Annette chomard-Lexa Lucien Cuénot, l`intuition naturaliste

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ANNETTE CHOMARD-LEXA
LUCIEN CUENOT,
L'INTUITION
NATURALISTE
Préface de Jean Gayon
Avant-Propos d'André Rossinot
— 2 —
ANNETTE CHOMARD-LEXA
LUCIEN CUENOT,
L'INTUITION
NATURALISTE
— 3 —
— 4 —
A mes parents en témoignage de ma reconnaissance
affectueuse,
A Laurent pour sa patience et sa confiance,
A mes enfants,
Remerciements
Que soient remerciés ici tous ceux qui ont contribué à la
réalisation de ce travail :
Le Muséum-Aquarium de Nancy,
Jean Gayon et Bernard Andrieu sans qui ce livre n'aurait pas vu le jour,
René Cuénot, le dernier fils de Lucien Cuénot, qui m'a accueillie dans la
maison même de son père à Nancy, et a bien voulu laisser publier les
photos personnelles de son père,
Les familles Merlet et Cuénot pour avoir bien voulu autoriser la
consultation des documents personnels (lettres, photos...),
L'Académie nationale de Metz pour avoir accepté de me laisser disposer
d'une partie des archives et documents inédits d'Andrée Tétry,
Guillaume Lecointre et Hervé Le Guyader pour avoir éclairé de leurs
compétences l'arbre phylogénétique de Cuénot,
Mon père pour la patience dont il a fait preuve au cours de la relecture de
cet ouvrage,
A la mémoire d'Henri Tintant.
— 5 —
— 6 —
Préface
Lucien Cuénot (1866-1951) n'a pas eu de Prix Nobel
et n'a pas été professeur à la Sorbonne. Mais il a sans doute
été un des biologistes français de la première moitié du
vingtième siècle qui a le plus profondément influencé la
communauté scientifique et intellectuelle française dans cette
époque, et sans doute sensiblement au-delà. Unique pionnier
de la génétique dans notre pays, il a laissé tout au long de sa
carrière des ouvrages de synthèse sur l'évolution, l'adaptation,
l'espèce, célébrés pour leur clarté, leur originalité, et la
qualité de l'information scientifique. Son livre Invention et
finalité, un classique de la philosophie biologique, a étendu
son rayonnement bien au-delà de la communauté biologique.
Par les trois facettes que l'on vient de mentionner, la figure de
Cuénot - expérimentateur, naturaliste et essayiste - reste
comme l'un des derniers et sans doute le plus bel exemple en
France de ce qu'on appelait à la fin du XIXe et au début du
XXe siècle la "biologie générale". Madame Annette
Chomard-Lexa, biologiste lorraine, dit au début de son livre
son étonnement lorsqu'elle prit conscience de l'oubli dans
lequel était tombé Cuénot. L'un des mérites de l'ouvrage est
de nous faire comprendre pourquoi l'œuvre de Lucien Cuénot
a si profondément marqué les biologistes de son temps. Son
intérêt principal est cependant ailleurs. En s'appuyant sur
l'ensemble de l'œuvre publiée, sur les commentaires auxquels
elle a donné lieu du vivant même de Cuénot, et sur de
nombreuses sources manuscrites ou orales, Annette
Chomard-Lexa rectifie un certain nombre d'erreurs que les
études autant que les rumeurs sur Cuénot ont entretenues.
On dit par exemple que Cuénot avait des idées mêlées
sur l'hérédité de l'acquis. Ceci est faux. Il fut le premier et
— 7 —
l'unique biologiste français à adopter la théorie d'Auguste
Weismann dans les années 1890. Jamais il ne changea d'avis.
La question lui sembla cependant assez importante pour
chercher à reproduire les expériences de ceux qui plaidaient
en faveur de l'hérédité de l'acquis, et pour examiner leurs
arguments, à de nombreuses reprises.
On a dit aussi que Cuénot avait eu sur l'évolution et
sur la finalité des pensées semblables à celles de Teilhard de
Chardin. Or s'il est vrai que Cuénot a beaucoup réfléchi sur la
finalité en biologie, changeant d'ailleurs d'opinion à plusieurs
reprises, il n'a jamais partagé la vision orthogénétique et
optimiste de l'évolution qui était celle de Teilhard. Annette
Chomard-Lexa exhume des documents qui témoignent du
jugement sévère que Cuénot a porté sur Teilhard. En dépit de
l'estime personnelle qu'il avait pour celui-ci, Cuénot
n'admettait pas la manière dont il mêlait science et
métaphysique.
On a enfin souvent évoqué l'horizon prétendument
religieux des réflexions de Cuénot sur la finalité. Annette
Chomard-Lexa établit au-delà de tout doute possible que
"Cuénot n'a jamais eu de sentiment religieux". Agnostique, il
n'avait rien d'un catholique engagé. Il était certes prudent
dans ses rapports avec l'Eglise, et il a par orgueil accepté les
honneurs qui se présentaient (il fut membre de l'Académie
Pontificale). Mais il est tout simplement faux qu'il ait été un
"grand intellectuel catholique", ou même un compagnon de
route des catholiques. Ce que l'on trouve en revanche dans
son œuvre, c'est un panthéisme diffus mêlant
l'émerveillement devant la nature, des références
sympathisantes pour Spinoza et d'Holbach, et une confiance
sans réserve dans la science positive, seule religion qu'il
admettait. Les plus belles pages d'Annette Chomard-Lexa
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sont à notre sens celles qu'elle consacre aux rapports de
Cuénot avec la philosophie et la religion.
Outre les rectifications qu'elle apporte, cette
biographie permet au lecteur de mesurer l'ampleur de l'œuvre
scientifique de Lucien Cuénot. Zoologiste avant tout, Cuénot
était un spécialiste des invertébrés. Il affectionnait les
groupes peu étudiés (échinodermes, sipunculiens, priapuliens,
etc.) Il s'est aussi hasardé à faire un arbre phylogénétique
général des animaux. Longtemps, le Palais de la Découverte
a exposé une version simplifiée de cet arbre. Il faut souligner
l'originalité de l'entreprise : dans la période 1900-1950, les
paléontologues
français
ont
délibérément
et
systématiquement évité de faire des arbres phylogénétiques,
particuliers ou, à fortiori, généraux.
Le naturaliste Cuénot était aussi porté à la théorie.
Annette Chomard-Lexa décrit en détail son engagement
darwinien et weismanien dans les années 1890, sa théorie de
la préadaptation, ses discussions critiques sur le
néo-darwinisme puis la théorie synthétique, ses profondes
pensées sur le concept d'espèce et d'adaptation.
La contribution expérimentale de Cuénot à la
génétique naissante n'est enfin pas oubliée. C'est évidemment
cette contribution qui dans les années 1900 à 1930 a conféré
à Cuénot une notoriété internationale. Il fut un temps l'un des
plus respectés généticiens de la souris. L'on sous-estime
d'ailleurs parfois la reconnaissance dont il a fait l'objet en
France même. En 1912, l'Académie des Sciences lui décerna
le prestigieux Prix Cuvier pour ses travaux de génétique. Plus
tard, nous révèle Madame Chomard-Lexa, sur la base du
témoignage de René Cuénot (fils du biologiste), on lui
proposa une chaire de génétique à Paris, qu'il déclina.
Sur ce sujet de l'hérédité, Annette Chomard-Lexa
clarifie un point qui était obscur. Cuénot se rendit au Congrès
— 9 —
d'eugénique de New-York en 1921 en compagnie de Lucien
March et de Georges Vacher de Lapouge. Mais d'après
Madame Chomard-Lexa il n'aurait pas été membre de la
Société française d'eugénique. Ceci contredit une affirmation
courante chez les historiens des sciences. Selon Madame
Chomard-Lexa, Cuénot n'aurait jamais développé de thèmes
proprement eugéniques. Il aurait plaidé au contraire pour le
métissage comme moyen d'accroissement de la vigueur des
populations. Nul doute que les historiens liront avec attention
les développements de l'ouvrage, et souhaiteront aller plus
loin.
Comme on le voit, le livre d'Annette Chomard-Lexa
restitue une image complète, rectifiée, et souvent insolite, du
biologiste influent qui fut Lucien Cuénot. Comme l'auteur le
dit elle-même, il s'est agi de situer l'œuvre par rapport à
l'homme, et par rapport aux contextes divers dans lesquels il
s'est situé. L'une des surprises les plus inattendues de
l'ouvrage vient dans la section où il est question de la création
et de la construction du Musée de Zoologie de Nancy. Cuénot
ne fut pas seulement le héros scientifique, par le biais des
15000 spécimens de sa collection qu'il exposa. Ses contacts
américains dans les années 1920 semblent avoir joué un
certain rôle dans la conception architecturale du Musée. On y
trouve en effet un écho des réalisations de Franck Lloyd
Wright. Il fallait sans doute que l'auteur fût lorraine pour
mettre à jour cette dimension de la vie de Lucien Cuénot.
Jean Gayon
Professeur à l'Université Paris-1-Panthéon Sorbonne
— 10 —
Avant Propos
La renommée de Lucien Cuénot est universelle. C'est
en effet ce biologiste nancéien d'adoption, parisien de
naissance, qui a démontré le premier que les lois de l'hérédité
s'appliquaient aussi aux animaux. Lucien Cuénot se lance très
jeune dans la génétique animale. Ses travaux publiés en 1902
ont un retentissement considérable au sein de la communauté
scientifique internationale qui découvre ainsi l'unité du
monde vivant. Les lycéens ou collégiens du monde entier
apprennent comment se transmettent les caractères blancs ou
gris du pelage des souris sans savoir que ces lois ont été
découvertes par Lucien Cuénot. Même dans sa propre ville,
où il a vécu soixante ans, Lucien Cuénot est toujours un
inconnu. Cent ans après ses célèbres découvertes, cet ouvrage
vient combler ce vide et son auteur, Annette Chomard-Lexa,
retrace l'œuvre et le parcours de l'homme et du scientifique
dans le contexte des grandes découvertes du dix-neuvième et
du vingtième siècles.
En juillet 1858, indépendamment l'un de l'autre,
Charles Darwin et Alfred Wallace présentent à Londres à la
séance de la Linnean Society, deux mémoires sur la théorie
de l'évolution par sélection naturelle. Puis Gregor Mendel
découvre les lois de l'hérédité. La théorie dite du
néodarwinisme est née. Elle doit beaucoup aux réelles
contributions que Lucien Cuénot lui apporte par la suite.
Mais ses mérites ne s'arrêtent pas là. De 1908 à 1912, il
entreprend un travail de pionnier sur le cancer et démontre
qu'un carcinome de la souris était héréditaire.
Alors conservateur du Musée de Zoologie depuis
1898, Lucien Cuénot propose en 1930 la construction rue
Sainte Catherine d'un bâtiment original, sans fenêtre,
spécialement destiné à la conservation et à l'étude des
— 11 —
collections
de
zoologie.
Aujourd'hui
dénommé
Muséum-Aquarium de Nancy, géré par la Communauté
Urbaine du Grand Nancy, en partenariat avec l'Université
Henri Poincaré, ce bâtiment est à l'aube de sa rénovation.
Dans le cadre de sa compétence en matière de culture
scientifique et technique, le Grand Nancy est à l'initiative de
la nouvelle muséographie qui rendra hommage aux études et
aux approches pédagogiques de Lucien Cuénot, notamment
par le biais de son Arbre généalogique du règne animal.
Synthèse d'une partie de ses travaux, cet arbre, élaboré en
1936, a pour point de départ un organisme unicellulaire. Il fut
repris par l'artiste Marcel Guillard en 1945 et présenté à
l'Exposition Universelle au Palais de la Découverte à Paris,
puis offert au Muséum-Aquarium de Nancy par la famille de
Lucien Cuénot en 1994.
Les découvertes de Lucien Cuénot sont innombrables.
Annette Chomard-Lexa a recensé avec un soin extrême
l'ensemble de ses 300 publications qui se sont succédé de
1886 à 1951, l'année de sa mort. En scientifique et
historienne, Annette Chomard-Lexa a retracé avec rigueur
l'aventure d'un des plus grands biologistes du début du
vingtième siècle, qui a été en étroite relation avec les
personnalités les plus en vue de l'histoire de l'évolution et de
la génétique. Ce livre permettra aux lecteurs de découvrir ce
que Lucien Cuénot a apporté à l'histoire du monde vivant et
constitue le point de départ d'une nouvelle reconnaissance.
André Rossinot
Maire de Nancy
Président de la Communauté Urbaine du Grand Nancy
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Introduction
Ouvrir pour la première fois depuis cinquante ou cent
ans des ouvrages poussiéreux, des manuscrits, des lettres
encore dans leur enveloppe, jaunis par le temps et oubliés du
monde des vivants, ne se fait pas sans émotion : la vie est
plus forte que tout, le passé a bien peu d'intérêt pour l'homme
de science, avide de découvertes, vivant dans le futur proche.
Mais s'arrêter un instant, relire ces auteurs oubliés, c'est
prendre soudain conscience que le monde est un éternel
recommencement : les hommes poursuivent sans cesse le but
d'accroître leurs connaissances, leur emprise sur le monde et
la matière dont ils cherchent à percer les mystères, et tel
Faust, sont prêts à vendre leur âme au diable pour leur quête
de l'éternité. Mais la nature ne se laisse pas prendre si
facilement, elle est imprévisible. L'évolution biologique est
par essence imprévisible. La quête du naturaliste, assoiffé de
connaissances, ne lui laisse aucun repos.
Retourner sur les traces de Lucien Cuénot, c'est
revivre presque un siècle de découvertes exaltantes mais
aussi d'incompréhensions, de balbutiements, de frustrations,
de dérives. C'est aussi revivre la formidable aventure de
l'évolution de la vie telle qu'elle put enfin être comprise grâce
à la génétique, la science du XXe siècle dont nous vivons
maintenant les applications pratiques, celles qui firent rêver,
espérer tant d'hommes et qui donna aussi de bien lugubres
pensées aux totalitaristes de ce siècle. Car l'évolution n'exista
véritablement en tant que discipline scientifique qu'à la
deuxième moitié du XXe siècle. Elle a bouleversé le
fondement même des sociétés occidentales depuis Darwin : la
sélection naturelle, la contingence, autant de concepts
— 13 —
révolutionnaires qui n'allaient pas être acceptés d'emblée car
les répercussions sociales étaient et sont encore trop grandes.
Si je suis née, si j'ai grandi et si j'ai toujours vécu en
Lorraine, si j'y ai fait toutes mes études de biologie, c'est avec
étonnement, aujourd'hui, que je découvre l'oubli de cet
homme de science, qui fut pourtant un zoologiste de tout
premier plan, académicien couvert d'honneurs, un des rares
biologistes français d'audience internationale à figurer dans
les bibliographies anglo-saxonnes de la première moitié du
XXe siècle. Formée à l'Université de Nancy au début des
années 80, je n'ai retrouvé mention du nom de Lucien Cuénot
que dans le cours de zoologie du Professeur Condé,
zoologiste arrivé au laboratoire de la rue Sainte Catherine au
sortir de la guerre. Et encore, s'agissait-il d'une ou deux
lignes au sujet de la théorie de la préadaptation.
Lucien Cuénot, bien qu'il ne fût pas lorrain, a vécu
soixante ans à Nancy où il mourut le 7 janvier 1951 :
naturaliste imminent, pionnier de la génétique, il contribua
grandement à faire rayonner l'université de Nancy, en digne
successeur de Godron. Il vécut une époque exaltante avec la
découverte vers 1900 de la génétique mendélienne à laquelle
il participa au tout premier plan, avec l'avènement de la
théorie synthétique de l'évolution vers 1940 intégrant
génétique des populations et darwinisme modernisé. Il
contribua inlassablement — on le sait moins, la mémoire est
ingrate — à défendre envers et contre tout le transformisme
darwinien, contre le néo-lamarckisme mais aussi contre le
créationnisme. Et c'est dans un climat français de farouche
hostilité face à ce courant de pensée que l'inclassable Cuénot,
néo-darwinien insatisfait, proche d'un Jean Rostand qui plus
tard sut lui rendre hommage, naturaliste intuitif teinté de
philosophie bergsonienne, traversa son époque avant de
laisser un testament intellectuel dans un ultime élan
— 14 —
pathétique. Cuénot était animé par la volonté de tout
connaître, tout comprendre, sans cesser d'exercer son esprit
critique, embrassant toute la vie animale passée et présente,
entreprise démesurée pour un seul homme.
La découverte de nombreuses archives et documents
totalement inédits et inconnus jusqu'à ce jour, tant privés que
professionnels, ont rendu l'homme attachant à plus d'un titre.
Ce qui ressort d'emblée chez cet homme, c'est cette quête
incessante, la quête d'une Weltanschauung* ; on ne reste pas
insensible face à ce courant de vie formidable, cette insatiable
soif de connaître qui l'animait, surtout au travers des lettres et
notes écrites de la main tremblante d'un homme qui se savait
aux portes de la mort. Ce qui séduit particulièrement, c'est le
libre-penseur, adogmatique, indépendant et que l'on ne peut
rattacher à aucune chapelle. Et c'est l'imagination qui, grâce à
l'impressionnante collection de photographies consultées, a
emmené l'auteur sur les traces d'une biologie d'un autre âge,
mais qui pourtant, était en train de construire celle
d'aujourd'hui. Des plages d'Arcachon aux laboratoires de
Roscoff, de la chambre aux souris de la place Carnot aux
séances en habit de l'Académie des sciences, des explorations
des mines de fer abandonnées aux vieilles vitrines du Musée
de zoologie de la rue Sainte Catherine — qui vient de tirer un
trait définitif sur le 'Musée Cuénot' tel qu'il fut conçu à
l'origine, en le rénovant, ceci dit sans nostalgie aucune — un
monde renaît, un monde perdu, un monde ni meilleur ni pire
que le nôtre mais animé sans aucun doute d'un enthousiasme,
d'un espoir de tous les possibles, et d'un émerveillement que
nous avons perdu.
Mais l'ambition de ce travail est aussi de rétablir une
part de vérité : l'image de Lucien Cuénot, véhiculée depuis 50
ans, doit être revisitée. Il y eut à l'époque quelques phrases
assassines et sans fondement, inspirées par des idéologies
— 15 —
dogmatiques : elles ont suffi à faire tomber l'œuvre de Lucien
Cuénot dans l'oubli. Il fut classé dans le groupe des
néo-darwiniens insatisfaits car certes, Lucien Cuénot refusa
d'accorder un rôle évolutif important à la sélection naturelle.
Et il n'a pas pris en compte les phénomènes évolutifs en
terme de pools génétiques de populations, s'en tenant à
l'individu et à son patrimoine héréditaire. Il s'est vu classé
dans le groupe des biologistes français qui n'ont pas voulu se
rallier avec enthousiasme à la nouvelle théorie synthétique de
l'évolution et il fut rangé trop vite, par les jeunes générations,
parmi les finalistes, les spiritualistes. Ce travail, par une
analyse approfondie des 60 années de recherches naturalistes
de Cuénot, porte un regard neuf sur l'œuvre. Il importe de
faire remarquer que durant tout ce travail, ce sont
essentiellement les livres personnels de Lucien Cuénot qui
ont été utilisés ; ainsi l'ouvrage est construit autour des
personnages avec lesquels il a communiqué et autour des
connaissances scientifiques dont on peut être sûr qu'il
possédait.
Plus récemment, des lectures insuffisamment
approfondies — jusqu'à confondre thèse et antithèse, un à
priori idéologique incapable de sortir du vieux débat éculé
entre matérialistes et finalistes, un manque de recul
conduisant à des reproches anachroniques, une
méconnaissance de la biologie actuelle, contribuèrent à
continuer à faire circuler des lieux communs. A cet égard,
saluons les biologistes Hervé Le Guyader et Armand de
Ricqlès qui ont su récemment porter un regard neuf sur
Cuénot. L'intérêt des historiens des sciences pour Lucien
Cuénot remonte à 1976 avec l'étude canadienne de Camille
Limoges ; elle semble pourtant n'avoir pas eu d'écho en
France. Denis Buican y contribua également quelques années
plus tard, en 1981. Enfin, l'excellente connaissance du
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darwinisme historique a conduit Jean Gayon à s'intéresser
aussi à Lucien Cuénot.
Il faut utiliser à la fois la rigueur du travail de
l'historien et du scientifique. Le regard de l'historien demande
de mettre un temps de côté les connaissances scientifiques
actuelles et qu'on oublie les évidences comme la structure et
le fonctionnement du code génétique et la biologie
moléculaire, inconnus jusqu'à la mort de Cuénot. Il demande
aussi d'éviter autant que faire se peut de projeter sa propre
vision du monde, ce qui est difficile. Mais, si l'on en est déjà
conscient, le terrain est déjà mieux préparé. Il faut ensuite
refaire le chemin de la découverte, petit à petit, avec ses
incertitudes, et alors, les connaissances de la biologie actuelle
viennent éclairer d'elles-mêmes l'œuvre.
Il y a aussi la difficulté que représente les différents
niveaux de lecture de l'œuvre : aujourd'hui, la biologie, et ce
depuis 50 ans, est devenue biologie cellulaire et moléculaire.
L'évolution est une science en soi, qui dispose d'une théorie,
le darwinisme. Ors l'immense majorité des grands biologistes
ne travaillent plus depuis longtemps au contact de la nature.
Ce qui semble avoir fait défaut dans la compréhension de la
pensée évolutionniste de Lucien Cuénot, c'est l'intuition
naturaliste. Tout se passe comme si l'observation naturaliste
était regardée aujourd'hui comme un passe-temps d'un autre
âge ; anecdotique et dépassée, elle fut jugée non nécessaire et
non suffisante puisque la biologie moderne orientait la
compréhension du vivant au niveau de la cellule et de la
molécule depuis une quarantaine d'années, avec l'a priori que
l'étude des parties du vivant suffiraient à expliquer le tout.
L'approche populationnelle consista en l'utilisation de
modèles mathématiques statistiques, où le meilleur côtoie le
pire. Ainsi, aujourd'hui, que l'on soit historien des sciences,
philosophe des sciences ou scientifique, nous avons perdu
— 17 —
contact avec cette approche première, qui consiste
simplement à poser son regard sur les êtres vivants dans leur
milieu naturel. Or, ce sont justement les naturalistes qui
furent taxés de finalistes, par leurs remarques embarrassantes,
n'entrant pas dans le modèle bien huilé de la nouvelle théorie
synthétique de l'évolution. On a eu vite fait de leur coller les
étiquettes de métaphysiciens ou spiritualistes. Ils en sont
d'ailleurs responsables eux-mêmes. Mais comme tente de le
montrer ce travail, l'approche naturaliste peut conduire à une
toute autre vision du monde dont l'importance n'est pas des
moindres.
Aujourd'hui, les processus génétiques et épigénétiques
de la biologie du développement nous font découvrir la
formidable inventivité du génome, l'admirable unité du règne
vivant, fournissant toutes les raisons de penser que,
décidément, Cuénot était, intuitivement, un grand biologiste,
un des derniers grands naturalistes français, et qu'il méritait
un coup de chapeau à l'aube de ce XXIe siècle et quelque cent
ans après l'avènement de la génétique.
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Chapitre I : Lucien Cuénot, un homme au
tournant du siècle
“ Aux heures de doute et de lassitude, rappelons-nous aussi que
l'homme de science ne meurt pas tout entier ; il reste quelque chose
de lui dans le patrimoine intellectuel de l'humanité, aussi
longtemps que celle-ci existera sur cette terre ; les idées et les faits
qu'il aura semés durant sa vie se mêlent aux autres connaissances
humaines, pour contribuer à la moisson de l'avenir. ”
Cuénot, discours, 1898, p.14.
Lorsque l'on a la chance de vivre longtemps, on laisse
malheureusement l'image d'un vieillard à la postérité : les
rares auteurs français qui se sont penchés sur Cuénot ont
souvent insisté sur la dernière période de sa vie (les années
1930-1950) avec sa théorie finaliste, sa vision sombre de la
vie aux portes de la mort. Mais Lucien Cuénot, mort à 84 ans,
fut un homme jeune d'une extraordinaire maturité scientifique
: découvrant les lois de Mendel chez la souris en 1902 — il a
36 ans — il devient le premier généticien français. Arrivé à
Nancy en 1890, il y vécut toute sa vie et y mourut en 1951.
Zoologiste éminent et grand spécialiste des échinodermes,
auteur d'une théorie évolutive originale, couvert d'honneurs,
auteur de très nombreux articles, de plusieurs ouvrages qui
ont marqué leur époque, il sut enthousiasmer les étudiants et
le public durant plus de cinquante ans et remettre en cause
ses idées jusqu'au bout.
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Les jeunes années parisiennes
Nous sommes pendant la guerre de 1870-7 ; Napoléon
III a perdu la guerre contre la Prusse. Après un hiver terrible,
les Allemands sont aux portes de Paris. Le gouvernement de
Thiers, installé à Versailles, n'arrive pas à calmer les émeutes
révolutionnaires dans Paris où s'est constituée la Commune.
Le père de Lucien Cuénot, postier aux Batignolles, rejoint les
Versaillais après avoir combattu les Allemands. Il avait perdu
alors tout contact avec sa femme et son fils, restés dans Paris
assiégé. Lorsque les Versaillais rentrèrent dans Paris, par un
dimanche après-midi où Madame Cuénot promenait son fils
dans les rues du quartier des Batignolles où ils habitaient, le
jeune Lucien attira l’attention de sa mère : “ Tiens, c’est
papa! ”. Monsieur et Madame Cuénot, séparés depuis la
déclaration de guerre se retrouvèrent et la petite Jeanne
naquit trois ans plus tard (entretien, Cuénot R., 2001).
Lucien Claude Jules Marie Cuénot est né le 21
octobre 1866 à Paris, rue Legendre dans le XVIIe
arrondissement (Courrier, 1952, p. 2). En réalité, il possédait
des racines paternelles franc-comtoises : son père et son
grand-père étaient nés dans le département du Doubs à
Ornans, la ville natale du peintre Gustave Courbet. Un oncle
de Lucien Cuénot, enfant de chœur, servit d'ailleurs de
modèle à Courbet dans son "Enterrement à Ornans". Sa mère,
née Merlet, était originaire de Versailles (ibid.). C'est à elle
qu'il ressembla physiquement, ayant hérité de sa forme de
visage et de son regard. Il comptait aussi dans sa branche
maternelle un oncle archiviste en Eure-et-Loire, Lucien
Merlet, correspondant de l'Institut. La tradition chartiste
semble s'être perpétrée dans cette branche (Marot,
hommages, 1986, p. 11).
— 20 —
Il conserva un mauvais souvenir du siège de Paris
(ibid.). Une anecdote persista : celui de chocolat qui avait
fondu sur le marbre de la cheminée parce qu'il contenait de la
gélatine (Les Nouvelles littéraires, entretien, 1933).
Il prépara son certificat d'études dans une institution
privée — l'enseignement laïc et obligatoire date de 1882 —
puis obtint une bourse de la mairie de son quartier pour
poursuivre ses études au Collège Chaptal (ibid.). Tout jeune,
il développa un goût pour l'observation de la nature et fut
remarqué plus tard par un professeur d'histoire naturelle du
Lycée Chaptal. Cela paraît paradoxal qu'un petit Parisien
puisse trouver à Paris des sujets d'observation naturaliste
mais à cette époque, Paris n'était pas encore la ville qu'elle est
devenue, on y trouvait tout d'abord des chevaux, les oiseaux
y étaient encore nombreux, il y avait plus de parcs et de
jardins publics, et il était encore facile de sortir rapidement en
campagne avant que celle—ci ne soit gagnée par la banlieue.
Cuénot profitait de ses voyages scolaires offerts aux
meilleurs élèves du collège et des ses excursions dans les
fortifications et les environs de Paris pour ramener et
collectionner tous les animaux, plantes, roches et fossiles
qu'il trouvait (ibid., p. 3 ; Tétry, 1978, p. 243), et rassemblait
dans un album (archives Tétry) des gravures d'animaux
sauvages. Plus grand, au cours de ses promenades aux portes
de Paris, il ramenait grenouilles, crapauds, couleuvres, etc.
Un moment tenté par la géologie, il comprit vite que c'était la
paléontologie qui l'attirait et décida de suivre des cours de
zoologie après le baccalauréat (Courrier, 1952, p. 3).
— 21 —
L'âge d'homme
Le jeune Lucien Cuénot, épris de la curiosité des
choses de la nature, souhaita désormais consacrer sa vie à
l'étude des animaux, des minéraux, de la géologie ; il lui
fallait pour cela entrer dans l'enseignement supérieur
(entretien, article, Léon Daudet, 1938). Il réussit brillamment
son baccalauréat et entra directement à la Sorbonne en 1883 à
l'âge de 17 ans, décidé à approfondir ses connaissances en
sciences naturelles (Cuénot, discours, 1948). Les cours
d'alors sentaient la poussière, “ des professeurs fatigués
donnaient des cours fastidieux et le muséum oublieux de ses
gloires sommeillait ” (Cuénot, discours, 1848 et introduction,
manuscrit de L'évolution biologique). Pourtant les cours
d’Henri de Lacaze-Duthiers l'enthousiasmèrent (Cuénot,
introduction, manuscrit de L'évolution biologique) et il
admirait Yves Delage et Alfred Giard (Les Nouvelles
Littéraires, entretien avec F.Lefèvre, 1933). Il fut reçu
premier en licence en 1885 (Courrier, ibid.) et alla passer un
mois au laboratoire de zoologie marine de Roscoff (lettre
Cuénot à Courrier R., 14 août 1943). A ce moment, il pouvait
choisir entre la recherche ou l'enseignement et il opta pour la
recherche. Son service militaire se passa à Beauvais (Les
Nouvelles Littéraires, ibid.). Il retourna à Roscoff de mai à
juillet 1886 pour entreprendre son sujet de thèse sur les
échinodermes (ibid.) et obtint son titre de Docteur ès sciences
naturelles en 1887. Il avoua avoir préparé sa thèse, livré à
lui-même, sans conseil, fréquentant un laboratoire de la
Sorbonne “ sombre, étroit, fort incommode ” (Cuénot,
discours, L'Epée d'académicien, 1935). Soutenue le 11
novembre 1887 devant un jury composé d’Edmond Hébert,
Henri de Lacaze-Duthiers et Gaston Bonnier, cette thèse
présentait sa contribution à l'étude anatomique des astérides.
— 22 —
Ce travail histologique et anatomique fut réalisé au
laboratoire de zoologie expérimentale d' Henri de
Lacaze-Duthiers à la Sorbonne, puis poursuivi au cours de
deux séjours au bord de la mer, dans les stations maritimes de
Roscoff puis de Banyuls (Courrier, ibid. ; Cuénot, Thèse,
1887). Nommé préparateur d'anatomie et de physiologie
comparées à la faculté des sciences de Paris, il entreprit des
études de médecine qu’il ne poursuivit pas (Courrier, ibid.)
car il fut nommé en janvier 1890 chargé de cours
complémentaire de zoologie à la faculté des sciences de
Nancy (Cuénot, discours, 1948). Il s'y installa avec ses
parents et sa sœur Jeanne en janvier 1890 (Courrier, ibid.).
En 1895 il dispensait la zoologie pour le certificat d'étude
supérieure de physique, chimie et sciences naturelles
(P.C.N.), rendu obligatoire pour les futurs étudiants en
médecine. Déjà à cette époque, il laissait un souvenir
admiratif pour la clarté d'élocution, et l'intelligente pédagogie
dont il faisait preuve. La faculté des sciences était située
place Carnot. Il vivait avec sa famille dans un appartement
situé dans un petit passage entre la rue Saint-Dizier et la rue
des Dominicains. Cet appartement abritait toute une faune
(grenouilles, insectes, escargots ...) dont s'occupait sa famille
(entretien, Cuénot R, 2000). Il continua à fréquenter la station
de Roscoff pendant les vacances de 1893 jusqu'à son
mariage. Il y retrouvait d'autres zoologistes passionnés
comme Yves Delage et Emile Racovitza (album famille
Cuénot, annotations). En 1897, de retour à Nancy, il
remerciait son cher et illustre, son éminent maître, Henri de
Lacaze-Duthiers, de la cordiale hospitalité du laboratoire, “
sorte de couvent laïque ”, mais constatait déjà que Roscoff
avait bien changé sous l'affluence des baigneurs
(Correspondances avec Lacaze-Duthiers, 27 mai 1893, août
1893 et 4 septembre 1897). Il profita de sa vie de célibataire
— 23 —
pour excursionner (Aix-les-Bains, les Vosges tous les ans
avec l'Ecole de pharmacie) et pour faire de l'escrime (ibid.). Il
retrouva un ami, un certain Allotte, étudiant à l'Ecole
forestière de Nancy en 1894 : des relations amicales se
nouèrent avec des élèves de cette école et il devint ainsi l'ami,
puis le "maître" de Philibert Guinier (1876-1962) qui fut
directeur de cette même école en 1921 et membre de l'Institut
(Courrier, 1952, p. 6, Encyclopédie lorraine, 2000, p. 177).
En août 1898, il se rendit à Londres et à Cambridge
avec une délégation française comprenant entre autres le
géologue Schlumberger et le zoologiste Alphonse
Milne-Edwards (album famille, annotations). En 1899, il
perdit son père victime d'une mauvaise chute dans un escalier
de cave (Cuénot R, ibid.). Il attendit 1900 — le 31 juillet —
pour se marier à la mairie du Xearrondissement de Paris avec
Geneviève de Maupassant, née le 24 février 1881 à Paris
(Courrier, ibid.). Le père de celle-ci, issu d'une famille
aristocratique champenoise (Vertus), avait fait fortune dans
les chemins de fer de l'Est. De cette union, naquirent six
enfants : Nelly (1901-1988) qui fût directrice du dispensaire
d'hygiène sociale à Baccarat, Lucienne dite Lucette
(1902-1988), Alain (1905-1988) chirurgien-accoucheur à
Arcachon, Claude (1911-1992) normalien, docteur ès lettres
et professeur agrégé de lettres au lycée Henry IV,
Marc-Antoine (1914-1962) ingénieur agronome au Maroc et
René né en 1917, titulaire d'un D.E.S. en histoire et
géographie et bibliothécaire à Nancy (Courrier, ibid. ; Cuénot
R, ibid.). Cuénot perdit en 1947 son épouse, femme et mère
de famille dévouée qui sut le décharger des soucis
domestiques : il semble qu'il garda le regret de n'avoir pas pu
partager sa passion scientifique avec elle et qu'elle regretta de
ne pas avoir eu l'occasion de sortir souvent car son mari était
casanier (Correspondance, Merlet M.M., 22 décembre 1947).
— 24 —
Il est probable que sa profession lui apportait suffisamment
de relations enrichissantes, et de voyages et qu'il trouvait au
sein de sa famille le repos compensateur. Il reconnut aussi ne
pas avoir suffisamment développé l'art d'être grand-père. Son
fils ajoute que son père ne se soucia jamais de l'éducation de
ses enfants, il semblait régner un certain laxisme, entre une
mère très maternelle et un père souvent absent (Cuénot R,
ibid. ; Correspondance Merlet M.M., 22 décembre 1947).
Fernand de Maupassant possédait une propriété à
Arcachon. En fait, il dirigea la construction de la voie ferrée
qui reliait Bordeaux à Arcachon. C'est ainsi qu'Arcachon
devint station balnéaire et Monsieur de Maupassant — qui
s'était arrogé le droit de reprendre la particule perdue lors
d'une union roturière — fut à l'origine du casino ; s'il fit des
affaires immobilières fructueuses à Arcachon (où l'on trouve
encore une villa Maupassant, et, à côté, une villa Nelly du
nom de la première fille de Cuénot), cela ne l'empêcha pas de
perdre sa fortune et de venir d'installer à Nancy avec sa
femme (entretien, Cuénot R, 2001). Arcachon possédait une
station de biologie marine, émanation de la faculté des
sciences de Bordeaux. Toutes ses longues vacances — la
rentrée universitaire avait lieu début novembre — se
passèrent en famille à Arcachon jusqu'en 1919 (Courrier,
ibid.) : à la vie de famille avec les bals costumés, se
succédaient les excursions dans les dunes, la pêche en mer,
les travaux de laboratoire et la rédaction de publications sur
la faune du bassin d'Arcachon (album famille, annotations). Il
y rencontrait Georges Bohn et Anna Drzewina (dédicace
Bohn et Drzewina, La chimie de la vie, 1920 ; photos album
famille). Plus tard, ce sera Houlgate (Calvados) ou
Saint-Gildas (Morbihan) près de la famille Merlet (ibid.).
— 25 —
Cuénot professeur
Il fut nommé titulaire de la chaire de zoologie de
Nancy en 1898, à l'âge minimum requis, soit 32 ans
(Courrier, ibid.) Il consacra surtout ses premières années à la
préparation de ses cours : l'enseignement le passionnait, ses
cours étaient réputés pour leur grande clarté. Ses croquis au
tableau noir se faisaient selon une convention de couleur
toujours respectée, dans l'esprit des dessins de
Lacaze-Duthiers (Tétry, Hommage 1967, p. 6). Il illustrait
toujours ses cours d'échantillons qui, nombreux, venaient
encombrer la table. Il venait régulièrement aux séances de
travaux pratiques où, sortant de sa poche un humérus de
taupe ou une dent de carpe, il posait des questions
embarrassantes à ses étudiants. A un jeune ecclésiastique, il
répondit un jour : “ Votre dessin est d'une imprécision toute
théologique ! ” (Courrier, 1952, p.6). Un témoin (qui souhaite
conserver l'anonymat) étudiant dans les années 1940 à
Nancy, rapporte à l'auteur du présent ouvrage qu'à cette
époque, les blagues de potache plutôt grivoises du professeur
nancéien circulaient encore allègrement, preuve s'il en est de
l'influence qu'il eut sur la jeunesse estudiantine. En
amphithéâtre, où notre homme exposait doctement la
supériorité des hommes d'Amérique du Sud, mieux fournis
par la nature qu'ailleurs, une étudiante, furieuse et choquée,
s'apprêta à quitter les lieux : notre docte professeur,
malicieux, envoya à la volée : “ Ne vous pressez pas
Mademoiselle, le bateau pour l'Amérique du Sud ne part que
dans quinze jours ! ”. Lors d'un examen du baccalauréat,
alors qu'une jeune fille arrivait en retard à sa convocation,
Cuénot lui rappela fermement le règlement et ajouta : “
Prenez la queue des hommes, Mademoiselle, et attendez que
— 26 —
ça vienne ! ”. Les excursions organisées pour la licence et
dirigées par le Maître (forêt de Haye, pelouses calcaires...)
laissent un excellent souvenir (Tétry, Hommages, 1967, p.7)
et semblaient se dérouler dans la bonne humeur si l'on en
juge par les photos de l'album de famille.
Outre les cours de zoologie, Cuénot donna
régulièrement un cours de biologie générale — appelé plus
tard zoologie générale — plus spécialement destiné au
Certificat d'évolution ; il fit des disciples, sut enthousiasmer
les jeunes étudiants. Ce cours avait lieu le mercredi
(document Instruction publique 1927-1928) et médecins,
pharmaciens, professeurs agrégés, philosophes, forestiers,
agronomes, etc., y assistaient. Le Maître y présentait les
dernières découvertes de l'hérédité, de l'évolution, de
l'adaptation, de la sexualité : apprendre à bien penser, à
développer son esprit critique, établir ce qu'est une
expérience bien faite, tels étaient les objectifs de Cuénot
(Tétry, ibid.). Son cours de P.C.N. servit de modèle à tous les
traités de zoologie élémentaire écrits ensuite. Il donna aussi
des cours de zootechnie générale (zoologie agricole). Ses
cours furent à l'origine de l'œuvre didactique qu'il entreprit
par nécessité à partir de 1911 avec sa première Genèse des
espèces animales. Auparavant deux ouvrages de jeunesse
eurent un certain succès au point d'orienter les vocations de
jeunes lecteurs (Marot, Hommages 1967, p.14) : Les moyens
de défense dans la série animale et L'influence du milieu sur
les animaux. Les ouvrages de cette première époque avaient
l'originalité d'être écrits dans un esprit nettement darwinien,
bien que déjà marqué par l'empreinte originale de sa pensée
(préadaptation...), à l'opposé des ouvrages de biologie de
l'époque en France, tous teintés de lamarckisme. La Genèse
des espèces animales connut deux versions réactualisées et
remaniées en 1921 et en 1932, L'évolution biologique, édition
— 27 —
posthume de 1951, écrite en tandem avec André Tétry et
pouvant être considérée comme l'ultime version réactualisée
de sa Genèse. Tous ces ouvrages frappent par l'abondance de
cas, d'exemples pris dans les travaux publiés en France
comme à l'étranger — travaux essentiellement anglais et
allemands. Chacun de ces ouvrages bénéficiait ensuite d'une
mise à jour bibliographique permanente directement dans le
texte. En 1925, il frappa encore un coup fatal au lamarckisme
avec L'Adaptation. Inspiré de Godron dont il est le digne
successeur et à qui il dédia ce livre. Il écrivit aussi un
ouvrage imposant en s'attaquant à la notion même d'espèce :
L'Espèce, paru en 1936. Il prit sa retraite de professeur le 30
septembre 1937. L'année suivante, il obtint le titre de
directeur de recherche à allocations réduites car il suivait
encore trois thèses. Mais il confia dans un courrier du 5
décembre 1938 à Robert Courrier — secrétaire perpétuel de
l'Académie des Sciences — les vicissitudes de son nouveau
statut de retraité. Robert Courrier (1895-1986) était
physiologiste et endocrinologue à Nancy qu'il quitta après la
première guerre mondiale pour Strasbourg. Il fut secrétaire
perpétuel de l’Académie et auteur de la nécrologie de Lucien
Cuénot. Il était aussi un sympathisant lamarckiste
(Encyclopédie lorraine, 2000, p.33-34). “ J'ai eu à la Faculté
des ennuis assez graves ; il était entendu avec mon successeur
et ancien élève que je garderais un laboratoire monté dans
l'Institut de Zoologie pour me permettre de continuer à
travailler. Une fois nommé, il a changé complètement de
manière, et très adroitement, feignant de faire une demande
de transfert, il a mis en demeure la faculté de choisir entre lui
et moi. Celle-ci, composée maintenant de jeunes, n'a pas
hésité, et j'ai été mis à la porte sans ménagement ”. Paul
Rémy (1894-1962) fut successeur au poste de Cuénot : cet
ancien élève, licencié de sciences naturelles en 1920, docteur
— 28 —
en 1925, assistant de zoologie à Nancy, avait été nommé
auparavant maître de conférence à Strasbourg ,sur
recommandation de Cuénot lui-même (lettre Cuénot à
Courrier, 10 mars 1932). Les principaux sujets de recherche
de Paul Rémy furent le prolongement de ceux de Cuénot : la
saignée réflexe, le déclenchement de la métamorphose,
l'excrétion et la phagocytose, la respiration des vertébrés, la
géonémie — faune épigée, faune cavernicole dans les
Balkans en 1930, et à Sainte-Reine près de Toul. Il participa
également à l'expédition Charcot au Groenland. Cuénot
l'avait chaudement recommandé à l'Académie des Sciences
comme en témoigne une lettre à Robert Courrier du 10 mars
1932. D'après René Cuénot (entretien, 2000), on ne peut
accuser Rémy d'avoir chercher à écarter son père qui exagéra
sans doute la situation. En 1938, au cours d'un entretien, le
professeur nancéien se prononçait sur une question
d'actualité, qui allait conduire après la guerre à la création du
CNRS, “ Doit-on créer une catégorie de chercheurs, qui ne
feraient que des recherches, ou combiner, comme cela est en
ce moment, le professeur, la recherche et la direction
d'élèves? ”. La position de Cuénot était très claire : le
chercheur isolé se stérilise rapidement et se spécialise à
outrance. Le chercheur doit être en même temps professeur,
bon ou médiocre. C'est en faisant des cours que l'on acquiert
l'érudition indispensable, que l'on voit les lacunes de la
science. Il est excellent de diriger des élèves, mais Cuénot
souhaitait aussi que l'on débarrassât le professeur accablé de
la paperasserie administrative (entretien, article, Leon
Daudet, 1938).
— 29 —
A l'aube de sa carrière scientifique : le discours
auto-prophétique de 1898
S'ouvrir à la biologie en général n'a d'autre objectif
que la recherche de la vérité et doit être également “ une
source d'idées philosophiques d'intérêt majeur pour l'homme
” (Cuénot, discours, 1898, p. 5). Cette idée annonce la
carrière future de Cuénot, dont les ouvrages écrits surtout
dans le dernier tiers de sa vie peuvent être considérés comme
du matériel biologique de réflexion philosophique. Cette idée
fut d'ailleurs exploitée par sa disciple Andrée Tétry plus tard.
La biologie, par accumulation de petits faits, doit conduire au
progrès général : agriculture, chimie végétale, parasitisme du
bétail, sans oublier ce terrible fléau qu'est le cancer (ibid., p.
5-9). Le biologiste éclaire aussi un autre abîme, la
signification de la vie et “ il a mis au jour de grandes idées
qui font maintenant partie du patrimoine intellectuel de
l'humanité ”. Il conseillait d'ailleurs aux futurs agrégés de
philosophie de venir passer un an dans un laboratoire
d'histoire naturelle (ibid., p. 11), prémonition du travail
qu'allait bientôt élaborer le philosophe Henri Bergson ;
discours prophétique aussi lorsqu'il écrivait (ibid., p. 13) : “
De temps en temps un ouvrier génial, ou simplement
heureux, découvre des filons inconnus, des trajets inédits... ”
ou bien encore “ Il n'est pas paradoxal de prétendre que les
découvertes fécondes se produisent presque fatalement à un
moment donné, par l'accumulation de petites découvertes
patiemment mises à jour […] encourageant les jeunes
générations à creuser son filon, sans crainte, sans se
préoccuper de ce qu'il y a au bout, dans l'unique souci de la
— 30 —
vérité, nous serons récompensés quoi qu'il arrive par les joies
du travail, de la recherche libre et de la découverte ”.
