Congrès Marx International VI, Section Culture, Ruby Christian
1
Une cartographie de la pensée politique,
en 2010, d’après l’art contemporain
1
.
Christian Ruby *
A défaut de proposer, selon une tradition bien établie dans l’histoire de la philosophie
politique Antique et moderne, des figures de gouvernement ou des modèles de sociétés
idéales, certaines philosophies contemporaines contribuent à provoquer des distances avec ce
qu’on entend ordinairement par « politique ». Elles pensent la pratique politique comme
écart(ement)
2
par rapport aux normes établies et non comme participation ou résistance
3
.
Elles produisent des distinctions conceptuelles qui témoignent de et mettent en scène des
mobilisations rendant justice à des conceptions de la politique ignorées du champ de visibilité
inspiré par l’Etat moderne. L’écart, il est vrai, espace, il libère du champ et offre la possibilité
d’un proche et d’un lointain, donc d’autre chose. L’écart espace en donnant de l’ouverture.
Exerçant une grande influence sur les artistes contemporains des arts plastiques, il peut
être intéressant de dresser la cartographie des auteurs et œuvres fréquentés par eux. Les Gilles
Deleuze
4
, Michel Foucault, Jean-François Lyotard désormais disparus, les Alain Badiou,
Antonio Negri, Jacques Rancière et autres encore productifs ont en effet littéralement, chacun
à sa manière, pour les artistes que nous allons citer, ouvert des brèches dans le discours
philosophique dominant portant sur la politique, orienté sur une perspective de fondation ou
d’unité de l’Etat et du pouvoir, le maintien du paradigme juridico-étatique de l’Etat moderne
et l’idée de faire advenir une société politique « parfaite » (ou définitive) à partir d’une utopie
ou des crises de la société actuelle. Dans le me temps, ils ont combattu la résignation
politique et la morale de défaite recouvrant le plus souvent les difficultés sociales et politiques
présentes, éconduit les injonctions constantes portant sur la nécessité de nous contenter de
réformer les institutions gestionnaires d’Etat grâce à une meilleure participation.
Une grande partie des institutions et artistes contemporains
5
ne cesse, répétons-le, de
se rapporter à ces philosophes, sous le coup d’un principe : l’artiste n’est plus investi de la
1
Entendu ici, non en référence à des œuvres, mais en fonction d’un système de paroles
véhiculé soit par des institutions, soit par des artistes (articles de presse, interviews). Cela
n’exclut toutefois pas des œuvres qui renverraient à des philosophes explicitement.
2
Arrêtons-nous sur ce terme spatialisant pour rappeler que s’il devient central désormais c’est
qu’il heurte de front les perspectives temporelles (progrès, dépassement). Puis, il récuse les
forces par lesquelles justement on « réprime les écarts » (cf. Kant, Critique de la raison pure,
Paris, Puf, p. 538), en exerçant une « discipline » qui pose des « bornes ». Encore faut-il se
souvenir que la modernité, en son temps, s’est placée à « l’écart » du monde du Moyen Âge
(cf. Goethe, Prométhée, Paris, Gallimard, 1951, p. 176). Les classiques affirment qu’il faut se
mettre à l’écart (ne pas être pris dedans) pour penser (la juste distance de la méthode chez
René Descartes ou l’écart nécessaire pour penser la pratique, chez Nicolas Machiavel, Le
Prince, « Lettre-préface »).
3
On en trouverait le modèle dans le Jean-Paul Sartre de la Critique de la raison dialectique,
Paris, Gallimard, 1960 ; cf. la reprise philosophique de cette question dans Véronique Bergen,
notamment à propos du marxisme, Résistances philosophiques, Paris, Puf, 2009.
4
Il faut ajouter ici une remarque : à ce nom doit être associé celui de Félix Guattari, les jeunes
artistes l’ayant lu très tôt (années 1970).
