et telles que les hommes la font. Sur un
plan plus politique, il convient d’insister sur la récurrence des attaques portées contre un
enseignement non « purement » économiste de l’économie dans l’enseignement secondaire.
La liste serait longue à établir des prises de position publiques d’hommes politiques contre
l’enseignement des SES. Par exemple, l’ancien ministre de l’économie, Francis Mer
(Polytechnicien de formation, ancien PDG d’Usinor), n’a cessé, durant ses deux années de
pouvoir à Bercy, de vilipender un « peuple français » rétif à l’économie : la vraie, la seule,
l’unique, qui ait à ses yeux droit de cité : l’économie de marché, celle qui est enseignée dans
les divers manuels de microéconomie et qui, selon lui, devrait être enseignée dès le plus jeune
âge à nos futurs concitoyens de manière à ce que ces derniers intègrent les contraintes de
l’action économique.
Il y a aussi un contexte social et idéologique de la réforme Fillon. C’est la tentative au
long cours de refondation idéologique de la droite française : le MEDEF, les travaux de
Kessler et de Ewald, les tentatives de l’Institut de l’entreprise, etc. Un leitmotiv revient sans
cesse de la bouche de ses penseurs agréés par le Medef : il faut former les nouvelles
générations à la vraie économie, celle qui édicte comme des tables de vérité les lois de
l’économie de marché. Des courbes de coût et de préférences devront bien faire l’affaire
. A
côté, on pourra y adjoindre des rudiments d’un enseignement, dit utile, en droit et en gestion.
Ainsi formés nos lycéens seraient en quelque sorte équipés mentalement pour avoir une
lecture, limitée mais réaliste, du monde économique et social. Foin donc des autres sciences
sociales qui polluent la pureté du raisonnement économique. Nul besoin donc de
s’embarrasser de verbiage sociologique souvent accusé d’être démoralisateur. Il faut ré-
enchanter la société, donner des signes d’espoir, faire passer le credo libéral en économie.
3. Le soutien aux SES : un enjeu pour tous les défenseurs de l’école publique
Rappelons ici, c’est le phénomène essentiel, que les SES constituent une discipline
éminemment fragile sur le plan institutionnel : création relativement récente, peu
d’enseignants (N = 6000), une Inspection Générale de SES éclatée et hétérogène, un débouché
professoral quantitativement faible, puisqu’il a été cantonné à une option de second cycle . Or,
dans l’histoire du système d’enseignement français, on le sait grâce aux travaux de Durkheim
et, plus récemment de Briand et Chapoulie, la question morphologique des corps professoraux
est décisive. « Combien de bataillons les SES ? ». La réponse en dit beaucoup sur le rapport
de force : « Très peu », comparé aux autres disciplines. Combien de bataillons les profs d’éco
et gestion ou les profs d’histoire-géographie ? Beaucoup… Donc d’une manière structurelle,
les profs de SES sont coincés entre les deux grands corps voisins et rivaux dont les
représentants (IG notamment) lorgnent à la fois sur la filière et sur ce pactole d’heures de
lycée. Ils lorgnent d’autant plus que la filière L s’est affaiblie sur longue période et que la
filière STT s’est prolétarisée dans son recrutement depuis quinze ans. Paradoxe historique ; au
Le MEDEF voudrait donc qu'on ne parle que de l'entreprise, mais seulement de l'entreprise vue du point
de vue de l'entrepreneur. "L'entreprise est là pour faire du profit, sinon elle meurt; le travail est un coût". etc.
Qu'on parle de "l'entreprise", mais aussi telle que vue par les salariés.