La consécration scientifique
Ses admirables travaux de redécouverte des lois de
Mendel chez la souris, quelque temps avant William Bateson
avec lequel il entretint toujours des rapports amicaux, la
découverte de la létalité génétique quelques années plus tard,
ainsi que ses travaux sur l'hérédité du cancer chez la souris
(sujet totalement inconnu à l'époque), tout cela le propulsa
sur la scène scientifique internationale. Primés au congrès de
Boston en 1907, ses travaux pourtant furent mal compris,
minimisés, ignorés et même critiqués dans le milieu
scientifique français. Thomas Hunt Morgan, le père de la
génétique américaine sut par contre lui rendre hommage. En
1908, il fut invité à Londres où il exposa son travail sur
l'hérédité. Avait-il mal préparé son exposé ? Toujours est-il
qu'il mêla involontairement l'allemand et l'anglais, ce qui
vexa les Anglais — à l'époque, l'entente cordiale
franco-anglaise faisait front contre Guillaume II — et pour
cette raison, il n'obtint jamais de siège à l'Académie de
Londres (entretien, Cuénot R, 2001). A cette époque, ses
travaux de recherche étaient effectués au sein du laboratoire
de zoologie de la faculté de sciences place Carnot. Les locaux
étaient exigus, les installations sommaires (Guinier, discours,
1935). Il contracta imprudemment, dans la "chambre aux
souris", une grave infection parasitaire dont on ne connaissait
pas de remède alors, la lambliase : il avait l'habitude de venir
observer ses souris et déposait négligemment sa cigarette sur
le couvercle des cages. “ Il ne se remit que lentement et avec
peine ” selon Lienhart (1962).
— 31 —
La déclaration de guerre en 1914 mit fin aux travaux
de génétique. Lucien Cuénot fut mobilisé, mais il avait déjà
cinq enfants et était sur le point d'atteindre la limite d'âge. On
le chargea néanmoins avec deux professeurs de Nancy de
conduire, par la route de Nancy à Toul, un groupe de chevaux
réquisitionnés ! Un général en tournée d'inspection le
découvrit dans une écurie militaire de Toul ; il l'envoya
aussitôt à Paris lui confiant un poste important dans ses
services. Sa famille alla se réfugier à Arcachon, où Cuénot
alla lui aussi poursuivre ses travaux zoologiques (entretien,
Cuénot R, 2000). Il fut ensuite professeur au lycée Poincaré
car l'université était fermée, logeant dans le local destiné aux
étudiants créés par les Jésuites (le futur G.E.C., Groupement
des Etudiants Catholiques). En 1917, il faillit être tué par
l'explosion d'un pont (ibid.). De son élevage de souris
d'avant-guerre qu’il fut contraint d’abandonner, il ne resta qu'
“ un ensemencement de tout le quartier de la rue en souris
brunes et en souris blanches ” (Correspondance Alain Cuénot
au Docteur Michon, 23 septembre 1954). En 1921 il alla aux
Etats-Unis. Il faisait partie de la délégation de la Société
Française d'Eugénique au congrès international tenu à New
York en septembre 1921. Il rencontra Thomas Hunt Morgan
dans son laboratoire en Californie (entretien, Cuénot R,
2001). D'après une courte note parue dans les comptes-rendus
des sciences en avril 1923, Cuénot atteste qu'il put examiner
les mutants alaires de drosophile apparus dans l'élevage de
Morgan. Ce fut une déception de constater l'état
d'avancement et les résultats enthousiasmants des travaux
américains. Plus tard, il eut à subir les rudes conditions de la
recherche universitaire en province : pénurie de moyens
financiers, avenir incertain pour tout jeune chercheur
préparant une thèse en province. Le jacobinisme français ne
date pas d'hier. Dans une lettre au secrétaire perpétuel de
— 32 —
l'Académie des sciences (10 mars 1932), Cuénot se plaignait
qu'on fasse à Nancy “ des briques réfractaires, du lait, des
machines électriques, des chimistes analystes, des
agriculteurs mais la science pure, étouffée, sans crédit et sans
gloire administrative, passe à l'état de parente très pauvre ”.
L'œuvre scientifique
Rapidement donc, il connut une consécration
scientifique plus internationale d'ailleurs que nationale avec
ses travaux sur l'hérédité en 1902, en recevant le prix Nicolas
II au 7e congrès international de Zoologie de Boston en 1907.
Ses travaux furent délibérément oubliés par les collègues de
l'époque tous lamarckistes et peu prompts à adopter le
mutationnisme ; il fut pourtant le premier zoologiste à
retrouver les lois de Mendel chez l'animal.
L'œuvre scientifique de Cuénot, membre d'une
trentaine de sociétés, académies, comités nationaux et
internationaux, est imposante : outre ses ouvrages, il écrivit
286 notes et mémoires originaux, 34 articles et chroniques,
239 analyses critiques — notamment dans la Revue générale
des sciences, exposa presque 100 conférences et dirigea 16
thèses d'état (Courrier, 1952). A sa mort, on compte environ
15 notices nécrologiques et de nombreux articles de presse
régionale, nationale et internationale (Courrier, 1952,
p.23-58). Dans les livres personnels de Cuénot, utilisés tout
au long de ce livre, sont collées ou annotées les revues
critiques nationales et internationales faites à la sortie de
chacun de ses ouvrages, comme la Genèse de 1911 et 1932,
L'adaptation en 1925, L'espèce en 1936, Invention et finalité
en biologie 1941. Quant à L'évolution biologique parue après
sa mort, l'abondante revue critique internationale se trouve
dans les archives Tétry. Cuénot avait une audience certaine
— 33 —
en Angleterre, Allemagne, mais aussi en Suisse, Hollande,
Belgique, U.S.A. La revue de ces critiques montre à quel
point Cuénot était lu à l'étranger et notamment dans les pays
anglo-saxons : Nature, The Times, The Quaterly Rewiew,
Journal of Hérédity, Science... Georges Gaylord Simpson,
l'un des artisans de la théorie synthétique de l'évolution, dans
son ouvrage majeur édité en 1944 aux U.S.A. ne citait qu'un
seul français dans sa bibliograhie, Lucien Cuénot avec sa
Genèse de 1921 et L'adaptation de 1925 (Simpson, 1950).
Cuénot a parcouru dans son ensemble tous les grands
thèmes de la biologie générale de son époque. Mais il resta
surtout — outre le grand spécialiste des échinodermes — le
premier généticien français et le défenseur d'une thèse
évolutive de la préadaptation. C'était un homme qui fut
couvert d'honneurs et qui aimait cela. Tout au moins, il
semble n'avoir jamais refusé les honneurs comme savait si
bien les rendre la IIIe République. Son seul refus fut celui
d'aller à Paris où il se vit pourtant proposer une chaire de
génétique : installé en famille à Nancy, dans une grande
maison avec jardin, entouré d'amis, il avait su s'attacher à la
Lorraine et lui resta fidèle (Cuénot, cité par Courrier, 1952,
p.4). C'est sans doute avec fierté qu'il arbora en 1931, le
bicorne et l'épée d'académicien gravée à ses armes, quatre
petites souris, trois grises et une blanche, un oursin
couronnant le pommeau, des feuilles de chardon couronnant
la fusée et symbolisant l'attachement à la Lorraine devenue
pays d'adoption (discours de Cuénot et Guinier, L'Epée
d'académicien, 1935). L'épée fut réalisée par deux artistes
nancéiens, Colotte et Bossut, grâce à une souscription auprès
des amis et élèves du Maître (ibid.). Il prétendait ne pas aimer
les discours (ibid.) : les siens étaient empreints de simplicité
et d'humour, à la différence des discours ampoulés de
l'époque. Le 23 octobre 1935, devant un parterre
— 34 —
d'académiciens, à la séance publique annuelle des cinq
Académies, où on lui avait demandé de présenter (Académie
des sciences, 8 août 1935) “ un travail qui n'a pas besoin
d'être original, mais doit posséder un caractère suffisamment
général pour intéresser un public mondain, qui n'est pas
spécialisé, mais intéressé aux choses de l'esprit ”, Cuénot
surprit son auditoire par une introduction pour le moins
cocasse dans ce temple de la Connaissance : “ Vers 1881, un
fabricant de gants, Joseph Mertz, inventa, dit-on, le
bouton-fermoir à ressort, ou bouton-pression ... ” (L'invention
en biologie, 1935) ; il termina son discours en citant Pascal :
“ Nous ne savons le tout de rien ” (ibid.). Ce discours eut à
l'époque “ un énorme retentissement, tant parmi les
philosophes et savants que dans le public ” (Matisse,
Correspondance, 12 juin 1937).
Le 27 août 1948, à 82 ans, le gouvernement lui
remettait la cravate de Commandeur de la Légion d'honneur.
Cette cérémonie avait lieu dans les locaux de la Revue
Scientifique (Bounoure, 1952) en présence notamment de
Georges Duhamel et Jean Rostand (photos, archives Tétry).
Pour l'académicien Georges Duhamel, qui fut très touché par
l'annonce de sa mort, Cuénot faisait partie, avec Charles
Nicolle, des hommes qui lui permirent de “ tracer (son)
sinueux chemin ” (Duhamel, 1952, chronique). Charles
Nicolle, professeur au Collège de France, prix Nobel de
physiologie et de médecine en 1928 pour sa découverte du
vecteur du typhus entre autres, et romancier, fut un des plus
extraordinaires caractères du monde scientifique, à
l'indépendance farouche. Il semble qu'il dut sa place à
l'Institut grâce à Cuénot qui se désista en sa faveur
(Correspondance, 3 décembre 1929). Nicolle, face à
l'inconnaissable de la biologie, se contentait d'admettre que le
cerveau de l'homme n'était pas en mesure de comprendre la
— 35 —
nature (Rostand, 1966, p. 160, Nicolle, 1936, p. 38-41), alors
que Cuénot n'y put s'y résoudre. Duhamel fut “ profondément
remué par les réflexions de Cuénot sur l'adaptation
organique, et, notamment, sur la structure de ces petits outils
de l'être vivant, qui, par leur perfection et leur aspect
intentionnel, paraissent défier toute tentative d'explication
mécaniste ” (Rostand, 1966, p. 160). A sa mort c'est Emile
Guyénot qui lui succéda à l'Académie (Note, Courrier, 1952).
Cuénot et Teilhard de Chardin
Pierre Teilhard de Chardin (1881-1955), prêtre
jésuite, homme de science et philosophe, fut un temps assez
proche de Cuénot qu'il venait parfois visiter à Nancy. Son fils
se souvient d'entretiens animés où s'affrontaient des point de
vue divergents (entretien, Cuénot R., 2001). Formé au
laboratoire de paléontologie du Muséum national d’histoire
naturelle de Paris, alors sous la direction du professeur
Marcelin Boule, il y fit ses premiers pas de chercheur en
paléontologie humaine. Il fut nommé maître de conférence à
l’Institut catholique de Paris, puis docteur en 1922. Il résida
ensuite vingt ans en Chine (entre 1926 et 1946), période
fertile en découvertes (fouilles de Choukoutien). Il revenait
de temps en temps en France pour maintenir les contacts. Il
est certain qu'ils se rencontrèrent au Muséum lors du retour
de Teilhard en 1928 puisque Cuénot présentait en 1931, lors
de deux conférences à Nancy en 1931, un arbre généalogique
de la lignée anthropomorphe “ d'après la manière de voir de
Gregory, Teilhard et (lui)-même ”, une manière de voir
différente de celle d'Osborn à l'époque (L'origine de l'homme,
1931, p.15). Cet arbre, modifié au gré des découvertes, se
retrouve d'ailleurs dans la Genèse et ailleurs. Il rencontra
— 36 —
aussi le Père Teilhard de Chardin en 1939 alors qu'il était allé
se réfugier à Paris avec sa famille, ceci avant que Teilhard ne
retournât en Chine en août 1939 (entretien, Cuénot R, 2001 ;
Leroy, 1958, p. 34-38). Teilhard vint plusieurs fois à Nancy
et Lienhart aimait à rappeler que ces conversations finissaient
immanquablement par l'hypothèse de la “ pensée agissante de
la cellule ” animée de l'élan vital. L'un des fils de Lucien
Cuénot, Claude, publia une biographie de Teilhard de
Chardin aux éditions du Seuil.
La guerre de 1939-1945
A cette époque Cuénot avait 75 ans. D'avril 1939 à
novembre 1940, la famille Cuénot alla se réfugier à Vannes
dans la famille Merlet, la famille de sa mère. Il ne connut
donc pas la prise de Nancy par la Wehrmacht le 18 juin 1940.
Ils allèrent ensuite à Paris. Cuénot revint ensuite à Nancy où,
à la fin de la guerre, les conditions de vie étaient rudes ; à
cette époque, la situation se “normalisait”, l'occupant ayant
retiré ses unités au profit des côtes (Histoire de Nancy, 1978,
p.446-453). “ J'ai cinq enfants sur six sur le front ou près d'y
aller ” (Correspondance, Robert Courrier, non datée), puis “
Nous sommes en Lorraine séparés du monde depuis
septembre […] plus de livres, de comptes rendus ; on ressort
les vieux rouets et l’on prend des leçons auprès d'antiques
fileuses pour utiliser la laine locale ; faute de charbon, les
gens […] vont couper du bois qui ne leur appartient pas dans
les forêts avoisinantes ; on reprend les vieux manuscrits pour
écrire sur la page blanche. On sait à peine ce qu'est la viande,
et pas du tout l'huile et le café… ” confiait-il au Secrétaire
perpétuel de l'Académie des Sciences (Correspondance,
Courrier R., 20 janvier 1945). A cette époque où le papier
— 37 —
manquait, on écrivait sur des enveloppes retournées, sur des
factures, le moindre bout de papier était réutilisé, comme en
témoignent les archives de Lucien Cuénot ou d'André Tétry.
Durant toute la guerre, et malgré des conditions de vie
difficiles, Cuénot n'en continue pas moins son activité : on
dénombre entre 1940 et 1945 pas moins de 23 publications,
42 analyses d'ouvrages principalement à la Revue Scientifique
à laquelle il collaborait activement à cette époque, et 11
conférences dont une dans le Morbihan où il était allé se
réfugier puis à Nancy de 1941 à 1945 avec le groupe d'études
catholiques. Ce fut même une période faste puisque voyant la
parution de l'essai d’arbre généalogique du règne animal et de
son ouvrage Invention et finalité en biologie. Période sombre,
période de doute, de questionnement — sur les antinomies de
la biologie, la place de l’homme dans la nature, hasard et
anti-hasard et inquiétude métaphysique — que Cuénot
traversa sans nous laisser de réflexion autre que scientifique
et métaphysique. Une constatation s'impose d'ailleurs,
récurrente tout au long de sa vie : Cuénot ne commentait pas
l'actualité politique, économique, sociale, si ce n'est
l'implication des progrès de la génétique pour l'humanité.
L'on s'étonne souvent à propos de ses hommes qui
traversèrent ses périodes paraissant à nos yeux si noires,
agitées, troubles, révoltantes : que pensaient-ils ? Quelles
étaient leurs opinions politiques ? Force est de constater que
les contemporains d'une période historique sont bien souvent
— hommes politiques et intellectuel(le)s mis à part — peu
prolixes. N'en est-il pas de même dans les familles où les
parents, grands-parents ne parlaient pas spontanément de leur
vie passée, ou tout au mieux pour dépeindre les difficultés
matérielles ? La récolte du témoignage, la volonté de laisser
une trace est une obsession très récente. Depuis deux ou trois
décennies seulement, historiens mais aussi enfants et
— 38 —
petits-enfants dans les familles recueillent activement les
témoignages des derniers survivants de la première et la
seconde guerre mondiale, et les publications régionales qui
nous dépeignent la vie passée abondent.
Lors du premier entretien (Cuénot R, 2000), son plus
jeune fils, René Cuénot, affirma qu'il était “antinazi”, qu'il
écoutait Radio-Londres et qu'il ne parla jamais allemand sous
l'occupation (il eut toujours des difficultés avec les langues
étrangères). “ Il faut espérer, comme le demande la grande
voix entendue par-delà l'océan, que l'humanité, ressaisie,
abjurera ses folies racistes et étatistes et reviendra à une
approximative raison ” (Cuénot, écrits). Il était surveillé par
un chef de la Gestapo, un certain “ Von Croll (orthographe
incertaine), intellectuel munichois ” (Cuénot R, entretien,
2001). René Cuénot, absent de Nancy une partie de la guerre,
y retourna en 1943-1944. C'est à cette époque qu'il se fit dire
par ce Von Croll que son “ père était trop vieux pour être
déporté et que ce serait (lui) qui y passerait à la place alors
(il) était très prudent ” (ibid.). A cette époque, les Allemands
déportèrent les scientifiques et les jésuites nancéiens dans le
nord de la Hollande, puis dans un camp en Bohème (Teresin)
pour être ensuite libérés par les Russes. Ce Von Croll fut
condamné par le tribunal de Metz en 1945. En 1948, dans son
discours de Commandeur de la légion d'honneur, Cuénot
résumait a posteriori cette page d'histoire tournée en ces
termes : “ La folie guerrière de deux hystériques, Guillaume
II et Hitler, a marqué d'un trait sanglant la première moitié du
XXe siècle ”.
Cuénot et le dessin
— 39 —
Cuénot aimait dessiner. Il truffait ses lettres de petits
dessins dans l'esprit de son ex-libris de 1896 et avait
l'habitude d'illustrer lui-même ses cartes de vœux. A la fin de
sa vie, il dessinait à ses correspondants des faux, des sabliers
ou des tibias (Courrier, 1952, p.6). Pour sa nièce
Marie-Madeleine, c'était des anges et un diable à l'air
mauvais, portant barbichette et cornes, armé d'une fourche,
censé représenter le combat que se livrait son âme sans doute
(Correspondance Merlet M.M., non datée, fin 1946 - début
1947). Pour Marie Marvingt, c'était une vilaine sorcière
borgne, boiteuse et bossue (conte de fée). Il réalisait sur ses
cartes de vœux des dessins animaliers. Certains de ses
croquis zoologistes sont remarquablement faits à la plume et
à l'aquarelle. Il illustra même, à sa manière La guerre des
mondes et Les premiers hommes dans la lune. Par contre, son
goût fort classique ne le portait pas vers la peinture abstraite :
il appréciait peu les peintres qui “ ont gâté leur talent en ne
voulant pas se laisser dépasser par les fauves ” (Bounoure,
1952, p. 158).
Cuénot et la nature
Paul Brien, de l'Université de Bruxelles, au centenaire
de Cuénot en 1967 (Hommage, p. 30) affirmait que “
L'animal ne fut jamais pour lui exclusivement un matériel de
laboratoire ou d'expérience, mais un phénomène naturel qu'il
importe de connaître en son origine, sa formation, en sa
structure, son comportement du Tardigrade au Céphalopode,
du Pagure à l'Homme, de l'Echinoderme au Galéopithèque ”.
De tempérament casanier, Cuénot adorait son jardin qu'il
cultivait lui-même : il y taillait sa vigne, y élevait des
crapauds, chassait impitoyablement les mauvaises herbes et il
— 40 —
y venait relire les Livres de la jungle de Kipling ou des
romans policiers quand il faisait chaud (Courrier, 1952, p. 7).
Cuénot vu par ses contemporains
Il porta toute sa vie d'homme une petite barbe taillée
en pointe et de longues moustaches à la manière des
professeurs de la IIIe république. Robert Lienhart en dresse
un savoureux portrait : “ Assez grand, svelte, le visage
attentif mais animé comme toujours par l'indéfinissable
regard d'Henri IV, souligné par la moustache et la barbiche,
alors noir d'ébène d'un Méphistophélès très classique qui
aurait emprunté sa blouse au laboratoire de Faust ”. De haute
taille, de belle prestance, parfois même un peu théâtral, avec
une belle chevelure argentée et un sourire malicieux, il
rappelait Anatole France qu'il aimait imiter et dont il avait
l'humour caustique (Courrier, 1952, p. 4). Rostand rappelait “
son indépendance frondeuse, sa verdeur d'esprit, son
espièglerie toute juvénile, sa séduisante brusquerie, son
humour à la Bernard Shaw ” avec lequel il avait une
ressemblance (Rostand, 1966, p. 158-159). Il en imitait non
seulement les cheveux, la moustache et la barbiche mais
également les vêtements d'intérieur : par le froid d'hiver, il
portait chez lui la robe de chambre et la calotte. Très élégant
en costume trois pièces et lavallière ou en costume blanc en
été, il arborait immuablement ses pantalons de golf et son
béret en sorties (album, famille Cuénot).
Cuénot, fils de postier des Batignolles, n'a pas
bénéficié d'une stricte éducation, aussi choquait-il parfois par
sa désinvolture. Sa manière de poser les pieds sur la table
firent scandale, ses prestations dans les salons nancéiens
laissèrent des traces. Ainsi, chez le Doyen de la Faculté des
sciences, après que l'épouse eût accompli une prouesse
— 41 —
vocale au piano, cette dernière se retourna, tout sourire, vers
notre professeur, lui demandant : “ Est-ce que cela vous a
plu? ”; à quoi Cuénot répondit : “ Ça se supporte... ” (Cuénot
R, entretien, 2000).
Il était avant tout un homme libre qui refusa les engagements
idéologiques, tant politiques que religieux ou scientifiques
dogmatiques : “ je n'aime pas à être embrigadé ”
(Correspondance, Merlet M.M., 30 janvier 1949).
Ce curieux de tout, ce passionné, se satisfaisait mal
des relations mondaines superficielles, de ces “ patia-patia ”,
avec une pointe très nette de misogynie : “ on trouve
rarement des femmes intéressantes, surtout dans le monde...
On a toujours quelque chose d'intéressant à entendre un
homme qui a une spécialité quelconque, pourvu que ce ne
soit pas l'éternel et ennuyeux mondain, mais avec une femme
! Cancans, ragots, enfants...C'est la barbe ! ”
(Correspondance, Merlet M.M., 14 juin 1949) ou bien “ Je
n'ai pas beaucoup changé, quand à mon costume et à ma
coiffure, ils sont immuables, on ne pourrait pas en dire autant
de ceux des femmes, ce qui montre une fois de plus la
supériorité masculine ” (Correspondance, Merlet M.M., 10
janvier 1943).
Très simple, respectueux des amateurs, d'un accueil
direct, très accessible, il était parfois mordant pour ses
collègues (Courrier, ibid.). Bounoure témoignait aussi de “
son caractère rude, entier, de son esprit mordant qui ne
ménageait pas plus ses sévérités et ses railleries que ses
approbations et ses éloges et d'ajouter que cette sécheresse
savait se détendre en traits de gaieté, en évocations
pittoresques des choses et des gens, en portraits malicieux ”
(Bounoure, 1952, p. 155). Il avait de “ la droiture et de la
noblesse intellectuelle ” (Marot, Hommages, 1967, p. 10). A
80 ans, le corps restait svelte, droit, il frappait par l'étonnante
— 42 —
jeunesse de son maintien, le regard était toujours perçant
(Courrier, ibid.), gardant jusqu'au bout une sorte d'espièglerie
juvénile selon l'expression d'Andrée Tétry (Hommages, 1964,
p.5). Cette dernière le décrit, écoutant “ comme un étudiant
attentif, prodigieusement intéressé, le regard au loin devant
lui, le visage illuminé de satisfaction ” (Tétry, Hommage,
1967, p.5). Cuénot était en outre un hyperactif, et Andrée
Tétry, sa plus proche collaboratrice, le décrivait “ incapable
de rester à ne rien faire, aimant par dessus tout son travail”,
l'entendant encore lui dire : “ travailler, toujours travailler,
travailler à n'en plus pouvoir souffler ” (Tétry, 1967, p. 4-5 ;
1978, p. 251).
A Nancy, sa silhouette était légendaire : il aimait à
travailler chez lui le matin et apparaissait l'après-midi à
bicyclette, très droit, la tête enserrée d'un béret basque
légèrement incliné à gauche, des pinces aux chevilles. Il
n'hésitait pas à s'arrêter s'il rencontrait une connaissance.
Sans quitter la selle, il sortait de sa poche son carnet où se
trouvaient notées les questions à poser (Courrier, ibid.). Il
possédait une mémoire prodigieuse. Devenu âgé, sa mémoire
le trahissait et il notait immédiatement ce qu'il jugeait utile à
sa réflexion sur un petit carnet (ibid.). Il avait aussi un autre
petit carnet, “ celui-ci était truffé d'histoires drôles, pas
toujours grivoises et souvent biologiques ” (ibid.). Il collait
au dos de la page de couverture de ses livres les lettres ou la
bibliographie de l'auteur, les analyses de l'ouvrage, après
avoir consciencieusement étudié l'ouvrage en question à son
bureau, roulant mécaniquement ses cigarettes qu'il aimait
faire lui-même. Un collègue — anonyme — dira de lui : “
Lucien Cuénot était un esprit de haute classe, dont la
profondeur, l'indépendance, la finesse et le délicat humour
m'ont toujours vivement impressionné ” (Tétry, annotations,
1951).
— 43 —
Cuénot et la littérature
Enfant, il arrivait déjà au jeune Cuénot de fréquenter
les salons du Paris bohème, où “ il faisait le serviteur qui
passait le thé ” : ses parents habitaient le quartier des
Batignolles et sa mère avait une amie modèle, maîtresse de
Manet et de Mallarmé (entretien, Cuénot R, 2001). Mais c'est
vers la littérature réaliste et anticipatrice qu'ira sa préférence.
Impressionné par Le Docteur Pascal d'Emile Zola, vingtième
tome des Rougon-Macquart paru en 1893, Cuénot avait écrit
à Zola le 26 août 1894 de Nancy où il préparait un cours sur
l'hérédité. “ J'ai relu votre beau livre du Docteur Pascal, où
vous peignez une si belle physionomie de savant, si vivante,
que j'ai l'intention d'en parler pour montrer l'importance des
idées sur l'hérédité et leurs répercussions sur nos idées
sociales ” (Rostand, 1957, p. 366). Voici la réponse de Zola à
Lucien Cuénot (Zola, Correspondance, 1979, p. 154-155) :
Médan, 28 Août 1894
C'est en 1868 que j'ai bâti tout le plan de
mes Rougon-Macquart, en m'appuyant sur
l'ouvrage du Docteur Lucas : L'hérédité naturelle.
J'ai tiré de cet ouvrage toute la charpente
scientifique de mon œuvre. Mais je n'ai eu aucun
détail biographique sur le Docteur Lucas, j'ignore
tout de lui, et je n'ai pu par conséquent songer à
lui un seul instant en créant la figure du Docteur
Pascal, qui est toute d'imagination. J'ai
— 44 —
simplement réuni en lui les traits épars de
plusieurs savants*.
Je vous remercie, Monsieur, de votre sympathie
littéraire et je vous prie d'agréer l'assurance de
mes sentiments les plus distingués,
*d'après Rostand : Claude Bernard, Prosper
Lucas et Charles-Edouard Brown Séquard.
Le Docteur Lucas avait notamment écrit un Traité
physiologique de l'hérédité naturelle en 1847-1850 (Delage,
1895). Pascal Rougon avait reconstitué tout au long de son
existence des dossiers sur sa famille : il y avait découvert les
grands thèmes de l'époque que sont l'atavisme, la télégonie,
l'innéité, l'hérédité de la phtisie. “ Sans doute l'hérédité ne le
passionnait-elle ainsi que parce qu'elle restait obscure, vaste
et insondable, comme toutes les sciences balbutiantes encore,
où l'imagination est maîtresse […]. Il était donc allé des
gemmules de Darwin, de sa pangenèse à la périgenèse
d’Haeckel, en passant par les stirps de Galton. Puis il avait eu
l'intuition de la théorie que Weismann devait faire triompher
plus tard […]. Le docteur Pascal n'avait qu'une croyance, la
croyance à la vie […]. La vie, c'était Dieu, le grand moteur,
l'âme de l'univers […]. Et la vie n'avait d'autre instrument que
l'hérédité, l'hérédité faisait le monde” . Le Docteur Pascal
rêvait que la connaissance de l'hérédité supprimerait la
souffrance, la maladie, assurerait la santé à tous, rendrait les
hommes forts, sains, intelligents, “ Il n'y aurait plus qu'un
peuple supérieur, infiniment sage et heureux” . “ Ce vieux
positiviste endurci ” qui ne s'était jamais marié découvrit à 60
ans le bonheur et le sentiment amoureux avec sa jeune nièce
Clothilde. Auparavant celle-ci essaya de le ramener vers
l'Eglise à laquelle elle était attachée par l'éducation.
— 45 —
Sentiment amoureux mis à part, cette tendre et fidèle
affection réciproque de Clothilde pour son oncle Pascal fait
penser à celle de Marie-Madeleine pour son oncle Cuénot qui
l'appelait “ ma petite fille chérie ”. Le lien qui unissait Lucien
Cuénot à sa nièce était très fort : “ Je t'aime bien comme fille
de mon cher René, que j'aimais comme un frère ; mais je
crois que je t'aime d'une autre façon ; il y a toutes sortes
d'amours ” (Correspondance Merlet M.M., 22 décembre
1947). Dans la dernière lettre à sa nièce, Cuénot écrivit “ Sois
sûre, chérie, que l'une de mes dernières pensées sera pour toi
” avant de terminer sur un émouvant “ Alors, chérie, adieu,
L., je ne t'écrirai plus ” .
S'il aimait Herbert George Wells (Le Nouvelles
Littéraires, entretien, 1933), c'est sans aucun doute pour sa
prédiction scientifique non dénuée de philosophie et sans
illusion sur l'Homme : cet auteur fit paraître en cette fin de
siècle un certain nombre de récits d'anticipation comme La
machine à explorer le temps (1895), L'île du docteur Moreau
(1896), La guerre des mondes (1898), Histoire des temps
futurs (1899), Une utopie moderne (1907). A la suite de
Wells (1866-1946) d'ailleurs, une génération d'auteurs
comme J.H.Rosny aîné, Anatole France (L'île des pingouins,
1908), Arthur Conan Doyle, Jack London ou Rudyard
Kipling (With the night Mail, 1905), donnèrent à ce genre
littéraire un bel essor. Cuénot se délectait à la lecture de son
auteur favori, Rudyard Kipling (1865-1936), et il aimait par
dessus tout “ ces incomparables poèmes, si vrais, si profonds,
que sont les deux Livres de la jungle ” (ibid.). Dans un de ses
discours Cuénot citait, dans Kim de Kipling, le vieux lama à
la recherche de la Rivière de la Flèche dont “ la découverte
comblera de joie son âme inquiète ”. “ Nous tous, au cours de
la vie, nous cherchons une Rivière de la Flèche, mais il faut
— 46 —
le faire avec le respect des opinions adverses qui
renfermeront peut-être une part de vérité et surtout avec une
absolue liberté de pensée, dégagée de tout conformisme ou
dogmatisme ” (allocution, Soc.Zool.Fr., 27 mai 1948). Dans
cette même veine de poésie orientaliste très française en ce
début du XXe siècle, Cuénot, qui n'appréciait guère la
musique, avait pourtant un faible pour un opéra aujourd'hui
oublié — bien que récemment réhabilité, Marouf, savetier du
Caire (Cuénot R, entretien, 2000), composé à l'aube de la
première guerre mondiale par Henri Rabaud (1873-1949),
élève de Massenet : cet opéra, dont l'argument est tiré des
Contes des mille et une nuits, est encore salué comme un
chef-d'œuvre d'humour et de poésie. Il appréciait aussi de se
délasser avec des romans policiers : “ Je ne connais pas de
littérature plus reposante ” (Les Nouvelles Littéraires,
entretien, 1933).
S'il avait lu Bergson à l'époque, il était peu versé dans
la philosophie : c'est son fils Claude qui l'initia au cours de
longues conversations à table (entretien, Cuénot R, 2000). Il
s'enhardit à quelques envolées philosophiques et
métaphysiques dont il parsemait articles, conférences et livres
dont à ce titre L'évolution biologique, écrit au seuil de la
mort, est le plus éloquent.
Lienhart avouait aussi son penchant pour les écrits
d'Anatole France (1844-1924) dont il citait de mémoire
certaines de ses réflexions ; ce fait est corroboré par le
président de l'Académie des Sciences lorsqu'il eut le devoir
d'annoncer sa disparition (Javillier, 1951, p.94) : selon ce
dernier, Cuénot en connaissait toute l'œuvre ainsi que, la
poésie de Stéphane Mallarmé. Humaniste au jugement
éclairé, Anatole France possédait un style clair, empreint de
scepticisme et d'ironie voltairienne ainsi qu'un rare sens de la
formule.
— 47 —
Cuénot et la vulgarisation scientifique
Jean Rostand qui s'avouait un disciple fervent de
Cuénot, suivait de près son œuvre à la fois scientifique et
vulgarisatrice ; les deux hommes avaient cela en commun —
à la différence près que Cuénot occupait une fonction tout à
fait officielle de professeur — d'être des vulgarisateurs au
sens noble du terme, avec la volonté de faire comprendre la
biologie. Son discours de rentrée en 1898 est véritablement
prémonitoire : à cette époque comme aujourd'hui encore, le
public s'intéressait surtout plus à la médecine, “ la plus belle
des sciences ” (Cuénot, discours, 1898, p. 5), gage de progrès
pour l'humanité, mais ne comprenait pas l'intérêt de
collectionner, observer des cellules au microscope, décrire
des animaux et des plantes “ aux noms barbares, que l'on
contemplera distraitement dans les vitrines d'un musée ”
(ibid., p. 4).
Il sut entretenir aussi d'excellents rapports avec la
presse : on ne compte pas les innombrables articles au sujet
du Professeur Cuénot tant dans la presse locale que dans la
presse nationale. En 1900 une conférence de Cuénot à la salle
Poirel faisait l'objet d'une page d'article et il suspendait
l'attention de son auditoire avec un exposé sur la vie des
fourmis (Cuénot, Le Progrès de l'Est, 11 mars 1900). Le
musée de Nancy possède encore les photos sur plaques de
verres projetées dans ces conférences qui faisaient sensation à
Nancy. Avait-on des doutes sur l'existence du monstre du
Loch Ness ? La presse consultait son autorité qui niait
formellement l'existence d'un tel monstre antédiluvien (La
Matin, 7 Février 1934). Il participait aussi aux Causeries de la
Revue Scientifique sur Radio-Paris, comme par exemple au
— 48 —
sujet de Lamarck le 26 janvier 1932. Il multipliait les
conférences tant à Nancy ou Metz qu'à Paris au Palais de la
découverte ou à l'étranger (Belgique, Suisse…). Cours
publics ou conférences aussi à la Faculté de lettres, à la salle
Poirel, à l'Hôtel de ville à Metz (Eloge, Académie de Metz,
1951), dans les sociétés savantes... Dans son discours L'Epée
d'académicien (1935), Cuénot remerciait, non sans humour, “
les représentants de la presse — cette deuxième puissance de
l'Etat (la première étant le percepteur) — qui lui témoignèrent
en maintes circonstances une bienveillance dont (il) leur (est)
très reconnaissant”.
Il était aussi bienveillant, patient à l'égard des
naturalistes amateurs (Courrier, 1952, p. 7) avec lesquels
d'ailleurs, il entretenait des échanges épistolaires, enrichissant
ainsi ses observations naturalistes (Cuénot, dossiers Muséum
Nancy).
Cuénot et Rostand
Rostand et Cuénot entretinrent d'amicales relations et
les liens se poursuivirent au-delà de sa mort grâce à Andrée
Tétry. Les premiers rapports semblent dater de la fin des
années 1920 : encore empreint de déférence admirative, le
jeune Jean Rostand adressait au Maître un des ses ouvrage de
vulgarisation, écrit à la demande de son éditeur (L'état
présent du transformisme paru chez Stock) et le remerciait de
l'envoi de ses tirés à part concernant Les lois de l'hérédité
(Correspondance, Rostand, 10 novembre 1929). Plus tard, ils
écrivirent en commun, à la demande de Rostand, un ouvrage
de vulgarisation Introduction à la génétique paru en 1936. Au
sujet de ce projet, Rostand dans un courrier à Cuénot (non
daté) écrivait : “ La tendance générale répondrait assez bien à
— 49 —
ce que Julian Huxley nomme si heureusement le nouvel
humanisme scientifique”. Lorsque Cuénot allait à la
traditionnelle séance de l'Académie du lundi, il en profitait
pour se joindre aux dimanches de Ville d'Avray chez Jean
Rostand (Album famille Cuénot). Ces deux véritables
naturalistes, insatisfaits du néodarwinisme, vulgarisateurs
scientifiques dans le sens le plus noble, avaient sans doute
beaucoup à échanger. Rostand fit paraître dans Le Figaro
deux longs articles destinés à rendre hommage à Lucien
Cuénot et faire connaître le contenu de son œuvre (Rostand,
Le Figaro littéraire, 3 février et 1er septembre 1951). Pour
des raisons personnelles, Cuénot avait renoncé à l'écriture
d'un ouvrage au sujet des fausses sciences, pour lequel il
avait pourtant cherché à se documenter : cet ouvrage, ce fut
Jean Rostand qui le fit : Science fausse et fausses sciences
paraissait en 1958 chez Gallimard.
Lienhart, l'ami fidèle
Robert Lienhart, jeune étudiant à la faculté des
sciences, devint très tôt un fervent et fidèle disciple du
Maître. Une amitié débuta qui les lia à vie, partageant même
ses vacances familiales à Arcachon avec les Cuénot. Tout
commença avec les cours enthousiasmants sur l'hérédité en
1903, puis Lienhart, visiteur assidu de “la chambre aux
souris” dont l'accès était réservé à quelques privilégiés,
devint préparateur bénévole. Il réalisa avec lui les travaux sur
l'hérédité du cancer chez la souris de 1908 à 1913 puis, après
la guerre, les expériences visant à démontrer l'impossibilité
de l'hérédité des caractères acquis au moyen de l'inoculation
de la cataracte chez le lapin — en réponse aux célèbres
expériences de Guyer et Smith. Il ne quitta plus Cuénot
— 50 —
jusqu'à sa retraite en 1938. Devenu adjoint au maire de
Nancy, avec des responsabilités dans le domaine de
l'enseignement supérieur, des beaux-arts et de l'hygiène, il fut
une aide précieuse lors de la réalisation du musée de
zoologie.
Cuénot, Godron et la Lorraine
Cuénot restera fidèle à la ville de Nancy toute sa vie.
Il maintint le rang intellectuel de cette ville où les médecins
et les naturalistes eurent jadis une place de choix. Le
développement de la faculté des sciences à la fin du XIXe
était déjà le lien entre la recherche pure et appliquée : ceci
apparaît dès 1871 sur la base d'une idée déjà développée par
Godron. Dominique Alexandre Godron (1807-1880) qui
occupa l'unique chaire de sciences naturelles sous le Second
Empire, ne fut pas seulement un excellent systématicien en
botanique et en zoologie, il fut aussi un précurseur de la
génétique inspiré des travaux de Charles Naudin (1815-1899)
— alors professeur au Muséum d'histoire naturelle de Paris
— sur l'hybridation végétale. Si Godron et Naudin
travaillèrent, semble-t-il, en toute amitié, l'histoire n'a retenu
que Naudin, sans doute parce que Godron vivait trop retiré
dans la province lorraine. En 1871 une réorganisation permit
la création de trois chaires de géologie, botanique, zoologie,
la dernière ayant été représentée par Cuénot qui fut en fait le
premier à y enseigner dignement les sciences naturelles après
Godron. Godron et Cuénot, même si cinquante années les
séparaient, avaient en commun — outre d'être tous deux
d'origine modeste — d'être d'authentiques naturalistes, de
grands professeurs connus pour la qualité de leurs cours et
des précurseurs en matière de génétique. Godron fut aussi le
— 51 —
véritable fondateur de la Faculté des sciences de Nancy qu'il
mit en place à partir de 1855 (Tétry, 1978). La Faculté des
sciences de Nancy doit essentiellement son originalité à la
création d'un enseignement technique supérieur, timidement
imitée plus tard par d'autres facultés françaises. Nancy sut
faire très tôt le lien entre la science fondamentale et la
science appliquée. Outre les facultés à l'origine uniquement
destinées à former les professeurs de l'enseignement
secondaire, se développa un enseignement de sciences
appliquées, aboutissant au diplôme d'ingénieur dans huit
instituts et grandes écoles successivement créés : Institut de
chimie, école de brasserie et de biochimie appliquée, Institut
électrotechnique et de mécanique appliquée, Institut agricole
et colonial, Ecole de laiterie, Institut de géologie appliquée,
Ecole des mines, Ecole des sciences de l'Ingénieur. La
Faculté des sciences qui comptait cinq postes d'enseignants
en 1871, passera à vingt en 1904 (cela ne changera guère
avant les années 1960). Le nombre d'étudiants passera de 38
en 1878, à 500 en 1904, 881 en 1935 et 1.012 en 1948.
Installée place Carnot, la géologie sera déplacée à l'ancien
séminaire rue de Strasbourg en 1910, la minéralogie en 1931
rue du Docteur Heydenreich, la Botanique et la Zoologie
dans le nouvel institut rue Sainte Catherine en 1931 et 1932.
Le P.C.N. fut créé en 1894, les certificats d'études
supérieures de licences en 1896.
Cuénot avoua que c'est à Nancy, où il arriva tout
jeune encore en 1890, qu'il apprit grâce à deux professeurs de
la Faculté de médecine, à l'origine de l'Ecole morphologique
de Nancy qui connut un renom international avec les toutes
premières observations de biologie cellulaire (Encyclopédie
Lorraine, 2000, p33-38). Auguste Prenant (1861-1927) et
Adolphe Nicolas (1861-1939) apprirent à notre jeune
zoologiste “ la technique (histologique) rigoureuse, la
— 52 —
bibliographique bien faite, la méfiance de soi, au lieu du
système D qui était la règle ailleurs ” (Cuénot, discours,
L'épée d'académicien, 1935). Il attribua cette différence
d'organisation dans le travail entre Paris et Nancy au fait que
“ Nancy était alors une sorte de pont entre la science
allemande et la science française ” (Cuénot, discours, 1948).
Dans le laboratoire de Lacaze-Duthiers où il préparait sa
thèse, “ il était de bon ton de préférer les injections et les
dissections fines à la méthodes des coupes ” (ibid.). Une
seule leçon d'histologie lui fut donnée dans un couloir de la
station de Roscoff, par le maître de conférences : “ Durcir les
objets dans l'acide picrique, les colorer par le picromarmin de
Ranvier, puis les durcir à l'alcool et enfin les couper dans la
moelle et sureau à main levée ” (ibid.).
Il prit conscience de l'avantage de se tenir loin de
Paris, qui n'est que la “ parure éclatante de la nation ” (ibid.).
Il vécu 50 ans à Nancy dans sa maison acquise rue de Metz et
qu'il fit agrandir pour sa nombreuse famille. Il portait
attention à la vie de sa cité, donnait des conférences, présidait
la Société lorraine d'anthropologie, fut également membre de
l'Académie de Stanislas. Son discours sur L'Inquiétude
métaphysique avait fait date. Cuénot avait confié à Pierre
Marot (Hommages, 1967, p. 12) alors jeune, que ce discours
“ avait conquis les suffrages à l'Académie des sciences ”. Il
offrit aussi ses compétences à la bibliothèque municipale. Il
suscitait bien sûr les pires jalousies parmi le petit monde
universitaire nancéien, plus encore quand il fut élu à
l'Académie de sciences en 1931 où il n'y avait que six
fauteuils pour les non-résidents parisiens.
Mais l'œuvre qui lui tenait le plus à cœur, selon Pierre
Marot (Hommage, 1967, p.12) c'était le musée de zoologie :
il fit transférer des locaux exigus de la place Carnot où il
passa quarante-quatre ans (Cuénot, discours, L'épée
— 53 —
d'académicien, 1935) vers les bâtiments nouveaux de la rue
Sainte Catherine quelques années seulement avant sa retraite.
Ce fut la seule concession qu'il fit aux corvées
administratives dont il avait parfaitement horreur (Tétry,
1978, p. 245).
C'est en Lorraine qu'il poursuivit ses excursions
naturalistes, en compagnie de collègues ou pour ses élèves de
licence : les bords de la Moselle, Pierre-la-Treiche, les mines
de fer de Maxéville, Bouxières, Custines, Belle-Fontaine et
l'étang de la Cartonnerie à Nancy, la falaise de Pompey, le
plateau de Malzéville, le bois de Champigneulles, Marsal,
l'étang du Lindre : souvent accompagné d'autres scientifiques
nancéiens comme Cyrille Grand'Heury paléobotaniste
découvreur des ptéridospermées, René Nicklès qui fonda
l'Ecole de géologie, son ami Philibert Guinier qui sera
directeur de l'Ecole forestière, le disciple Robert Lienhart,
plus tard avec Paul Rémy et Andrée Tétry.
Il était aussi “ l'ami de Metz ” comme le dit fort bien
Wilfried Delafosse (1951, p. 5). Dans les années 1930, il se
joignait volontiers à la Société d'histoire naturelle de la
Moselle où il prenait plaisir à participer aux séances fort
actives à l'époque avec son président Delafosse. Il participa
aux journées du centenaire de la Société en 1935, alternant
excursions naturalistes et repas sympathiques (Delafosse,
Hommage, 1967, p.8). A quatre-vingts ans, il participait
encore à l'exposition mycologique annuelle de la Société et
donnait une dernière conférence en 1948. Il fut accueilli au
sein de l'Académie nationale de Metz en 1939 et présentait
des conférences à l'Hôtel de ville sur des sujets tels que
L'origine de l'Homme, Le sens de la vie et de l'humanité,
L'origine de la vie — qui fut sa dernière conférence d'ailleurs
le 11 mars 1948 (Delafosse, 1951, p.5 ; Delafosse,
Hommage, 1967, p.9).