5
D’autres ont d’autres références évidemment (Gilles Barbier renvoie à Nelson Goodman,
interview, Art Press, 368, p. 30). Certains demeurent marxistes. D’autres suivent leur voie
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mission d’incarner la conscience de soi de son époque. Les oeuvres qui s’en réclament, dès
lors qu’elles ne se contentent pas d’exploiter ironiquement les anciens signes de la révolution
6
, ne se pensent plus en termes d’engagement
7
, d’avant-garde et de porte-parole
8
mais en
termes de différend
9
, de rhizome ou de déplacement, qu’on englobe ces concepts dans la
catégorie unifiante de « post-modernité » ou non. Les mises en question du monde
(esthétique, artistique mais aussi politique, et peut-être vaudrait-il mieux dire « des mondes »)
ne sont plus comprises comme ultimatum, mais comme événement
10
: faire que quelque
chose se passe dans un lieu ou un milieu qui n’était pas prévu pour cela, en général celui de la
mondialisation
11
.
Tentons de dessiner l’atlas de ce qui est retenu par ces artistes au titre de leurs lectures
des philosophes. Cela devrait nous interroger sur les références théoriques des différentes
générations d’artistes, sur l’usage qu’ils en font (et l’impact, s’il existe, sur les œuvres), sur
l’effacement progressif d’anciennes théories et sur l’orientation politiques des artistes. En
l’occurrence, ils s’approprient 5 thèmes, autour de l’idée selon laquelle l’art est moins un
point de résistance dans la société, qu’un acte de déterritorialisation, d’écartement, qui ne
cesse de pousser chacun plus loin dans la fragilisation de ses mises au pas permanentes.
Des amers pour une autre philosophie politique.
Ce qui est d’abord retenu de ces philosophes, c’est qu’ils ont élaboré des pensées
affirmatives
12
qui ont mis en question une première tradition de philosophie politique -
dans l’écologie et la critique de la consommation (Claude Closky, Tania Mouraud), le
développement durable, la bio-éthique, l’humanitaire et l’altérité (Valérie Jouve, Allan
Sekula), le féminisme (Sylvie Blocher), la sexualité, Cf. aussi l’interview de Rachida Triki
à propos de la Biennale de Dakar, dans Africultures, Juillet 2010 ; ou les propos des artistes
que nous avons engagés dans l’aventure TOOL BOX, Nantes, avec Ghislain Mollet-Viéville,
Jacques Rivet et Marie-Laure Viale.
6
Claude Lévèque à la Biennale de Venise, 20009 (Pavillon français).
7
« Je ne me retrouve pas dans la notion d’art engagé », Raphaël Grisey, vidéo 2008.
8
Krzysztof Wodiczko, Porte-parole, 1997 ; Sarkis, Défilé du siècle, 2000 ; Kader Attia,
Normal City 1, 2, 3.
9
Bruno Maire et son Esthétique des différends, 2009.
10
Cf. l’artiste Lili Reynaud-Dewar : « l’art à l’ère de l’événement » (Art Press, 368, Août
2010, p. 64).
11
Notre compétence se borne à la connaissance de l’art public contemporain. Mais nous
étendons nos références. Ainsi se conjuguent ici Thomas Hirschhorn (« si l’art n’a pas à être
engagé, il peut déclencher quelque chose » (Kunst könne etwas auslösen) et Gilles Deleuze,
Jean-Christophe Nourisson et Michel de Certeau, ainsi que les artistes de la « fonction
critique » qui se réclament de Michel Foucault, Jacques Rancière, ... Et autour de la
mondialisation s’agrègent de nombreuses vidéos, par exemple celles de Gabriel Abrantes et
Benjamin Crotty (cf. Art Press, n° 369, Août 2010, p. 45), ainsi que celles qui furent
présentées à la Maison rouge (Paris), en 2009.
12
Un exemple, sur le site paris-art.com : (l’interview par Brigitte Jensen) « Vous dégagez
dans le discours actuel sur l’art une « négativité » en quelque sorte improductive, pleine de
ressentiment, selon le terme cher à Nietzsche, contre laquelle vous proposez une « possibilité
joyeuse ». Pouvez-vous expliciter le sens et la traduction concrète de cette démarche à travers
votre propre travail ? » Et la réponse de l’artiste Corine Sylvia Coniu : « Croire que l’art ne
s’exécute que dans la négativité est quelque chose de très naïf. Tout mouvement, tout élan se
fait par abandon mais continuité. Cette obsession de vouloir assainir, épurer, a quelque chose
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l’expression apparaît pour la première fois dans Politiques d’Aristote
13
, quoique Thomas
Hobbes affirme que la « philosophie politique » naît avec lui
14
sur laquelle cependant nous
n’insistons pas, sinon pour rappeler qu’elle se donne bien pour objet l’élaboration d’une
connaissance pratique du meilleur gouvernement indexé sur l’ordre du monde dans un cas et
l’identité de l’Etat et la libéralisation des marchés dans l’autre. En elle se déploie par
conséquent un discours de conception libérale, hanté par une problématique du fondement.
Cette dernière impose une justification a priori, prétend universaliser les perspectives en leur
ôtant toute contingence, mais au prix de les soustraire à la discussion. Elle célèbre l’unité du
pouvoir ou de l’Etat (déclarés seuls objets de la politique). Un tel discours est bridé par
l’exaltation exclusive de la légalité, le discours sur le juste milieu et la sacralisation du
consensus, grevé par la condamnation de certaines « violences » immédiatement culpabilisées
(en actes de délinquance) puisqu’elles échappent au régime de l’identité. Il reste canalisé par
la définition de la politique à partir des concepts de pouvoir, d’autorité
15
et de communication
16
.
Insistons brièvement, en fonction de quelques propos d’artistes qui ne communient pas
vraiment avec le statu quo et par conséquent le monde administré du libéralisme. Ce dernier
est vite caractérisé. Cette philosophie politique, toujours vive de nos jours
17
, représente un art
d’éviter ou de raturer l’action proprement politique en prétendant déployer une philosophie
juridique pure (une entreprise consensuelle d’effacement de la politique vive), réaffirmant
constamment les concepts canoniques de la discipline (droit, loi, autorité), célébrant
exclusivement les objets (Etat, public) et les lieux institutionnels (assemblées, cénacles,
sphère de l’Etat) de la politique. C’est ainsi qu’elle articule sans fin le politique à la
réalisation de l’unité de la cité ou de l’identité du commun, en privilégiant les réglementations
d’enfermement
18
parfois, procédurales le plus souvent
19
. En elle, unité, universalité
d’anorexique, et ne vivre que dans le rejet du père, quelque chose d’une adolescence attardée.
La possibilité joyeuse, c’est de prendre l’histoire où elle a commencé pour nous, de la prendre
en route, se nourrir d’elle plutôt que la vomir. Plutôt que refuser le symbolisme du rouge, de
la ligne horizontale ou verticale, la subjectivité de la tache, la rationalité de la géométrie, sa
volonté de domestication du sensible et de l’accidentel, faisons jouer ensemble tous les
symboles, tous les signes, tous les sens que l’histoire nous a donnés. De toute façon, la
peinture est éminemment projective, et dans cinquante ans, les conteurs y verront une autre
histoire. Et s’ils n’y voient pas son actualité, ou si d’autres « gardiens » ne l’actualisent pas
d’une manière ou d’une autre dans leur propre monde, elle tombera dans l’oubli. »
13
Aristote, Politiques, III, 12, 1282, b, 2 : devant la difficulté à statuer sur le juste, il y a
matière à « philosophie politique » (Paris, GF, 1993).
14
Elle aurait vu le jour avec le De Cive, écrit-il dans Léviathan, IX (Paris, Folio, Gallimard,
2000).
15
Alain Renaut, La fin de l’autorité ?, Paris, Flammarion, 2004.
16
On en trouve habituellement le support dans la philosophie de l’agir communicationnel du
philosophe allemand Jürgen Habermas : Théorie de l'agir communicationnel (Fayard, Paris,
1987, 2 vol., t. I : Rationalité de l'agir et rationalisation de la société, t. II : Pour une critique
de la raison fonctionnaliste) ; mais aussi dans la philosophie de Hannah Arendt.
17
Il faudrait d’ailleurs examiner les liens entre sa reformulation actuelle et le libéralisme
passé : Foucault ne cesse d’analyser ce dernier dans ses Cours au Collège de France en 1977-
1978 et 1978-1979. On y trouve des recherches sur le libéralisme politique, dans sa forme
classique au dix-huitième siècle et dans ses variantes « néo-libérales » au vingtième siècle,
qui débouchent sur une étude de la « biopolitique ».