— 54 —
Enfin, notre homme écrivit un hommage touchant à
Marie Marvingt (1875-1963), “la fiancé du danger”, “la
femme la plus extraordinaire du siècle”, baptisée “la femme
la plus extraordinaire depuis Jeanne d'Arc” par les
Américains. Cette nancéienne était une femme
exceptionnelle, au palmarès ahurissant, couvertes d'honneurs.
Elle était physiquement et moralement une force de la nature,
dotée d'une énergie extraordinaire, d'une indépendance
farouche et d'une générosité sans égal. A une époque où
l'émancipation féminine n'en était qu'à ses débuts, elle
pratiquait le sport, l'art et la science avec le même talent,
depuis le théâtre avec Sarah Bernardt, la médecine, jusqu'à
l'aviation, l'alpinisme, la natation. La liste de ses activités, de
ses exploits et de ses distinctions honorifiques dépasse
l'entendement. Pionnière de l'aviation française, elle se fit
même passer pendant la première guerre pour un poilu, pilota
un bombardier et pilonna la base allemande de
Metz-Frescaty. Tant d'exploits de la part d'une femme, dont
on peut être sûr qu'elle ne perdait pas son temps en
patia-patia selon l'expression chère à Cuénot, durent
impressionner notre professeur nancéien, qui ne pouvait y
voir qu'une hérédité hors du commun (Cordier et Maggio,
1991 ; L'Est républicain, 14 décembre 1983).
A Mademoiselle Marvingt
Conte de fées
Lorsque vous naquîtes, les fées s'assemblèrent
autour de votre berceau pour tracer votre destinée(1).
— 55 —
La première, qui était fort myope et se méprit sur votre
sexe, dit : Tu seras un athlète complet, comme ceux que la
Grèce couronnait aux Olympiades.
La deuxième, plus clairvoyante, dit : Tu seras bonne et
généreuse, artiste enthousiaste, originale, exactement le
contraire d'une Bochesse.
La troisième dit : Tu seras hardie jusqu'à la témérité,
énergique, persévérante ; tu auras aussi le courage
civique(2).
La quatrième dit : Tu feras servir au bien un instrument
admirable dont la méchanceté de l'Homme a fait un outil de
mort.
La cinquième dit : Tu seras saluée par trois maréchaux de
France, beaucoup de généraux, trois membres de l'Institut
dont la signature sera généralement illisible.
La sixième dit : Tu auras bon estomac pour résister aux
banquets officiels et aux champagnes des vins d'honneur.
La septième dit : Tu auras horreur du mensonge(3).
La huitième dit : Tu seras une excellente conférencière et
des foules d'auditeurs t'applaudiront.
Une très vieille fée, borgne, boiteuse et bossue, s'approcha
alors et dit : Tu t'intéresseras aux sciences occultes dont je
suis l'image fidèle. Tu croiras aux sourciers, à la
radiesthésie, aux médiums, à l'ectoplasme, à Baradac, à
Mme Bisson, au Colonel de Rochas et autres fakirs, au Dr
Osty, à l'Abbé Mermet, à la chiromancie, etc., etc.
Enfin, la dernière, une petite fée très gentille survint et dit :
Je ne puis pas annuler le don de ma soeur aînée, mais je
puis en atténuer les effets ; tu connaîtras, par mes soins, le
Professeur C...., un type de première, qui te montrera que
tout cela, c'est de la blague...
— 56 —
(1)
Les fées existent toujours mais on les appelle maintenant
particules du patrimoine héréditaire.
(2)
Don peu commun qui est octroyé exclusivement aux
différents présidents de la République, aux ministres, aux
généraux et à quelques tireurs de marrons du feu.
(3)
Çà,
c'est
un
cadeau
rarissime,
qui
n'est
donné
qu'exceptionnellement aux ministres, aux diplomates, aux
députés, aux préfets, aux maires et aux recteurs.
Cuénot face à la mort
A son retour des Etats-Unis en 1921 il contracta une
grave broncho-pneumonie. Il perdit le fonctionnement d'un
poumon sans le savoir. Cuénot était de plus un fumeur
impénitent. C'est seulement à la fin de sa vie, peu de temps
avant sa mort qu'il apprit qu'il respirait depuis trente ans avec
un seul poumon (Cuénot R, entretien, 2000). Après une
congestion pulmonaire à l'automne 1949 dont il se remettait
mal, très fatigué, atteint d'une “ escarre à la fesse grande
comme une pièce de quarante sous mais embêtant comme si
c'était un billet de mille ” (Correspondance, Merlet M.M., 1
janvier 1950), il finit par ne plus quitter sa chambre. Il
avouait à la pieuse Marie-Madeleine que ses souffrances, loin
de lui montrer la Lumière, le rendait “ fort grognon ” (ibid.).
Il travaillait cependant inlassablement, mettant à jour une
nouvelle édition de la Genèse des espèces animales. Voici la
dernière lettre que Jean Rostand lui écrivit de Ville d’Avray
le 28 novembre 1949 : “ J’apprends avec joie par Andrée
Tétry que vous êtes maintenant sur le point de quitter la
chambre et que vous avez largement profité de vos loisirs
forcés pour avancer dans la rédaction de votre Genèse. La
préface m’a semblé d’un (ton ?) excellent ; le morceau
— 57 —
d’ouverture sur la biologie à la fin du siècle dernier a grande
allure. Et toujours que d’esprit ! Veuillez me croire […]
fidèlement et affectueusement votre admirateur ”.
En réponse à une demande émanant sans doute du
directeur de Science et Vie qui lui demandait de collaborer au
numéro 400 avec Louis de Broglie et Jules Romains, il
répondit “ Oui ! mais voilà, je pense que je mourrai vers
l'automne et il me paraît imprudent de m'engager, d'autant
que j'ai un gros travail à faire pour mettre mes travaux
scientifiques au point, et mes intérêts personnels en ordre.... ”
(Correspondance, 19 mai 1950).
Boris Ephrussi dans un courrier daté du 20 juin 1950
s'étonne de ne pas l'avoir vu au laboratoire de génétique de la
faculté des sciences de Paris où il avait l'habitude de venir au
mois de juin. Il est alors très malade. L'Héritier échangeait
encore avec Cuénot (Correspondance, 26 juin 1950), au sujet
d'une thèse, discutable du fait de l'insuffisance des données
statistiques.
Il rédigea, grâce à la ténacité d'Andrée Tétry, son
testament intellectuel L'évolution biologique qui parut peu
après sa mort. Besogneux jusqu'au bout, le moins qu'on
puisse dire est que Cuénot ne pêcha pas par manque de
réalisme : “ J'ai du travail, je fais un énorme bouquin pour
léguer à la postérité (qui s'en fiche pas mal) et pour laisser
des droits d'auteurs à mes gosses (qui seront enchantés de ce
souvenir quand je serai rentré dans le sein de la terre) ”
(Correspondance, Merlet M.M., 30 janvier 1949). Ecrite en
tandem, la Conclusion des Conclusions peut être considérée
comme le résumé de sa philosophie biologique.
Dans le carnet de bord de l'Evolution biologique (p.
2), il avait recopié cette phrase de Rostand, “ Ce qui est dur
dans la mort, c'est de disparaître sans avoir compris ; le crime
de la mort n'est pas qu'elle nous tue, mais qu'en tranchant
— 58 —
notre tourment, elle lui confère l'éternité. C'est comme un
roman policier qu'une censure sans appel coupe au moment
où il est le plus embrouillé ”.
Dans sa dernière lettre écrite à Marie-Madeleine
Merlet, d'une main tremblante accusant l'extrême faiblesse
d'un homme à bout de force, il annonce sa propre mort,
attendant le retour de sa fille, alors en voyage à Rome, pour
se laisser aller et cesser de se battre. C'est effectivement ce
qu'il fit (Correspondance, Cuénot Nelly, 24 octobre 1950).
Extrêmement affaibli, amaigri, il dormait constamment, ne
marchait presque plus, ne pouvait se nourrir seul et son esprit
vacillait selon sa fille Nelly (ibid.). Cependant Andrée Tétry
qui le vit encore la veille de la sa mort, affirma qu'ils
discutèrent encore “ des noms vernaculaires et scientifiques
d'un serpent ”. Après seize mois de lutte, Lucien Cuénot
s'éteignait le 7 janvier 1951, la veille de la Saint Lucien, “
très doucement, dans une sorte de coma ”, à 19 heures 30. Il
fut enterré, selon son vœu, dans une stricte intimité, au
cimetière de Préville.
Comment ne pas penser de nouveau à cet autre grand
nom de la science de l'époque, Charles Nicolle : même
lucidité face à la mort, sans illusion sur un hypothétique
au-delà, refusant toute spiritualité, tout mysticisme,
répugnant tous deux au dogme catholique. A la différence
près que Nicolle organisa lui-même ses obsèques chrétiennes
par attachement à la tradition de ses pères. Leurs morts furent
curieusement parallèles : même sollicitude filiale — Cuénot
et Nicolle furent soignés par leur fille — , même déchéance
lancinante, et pourtant, malgré l'inéluctable, même ardeur de
vivre et de travailler jusqu'au bout à leur testament spirituel,
sur leur lit de mort : Nicolle avec La Nature, Cuénot
L'évolution biologique. Enfin, même adieu poignant à la
Mère Nature — à ceci près que Nicolle pourtant tenté, refusa
— 59 —
le panthéisme (Les derniers jours de C. Nicolle, Les
Nouvelles Littéraires, 7 mars 1936) .
A l'annonce de sa mort et durant les quelques mois
qui ont suivi, on ne compte pas les articles de la presse locale,
régionale et nationale (comme Le Figaro sous la plume de
Rostand par exemple) qui lui rendirent tous unanimement
hommage. A sa mort, l'Académie en la personne de son
président Maurice Javillier (1951, p. 195), reconnaissait qu'il
n'était “ personne qui, quelque soit son domaine de pensée et
l'orientation de sa philosophie, lui puisse mesurer son
hommage et son respect…s'inclinant sur la noblesse de son
caractère, la probité de son esprit, l'élan de son cœur ”.
Robert Courrier fit son éloge à l'Académie des sciences en
1952. Le 20 octobre 1967, pour le centenaire de sa naissance,
l'Institut de France rappela son souvenir lors d'une
commémoration au musée de Caen, qui réunissait Jean
Rostand, Pierre-Paul Grassé, Andrée Tétry et Wilfried
Delafosse entre autres.
— 60 —
Chapitre II : De Darwin à la redécouverte
des lois de Mendel
1. Rappel historique
transformisme
:
du
fixisme
au
Lamarck et le transformisme
(La Science contemporaine, 1961, p.542-544 ; Rostand,
1945, p.94-108 ; Buican 1989, p.80-101, Delsol 1998,
p.7-10)
Des préoccupations d’ordre pratique furent à l’origine
des premières observations : les éleveurs, les horticulteurs
cherchaient à améliorer les espèces. Au XVIIIe siècle, les
observations de Pierre-Louis Moreau de Maupertuis
(1698-1759), des botanistes Jean Marchant et Antoine
Nicolas Duchesne (1747-1827) préfigurent le mutationisme*.
Mais l’esprit français empreint alors du déterminisme des lois
physiques n’était pas prêt à accueillir le hasard comme
hypothèse, même si pour certains l’hypothèse de Dieu n’était
déjà plus nécessaire. Jean-Baptiste Pierre-Antoine de Monet
Chevalier de Lamarck (1744-1829) développa, envers et
contre tous, dès 1800, sa fameuse doctrine transformiste*,
après avoir étudié longtemps les invertébrés qui lui firent
douter de la valeur absolue de l'espèce. L'originalité de
l'œuvre de Lamarck ne provient pas tant de ses lois, en partie
fausses — les caractères acquis par suite de l'adaptation au
milieu ne sont pas héréditaires — mais du transformisme
qu'il présuppose : il fit dériver les êtres les uns des autres
depuis les vers et les infusoires — les premières formes étant
apparues sur la terre par génération spontanée — et les
formes animales varient au cours des temps géologiques par
— 61 —
l’hérédité des caractères acquis sous l’influence du milieu. Il
fut aussi le premier à avoir osé croire à la parenté de
l'Homme et de l'animal.
Ses contemporains admirent difficilement cette idée,
préférant suivre le Baron Georges Cuvier (1769-1832) qui
propagea sa théorie fixiste et catastrophiste : les espèces sont
immuables, la terre a connu trois révolutions dont la dernière
est représentée par le déluge biblique. Ces révolutions du
globe expliquaient les changements de faunes : après chaque
révolution, il apparaît une création nouvelle, la dernière étant
la Genèse biblique. Cuvier fit tout pour enterrer la thèse de
Lamarck : la société d'alors, la toute puissance de l'Eglise en
accord avec la thèse de Cuvier, tout concourait à l'échec de
cette doctrine qui supposait un ordre préétabli certes, mais
avec une grande créativité des êtres vivants capables de
s'adapter. Il eut pourtant un opposant en la personne
d'Etienne Geoffroy Saint-Hilaire (1772-1844) dont la thèse
d’une unité de plan pour l’ensemble des animaux, se basant
sur l’anatomie comparée, laissait poindre l’idée d’un
développement évolutif des êtres. Son fil Isidore Geoffroy
Saint-Hilaire (1805-1861,) avec ses travaux de tératologie,
fut un précurseur du mutationnisme c’est-à-dire des
variations individuelles fortuites.
En Grande-Bretagne, les idées de Lamarck — la
génération spontanée et l'idée d'une tendance progressive
linéaire aboutissant à l'Homme — furent les bases de
l'évolutionnisme matérialiste du début de l'ère victorienne.
Mais les radicaux de l'époque ne purent se référer à son
hypothèse sur l'hérédité de l'acquis, qui ne fut diffusée que
dans une frange révolutionnaire au début du XIXe siècle
(Bowler, 1995, p.35-36).
— 62 —
Les lois de Lamarck
- “ Dans tout animal qui n’a point dépassé le terme de ses
développements, l’emploi plus fréquent et plus soutenu d’un
organe quelconque fortifie peu à peu cet organe, le développe,
l’agrandit et lui donne une puissance proportionnée à la durée de
cet emploi ; tandis que le défaut constant d’usage de tel organe
l’affaiblit insensiblement, le détériore, diminue progressivement
ses facultés et finit par le faire disparaître”. En d’autres termes, le
besoin crée l’organe, l’usage le fortifie, l’accroît, le défaut
d’usage l’atrophie. Par exemple le cou de la girafe s’est
progressivement allongé dans un pays aride où les girafes ont dû
brouter des arbres pour se nourrir ; inversement la taupe a perdu
l'usage de ses yeux devenus inutiles sous la terre.
- “ Tout ce que la nature a fait acquérir ou perdre aux individus
par l’influence des circonstances où leur race se trouve depuis
longtemps exposée, et par conséquent par l’emploi prédominant
de tel organe, ou par celle d’un défaut constant d’usage de telle
partie, elle le conserve par la génération aux nouveaux individus
qui en proviennent pourvus, que les changements acquis soient
communs aux deux sexes ou à ceux qui ont produit ces nouveaux
individus”. Ce qui signifie que les caractères nouveaux acquis
par l'usage deviennent héréditaires “ pourvu que les caractères
acquis soient communs aux deux sexes ”.
La révolution darwinienne : variations fortuites et
sélection naturelle
Bowler, 1995 ; La science contemporaine, 1961, p.545-549 ;
Rostand, 1945, p.138-157 ; Buican, 1989, p.159-164)
L’origine des espèces paraît la première fois en
Angleterre en 1859. Il y a peu de théorie dont l’impact fut si
fort. Elle alla jusqu’à modifier la vision que l’on pouvait
— 63 —
alors se faire du monde : telle une lame de fond, elle ébranla
de nombreuses disciplines de la biologie à la philosophie, la
sociologie, l’éducation, l’économie, la théologie, etc.
Pourtant, il est curieux de constater que la science moderne,
qui rend hommage à Darwin comme fondateur d'une théorie
la plus plausible pour expliquer l'évolution, oublie que les
raisons qui ont fait le succès de Charles Darwin de son vivant
sont différents de celles d'aujourd'hui (Bowler, 1995, p. 287).
Les arguments les plus importants aujourd'hui étaient
secondaires pour Darwin.
Herbert Spencer, qui défendait l'hérédité de l'acquis,
la survivance du plus apte et la variation fortuite, proposa en
1851 une théorie sociale basée sur la nécessité de la libre
entreprise comme garantie de l'adaptation de l'individu à une
société en pleine mutation. Même si l'individu avait des
défauts, il pouvait s'adapter. Il y avait la notion de progrès.
Admiré par Darwin, ce dernier allait lui reprocher tout de
même son approche trop théorique et son manque
d'observation. Mais peu de biologistes admettaient alors les
idées lamarckistes — hérédité de l 'acquis et matérialisme ;
pourtant, nombreux sont ceux qui voulaient s'attaquer à
l'interprétation théologique de la société.
En Allemagne, Richard Owen, avec ses travaux
paléontologiques, développait un évolutionnisme d'origine
divine, basé sur l'anatomie transcendantale (archétypes
animaux qui se spécialisent). Owen refusait la sélection
naturelle. Ces travaux inspirèrent beaucoup Darwin (ibid., p.
48-49).
Darwin s'inspira en outre de l’essai sur le principe de
population de Thomas Malthus : la doctrine malthusienne est
fondée sur le principe selon lequel le manque de nourriture
limite la prolifération de la population. Pourtant, ni Darwin ni
Spencer ne considérèrent la lutte pour l'existence comme un
— 64 —
principe vraiment créateur (ibid., p.112). Darwin était un
évolutionniste atypique qui ne croyait pas nécessairement à
une progression, l'Homme étant le fruit du hasard. D'après
Peter Bowler, il y aurait eu en lui un penchant théiste et un
penchant matérialiste et cette dichotomie allait le tourmenter
toute sa vie, même si à la fin il se déclara agnostique (ibid.,
p.118-119 et p.142). Darwin assit les fondements de sa
théorie de la sélection naturelle à partir d'un réseau
d'observateurs de races d’animaux domestiques et de plantes
cultivées. La première notion-clé, c’est la variation : il
considéra que chaque couple d’une même espèce pouvait
donner un nombre considérable de descendants différents par
de petites variations individuelles fortuites. Puis il introduisit
sa deuxième notion-clé, la sélection naturelle : “ J'ai donné le
nom de sélection naturelle à ces conservations des différences
et des variations individuelles favorables et à cette
élimination des variations nuisibles ” (ibid., p. 158). La mort
sélectionnait les moins aptes à la survie. C’est le fameux
struggle for life, le combat pour la vie, dont l’enjeu est, pour
l’individu, d’assurer à tout prix sa descendance. Darwin mit
d’emblée
en
garde
contre
toute
interprétation
anthropocentrique : il ne prêtait aucun pouvoir immanent à la
nature ni aucune intelligence à la sélection naturelle.
Indépendamment de Charles Darwin, Alfred Russel Wallace
(1823-1913) était arrivé pratiquement aux mêmes
conclusions. Selon Bowler, l'adhésion à la thèse de Darwin
ne fut pas due à une acceptation générale de la théorie de la
sélection naturelle mais à “ l'exploitation de l'évolutionnisme
par ceux qui étaient déterminés à faire de la science une
nouvelle source d'autorité dans le monde occidental ” (ibid.,
p.185). Huxley propagea les idées de Darwin avec la volonté
de défier le pouvoir conservateur de la communauté
scientifique dans la société victorienne censée être de volonté
— 65 —
divine. Cette théorie permettait de sortir de l'impasse de
l'échec du lamarckisme et en outre permettait de soutenir une
vision progressionniste de l'évolution et, le progrès social
allait pouvoir être considéré comme la suite naturelle de
l'évolution. Cette idée plut à la bourgeoisie victorienne, qui
défendait l'idée libérale selon laquelle le progrès social était
le résultat d'efforts individuels humains (ibid., p.195-196).
Au final, en Grande-Bretagne, l'évolutionnisme darwinien fut
accepté d'emblée en 1860 et plutôt sous la version
évolutionnisme théiste — le progrès va vers un but voulu par
Dieu, ceci pour rassurer les autorités religieuses qui tenaient
le corps social. (ibid., p. 212).
Cette théorie eut rapidement pour résultat de classer la
communauté scientifique en deux clans opposés : les
darwiniens, partisans de la doctrine évolutionniste* de
Darwin et les partisans encore nombreux de l'ancien fixisme*
de l'école de Cuvier. Mis à part les fixistes, la théorie ne fut
pas acceptée d'emblée : les variations n'étaient pas le fruit du
hasard, elle suivaient un plan déterminé et la sélection
naturelle éliminait les variations nuisibles, elle avait un rôle
secondaire et négatif (ibid., p. 187). Progressivement, les
scientifiques se rangèrent à un évolutionnisme dirigé —
orthogenèse — et non adaptatif — lorsque l'adaptation était
trop flagrante, ils se rabattaient sur le lamarckisme (ibid., p.
218-219). Darwin ne put se débarrasser d'une croyance
résiduelle en l'hérédité de l'acquis (ibid., p. 221). Les
implications religieuses rendirent le débat passionné : les
clergés anglais et français lui furent particulièrement hostiles
et la France, entre 1860 et 1880, fit de la résistance à cette
nouvelle école de pensée ; ce fut une période de prudence et
de grande rigueur sous la houlette d'une communauté
scientifique vieillissante.
— 66 —
Aux Etats-Unis, “ où la paléontologie et la biologie
n’existaient qu’à l’état d’ébauche, l'évolutionnisme rencontra
beaucoup de résistance, le darwinisme social de Spencer
entraînant une forte opposition ” (Mayr, 1982, p .496-497).
En Allemagne, le darwinisme remporta rapidement
l'adhésion. Ernst Haeckel (1834-1919) de l'Université d'Iéna,
qui ne croyait pas à la sélection naturelle, associa le
darwinisme et le concept de récapitulation. Le but ultime de
la nature était pour lui l'Homme (Bowler,1995, p. 191). Il se
fit le propagateur et le vulgarisateur un peu trop zélé de ses
idées puisqu'on peut le considérer comme à l'origine du
courant eugénique anglo-saxon.
Après la mort de Darwin en 1882, la plupart des
biologistes n'acceptaient plus la sélection naturelle. Selon
Bowler, c'est la perte de croyance dans le progrès humain qui
en serait la cause (ibid., p. 266). La théorie darwinienne avait
déjà changé.
En 1883, August Weismann (1834-1914), en
Allemagne, s'attaqua à l'hérédité des caractères acquis pour
en démontrer l'impossibilité : selon lui l'hérédité aurait pour
base une substance, appelée plasma germinatif, contenue
dans les cellules reproductrices et en aucune manière ce
plasma ne pouvait être modifié par des influences extérieures:
ainsi se créa un nouveau courant, le néodarwinisme*.
La situation française changea après la disparition des
représentants de la vieille école naturaliste, mais aussi à
l’arrivée des républicains au pouvoir et à l’offensive des laïcs
dans le domaine de l’instruction publique. Mais les
chercheurs français après 1880, s'ils n'étaient plus fixistes,
étaient néo-lamarckistes et refusaient la théorie de
Weismann. Selon Cuénot, la polémique dura 40 ans de 1883
à 1923. Ils croyaient en l’hérédité de l’acquis c’est-à-dire en
la transmission des variations adaptatives du soma* au
— 67 —
germen* et, de plus, en suivant le darwinien Georges John
Romanes (1848-1894), ils refusaient d'accorder un rôle
essentiel à la sélection naturelle. A cet égard, il est intéressant
de noter que Lucien Cuénot n'employait jamais le terme de
darwinisme ou de néo-darwinisme mais de transformisme. Le
transformisme de Lucien Cuénot, c'était l'évolution par
variations continues fortuites, sans hérédité de l'acquis, avec
une sélection naturelle minimisée qui éliminait les extrêmes,
les moins aptes ; il y avait des tendances à l'évolution dirigée
dans certaines lignées, mais l'évolution n'était pas dirigée vers
un but ou vers l'Homme. Il y avait même l'idée, à cette
époque, de retour aux caractères ancestraux, d'atavisme
inéluctable, voire de régression, mais bien moins chez Cuénot
que chez ses contemporains.
Les principales oppositions d'ordre scientifique faites
à la thèse mutationniste de Weismann étaient en partie
justifiées :
- La sélection naturelle ne crée rien, elle trie les variations
existantes, éliminant les moins aptes.
- Les néo-lamarckistes refusaient d'admettre que seul le
germen posséderait du plasma germinatif.
- Les lamarckistes opposaient aux néo-darwiniens l’action de
facteurs externes qui peuvent modifier le bon fonctionnement
des gènes donc le cours normal d’une embryogenèse
(aujourd’hui appelés par les embryologistes phénomènes
épigénétiques*).
- Certains, comme Alfred Giard(1846-1908), prirent la
théorie de Weismann pour un retour à la théorie de
l’emboîtement des germes, le plasma germinatif contenant en
puissance l'organisme dans son entier : cette vieille théorie
fut inspirée de l’animal-machine de Descartes, dont les
gonades contiendraient en germe un minuscule être préformé.
— 68 —
- Enfin le concept d’hérédité de l’acquis est une affaire de
sens commun, plus facile à comprendre, moins complexe ; il
est “ enraciné dans les plus profondes conceptions humaines
” (Delsol, 1998, p.34).
- On peut y voir aussi une explication de nature
socio-politique : Si la République se devait d'être
évolutionniste (en opposition à l'obscurantisme), la tradition
française ne pouvait accepter pleinement le darwinisme et les
idées libérales, à tendances eugéniques, si facilement
propagées dans les pays anglo-saxons. D'ailleurs, sous la IIIe
République, il y eu un net mouvement qui consista à faire de
Lamarck un héros de la République dans les années 1880
(Limoges, 1976, p183). Il fut dit que le lamarckisme était
plus proche des mouvements de gauche et le darwinisme des
mouvements de droite. Enfin, lamarckisme et darwinisme
avaient aussi leurs partisans dans le monde de la littérature
puisque “ Balzac fut un vulgarisateur des idées de Lamarck
comme plus tard Zola le fut des idées de Darwin ” (Giard,
1911). D'après Philippe L’Héritier, l'un des rares artisans de
la théorie synthétique de l’évolution en France, il ne faut pas
négliger non plus l’influence de la religion catholique qui
préférait encore le lamarckisme à la limite plus moral au
hasard darwinien. “ En fait, je me demande si ceci n'était pas
non plus le produit d'une tradition religieuse propre à notre
pays. On constate par exemple que les théories
évolutionnistes de Darwin ont été plus facilement admises
dans les zones protestantes de l’Europe du Nord ou du monde
anglo-saxon et moins bien dans les pays catholiques de
l’Europe du Sud. Quant au mendélisme, s’il a été admis
rapidement en Allemagne, en Angleterre, mais ce n’est pas le
cas en France ou en Italie (les biologistes italiens sont
pratiquement tous allés travailler en Amérique) ” (L'Héritier,
entretien 1986, Source Internet et Buican, 1982, p. 581).
— 69 —
- Enfin, le rejet du darwinisme peut aussi trouver sa source,
selon Rostand, dans un rejet de ce qui venait d'Angleterre.
Par orgueil national, il était tentant d'opposer Lamarck à
Darwin et l’occasion était trop belle de réhabiliter “ le père
du transformisme ” (Cuénot, Lamarck, Radio-Paris, 1932).
2. La période 1883-1892 : itinéraire d'un étudiant
en zoologie sous la IIIe république
Louis Pasteur et Claude Bernard ont fait leurs travaux
dans des conditions déplorables et avaient déjà en leur temps
jeté des cris d'alarme. Pour l'université qui octroyait des
chaires à ses professeurs, l'enseignement oral représentait le
prestige absolu. Lorsque l'un d'entre eux faisait une
découverte importante, on lui proposait une chaire à la
Sorbonne. Cuénot décrit les cours fastidieux, parfois “ nuls ”
à la Sorbonne vers 1883, où régnait encore “ l'atmosphère de
Geoffroy Saint-Hilaire, de Savigny et Ducrotay de Blainville
”; Henri Milne-Edwards (1800-1885) et Armand de
Quatrefages (1810-1892) étaient en fin de carrière, les
professeurs de la IIIe république venaient en habit et cravate
et portaient souvent des favoris, la redingote distinguait les
maîtres de conférence (Cuénot, Discours, 1948). Le Muséum
dormait sur ses lauriers et “ nombre de ses chaires étaient
occupées par des fils d'archevêques ”. Jamais Cuénot
n'entendit “ les noms de Lamarck et de Darwin ni la moindre
allusion au phénomène de l'évolution ” (ibid.). A l’époque où
Lucien Cuénot commençait ses études à la Sorbonne en 1883,
il fut attiré par la paléontologie, mais c’est la zoologie qui
retint son attention définitive, enthousiasmé par les exposés
d’Henri de Lacaze-Duthiers (1821-1901) qui sera
examinateur pour sa thèse sur les astérides. C’est d'ailleurs à
— 70 —
lui que le jeune Cuénot alors âgé de 21 ans dédie sa thèse
soutenue en 1887. “ Cher Maître, […] C'est vous qui m'avez
fait aimer la zoologie, c'est vous qui, par votre constante
bienveillance, m'avez permis de poursuivre mes études dans
vos laboratoires ; je vous dois tout ....” .
La zoologie avant 1900 était représentée
essentiellement par Yves Delage (1854-1920) et Alfred
Giard. Elle se réclamait des visions mécanistes de Jacques
Loeb (1859-1924) (U.S.A.), de l'embryogénie de
W.Kowalevsky (1840-1901) (Russie) sur l'Amphioxus et les
Ascidies ou de Metalnikoff (U.S.A.), de Pierre-Joseph Van
Beneden (1846-1910) en Belgique, et du monisme et de la
phylogénie d'Ernst Haeckel (1834-1916) (Allemagne) : ils
acceptaient tous le darwinisme mais avec l'hérédité de
l'acquis et en minimisant la sélection naturelle à la manière
de Romanes. Tous s'intéressaient à la fécondation, la
parthénogenèse et l'embryologie. Mis à part les
néo-lamarckistes, très peu de biologistes français acceptèrent
ce qui allait devenir la théorie synthétique de l'évolution.
Henri de Lacaze-Duthiers (1821-1901) était le dernier
représentant de l’école du transformisme d’Etienne Geoffroy
Saint-Hilaire (1772-1844) ; beaucoup de ses travaux ont été
dirigés par le principe de connexion des organes (Cuénot,
1932, p. 13). La nature a créé les êtres vivants selon un même
plan d'organisation et a varié infiniment autour de ce même
plan ; à partir des mêmes matériaux, elle s’ingénie à faire
réapparaître les mêmes éléments, les organes sont liés : si
l’un se développe exagérément, les autres se réduisent à l’état
de rudiments. Lacaze-Duthiers fut considéré par certains
comme un disciple arriéré de Cuvier confiné dans les détails
anatomiques, et dont le but ultime était la classification
(Pruvot, 1902, p. 30-31). Cependant il écrivit en 1872 (ibid.,
p. 34) que la zoologie descriptive avait fait son temps, qu'elle
— 71 —
devait désormais compter avec la morphologie, l’histologie et
l'évolution. Il affirma en 1869 (ibid., p. 36), à la Sorbonne, ne
pas être antagoniste au darwinisme, reconnaître la lutte pour
la vie et la sélection naturelle, mais en minimisant leur
influence, et admettre la variabilité “ dans les limites où elle
peut être prouvée” . Henri de Lacaze-Duthiers proposa, avec
Armand de Quatrefages (1810-1892), la candidature de
Darwin à la section de Zoologie à l'Académie des Sciences
de Paris. Il la défendit chaudement mais en vain. La
candidature de Darwin à l'Académie de Sciences de Paris en
1870 fut rejetée (Théodoridès, 1987, p. 57-58). Darwin ne fut
admis qu'en 1878, et encore, dans la section botanique
(Buican, 1982, p.579). Il s'ensuivit une correspondance où
Darwin se réjouissait de ce que “ quelques-unes des idées
exprimées dans (son) article (lui) ont laissé croire qu'(il)
acceptait les principes de l'évolution ” (Théodoridès, 1987, p.
58). Elève d’Henri Milne-Edwards, il se passionna lors d'un
voyage aux Baléares pour la faune des invertébrés marins
jusqu'alors peu étudiée si ce n’est par Lamarck, Cuvier
s’étant surtout intéressé aux vertébrés. Il créa les premiers
laboratoires de zoologie expérimentale marine, le premier à
Roscoff de 1872 à 1880, puis le laboratoire Arago à
Banyuls-sur-Mer. A cette époque, les financements publics
pour ce genre de projets étaient inexistants et il eut recours à
des fonds privés, parmi lesquels ceux du prince Roland
Bonaparte qui mit à disposition un bateau à vapeur baptisé Le
Roland ; celui-ci permit d’explorer les fonds sous-marins dès
1893 (Pruvot, 1902, p. 40-43). Il était difficile d’être admis
dans son laboratoire où les étudiants étaient soumis à une
rude discipline ; mais si l’épreuve était gagnée, alors le
Maître donnait toute sa confiance à l’élève, accordant ses
faveurs comme un voyage gratuit à Roscoff par exemple
(Discours d'Yves Delage, 1902, p. 50-51). Pour réaliser sa
— 72 —
thèse consacrée à l’étude zoologique des astérides (étoiles de
mer), Cuénot fit deux séjours, à Roscoff et à Banyuls (Album
de famille, Correspondance Lacaze-Duthiers, Thèse Cuénot).
En 1897, de retour à Nancy, Cuénot remerciait son “ cher et
illustre, son éminent maître ”, Henri de Lacaze-Duthiers, de
la cordiale hospitalité du laboratoire, “ sorte de couvent
laïque ”, mais constatait déjà que Roscoff avait bien changé
sous
l'affluence
des
baigneurs
(Correspondances
Lacaze-Duthiers, 27 mai 1893, août 1893 et 4 septembre
1897).
A cette époque, il n’y avait qu’une quinzaine
d’universités dans les grandes villes de province, une seule
chaire de zoologie à Paris. En outre il y avait le Muséum
d'histoire naturelle, le Collège de France, les Hautes Etudes et
l’Institut Pasteur. Les professeurs détenaient un prestige
certain et la majorité d'entre eux était lamarckiste. Les
premiers à propager les idées transformistes en France furent
Edmond Perrier (1844-1921) et Alfred Giard (1846-1908).
Parmi les professeurs que Cuénot a le plus admirés, il
y avait Yves Delage et Alfred Giard, même si ces derniers se
détestaient à tel point qu'ils ont failli se battre en duel vers
1895 (Delage, 1895, lettre ouverte à Mr le Pr Giard, 21 mars
1896) Cuénot parle du “ joli panier de crabes ” avec
Lacaze-Duthiers, Giard, Delage et Perrier, tous en
compétition pour des chaires de Paris, pour l'Institut, pour des
présidences... (Cuénot, discours, Commandeur, 1948).
Alfred Giard fut élève de H. de Lacaze-Duthiers,
chargé de cours d'évolution des êtres organisés en 1888 — “
fonction municipale à laquelle la politique anticléricale n'était
pas étrangère ” (Cuénot, Discours, Commandeur, 1948), puis
professeur à partir 1892 à cette première chaire de la Faculté
de sciences de Paris, membre de l’Académie des sciences en
1900. Il possédait “ une érudition prodigieuse lui permettant
— 73 —
d'exercer son don de généralisation ” (ibid.). Lorsque Cuénot
fit ses études, Giard était considéré comme “ un hérésiarque à
la dent dure qui professait des idées avancées, mais il était
malséant de le connaître ” (Cuénot, introduction, manuscrit
de L'évolution biologique ; carnet de bord, p. 6 ; discours,
1948). Il créa la station zoologique de Wimereux en 1874.
Giard, comme Delage, accusa injustement Lacaze-Duthiers
de s'être opposé au transformisme, notamment dans une
correspondance à Ernst Haeckel, en 1901 : “ La mort de
Lacaze nous a délivrés de la tyrannie des derniers adversaires
du transformisme ” (Théodoridès, 1987, p. 67). Pourtant
l'insatisfaction du darwinisme est présente chez lui : il cite les
confessions du darwinien Romanes (à qui l'on doit le terme
de néo-darwinisme* en 1896) qui avouait que, pour lui, les
mots sélection et hérédité avaient des vertus magiques, mais
n’expliquaient pas tout et notamment pas les effets du milieu.
Giard distinguait les facteurs primaires — l’influence du
milieu cosmique comme la lumière, la température, ou du
milieu biologique, la réaction éthologique (convergence,
adaptation) et la réaction contre le milieu biologique comme
le mimétisme, et les facteurs secondaires — l’hérédité qui
n'était pour lui que le résultat des facteurs primaires et la
sélection qui ne crée rien en soi et agit comme un
accélérateur de l’évolution. Les mutations brusques
n'existaient pas, mais étaient le résultat d’une lente
préparation de l'organisme vers un nouvel état d’équilibre.
Cuénot semble avoir entretenu de bons rapports avec Giard
comme en témoigne sa correspondance de 1897-1899 : “ La
pauvre Société zoologique a grand besoin d'être relevée ”,
soupirait Giard en confidence à Cuénot.
Yves Delage (1858-1920) était professeur de zoologie
à Caen et directeur des laboratoires Arago à Banyuls en 1883.
Il étudia la parthénogenèse expérimentale chez les
— 74 —
échinodermes au laboratoire Arago : ce type de travaux était
en vogue vers 1900, car on cherchait à comprendre les
mécanismes du déclenchement de la fécondation et de
l'embryogenèse : on réalisait des parthénogenèses
expérimentales
qui
consistaient
en
inductions
physico-chimiques de l'embryogenèse sur des ovules non
fécondés d'oursins, de grenouilles, etc., et des expériences de
mérogonie* qui consistaient à scinder un œuf vierge en deux,
l'un nucléé, l’autre non. Il en perdit la vue à partir de 1904,
Cuénot accusant un trop grand usage du microscope. Delage
dressa un tableau assez édifiant de la zoologie française en
cette fin de siècle dans son ouvrage La structure du
protoplasme (1895). Malgré la fondation des laboratoires de
biologie marine où se pratiquaient les techniques
microscopiques les plus modernes, les Français étaient à la
traîne et, qui plus est, dans une impasse : pour une
publication en français, il en paraissait trois en anglais et dix
en allemand ! (Delage, 1895, p. 4). “ Alors qu'en France,
nous nous attardons dans les sentiers battus pendant qu'à
l'étranger, on va de l'avant ”. La recherche française consistait
à cette époque en une accumulation de travaux d'observation
stériles : anatomie comparée, embryogénie descriptive,
cytologie. “ J'avertis qu'il est temps de pousser les recherches
dans une voie nouvelle ” (ibid., p. 7-8), Delage entendait par
là “ l'évolution, l'hérédité, la biologie cellulaire, la
différenciation ontogénétique ”. Il mettait en garde les
biologistes qui au moyen de solutions nominales et sans s'en
rendre compte, étaient en train de transformer l'hérédité,
l'atavisme, l'adaptation en “ forces directrices ”, en “ divinités
biologiques ” (ibid., p. 17). Pour sortir de cette impasse, il
attendait “ l'expérience décisive, plus difficile à concevoir
qu'à exécuter ”, une expérience entrant dans le cadre d'une
théorie scientifique, et qui permettrait de sortir la recherche
— 75 —
en biologie de l'impasse dans laquelle elle était à l'époque,
accumulant les monographies descriptives et ne permettant
de tirer aucune conséquence. Delage qui admirait les
philosophes de la nature en prenant comme modèle Spencer,
rêvant de voir philosophes et scientifiques s'aider
réciproquement pour une meilleure compréhension commune
de leur discipline. Son appel semble avoir été entendu quand
on pense au philosophe Henri Bergson. Et Cuénot saura
concevoir l'expérience décisive. De plus c'est à Delage que
Cuénot doit son élection à l'Académie des sciences comme
membre correspondant en 1918 comme en témoigne leur
correspondance. Delage était un lamarckiste prudent qui
n'accueillait pas tous les faits sans réserve loin de là. Il était
réservé quant à la formation des espèces les unes des autres
par variations lentes et continues (ibid., p. 265 et 298) et
opposé à la théorie du plasma ancestral de Weismann (ibid.,
p. 529), plus favorable aux thèses de Wilhelm Roux.
— 76 —
Chapitre III : Hérédité et Mendelisme
1. Rappel historique
La découverte des mécanismes de l'hérédité date
d'une centaine d'années. Jusqu’au déclin du fixisme, personne
ne s’était sérieusement soucié de l'hérédité, mis à part
quelques travaux isolés qui restèrent sans échos en leurs
temps. Et ce n’est pas Charles Darwin qui inspira les
recherches de Gregor Mendel, le véritable père de la
génétique. Créer de nouvelles variétés végétales fut depuis
longtemps déjà la motivation première des pionniers de cette
science qui n'allait voir le jour qu'en 1906 sous le nom de
génétique.
Lucien
Cuénot
reste
encore
aujourd'hui
indissolublement lié à la redécouverte des lois de l’hérédité
en France. Certes il ne fait pas partie des trois
co-redécouvreurs des lois de Mendel chez les végétaux en
1901, mais ses travaux inédits chez l’animal, au même titre
que ceux de William Bateson en 1902 en font un des
pionniers de la génétique à l'échelle internationale.
Dans un climat peu favorable, hostile même, il fit
œuvre de pionnier. Il participa à la naissance d’une
discipline, la génétique, à une époque où la zoologie
s'essoufflait, noyée sous l'accumulation d'observations et
faute d’expérimentation méthodique. Le terrain était préparé
certes : l’intérêt pour la fécondation, le déterminisme du sexe,
la parthénogenèse... Mais la grande tradition de la zoologie
française ne préparait en aucune manière à ce type de
recherche expérimentale. Le XIXe siècle finissant sonna le
glas de la biologie traditionnelle héritée de Buffon, Linné,
— 77 —
Cuvier : observation de la nature, classification, travaux
d’anatomie comparée... Tout cela dans un fort climat
néo-lamarckiste* et sans encore de volonté à mettre en place
de réelles expérimentations suivant la méthode prônée par
Claude Bernard. Il est vrai qu'à cette époque le darwinisme*
est mis à mal et qu’aucune théorie solide ne remporte
l’unanimité : il est alors difficile de baser une
expérimentation sans hypothèse de travail sérieuse. Afin de
comprendre l’importance des travaux de Lucien Cuénot sur
l’hérédité, il est nécessaire d’effectuer un retour en arrière et
de dérouler à nouveau le fil du temps de cette fin de siècle.
Absence de concept d’hérédité
Charles Darwin ne fit jamais référence au travaux
décisifs de Gregor Mendel, même si on peut être certain qu'il
en eut connaissance (Orel, 1991, p. 113-114). Le texte
fondateur de la génétique moderne, Expériences sur les
plantes hybrides, parut en 1865 dans une revue de faible
audience. Darwin proposa en 1868, comme hypothèse
provisoire, une théorie de la pangenèse basée néanmoins sur
un support matériel biologique : des petites particules
appelées gemmules seraient produites par chaque partie du
corps et transmises aux organes reproducteurs où elles
seraient susceptibles de s'agréger. Darwin ne comprit pas les
aléas de la transmission héréditaire car l’époque ne disposait
d’aucun indice susceptible de servir de base à une théorie ou
une loi : les apports de la cytologie à la division cellulaire, au
principe de reproduction, au déterminisme sexuel ou au
développement embryologique étaient encore à venir.
Cependant cette théorie, d'inspiration lamarckiste, impossible
à prouver expérimentalement, resta marginale dans son
œuvre — minimisée par son fils Francis — et ne lui fut
d'ailleurs presque d’aucun secours. Partant du principe que
— 78 —
les gemmules des deux parents se mélangeaient à la
fécondation, comment expliquer l’apparition soudaine de
caractères différents des parents ? Comment réapparaissaient
les caractères ancestraux (l’atavisme) ? Sur quel support
matériel agissait la sélection naturelle ?.
Le botaniste français, Charles Naudin
En France, on trouve trace de premiers travaux
mettant en évidence la ségrégation des caractères et la
dominance de certains, avec les recherches de Sageret en
1826 chez les cucurbitacées (melon...). Mais les premiers
travaux français sur l’hybridation furent réalisés par Charles
Naudin (1815-1899) vers 1863-1865, au même moment donc
que les fameux travaux de Mendel : ils consistaient en
croisements d’espèces végétales : Datura, Primula,
Nicotiana, Petunia... Naudin constata, dans les cas de
fécondation croisée, la grande homogénéité de la première
génération F1 même si parfois il observait des hybrides qui
étaient des sortes de mosaïques des deux parents. A la
deuxième génération F2, il observait la disjonction des
caractères temporairement réunis dans l’hybride F1 et la
réapparition des caractères des deux parents initiaux ce qu’il
explique par la disjonction de deux essences spécifiques dans
le pollen et dans l’ovule des hybrides. Naudin ne put pousser
plus loin ses travaux faute d’un matériel adéquat, ses espèces
renfermant un trop grand nombre de caractères différents. A
la même époque, Godron à Nancy reproduisait les travaux de
Naudin qui lui-même répétait ceux de Godron.....