18
De nombreux artistes travaillent à partir de sur la notion d’enfermement élaborée par
Michel Foucault, par exemple Tacita Dean, Fernsehturm, 2001 ; ou Stan Douglas, …
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4
originaire et identité sont posées comme des impératifs découlant de l’idée même de cité, et
comme des fondements nécessaires de l’existence du « corps » politique. Comprenons donc
que cette pensée de la politique constitue une pensée du pouvoir et de son éternelle conquête,
centrée sur le tissage d’une identité et d’une universalité abstraites. Une condamnation à
laquelle les artistes ne sont pas indifférents
20
.
En contrepoint de cette philosophie politique libérale, esquissons quelques amers que
les artistes repèrent dans les propos des philosophies affirmatives citées. A partir de leurs
catégories notamment : écartement et écart, altérité et hétérologie, différend et dissensus,
dispositif ou errance
21
On entrevoit aisément qu’elles mettent en question à la fois les
distributions conceptuelles reçues habituellement (identité, unité, vérité, sens et bien
communs, Etat, pouvoir) et l’usage de certaines habitudes de pensée qui ont fini par
discipliner la pratique politique. De ce fait, elles lui ôtent sa pertinence exclusive comme son
adéquation aux conditions historiques contemporaines et à l’efficacité des liens entre la
politique et le changement de l’état dans lequel se trouvent les affaires de la cité. Elles
contraignent, simultanément, à interroger les noms et les contenus à conférer aux
transformations constitutives de l’histoire : réforme, révolution, dérive ou ligne de fuite,
dissémination, déplacement, reconfiguration ? Autant de conceptions politiques du monde.
Rappelons que ces amers, les philosophies convoquées ici les ont puisés dans les
opérations de terrain pratiquées à l’encontre de la philosophie politique qui structure les
institutions. Elles insistent notoirement sur le fait qu’aucune société ou cité ne peut jamais
réussir son unité, en ce sens. Autant affirmer que : « L'héroïsme de l’identité politique a fait
son temps. Ce qu'on est, on le demande, au fur et à mesure, aux problèmes avec lesquels on se
débat : comment y prendre part et parti sans s'y laisser piéger ? Expérience avec... plutôt
qu'engagement avec... Les identités se définissent par des trajectoires... trente années
d'expériences nous conduisent "à ne faire confiance à aucune révolution"
22
, même si l'on peut
"comprendre chaque révolte"... la renonciation à la forme vide d'une révolution universelle
doit, sous peine d'immobilisation totale, s'accompagner d'un arrachement au conservatisme.
Et cela avec d'autant plus d'urgence que cette société est menacée dans son existence même
par ce conservatisme, c'est-à-dire par l'inertie inhérente à son développement »
23
.
Elles redéfinissent la politique comme « écart », avons-nous écrit, comme action de
provoquer des écartements dans la pensée et la pratique afin de mieux dénouer leur aspect
« naturel », « évident », et favoriser un autre discours. Ce qui signifie que la politique ne se
donne plus dans la volonté d’imposer et de maintenir de l’un dans l’ordre du temps mais dans
le déchirement, le déplacement, les frictions, les incompatibilités mutuelles, les mélanges
19
Alors que Montesquieu note : « Dans une nation libre, il est très souvent indifférent que les
particuliers raisonnent bien ou mal ; il suffit qu’ils raisonnent : de là sort la liberté qui garantit
les effets de ces mêmes raisonnements ».
20
Lilian Bourgeat, G7, 1996.
21
Explorées artistiquement par exemple par Patrick van Caeckenbergh, Et comme l’espérance
est violente, 2000 (dans son Encyclopédie rhizomatique) ; on a la même référence aux
rhizomes chez Gilles Barbier (avec un fond de pensée plus écologique) ; Jimmie Durham, La
porte de l’Europe, 1996 ; pour l’errance, cf. Campement urbain.
22
C’est ce pourquoi, tous autant qu’ils sont, ils redéfinissent l’espace des luttes politiques et
sociales, et la figure des sujets révolutionnaires. La révolution désormais ne constitue plus une
perspective de libération. Pour Foucault, elle est remplacée par une pratique de la production
de soi-même dans les luttes, l’invention de langages et de réseaux d’appropriation du monde ;
pour Rancière, de même, le thème de la révolution est décalé.