Gregor Mendel, les lois de l’hérédité particulaire
“ Un mélange heureux d'influences économiques et
académiques, ajouté à un talent propre et à une forte
motivation personnelle menèrent Mendel à sa grande
— 79 —
découverte ” (Orel et Wood, 2000, p. 1037). Gregor Mendel
(1822-1884), devint moine au couvent de Brünn (Brno) en
Moravie pour assurer sa sécurité financière et s'épargner “ les
rudesses de la lutte pour la vie”. Il vécut dans un
environnement culturel propice, véritable “ catalyseur
exceptionnel pour son désir de poursuivre ses études ” (Orel,
1991, p. 31). Ayant étudié les mathématiques, la chimie,
l'entomologie, la paléontologie, la botanique et la physiologie
végétale, il fit en outre de la physique expérimentale à
Vienne avec Christian Doppler, ce qui lui plaisait
particulièrement. C'était l'époque où l'on pensait que la nature
toute entière était régie par des lois et les physiciens — qui
prônaient le recours à l'expérience — cherchaient à découvrir
des lois mathématiques qui régissaient les particules de la
matière. Ainsi Mendel mit en place ses fameuses expériences
avec une parfaite connaissance des derniers travaux en
matière de fécondation et de techniques d'hybridation
végétale et avec la volonté de mettre en pratique la méthode
apprise en physique. Pourtant, à cette époque, on ne
s'intéressait pas à l'hérédité mais à la reproduction, encore
bien mystérieuse, même si on pensait que l'hérédité pouvait
avoir un lien avec ce phénomène. Mendel savait
qu'Hofmeister et Gartner proposaient déjà la participation des
deux parents à la fécondation et avait lu Unger. Mendel
corrrespondit avec le botaniste de Munich Carl Nägeli
(1817-1891) et lui confia qu'il avait l'intention de faire des
expériences proposées par Gartner : il sélectionna une
légumineuse, Pisum, le pois, suivit 34 variétés pendant deux
ans pour s'assurer que les caractères demeuraient invariables,
ce que n'avait pas fait ses prédécesseurs. Il choisit de suivre
sept caractères dont la forme ronde ou ridée des grains, la
couleur verte ou jaune de l’albumen, la couleur des fleurs et
la longueur des tiges (Orel, 1991, p. 31-48).
— 80 —
Sa première expérience consista à croiser des plantes
de race pure*, l'une à graines lisses, l'autre à graines ridées.
Les hybrides de ce croisement F1 avaient tous des graines
lisses, quel que soit le sens du croisement (pollen ou ovules à
graines lisses ou ridées). La saison suivante, Mendel sema les
graines d'hybrides à graines lisses, et obtint une génération
F2 contenant un rapport de trois plantes à graines lisses pour
une à graines ridées : le caractère graine ridée réapparaissait.
Mendel en conclut que le caractère était resté latent dans
l'hybride. Il nomma dominant le caractère qui l'avait emporté
et récessif celui qui avait cédé le pas. Puis Mendel poursuivit
la saison suivante : il sema des graines lisses et ridées de la
F2. Il soumit les plantes ainsi obtenues à une
autofécondation, obtenant ainsi la génération F3. Les graines
ridées n'avaient donné que des ridées, un tiers des lisses
avaient donné des lisses et les deux autres tiers, des lisses et
des ridées dans la proportion de 3 pour 1. Il poursuivit encore
avec une quatrième génération. Il conclut que les hybrides
recevaient un caractère de chacun de leurs parents et établit
une formule qu'il appela série simple AA+2Aa+aa pour
désigner les types dans la descendance hybride.
Mendel chercha ensuite à vérifier cette loi avec deux
caractères différents. Il croisa des plantes de race pure, lisses
jaunes et ridées vertes. Il obtint sans surprise une F1 toute
lisse jaune. A la F2 il obtint 16 combinaisons parmi
lesquelles 9 à graines identiques aux graines parentales mais
aussi des graines qui différaient : 3 lisses-jaunes, 3
ridées-jaunes et 1 ridée-verte. La proportion de 9:3:3:1 fut
exprimée par Mendel par deux séries simples : AA+2Aa+aa
et BB+2Ba+bb. La combinaison aléatoire d'un nombre
quelconque de caractères, découverte par Mendel, fut appelée
ensuite loi de disjonction indépendante des couples de
caractères. Il croisa ensuite des hybrides avec des
— 81 —
homozygotes récessifs et constata une ségrégation totale des
caractères dans une proportion 1:1:1:1, ce qu'il appelait alors
retour de la progéniture aux formes parentales. A cette
époque on était pas certain du fait que la fécondation des
plantes supérieures nécessitait un grain de pollen et un ovule.
Mendel le démontrait pourtant indirectement par ses
expériences. Si les communications faites à Brno en 1865
suscitèrent un intérêt certain, personne n'en mesura les
conséquences et notamment Carl Nägeli. Mendel poursuivit
sur le haricot (Phaseolus) mais il rencontra une difficulté car
il obtint par croisement de fleurs pourpres et blanches des
hybrides de couleur plus ou moins prononcée. Mais
appliquant la même méthode, il conclut que la couleur
obtenue requérait à chaque fois deux éléments et que les
diverses combinaisons obtenues étaient responsables des
couleurs qui apparaissaient. Il travailla aussi au croisement
d'espèces différentes de Hieracium. Ces expériences,
complexes car Mendel rencontra un problème qu'il ne
pouvait à l'époque expliquer, l'apogamie c'est à dire un
phénomène de reproduction asexuée, furent néanmoins
publiées.
Mais sa vue baissait et ses nouvelles responsabilités
de supérieur du Couvent l'accaparèrent et l'empêchèrent de
poursuivre ses recherches (ibid., p. 55-87). D'autre part, il ne
s’appesantit pas sur l’aspect génétique, mais plus sur les
efforts des producteurs pour obtenir des hybrides stables : on
pensait alors que le climat, le sol, la température influaient
sur l’apparition des caractères — la fameuse hérédité
lamarckiste des caractères acquis — ce en quoi Mendel
s’opposait. De toute manière, la communauté scientifique de
l’époque n’était pas prête à accueillir son travail qui ne fut
perçu en 1865 que comme un modèle d'hybridisme horticole.
Par ailleurs, le caractère discontinu des variations héréditaires
— 82 —
allait à contre-courant des concepts de l’époque. Le travail de
Mendel ne put être compris qu’après la remise en cause des
éléments énoncés par Charles Darwin. Et il faudra attendre
1900 pour qu’elle soit perçue comme le lien entre variation et
la sélection naturelle.
Découvertes cytologiques en cascade (Pichot, 1999)
Vers 1860, Georges Newport (1803-1854) découvrit
que, chez les amphibiens, le spermatozoïde pénétrait dans
l’ovule. En 1876, Oscar Hertwig (1849-1922) découvrit chez
l’oursin que spermatozoïde et ovule fusionnent. Vers 1880,
Edouard Strasburger (1844-1912) étudie la division cellulaire
chez les végétaux et invente les termes de cytoplasme,
nucléoplasme, haploïde et diploïde. Walther Flemming
(1843-1905) l’étudiant chez les animaux lui donne le nom de
mitose et introduit le terme de chromatine.
Ces deux derniers découvrent des particules
colorables de nombre constant dans le noyau, qui seront
appelées chromosomes en 1888 par Wilhelm von
Waldeyer-Hartz (1836-1921). Theodor Boveri (1862-1915)
découvrit la réduction chromatique en 1887. Wilhelm Roux
(1850-1924), le pionnier de l'embryologie expérimentale,
interpréta leur division longitudinale comme le partage du
matériel héréditaire. Entre 1883 et 1887, le cytologiste belge
Edouard von Beneden (1846-1910) montra que, chez
l’ascaris, ils sont en nombre identique chez le mâle et la
femelle et que ce nombre est deux fois moindre que dans les
cellules somatiques. En 1903, les chromosomes étaient
individualisés dans le noyau de la cellule.
Les théories héréditaires (1860-1900)
C’est une période de flou : un certain nombre de
théories sont proposées, mais aucune n’est satisfaisante.
— 83 —
Parmi celles-ci, il faut retenir plus particulièrement celles
d'August Weismann et d'Hugo de Vries.
- Les stirps de Galton : en 1875, Francis Galton —
cousin de Charles Darwin — cherchant à éliminer toute
hérédité de l’acquis, propose une sorte de réserve de stirps
qui doit nécessairement se reconstituer pour ne pas
disparaître : au hasard, une partie du stirp — qui par ailleurs
ne circule pas dans le corps à la différence des gemmules de
Darwin — servira pour la génération ultérieure. Le stirp du
père se mêle à celui de la mère et il y a compétition entre eux
(Delsol, 1998, p. 87-91).
La
théorie
de
la
pangenèse
intracellulaire de Hugo de Vries
:
Hugo
de
Vries
(1848-1935) développa cette théorie de l’hérédité en même
temps d'August Weismann. Mais nous retrouverons Hugo de
Vries au chapitre suivant, lorsqu’à la redécouverte des lois de
Mendel, il développa sa théorie des mutations d’une
importance toute particulière. Dans cette théorie de la
pangenèse, les gemmules de Charles Darwin deviennent des
pangènes localisés dans le noyau où ils existent en plusieurs
exemplaires. Ils sont libres de passer dans le cytoplasme et
deviennent alors actifs. Ils permettaient d’expliquer les
variations indépendantes par le fait de leur autonomie et de
leur existence en plus ou moins grand nombre (plus le
nombre d’exemplaires est important, plus le caractère
correspondant est marqué).
- La théorie du plasma germinatif d'August Weismann
et les autres théories allemandes (Pichot, 1999, p. 43-72 ;
Delsol, 1998, p. 20-32) : August Weismann (1834-1914),
professeur à l’Université de Fribourg-en-Brisgau, au cours
— 84 —
d’un discours qui se voulait une critique de l’hérédité des
caractères acquis, le 21 juin 1883, exposa sa conception
théorique de la continuité du plasma germinatif, à une époque
où le mécanisme de la méïose était encore inconnu. Les
cellules germinales se séparent très tôt des autres cellules de
l’individu dans l'embryogenèse et constituent une lignée
cellulaire indépendante. A cette époque on savait que la
fécondation réunissait les cellules germinales mâles et
femelles mais on pensait qu’elles étaient seules à posséder du
matériel héréditaire. Même si on sait aujourd’hui que les
cellules somatiques renferment elles aussi le génome de
l’individu, cette distinction avait son importance à l’époque
car elle focalisait l’attention sur les cellules reproductrices
dans la compréhension des mécanismes héréditaires. Il
introduisit donc le concept de soma* et de germen*, ainsi que
le concept de néo-darwinisme*. Il affirma l’existence d’une
substance héréditaire, d’un véhicule matériel des tendances
héréditaires, contenu dans le noyau de la cellule germinative.
Le plasma germinatif contenu dans les cellules germinales est
le nom qu’il donna au support matériel de l’hérédité. Il était
selon lui constitué de déterminants, particules séparables (par
exemple les cellules qui doivent produire des dents
renfermeraient des déterminants de dents). Cette théorie
purement spéculative avait cependant le caractère
prophétique de la notion de gène. Ces déterminants auraient
été selon lui regroupés en ids (boule de chromatine)
eux-mêmes organisés en idants (chromosomes). Il avait
supposé en outre la thèse de la sélection germinale : les
déterminants héréditaires du germen combattaient entre eux
pour la nourriture et les plus vigoureux prédominaient dans la
descendance. Charles Darwin y avait pensé et confié cela à
Thomas H.Huxley en 1869.
— 85 —
- La théorie des idioplasmes de Nägeli : Carl Nägeli
(1884) — qui ne parla jamais de Mendel avec lequel il
correspondit pourtant de 1866 à 1873 — postulait une sorte
de réseau de filaments qui parcourt le corps : il renfermerait
des fragments qui contiendraient un échantillon de tous les
micelles constitutives de l’organisme ; il serait donc capable
de refaire un nouvel être vivant (Pichot, 1999, p. 50-54).
- Un courant, influencé par Ernst Haeckel et créé par
Wilhelm Roux à partir de 1881 avec Hans Driesch et Oscar
Hertwig (embryologie causale) postulait une théorie de
l'auto-détermination : une lutte des molécules des cellules
entre elles, des tissus entre eux, des organes entre eux
(Delage, 1895).
Toutes ces théories, surtout allemandes, sont proches du
vitalisme. Parmi elles, certaines servirent de base à la
compréhension des lois de Mendel lors de leur redécouverte.
- Hugo de Vries et les mutations brusques (Pichot,
1999, p. 46-49 ; Caullery, 1935, p. 59-66 ; Cuénot, 1932,
Bateson, 1894) : cette théorie est importante car elle fut une
des sources d'inspiration de Lucien Cuénot. August
Weismann n’était pas un partisan des mutations brusques :
elles expliquaient tout au plus les malformations, les
monstruosités. C’était un partisan des petites mutations.
Charles Darwin lui-même les minimisait, les qualifiant de
sports, leur accordant même un statut désavantageux face à la
sélection naturelle. Lorsque le botaniste hollandais Hugo de
Vries redécouvrit les lois de Mendel, il chercha à les
interpréter par une théorie de la mutabilité périodique :
l'espèce, stable pendant de longues périodes, traverse des
périodes de variations brusques et discontinues totalement
— 86 —
héréditaires, permettant d'expliquer l'évolution. Son concept
est sans doute très imprécis, mais il fut à l’origine du
mutationnisme*. Il publia le 26 mars 1900 dans les Comptes
rendus de l’Académie des sciences de Paris un texte intitulé
"Sur la loi de disjonction des hybrides", sans mentionner le
nom de Mendel. L’année qui suivit fut riche en
expérimentations de croisements chez les animaux et les
végétaux. Il publia Die Mutationstheorie en deux volumes :
l’un en 1901, traitant d’expérimentations et d’observations
sur l’origine des espèces par mutations, et le second, en 1903,
contenant une théorie élémentaire de l’hybridation (traduit
par Louis Blaringhem en français en 1909). Ces observations
concernaient une plante Oenothera lamarckiana, dont il avait
trouvé par hasard des variétés spontanées : il les cultiva de
1886 à 1900 à Amsterdam et constata l’apparition de formes
nouvelles et stables, indépendantes du milieu. Ces
observations, pourtant critiquées, lui permirent d’introduire le
concept de mutation, terme déjà employé par le
paléontologiste Waagen en 1868. Sa théorie postulait :
- des variations continues, les fluctuations, sans signification
pour l’évolution — en quelque sorte les écarts autour d’une
moyenne.
- des variations brusques, les mutations qui sont des
altérations brusques du phénotype, fortuites, rares,
discontinues et que l’on ne peut reproduire artificiellement.
Mais de Vries ne sut pas interpréter les lois de Mendel. Il
interpréta les résultats de Mendel par le fait qu’un
homozygote* a des pangènes qui vont par paires identiques et
qu'un hétérozygote* a des pangènes à paires dépareillées. Il
distinguait des mutations rétrogressives correspondant à
l’entrée en latence d’un pangène, des mutations dégressives
correspondant à l’entrée en activité d’un pangène latent et des
mutations progressives, les plus intéressantes pour
— 87 —
l’évolution, les précédentes assurant la diversité ; ces
dernières correspondent à l’apparition d’un nouveau pangène,
mais qui n’étant pas appariable, n’est pas toujours fécond.
Il introduisit néanmoins un concept nouveau depuis
Darwin, à savoir une conception saltatoire, non continue de
l’évolution, en opposition à la théorie continue de Darwin.
De plus il minimisa la sélection naturelle qui ne pouvait
conduire selon lui à l’origine de nouvelles espèces. Ce
concept de mutation était dans l’air du temps. En Angleterre,
William Bateson (1861-1926), adversaire du darwinisme
publiait en 1894 Materials for the study of variations, treated
with especially regard to discontinuity in the origin of
species. Il attaquait vigoureusement la sélection naturelle
soutenant que le milieu ne pouvait jouer aucun rôle dans
l'apparition de nouvelles espèces par mutation (Bowler, 1995,
p. 280). Dans cet ouvrage, Bateson présentait un mélange de
mutations héréditaires et de tératologies individuelles sans
origine héréditaire. Son objectif était de rassembler du
matériel d'observation afin de montrer que l'évolution était
due à la discontinuité de la variation (polydactylies, absence
de dents, pigmentation...) ; il souhaitait également montrer
que les variations ne se diluaient pas nécessairement dans la
population, et qu'elles étaient, d'après lui, directement sous la
dépendance de la sélection naturelle. William Bateson devint
un des acteurs principaux de la redécouverte des lois de
Mendel et il s’opposa vivement à la théorie de H. de Vries, ne
voyant dans les mutations constatées chez Oenothera
lamarckiana que des phénomènes d’hybridation. Il est vrai
que la variabilité chez les végétaux est importante et bon
nombre de cultivateurs, parmi lequel Louis de Vilmorin au
XIXe siècle, avaient déjà su tirer parti de ces extrêmes
variabilités au sein des espèces en isolant des génotypes
particulièrement intéressants (blé, betterave à sucre...).
— 88 —
La redécouverte des lois de Mendel en 1900 (William
Bateson, 1902, Olby 1997 et 2000) : 1900 fut une date
charnière pour la science : Max Planck révolutionnait la
physique, et le mendélisme révolutionnait la biologie. Hugo
de Vries en Hollande, Carl Correns et Erich von Tschermak
en Allemagne avaient relu précédemment l’article de Mendel.
Le 26 mars 1900, de Vries annonçait les résultats de ses
expériences, "La loi de ségrégation des hybrides". Carl
Correns, qui retrouva les lois de Mendel sur les pois et le
maïs en Allemagne, contesta la découverte revendiquée par
de Vries en attribuant à Mendel la priorité. Von Tschermak
avait aussi retrouvé la loi de Mendel sur les pois. Ce dernier
fit reparaître l’article de Mendel en 1901. En Angleterre
William Bateson, pourtant opposé à la théorie de la variation
continue de Darwin, deviendra le plus ardent défenseur des
lois de Mendel, avec son livre paru en 1902 Gregor Mendel’s
principle of Heredity. On trouve, dans la bibliothèque de
Lucien Cuénot, ce livre — ainsi que celui de 1894 —
accompagné d’une lettre de William Bateson datée du 23
juillet 1902. Les raisons du succès remporté en Angleterre
par William Bateson proviennent en partie du fait qu'il prêcha
devant la prestigieuse et influente Société royale
d'horticulture qui comptait 10 000 membres en 1906 — déjà,
entre 1860 et 1898, le nombre de nouveaux hybrides dans
l'horticulture étaient passés de 4 à 800. Il n'eut aucune peine à
convaincre du riche potentiel contenu dans le développement
des techniques d'hybridations végétales en terme de création
de nouvelles variétés. D'autant qu'il avait déjà su attirer
l'attention par la création d'un comité scientifique au premier
congrès international sur le sujet en 1899. Bateson fut en
outre le premier à introduire en 1906 le terme de génétique
— du grec genos qui signifie naissance — pour nommer cette
— 89 —
nouvelle discipline, ainsi que les termes d’homozygote,
d’hétérozygote et d’allélomorphe. William Bateson définit
ainsi la génétique : “ The elucidation of the phenomena of
heredity and variation : in other words, to the physiology of
descent, with implied bearing on the theoretical problems of
the evolutionist and systematist, and applications to the
practical problems of breeders, whether of animals or plants
” (Bateson, 1906, p.91 dans Olby, 1997).
C'est le botaniste danois Wilhelm Johannsen
(1857-1927) avec ses travaux sur l'approche mathématique de
la variation chez les végétaux vers 1911 qui proposa les mots
gène, génotype et phénotype. Ainsi Bateson et Johannsen
peuvent être considérés comme les principaux architectes de
cette nouvelle discipline (ibid.).
Mais l'application du mendélisme au règne animal eut
plus de mal à emporter l'unanimité. “ En 1900 les
embryologistes voyaient le mendélisme comme une menace,
les systématiciens le considéraient comme inutile à leur
discipline, quant aux darwiniens, ils ne comprenaient pas
qu'il était en harmonie avec leur vision de l'évolution ” (Olby,
1997). Il fallait passer d'une génétique mendélienne formelle,
biostatistique — ce qui représentait déjà un pas de géant de
par l'approche expérimentale qu'elle supposait — à une
génétique cytologique, et pour cela il fallut attendre la théorie
chromosomique de Morgan en 1913, ainsi que les années
1930 et les apports du statisticien anglais R.A.Fisher, de
J.B.S. Haldane et S. Wright, pour que mendélisme et
darwinisme soient enfin réunis dans ce qui fut plus tard
appelé la théorie synthétique de l'évolution.
— 90 —
2. Un professeur de zoologie redécouvre les lois
de Mendel....
L'intérêt de Lucien Cuénot pour l'hérédité vient de sa
position originale en France à cette époque, c'est-à-dire
l'affirmation de l'impossibilité de la transmission héréditaire
des caractères acquis. Déjà à 28 ans, il présentait un
remarquable article de synthèse dans la Revue générale des
sciences intitulée "La nouvelle théorie transformiste"
(Cuénot, 1894) où il se montrait entièrement acquis à la
théorie de Weismann. Il affirmait que l'on ne pourrait étudier
sérieusement les variations que lorsque l'on aurait séparé “ les
variations héréditaires provenant d'une mutation du plasma
d'avec les variations transmissibles qui affectent les individus
sans toucher au plasma ” (ibid., p. 78). Cet article fut
d'ailleurs cité par Henri Bergson dans l'Evolution créatrice
(Bergson, 1962, p. 80). De 1894 à 1999, c'était l'étude du
déterminisme sexuel qui le sensibilisa à l'hérédité. Ce sujet
était alors très en vogue ; on pensait que l'œuf fécondé était
sexuellement indéterminé et que l'influence des conditions
extérieures au cours du développement déterminait
l'orientation sexuelle : il démontra, sur des chenilles de
papillons (1904), des larves de mouches (1897), des têtards
de grenouilles, des pigeons et des jeunes rats, que la
nourriture n'influence pas le déterminisme du sexe dans l'œuf
(Cuénot, Titres et travaux scientifiques, 1926, p. 25-26).
Mais l'origine des travaux semble aussi avoir été
conditionnée en partie par le hasard d'une rencontre. Fasciné
par les travaux d'hybridation chez les végétaux au travers du
personnage du Docteur Pascal d'Emile Zola, déjà sensibilisé
par ses quelques travaux sur le déterminisme du sexe depuis
1896, Lucien Cuénot rencontra une “ jeune institutrice
intelligente ”, Mademoiselle Barthelet, qui avait publié une
— 91 —
note dans les Comptes rendus de l'Académie des sciences en
1900, au sujet de l'hypothèse de la télégonie (Cuénot,
discours, 1948). En ce temps-là, les plus prestigieux
professeurs que comptait l'Université — comme Alfred Giard
ou Yves Delage — y croyaient. Une explication de cette bien
curieuse hypothèse de l'hérédité nous est contée avec le plus
grand sérieux par Alfred Giard, professeur à la chaire
d'évolution des êtres organisés et membre de l'Académie des
sciences, dans ses Controverses transformistes (Giard, 1904,
p. 150 et suivantes). La télégonie voulait que le sperme du
premier mâle qui fécondait une femelle imprègne
durablement celle-ci et sa descendance lorsqu'elle
s'accouplait par la suite avec d'autre mâles. “ L'action directe
du premier mâle sur les produits ultérieurs est un fait dont les
conséquences sociologiques n’ont pas été suffisamment
remarquées ”. Connu d'après Giard (1904) et Delage, ce
dernier étant nettement plus sceptique (Delage, 1895, p.
230-233), chez les éleveurs de chiens et de pigeons, le cas le
plus classique était celui de la jument de Lord Morton, cité
par Darwin : “ Cette jument alezane de race arabe presque
pure croisée avec un Couagga, mit bas un métis puis eut deux
poulains avec un cheval arabe noir : ces derniers étaient
isabelle et les jambes plus rayées que le Couagga ou que le
métis […] Le poil de leur crinière était court et dressé comme
le Couagga ”. Or ces caractères étaient inconnus chez les
chevaux européens et arabes. Ce fait démontrait, selon Giard,
“ la dépendance étroite entre les éléments reproducteurs et les
éléments somatiques”. L'interprétation d’Alfred Giard voulait
que le plasma germinatif d’ovules non encore mûrs soit
modifié dans l’ovaire et que cette variation acquise se
répercute sur les descendants nés plus tard. Alfred Giard
interprétait par la télégonie et l'hérédité des caractères acquis,
l'amélioration de la race : à l’époque où la noblesse était toute
— 92 —
puissante et où certains seigneurs s'attribuaient un droit “
exorbitant ” lors du mariage de leurs sujets, ce fait
expliquerait “ le perfectionnement de la race […] les enfants
nés sous cette influence ont peut-être contribué autant que les
bâtards au relèvement des classes inférieures et préparé
l’affranchissement de 1789 ” (ibid., p. 152). Il est inutile de
dire que l'hypothèse ne fut pas confirmée mais ce fut
l'occasion pour Cuénot de constater à quel point l'élevage des
souris était facile (Rostand, Hommage, 1967, p. 19) ; il eut
l'idée de les utiliser pour vérifier les lois de Mendel qui
venaient d'être redécouvertes chez les végétaux. En cette
année 1900, Lucien Cuénot était alors professeur dans le
vieux bâtiment à la Faculté des sciences de Nancy, place
Carnot. La redécouverte des lois de Mendel venait d'être
annoncée. Au premier étage se trouvait une salle, appelée la
chambre des souris : elle consistait en grands bacs de verre à
couvercle grillagé, posés sur des tables à tréteaux : les souris
reposaient sur de la sciure de bois et disposaient de simples
boîtes à cigares comme refuge ainsi que de morceaux de
coton pour leur reproduction (Lienhart, 1962, p.29). Lienhart,
qui allait devenir assistant de Lucien Cuénot, mais était
encore étudiant à cette époque, insistait sur ces détails
montrant “ le feu sacré ” (ibid.) qui animait ce dernier. La
faiblesse des moyens était inversement proportionnelle à
l'importance de la découverte.
Premiers travaux : les souris albinos et grises
Après deux années d'expériences de croisements,
Lucien Cuénot envoyait aux Archives de zoologie
expérimentale, le 12 mars 1902, une courte note intitulée "La
loi de Mendel et l'hérédité de la pigmentation chez les
souris". Elle parut dans la rubrique Notes et Revue de la 3e
Série, volume 10, pages xxvii—xxx, en 1902. Cuénot
— 93 —
présentait également, le 12 avril 1902, cette note au cours
d'une séance de la Société de biologie. Il envoya aussitôt sa
note à Bateson, comme le prouve une lettre de remerciement
datée du 23 juillet 1902. Cuénot lui ayant fait part de curieux
résultats non mendéliens avec la couleur jaune chez la souris,
Bateson l'engagea vers la voie d'une hypothèse de
polymorphisme*. Il lui faisait part par ailleurs de sa
déception au sujet de sa “ recherche chez les animaux de
couleur bizarre comme la poule ” et entreprenait désormais
des croisements chez une plante Latyra odoratus. Cette lettre
prend tout son sens lorsque l'on sait qu'elle augure la
deuxième importante découverte de Cuénot, la létalité
génétique. Par croisement de souris grises et albinos
(dépigmentées), il obtint une F1 uniformément grise. Le
croisement des hybrides F1 entre eux fournit une F2 dans le
ration 3 : 1 c'est-à-dire 75% de gris et 25% d'albinos. Il est à
remarquer la présentation toute mathématique de ses résultats
par la formule n(g+g)+2n(g+b)+n(b+b), g étant le caractère
gris et b le caractère albinos. Il a ensuite croisé au hasard les
souris grises (gg et gb) de la F2 et obtint encore 74% de
grises et 26% d'albinos. Il semble que Haacke en 1897 avait
déjà constaté la dominance grise chez la Souris. Mais “ pour
l'observer, il faut avoir soin d'opérer avec de vraies souris
grises, capturées à l'état sauvage, et non avec des animaux de
laboratoire qui peuvent avoir des albinos dans leurs
descendants”. La publication de ses résultats est laconique,
Cuénot y voyait “ en zootechnie d'intéressantes applications
et l'importance théorique considérable que Hugo de Vries a
bien senti avec sa théorie des particules représentatives ”.
Un mnémon-une diastase
Dans une note envoyée le 3 mars 1903 (publiée en
1904) aux Archives de zoologie expérimentale et présentée
— 94 —
au cours de la séance de la Société de biologie du 7 mars, il
rendit compte de l'apparition parmi les croisements de
troisième génération entre souris grises hétérozygotes et
souris albinos homozygotes, de souris noires avec une
dominance du gris sur le noir : le croisement de souris noires
homozygotes obtenues par sélection avec des souris albinos
présentait des résultats différents selon la descendance des
albinos (parenté grise, noire ou jaune). Ainsi ce croisements
noires X albinos pouvait donner des noires, des grises ou des
jaunes. Ces résultats furent imparfaitement rapportés, selon
Cuénot, par d'autres auteurs comme Crampe en 1885, Haacke
en 1895-1897, Von Guaita en 1989-1900, Castle en 1903
avec cobayes, lapins, etc., mais ce fut Cuénot qui réussit à
l'interpréter : les auteurs utilisaient des individus albinos “ en
apparence identiques ” d'aspect mais en réalité “ de valeur
différente ” (ibid.). Il attribua ces résultats en apparence
contradictoires à la présence de pigments mélaniques appelés
chromogènes formés par une réaction chimique mettant en
jeu l'action chimique de diastases. La souris grise posséderait
un chromogène et deux diastases, ces trois substances étant
contenues à l'état potentiel sur trois mnémons dans le plasma
germinatif ; la souris noire posséderait un chromogène et une
diastase en puissance sur trois mnémons et la souris albinos
ne posséderait que deux diastases. Ainsi Cuénot envisageait
un rapport possible de ses mnémons (gènes) avec des
diastases (enzymes) et des chromogènes (pigments) et les
interactions chimiques contradictoires entre eux. Il employa
le terme de mnémons empruntés à Coutagne, qui travailla sur
l'hérédité chez vers à soie (Cuénot, 1903, Hypothèse sur., p.
301), pour qualifier ces particules matérielles du plasma
germinatif. Il avait donc pressenti, dans ce qu'il appelle une “
explication hypothétique et provisoire ” (ibid., p. 302), le lien
possible entre un gène et une enzyme ou une protéine.
— 95 —
Bateson quant à lui pensait que le déterminant était lui-même
une enzyme (Guyénot, 1950) puis on pensa qu'il était un
ferment autocatalytique. La découverte des hormones est due
à l'origine au physiologiste français Brown-Séquard émigré
aux U.S.A. : c'est vers 1890 qu'il affirma l'existence de ces
ferments : c'était l'avènement de l'endocrinologie. Starling
leur donna le nom d'hormones en 1905. Ce n'était avant que
des secrétions internes. La notion d'hormone subit encore de
nombreuses évolutions, quittant le domaine de la physiologie
jusqu'à devenir des substances protéiques majeures, codées
par un gène (Rostand, 1945, p.180-185). Dans les années
1930 la nature protéique du matériel héréditaire fut montré et
en 1935. G.W. Beadle et E. Tatum montrèrent que les gènes
sont responsables de la synthèse des enzymes protéiques,
mais il fallut attendre 1953 pour que la structure chimique
exacte — la structure en double hélice — de l'ADN soit
découverte par Watson et Crick.
Découverte de l'épistasie
Des souris valseuses sans doute importées de Chine
vers 1890 (Guyénot, 1950) présentaient un pelage panaché de
jaune clair et les yeux rouges. En les croisant avec des
albinos aux yeux rouges, il obtient une F1 à yeux noirs et à
pelage gris. Cuénot, insatisfait par l'explication de l'atavisme*
selon Weismann (retour à l'activité du plasma ancestral) et
fort de ses expériences précédentes interprétées en terme de
pigments et de diastases, mit en évidence un phénomène
d'épistasie*, nom donné par Bateson : ce phénomène de
polyhybrisme, où plusieurs gènes situés sur des locus
différents sont impliqués dans la même voie biochimique,
modifie les rapports de la F2 qui sont normalement de 9 :3 :3
:1. Il proposa comme on l'a vu précédemment la présence de
plusieurs déterminants codant pour le dépôt de pigments dans
— 96 —
les poils. Dès 1904, il croisa des souris à pelage fauve, gris à
ventre blanc, gris perle et brun et découvrit, là aussi, qu’il
pouvait y avoir plus de deux allèles pour un caractère donné
(Cuénot, 5e note, 1907) : certaines étaient apparues
subitement dans son élevage comme les souris panachées,
noires ou jaunes. Les laboratoires français ne connaissaient
que l'emploi de la souris albinos aux yeux rouges. Seuls les
laboratoires anglais employaient des variétés différentes car,
dans ce pays, l'élevage de ces rongeurs était un véritable sport
d'amateurs passionnés et de commerçants intéressés qui
avaient ainsi créé de nouvelles variétés. Cuénot se fournissait
en Angleterre par l'intermédiaire de Bateson (Lienhart, 1962,
p.30). C'est ainsi qu'il mit en lumière ce phénomène
d'épistasie. Il insista beaucoup sur la différence entre le “
caractère-unité ” (le génotype) et le “ caractère descriptif ” (le
phénotype) : “ un caractère descriptif simple peut très bien
correspondre à plusieurs caractères-unités indépendants ”
(Cuénot, 1907, 5e note Arch.Zool.Exp., p.IX ; 1906, Rapport
sur l'hérédité). Au congrès de Lyon de 1906, il se montra
rallié à la théorie chromosomique de l'hérédité alors à l'état
embryonnaire et mit l'accent sur le rôle de l'ontogenèse* dans
l'apparition de phénomènes plus complexes (nous parlerions
aujourd'hui de phénomène épigénétiques*). “ Il y a beaucoup
de raisons pour croire que les déterminants sont enfermées
dans les chromosomes ” (ibid.).
Le concept gène-protéine, les chromosomes support
matériel de l'hérédité, l'épistasie, le génotype et le phénotype,
l'épigenèse, l'hérédité non mendélienne, l'hérédité
cytoplasmique, Cuénot avait découvert ou pressenti en
quelques années de 1902 à 1906 les grands traits de la
génétique balbutiante. Il ne devait pas s'arrêter là, puisqu'il
découvrit également la pléïotropie et le gène létal.
— 97 —
L'hérédité de la valse et la pleïotropie (Cuénot, 1908, 6e
note Arch.zool.exp., p.XII-XIV)
Déjà certains chercheurs anglais et allemands
(Darbishire, Haacke, Castle, von Guaita) s'étaient intéressés à
ces souris dites valseuses, mais leurs résultats ne coïncidaient
pas exactement avec la prévision mendélienne, du fait d'une
mortalité précoce : deux apparurent au bout de quatre ans
dans l'élevage de Cuénot qui était alors persuadé de
l'existence préalable de ce déterminant récessif présent à l'état
latent mais non encore exprimé (cryptomérique selon son
expression). Les souris valseuses sont très excitables,
présentent
des
mouvements
variés
(girations,
tourbillonnements, mouvements verticaux de la tête....). Elles
sont fragiles et présentent un mortalité supérieure aux souris
normales. En outre, on sait depuis que ces souris sont
sourdes. En croisant ces souris avec des souris normales, il
mit en évidence le phénomène de pléïotropie* par lequel un
gène peut influer sur d'autres caractères en apparence
indépendants. C'est le cas ici de l'expression du caractère
“valseuse” qui semble liée à la surdité, la baisse de viabilité,
la baisse de fécondité.
La découverte du gène létal
Généralement un gène se traduit par un caractère
phénotypique visible (pigmentation de la peau, maladie,
anomalie comme la polydactylie...). Mais il existe des gènes
létaux entraînant une mort précocement in utero de
l'embryon. Encore faut-il qu'ils soient identifiables au niveau
du phénotype. L'individu hétérozygote portant l'allèle récessif
létal est susceptible de mener une vie normale, l'homozygote,
lui, est non viable. Le premier cas de gène létal fut découvert
par Lucien Cuénot en 1905 (Les races pures.) avec le cas de
la souris jaune devenu un classique du genre.
— 98 —
Lienhart, à l'époque préparateur du Maître, compta cette
découverte par le menu en 1962. Dans l'élevage de souris
fourni par Bateson depuis l'Angleterre, apparurent des souris
jaunes à partir des souris albinos. Il eut l'idée de créer une
souche pure de souris jaunes, ce qui était donné comme
impossible par Bateson ou Davenport en 1904 (Lienhart,
1962, p. 33). En effet un tel élevage donnait
immanquablement des souris grises, noires ou brunes. Cuénot
dut se rendre à l'évidence : les souris jaunes qui apparaissent
sont toujours hétérozygotes ; en outre elles sont moins
fécondes, plus farouches. Il pensa que la fusion de deux
gamètes contenant le déterminant de la couleur était tout
simplement impossible. En effet le rapport du croisement de
deux hétérozygotes où le caractère jaune est dominant (sur le
noir par exemple) ne donne jamais le ratio 3:1 mais 2:1 à
savoir deux jaunes Jn ou un noir nn, la forme homozygote JJ
jaune n'apparaissant jamais. Mais Cuénot n'obtint pas tout à
fait le ratio 2:1 mais 72.5/27.5 donc un peu trop de jaunes.
Insatisfait, il rechercha alors une explication possible : il
supposa alors que certaines gamètes femelles devaient
échapper à la fécondation et interpréta cela en termes de
fécondation différentielle. Les choses en sont restées là
lorsque la guerre fut déclarée et il dut interrompre ses
travaux, ses collaborateurs étant mobilisés et les risques de
bombardements trop fréquents. Or des chercheurs tels
Kirkham, Ibsen et Steigleider, reprirent ces travaux et
démontrèrent en 1917 que, dans les souris jaunes fécondées,
on trouvait environ 1/3 de fœtus avortés (ibid., p. 35). Malgré
une erreur d'interprétation de toute façon difficilement
compréhensible puisque ses résultats étaient pourtant bien
conformes avec la ration de 2:1 attendu, Cuénot n'en demeure
pas moins le découvreur du premier cas de létalité génétique.
Au congrès de Boston en 1907, il énonçait que “ les
— 99 —
déterminants n'ont pas une action restreinte à un caractère
particulier, ils agissent d'une façon générale sur l'organisme.
Il n'est pas douteux que le déterminisme W (souris valseuse)
[…] quels que soient ceux qui les accompagnent, soient
corrélatifs avec une mauvaise santé générale. […]. Ce sont
toujours ces races qui meurent plus facilement, ce qui produit
souvent des erreurs apparentes dans les proportions
numériques prévues théoriquement. […]. Il y a des
déterminants qui sont incompatibles avec la vie de l'animal
s'ils ne sont pas corrigés par leurs symétriques. Ainsi, il ne
peut exister de souris jaunes pures, évidemment parce que le
déterminant qui commande la couleur jaune ne permet pas un
fonctionnement vital normal. Mais si le déterminant jaune
dominant est accompagné de son symétrique étranger, le
sujet hétérozygote vit parfaitement ” (ibid., p. 38). En fait
l'allèle en question est récessif pour le phénotype “viabilité”
mais dominant le phénotype “couleur jaune” : d'autres cas ont
été découverts depuis comme les souris anoures, ou les
poules à courtes pattes Creepers. Parfois la viabilité est
effectuée à plus ou moins long terme comme dans le cas de la
Corée de Huntington, le Xeroderma pigmentosum chez
l'homme.
Cancer et hérédité (1908-1912)
Sur sa lancée, Cuénot en collaboration avec Mercier
initia aussi en France un travail tout à fait original à l'époque
à savoir la réceptivité de la greffe de tumeur chez les souris ;
“ il faut faire une place, dans l'étude du cancer expérimental
chez la souris, à des facteurs héréditaires ”. Ces travaux
prennent place dans une lutte internationale contre cette
terrible maladie qui trouve son origine en 1906, date à
laquelle eut lieu la première conférence internationale pour
l'étude du cancer à Heidelberg. L'événement fut de taille
— 100 —
puisque 23 gouvernements furent représentés et ce fut Gaston
Doumergue, alors ministre de l'Instruction civique et futur
président, qui prononça le discours d'inauguration. A cette
époque, on invoquait la théorie de l'irritation, provoquée par
des facteurs extérieurs. Il est fait mention d'une
communication du Docteur Borrel, de l'Institut Pasteur, sur
l'utilisation de Souris, pour cette recherche naissante en
France, dans le Journal des accoucheurs du 1èr septembre
1908 (De Viel, 2003, p. 12 et 14).
Cuénot put isoler deux lignées différentes, à partir de
souris blanches provenant de l'Institut Pasteur (Cuénot, 1910,
p. 645 et suiv.) pour leur sensibilité à la greffe d'un
carcinome : l'une sensible, l'autre résistante. Il constatait que
ces tumeurs étaient héréditaires mais non mendéliennes
(Cuénot, 1910, p.1443-1446). Malheureusement, la guerre de
1914 força Cuénot à abandonner ses recherches (Courrier,
1952, p.16).
Accueil des travaux de Cuénot par la communauté
internationale (Olby, 1997 ; Caullery, 1935)
A l'étranger, ce type de travaux était entrepris sur des
espèces de mammifères différentes : cobaye, rat, lapin,
poule. En 1904 en Angleterre, Charles C. Hurst reproduisit
les travaux de Cuénot sur les lapins. Cuénot entretint
d'ailleurs longtemps des rapports épistolaires professionnels
et amicaux avec Hurst comme avec Bateson. Bateson quant à
lui poursuivit ses expériences chez le rat de 1903 à 1907
(dominance incomplète), et Punnet en 1911 chez la poule
(hérédité liée au sexe entre autres). Bateson fut par ailleurs le
premier à synthétiser l'ensemble des travaux réalisés depuis
la redécouverte des lois de Mendel. Aux U.S.A. il faut
signaler les expériences de E. Castle et Th. Morgan :
trihybridisme de Castle en 1905 sur la pigmentation des
— 101 —
cobayes et des lapins, en 1909 sur des lapins dont la longueur
des oreilles montrait un cas de phénotype intermédiaire. En
France, Lucien Cuénot fut le seul et la guerre interrompit les
travaux sur l'hérédité qu'il ne reprit plus tard qu'en relation
avec l'infirmation de l'hérédité des caractères acquis.
Quand on compare la réception de l'hérédité
mendélienne au sein des communautés agricoles et horticoles
avec son accueil dans les Académies de botanique et de
zoologie, il y a un contraste saisissant. En 1905, au Congrès
international de botanique à Vienne, Erich von Tschermak
exposa le résultat de ses travaux sur l'hérédité mendélienne ;
mais il fit figure de solitaire à tel point qu'au Congrès suivant
à Bruxelles, cinq ans plus tard, le mendélisme ne fut même
plus mentionné. Les zoologistes furent plus téméraires et, à
leur 7e congrès qui eut lieu à Boston en août 1907, Lucien
Cuénot reçut le prix de l'Empereur Nicolas II pour son essai
intitulé "New expérimental research on the questions of
hybrides" (Seventh Inter.Congr.Zoology., 1907, p. 99-110 ;
Recherches sur l'hybridation, Proceeding of the 7th
Intern.Zool.Congress, Boston-1907, p. 45-56). Robert C.
Olby va jusqu'à penser que cette récompense lui fut remise à
contrecœur — c'était le seul essai remis à temps pour le prix
— et que le comité aurait préféré récompenser l'essai de Max
Standfuss sur l'hérédité des caractères acquis intitulé “
Expériences d´hybridation, dans le sens large du terme de
1873 à aujourd'hui, dans une optique d´analyse du
cheminement de l'évolution des espèces ” (traduit
imparfaitement de l'allemand). Mais cet essai est arrivé trop
tard pour être pris en considération. Par contre, au cours de ce
congrès, le mendélisme semble avoir rencontré plus de
succès auprès de la section cytologie et hérédité.
Dans la correspondance de Lucien Cuénot avec Erich
von Tschermak, celui-ci se réjouissait que les zoologistes
— 102 —
montraient enfin de l'intérêt pour les questions de l'hérédité
(Correspondance, 31 juillet 1903) mais il ne semblait pas en
mesurer la portée, si ce n'est pour les cultures végétales
(Correspondance, 15 mai 19?). Tschermak en effet ne
comprit pas l'importance du concept mendélien de
ségrégation, car il considérait trop le travail de Mendel du
point de vue d'un producteur de semences bien plus que d'un
généticien (Harwood, 2000, p.1061). Tschermak fut chargé
de la création d'un comité pour la réalisation d'un monument
à la mémoire de Gregor Mendel à Brno et il demanda la
participation de son collègue français (Correspondance, 15
mai 1905). Vers 1910 des fonds suffisants avaient été
recueillis dans le monde entier afin d'ériger le monument sur
la Klösterplatz de Brno. Cuénot, Hurst, Bateson, Tschermak
et d'autres faisaient partie des personnalités qui se
déplacèrent à Brno pour la cérémonie inaugurale en l'honneur
de Gregor Mendel (Iltis, 1911 dans Olby, 1997). La France
n'eut d'ailleurs que peu de participants à l'érection de ce
monument car outre Lucien Cuénot, on ne retient qu’Alfred
Giard et deux autres professeurs français, Guignard et
Flahaut ainsi que la famille de Vilmorin pour s'être engagés à
récolter des fonds. La majeure partie des participants était
allemande ou anglaise. On y note la participation des plus
grands noms étrangers de la biologie de l'époque passée et
présente à savoir : Bateson, Correns, Davenport, Driesch,
Hertwig, Haeckel, Hurst, Morgan, Plate, Przibram, Punnet,
Saunders, von Tschermak, Weismann...(Appel pour l'érection
d'un monument à la mémoire de G.Mendel à Brno). Dans un
mémoire sur Gregor Mendel, daté de 1902 et envoyé par le
neveu de Gregor Mendel à Lucien Cuénot, le nom de Cuénot
est associé à ceux de de Vries, Correns, von Tschermak et
Bateson.
— 103 —
L'abandon
Lucien Cuénot s'arrêta au seuil de la génétique
chromosomique ; cette ère nouvelle prit naissance avec les
travaux de Thomas Hunt Morgan (1866-1945) et ses
collaborateurs C.B.Bridges, A.H.Sturtevant et Hermann
J.Müller qui, à partir de 1910, entreprirent une œuvre majeure
de l'histoire de la génétique à l'aide d'un matériel biologique
extraordinaire, la mouche du vinaigre Drosophila
melanogaster. L'élevage aisé, la reproduction rapide (un seul
couple produit des centaines de descendants et il suffit de
douze jours pour obtenir une nouvelle génération), les
mutations nombreuses (plus de 400), huit chromosomes
facilement identifiables, en font un matériel de choix.