23
Foucault, « Pour une morale de l'inconfort », article du Nouvel Observateur, 754, 23
avril 1979, in Dits et écrits, III, Paris, Gallimard, 1997.
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instables. L’écart ou plutôt l’écartement est conçu comme le mode même de l’action
politique. Davantage, la notion d’écart n’a de signification que dans le cadre de pratiques
spécifiques mettant en jeu des frontières, des distinctions « naturelles », des compétences
établies, ... Elle ajoute d’autres possibilités aux nécessités officiellement affichées.
Aussi Deleuze, Foucault, Lyotard, Rancière et les autres philosophes cités, le sont
d’autant plus qu’ils ne cessent de se démarquer de la pensée politique moderne et de
revendiquer une non-appartenance de leur pensée au champ de la philosophie politique d’Etat
puisque la « politique n’est pas un genre », elle n’a pas d’essence propre ni de domaine
spécifique, ou n’a pas d’objets ou de questions qui lui soient propres
24
.
Se déprendre de l’ancienne formation politique.
Mais ce que les artistes puisent dans ces oeuvres concerne aussi la question de
l’action. Quoi qu’il ait rompu avec les conceptions Antiques et théologiques de l’action, le
rapport moderne aux transformations sociales, culturelles et institutionnelles s’avère
effectivement bridé par quatre préjugés. Ces derniers délimitent à un type d’objet et de fins
une conception prométhéenne de l’action politique
25
. Ils ont chacun pour sultat de paralyser
notre puissance d’agir, de nous empêcher d’imaginer d’autres conceptions de l’action
politique ou de conférer une signification politique aux autres modes d’action ininterprétables
dans ce cadre.
Tant que nous ne nous serons pas dépris de ces manières de concevoir son objet, ses
moyens et ses fins, nous ne pourrons ni concevoir une nouvelle culture politique ni renouveler
la conception de l’histoire qui lui a donné sa portée jusqu’à présent. La culture politique sera
toujours pensée comme une formation destinée à perpétuer et entretenir les modes
d’organisation de l’Etat et à réduire l’histoire à la mémoire. Elle restera normée par des
mœurs recevables uniquement dans le cadre du consensus établi.
Le premier préju consiste à affirmer que l’action doit viser les « grandes »
institutions et déboucher sur une constitution de la cité confinant à la perfection (la politique
suspend la violence) et par conséquent à l’éternité (fin de l’histoire). Une (bonne) constitution
dessinerait par principe la seule forme envisageable du collectif, celle qui entretient l’unité de
la cité grâce au déploiement de facteurs de cohésion et d’harmonie (langage, droit, espaces et
biens communs, mais aussi rituels et cérémonies), et pose une fin progressiste de l’histoire.
En contrepoint, philosophes et artistes déploient des pratiques plus modestes, et le
revendiquent
26
.
Le deuxième insiste sur un des éléments cités précédemment : La nécessité pour
l’action de participer au maintien de l’unité-identité du corps social appuyée
émotionnellement sur un « sens commun » prédonné dans chaque cité, ou sur des valeurs
(repères abstraits) indexées sur l’Etat (légalité, nation, identité, par exemple). Le commun
24
Successivement, Jean-François Lyotard (Le Différend, Paris, Minuit, 1983, p. 190),
Rancière (la politique n’a pas d’archè, par conséquent, elle affole les « sages » répartitions et
les distinctions « définitives », Aux bords du politique, 1998, Paris, Gallimard, 2004, p. 114-
115), ou encore Multitudes, n°1, mars 2000, p. 89.
25
Il importerait à ce propos d’analyser le sort fait à la figure de Prométhée entre 1960 et 2010
dans les arts, disons depuis Valério Adami jusqu’à la mise en scène de la pièce de Goethe par
Jossi Wieler à la Schaubühne de Berlin, 2010.
26
Elles interrogent une multiplicité d’action au lieu de se concentrer sur le pouvoir : bio-arts,
arts écologiques, arts relatifs aux prisons, aux hôpitaux, Il s’agit alors moins de provoquer
de grands mouvements de foule (repris par Face-book) que d’inciter des réflexions et des
modifications personnelles.
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