Morgan mit au point une méthode qui lui permit de situer
approximativement la position des gènes sur les
chromosomes. Il découvrit par hasard l'hérédité liée au sexe
(certains caractères sont portés par des chromosomes
sexuels). Il postula aussi l'échange d’unités chromosomiques
pendant la première prophase de la méïose. Sutton et Boveri
avaient déjà postulé que les gènes étaient sur les
chromosomes et que chaque chromosome possédait son
propre assortiment de gènes.
Morgan apporta définitivement la preuve que les
particules héréditaires nommées gènes étaient situées sur les
chromosomes. L'accueil de ces découvertes de premier ordre
allait éveiller scepticisme voire ironie de la part de
scientifiques français (Buican, 1982, p.584-585). A cet égard,
Félix Le Dantec et Etienne Rabaud en furent des exemples
qui seront étudiés au chapitre suivant. Même à l'échelle
internationale, cette théorie chromosomique de l'hérédité fut
rejetée par beaucoup comme Bateson ou Goldschmidt.
Morgan laisse deux ouvrages majeurs The mecanism of
Mendelian hereditary en 1915 et The theorie of the gene en
— 104 —
1926. Plus tard, la découverte des chromosomes géants des
glandes salivaires de drosophile en 1933 par Painter allait
confirmer la théorie de Morgan. En 1927, Hermann Müller
(1890-1967), collaborateur de Morgan et Prix Nobel en 1946,
démontra la possibilité de produire des mutations artificielles
aux rayons X (Buican, 1928, p. 586). En 1924, l'Académie
des sciences, qui avait déjà refusé Darwin, refusa l'élection de
T.H.Morgan comme membre correspondant à 1 voix pour et
47 contre. Il attendra 1931 pour être accepté dans ce temple
lamarckiste et sera Prix Nobel en 1933. Enfin, dans ce
contexte, il importe de dire que Morgan, très tôt, sut rendre
hommage à Cuénot (Buican, 1982, p. 584-585).
L'interruption des si brillants travaux de Cuénot à plusieurs
raisons :
- Ce type de recherche nécessitait des moyens matériels et
financiers ainsi que du personnel dont il ne disposait pas, car
à cette époque en France la recherche ne vivait que des
maigres subsides de l'Etat.
- L'immense majorité des biologistes de l'époque étaient des
lamarckistes acharnés. Jean Rostand écrivait que “ Chez
nous, Lucien Cuénot ne put, d'un assez long temps, imposer
ses conceptions car elles se heurtaient au préjugé
anti-mendélien qui obnubilait alors l'esprit de nos pontifes,
lesquels ne consentaient à voir dans les caractères
héréditaires soumis aux lois de Mendel que des caractères
accessoires superficiels, voire des caractères d'ornementation
” (dans Buican, 1981, p. 28). Marot, professeur de botanique
à la Faculté des sciences à cette époque, témoignait du
scepticisme régnant alors dans le milieu scientifique français
au sujet du rôle des chromosomes dans le déterminisme des
caractères des êtres vivants (Marot, Hommage, 1967, p. 15).
Félix Le Dantec enseignant à la Sorbonne, attaqua le
mendélisme de Cuénot, allant jusqu’à assimiler les facteurs
— 105 —
héréditaires à des microbes, considérant les lois mendéliennes
comme des accidents, et affirmant que “ des considérations
finalistes (ont) amené certains auteurs, et Weismann en
particulier, à considérer les chromosomes comme le véhicule
de l’hérédité ” (Le Dantec, 1903, p. 149). Il écrivit en 1909
dans La Crise du Transformisme que le mutationnisme
d’Hugo de Vries était la “ négation même de l'idée
transformiste, et le retour aux vieilles conceptions
catastrophistes ”(Rostand, 1945, p. 206).
Pour ces raisons, aucun étudiant n'osa se hasarder à ces
recherches en génétique car une thèse de doctorat dans cette
discipline équivalait à une sorte de suicide scientifique pour
la carrière future. Il n'existait en outre aucune structure
d'accueil ni d'enseignement permettant de se spécialiser en
génétique expérimentale. D'ailleurs, fait parlant plus que tout
autre il n'y eut une chaire de génétique à la Sorbonne qu'en
1945, occupée tout d'abord par Boris Ephrussi et Philippe
l'Héritier (Buican, 1981, p. 29). “ C'est un Français, Lucien
Cuénot, qui avait montré que les lois de Mendel
s'appliquaient aux espèces animales, mais Cuénot n'a pas eu
d'élèves. A l'époque à la faculté, il ne convenait pas qu'un
patron ait des élèves et si c'était le cas et que certains d'entre
eux fassent de la génétique, ils ne pourraient faire de carrière
universitaire ” (Philippe L'héritier, entretien, 1986).
Conclusion
Si au départ il y eut une part de hasard dans ce travail
de redécouverte des lois de Mendel chez la souris, il y eut
aussi d'autres moteurs qui ont amené ce jeune zoologiste vers
la génétique : la curiosité et le défi. Cuénot était assoiffé de
nouveau comme l'a écrit Buican : chercher à mieux
comprendre l'hérédité et l'atavisme en utilisant une méthode
expérimentale rigoureuse. Tenter d'obtenir une lignée pure de
— 106 —
souris jaunes. Se présenter seul néo-darwinien français dans
ce grand courant international mendélien. Affronter l'hostilité
farouche du milieu scientifique français avec notamment
Rabaud et Le Dantec. Cuénot avouait au cours d'un entretien
(article, Daudet L., 1938) que “ les qualités les plus utiles à la
découverte était la faculté d'observer et de s'étonner, la
curiosité de la recherche, une très bonne mémoire, beaucoup
de patience, le dons de concevoir des expériences simples, le
don d'établir des rapport entre les faits, l'intuition […] et
penser constamment au travail en train. Ces dons sont innés
et indispensables. L'enseignement apprend seulement les
techniques et les bases nécessaires ”.
Cuénot n'a pas cherché à théoriser : il a choisi la voie
de l'expérimentation. “ Classer et mettre en lumière les faits
expérimentaux, déjà nombreux, sans chercher à tirer des
conclusions théoriques ” (Cuénot, 1903 dans Buican, 1982).
Buican (1982, p. 113-114) qui a su lui rendre hommage,
insista sur son scepticisme et sa réserve quant à la localisation
des phénomènes héréditaires mais n'oublions pas que si
réserve il y eut, cela tient plus de sa rigueur expérimentale,
son esprit critique, son refus d'accepter une théorie non
démontrée et c'est tout à son honneur. Entre 1902 et 1912
environ, aucun travail cytologique, aucune preuve directe de
la localisation des particules matérielles de l'hérédité dans le
noyau de la cellule ne paraît. Il est heureux qu'il n'ait pas
choisi la voie de la théorie à la manière d'un Félix Le Dantec
en France. D'ailleurs son explication hypothétique et
provisoire de 1903 dans laquelle est contenu en substance le
lien entre un mnémon et une diastase (un gène-une
protéine/enzyme) est déjà une prouesse pour l'époque même
si l'on sait désormais que cela n'est plus exact. En 1906, au
Congrès de Lyon organisé par l'Association française pour
— 107 —
l'avancement des sciences, c'est avec prudence qu'il présenta
la théorie selon laquelle l'hérédité serait portée par la
chromatine car aucune expérience jusqu'alors ne l'a dûment
prouvée malgré les travaux de Sutton et Boveri,
insuffisamment rigoureuse selon lui. Par ailleurs des résultats
contradictoires ne pouvaient exclure un éventuel rôle du
cytoplasme maternel : les expériences consistaient en
fécondation par des spermatozoïdes d'ovules anucléés
d'échinodermes donnant des larves présentant les caractères
paternels ou maternels. Acquis à la théorie chromosomique
de l'hérédité dès 1906, il en présentait les bases dans sa
Genèse des espèces animales de 1911 (p.130-136) :
- La chromatine renferme le substratum matériel des
caractères transmissibles.
- “ Puisque les caractères se transmettent indépendamment, il
faut que chacun des n chromosomes d'un œuf correspond à
un déterminant spécial ” : c'était une des difficultés de la
conception puisque, pour la souris par exemple, on
connaissait six déterminants indépendants, devant être portés
forcément, pensait-on, par six chromosomes.
- Lors de la formation des gamètes, “ il faut donc que, par un
phénomène cyclique inexpliqué, réapparaissent identiques à
eux-mêmes (les chromosomes) après chacun de leur
évanouissement ”. Il y aurait lors de la méiose un stade de
réduction numérique et qualitative lors de la première
division, la deuxième étant une simple mitose.
- Les gènes ne sont pas des germes indépendants capables
d'auto-multiplication comme les pangènes ou les biophores,
on ne peut les concevoir que comme des “ entités chimiques
peut-être des diastases ou des générateurs de diastases ”
(annotation manuscrite, p. 136, écrite vers 1912 car faisant
suite à la lecture de Morgan, 1910).
— 108 —
- “ Les caractères dits sex-linked suivent dans leur
distribution celle du chromosome sexuel d'une façon
tellement frappante que l'on ne peut guère douter du rôle
déterminant de ce chromosome spécial ” (ibid.)
- Il n'attribuait pas aux gènes (facteurs) un rôle en soi mais
comme faisant partie d'un appareil plus général de réaction
ontogénétique.
- Et de conclure qu'“ Assurément, tout cela ne prouve pas que
les chromosomes sont les déterminants des caractères
individuels, mais il y a néanmoins des coïncidences curieuses
entre
les
constatations
cytologiques
entremêlées
d'hypothèses, il est vrai, et les exigences théoriques basées,
sur les expériences de croisements ; il est juste d'ajouter que
si l'on rejette la conception des chromosomes déterminants, il
n'y a aucune théorie d'ensemble à mettre à la place ” (ibid., p.
136).
Il avait compris grossièrement le mécanisme et ne
pouvait en admettre plus car on ne connaissait pas le nombre
précis de chromosomes des espèces, le crossing-over et tous
les mécanismes de recombinaisons à la méïose n'étaient pas
encore démontrés, le rôle propre du gène dans la synthèse de
protéines était totalement inconnu.
Dès 1906 (Rapport sur l'hérédité), Cuénot entrevoyait
les conséquences de ces découvertes pour l'Homme :
l'atavisme*, expliqué de façon insatisfaisante par Darwin ou
Weismann, par persistance d'une parcelle du plasma
germinatif entré en latence pendant des générations, était
enfin élucidé. Les conséquences étaient importantes en
zootechnie et en horticulture mais aussi en histoire, en
sociologie et plus particulièrement en médecine prédictive : “
Le cancer est héréditaire dans un cas sur 6 ”, “ L'Homme qui
applique depuis des siècles les procédés de sélection pour ses
animaux domestiques, n'ayant pas eu encore l'idée qu'il
— 109 —
pourrait en retirer quelque avantage pour sa descendance ;
une santé robuste et une hérédité rassurante valent cependant
une grosse dot, on peut en être bien persuadé ”.
L'œuvre scientifique du généticien Cuénot restera
marginale dans la biologie française et c'est plutôt le
biologiste Cuénot qui passa à la postérité. Puisse cet
historique rappelle à nos mémoires l'œuvre du pionnier de la
génétique française.
— 110 —
Chapitre IV : Du transformisme
l'avènement de la grande synthèse
à
1. Darwinisme et mendélisme : vers la synthèse
Darwin avait formulé une thèse gradualiste de
l'évolution : la nature ne fait pas de sauts. Il ignorait alors les
mécanismes des mutations génétiques. Force est de constater
que la nature offre des séries graduelles (taille, poids,
couleur...) mais également discontinues. Avant le
mutationnisme, il fallait admettre alors une série de mutations
dirigées qui poussaient l'espèce dans une direction (Gayon,
1992, p. 309). La redécouverte des lois de Mendel montra
que les facteurs héréditaires se comportaient comme des
particules matérielles indépendantes et juxtaposées, qui se
transmettaient de manière invariable à travers les générations.
Ils se combinaient et se recombinaient de manière aléatoire
selon des lois statistiques. Mais pourtant, d'un côté le
mutationnisme et le darwinisme resteront inconciliables
jusqu'en 1915 : “ Tous les mutationnistes estimaient que leur
théorie disqualifiait la conception darwinienne d'une
sélection formatrice ” (ibid., p. 308). D'un autre côté, les rares
darwiniens, partisans de la variation continue, se
demandaient d'où venaient les discontinuités chères au
généticiens.
A partir de 1910 où Morgan se convertit au
mendélisme, l'école de T.H.Morgan et la théorie
chromosomique de l’hérédité marquent une étape
fondamentale. En 1918, le généticien Ronald Aylmer Fisher
(1890-1962) fonde la génétique des populations et, avec
Sewall Wright (1889-1988) et le généticien anglais John
B.S.Haldane (1892-1964), ils synthétisèrent les apports du
— 111 —
mendélisme et de la biométrie. Il y eut d'abord la loi de
Hardy-Weinberg en 1908 qui stipule que la fréquence de
combinaisons mendéliennes pour un caractère donné restera
stable dans une population si la reproduction a lieu de
manière aléatoire, en absence de migration, de sélection,
d'accouplement sélectif ou de dérive due à l'échantillonnage
(petites populations). Bien sûr, il s'agit d'une situation
théorique idéale jamais rencontrée dans la nature. La
conséquence fut que la panmixie balaya la soi-disant
dégénérescence, la régression. Déjà en 1903, Castle avait
tenté ainsi de redéfinir le rôle de la sélection naturelle au
regard de l'hypothèse mendélienne : la sélection stabilise, elle
fixe un caractère mendélien, mais elle ne produit pas de type
nouveau (Gayon, 1992, p. 307).
Les populations naturelles sont composées d'individus
féconds qui partagent entre eux un pool de gènes. L'évolution
est donc la modification de la fréquence des allèles. Ainsi on
comprend que certaines maladies rares dues à des mutations
récessives se maintiennent néanmoins dans une population à
l'état d'hétérozygote. Elles n'augmentent de fréquence que
dans des cas où la sélection joue : reproduction dans une
population restreinte, isolée, favorisant le rapprochement de
deux allèles récessifs entraînant le phénotype défavorable.
Morgan montrait que de petites mutations rares, non
dirigées, apparaissaient spontanément dans les élevages de
drosophile. Norton montra en 1915 que même des avantages
ou des désavantages minimes pouvaient conduire à des
changements radicaux dans une population. Ce fut le point de
départ des travaux d’Haldane, Mayr, Dobzhansky, etc.
Punnet montra que les caractères mimétiques des papillons
apparaissaient brutalement et que le rôle de la sélection était
de diffuser les formes apparues spontanément dans une
population. Ainsi se conciliaient mutationnisme et
— 112 —
darwinisme, la sélection devenant processus de
remplacement. (ibid., p. 311-313)
A partir de 1918, R.A.Fisher s'appliqua à démontrer,
dans le cas de grandes populations, le maintien du
polymorphisme allélique dans une population, le rôle de la
dominance, comment un gène se répand dans une population.
Sewall Wright, inspiré de l'indéterminisme de la physique et
de l'évolution créatrice de Bergson (ibid., p. 364), travaillait
depuis 1914 sur la transmission héréditaire de la coloration
du pelage et sur les effets de la consanguinité du cobaye. Il
s'appliqua à démontrer que même les populations
reproductrices de petite taille pouvaient amener des dérives
génétiques non négligeables. Il insista beaucoup sur le fait
que des événements élémentaires indéterminés pouvaient
amener, à l'échelle macroscopique, à des événements
prévisibles (ibid., p. 362-364). Tous deux virent l'évolution
comme le remplacement au sein d'une population des allèles
les plus 'aptes' d'un gène, imposé par un changement de
milieu. Ainsi la génétique des populations mettait l'accent sur
le polymorphisme des populations et le rôle de la sélection
naturelle. Mais leurs calculs sur des populations statistiques
avaient plus à voir avec les mathématiques et n'étaient que
peu diffusées ou alors dans des journaux spécialisés. Aussi
les naturalistes — dont Cuénot — n’ont pu en bénéficier de
suite. La génétique des populations est née d'une controverse
entre les biométriciens (Weldon, Pearson) et les mendéliens.
Cependant les modèles mathématiques de Fisher et Wright
attendront les années 1947-1950 pour être démontrés par
l'expérimentation.
Puis Hermann J.Müller (1890-1967), collaborateur de
Morgan et représentant de la génétique classique, démontra la
possibilité de produire des mutations artificielles. Il
introduisit le concept génétique de mutation. Il produisit des
— 113 —
mutations chez la drosophile et cartographia ainsi près de 500
gènes. Cela allait conduire à ruiner la notion d'évolution
dirigée (Gayon, 1992, p.391). Lors d’une réunion à Tübingen
en 1929, paléontologues et généticiens s'affrontèrent autour
de l’hérédité de l’acquis, chaque clan pouvait démonter les
arguments de l’autre et au final, le score fut de zéro partout.
Dans les années 1930, à l'aube de la théorie, Ernst Mayr, qui
s'avouait alors lamarckiste, fut converti (Mayr, 1982, p.512).
Douze ans, entre 1936 et 1947, furent nécessaires
pour que naisse la théorie synthétique de l'évolution —
appelée ainsi par Julian Huxley en 1942. Pour expliquer
l'évolution, c'est-à-dire
la création des espèces, et
l'apparition de taxons de rangs supérieurs, il fallut accepter
un certain nombre de concepts (ibid., p. 524) :
- l’évolution est graduelle, elle procède par petites mutations
génétiques, recombinaisons et sélection naturelle,
- l’espèce est un agrégat de populations reproductives isolées,
- importance des facteurs écologiques (occupation de niche,
concurrence, radiation adaptative).
- l'apport du paléontologue au Muséum d'histoire naturelle de
New-York, Georges Gaylord Simpson (1902-1984), avec
Tempo and mode in evolution paru en 1944 aux U.S.A. :
conscient lui aussi des lacunes difficilement explicables dans
les séries de fossiles, il construisit un modèle de
microévolution / macroévolution / mégaévolution. Il apporta
l’envergure des temps géologiques : l’évolution ne se fait pas
sur des souris ou des drosophiles sur quelques années, mais
sur des millions d’individus pendant des millions d’années. Il
formula deux formes de spéciations* : l'anagenèse —
transformation d'une espèce entière en une autre espèce, et la
cladogenèse — clivage en deux d'une espèce. Il invoquait des
changements génétiques rapides dans de petites populations ;
les organismes rejetaient leur ancienne adaptation,
— 114 —
traversaient une phase préadaptative et finissaient par
atteindre un état adaptatif nouveau. Cette évolution rapide et
localisée n'avait aucune chance de laisser de traces fossiles.
Mais Simpson abandonna, dans les années 1950, ce modèle,
pour des raisons qui seront détaillées plus loin (Simpson,
L'évolution et sa signification, 1951).
Theodosius Dobzhansky (1900-1975), généticien,
élève de Morgan et inspiré des travaux de Wright, fit paraître
son ouvrage majeur Genetics and the origin of the species en
1937 : c'était la référence de la théorie synthétique de
l'évolution. Il affirma que l’essentiel du processus de la
formation des espèces était l’établissement de l’isolement
reproductif entre des groupes de populations. La sélection
devenait équilibrante : au lieu de réduire la diversité
génétique, elle l'entretenait par exemple par l'avantage d'un
hérétozygote, un environnement particulier, etc. (Gayon,
1992, p. 392). Dobzhansky et Müller allaient représenter
deux courants opposés vers 1950 : Müller pensait que la
variation produisait surtout des gènes létaux et que l'état
normal était l'homozygotie, la sélection était éliminatrice en
maintenant la fréquence des mutations délétères à un très bas
niveau. Dobzhansky, quant à lui, ne croyait pas au type
sauvage : les individus d'une population panmictique sont
hétérozygotes et la sélection entretien la variation, elle ne la
crée pas (Gayon, 1992, p. 392-393).
Ernst Mayr(1904-), zoologiste biogéographe et
systématicien avec The systematic and the origin of the
species en 1942, montra que des nouvelles espèces
apparaissent lorsque les populations s’isolent, l'isolement
géographique étant une condition préalable : séparées par une
barrière écologique, les espèces accumulent des différences
génétiques telles que même lors d'un contact avec la
population mère, l'isolement géographique est remplacé par
— 115 —
l'isolement reproductif (Mayr, 1982, p. 522 et 555). Les
grandes populations n'ont qu'une faible capacité évolutive :
les mutations déviantes se fondent vite dans le pool commun
et n'ont aucune chance de persister. Seuls les petits groupes
peuvent le faire, par spéciation allopatrique*, idée avancée
par Ernst Mayr en 1942 mais avant aussi par Wright (ibid., p.
555-556).
Les travaux du biologiste anglais Julian Huxley
(1887-1975) en 1932 sur les croissances relatives montrèrent
que les dimensions relatives de deux variables — par
exemple la taille et la longueur du museau chez les équidés
— sont génétiquement liées : la croissance peut être
isométrique si les deux structures croissent en même temps,
négative ou positive si les structures croissent plus ou moins
vite les unes par rapport aux autres. Certaines lignées
phylétiques montrent des cas d'hypertélies c'est-à-dire de
développement exagéré de certaines parties de l'organisme.
Le grand Cerf Mégaloceros du Quaternaire d'Irlande
développa ainsi des bois surdimensionnés atteignant 2,50
mètres d'envergure, mais en fait conformes au
développement de la taille de son corps (Simpson, 1951,
p.129-132). Huxley est l'auteur de The modern synthesis en
1942.
Enfin, et nous en reparlerons, il ne faut pas négliger
l'apport de Richard Goldschmidt (1878-1958), paléontologue
allemand émigré au Etats-Unis, auteur d'une théorie des
macroévolutions (les monstres prometteurs), sans écho à
l'époque. Mais cette théorie est à la base de l'œuvre de
Stephen J.Gould. Il avait proposé qu'à côté du modèle
évolutif par micromutations pouvait exister un modèle par
macrmutations. Ce modèle avait aussi l'avantage d'expliquer
l'absence de fossiles intermédiaires, objection bien connue
depuis Darwin. Les partisans du modèle synthétique
— 116 —
objectèrent que de tels monstres prometteurs n'avaient aucune
chance de se reproduire et ce modèle fut discrédité.
La théorie nouvelle postulait donc un modèle graduel
de l'évolution : des variations minimes répétées sur de
longues périodes permettraient d'obtenir des changements de
faible ampleur qu'impliquent les espèces et de grande
ampleur dans la morphologie, la physiologie qu'impliquent
les familles, ordres, classes, embranchements. La
transformation des espèces se fait sur les lieux même où vit
l'espèce — la spéciation* est dite sympatrique — ou bien par
isolement géographique — la spéciation est dite allopatrique.
Toute l'évolution est sous-tendue par un mécanisme
génétique ; elle consiste en le remplacement progressif de
gènes par d'autres gènes, passés au crible de la sélection
naturelle.
Accepter le néo-darwinisme et la synthèse des
découvertes de la génétique des populations était une
révolution idéologique qui n'allait pas de soi car les
implications
sociales,
politiques,
psychologiques,
philosophiques, religieuses étaient énormes. Cette nouvelle
façon de penser le monde allait contraindre toutes les
disciplines à se remettre en cause : tous les philosophes s'y
opposèrent, sauf plus tard Karl Popper, la plupart des
historiens, des psychologues et des sociologues. Aujourd'hui
encore, malgré les travaux de sociobiologie et d'éthologie de
Conrad Lorenz, d'Edward O.Wilson dans les années 1970, les
sciences humaines en France n'ont pas intégré la théorie
néo-darwinienne.
2. La période 1900-1923
néo-lamarckisme français
— 117 —
:
l'apogée
du
Entre 1900 et 1920 environ, alors que le darwinisme
rencontrait un grand succès aux U.S.A., en G.B. et en
Allemagne, la France s’isolait. Pourtant les preuves de la
non-hérédité des caractères acquis s'accumulaient, le
mendélisme apportait le nouveau souffle qui manquait au
darwinisme. Au tout début du siècle, il s'est ainsi créé deux
clans au niveau international (Mayr, 1982, p. 714). D'un côté,
il y avait les partisans du mécanisme, réductionnistes
extrêmes comme Bateson, Johannsen, qui essayaient de tout
quantifier en termes de mouvement, de force. Ils avaient peur
que l’on identifie les gènes à des corpuscules ce qui aurait été
un retour au préformationnisme ; c'est à ce clan que l'on
pourrait rattacher Le Dantec s'il n'avait pas été pur
lamarckiste, pour qui la vie n'était ni force ni mouvement,
mais assimilation. De l'autre se trouvaient ceux qui
évoquaient plus les molécules chimiques, préféraient les
explications en termes de structures, de formes. Ce sont ces
derniers qui emportèrent la victoire plus tard avec la théorie
chromosomique (Weismann, Hertwig...). En matière
d'évolution, il y avait d'un côté ceux qui ignoraient la
systématique, les taxons, les espèces, les populations et de
l'autre le courant des naturalistes fascinés par la diversité et
qui regardaient l’organisme dans son entier et dans son
milieu et travaillaient dans l’espace et le temps à la différence
des généticiens. C'est à ce clan que l'on pourrait rattacher
Lucien Cuénot. Parmi les naturalistes de sa génération, ce
dernier fait figure de solitaire face notamment aux deux
figures de proue de ce mouvement d'arrière-garde que sont
Etienne Rabaud et Félix Le Dantec, tous deux élèves de
Giard.
Etienne Rabaud (1868-1956) était professeur à la
chaire d'évolution des êtres organisés à la Sorbonne. Grand
polémiste, excessivement dogmatique, il est resté célèbre par
— 118 —
sa critique féroce de l'adaptation et du finalisme (Grassé,
1958, p. 4). Si Grassé lui reprocha d'avoir freiné le
développement de la génétique, il lui reconnut néanmoins,
dans son éloge, une influence heureuse en combattant
nombres d'idées reçues (ibid., p. 6) et d'être à l'origine du
regard nouveau que portèrent les biologistes français sur les
comportements instinctifs animaux (ibid.., p. 5). Mais
peut-être n'était-ce là qu'une politesse de façade... car le
portrait que Grassé nous laisse du personnage en dit long : il
le décrivait, sous ses lorgnons de myope qui semblait ne rien
voir, prenant son temps et “ décochant à l'ennemi une flèche,
que dis-je un dard acéré et cruel, le clouant au poteau du
ridicule et de l'ignorance ”. Cet homme se fit par là même des
ennemis, et suscita des haines et des rancœurs tenaces (ibid.).
Lucien Cuénot a fait tout au long de sa carrière de
nombreuses analyses d'ouvrages pour la Revue générale de
Sciences ou la Revue Scientifique. Ses comptes-rendus se
voulaient concis, clairs, essayant le plus possible d'exprimer
la pensée de l'auteur même s'il n'y adhérait pas ; en cela, le
ton était toujours poli, respectueux. Cette manière de rédiger
fit école auprès de son élève Andrée Tétry. Ainsi en est-il de
l'analyse de l'ouvrage de Rabaud (Le transformisme et
l'expérience, 1911) dont Cuénot put faire une critique de bon
ton “ après avoir débarrassé le texte de M. Rabaud de la
sauce lamarckiste ” (Cuénot, analyse d'ouvrage, Rabaud,
1912). Il y résumait les deux manières de voir : “ La seule
différence entre les deux écoles réside dans l’interprétation
d’un très petit nombre d’expériences dans lesquelles un
changement de milieu défini produit une modification
somatique qui réapparaît plus ou moins exactement chez les
descendants en l’absence du facteur déterminant (Kammerer,
Fisher, Sandfuss) […] aussi accueillent-ils volontiers, sans
aucun désir de critique les expériences qui leur sont
— 119 —
favorables (par exemple les extraordinaires et souvent
invraisemblables expériences de Kammerer […] pour les
autres, c’est un phénomène rare, exceptionnel, dû à des
modifications indépendantes du soma et du germen qui se
trouvent produire des effets analogues ” (ibid.). Si Rabaud
s'attaquait à Caullery, il ne le fit pas directement pour
Cuénot, mais il y avait un voile de mépris dans ses allusions
répétées à la préadaptation de Cuénot qu'il assimilait à du
créationnisme (Rabaud, 1911, p. 268 et p. 301, 1914). Il
rejetait toute idée d'adaptation avec une haine évidente de
tout finalisme puisque, selon lui, le devenir de l'organisme
vivant dépendait à tout instant de son environnement
physico-chimique : même la variation spontanée chère à
Darwin portait “ en germe l'idée finaliste que l’individu
possède en lui une tendance à varier ” (Rabaud, 1911, p.
235). Plus grave, il rejeta en bloc la théorie de l'hérédité,
rejetant sa hargne verbale, le mot n'est pas trop faible, sur
l'Ecole américaine de Morgan (Rabaud, 1937, p. 7-10), et,
curieusement, attaquant frontalement Maurice Caullery et
Emile Guyénot, mais évitant nominativement Cuénot.
Maurice Caullery, son successeur à la Sorbonne, regrettait
que l’école américaine ne trouve guère d’échos en France et
accusa même directement Rabaud d'une responsabilité
particulière. Celui pour qui le gène était un symbole, attaquait
l'approche expérimentale de ces travaux de génétique, trop
éloignés de la tradition de Claude Bernard (la méthode
hypothético-déductive) : l’hypothèse du crossing-over,
l’hypothèse des facteurs létaux étaient pour lui invérifiables.
En ce qui concerne les rapports de Cuénot avec Rabaud, les
deux hommes s'en tinrent un temps à une distance à peu près
cordiale comme en témoigne la dédicace de Rabaud, en toute
cordialité, sur l'ouvrage de ce dernier offert à Lucien Cuénot,
La matière vivante et l'hérédité. Son éloignement du panier
— 120 —
de crabes parisien lui offrait la distance nécessaire et
suffisante pour ne pas avoir à s'immiscer dans des querelles
intestines et, ce faisant, lui offrait la position idéale pour
acquérir la hauteur de vue et de jugement idéale. Anthony du
laboratoire d'anatomie comparée du Muséum brossa un
tableau édifiant du personnage dans une lettre adressée à
Cuénot :“ Je suis tout particulièrement heureux d'avoir jugé
de la même façon que vous-même les élucubrations de
Rabaud. Quelque étrange que cela puisse paraître, ici à Paris,
il y a bien des gens, je dirais même la plupart de notre petit
monde biologique, qui prennent Rabaud au sérieux […]. Il a
[…] une grande autorité biologique […]. Je soutiens que la
lecture de Rabaud est impossible […]. J'ai relevé […] des
monstruosités. Le cas de Rabaud est une vaste mystification.
Un homme méchant qui inspire la peur, par les airs profonds
qu'il sait prendre, les attaques en termes violents […]. La
Sorbonne et la zoologie française courent un très grand
danger […]. Il reluque une chaire vacante […]. Il n'y connaît
rien en biologie, en physiologie, fait une histologie de
charcutier ; ce qui lui reste c'est la biologie générale”. Antony
lançait un appel à l'aide à Lucien Cuénot, regrettait son
silence, son désengagement et lui demandait de se manifester
sur cette façon de traiter l'hérédité (Antony, Correspondance,
1922).
Georges Bohn, élève de Frédéric Houssay, qui
professait à la Sorbonne, développa une conception
physico-chimique de la vie : ayant effectué des recherches
expérimentales sur la croissance et les changements de
symétrie des plantes et des animaux (Bohn, 1921, p. X), il
s'efforça de montrer que les lois chimiques qui régissent la
forme,
le
développement,
la
reproduction,
les
métamorphoses, la régénération, chez les animaux et les
plantes, sont les mêmes qui régissent le mouvement (Bohn,
— 121 —
1921, p. VIII). Adepte d'une mécanique biologique, il travailla
vingt ans sur l'influence des facteurs physico-chimiques
extérieurs : pression, température, oxygène, concentration en
sels, lumière... (Bohn, 1921, p. 161-162). Il développa une
conception personnelle de l'être vivant-machine, conception
qui inspira tant Le Dantec. Cependant, si ces observations
peuvent être à la base considérées comme intéressantes, il
n'en demeure pas moins qu'elles n'ont pas offert de pistes de
recherches fertiles car les mécanismes fondamentaux de la
biologie cellulaire et moléculaire étaient à cette époque
totalement inconnus.
Félix Le Dantec (1869-1917), mathématicien égaré
dans les sciences naturelles après une thèse sur l'alimentation
des protozoaires, coupa véritablement ses rapports avec la
nature et se consacra à la théorie (Grassé, 1958, p. 1).
Influencé par Jacques Loeb et Claude Bernard, il se voua à la
construction d'une théorie physico-chimique de la vie basée
sur l'assimilation, inspirée des idées de Georges Bohn.
Lamarckiste, partisan de la télégonie, il tenta un
raccordement de sa théorie de la vie aux travaux de
Weismann. Mais il ne réussit pas à assimiler la redécouverte
des travaux de Mendel et les expériences de Cuénot qu'il ne
mentionna jamais. Le cas de Le Dantec, curieux à plus d'un
titre et pôle opposé de Cuénot au sein de la biologie française
de l'époque, montre au final l'impasse à laquelle conduit le
mépris de l'expérience de laboratoire au profit de la
dialectique. Il développa un raisonnement en apparence
logique mais “ tellement fantastique qu'il faut quelque temps
pour s'y habituer et les prendre au sérieux ” (Cuénot, analyse
d'ouvrage, Le Dantec, 30 mai 1903). Notre professeur, avec
son ironie teintée de délicatesse verbale habituelle, résumait
cette nouvelle théorie comme “ l'effort formidable, peut-être
présomptueux […] d'un esprit auquel on ne saurait contester
— 122 —
une audacieuse imagination et une rare originalité de langage
et de raisonnement ” (ibid.). Etre obnubilé — “ Si j’ai été
fortement attiré vers l’étude de la vie, c’est uniquement, je
l’avoue, par le besoin impérieux de me comprendre
moi-même ” (Le Dantec, 1904, p. 270), il resta sourd à
l'hypothèse séduisante avancée par Cuénot à savoir un
déterminant-une diastase, hypothèse qui eut correspondu à
son goût, son obsession même du physico-chimique. Le
Dantec était avant tout un dialecticien, un théoricien
egocentré. Pierre-Paul Grassé, qui ne le connut pas
personnellement mais fréquenta le laboratoire d'évolution des
êtres organisés deux ans après sa mort, put cependant
témoigner de l'influence, du prestige même qu'il y exerça :
fort éloigné des réalités du laboratoire, il construisit une
théorie sur la base de faits recueillis de seconde main (Grassé
1958, p. 1-2). Ces principaux travaux se résument à des
expériences de mérotomie*, constatant que, lors de la section
d'un protoplasma en plusieurs morceaux, l’assimilation
s’arrête dans le mérozoïte anucléé. Le Dantec s'était
visiblement arrêté à Weismann et ignorait ou feignait
d'ignorer les travaux postérieurs de de Vries, Cuénot et les
autres : pour lui, chaque substance du plastide était constituée
de demi-molécules mâles qui apportaient leur capacité
d’assimilation à la fécondation, et de demi-molécules
femelles. L'ovocyte en voie de maturation était l’objet de la
disparition des demi-molécules mâles, ce qui expliquait les
parthénogenèses, les abeilles ouvrières. “ Les partisans de la
théorie de Weismann au contraire considèrent chaque
chromomère d’un chromosome formé d’éléments spéciaux
qui représentent les qualités héréditaires de l’individu se
divisent longitudinalement ” et “ Weismann a besoin que ces
éléments soient différents ” (Le Dantec, 1903, p. 149-150 et
suivantes). Il créa aussi “ la substance d'homme ”, au
— 123 —
fonctionnement tout lamarckiste : “ Un œuf d’homme est
simplement de la substance d’homme qui peut vivre par
elle-même, elle assimile et prend fatalement la forme d’un
homme […].L’origine de cette substance d’homme ou autre
est à rechercher dans l’hérédité des caractères acquis : un
enfant nourri de pain ne prendra pas la forme d’un nourri de
viande […] mais une substance de manchot ne donne pas un
manchot, une substance de chinoise pied-bot ne donne pas de
chinois pied-bot […]car il faut que le caractère acquis l’ait
été par les deux sexes ” (Le Dantec, 1903, p. 133). Ce
théoricien, qui dénonça les erreurs de langage, l'erreur
antropomorphique et l'erreur téléologique et substitua
finalement une dialectique pour une autre toute aussi obscure,
exerça une influence sur son entourage comme Etienne
Rabaud, laissant en héritage ses conceptions dogmatiques
inexactes (Grassé, 1958, p. 1-2). Pourtant Rostand, qui avoua
néanmoins reconnaître certaines bévues qu'il commit, avoua
avoir une dette envers Le Dantec, “ que j'ai tant lu et tant
aimé dans ma jeunesse, ce Le Dantec qui a formé Jean Barois
et l'Antoine de Roger Martin du Gard ”, ce Le Dantec dont la
philosophie paraissait à Rostand plus proche de la sienne que
celle de Cuénot (Rostand, 1966, p. 157). On a du mal
aujourd'hui, à la lecture de Le Dantec de comprendre le
succès que suscita ses ouvrages parmi les jeunes générations :
ce fut surtout le cas de La lutte universelle, qui fait
immanquablement penser au succès de la théorie actuelle du
gène égoïste de Richard Dawkins. Dans cet ouvrage
néo-lamarckiste à la gloire de la lutte à tous les niveaux,
adaptation mécaniciste française de la sélection naturelle de
Darwin, depuis toutes les actions les plus élémentaires
(apparition d'une génération spontanée résultat d'un lutte,
luttes diastasiques, toxiques, antitoxiques, assimilatrices)
jusqu'à la lutte de l'Homme pour les corps bruts, toute la vie,
— 124 —
sans répit, n'est que lutte pour triompher des obstacles vers
une victoire perpétuelle (Pieron, analyse d'ouvrage, 1906). Le
Dantec correspondit un temps avec Cuénot à la suite des
analyses d'ouvrages pour la Revue Scientifique, critiques que
Le Dantec (Correspondance, 5 août 1903) jugeait très
courtoises et assaisonnées d'une ironie qui n'était pas pour lui
déplaire. Ses longues diatribes épistolaires, parfaitement
cordiales au demeurant, visaient à assurer sa propre défense,
invoquant un peu trop les contraintes rédactionnelles qui
l'empêchaient de développer ses arguments, sa
bibliographie.... Elles nous dépeignent un homme, qui avait
horreur de toute métaphysique, obsédé jour et nuit par sa
théorie physico-chimique de la vie et du sexe, par la crainte
de se tromper, mais aussi un homme qui espérait conserver
l'estime scientifique de Cuénot : “ Formulez vos critiques
aussi nettement et aussi brutalement que vous voudrez, je les
accueillerai avec reconnaissance ” (Correspondance, non
datée). La démarche froidement mécaniste de cet homme,
proche de l'animal-machine de Diderot ou du monisme
d’Haeckel, épurée de tout finalisme, pour qui la conscience
est un épiphénomène, laissait présager les expériences de
Pavlov ou l'émergence de la sociobiologie. En accord avec
Lee Jong-hee (1998), on peut affirmer que Le Dantec frôla le
nationalisme scientifique par son approche eugéniste de
l'hérédité des caractères acquis. Dans son Traité de Biologie,
il consacra un chapitre à l'application de la biologie à la
sociologie : il y remettait en cause les notions de liberté,
égalité et fraternité, certain qu'il doit être possible, pour
reprendre sa terminologie (Le Dantec, 1903, p. 526 et 528), “
par une obéissance prolongée aux lois définitives de la
collectivité humaine de faire de l'Homme un bon citoyen en
route vers l'état des mouches à miel ”. Voici ce que Cuénot
écrivait de Le Dantec, bien des années, plus tard (Cuénot,
— 125 —
analyse d'ouvrage, Matisse, 1944) : “ Des nombreux livres de
Le Dantec, qui eurent jadis un certain succès, il ne reste rien :
non seulement le raisonnement pur ne l'a amené à aucun
résultat nouveau, ni à aucune idée utilisable, mais il l'a induit
en erreur avec une surprenante continuité ”.
Tant que les biologistes naturalistes se contentèrent
d'observation, la question ne put être résolue. La méthode
inductive qui consistait à généraliser à partir d'observations
ne pouvait conduire qu'à une impasse. Il fallut que la question
de l'hérédité de l'acquis passe par le crible de la méthode
expérimentale à la manière d'un Claude Bernard ou plus tard
par ce que Karl Popper appela la méthode
hypothético-déductive (qui consiste, en vue de tester une
théorie, à poser une hypothèse et à élaborer une expérience
afin de la confirmer ou l'infirmer). Mais jusque dans le
premier quart du siècle, il n'y avait pas de rigueur
expérimentale et les publications ne donnaient aucune
précision sur les conditions expérimentales, ce qui rendait les
résultats difficilement réfutables. Certaines expériences
polémiques sont ainsi devenues des classiques de l'histoire de
la biologie. “ Les lamarckistes, partisans de l’inscription
patrimoniale accueillent avec plaisir les expériences ou
observations, même médiocres ” (Cuénot, analyse d'ouvrage,
Rabaud, 1912). Cuénot faisait paraître à 28 ans seulement, en
1894, un remarquable article pour l'époque, exposant "La
nouvelle théorie transformiste", éloge du weismannisme, acte
de bravoure dans un pays tout entier converti au lamarckisme
: avec une maturité extraordinaire et une vision anticipatrice
sur l'avenir — Cuénot affirmait que le problème serait résolu
“ lorsque l'on aura réussi à séparer les variations héréditaires
provenant d'une modification du plasma d'avec les variations
non transmissibles qui affectent l'individu sans toucher au
— 126 —
plasma ” (Cuénot, La nouvelle théorie transformiste, 1894, p.
78).
Parmi les correspondants de Lucien Cuénot, il y avait
aussi Maurice Caullery (1868-1958), biologiste de réputation
internationale, et qui sera titulaire de la chaire d’évolution des
êtres organisés à Paris. Il entretenait très tôt de bonnes
relations avec Cuénot dont il salua la sortie de la Genèse des
espèces animales en 1911 “ pour sa documentation abondante
et tout à fait moderne ” (Caullery, Correspondance, 1911). Il
s'affichait à cette époque ouvertement “ plus porté vers les
explications lamarckistes mais elles ont besoin d'être mises
au point par des expériences précises ” (ibid.). Il publiait dès
1910 Variation et hérédité, tendances et problèmes actuels :
pour lui l'adaptation était l'harmonie entre les divers organes
et entre l'organisme et son milieu.
Enfin, Louis Blaringhem (1878-1958), professeur de
botanique, élève d’Alfred Giard, formula une thèse
lamarckiste de formation des espèces par traumatismes en
1906. Il parut assez ouvert aux travaux de Cuénot sur
l'hérédité (Blaringhem, Correspondance, 1907).
3. Un transformiste contre l'hérédité de l'acquis
Les tentatives expérimentales visant à démontrer
l'hérédité de l'acquis n'étaient pas nouvelles. Déjà, en 1882,
Brown-Séquard, sur des cobayes, avait essayé de montrer que
la dégénérescence de l’oreille, des yeux et des pattes obtenue
à partir de section de nerf pouvait être transmise aux
descendants. En 1920, les américains M.F. Guyer et
E.A.Smith présentaient une expérience tendant à prouver
l'hérédité des caractères acquis. En injectant à des poules des
cristallins broyés, ils obtenaient un sérum cristallolytique qui
était injecté à des lapines en début de gestation. Ce sérum,
— 127 —
qui n'avait aucun effet sur des lapine adultes, provoquait ici
des malformations plus ou moins graves des yeux des petits.
Or, ces chercheurs prétendaient que le caractère “cataracte”
se transmettait à la manière d'un caractère mendélien récessif,
jusqu'à la huitième génération, sans que le traitement ne soit
poursuivi et que la cristallosine agissait sur les cellules
germinales. Si Cuénot fut un peu troublé par l'expérience, de
nombreux détails de l'expérience le laissèrent insatisfait
(Cuénot, Génétique et adaptation, 1923, p. 34-36). En
collaboration avec Lienhart, Mutel puis Vernier, en 1923 et
1924, il reprit une de ces expériences en induisant une
cataracte chez des lapines en gestation par absorption de
naphtaline dissoute. La naphtaline induisit chez la mère et
chez les embryons une opacité du cristallin entre autres
effets. Mais les lapins nés par accouplement de ces derniers
étaient parfaitement normaux. Lucien Cuénot pensa que la
pseudo-transmission de ces auteurs provenait sans doute
d'une coïncidence avec une cataracte héréditaire chez le lapin
(Cuénot, 1926, Titres et travaux, p. 19).
4. La période 1919-1936 : la déroute française
Avant la grande synthèse, on voyait l’évolution
comme un processus discontinu qui, par mutations
génétiques, était susceptible d’expliquer la formation
d’espèces. Les mendéliens pensaient que les mutations
brusques expliquaient tout et la sélection naturelle n'avait pas
d'effet — au mieux elle éliminait les mutations nuisibles. Les
naturalistes minimisaient le mendélisme car trop attachés au
gradualisme, ils continuaient à croire à l’usage, au non-usage,
bref à l’hérédité de l’acquis (Mayr, 1982, p. 508).
Caullery, de retour des Etats-Unis en 1917, vit
soudain son pays “ étriqué, vieillot ”; il comparait l'état d'un
— 128 —
biologiste français à celui d'un enkystement ou à une forme
de vie ralentie... Face à la vigueur américaine due à
l'initiative privée, l'étatisme français pesait comme une chape
de plomb sur les universités et particulièrement sur la
recherche. Il n'y avait alors qu'un établissement privé,
l'Institut Pasteur, d'où sortirent d'ailleurs quelques excellents
scientifiques plus tard. Il accusait les pouvoirs publics
d'imprévoyance,
le
milieu
scientifique
d'excès
d'individualisme. La France vivait encore sur ses lauriers
passés et la tradition française des belles lettres, du
raffinement et de l'élégance d'esprit s'accommodait mal du
développement scientifique, selon Caullery. La bourgeoisie
française et le clergé catholique n'étaient pas sans reproches
et ce dernier “ s'était efforcé inlassablement de jeter la
suspicion sur le science, et encore aujourd'hui il ne lui déplaît
pas d'en entendre proclamer la faillite ”. Le public français
s'était détourné du goût de la culture scientifique, lui
préférant les arts et la littérature. Sans l'appui du public, les
hommes de bonne volonté étaient impuissants (Caullery,
1917).
Aux Etats-Unis, les travaux de recherche majeurs sur
l'hérédité et l'embryologie du début du siècle avaient été
réalisés dans des laboratoires privés. L'université était
dévolue essentiellement à l'enseignement, et il s'était créé, sur
des initiatives privées, quelques grandes institutions : la
Carnegie Institution, créée en 1902, possédait la station
expérimentale de recherche sur l'évolution à Cold Spring
Harbor (Long Island), dont le directeur Davenport fut le
pionnier de la génétique américaine. Carnegie finança les
travaux de Castle sur l'hérédité. L'institut Rockefeller, créé en
1906 à New-York, accueillit Alexis Carrel, Jacques Loeb
(Pichot, 2000, p. 204-205 et 249-250). Mais l'envers du décor
est que ces institutions privées furent à l'origine des sociétés
— 129 —
d'eugénique en Amérique mais aussi en Europe et que des
gens comme Davenport ou moins dangereux comme Carrel
ont propagé des idées eugéniques pour le moins troubles. Par
ailleurs, aux Etats-Unis dans les années 1920, les
créationnistes étaient tout puissants et il était impossible à un
enseignant de parler de la théorie de Darwin.
Un des aspects à signaler est la centralisation
parisienne : entre le Muséum d'histoire naturelle de Paris
pour la paléontologie, la Faculté des sciences avec la chaire
d’évolution des êtres organisés, et l'Académie de sciences
pour la remise des prix, tout concourait au conformisme
intellectuel. Entrer en campagne académique était un sport
auquel tout biologiste qui se respecte devait s'adonner. Il est
remarquable que les grands scientifiques français aient tous
été plus ou moins isolés de ce courant parisien : Cuénot,
penseur indépendant passa toute sa vie à Nancy, loin du bruit
et de la fureur... Emile Guyénot(1885-1963) forcé de quitter
la France pour Genève en Suisse (Buican, 1982, p.588), tout
comme plus tard Boris Ephrussi(1901-1979) aux U.S.A,
André Lwoff (1902-1990), Jacques Monod (1910-1976) ou
François Jacob(1920-) étaient tous dans une institution
privée, l’Institut Pasteur (Grimoult, 2000). Il y a aussi une
explication à chercher dans les moyens financiers de la
recherche scientifique française de l'époque qui ne vivait que
de subsides de l'état. Si les expériences décisives de Cuénot
ont été réalisées sur un coin de paillasse, un équipement
moderne devient nécessaire si l'on veut aller plus loin.
Caullery était conscient du retard dramatique de la France : “
Je crois que nous devons tourner tous nos efforts pour faire
remonter la zoologie française […]. Dans l'ensemble nous ne
sommes pas au niveau qu'il faudrait ” (Caulley,
Correspondance, 1911). Il confiait à Cuénot les immenses
difficultés qu'il avait à cette époque pour réaliser un
— 130 —
laboratoire où l’on puisse expérimenter. “ Jusqu'ici je ne
connais que les déboires de résultats négatifs mais je ne
désespère pas. Je me suis d'abord heurté à une opposition de
principe qui se réduit maintenant à une impossibilité de
trouver l'argent ”.
Caullery, élève de Giard, se déclarait “ favorable à un
lamarckisme modernisé, assagi, essaie, en faisant appel au
facteur temps, de le concilier avec les faits solidement acquis
du mutationnisme ” (Cuénot, analyse d'ouvrage, Caullery,
1931). Si Caullery acceptait les mutations tout en
mésestimant le rôle de la sélection naturelle, il garda toujours
une insatisfaction car les mutations ne pouvaient expliquer
seules les phénomènes de convergence adaptative comme
pour les cétacés, les siréniens ou les ichtyosaures. Caullery
pensa longtemps que l'adaptation devait trouver une
explication dans le perfectionnement progressif dans un lien
direct avec le milieu extérieur. Dans son hommage à
Lamarck, en 1949, il avoua ne plus croire à l'hérédité de
l'acquis : “ Il faut bien reconnaître que toutes les tentatives
faites depuis cinquante ans pour en apporter une preuve
expérimentale inattaquable ont échoué ” (ibid., p. 39).
A partir de 1930 environ, Emile Guyénot, le seul avec
Cuénot à refuser l'influence du milieu, accorda une grande
importance aux variations : mutations géniques et
réarrangements chromosomiques ont du jouer une rôle
important dans la création des groupes et des espèces, la
biométrie a montré que l'apparente continuité phénotypique
de la population masque une véritable discontinuité
génotypique. Mais Guyénot écartait d'emblée tout rôle
évolutif à la sélection naturelle.
5. La période 1936-1950 : un consensus encore difficile
— 131 —
En France, une certaine arrière-garde se débattait, plus
virulente que jamais. Etienne Rabaud (1868-1939) écrivait
encore en 1937 que “ La théorie de Morgan […] en
contradiction violente avec les principes les plus élémentaires
de la méthode expérimentale […] a développé sa propagande
et accentué son action débilitante ou encore que le problème
de l'hérédité consiste à inventer des "gènes" et à les localiser
sur des chromosomes par le moyen d'une statistique ”
(Rabaud, 1937, p. 9). Emile Guyénot dut subir les attaques de
Rabaud et de sa collaboratrice, Mademoiselle Verrier, qui, en
1938, l'accusèrent de falsification d'expérience au sujet de
radiographies de vessie natatoire chez le poisson. Il appela
d'ailleurs Cuénot à l'aide, s'estimant profondément injurié,
attaqué dans sa “ probité scientifique ” (Correspondance, 11
décembre 1939).
Pourtant le torchon finira par brûler avec Cuénot en
1942, à la sortie d'un nouvel ouvrage polémiste de Rabaud,
Transformisme et adaptation : cette fois-ci, Cuénot, attaqué
sournoisement par des on, des certains auteurs et traité de
morphologiste naïf, candide et benoît face aux coaptations,
riposta : benoît signifie-t-il imbécile? Rabaud en prit pour son
grade dans cette critique où Cuénot ne perdit pourtant pas son
humour et sa verve habituelle (Cuénot, analyse, Rabaud,
1942).
Enfin, pour en finir avec le panier de crabes de la
biologie française de l'époque, Pierre Grassé(1895-1985)
dans un courrier à Cuénot du 13 novembre 1948, remerciait
Cuénot de son soutien, écrivant : “ La muflerie de Caullery
dépasse les bornes, il se venge de mon refus de signer un
factum injurieux qu’il avait rédigé contre Rabaud et qui
devait paraître dans le bulletin zoologique […]. Mlle Cousin,
égérie haineuse de cet éminent biologiste […] mène contre
moi une campagne […] entendant par là payer la dette de
— 132 —
gratitude qu’elle a contractée envers moi quand je l’ai fait
nommer chef de travaux et maître de conférence à la
Sorbonne”.
La France connaissait, à part les néo-darwiniens
convaincus, un courant qui ne rejetait pas le néo-darwinisme
mais en restait insatisfait. Il comptait dans ses rangs Lucien
Cuénot, Emile Guyénot, Maurice Caullery et, pour les plus
jeunes, Jean Rostand, Boris Ephrussi, Philippe L’Héritier et
Georges Teissier et Pierre-Paul Grassé. Les travaux
expérimentaux de Philippe L’Héritier (1906-1990) et
Georges Teissier furent décisifs. L'Héritier, issu de l'Ecole
normale supérieure, enseignant la zoologie à Strasbourg en
1938, alla aux U.S.A. en 1931-1932, quand la génétique des
populations était en cours d’élaboration : il découvrit les
travaux de Fisher, Wright et Haldane, rencontra Dobzhansky
et Müller. De retour en France, il s’associa à Georges Teissier
pour valider les équations théoriques avec des élevages de
drosophiles en grandes populations. Georges Teissier était
normalien mais surtout biométricien : il fut à partir de 1928 à
la station marine de Roscoff où il développa avec L'Héritier,
des cages à populations pour les drosophiles, permettant de
faire de la génétique des populations et d'étudier les lois de la
sélection naturelle. Ils montrèrent que le plus apte dispose,
dans des conditions définies, d'une probabilité plus grande de
transmettre ses caractères. Ils réussirent à valider le rôle de la
sélection naturelle dans les changements génotypiques des
populations animales. En dépit de ses engagements
communistes, Teissier sera soutenu un temps à la direction
CNRS par la Fondation Rockfeller. Il fut professeur de
génétique et de biologie générale à la Sorbonne puis directeur
du CNRS en 1946. Quant à Boris Ephrussi, il avait travaillé
entre les deux guerres aux U.S.A. avec Beadle sur la
— 133 —
drosophile. Revenu en France, il fut nommé à la première
chaire de génétique créée à la Sorbonne en 1945 (Buican,
1982, p. 588) et fit de la génétique moléculaire sur les levures
chez lesquelles il découvrit de l'hérédité non mendélienne.
Quant à Maurice Caullery, il s'intéressa à
l'embryologie, à l'hérédité, au parasitisme, à la sexualité et à
l'évolution. Il resta lamarckiste prudent, plutôt sentimental,
car il n’ignorait pas la génétique. Dans Le problème de
l'Evolution (1930), que Cuénot salua dans la Revue générale
des sciences (Cuénot, analyse d'ouvrage, Caullery, 1931), il
essayait d'intégrer un facteur négligé, le temps, à son
lamarckisme modernisé pour “ tenter de concilier les faits
solidement acquis du mutationnisme ”. Il prononça plus tard
une conférence en 1945 au Palais de la découverte au cours
de laquelle il affirma que le parasitisme empêchait d’écarter
définitivement la solution lamarckiste. Mais il écrivit aussi en
1946, dans un mémoire pour le bicentenaire de Lamarck, que
“ Sur l’hérédité des caractères acquis elle-même, il faut bien
reconnaître que toutes les tentatives faites depuis cinquante
ans pour en apporter une preuve expérimentale inattaquable
ont échoué ” (Caulley, 1946, p. 39) et que “ Ni le
lamarckisme originel, ni le darwinisme complété par la
théorie des mutations ne peuvent offrir à notre esprit une
image satisfaisante de la réalisation de la nature vivante telle
que nous la connaissons ” (ibid., p. 43), ce qui se rapproche
intimement de la pensée de Cuénot à cette même époque.
Emile Guyénot (1885-1963), élève de Caullery,
professeur à l'Université de Genève et correspondant de
l'Académie en 1932, peut être considéré véritablement
comme le seul anti-lamarckiste de sa génération avec Cuénot.
A l'écart du tumulte parisien, il écrivit deux livres importants
La variation et l'évolution en 1930, réédité et L'hérédité en
1924 et réédité 4 fois jusqu'en 1942. Il salua en Cuénot “ la
— 134 —
grande et noble figure d'un savant de premier plan, dont (il) n'
(a) pas été l'élève, mais qui a, de façon indirecte, exercé une
influence profonde sur (sa) pensée. Il y a eu entre Cuénot et
(lui) une véritable convergence sur bien des points ”
(Caullery, Correspondance avec Tétry, 1952). Convaincu du
rôle majeur des mutations, il partageait avec Cuénot le même
scepticisme vis-à-vis du néodarwinisme, incapable
d'expliquer l'évolution.
Jean Rostand (1894-1977) n'a pas été universitaire,
mais s’établit dès 1920 à Ville d’Avray où, dans son propre
laboratoire, il étudia la biologie du développement et de la
génétique. Il “ a contribué à faire connaître, dans de larges
sphères, les grandes directions de la biologie moderne, et
particulièrement la génétique, longtemps décriées en France,
malgré les découvertes d’un grand pionnier, Cuénot, et les
cris d’alarme d’un des plus clairvoyants de nos maîtres, M.
Caullery ” (Etienne Wolff in Grimoult, 2000, p. 128). Grand
vulgarisateur, écrivain scientifique, moraliste, il fut un
adversaire acharné du lyssenkisme en France. Néodarwinien,
évolutionniste insatisfait, non finaliste, il était une admirateur
de Cuénot et écrivait en 1928 dans son premier livre
scientifique : “ Avouons-le, nous sommes présentement
enfermés dans un dilemme dont il ne paraît pas que nous
soyons prêts de sortir : l’évolution des espèces, est, sans
hérédité acquise, très difficilement concevable, et quant à
l’hérédité acquise, non seulement elle est très difficilement
concevable, mais les faits lui sont franchement contraires ”
(Rostand dans Buican, 1994, p. 34-35).
L'affaire Lyssenko et le courant néo-lamarckiste
soviétique (Fischer, 2001, p.35-66, Delsol, 1998, p.72-76)
La polémique entre hérédité de l'acquis et darwinisme
eut des retombées politiques : la première version de
— 135 —
l'évolution offrait l'espoir de modifier le cours des choses, de
diriger l'hérédité, avec l'utopie de créer ainsi un nouvel
homme, la seconde version, plus noire, proclamait
l'impuissance à modifier le cours des événements ; elle était
de plus considérée comme la science bourgeoise, dévolue aux
intérêts d'une classe privilégiée. En U.R.S.S., le
néo-lamarckisme se développa, offrant tous les espoirs à une
idéologie qui prônait un égalitarisme totalitaire. A une
époque où le développement de l'agriculture russe était
nécessaire à l’édification du communisme, Riazzan
Mitchourine (1855-1935), horticulteur en U.R.S.S., puis
Trophym Lyssenko (1898-1976) crurent pouvoir démontrer
l'hérédité de l'acquis, seule doctrine compatible avec le
dogme marxiste-léniniste et l'application à l'hybridation
végétale. Lyssenko développa un concept destiné à
contrebalancer le darwinisme dangereux pour son pays : dans
une plantation d'arbres, des jeunes plants se sacrifiaient pour
la survie des autres. Le système Lyssenko eut des effets
catastrophiques et l’agriculture russe mit quinze ans pour s’en
remettre. Pavlov crut aussi montrer l’hérédité acquise par
l’habitude chez la souris en 1923 : les souris allaient chercher
de la nourriture par suite d'un conditionnement qui demandait
300 leçons à la F1, 100 à la F2, 30 à la F3, 5 à la F4...
Guyénot avait pensé le premier en 1930 (Delsol, 1998, p.39)
qu’il n'avait fait que sélectionner des génotypes plus capables
d’apprendre que la normale.
6. Après la grande synthèse...
La théorie synthétique est aujourd'hui dépassée d'une
part parce qu'elle est restée très déterministe (elle croyait
encore aux lois), d'autre part à cause des progrès en génétique
et en paléontologie. Depuis Morgan, la génétique formelle ne
— 136 —
s'intéressait pas à la nature chimique de l'évolution, elle était
purement mathématique : on ne savait pas si le gène était
lui-même une enzyme, s’il fabriquait une enzyme ou bien s’il
intervenait dans une réaction dégageant de l’énergie
nécessaire. Il fallut attendre les années 1950 pour qu'on
s'intéresse à nouveau à la biochimie de l'hérédité avec la
découverte de l'ADN ; la structure tridimensionnelle de
l’ADN fut découverte par James Watson et Francis Crick en
1953. Entre 1953 et 1963 tout alla très vite : on découvrit la
duplication de l’ADN, le rôle des ARN messagers, le
mécanisme de la synthèse des protéines et sa régulation.
Ensuite, la théorie synthétique, trop réductionniste, a montré
ses limites, en partie pour n'avoir pas voulu prendre en
compte l'organisme individuel et la forme, ce qui revient aux
réticences de Cuénot.
Il fallut aussi comprendre le polymorphisme, ce qui
ne se fit pas avant 1966. C'est un état stable qui maintient
dans une population une grande diversité génétique, jouant le
rôle d'assurance contre le danger d'inadaptation : l'espèce
peut ainsi faire face au changement (cas des bactéries
résistantes aux antibiotiques). Ce n'est qu'après la découverte
de l'ADN qu'on comprit que le polymorphisme correspond,
au niveau du chromosome, à l'existence sur un même
emplacement (locus) de plusieurs variantes (allèles) d'un
même gène (cas des groupes sanguins humains par exemple).
Un cas bien connu et étudié par Theodosius Dobzhansky
(1900-1975), Maxime Lamotte plus tard en France, est celui
de l'escargot des haies Cepaea nemoralis.
Le néo-darwinisme évolua tout au long des décennies
suivantes jusqu'au début des années 1980 où la théorie
synthétique traversa une crise : les paléontologues Stephen
G.Gould(1941-2002) et Nils Eldredge avaient développé à
partir de la théorie de Goldschmidt, un modèle
— 137 —
paléontologique de l'évolution par saltation, dit des équilibres
ponctués ou intermittents. L'étude de la faune précambrienne
d'Ediacara (680 millions d'années) a permis de développer
une nouvelle conception de l'évolution : à une époque très
ancienne, il existait de nombreux habitats potentiels vacants,
l'apparition de nouveautés majeures avait plus de chance de
se réaliser, ainsi de nombreux phylum* se sont différenciés.
Les principaux types étaient créés. Il ne resta plus qu'aux
descendants et survivants éventuels d'extinctions massives
d'occuper des niches de plus en plus restreintes au prix de
modifications microévolutives mineures, créant de simples
subdivisons de phylum. C'est donc un modèle qui propose un
équilibre entre microévolution et macroévolution (Eldredge,
1982). Le rôle de la sélection naturelle invoquée pour
expliquer les apparentes orthogenèses fut jugée par les
paléontologues S.G.Gould et E.Vbra invérifiable bien
souvent dans les cas de séries fossiles et pas toujours
nécessaire. Les embryologistes appuyèrent ce point de vue en
invoquant les conditions intrinsèques dues au programme
génétique : seules les variations compatibles avec ce
programme ont des chances d'aboutir au cours du
développement (Devillers, 1981, p.1156). Gould réhabilita
aussi une grande absente de la théorie synthétique :
l'ontogenèse (De Ricqlès, 2002, p.27). Une autre voix se fit
entendre, dès 1967, celle de Motoo Kimura qui établit une
théorie neutraliste de l'évolution, basée sur des modèles
quantitatifs, en étudiant les taux d'évolution des protéines et
des nucléotides. Il montra que de nombreux polymorphismes
au sein des protéines pourraient être sélectivement neutres.
Ainsi les neutralistes soutiennent qu'il n'y a pas lieu de
rechercher systématiquement un avantage sélectif à une
mutation. Pour les neutralistes, la structure et la fonction des
protéines déterminent leur polymorphisme, alors que pour le
— 138 —
sélectionniste, adepte d'une sélection positive, le milieu est
déterminant. Ainsi, certains mutants neutres peuvent quand
même se répandre dans la population (Kimura, 1998,
p.150-159).
Enfin, signalons la théorie sélectionniste du gène
égoïste de Richard Dawkins en 1976, qui finalement ne fait
que reprendre les propos d'Haeckel sur l'altruisme cent ans
plus tôt, ainsi que les vieux concepts du combat pour la vie à
l'intérieur de la cellule de W. Roux(1850-1924) en 1881,
repris aussi par Le Dantec.
Aujourd'hui deux concepts tentent de coexister. D'une
part la version classique d'une évolution contingente*,
adaptatrice et innovatrice : elle est classiquement considérée
comme le résultat d'un couple indissociable variation
génétique/sélection naturelle. De l'autre, la version non
orthodoxe, moins réductionniste, de S.G.Gould, venue
moduler la thèse classique en renouant avec la morphologie
et le développement de l'individu.
A partir de la découverte de l'ADN, on a vraiment
bien compris comment les mécanismes de la méiose et de la
fécondation étaient une source de réarrangement
chromosomique et un brassage allèlique : délétions,
duplications, translocations, fusions, crossing-over, etc.
conduisaient à une multitude de nouvelles recombinaisons
génotypiques. On a aussi mieux compris la différence entre le
génotype et son expression phénotypique, le déterminisme
sexuel et l'hérédité liée au sexe, les maladies héréditaires
(phénylcétonurie, anémie falciforme...). On a découvert
l'hérédité cytoplasmique, avec notamment l'hérédité
maternelle de l'ADN mitochondrial : cet ADN est utilisé,
dans l'étude de l'évolution notamment, pour la mesure du
taux de mutations (horloge moléculaire). On connaît, depuis
les travaux de Monod, Jacob et Changeux, la régulation de
— 139 —
l'expression des gènes et les mécanismes de
rétrotransposition, modification de l'ADN à partir de l'ARN.
L'utilisation de matériel de choix comme la drosophile a
permis de découvrir que le développement de l'embryon,
pour une période plus ou moins longue suivant les espèces,
dépend des gènes maternels, à tel point qu'un gène maternel
pourra ne pas être compensé par un gène paternel. L'ARN
cytoplasmique maternel est responsable aussi par exemple de
l'enroulement d'une coquille de gastéropode (Le Moigne,
1996, p. 61).
La sélection naturelle
Pour Darwin, c'était la survivance du plus apte. Mais
s'il s'était basé sur les sélections de races ou de variétés des
éleveurs et des horticulteurs, il n'en put fournir aucun
exemple dans la nature. L'Homme n'a pas encore assisté à la
création d'une nouvelle espèce. Si la théorie synthétique lui a
concédé un rôle quasi-créateur, aujourd'hui la sélection
naturelle n'est plus considérée comme toute puissante.
Dobzhansky voyait la sélection comme une sorte d'ingénieur,
François Jacob la voit plutôt comme un bricoleur car il faut
que les potentialités du logiciel préexistent pour que la
sélection puisse jouer son rôle. Simpson considérait d'ailleurs
cela comme étant le seul anti-hasard dans l'évolution. Si elle
peut adapter, elle ne peut innover, elle n'est pas une force
créatrice. Le couple variation/sélection est indissociable et
c'est ce couple fonctionnel qui peut être considéré comme
créateur. L'évolution adaptative est aléatoire, dépourvue
d'orientation, indépendante du temps, par contre elle peut se
montrer directionnelle dans le cas d'événements itératifs de
type transgression marine, modification climatique. La
sélection élimine les plus éloignés de la moyenne : elle est
conservatrice. Si elle retient un type déviant au contraire, elle
— 140 —
est directionnelle (ce qui pourrait lui conférer un rôle majeur
dans l'anagenèse). Si elle frappe les individus moyens, ne
laissant subsister que les extrêmes, elle conduit à la
cladogenèse (Devillers et Tintant, 1996). En outre, le concept
de sélection naturelle s'est complexifié de part les divers
niveaux de sélection, depuis la molécule jusqu'aux grands
plans d'organisation du vivant. Pour Jean Gayon, la sélection
naturelle n'a de signification que locale, elle explique l'arbre
de la vie pas à pas. Elle explique pourquoi il y a de la
diversité mais pas cette diversité plutôt qu'une autre. Elle
unifie la vision générale du vivant à la manière d'un
processus, pas d'un plan (Gayon, 1992, p. 405).
Les apports de la génétique moléculaire et de la biologie
du développement
(De Ricqlès et Le Guyader, 2000, p. 20-26)
Les récents progrès en biologie du développement ont
aussi été considérables avec la découverte des gènes de
développement : une famille de gènes homéotiques groupés
en un grand complexe appelé HOM chez les invertébrés et
HOX chez les vertébrés commande des phases du
développement de manière similaire chez tous les animaux et
dérivent tous par duplication d'un gène ancestral. Ces gènes
sont responsables du contrôle des plans de base de
l'organisme, axe antéro-postérieur, dorso-ventral et
proximo-distal. Tous les gènes homéotiques du complexe
possèdent en commun une séquence de 183 nucléotides,
appelée homéoboîte, codant pour une séquence protéique de
60 acides aminés appelée homéodomaine et dotée d'une
fixation préférentielle à l'ADN, assurant donc le rôle de
régulateur de transcription. Chez la drosophile, ce complexe
s'est trouvé secondairement séparé en deux sous-complexes,
Antennapedia et Bithorax. On peut remplacer les gènes HOM
— 141 —
de la drosophile par des gènes HOX de l'Homme ou de la
souris sans perturber le développement embryonnaire.
L'homologie semble également se situer au niveau de la
fonction, car ces gènes codent pour une information de
position le long de l'axe antéro-postérieur de l'animal mais
aussi le système nerveux central. Le complexe homéotique
n'existe pas seulement chez les animaux métamérisés mais
aussi chez tous les triploblastiques* bilateralia* comme les
plathelminthes, annélides, arthropodes, némathelminthes,
échinodermes, Amphioxus, mammifères. Par contre les
diploblastiques sans symétrie bilatérale, cnidaires et éponges,
possèdent des gènes HOX mais pas de complexes
homéotiques. Le complexe homéotique préexistait aussi
avant l'existence même les métazoaires puisque des gènes de
ce type ont été retrouvés chez les champignons et les plantes
vertes, ce qui permet de dater leur apparition vers un milliard
d'années. Les gènes responsables du codage des organes
floraux semblent fonctionner de façon similaire aux gènes
HOM/HOX du règne animal (Bally-Cuif, 2000, p. 97). La
structuration du complexe de gènes homéotiques semble
donc avoir été réalisée avant l'apparition de plans
d'organisation élaborés.
La morphogenèse des membres des vertébrés
tétrapodes aquatiques repose sur un ensemble de réactions de
croissance et différenciation cellulaire à partir d'un bourgeon
appendiculaire, mettant en jeu outre des gènes de
développement, des cascades régulatrices de protéines, de
facteurs de croissance, des boucles de rétroaction et des
gradients de concentration. Les gènes impliqués dans la
formation des doigts étant pléïotropiques*, leur mutation
affecte les capacités de reproduction ou de gestation et
contrôle la formation du système digestif. “ Cette
multifonctionnalité des gènes restreint sévèrement la capacité
— 142 —
d'une structure isolée à évoluer en dehors du contexte global
auquel elle appartient ” et le fait que nous ayons cinq doigts
est peut-être simplement une contrainte du développement de
notre appareil digestif ou de notre colonne vertébrale (Hérault
et Duboule, 1998, p. 44). “ Cette approche théorique, qui
s'appuie sur les résultats de la génétique du développement de
ces dernières années, n'est pas facilement intégrable dans une
vue strictement néo-darwinienne de l'évolution. En effet,
cette dernière voudrait que le tout soit l'ensemble de parties
relativement indépendantes, ayant des potentiels évolutifs
propres liés à des valeurs adaptatives locales ”. Cela
complique sérieusement le rôle évolutif de la sélection
naturelle, car une mutation qui fait passer l'organisme de cinq
à quatre doigts peut avoir un effet létal ailleurs. “ La quantité
de variations possibles n'est pas illimitée et l'interdépendance
génétique des systèmes ne permet à l'organisme de ne
produire
qu'un
nombre
restreint
d'innovations
morphologiques ” (ibid., p. 44).
Enfin la biologie du développement a développé la
notion d'épigenèse* : c'est l'action des caractères externes,
non génétiques qui modifient l’action des gènes, et pouvant
donc modifier le cours normal d’une embryogenèse. Ainsi
l'expression des gènes HOX est fortement régulée par des
facteurs tels que l'acide rétinoïque sécrétée par les cellules
embryonnaires (Bally-Cuif, 2000, p. 86).
Il est apparu ainsi une grande unité des processus
moléculaires réglant le développement embryonnaire : le
nombre de processus cellulaires nécessaires à la réalisation
du développement est restreint et les mécanismes connaissent
aussi une grande stabilité. La conservation structurale (un
gène ou une famille de gènes) correspond généralement à une
conservation de fonction moléculaire. Cependant, la structure
n'est pas toujours corrélée avec la conservation de la fonction
— 143 —
biologique : un même gène peut au cours de l'évolution
réaliser des fonctions biologiques différentes. D'une manière
générale, des gènes homologues* qui possèdent de légères
différences structurales au niveau des séquences, entre deux
espèces, vont cependant déclencher de profondes différences
fonctionnelles (ibid., p. 89-96). De la même manière, les
protéines à homéodomaine appartenant à une même famille
reconnaissent des sites de fixation d'ADN très semblables
mais pourtant ont une action très différente (ibid., p. 75).
Si ces découvertes biologiques ont profondément
bouleversé le concept génétique depuis une quinzaine
d'années, les mécanismes classiques tels que molécules / sites
de fixation, ne suffisent pas à élucider l'énigmatique question
de
la
traduction
de
l'information
(information
spacio-temporelle, information entre support biochimique et
comportement éthologique) à l'échelle moléculaire et
cellulaire. La réponse reste très incomplète au niveau de la
corrélation entre inventivité du génome et conditions
écologiques (Hervé Le Guyader, 1994). La fameuse hérédité
de l'acquis — dont on a peine à se passer — qui ne semble
pourtant pas devoir relever de processus strictement
génétiques, pourrait peut-être être un jour comprise en terme
de processus épigénétiques.
D'un point de vue philosophique, ces découvertes
sonnent le glas d'une vision réductionniste simpliste du
fonctionnement génétique, héritée des découvertes des
années 1960-1970 : à cette époque, on espérait vraiment
corréler un gène à une fonction. Ainsi tous les espoirs d'en
finir avec le cancer se sont focalisés sur les oncogènes.
Aujourd'hui on sait que le cancer est plus une dérégulation
d'un processus normal plutôt qu'un processus physiologique.
Ces gènes ne sont pas réductibles à une catégorie particulière,
en outre ils interviennent à une période tardive de la vie de
— 144 —
l'organisme où ils peuvent intervenir dans d'autres processus.
Il ne s'agit pas non plus de pléïotropie : au niveau
moléculaire, la fonction élémentaire est toujours la même. Il
faut donc aller rechercher une différenciation à un niveau
plus élevé d'organisation, qui dépend de l'environnement
moléculaire (protéines cytoplasmiques...). Les espoirs de
comprendre le rythme circadien au niveau moléculaire s'est
avéré compromis aussi : les protéines impliquées ne
possèdent rien de rythmique dans leur structure. L'espoir de
comprendre les processus du vieillissement avec la
découverte de gène de longévité s'est aussi écroulé : s'il est
possible de corréler une forte longévité à une meilleur
réparation de l'ADN ou à une diminution du métabolisme
énergétique, la fonction élémentaire des gènes impliqués ne
peut à elle seule expliquer le processus qui nécessite, pour
être compris, d'appréhender d'autres niveaux d'organisations,
donc de processus épigénétiques complexes (Morange, 2000,
p. 1152).
7. Le transformisme de Lucien Cuénot
“ L'évolution n'est qu'une suite d'accidents qui s'additionnent, c'est donc
un phénomène contingent, nullement nécessaire. Chaque accident
nouveau se conserve par sélection et hérédité s'il est avantageux ou au
moins indifférent …ce sont des facteurs extérieurs qui, d'une façon plus
ou moins immédiate, déterminent les accidents, et s'ils avaient été autres
qu'ils n'ont été et qu'ils ne sont, l'évolution aurait suivi d'autres routes. ”
(Cuénot, annotations, Genèse des espèces animales, 1932, p. 445-446).
“ Je reconnais bien volontiers que j'ai été surtout un
curieux ”, écrivait-il en 1926 (Cuénot, Titres et travaux, p. 5),
se comparant à Giard. Cette curiosité a toujours été le moteur
— 145 —
de sa vie : fonctions physiologiques énigmatiques comme la
fonction la phagocytose et l'excrétion chez les invertébrés,
moyens de défense chez les invertébrés, transmission
héréditaire, faune cavernicole, régénération, coaptation,
homochromie, zoologie de quelques taxons alors mal connus
comme les tardigrades, les onychophores, les sipunculiens ou
les échiuriens. Ces travaux si différents en apparence ne
visaient qu'à combler un besoin insatiable de comprendre les
grandes énigmes de la vie que sont l'évolution et l'hérédité.
Dès 1911, il fit paraître, à la demande d'étudiants, son
premier ouvrage traitant des questions de zoologie générale,
comme l'hérédité, les théories sur la formation des espèces, la
distribution géographique des animaux, à une époque où la
littérature française scientifique était pauvre en la matière
(Cuénot, Genèse des espèces animales, préface, 1911). La
Genèse des espèces animales sera rééditée deux fois, en 1921
puis en 1932. Cet ouvrage, qui traite de l'évolution, du
peuplement de la terre, de la formation et des adaptations des
espèces, connut un très bon accueil pour ses nombreux
exemples d'observation ; c'était en outre le premier ouvrage
traitant véritablement du mendélisme et du transformisme.
Suivront, sur ce sujet, L'adaptation en 1925, Invention et
finalité en biologie en 1941, L'évolution biologique en
collaboration avec Andrée Tétry en 1951. A la différence
d'un Rabaud ou d'un Le Dantec dans les ouvrages desquels la
bibliographie est soit inexistante, soit centrée sur l'auteur, soit
partisane, Cuénot eut très tôt des contacts avec des
scientifiques à l'étranger mais aussi avec des naturalistes
passionnés, comme en témoignent sa correspondance et ses
références bibliographiques. Il analysait tous les résultats
obtenus par les néo-lamarckistes, ne les rejetant pas d'emblée
mais les accueillant avec scepticisme. D'autre part, en
— 146 —
observateur infatigable, il ne perdit jamais le contact avec la
nature, à la différence de bien des biologistes.
Lucien Cuénot a laissé de très nombreuses
annotations manuscrites dans ses ouvrages personnels et,
dans les pages qui vont suivre, des citations inédites sont
présentées : elles sont principalement extraites de sa Genèse
de 1932 et sont donc des annotations écrites entre 1932 et
1950. Toute sa vie, il réactualisait et enrichissait sa
bibliographie, ses sources d'observations naturalistes,
réajustait son point de vue en acceptant des résultats
contradictoires, supprimant ce qui lui paraissait obsolète,
abandonnant ces remarques finalistes, acceptant presque tous
les nouveaux concepts. Il n'ignorait rien des nouvelles thèses
évolutives en cours d'élaboration dans les pays anglo-saxons :
les références à Mayr, Dobzansky, Huxley, Haldane,
Goldschmidt, Simpson, sont fréquemment rajoutées à la
plume, prouvant par là sont acceptation de ses conceptions
nouvelles de l'évolution, et ceci jusqu'à sa mort comme en
témoignent ses dernières annotations tracées de la main d'un
homme malade et épuisé en 1950. Ses annotations, ses
suppressions, ses chapitres remaniés prouvent qu'il avait
préparé une nouvelle édition de sa Genèse. Malheureusement
les ouvrages n'ayant pas subi de nouvelle réédition, ces
annotations — qui pour beaucoup, ne figurent pas dans son
dernier ouvrage L'évolution biologique paru en 1951 —
restèrent ignorées. Certaines méritent une attention
particulière, comme on le verra pour l'orthogenèse ou la
finalité. Elles apportent un nouvel éclairage sur sa pensée
scientifique sans cesse mouvante, évoluant jusqu'au bout.
Ce fut à partir de ses premières observations — tant à
Arcachon qu'en Lorraine — que se développa son intérêt
pour l'adaptation. Il distingua très tôt l'accommodation et
l'adaptation statistique : la régénération, la coloration
— 147 —
adaptative, les coaptations, et ses antinomies comme les
callosités de phacochères, autant d'exemples puisés dans
l'infinie diversité de la vie. Sa réticence à accorder les pleins
pouvoirs à la sélection naturelle dans la théorie darwinienne,
ses concepts de substitution, de fécondité différentielle, de
filtrage des faunes, de places vides, et enfin de préadaptation
conduisirent Cuénot à en faire un penseur indépendant de
l'évolution.
Les prémisses : 1883-1900
Dès l'âge de 23 ans, alors qu'il était préparateur
d'anatomie et de physiologie comparée à la Faculté des
sciences de Paris, il se consacra à la physiologie de l'appareil
circulatoire puis de l'appareil excréteur des invertébrés. Il
travaillait avec Giard avec lequel il s'entendait bien
(Correspondance, 1897-1899), ces deux hommes ayant en
commun leur insatiable curiosité du vivant. On a déjà évoqué
sa
formation
de
zoologiste
avec
Henri
de
Lacaze-Duthiers(1821-1901). Nommé à Nancy, il continua à
bénéficier de l'accueil au laboratoire de Roscoff de 1893 à
1900. Il y entreprit l'essentiel de ses travaux zoologiques,
dans une incomparable facilité de travail, dans ce laboratoire
qui possédait désormais des bacs et des pompes permettant la
maintien dans des conditions optimales des animaux récoltés
dans cette région côtière si riche en faune (Correspondance,
Lacaze-Duthiers, août 1893). Dans une lettre à son cher et
illustre Maître Cuénot écrivait “ Je ne vois pas très bien le
grand avantage qu'il y a à décrire cents crevettes nouvelles,
autant de poissons ou de mollusques si l'on s'arrête là ; ce
qu'il y aurait d'intéressant, il me semble, ce seraient les
notions anatomiques et physiologiques sur ces animaux ; on
se borne à les fourrer dans l'alcool, à les décrire et c'est tout ”.
A cette époque les moyens étaient encore rudimentaires, les
— 148 —
observations histologiques se faisaient par coupe à main
levée (Tétry, Hommage, 1967, p. 5).
Il travailla sur le sang, les ganglions lymphatiques, les
organes phagocytaires des invertébrés puis l'excrétion chez
les mollusques, tout en poursuivant son sujet de thèse sur la
morphologie des échinodermes. Il avait mis au point une
méthode d'injection de colorants, comme le carmin ou l'encre
de Chine, qui lui permirent de visualiser des organes
excréteurs jusque-là inconnus et qu'il appela athrocytes —
organes chargés en quelque sorte d'une fonction détoxifiante
(Cuénot, Titres et Travaux, 1926, p.12-13, Courrier, 1952,
p.11). Parallèlement, comme tous les naturalistes, Cuénot fut
très tôt intrigué par l'implacable loi du combat pour la vie qui
consiste à dévorer ou se faire dévorer. A cette époque, Elie
Metchnikoff (1845-1916) découvrait la phagocytose, terme
introduit par lui pour la première fois en 1883 à la suite
d'observations de larves d'étoiles de mer. Metchnikoff,
d'origine russe, vint en France en 1888 à l'Institut Pasteur. En
1908, il fut Prix Nobel de physiologie et de médecine.
Camille Limoges établit un lien direct entre ce concept
totalement nouveau et l'interprétation que Cuénot fit de ses
premières observations de défense chez les échinodermes. En
outre cette théorie de la phagocytose était corrélée avec le
concept de lutte pour l'existence des différentes parties de
l'organisme (molécules, cellules...) de Wilhelm Roux. En
1892, Metchnikoff attaqua la doctrine lamarckiste,
incompatible avec cet incessant combat pour la vie à
l'intérieur de l'organisme, revendiquant une explication
darwinienne (Limoges, 1976, p.187-191).
Très tôt il constitua un réseau d'observateurs en
France et à l'étranger (étudiants, colonels en retraite,
architectes, professeurs…) qui lui fournissaient par courrier
leurs observations (Cuénot, notes et correspondances,
— 149 —
dossiers de travaux de recherche). En 1892, il fit paraître un
petit fascicule Les moyens de défense dans la série animale,
puis un article synthétique sur ce sujet présenté en conférence
à l'assemblée générale annuelle de la Société zoologique de
France le 25 février 1898, "Les moyens de défense chez les
animaux". Il y passait en revue les inventions : fuite et
autotomie, cuirasses et piquants comme chez les tatous, les
tortues ou les mollusques, défense électrique des torpilles,
défense chimique d'holothuries, saignée réflexe des
cantharides et coccinelles, mort apparente, homochromie des
papillons, ou des phyllies, commensalisme défensif
pagure-éponge, maquereau-méduse, poissons Rhodeus-Unio.
Cuénot ne s'arrêta pas à une description, il envisagea dès lors
le 'comment' de la sélection naturelle. Et jusqu'en 1897, il
adhéra pleinement à la doctrine darwinienne de la sélection.
Mais il avait déjà remarqué que dans le cas de parasites
d'arthropodes, la phagocytose n'était pas toujours un procédé
efficace; il devait y avoir une loi plus générale pour expliquer
l'écologie du parasitisme et cet apparent équilibre entre les
cycles de l'hôte et du parasite. En 1894, Cuénot exposait au
moyen d'un concept à la fois clair, élégant et sophistiqué
selon les termes mêmes de Camille Limoges, comment la
notion de sélection pouvait conduire éventuellement à une
relation d'équilibre entre hôte et parasite. Cuénot pensait à
cette époque que le jeu de la sélection devait pouvoir rendre
compte de tous les phénomènes, des plus généraux aux plus
particuliers. Or à partir de 1897, un brusque changement
d'attitude se fit sentir dans ses publications. Dans son étude
physiologique sur les oligochètes en 1894, il reconsidère la
question sur la base d'expérimentations. Il conclut que la
décharge de liquide coelomique au travers des pores dorsaux
sert de protection vis-à-vis des prédateurs. Ceux-ci attaquent
et mangent impunément ces animaux qui ne développent pas
— 150 —
de “saignée” réflexe pendant l'attaque (Limoges, 1976, p.
196-200). Il publiait déjà au sujet de la saignée réflexe chez
les insectes coléoptères dès 1890. Pour se défendre, des
coléoptères comme la coccinelle ont mis au point une
réaction réflexe qui consiste à rejeter, lorsqu'ils sont en
danger, de grosses gouttes de sang, contenant un principe
toxique pour les insectivores. Non content de ses
observations, il expérimenta ce moyen de défense avec les
prédateurs tel les carabes, crapauds ou lézards. Le rejet
nécessite une contraction de l'animal qu'il acquiert en faisant
le mort. En 1896, il établissait que cette réaction n'était pas
constante, elle n'était pas non plus le signe d'une parenté
quelconque entre les taxons mais “ un simple cas de
convergence ” (Cuénot, La saignée réflexe., 1896, p. 677).
Dès lors, Cuénot signait par là sa rupture avec le
néo-darwinisme strict. Cette manière de voir ne le satisfaisait
plus. Les espèces se livrent entre elles une lutte sans fin et
malgré cela “ le nombre des individus d'une même espèce
reste à peu près le même ” (Cuénot, Les moyens de défense.,
1898, p. 38, épreuve). Il vit plutôt une sélection destructrice
(Cuénot, Les moyens de défense., 1898, p. 55), thème qu'il
reprit bien plus tard avec “La mort est-elle différenciatrice ?”,
titre d'un chapitre consacré à la sélection dans la Genèse des
espèces animales de 1932. “ Les carnassiers actifs,
vigoureux, bons chasseurs, se nourrissent aux dépens des
proies que le hasard leur livre, tandis que les faibles meurent
de faim et sont éliminés. Les individus dont les moyens de
défense sont moins bien développés qu'à l'état normal ou qui
changent de territoire et rencontrent des ennemis nouveaux,
sont dévorés presque fatalement et ne laissent pas de postérité
” (ibid., p. 55). Mais cette réaction de scepticisme vis-à-vis
du concept de sélection naturelle n'était pas un cas isolé :
l'année 1895 marque de début d'une crise du néo-darwinisme
— 151 —
strict dans l'ensemble de la communauté zoologique
européenne (Limoges, 1976, p. 200). Darwin et Spencer
surtout sont responsables de l'ambiguïté autour du mot même
de sélection naturelle : si l'on admettait pas l'hypothèse
téléologique, il n'y avait plus qu'à s'en remettre au hasard, à la
sélection aveugle et bon nombres d'observations naturalistes
restaient in-interprétables. Il faudra l'expérimentation des
années 1920-1940 pour que le concept de sélection naturelle
prenne une autre signification en matière d'évolution .
Adaptation et invention en biologie
“ Tout ce qui survit est nécessairement adapté[…]
ce qui a donné lieu aux illusions finalistes et lamarckistes. ”
(Cuénot, annotation manuscrite, Genèse des espèces animales, 1932)
L’évolution, c'est l’adaptation mais c'est aussi
l’innovation. Les poissons, qui vivaient très bien dans l'eau,
sont sortis sur les continents. La sortie de l’eau s’est passée
dans des groupes très différents comme les arthropodes
myriapodes, les vertébrés, mais presque pas chez les
mollusques (escargots). Elle a nécessité à l’origine des
nageoires qui vont donner des membres chez les
crossoptérygiens mais ils ne sont pas apparus pour marcher :
les crossoptérygiens, qui ne marchent pas, les ont conservées.
Il a fallu aussi inventer le poumon : chez la plupart des
poissons, le diverticule pharyngien donna naissance à la
vessie natatoire facilitant la nage mais interdisant la sortie de
l’eau. Les dipneustes, qui sont de mauvais nageurs, n’ont pas
de vessie natatoire : ils l’ont transformée en sac respiratoire
probablement à l’origine du poumon. Chez Latymaria (le
coelacanthe), il y a une vessie natatoire donc pas de poumon.
Parce que les membres sont apparus, la sortie de l’eau a été
possible à condition que le diverticule pharyngien se
— 152 —
transforme en poumon, que les phanères changent (une peau
qui résiste à la dessiccation ) et ses caractères sont apparus
presque en même temps et très tôt. C’est parce que l’organe
est apparu que la fonction s’est développée. Un autre
exemple : les grands singes supérieurs présentent dans leur
cerveau l’aire de Broca, l’aire du langage articulé, alors qu’ils
n’ont pas le langage. Mais c'est parce qu'elle est apparue que
le langage a été possible chez Homo sapiens. Il n’y a pas de
déterminisme, c’était une possibilité qui s’offrait, il y avait
une niche disponible et on peut parler de préadaptation.
Un autre exemple peut être donné chez les
céphalopodes où l'innovation se traduit par des phases où
apparaissent brusquement, et de façon contingente, de
nouvelles possibilités comme le siphon qui va permettre le
passage de la vie rampante à la vie nageuse, l'enroulement de
la coquille, gage d'un meilleur équilibre ou la disparition de
la coquille chez les octopodes, facilitant la nage. Certaines
tentatives, comme l'enroulement par exemple, apparaissent
très tôt (à l'Ordovicien-Silurien pour certains taxons) mais ne
connaissent pas de succès. Tout se passe comme si le logiciel
disposait déjà de la potentialité d'enroulement bien avant
qu'elle ne se généralise au Jurassique-Crétacé. En fait ces
innovations ne sont pas directement adaptatives : les animaux
ne les ont pas utilisées de suite, c'est bien plus tard que la
sélection jouera en les conservant mais il aura fallu d'abord
que l'animal trouve une niche écologique. C'est le même cas
pour les tétrapodes dont les membres ne sont pas apparus
pour marcher, ni la plume pour voler : c'est en ce sens que
l'on ne peut pas dire que ces innovations sont finalisées, mais
du fait qu'elles apparaissent, elles offrent des possibilités
nouvelles, elles “dirigent” l'évolution du taxon dans un sens
irréversible : c'est la téléonomie de Jacques Monod,
— 153 —
l'ancienne orthogenèse. En aucune manière, elles ne doivent
être justifiées a posteriori.
Adaptation et innovation ont contribué à la formation
des espèces sous la sanction de la sélection naturelle, mais
l'adaptation a dû jouer dans un environnement génétique
stable où une légère modification ne produit que des effets
faibles et graduels. Par contre l'innovation peut apparaître au
début de façon très discrète. Le cas des mammifères, apparus
discrètement au Trias mais attendant la libération des niches
écologiques laissées vacantes par les grands reptiles disparus,
en est un exemple. A ce moment, les notions de micro et
macro-évolution, n'ont plus de raison d'être car relevant du
même mécanisme (Tintant, entretien 2001, Devillers et
Tintant, 1996). “ Ce n'est pas la sélection qui crée l'adaptation
; celle-ci n'est possible qu'à condition qu'existent, dans les
génotypes, des souches préadaptées aux conditions nouvelles
de l'environnement ” (ibid., p. 166). L'adaptation n'est pas
facteur de nouveauté puisqu'elle joue dans les limites étroites
des potentialités du taxon* sans affecter le plan
d'organisation.
Sujet de prédilection du naturaliste nancéien, l'étude
de l'adaptation des êtres vivants à leur milieu allait le
passionner toute sa vie : d'abord cheval de bataille contre les
lamarckistes fort nombreux en ce début de siècle, puis une
fois les tensions passées, les lamarckistes calmés — mis à
part quelques combattants d'arrière-garde comme Rabaud,
l'adaptation devint un sujet de curiosité, d'étonnement,
d'admiration, au point d'admettre une capacité d'invention
immanente de la vie. L'adaptation était pour Cuénot
l'ajustement nécessaire et suffisant de l'organisme à son
environnement (Génétique et adaptation, 1923, p.40).
Cependant, cette définition est générale car la notion même
de nécessité est discutable. Il y a lieu de distinguer les
— 154 —
accommodats qui sont des réactions du phénotype* non
héréditaires et ce que Cuénot appela “ l'adaptation statistique
ou éthologique, convenance indiscutable entre le mode de vie
et la morphologie ”, statistique parce que non indispensable à
la survie, comme par exemple le parachute qui se rencontre
chez divers mammifères arboricoles. L'accommodation ou
adaptation individuelle tient de la capacité d'adaptation de
l'organisme à un changement de milieu. C'est le cas des
plantes naturalisées : acclimatation de plantes alpines en
plaine comme l'edelweiss qui y perd ses poils, d'arbres
exotiques dans les jardins qui ne produisent pas de graines.
L'adaptation statistique maintient normalement un
équilibre constant au sein des populations (les oiseaux à
pattes palmées, les animaux à réserve de graisse adaptés au
climat froid...). Si le milieu vient à changer, l'espèce a le
choix entre trois solutions :
- se déplacer — cas du renne qui pullulait en France à la
dernière glaciation et qui est allé se réfugier en Scandinavie,
- si elle reste, se modifier — c'est l'adaptation dynamique qui
se produit sous l'effet de la sélection directionnelle, lente et
graduelle, ce qui nécessite la présence de gènes préadaptés à
ces nouvelles conditions,
- disparaître comme le cas des mammouths malgré leur
migration.
Cuénot citait souvent l'exemple de la présence de nageoires
chez les animaux marins ou de la palmure des oiseaux
aquatiques, pour illustrer l'adaptation statistique. La palmure
manque parfois totalement (râle d'eau, poule d'eau) mais elle
n'existe pas chez les oiseaux terrestres, et d'excellents
plongeurs comme le martin-pêcheur n'en ont pas. Le seul
animal terrestre qui en possède — Palmatogecko rangei, le
gecko des dunes côtières d'Afrique — le doit sans doute à son
milieu particulier, la sable. Le patagium, sorte de parachute,
— 155 —
qui se rencontre chez divers mammifères arboricoles
(marsupiaux, écureuils, galéopythèques) en est aussi un
exemple (Théorie de la préadaptation, 1914, p. 62-63 ;
Génétique et adaptation, 1923, p. 40-41 ; Cuénot,
L'adaptation., 1937 ; p. 269-270).
Multipliant les exemples, souvent contradictoires,
Cuénot s'appliqua à détruire l'explication lamarckiste trop
évidente pour beaucoup : ce n'est pas le besoin qui crée et
développe l'organe, mais ces adaptations sont des mutations
fortuites dont l'animal sut tirer parti afin de l'adapter à un
certain milieu. Ainsi le venin de serpent existait avant que
l'animal ne l'utilisât comme moyen de défense et d'attaque. Il
n'y a pas lieu de rechercher d'explications causales, cette
apparente adéquation du milieu n'est qu'un épiphénomène
pour Cuénot. Ces adaptations ne sont pas toujours parfaites,
elles semblent parfois inutiles : le patagium des
galéopythèques de Sumatra, moins bon grimpeurs que
l'écureuil, est situé tout autour de l'animal, et donc, n'est pas
dirigé par l'usage ou l'utilité ; le plongeon, admirable
plongeur, ne sait pas marcher à terre correctement ; parfois
l'adaptation subsiste dans un milieu où l'animal ne peut en
tirer parti comme le pic de terre qui conserve ses pattes
adaptées à la vie arboricole. Alors quel rôle joue la sélection
naturelle ? Pour Cuénot la sélection darwinienne ne pouvait
agir que sur une somme de caractères. Tous ces
tâtonnements, les bricolages évolutifs, étaient évidents : “ La
nature n'est ni logique, ni économe, elle se complaît dans des
solutions compliquées, alors qu'il en existe de plus simples ” .
Pourtant les néo-lamarckistes tentèrent jusque dans
les années 1920 des expériences tendant à prouver
l'hypothèse lamarckiste de ces adaptations, jusqu'à la tragique
histoire du biologiste autrichien Hans Kammerer. De 1904 à
1911, ce biologiste avait publié des travaux sur l'influence du
— 156 —
milieu sur la reproduction d'Amphibiens. Il disposait d'une
installation exceptionnelle, faisait des élevages qui laissait
notre professeur nancéien perplexe (Cuénot, 1923, Génétique
et adaptation, p. 33). Il prétendit avoir supprimer le
dimorphisme sexuel — coloration différente du mâle et de la
femelle — sous l’influence d'une température élevée et
prétendit que la femelle reprenait sa couleur si elle était
replacée à température normale. “ Néanmoins, et ceci n'est
pas le moins curieux, la coloration momentanément acquise
serait héréditaire dans la mesure où la femelle la possède.
Même, il semble qu’elle soit intégralement héréditaire, tous
les jeunes d’une portée la posséderaient également ” selon
Etienne Rabaud (Rabaud, 1911, p. 171), ajoutant que ces
caractères nouveaux seraient héréditaires tout le temps qu’ils
persistent. Le biologiste autrichien avait également maintenu
un protée, cavernicole typique, depuis la naissance, à une
alternance de lumière blanche et rouge : ce protée aurait
développé des yeux parfaitement conformés. D'après une
lettre de l'un des témoins de l'expérience, Rochan-Duvigneau,
à Cuénot, Kammerer aurait sélectionné une larve pourvue
d'yeux de grandeur exceptionnelle (Genèse., 1932, annotation
manuscrite, p. 248). Kammerer fit aussi des expériences sur
le crapaud accoucheur Alytes obstetricans : ce crapaud n’a
pas de brosse copulatrice car il ne pond pas dans l’eau. En les
obligeant à s'accoupler dans l'eau, il prétendit les avoir ainsi
forcé à produire des rugosités noires aux doigts. Mais
personne ne put reproduire l’expérience. Il fut néanmoins
accueilli triomphalement à Londres lors d'une conférence en
1923 où il présenta même le seul spécimen qui lui restait, et
fit même la une du Daily Express. Le triomphe tient dans
l'espoir fabuleux que cela représentait alors : il était possible,
par le biais de l'éducation, de l'apprentissage, de modifier la
patrimoine de l'individu. William Bateson(1861-1926)
— 157 —
critiqua sévèrement ces travaux. “ On a parlé même de
tricheries et de substitution de préparations ; Hanz Przibram,
qui dirige la station du Prater, a bien voulu me dire qu'il n'en
était rien, mais c'est au moins une indication que les résultats
de Kammerer ont rencontré généralement l'incrédulité ”
(Cuénot, 1923, Génétique et adaptation, p. 33). L'U.R.S.S.
proposa alors à Kammerer de venir travailler à Moscou.
Mais, lorsqu'en 1926, le biologiste américain Noble demanda
à voir un spécimen, il constata que la patte antérieure du
crapaud était injectée d’encre de chine (Delsol, 1998,
p.67-72). Kammerer se suicida le 23 septembre 1926
(Cuénot, Genèse., 1932, p.248). On a reconnu depuis
l'existence tout à fait possible de variétés d'Alytes à callosités
(peut-être sous forme de caractère récessif).
La régénération, réponse adaptative (Cuénot,
L'adaptation, 1925, p.166-168) : ce type de phénomène avait
déjà été observé par William Bateson dès 1894 (Materials for
the study of variation). Cuénot allait s'intéresser à nouveau
aux moyens de défense chez les animaux, après ses travaux
sur l'hérédité mendélienne. En effet, dès ses premiers travaux
sur les échinodermes (1887), il avait déjà suggéré l'analogie
de l'autotomie à un moyen de défense chez les étoiles de mer
(Limoges, 1976, p.187). Vers 1907, il consacra un article à
l'autotomie, moyen de défense qui consiste chez les rongeurs
à abandonner leur fourreau caudal ou bien chez les lézards à
sacrifier leur queue. C'est l'intérêt pour les coaptations des
pattes d'insectes qui allait le conduire à étudier
accidentellement cette réponse de l'organisme. Il avait à
l'époque de nombreux échanges épistolaires avec notamment
des envois d'insectes variés fixés ou vivants. L'élevage en
laboratoire du phasme Carausius morosius, dès 1917, le
conduisit à de passionnantes observations. Le Professeur
— 158 —
Pantel de l'Institut catholique de Toulouse, notamment, lui
envoyait des œufs de cet insecte récemment introduit en
France depuis le sud de l'Inde. Cuénot avait baptisé ses
phasmes de bien jolis prénoms : Clotilde, Eulalie, Casimir,
Eusèbe ou Alfred étaient scrupuleusement étudiés lors de
leurs mues en 1920. En novembre de cette année, nos amis
eurent tous à subir des amputations, qui de la patte, qui de
l'antenne, et certains, comme Bernard ou Eusèbe,
régénérèrent une patte à la place de l'antenne. Il publia une
courte note sur ces erreurs de régénération à l'Académie des
sciences en 1921. Pour Cuénot, la régénération semblait être
la réponse d'animaux exposés comme les araignées, les
céphalopodes, les étoiles de mer, dont les pattes ou les bras
peuvent, lors d'une attaque, être arrachés. Elle n'existe
curieusement pas chez les vertébrés supérieurs, elle manque
chez beaucoup d'animaux. D'ailleurs souvent cette propriété
reste latente, inutilisée par l'organisme possesseur : “ C'est
plutôt une trouvaille d'expérience qu'une constatation faite
dans la nature ” (Cuénot, L'adaptation, 1925).
Les observations de régénérations sont anciennes.
René Réaumur (1683-1757), à qui l'on doit le terme, étudia le
premier le phénomène chez l'écrevisse en 1712. Abraham
Trembley (1700-1784) en 1744 s'illustra avec des travaux sur
l'Hydre d'eau douce. Curieusement, si elle passionna à cette
époque, elle tomba rapidement dans l'oubli pour ne
réapparaître qu'au début du XXe siècle. Ce sont les
expérience de l'embryologiste Hans Spemann (1869-1941) en
1925 qui dégagèrent les notions d'inducteur, de centre
organisateur, de territoires présomptifs, de champs
morphogénétiques (Caruelle et coll., 2000, p. 15-16).
Aujourd'hui, avec les travaux faits sur la drosophile, on sait
que la repousse de pattes à la place d'antennes est due à une
mutation “gain de fonction” du gène Antennapedia du
— 159 —
complexe homéotique Antennapedia, provoquant dans un
territoire antérieur, une transformation postérieure (ibid., p.
176). Il semble qu'il existe des molécules de reconnaissance
cellulaire. Lorsque le contact n'est plus fait, que les cellules
ne reconnaissent plus leurs voisines proches, il y a
déclenchement de la régénération (ibid.., p.191). En outre, la
régénération serait sous contrôle hormonal (ibid.., p.192).
Là encore, Cuénot fut un pionnier, mais il est
regrettable qu'il n'ait pas poursuivi dans cette voie où l'on
commençait tout juste à s'engager. Il semble n'avoir vu dans
la régénération qu'une réponse adaptative d'un organisme. Il
semble qu'il ne put pas en tirer de conséquences au niveau
génétique.
La coloration adaptative : sous l'appellation
d'homochromie, terme proposé par Cuénot en 1892, il faut
entendre la ressemblance de couleur d'un animal avec son
support, ce qui est un cas de mimétisme : Cuénot entendait
par là s'opposer au terme de ressemblance protectrice de
Wallace, trop imprégné de la théorie de la sélection naturelle
de Darwin. Cuénot s'intéressa très tôt à l'homochromie : “ Je
me souviendrai toujours de l'étonnement, ou plus exactement
de l'admiration que je ressentis au cours d'une promenade
dans la forêt de Haye, près Nancy (sic) : sur un tronc de
Hêtre, relativement lisse, argenté de quelques lichens,
s'étalait une Boarmia roboraria si étroitement appliquée à
l'écorce, et orientée de telle façon que ses marques colorées
étaient en accord avec les saillies et les crevasses, non
seulement pour leur teinte, mais aussi pour leur direction ”
(Cuénot, analyse Cott, 1947, p. 429). Ainsi lors de ses
vacances à Arcachon, il avait le loisir d'observer les
cormorans se régaler de jeunes pleuronectes dont “
— 160 —
l'homochromie copiante avec le sable atteint cependant la
perfection ” (Cuénot, Analyse Cott, 1947, p. 432).
Le mimétisme fut découvert par les entomologistes à
l'époque de Darwin (Fischer, 1998, p.57-58) :
- Alfred Russel Wallace (1823-1913) émit l'hypothèse que les
couleurs voyantes avaient une utilité pour l'espèce car les
animaux qui en étaient pourvus possédaient généralement des
moyens de défenses (venins, odeur répugnante, mucus
collant....) et donc étaient non comestibles.
- William Bates, qui avait étudié les papillons en forêt
amazonienne, réalisa un ouvrage à ce sujet en 1862. Il avait
remarqué que chaque espèce ou race de papillons de la
famille des héliconidés non comestibles, voire vénéneux,
était associée à une ou plusieurs espèces de papillons
comestibles, en reproduisant leur couleur par mimétisme :
c'est le mimétisme batesien. Il constata aussi que quand une
espèce d’héliconidés variait géographiquement, les formes
satellites variaient aussi. Bates invoqua la sélection naturelle,
les agents de la sélection étant les insectivores qui se
nourrissent des variétés les moins bien dissimulées. Citons la
copie d'un serpent par un poisson, des œufs de passereaux par
des œufs de coucou, d'une guêpe par un papillon....
- Fritz Müller (1821-1897) en 1879 montra qu'un mimétisme
mutuel peut s’établir entre espèces nauséabondes ou
venimeuses (guêpes, serpents) : c'est le mimétisme müllerien.
Il est avantageux, pour les porteurs de signaux
d’avertissement, d’adopter un même type de signal dans une
région donnée.
Les travaux d'observation et d'expérimentation que
Cuénot entreprit notamment lors de ses vacances à Arcachon,
où il collaborait activement avec le laboratoire de biologie
marine, le conduisirent à s'intéresser surtout à l'homochromie
que l'on rencontre chez beaucoup de petits animaux marins,
— 161 —
crevettes et algues de même couleur par exemple. Pour
chacun, le mimétisme n’est qu’une réaction de protection
vis-à-vis d'éventuels prédateurs, en n'éveillant pas chez ces
derniers de réaction d'attaque (Cuénot, Titres et Travaux,
1926, p. 24-25). Mais Cuénot ne s'en tint pas à cette première
approche et accumula de nombreuses observations qui le
conduisirent à minimiser l'efficacité de ce système de
défense, le considérant comme un accident fortuit dont l'effet
est neutre vis-à-vis d'éventuels prédateurs. Et notre
naturaliste, en darwinien insatisfait, se questionnera toute sa
vie. Entre ses premières observations et l'article de 1947,
cinquante années ont passé, cinquante années de
questionnement qui ne trouvèrent pas de réponse :
- Pourquoi toutes les espèces n'y ont-elles pas recours ?
- N'y a-t-il pas là une vision anthropomorphique ? Car sait-on
si les animaux voient les couleurs comme nous ? Et peut-on
attribuer une fonction effrayante à un dessin ?
- La couleur n'aurait-elle pas un autre rôle : résistance au
froid, au chaud, activité nocturne/diurne ?
- La protection est parfois trop spécialisée, protégeant d'un
prédateur mais pas d'un autre.
- La protection apportée n'est pas efficace tout au long de la
vie de l'animal.
- Les animaux soi-disant bien protégés sont quand même
mangés : ainsi les coccinelles qui ne se cachent pas et
possèdent en outre la saignée réflexe comme moyen de
défense, sont évitées par les oiseaux et les batraciens mais
sont mangées par les lézards, beaucoup d'oiseaux dévorent
les guêpes qui possèdent pourtant un aiguillon venimeux.
- Beaucoup de carnassiers capturent des proies en
mouvement et bien souvent le mimétisme est corrélé à une
immobilité absolue.
- Les poissons ont une très mauvaise acuité visuelle.
— 162 —
- Beaucoup d'animaux terrestres ont une activité nocturne et
ne sont pas sensibles aux couleurs.
- Les poissons des récifs madréporiques, très colorés, sont la
proie des poissons carnassiers.
- L'hypothèse de Wallace ne fonctionne pas pour les zèbres,
les girafes.
Le mimétisme n'est que “ la réunion de petits
caractères qui existent à l'état isolé sur d'autres espèces et qui,
se trouvant réunis, donnent une impression extraordinaire ;
d'ailleurs on trouve dans la nature toutes les étapes vers
l'homochromie parfaite ”. Cuénot minimisait l'importance de
la sélection naturelle, estimant qu'il existe des espèces très
anciennes et néanmoins voyantes qui ont pourtant eu toutes
les chances de se faire manger comme les Helix (escargots)
avec leur bandes voyantes dans les jardins après la pluie,
faisant le régal des merles et des grives. Comme Darwin, il
pensait que de petites variations graduelles ne pouvaient pas
passer au crible de la sélection naturelle ; en bref il fallait que
le mimétisme soit parfait, sinon il n'était d'aucune utilité. La
fonction défensive du mimétisme était jugée par notre
homme “ accessoire, surajoutée, efficace presque
exclusivement vis-à-vis des animaux terrestres supérieurs et
le sujet de la couleur est à reprendre sans l'idée préconçue du
déguisement ” (Cuénot, analyse Cott, 1947, p. 432).
Aujourd'hui, il semble que l'on s'accorde toujours sur
le rôle défensif ou dissuasif des différentes stratégies de
protection
(mimétisme,
leurres,
camouflages).
L'interprétation génétique accorde à ces espèces très
polymorphes une grande capacité évolutive : gènes sauteurs,
activation de gènes cryptiques et phénotypes passés au crible
de la sélection naturelle, pléïotropie où facteurs génétiques de
coloration et de comportement seraient liés (Fischer, 1998).
— 163 —
Cependant l'explication demeure encore très insuffisante et
n'en a pas encore épuisé toute la beauté.
Les antinomies de la biologie : 1936-1950
“ Ignoramus! ”
(D'après du Bois-Reymond, 1880 dans Cuénot, L'adaptation chez les
animaux, 1937)
Sous cette expression se cachait les problèmes non
résolus par l'hérédité de l'acquis et par le darwinisme à cette
époque : ni l'inscription héréditaire de l'usage ou du
non-usage proposé par le néo-lamarckisme, ni le couple
mutations fortuites/sélection naturelle du darwinisme ne
pouvaient en donner une explication franche : “ Les
antinomies […] trouveront peut-être leur solution dans un
avenir plus ou moins proche, car il y a eu dans le passé bien
des conflits d'opinions qui n'existent plus guère aujourd'hui ”
(Cuénot, Les antinomies de la biologie, 1941, p.85). Il est
bien évident qu'en 1941, le naturaliste n'avait pas encore en
sa possession les données de la génétique moléculaire et de la
biologie du développement. Ces problèmes étaient
effectivement incompréhensibles à l'époque et il n'est pas
étonnant que Cuénot manifestât, comme Rostand à la même
époque, son insatisfaction.
Voici quelques exemples parmi les nombreux que Cuénot
livrait à ses lecteurs :
 Les callosités des phacochères (Génétique et adaptation,
1923, p.39 ; Invention et finalité, 1941, p.163-166 ;
Genèse, 1932, p.238-245)
“ Je tiens l'exemple des callosités pour l'un des
arguments les plus importants au point de vue d'une
interprétation finaliste de la vie ” (Cuénot, Invention et
— 164 —
finalité, 1941, p.166). “ Il faut reconnaître que c'est la pierre
d'achoppement à laquelle se heurte toute négation de
l'hérédité d'un caractère acquis par l'usage ”, écrivit-il en
annotation manuscrite dans sa Genèse de 1932(page 238).
Le phacochère (Phacochoerus africanus) est un
sanglier africain à grosses défenses qui a coutume de fouiller
la terre avec son museau et ses canines pour trouver des
racines et, pour ce faire, il s'agenouille sur ses poignets. Il est
le seul suine à avoir cet instinct car ni le potamochère ni le
sanglier ne le possèdent. Il présente une forte callosité cornée
exactement à la place qui frotte durement sur le sol, la peau à
cet endroit n'a pas de poil. Or cette callosité existe déjà chez
le fœtus mais “ ce n'est pas précisément la callosité qui est
héréditaire, c'est la préparation du conjonctif (coussinet
graisseux) et de l'épiderme (épais) qui se manifeste chez
l'embryon, avec l'absence de poils (phacochère) ou de plumes
(autruche)” , écrivait-il en annotation manuscrite sur l'édition
de sa Genèse de 1932 (p.242). Cette caractéristique se
rencontre également chez les embryons d'autruches et de
nandous pour leur callosité sternale et chez les jeunes
dromadaires et chameaux ainsi que chez les embryons de
singes d'Afrique pour leur fessier. L'ébauche de la callosité
semble liée à l'instinct de fouiller. Cet épaississement de la
sole plantaire fut déjà étudiée par Darwin qui la regardait
comme due aux effets hérités de la pression durant une
longue série de générations. Mais ni l'hypothèse lamarckiste,
ni la mutation fortuite mendélienne-mutationniste ne
pouvaient fournir à Cuénot un motif de satisfaction
intellectuelle pour cette curiosité. En 1939, il fit paraître, avec
R. Antony du Muséum de Paris, une étude anatomique sur
des coupes de callosités carpiennes foetales et adultes. Deux
interprétations s'imposaient : ou bien les callosités étaient des
mutations fortuites qui existaient déjà et l'animal s'en est servi
— 165 —
après ou bien l'instinct existait déjà et l'adaptation s'est
inscrite après un temps très long. La première hypothèse, qui
admet le hasard aveugle, n'est pas vraisemblable ni pour
Antony ni Cuénot qui la juge un peu trop cause-familier selon
son expression ; la seconde est l'explication lamarckiste,
impossible à admettre pour Cuénot, inconcevable et
indémontrée dans l'état actuel de leurs connaissances
(Cuénot, Invention et finalité en biologie, 1941, p.165-166). “
Après avoir longtemps réfléchi au problème des callosités et
avoir retourné la question sous toutes ses faces, je ne vois pas
la possibilité de donner une explication mécaniste ;
l'hypothèse lamarckiste, si séduisante, est au fond
téléologique, puisqu'elle postule le remplacement mystérieux
de l'accident somatique par une création germinale (retardée!)
; l'hypothèse mutationniste ou préadaptationniste l'est plus
encore, puisqu'elle voit poindre l'abhorrée cause finale ”
(Cuénot et Antony, 1939, Enquête sur le problème de
l’hérédité conservatrice, p.316). Ce que Cuénot proposait,
c'était de ne pas dissocier l'instinct et l'anatomie. Pourquoi la
variation germinale n'aurait-elle pas un double effet : créer
l'organe et l'instinct? Il était bien conscient que lier le besoin
et l'invention, c'est attribuer à la matière vivante une propriété
téléologique. Mais, il n'en voyait pas d'autre (ibid.). Antony,
quant à lui, proposait une version néo-lamarckiste
modernisée, basée sur les récentes découvertes au sujet des
hormones : les cellules de la peau seraient en mesure de
sécréter des hormones — ce terme étant pris par Antony dans
le sens le plus large de substances véhiculées — en rapport
avec l'activité de ces cellules. Or, il n'y a aucune raison de
penser que ces hormones ne puissent pas agir sur le
substratum germinal. Aidé par la sélection naturelle, le
caractère finirait par se fixer dans l'espèce (ibid., p.319).
— 166 —
L'interprétation d'Antony pourrait trouver une résonance en
terme de processus épigénétiques de régulation moléculaire.
L'hypothèse de Cuénot lue succinctement et avec des
présupposés trop strictement néo-darwiniens, a surpris.
Pourtant la biologie du développement qui est venu
bouleverser les concepts génétiques classiques mis en place
après la découverte de l'ADN en 1953, ouvre un champ
immense d'investigations et de compréhension de ces obscurs
mécanismes. Reste l'énigmatique question de la traduction de
l'information de forme et la corrélation avec le comportement
éthologique : le nier relèverait d'un réductionnisme obtus. En
plein accord avec Hervé Le Guyader qui avec Armand de
Ricqlès, ont su lire Cuénot sous un jour nouveau, “ la
biologie moderne ne sait pas — ou ne veut pas — prendre la
forme pour objet d'étude malgré certaines tentatives
marginales ” (Le Guyader, 2000, p.379). Il faudrait ajouter la
dimension temporelle. La plupart des biologistes semblent se
satisfaire d'un interprétation en terme d'expression de gènes
et cascades de molécules régulatrices et le problème de la
morphogenèse s'interprète seulement en terme des gradients
de concentration chimique de protéines régulatrices. Il est
bien évident que ces travaux sont cruciaux. Mais la biologie
ne perdrait rien à acquérir une nouvelle hypothèse de travail,
pleinement lucide du vivant, qui dépasse enfin la querelle
obsolète du mécanicisme et du finalisme, toujours bien
vivante sous une forme modernisée.
Cuénot se rangea dans son dernier ouvrage
L'évolution biologique : les faits, les incertitudes à
l'interprétation possible par effet Baldwin de cette antinomie,
mais sans grand enthousiasme. Désormais cette antinomie
n'est plus qu'“ un détail d'organisation faisant partie de
l'ensemble du patrimoine héréditaire ”. “ Le Sanglier mâle
adulte possède des canines supérieures qui retroussent les
— 167 —
lèvres ; on a l’impression que la pression exercée par la dent,
objet dur, sur les parties molles, suppose cet état. Or un fœtus
mâle avant la pousse des canines montre que la lèvre
supérieure présente déjà une échancrure manifeste à l’endroit
où, plus tard, passera la dent […]. On dirait que la nature a
tendance à remplacer les accommodats par des mutations
définitives ; que cette tendance soit appelée effet Baldwin ou
sélection conservatrice, ce n’est pas autre chose qu’une idée
lamarckiste, puisqu’il y a substitution d’une production
spécifique, héréditaire d’emblée, à une production
professionnelle, somatique […]. Je suis étonné que Baldwin,
et récemment Hovasse, ne s'en soient pas aperçus […]. Dans
l’état actuel des faits, on ne saurait infirmer l’absolue
impossibilité de transmission des caractères acquis par le
soma au patrimoine héréditaire ; on peut seulement affirmer
que cela n’a pas lieu pour beaucoup d’entre eux ” (manuscrit
de l'Evolution biologique, p.545-546).
Cette thèse, appelée effet Baldwin du nom de son
découvreur, fut développée entre 1896 et 1902, date à
laquelle elle fut explicitée dans un ouvrage intitulé
Development and Evolution. “ C'était est une sorte de
compromis entre les deux opinions opposées des
Lamarckiens et des Darwiniens ” (Hovasse, 1950, p.11). Les
adaptations correspondraient à des variations ontogénétiques
(en opposition aux variations congénitales), sortes de
réactions du phénotype appelées plus tard somations ou
accomodats. Cet accomodat, directement lié au milieu et
donc non transmissible, adapte provisoirement les individus,
même sur plusieurs générations, à leur milieu, jusqu'à ce que
des variations germinales correspondant à ces accomodats
adaptatifs s'inscrivent par hasard, remplaçant alors
l'accomodat par une mutation définitive (Hovasse, 1950,
p.11-12). On conçoit ici que la sélection puisse jouer un rôle
— 168 —
important. “ L'organisme coopère lui-même à la formation
des modifications qui sont effectuées, il aide en quelque sorte
à sa propre sélection, tandis que les êtres qui n'ont pas
réalisés les mêmes modifications, sont éliminés par la
sélection naturelle ” (Baldwin, 1902, in Hovasse, 1950, p.13).
Cette théorie, pourtant présentée dès 1902 par Delage, ne
rencontra pas de succès auprès des biologistes sans doute
fatigués des discussions trop purement verbales (ibid., p.14).
Raymond Hovasse était professeur de zoologie à
l’université à Strasbourg. Il s'était porté candidat à la
succession de Grassé à Clermont-Ferrand et avait demandé
l'appui de Cuénot : il avait 42 ans, deux enfants à charge et
quatre années de guerre, arguments qui, espérait-il, jouerait
en sa faveur (Correspondance, 24 novembre 1937). Il écrivit,
en 1943, L’adaptation et l’évolution par la sélection en
réponse à Invention et finalité en Biologie de Cuénot de 1941.
Il était partisan d'un néo-darwinisme mâtiné de lamarckisme
sous la forme de l'effet Baldwin modernisé. Hovasse
accordait de l'importance aux macromutations pour la
création des grands embranchements à la manière de Richard
Goldschmidt, ce qui s'accordait avec le matérialisme
dialectique. Mais il trouvait lui aussi trop de hasard heureux,
hasard de mutations apparaissant en même temps bien
qu’elles soient sur des gènes différents, hasard de
croisements d’individus apportant chacun des gènes mutés et
les réunissant pour faire des gènes stables.... En
néo-darwinien insatisfait comme Teissier, Prenant, Rostand
ou Cuénot, mais refusant toute idée finaliste, il allait
s'intéresser plus tard aux échanges nucléo-cytoplasmiques. Il
pensait que les variations phénotypiques (accommodats,
somations) mettaient l’organisme en harmonie avec son
milieu, l'adaptant provisoirement, lui laissant la possibilité
d’attendre des mutations géniques qui correspondent à cet
— 169 —
accommodat. Dans un courrier à André Tétry en date du 18
octobre 1951, il confiait à cette dernière : “ Je me suis amusé
à constater que je suis bien entendu lamarckien, mais aussi
que l'on y reprend l'idée de Baldwin sous une autre
forme...puisqu'on admet la possibilité d'un “confirmation”
des somations par des mutations appropriées!”.
On ne peut passer sous silence l'ouvrage de
C.H.Waddington, Organisers and genes (1947), retrouvé
dans la bibliothèque Cuénot-Tétry ; il y était fait mention
d'un hypothèse concernant les callosités sternales de
l'Autruche. Compte tenu de l'originalité de l'argumentation, il
a paru intéressant de résumer ce que Tétry ou Cuénot avait
souligné dans ce livre, d'autant que Waddington était présent
au colloque Paléontologie et Transformisme à Paris en 1947,
colloque auquel a assisté Cuénot. Pourtant, nulle mention de
Waddington n'apparaît dans L'évolution biologique.
Cependant Waddington eut connaissance des antinomies de
Cuénot qui était lu par la communauté scientifique
anglo-saxonne, rappelons le : dès 1942, Conrad Hal
Waddington (1905-1975), partant de l'argument des callosités
de l'autruche déjà formées dans l'embryon, difficilement
interprétables en terme strictement néo-darwinien excluant
toute hérédité acquise, proposait un nouveau modèle qu'il
appela assimilation génétique : dès qu'un processus de
développement s'oriente dans une direction définie, il tend à
poursuivre dans cette voie indépendamment des conditions
de milieu. Malgré l'évidence lamarckiste d'un tel procédé, le
modèle de Waddington se voulait darwinien : le caractère
acquis ne devient inné que par un processus de pression
sélective qui détermine l'avantage de la mutation (sélection
de gènes conférant la capacité de répondre à un stress
environnemental). Il développait, dans son ouvrage de 1947,
pour les tissus embryonnaires, un processus de compétence,
— 170 —
initialement déterminé par les gènes mais relevant de
processus épigénétiques. Pendant la période de compétence,
le tissu embryonnaire aurait plusieurs alternatives et des
stimuli (internes ou externes) seraient capables d'orienter le
développement dans une direction possible. Plus le stimuli
agit de manière répétée, plus la compétence du tissu prend
une direction définie possible (Waddington, 1947, p.46-47 et
p.54). Waddington utilisait la métaphore du paysage
épigénétique pour expliquer ce qu'il appelait des zones de
développement canalisé, sorte de réseau hydrographique sur
une plage de sable où de petits ruisseaux rejoignent la vallée
principale par des vallées secondaires. Un léger changement
de direction et le courant d'eau crée une nouvelle vallée. Il
introduisit plus tard le terme de chréode, que l'on pourrait
définir comme un attracteur de développement dans le temps
et l'espace. Partisan de niveaux d'organisation différents
induisant des nouvelles propriétés, Waddington ne pouvait
réduire un tissu à la propriété de ses cellules (ibid., p.146).
Waddington est, à bien des égard, un scientifique propre à
éveiller l'intérêt des historiens des sciences. Ce jeune
généticien entendait rompre catégoriquement avec le système
de pensée classique en biologie : un nouveau problème,
comme ceux qui se posaient alors en science du
développement, devait être formulé dans un nouveau système
philosophique, une nouvelle manière de penser, rompant avec
les méthodes précédentes. Il appelait à une révolution de la
pensée scientifique, et à cet égard s'intéressait aux nouvelles
tendances telle que le matérialisme dialectique (ibid.,
p.147-148). Ce jeune généticien pensait que génétique,
embryologie et évolution allaient fusionner en une biologie
diachronique (Waddington, 1947, p.2). Plus tard,
Waddington réalisa de passionnants travaux (1953) : il
soumit des larves de Drosophila melanogaster à de l'éther. Il
— 171 —
constata l’apparition de mouches sans nervure transversale de
l’aile. Il les sélectionna et observa que de génération en
génération, soumises au même stimuli, il apparaissait de plus
en plus de mouches mutantes. Ce caractère persista même en
l'absence de stimuli (dans Sheldrake, 1988, p.151-155). Il
travailla aussi avec la mutation Bithorax. Les première
observations de ce type furent faites par Merrifield en 1893
puis Sandfuss en 1896 : ce dernier avait obtenu par choc
thermique sur une variété suisse du papillon Iphiclides
podalirius, l'apparition d'une pigmentation des ailes identique
à une variété existante sicilienne. En 1938, Richard
Goldschmidt obtint lui aussi ce qu'il appela des phénocopies,
en soumettant des larves de drosophiles à des chocs
thermiques : ces phénocopies qui résultaient de perturbations
du développement sont des phénotypes imitant des génotypes
existants (Delsol, 1998, p.50). Pour qu'une phénocopie se
fixe, la population doit être exposée à un stimulus
environnemental répété. De plus la pression de sélection doit
être avantageuse en terme de reproduction. Mais
l'assimilation génétique n'est pas la phénocopie :
l'assimilation génétique correspond à une phénocopie fixée.
Waddington montra (1961) que darwinisme orthodoxe et
embryologie orthodoxe pouvaient se combiner pour donner
des résultats qui semblent relever de l'hérédité des caractères
acquis. Pendant de nombreuses décennies, l'impossibilité
théorique d'un tel mode de transmission génétique constitua
une impasse épistémologique, ce qui explique sans doute que
peu tentèrent l'aventure. Pourtant des travaux plus récents ont
confirmé à nouveau ces résultats. L'équipe de Ho en 1983, en
prenant soin d'éviter une possible sélection génétique,
montrèrent que la mutation Bithorax obtenue par l'éther
semblait se transmettre par voie maternelle (cytoplasme), ce
qui fut observé aussi par Waddington. L'interprétation
— 172 —
consiste à imaginer une influence cumulative du nombre
croissant de mouches Bithorax rendant plus probable le canal
de développement suivant une chréode anormale (dans
Sheldrake, 1987, p.153-154).

Les coaptations d'accrochage (Invention et finalité en
biologie, 1941, p.202-214)
Par le terme de coaptation il faut entendre une
système de pièces qui fonctionnent ensemble vers un même
but : fixer les ailes avec le rail de guidage, assurer
l'accouplement au moyen de systèmes adéquats, fermer avec
le bouton-pression, capturer une proie avec les pattes
ravisseuses. En fournissant tous ces petits exemples, Cuénot
interpellait son auditoire, le forçant à remettre en cause le
darwinisme tel qu'il était entendu à l'époque c'est-à-dire avec
son hasard aveugle ou bien même le lamarckisme mécaniste.
A chaque fois, c'était une thèse et une antithèse qu'il
proposait, une critique impartiale, jaugeant les arguments des
uns et des autres, ajoutant ses questionnements, laissant le
lecteur à son jugement critique.
Ce sujet, initié par Cuénot dès 1919, fit l'objet d'une
thèse soutenue en 1931 par le père jésuite Jean Corset.
Celui-ci y étudiait de manière approfondie de nombreuses
coaptations, principalement chez les insectes, et, en
particulier les coléoptères. Il fut amené à classer les
coaptations en trois catégories : coaptations par juxtaposition,
par engrenage, et par assemblage. Les dernières, où l'une des
pièces est maintenue, pincée, dans une rainure (trompe,
tarières, oviscaptes) fascinaient Corset et Cuénot. Le
caractère engagé de ce disciple le forçait à admettre une
intelligence directrice. Corset y démontrait par exemple que,
parfois, un même but est atteint au moyen de solutions
différentes :
— 173 —
- Cas de l'accrochage des ailes au thorax chez les coléoptères
et les hémiptères (simple bouton, crochet, bouton-pression,
taquet d'arrêt, rainure plus ou moins profonde).
- Cas de certains appareils spécialisés dans une fonction et
réalisés avec des structures différentes.
- Cas de l'appareil buccal de larves de dytiques, de la
spiritrompe des lépidoptères et du rostre des hémiptères
(Corset, 1931, p.319-320).
Ce sujet a aussi inspiré son élève Andrée Tétry qui
écrivit un ouvrage à ce sujet, Les outils chez les êtres vivants
paru en 1948 : crochets, hameçons, crampons, ancres,
grappins, ventouses, substances collantes, organes adhésifs,
pièges, planeurs et parachutes, appareils de plongée, organes
électriques, organes lumineux, instruments de musique,
systèmes d'éjection, pelles, flotteurs, armes, jusqu'à la canne
à pêche avec ligne, appât et hameçon comme chez le poisson
abyssal Lasiognathus saccostoma (Cuénot, Genèse., 1932,
p.596 et Finalité et invention en biologie, 1936, p.32). Autant
d'outils finalisés qui suscitaient l'interrogation et faisaient dire
à Paul Valéry en 1924 : “ Cette doctrine (le finalisme ) n’est
plus à la mode ; et je n’ai ni la force ni l’envie de la défendre.
Mais il faut convenir que les notions de cause et d’adaptation
y conduisent presque inévitablement ” (Tétry, 1948, p.13).
Les ailes d'Insectes (Sur le développement de quelques
coaptations des Insectes, 1922 ; Utilité de l'appareil
d'accrochage des ailes d'insectes, 1932 ; Invention et
finalité en biologie, 1941, p.202-207)
C'était un des nombreux exemples que Cuénot offrait
en parallélisme avec les outils finalisés de l'Homme. Les
premières observations faites avec Mercier datent de
1920-1922. D'un côté les systèmes d'accrochage des ailes
d'insectes, malgré leur perfection et le luxe de détails
— 174 —
structuraux, ne semblent par avoir d'importance capitale pour
l'animal, de l'autre, la sélection darwinienne n'offre pas une
explication satisfaisante. De nombreux groupes d'insectes
possèdent ce type d'accrochage automatique des ailes de
manière à ce qu'elles ne forment qu'un plan lors du vol — le
problème ayant été réglé différemment chez les diptères
puisqu'ils n'ont conservé qu'une paire d'ailes. Les systèmes
varient suivant les insectes mais le principe est une sorte de
rail de guidage qui emboîte les deux ailes l'une dans l'autre
pendant le vol, le système se défaisant à l'arrêt. Les appareils
sont perfectionnés, avec brosses, crochets, gouttières. Ces
appareils existent déjà chez la nymphe et ils fonctionnent
parfaitement à la première utilisation. Jean Corset montra par
exemple que les deux parties de l'appareil d'accrochage des
hémiptères restent éloignées l'une de l'autre quelque temps
encore après la dernière mue ; pendant ce temps, elles
acquièrent le calibrage et la rigidité voulus pour qu'au
premier vol, l'assemblage soit parfait. Ors ce système de
coulissage est minuscule, de l'ordre de quelques dizaines de
microns. “ L'agencement des pièces formées séparément et
construites en fonction l'une de l'autre par un ensemble de
forces — air, sang, développement de l'épithélium
chitinogène — concourent cependant, avant même leur
usage, à une réalisation parfaite, à la manière d'un plan conçu
et élaboré par l'Homme en vue d'un but ” (Corset, 1931,
p.315-316). Ce sujet a, là encore, conduit à quelques
expérimentations (Legrand dans Hovasse, 1950, p.46-47) : il
semble qu'un certain moulage des pièces soit nécessaire, lors
de la première utilisation, afin d'assurer le finissage selon
l'expression de Corset. Les néo-darwiniens auraient interprété
cela comme la superposition d'une mutation et d'une
somation parallèle, ce qui revient à l'effet Baldwin, théorie
défendue par Hovasse.
— 175 —
 Le bouton-pression (Finalité et invention en biologie,
1936 ; Invention et finalité en biologie, 1941, p.211-214)
Les crabes accrochent leur abdomen à la face ventrale
par deux boutons-pressions si parfaits qu'on a du mal à les
ouvrir : on observe deux boutons saillants auxquels
correspondent deux dépressions. Ce système d'accrochage
existe aussi chez toutes les punaises d'eau (nèpes, ranatres,
notonectes...) ainsi que chez les céphalopodes pour lesquels
ce système est important lors de la nage à reculons. Chez la
seiche, l'entonnoir est attaché à la paroi interne par deux
boutons-pressions : le bouton est un tubercule cartilagineux,
la cavité correspondante est une profonde fossette entourée
d'une lèvre cartilagineuse ; les deux parties se développent
indépendamment l'une de l'autre et l'accrochage est parfait à
la première utilisation. L'hypothèse avancée d'une ventouse
qui se serait transformée ruina la version lamarckiste de cette
adaptation. Ce sujet inspira les biologistes de l'époque : des
études expérimentales visant à étudier le développement
d'une des pièces après ablation conduisirent à y déceler les
deux mécanismes en parallèle : somations (accomodats) et
mutations (Legrand dans Hovasse, 1950, p.46-47).

Les pattes ravisseuses (Génétique et adaptation, 1923,
p.46-54 ; L'adaptation, 1925, p.291-297 ; Invention et
finalité en biologie, 1941, p.215-221)
Les pattes ravisseuses type couteau pliant, à fonction
préhensile, ont plus ou moins perdu leur fonction locomotrice
: par exemple les pattes des nèpes, fermées à la manière d'un
couteau de poche au repos et peu utilisées pour la marche,
attrapent ce qu'elles veulent dès qu'elle sont dépliées (plantes,
mouches...). Chez certains bélostomes africains, le fémur
présente deux sillons dans lequel s'enfoncent les bords
— 176 —
saillants du tibia : “ Cela rappelle tout à fait ces écrins à
rainures revêtues d'étoffe dans lesquels on range les couteaux
de table ” (Cuénot, L'adaptation, 1925, p.291). Présentes déjà
chez l'embryon, “ contenues en puissance dans le patrimoine
héréditaire ” (Cuénot, 1923, p.53), elles ne semblent pas
nécessaires, car de nombreux insectes carnassiers se suffisent
de leur organes buccaux. Certaines Nèpes africaines
Laccotrephes comme chez la Ranatre (R.linearis) possèdent
en outre un éperon sur le fémur dont se passent fort bien
Belostoma et Nepa cinerea : la justification de l'utilité
problématique de cet éperon, que se soit par l'interprétation
lamarckiste ou par la sélection naturelle n'offrait à Cuénot
aucune satisfaction.
 Les crabes qui s'habillent (Invention et finalité en
biologie, 1941, p.198-201)
Les crabes type Maïa ont l'habitude de piquer sur des
crochets de leur carapace des débris d'algues, d'éponges. Ils
peuvent choisir des morceaux de papier colorés si on leur en
propose. Parfois les animaux piqués se développent tellement
sur la carapace qu'il ne reste que la face ventrale de libre. On
a invoqué le camouflage qui ne satisfaisait pas notre
zoologiste car l'immense majorité des crabes ne possède pas
cet instinct. On a invoqué les crochets que seuls ces crabes
possèdent sur leur carapace. Ils ont en outre une disposition
non aléatoire, et des griffes dirigées vers le bas sur leur face
interne facilitant l'accrochage.

Le pagure (Genèse., 1932, p.479-484 ; Invention et
finalité en biologie, 1941, p.169-174)
Charles Pérez, membre de la section zoologie de
l’Académie des sciences en 1945 avait publié une étude sur le
bernard-l'hermite et avait conclu à l'explication lamarckiste
— 177 —
de son adaptation parfaite à sa demeure. Le pagure a perdu sa
symétrie bilatérale, son corps est tourné vers la droite, les
appendices abdominaux ont disparu à droite, il possède de
puissants appareils d'accrochage lui permettant de se fixer
dans une coquille dextre. Dès sa première métamorphose
larvaire, le pagure doit impérativement trouver une coquille
au risque de mourir. Lucien Cuénot écrivit au sujet de
Charles Pérez : “ Charles Pérez a publié une excellente étude
sur les pagures, dans laquelle il montre la convenance
parfaite de leur morphologie avec la demeure habituelle, la
coquille du gastéropode dextre ; il en conclut que le
bernard-l’hermite réalise une adaptation, pour lequel paraît
s’imposer une explication d’inspiration lamarckienne ”
(1941, Invention et finalité en biologie, p.169). Pour Pérez
cette habitude de vivre dans une coquille enroulée s'est
inscrite dès la période larvaire de l'animal. Cuénot le voyait
comme une sorte de monstre apparu par accident : il aurait
survécu parce qu'il possédait quelques adaptations
(accrochage...) et qu'il a rencontré une place vide où il a pu se
réfugier.
 Les
pleuronectes
(Genèse.,
1932,
p.484-490,
L'adaptation, 1925, p.321-327, Invention et finalité en
biologie, 1941, p.84 et 184)
Les pleuronectes qui comprennent 6 ou 7 familles et
environ 500 espèces, sont des poissons pélagiques* et
benthiques*, plats, asymétriques, qui reposent dans le sable
fin sur une surface du corps et dont les deux yeux se trouvent
du même côté (à gauche chez le turbot ou la barbue, à droite
chez la sole, la plie, la limande...), la face aveugle de couleur
blanche, la face supérieure homochrome ; ils présentent en
outre une régression de la vessie natatoire. Darwin avait
invoqué des facteurs lamarckistes. Cuénot songeait plutôt à
— 178 —
une mutation portant sur des caractères corrélatifs — ce qui
pourrait bien être vrai si l'on invoque les gènes de
développement, l'animal ayant survécu grâce à la rencontre
d'une place vide. Son enfouissement rapide, sa parfaite
homochromie, son régime carnivore , font qu' “ On dirait que
la Nature inlassable, c'est-à-dire le hasard biologique, fournit
les nouvelles formules de vie, ébauches qu'un pouvoir
mystérieux réussit parfois à façonner pour en faire des êtres
adaptés et comme finalisés ” (ibid., p.84).
L'asymétrie des poissons plats a attiré à nouveau
l'attention des biologistes (Policansky, 1998, p.30-33) qui ont
cherché à mieux comprendre la génétique de cette
dissymétrie et l'avantage sélectif. En effet, les larves naissent
symétriques et la migration de l'oeil a lieu sous la peau au
cours des différents stades larvaires. Plus curieux encore,
certaines espèces sont essentiellement gauchères (leurs yeux
migrent à gauche, les adultes reposent sur leur côté droit) et
d'autres sont essentiellement droitières (les yeux migrent à
droite et les adultes reposent à gauche). Si la transmission
héréditaire du caractère droitier ou gaucher ne fait plus de
doute, la complexité du phénomène n'a pas encore conduit à
une explication satisfaisante et la recherche d'un hypothétique
avantage sélectif n'est pas satisfaisante non plus. Il est
nécessaire d'avoir recours à l'hypothèse, comme celle déjà
exprimée par Cuénot 60 ans plus tôt, que ces caractères
droitiers et gauchers seraient liés à un autre caractère
génétique non encore identifié qui, lui, serait le reflet de
différence d'adaptation de milieu (ibid., p.33).
 Les pédicellaires d'oursins (Cuénot, allocution, 27 mai
1948)
Les oursins possèdent sur leur test, entre les piquants,
des appendices appelés pédicellaires, sortes de pinces
— 179 —
tridactyles ; chez les étoiles de mer, ces organes ressemblent
à une pince-ciseau. Dès 1887, Cuénot avait émis l'hypothèse
hardie pour l'époque et inspirée du concept de phagocytose
de Metchnikoff, que les pédicellaires d'oursins seraient un
moyen de défense. Edmond Perrier y voyait des organes
préhensiles et Georges J.Romanes des moyens de locomotion
(Limoges, 1976, p.187). Ce sont en fait des outils de
nettoyage et de défense. Ces organes complexes, possèdent
des muscles d'ouverture et de fermeture, des organes sensitifs
avertisseurs, un arc réflexe aboutissant à une fermeture
rapide, des ligaments les rattachant au test, et parfois des
glandes annexes à venin paralyseur. Cuénot aimait cette
analogie du pédicellaire d'oursin avec la pince à sucre,
invention du génie de l'Homme conçue dans un but bien que
plus imparfaite. Cuénot ne pouvait admettre qu'une
prolifération cellulaire fortuite ait pu conduire à une telle
organisation. De plus comme le pédicellaire ne peut
fonctionner qu'à l'état complet, Cuénot — rallié à la thèse des
petites mutations et non des sauts évolutifs — se trouvait
devant une impasse épistémologique : comment les premières
ébauches du développement d'un tel organe pouvaient-elles
donner prise à la sélection naturelle?
 Les hyménoptères paralyseurs (Invention et finalité en
biologie, 1941, p.167-169)
Encore un sujet de vives controverses entre
mécanistes et vitalistes, sujet merveilleusement décrit par
Jean-Henri Fabre. Les sphégiens capturent des proies bien
déterminées qu'ils savent découvrir en dépit de leur rareté.
Ces prédateurs injectent un venin paralysant à leurs victimes,
les transportent dans leur terrier où elles servent de nourriture
aux larves. Les piqûres en nombre fixé sont pratiquées à
endroits déterminés. Rabaud n'y voyait qu'une série de
— 180 —
réflexes physiologiques, ne répondant à aucune fin, ce qui
agaçait profondément Cuénot car c'était ne pas reconnaître
qu'au moins le but final est la reproduction et la survie de
l'espèce. Or il fallut que se coordonnent l'instinct et l'outillage
(aiguillon, glande à venin, venin). Alors, hasard aveugle ou
intentionnalité? Cuénot faisait remarquer de plus que la
nature détourne bien souvent les organes de leurs fonctions ;
ainsi l'armature génitale d'hyménoptères devient aiguillon
vulnérant associé à une glande à venin, l'os hyomandibulaire
des poissons, destiné à maintenir la mâchoire, devient la
chaîne des osselets de l'oreille interne des mammifères, les
piquants des oursins sont organes locomoteurs, de défenses,
protecteurs, organes des sens...
 Les champignons suceurs (Invention et finalité en
biologie, 1941, p.179-180)
Bien plus extraordinaires encore que les plantes
carnivores, sont les champignons capteurs de nématodes du
sol : ils portent un piège en forme de collet, anneau de trois
cellules qui au contact d'un ver se gonflent, étranglant
l'animal. Puis ils émettent des suçoirs qui dévorent l'animal
de l'intérieur. Comme pour les dionées ou l'utriculaire,
Cuénot avait le sentiment qu'il serait absurde d'invoquer le
hasard pour des machines aussi calculées.
Tous les exemples précédents sont destinés à laisser
au lecteur l'impression qu'il s'agit des “ œuvres d'artisan
poursuivant un but […] c'est l'examen des plus petits détails,
faits pour une fonction qui prouve leur finalité ” (Cuénot,
Invention et finalité en biologie, 1941, p.221). Elles ne sont
pas toujours indispensables, elles ne peuvent fonctionner que
dans la perfection, trop organisées, trop efficaces pour relever
du hasard pur. Elles sont contenues en puissance dans l'œuf :
— 181 —
“ C'est un prodige surprenant que ces innombrables détails
soient en dépôt à l'état potentiel dans la cellule […]. Mais si
ces inventions n'ont pas été déterminées par le milieu, le
dehors, elles l'ont été par le dedans ” (ibid.). Et Cuénot,
craignant d'être taxé de finaliste, d'ajouter en annotation
manuscrite dans son ouvrage Invention et Finalité en biologie
: “ Après tout cette propriété d'invention attribuée à la vie
n'est pas plus extraordinaire que la propriété d'assimilation
par laquelle l'être fabrique ses propres tissus avec des
aliments quelconques ou que la propriété d'accommodation,
grâce à laquelle l'animal se modifie de telle façon qu'il
neutralise l'action d'un agent externe ” (ibid., annotation
manuscrite, p.223).
Cuénot et la sélection naturelle (Genèse., 1932, p.293 et
suivantes)
“ La sélection darwinienne a complètement échoué en
tant qu'hypothèse générale résolvant le problème de la
finalité naturelle ” (Cuénot, Finalité et invention en biologie,
1936, p.36). Sans concept de population, aucun biologiste
français d'avant 1936 ne pouvait admettre le rôle évolutif de
la sélection naturelle. Cuénot ne minimisait pas l'importance
de la sélection naturelle, mais il ne pouvait lui concéder
aucun rôle évolutif, ni conctructif pour comprendre l'origine
des détails ” (Cuénot, L'adaptation, 1925, p.298-299). De
retour des Etats-Unis où il avait rencontré T.H.Morgan et
avait pu observer des mutants alaires de drosophile dans le
laboratoire de Morgan en 1921, il se pencha sur la régression
des ailes chez les diptères parasites : selon Cuénot, cela
n'avait rien à voir avec l'usage, l'utilité, ou l'adaptation. Il y
voyait ce que l'on appelle une sélection directionnelle, et
l'espèce s'arrange comme elle peut (Cuénot, Les muscles du
vol., 1923). “ L'atrophie des ailes n'est pas parallèle à celle
— 182 —
des muscles […]. La fréquence des espèces incapables de vol
parmi les Insectes paraît constituer un problème analogue à
celui de la fréquence relative des Insectes désailés des bords
de mer et des îles ” (La perte de la faculté du vol., 1922,
p.433 et suivantes). Ici, on comprend d'évidence que Cuénot
ne saisit pas les niveaux possibles de sélection : il raisonnait à
l'échelle de l'individu et pas à l'échelle de la population.
Si, jusque dans les années 1920, “ il (lui) semble bien
qu'il
faille
abandonner
complètement
l'hypothèse
darwinienne d'un effet de la sélection sur les petits caractères
somatiques, amenant peu à peu une évolution de l'espèce ”
(annotation manuscrite, Genèse, 1911, p.212), la pensée de
Cuénot évolua insensiblement : s'il écrivait encore en 1932
qu'“ Il faut abandonner cette partie de l'hypothèse
darwinienne concernant l'effet lent, invisible et sûr de la
sélection sur la variabilité flottante, capable de déterminer
peu à peu une évolution de l'espèce dans un sens de
perfectionnement ” (Genèse, 1932, p.300), il finit par rayer,
dans la citation précédente, le “ complètement ”, se référant à
la “ sélection constructive ou novatrice suivant l'expression
de Teissier ”. Il envisagea plusieurs sortes de sélection :
sélection novatrice, sélection des préadaptés (ibid., p.300) et
substitution par fécondité différentielle (ibid., p.304). Mais
jamais il n'envisagea une sélection à un niveau autre que
l'individu. Ors la sélection peut très bien n'avoir de sens qu'au
niveau de la survie globale d'une population, et ne présenter
qu'un avantage faible, incertain, voire un désavantage
apparent, au niveau du phénotype de l'individu.
 La mort est-elle différenciatrice ? La thèse de la
fécondité différentielle (Genèse., 1932, p.295-300)
Darwin était parti de l'heureuse comparaison entre les
éleveurs qui sélectionnaient les meilleurs individus avec ce
— 183 —
qui se passait dans la nature : il pensa que tous les individus
qui présentaient un avantage avaient plus de chance de
survivre et il conçut le concept de la sélection pour expliquer
l'adaptation des espèces. Pour Darwin, la mort était
différenciatrice, puisqu'elle éliminait les moins aptes. Pour
Cuénot, la mort n'était pas différenciatrice pour une espèce
homogène vivant dans un milieu constant mais, la sélection
naturelle était là pour éliminer le pire — les individus les plus
monstrueux, les œufs non viables. Il y a conservation du type
moyen et élimination des variants extrêmes. Cuénot
n'acceptait de la sélection que son rôle conservateur, de
maintenance d'un type équilibré, par suppression des
anomalies graves, des malades... Dans la mare aux têtards,
sur les milliers d'œufs pondus, quelques-uns seulement
parviendront aux stade adulte. Il ne pouvait imaginer que les
deux heureux élus le soient devenus par un quelconque
avantage anatomique ou physiologique.
La substitution, déjà mentionnée dans la Genèse de
1911 (p.216-219), signifiait pour lui que des individus
sensibles soumis à des conditions nouvelles entrent en
mutation. Au bout d'un temps suffisamment long, cette
mutation, même si elle est neutre et si elle ne procure pas un
désavantage, pourra se substituer au type normal. C'est le
cas du fameux mélanisme industriel du phalène du bouleau,
Biston betularia, devenu classique du genre. Cuénot suivit
la progression de la nouvelle variété en Lorraine dans les
années 1920, comme le prouvent ses notes et
correspondances de travaux de recherche ainsi que ses notes
dans la Genèse de 1932 (p.306-307). Biston betularia,
papillon nocturne aux ailes blanches mouchetées de noir, a
une forme typique gris clair lui offrant un bon camouflage
sur les arbres type bouleau ou recouverts de lichen. Il
apparut, la première fois en 1849, à Manchester en
— 184 —
Angleterre, un spécimen mélanique très sombre appelé
carbonaria, dont la couleur est due à un allèle dominant.
Cette forme rarissime est devenue majoritaire en 1895
(98%). La pollution de la révolution industrielle en tuant les
lichens et en assombrissant en outre la végétation, mit le
type clair en danger, devenant trop visible pour ses
prédateurs, alors qu'en habitat rural c'est le type mélanique
qui est dévoré. Le mutant mélanique est apparu à Nancy
dans les années 1920-1930 où on rencontrait un tiers de
mélaniques. Jamais Cuénot n'accepta de croire à la valeur
sélective de la pollution pour la substitution. Pour lui c'était
une question de fécondité différentielle. L'hypothèse de
l'avantage mimétique des formes noirâtres avait été
envisagée dès 1890, mais pas démontrée : on savait que les
lichens disparaissaient, laissant les troncs d'arbres et les
rochers noirâtres dans les régions polluées. Rapidement,
dans les années 1900, il apparu que l'hérédité du caractère
était typiquement mendélien : la forme mélanique est
homozygote dominante, la forme blanche est homozygote
récessive (Gayon, 1992, p.372). Le généticien Punnet, dès
1915, opposa cet exemple au darwinisme graduel puisqu'il
n'y a pas de forme intermédiaire. A cette époque, on ignorait
l'avantage sélectif de la forme noire. Punnet s'était contenté
de montrer au travers de cet exemple un cas de
remplacement d'une forme par une autre, donc dans le cadre
du mutationnisme (ibid., p.372). Puis dans les années 1920,
on rechercha l'action mutagène d'éventuels agents
chimiques polluants dans l'atmosphère. Cependant cette
hypothèse aurait nécessité un taux de mutation énorme. Il
fallut se rendre à l'hypothèse d'une sélection intense, ce que
fit J.B.S.Haldane. Curieusement, le généticien E.B.Ford,
dans les années 1930 (publie en 1937-1940), s'engagea dans
une voie différente, prenant parti contre l'hypothèse du
— 185 —
mélanisme industriel. Il montra que ce phénomène
concernait plus d'une centaine d'espèces de papillons sur les
îles britanniques (Gayon, 1992, p.372). De plus il avait
constaté que, dans les élevages expérimentaux, les formes
mélaniques étaient plus robustes. Par ailleurs, dans les rares
espèces de phalènes où la forme mélanique est récessive,
celle-ci ne s'établissait pas dans les zones industrielles, ce
qui laissait supposer que le mélanisme lui-même n'était pas
l'objet de la sélection. Dans les régions non polluées, la
forme blanche, malgré un désavantage physiologique
(moins grande robustesse) dominerait parce que la couleur
protège des prédateurs ; mais dans les régions polluées, la
forme noire prend l'avantage. En 1955, Kettlewell testa par
l'expérimentation l'hypothèse de l'élimination sélective par
les oiseaux. Il opéra par marquage et suivi des papillons des
deux formes en zones rurales et urbaines, avec également
suivi des oiseaux : il apparut clairement que dans les deux
zones, la forme cryptique (noire en milieu industriel et
blanche en milieu rural) se trouvait nettement avantagée par
rapport aux prédateurs. On avait ainsi la première preuve
expérimentale de l'efficacité de la sélection naturelle, qui
opéra un changement brusque, à l'opposé de l'évolution
lente et graduelle chère à Darwin. La conclusion facile était
que la sélection s'exerçait sur le gène du mélanisme. Mais le
cas est plus compliqué pour une autre raison ; il semble que
la prédation ne soit pas la seule forme de sélection. Le
mélanisme est polyallèlique, il n'est pas toujours dominant,
ni toujours constant. Il semble que la sélection agisse sur un
complexe de gènes (Gayon, 1992, p.371-375). Ainsi, le
caractère mélanique est associé avec une moins grande
mortalité larvaire et une meilleure résistance à la pollution :
Creed et collaborateurs montrèrent en 1980, sur la base de
toutes les données recueillies depuis 115 ans, que la
— 186 —
viabilité — hors prédation — de la forme claire est de -30%
par rapport à la forme mélanique. Par ailleurs, la
distribution géographique n'est pas tout à faite conforme à
l'hypothèse simple de la prédation : les mélaniques migrent
pour se reproduire contrairement aux formes claires ; en
migrant, il y a toutes les chances qu'ils atteignent une région
rurale (Ridley, 1997, p.107-109). Ainsi la sélection sur la
survie des adultes mais laissent supposer effectivement
différents niveaux de sélection comme la survivance dans le
nid. En effet la sélection naturelle agit sur la viabilité et la
fertilité des individus. Il existe différents niveaux de
sélection, selon les travaux de Ernest Boesiger et
Théodosius Dobzhansky en 1968 : sélection au niveau des
génotypes, des gamètes, de l'œuf, de l'embryon, du jeune,
viabilité des adultes, fertilité. Or c'est Cuénot qui eut le
mérite de démontrer le premier l'existence de gènes létaux.
Mais il n'est pas toujours facile d'observer cette sélection
précoce. Cuénot insista sur ce niveau de sélection qu'il
appelle fécondité différentielle, au détriment d'autres
niveaux de sélection. Il attribuait à la fécondité différentielle
les rivalités inter-espèces : dans le cas de Biston, il se
pourrait, selon lui, que le mutant mélanique ait une
meilleure reproduction (œufs plus nombreux, plus
résistants). Cette fécondité différentielle de Cuénot
s'apparente au concept moderne de stratégie de reproduction
: une anguille produit cinq millions d'œufs fécondés dont
deux arrivent à maturation, une chauve-souris fait un ou
deux petits par an, l'Homme deux dans sa vie qu'il est
presque sûr d'amener à la reproduction. La stratégie R
fonctionne sur la masse, la stratégie K protège les
embryons, les jeunes jusqu’à les amener à l'âge de la
reproduction, ce qui est beaucoup plus économique (Tintant
et Devillers, 1996, p.72).
— 187 —
Pour Georges Teissier, cette mort était sélective : il
considérait que dans la mare en train de s’assécher, certains
têtards grandissent plus vite que d’autres et c’est ceux-là qui
seront épargnés par la sélection. Grassé pensait lui aussi que
la mort frappait aveuglement et pas forcément en détruisant
les plus faibles. Il exposait, dans son cours, l'argument de
Cuénot avec l'exemple des termites et des fourmis qui sortent
en masse lors de la reproduction, ce qui tourne au massacre
car elles sont attaquées par les prédateurs (Grassé, 1943,
p.95). Aucun des deux n'a perçu la possibilité qu'il puisse
exister une sélection de groupe, transcendant le besoin et la
survie même de l'individu. Pourtant, en ce qui concerne
Cuénot, ce n'est pas dans son attitude philosophique que l'on
trouve une explication car il avait pleinement acquis les
enjeux du darwinisme dans les rapports des êtres vivants dans
le nature comme il sera montré plus loin. Haldane, après les
travaux de Kettlewell, introduisit le dilemme du coût de la
sélection naturelle : si elle agit sur plusieurs loci indépendants
de la manière du mélanisme, l'espèce est rapidement
condamnée (Gayon, 1992, p.397-398).
Le concept de panmixie*, terme dû à Weismann, avait
la faveur de Cuénot car elle signifiait la cessation de sélection
en maintenant dans une population de caractères
désavantageux comme l'albinisme ou la myopie chez les
humains qui “ lèguent leurs variants défectueux du fait de
l'absence de sélection naturelle ” (Genèse., 1911, p.220 ;
Genèse., 1932, p.313-316). Certains mutants albinos se
maintiennent dans une population car ce caractère ne donne
pas prise à la sélection (cas des taupes). La régression
d'organes pouvait s'expliquer aussi par la panmixie. Mais, on
ne comprit que bien plus tard ce phénomène de polyallèlisme,
lorsque la structure des gènes fut élucidée, ce qui ne se fit pas
du vivant de Cuénot. Depuis, la théorie neutraliste de Kimura
— 188 —
est venue proposer que des mutations allèliques peuvent se
répandre dans une population, sans que soit invoqué un
avantage sélectif positif : leur caractère est neutre. Cette
théorie n'a encore semble-t-il pas rencontré une pleine
adhésion.
La notion de préadaptation (Cuénot, Genèse., 1911,
p.412-420 et Théorie de la préadaptation, 1914 ; Gayon,
1995)
Cette idée était déjà en germe en 1901 dans un article intitulé
"L'évolution des idées transformistes" où Cuénot attaquait
sévèrement le darwinisme orthodoxe, c'est-à-dire le
sélectionnisme pur, l'ultra-sélectionnisme selon ses
expressions. Ne pouvant admettre l'hypothèse lamarckiste de
l'adaptation, il lui fallait trouver une autre explication. L'idée
était, selon lui, bien ancienne au transformisme, mais
personne n'en tira parti. Ainsi Buffon écrivait à propos du pic
: “ Il a reçu de la nature des organes et des instruments
appropriés à cette destinée ou plutôt il tient cette destinée
même des organes avec lesquels il est né ” (Cuénot,
L'adaptation, p.149). Plus tard, de nombreux auteurs
(Morgan, de Vries, Delage, Osborn, Rabaud...) ont formulé
plus ou moins explicitement cette idée. “ Je ne prétends pas
[…] que cette idée soit neuve […] mais les biologistes qui
l'ont eue […] n'en ont pas tiré parti. Ce n'est pas non plus une
solution complète aux problèmes de l'adaptation, mais un
fragment de solution, touchant seulement l'adaptation
nécessaire et suffisante ”. Il avoua ne pas s'être inspiré de
Darwin, et l'avoir effectivement conçue en 1901 (ibid., p.67
et 72) ; en 1903, Morgan et Davenport émettaient la même
idée. Ce dernier affirmait effectivement que “ Le résultat
adaptatif n'est pas dû à une sélection de structure adéquate à
un milieu donné mais, au contraire, au choix d'un milieu
— 189 —
répondant à une structure donnée ” (dans Gayon, 1995,
p.338). Ainsi Cuénot n'a pas été le seul et le premier à
développer ce concept mais il eut le mérite de le défendre très
tôt dans une France lamarckiste. D'ailleurs il n'en a jamais
réclamé la paternité, la qualifiant de théorie anonyme, sans
chef d'école (ibid., p338). La notion apparaît en 1908 dans
"Les idées nouvelles sur l'origine des espèces par mutation"
où la préadaptation lui paraissait devoir se substituer à la
sélection naturelle, pour la raison que cette dernière était
entachée d'une connotation négative, non constructive. Le
concept fut expliqué en 1909 dans "Le peuplement des places
vides dans la nature et l’origine des adaptations", et dans la
Genèse des espèces animales de 1911 dans un chapitre
intitulé "Le peuplement des espaces vides et l'origine des
adaptations" (Cuénot, Genèse., 1911, p.412) : “ J'appelle par
place vide dans la nature un milieu nouveau susceptible d'être
habité, qui se crée dans un point donné par suite de
circonstances cosmiques (île volcanique, eaux résiduelles
salines, galeries de mines, conduites d'eau des villes, eaux
thermales, vinaigre....). Le peuplement est opéré par les
animaux du milieu analogue le plus voisin, mais seulement
par les espèces ou les génotypes capables de gagner la place
vide par l'effet de leurs tropismes et pathies, capables de
s'habituer à des conditions spéciales et de s'y multiplier ”
(ibid., p.413). Il y a ce qu'il appelait filtrage de la faune
avoisinante. Comme les milieux sont souvent tellement
extrêmes, il est nécessaire d'y être adapté avant d'y arriver
(vinaigre, mares sursalées) : “ Une adaptation suffisante est
nécessairement antérieure à l'installation de la place vide ”
(ibid.).
Pour l'illustrer, dès la Genèse de 1911, Cuénot se
servit des quelques exemples suivants : mares salées de
— 190 —
Lorraine, faune cavernicole, galeries de mines, mais aussi
faune abyssale, vie en eau douce...Ces exemples, il les trouva
lors des excursions qu'il faisait en Lorraine (album photos et
annotations) : Pierre-La-Treiche (1908) et le Trou de
Sainte-Reine (1906) près de Toul, mines de fer de Maxéville
(1908), Bouxières (1914) et Custines (1914) mais aussi en
forêt de Haye près de Nancy. Il entreprit avec Mercier de
nombreuses excursions consacrées à l'étude de la faune
cavernicole notamment, avec cette idée nouvelle qui
consistait à ne pas faire un catalogue d'espèces, mais à étudier
l'espèce dans son milieu et dans le temps, s'inspirant des
travaux d'Emile Racovitza, le premier à avoir étudier la faune
cavernicole. Racovitza était alors sous-directeur du
laboratoire Arago à Banyuls (Racovitza, 1907, p.371). La
Lorraine possède une faune relique quaternaire, c'est-à-dire
des espèces qui vivaient au quaternaire à proximité des
glaciers ou dans les toundras et qui actuellement ont un
habitat arctique-alpin. Si les stations de ce type sont plus
fréquentes dans les Vosges, elles n'en existent pas moins dans
la Lorraine jurassique, plus sèche et chaude pourtant. Les
espèces qui avaient gagné les galeries de mines devaient au
préalable avoir survécu dans des fissures — fréquentes dans
le calcaire jurassique bajocien — du sol des forêts, sous la
mousse (faune épigée*). Outre la planaire Planaria alpina
(turbellarié), ils étudièrent les premiers l'origine du
gammaride Niphargus aquilex (crustacé amphipode) dans les
sources du niveau Toarcien des environs de Nancy, ces
sources ayant la caractéristique d'être toujours à température
fraîche. Cuénot et Mercier défendirent, contre les
lamarckistes, la thèse selon laquelle les Niphargus peuplaient
les milieux épigés où ils acquirent les caractères cavernicoles
et qu'ils ont ensuite pu peupler les sources ou les galeries de
mines parce qu'ils étaient par hasard préadaptés (Cuénot et
— 191 —
Mercier, 1914 et 1921). La thèse de la préadaptation était dès
1914 ouvertement exposée : “ La notion de préadaptation se
coordonne parfaitement avec celles des mutations et les
théories mendéliennes ; ces trois conceptions se complètent
l'une l'autre et peuvent être considérées comme la triple base
du transformisme moderne ” (Cuénot, La théorie de la
préadaptation, 1914, p.73). “ J'appelle caractères
préadaptatifs ou prophétiques ou plus brièvement
préadaptations les caractères indifférents ou semi-utiles qui
se montrent chez une espèce, et qui sont susceptibles de
devenir des adaptations évidentes si cette dernière adopte un
nouvel habitat ou acquiert de nouvelles mœurs, changement
rendu possible grâce précisément à l'existence de ces
préadaptations ” (ibid., p.67).

Des galeries de mines à la faune cavernicole (Genèse.,
1911, p.359-361 ; Genèse, 1932, p.730-737)
“ Je consacre un chapitre spécial aux galeries de
mines […].parce qu'elles réalisent une expérience naturelle
[…] surtout lorsqu'elles sont abandonnées depuis un certain
temps […]. J'ai exploré près de Nancy, une petite galerie
étroite, longue de 110 m […] et des galeries de mines de fer
profondes de 3 kilomètres environ, perforées dans une colline
de 50 mètres de haut et abandonnées depuis une dizaines
d'années ” (Cuénot, Genèse., 1911, p.359). Les parois étaient
recouvertes de boisages en décomposition portant des
champignons, et présentant sur le sol de l'eau de filtration : la
faune avait été apportée par le bois et autres matériaux depuis
cent ou deux cent ans. On y trouvait des collemboles, des
diptères, un coléoptère, des araignées lucifuges, des
diplopodes de teintes très claires (Polydesmus détriticole...),
des isopodes terrestres, une amphipode aquatique aveugle,
des mollusques lucifuges. Beaucoup de ces animaux, qui
— 192 —
habitent les galeries de mines, possèdent les mêmes
caractéristiques que leurs parents du dehors : si le corps des
Gammarus pulex est blanc par accomodation phénotypique,
leurs yeux sont colorés et ils ne sont pas aveugles. Ceci est
différent des Niphargus chez qui la dépigmentation est
génotypique (Tétry, 1938, p.337-338). “ On saisit là sur le vif
le mode de peuplement du domaine souterrain par des formes
de l'extérieur, mais à goûts obscuricoles, aptes à vivre dans le
nouveau milieu, et présentant souvent, avant d'y entrer, les
caractéristiques des troglobies ” (Cuénot, Genèse, 1911,
p.360).
La faune cavernicole nécessite une température
constante, de l'humidité ; les animaux sont carnivores ou
charognards ou se nourrissent de champignons, les insectes
qui volent le font mal. Ils sont généralement petits,
dépigmentés, possèdent de longs appendices fragiles, ont un
grand développement des organes tactiles, leurs organes
visuels sont petits ou réduits ou absents, ils sont très
sensibles à la sécheresse et les espèces aquatiques ne peuvent
vivre que dans l'eau fraîche. A l'origine il faut rechercher une
faune épigée* (humus des forêts, crevasses, fissures),
lucifuge, qui aime l'eau froide (reliques glaciaires), les lieux
humides, et de surcroît entrée 'volontairement'. Les espèces
cavernicoles ont toujours un proche parent au dehors, sauf le
protée et le Cambarus. D'ailleurs on peut trouver dans cette
faune actuelle des espèces préadaptées présentant ces
caractères cavernicoles (insectes nocturnes à pattes très
longues, animaux dépigmentés...).
Les lamarckistes comme Racovitza, pionnier de la
biospéléologie, mais aussi Delage, Rabaud ou Jeannel y
voyaient alors la preuve de leur théorie : la dépigmentation et
la perte des yeux chez les organismes cavernicoles étaient la
preuve évidente que l'influence du milieu transformait les
— 193 —
organismes et que cette transformation se transmettait ; les
animaux qui avaient pénétré dans les grottes étaient devenus
aveugles et dépigmentés par défaut d'usage. Cependant, ils
envisageaient que les animaux avaient été attirés par
l'obscurité parce qu'ils étaient déjà plus ou moins aveugles
(Cuénot, Genèse., 1911, p.449). Les lamarckistes, tel Vandel
pensaient que ces animaux étaient des habitants des nappes
phréatiques venus là accidentellement, par glissement de
nappe en nappe via des diaclases, et qu'ils avaient acquis les
caractéristiques du fait de l'usage ou du non-usage (Cuénot et
Mercier, 1921, p.35). Racovitza proposa une explication
néo-lamarckiste modernisée :
- Adaptations aux influences extérieures : les arthropodes
confinés ralentissent leur métabolisme et perdent leur
pigment, leur chitine, etc., et cela restreint de plus en plus la
variabilité,
- Séclusions : les espèces sont isolées, les influences externes
sont diminuées ou supprimées, l’espèce s’imperméabilise,
s’isolant du milieu, et il peut y avoir autorégulation
—homéothermie, pigmentation, carapaces défensives,
euryhalinité*, homochromie (Racovitza, 1929, dans Jeannel,
1942, p.21).
Pour Cuénot, “ Le fait d'avoir adopter le milieu des
cavernes a été le point de départ d'une série de caractères
adaptatifs ou induits, qui les localisent de plus en plus
étroitement dans leur nouvel habitat ” (Cuénot, annotation
manuscrite, Genèse., 1911, p.449). C'est ce que l'on appelle
aujourd'hui la pression sélective de l'environnement qui joue
pour expliquer les apparentes orthogenèses, devenues
sélections directionnelles. Il suggérait même que beaucoup
d'animaux ne devaient pas être aveugles avant de rentrer,
s'appuyant sur le cas d'amblyopsides américains vivant dans
des eaux souterraines et dont le parent épigée à petits yeux,
— 194 —
bien qu'il vive en pleine lumière, possède les signes d'une
dégénérescence rétinienne (ibid.., et p.354). Et Cuénot de
proposer une hypothèse — “ si hardie qu' (elle) soit, il me
semble légitime de l'émettre ” (annotation manuscrite, ibid..,
p.451) — pour expliquer que ce n'est pas l'absence de lumière
qui déterminerait l'apparente orthogenèse régressive : toute
rudimentation de fonction ou organe déterminé par le
non-usage serait en réalité corrélé à une autre partie du
système
organique.
Mais
pas
au
sens
de
Geoffroy-Saint-Hilaire précise-t-il ; Cuénot envisageait un
phénomène ontogénétique et nous sommes bien près des
données nouvelles en biologie du développement et en
génétique moléculaire qui montrent l'interdépendance
génétique des systèmes restreignant l'éventail des variations
adaptatives : un gène est recruté plusieurs fois, pour le
développement d'un membre comme pour l'édification d'une
partie du système nerveux central. Cuénot avait bien perçu
cette notion de contrainte interne qui amène forcément à
penser différemment le déterminisme des formes biologiques.
Plus tard, dans une annotation manuscrite dans
Invention et finalité en biologie (Cuénot, 1941, p.116), il
envisageait une hypothèse génétique comme le couplage de
différents caractères génétiques telles la photophobie et la
diminution du pigment et des yeux (pléïotropie*). On
retrouve là l'idée que Cuénot développait déjà dans sa Genèse
de 1911.
La mort de Racovitza
Mort le 19 novembre 1947, Racovitza connut
une fin tragique en Roumanie. Voici une partie de la
lettre inédite du Professeur Jules Guiart (1870 - 1965)
ami personnel de Racovitza, qui annonçait à Cuénot la
mort du 'pauvre Raco' il y a un an : “ ...Les soviets l'on
— 195 —
laissé mourir de faim et de froid […]. Après on lui a
fait des obsèques nationales et on a donné son nom à
la rue où il habitait […]. Mais de son fils aîné qui était
ingénieur, ils ont fait un simple ouvrier métallurgiste
travaillant 15 heures par jour avec un salaire de misère
et vivant à quatre personnes dans une pièce unique.
Ce pauvre Raco est mort à temps pour ne pas voir
l'état actuel de son pays qui est horrible. Madame
Racovitza est atteinte depuis plus de deux ans d'une
névralgie faciale. J'ai réussi pendant un certain
nombre de mois à la lui rendre supportable grâce à
l'injection de venin de Cobra que je lui envoie
périodiquement. Malheureusement elle est arrivée à la
période d'accoutumance […]. En ces dernières
années, ce pauvre Raco ne pouvait plus m'écrire,
parce qu'il n'avait pas les moyens de s'acheter un
timbre-poste... ” (Correspondance, Guiart, 9 décembre
1948).
Pourtant, Mihai Serban relate que Ferdinand 1er
(1870 - 1927), roi de Roumanie, s'intéressait
personnellement à tous besoins de l'enseignement et
de la recherche scientifique ; il a soutenu la réalisation
de l'Institut de spéléologie que Racovitza a été invité à
fonder à Cluj. Racovitza bénéficia du soutien du
Français René Jeannel (1872 - 1965) et du Suisse
Pierre Alfred Chappuis (1893 - 1959), ainsi que
d'Alfred Guiart (1870 - 1965) venu pour dix ans à
Cluj de 1922 à 1931 (Mihai Serban, Source Internet).
 La préadaptation à la vie en eau douce (Genèse., 1911,
p.306)
On trouve dans la faune marine des espèces
préadaptées à l'eau douce, et le filtrage des espèces a lieu
— 196 —
dans les estuaires : espèces dont les œufs sont à
développement direct comme chez des némertes, crustacés,
mollusques gastéropodes (littorines)..., espèces euryhalines
comme les néréides (annélides), littorines.
 Les mares salées de Lorraine (Cuénot, Théorie de la
préadaptation, 1914)
“ Il existe en Lorraine des mares ou des ruisseaux
salés formés par des sources naturelles ayant traversé les
dépôts salifères ; la concentration saline est très variable
[…].Ce milieu est habité par une faune nombreuse en
espèces, qui provient évidemment de l'eau douce avoisinante
” (ibid., p.67). L'épinoche par exemple, espèce euryhaline,
supporte de grand écarts de concentration saline. “ A l'état
normal cette propriété est assurément indifférente pour
l'Epinoche qui vit en eau douce ; elle est fortuite, sans utilité,
acquise par hasard ; mais elle joue un rôle décisif lorsque
l'Epinoche a l'occasion d'occuper des eaux saumâtres ou
sursalées, et elle prend alors la signification d'une
préadaptation (ibid., p.68).
 Le sort de la notion de préadaptation
“ Ce qui caractérise un grand scientifique c’est aussi sa souplesse :
il abandonne une hypothèse dès qu’elle ne tient pas,
même s’il défendait des idées contradictoires avant. ”
Ernst Mayr, 1982, p.771
Cette notion de préadaptation fut acceptée en 1939
par Sewall Wright qui rendit hommage au naturaliste à cette
occasion, le félicitant d'avoir en outre “ soutenu que les
préadaptations étaient vraisemblablement dues à des
complexes de gènes en interaction plutôt qu'à des gènes
individuels ” (Gayon, 1995, p.341).
— 197 —
Richard Goldschmidt — dont les idées nouvelles
n'eurent pas d'écho en son temps — utilisa aussi ce concept
saltationniste pour développer le sien, à savoir celui des
monstres prometteurs, et sut intégrer la notion de
préadaptation de Cuénot, comme dans son ouvrage The
material basis of evolution, paru en 1940. Ce dernier
entretenait par ailleurs d'amicales relations avec Andrée Tétry
(Correspondance, 1949). Gould reprit d'ailleurs la théorie des
macromutations et des monstres prometteurs de Goldschmidt
quarante ans plus tard pour sa théorie du saltationnisme. Mais
à cette époque, Cuénot ralliait la majorité des néo-darwiniens,
ceux-ci refusant le moindre statut à la macromutation pour
expliquer les grands changements évolutifs.
Pour Haldane, la préadaptation était “ un phénomène
vérifiable, une idée féconde ”, s'appuyant sur des cas de
mutations expérimentales. Mais les mutations devaient sans
doute affecter plus d'un gène. Il fallait aussi des populations
isolées pour être interprétées selon Wright (Haldane, in
Paléontologie et transformisme, 1950, p.191-192). Dans une
note manuscrite au sujet d'un ouvrage de J.B.S. Haldane de
1931 (The cause of évolution), Cuénot écrivait “ Haldane est
darwinien, et accepte le rôle majeur de la sélection naturelle,
comprise à peu près comme la sélection des préadaptés. Il
n'est pas finaliste mais tend à l'holisme ” (dossier coaptation).
Pour Simpson, “ La sélection ne se contente pas de
donner la mort ou la permission de vivre à des types fixes
d’organismes qui lui sont livrés par l’action quelconque des
lois de l’hérédité […] comme semblent le penser les formes
les plus grossières de la théorie pré-adaptative de l’évolution
[…]. La sélection naturelle détermine aussi lequel, parmi les
millions de types possibles d’organismes, surgira en fait, et
elle est donc réellement un facteur créateur en évolution ”
(Simpson, 1944, p.134). Dans son ouvrage majeur, Rythme et
— 198 —
modalités de l'évolution, paru en 1944, il y consacra un
chapitre (Simpson, 1944, p.288-291), arguant le fait que la
nageoire crossoptérygienne par exemple n'a pu se former par
préadaptation, qu'elle a dû forcement être très imparfaite
d'abord, puisqu'il a sans doute fallu des millions d'années de
postadaptation. Il admettait difficilement que l'instinct de
l'animal puisse le pousser à changer ses habitudes, et ne
pouvait au mieux dissocier ce concept de celui de sélection
naturelle. Simpson allait de toute manière abandonner les
phases préadaptatives et inadaptatives, la théorie synthétique
n'acceptant plus que le mécanisme de la sélection naturelle
pour expliquer tous les changements génétiques. Partisan de
la sélection naturelle comme facteur créateur dans
l'évolution, Simpson (1951, p.197) a cherché à minimiser
l'action de la préadaptation, notant même que Cuénot avait
écrit son livre L'adaptation, dans lequel il développait cette
notion “ à un moment où on accordait à ce phénomène une
importance imméritée ” (ibid.., p.207). C'était pour lui un
concept typiquement mutationniste de l'évolution (Simpson,
dans Paléontologie et transformisme, 1950, p.151). Cela
devint, après 1950, un mécanisme évolutif extrêmement rare,
qui a pu jouer sur des populations très petites, par
établissement, sans le recours à la sélection naturelle, de
mutations désavantageuses qui ont pu devenir avantageuses
si un mode de vie nouveau se présentait. C'est un cas
particulier de l'adaptation. Elle a pu conduire
exceptionnellement à des types radicalement nouveaux
d'organismes (ibid., p.207). Quant au cas particulier de la
faune souterraine, c'est le mécanisme de milieu refuge qui fut
admis : les animaux de surface auraient fui un milieu devenu
hostile (Gibert et coll., 1996). Il fallut attendre 1980 pour que
le modèle de préadaptation refasse surface avec la thèse de
Gould. Rouch et Danielopol proposèrent un modèle de
— 199 —
colonisation active : des animaux préadaptés à des conditions
très contraignantes ou au contraire très généralistes, peu
exigeants, auraient colonisé le milieu souterrain pendant des
phases de stabilité climatique par l'intermédiaire du milieu
épigé.
Cuénot se serait-il rangé à l'opinion de Simpson à la
fin de sa vie? Il avait déclaré à Grassé en 1949 (Grassé,
Hommages, 1967, p.28) ne plus attacher beaucoup
d'importance à la préadaptation. Le chercheur, au-delà d'une
intuition personnelle, d'une idée propre, vit aussi dans un
contexte scientifique, emprunt d'idéologie dominante qu'il
n'est pas de bon ton de transgresser. La pression sélective est
telle qu'elle oblige presque le scientifique à se ranger à
l'opinion majoritaire, au risque d'y perdre toute crédibilité
pour un certain temps, jusqu'à ce que l'évolution de la pensée,
des idéologies, des découvertes, remette sa thèse au goût du
jour. Récemment cette théorie a repris sa place : ainsi, dans le
cadre des 98es journées annuelles de la Société zoologique de
France, L'évolution aujourd'hui, en hommage à Lucien
Cuénot, qui eurent lieu à Nancy en 1994, le biospéléologue
formé par Albert Vandel, Georges Thinès, consacrait un
article au sujet de la préadaptation des cavernicoles : “ La
théorie de la place vide (disponible semblant mieux adapté)
est d'importance primordiale pour la compréhension des
facteurs qui mènent certains organismes à coloniser les
habitats souterrains ” (Thinès, 1995, p.310). Thinès montra
que la potentialité préadaptative existe bel et bien chez les
formes épigées* telles que les cyprinidés cavernicoles : les
caractères préadaptatifs constituent des amorces potentielles
de peuplement d'une place vide. Il constata ainsi l'apparition
d'un comportement d'exploration de substrat chez des
poissons épigés rendus aveugles, ce qui corrobore cette
corrélation pensée par Cuénot. De plus, leur fécondité faible,
— 200 —
couplée à une grande longévité, semble être un trait
préadaptatif (Thinès, 1995). D'ailleurs, tous les auteurs
actuels travaillant sur les milieux souterrains s'accordent pour
attribuer à cette faune une phase de préadaptation
morphologique, physiologique ou comportementale ; il est
admis que ces exaptations* sont acquises dans les milieux
intermédiaires (sol, humus....). Vient ensuite une phase
critique d'isolement, sorte de goulet d'étranglement
(bottleneck) qui peut être encore accentuée par la pression
sélective et la consanguinité. Une phase d'adaptation va
conduire alors à une réorganisation génotypique : des
mécanismes d'isolation reproductive vont avoir lieu et une
nouvelle espèce peut voir le jour (Lefébure, 2001).
On peut aussi interpréter ces adaptations spécialisées
au moyen de l'hypothèse de la Reine rouge de Leigh van
Vallen (courir pour rester sur place) : chaque espèce
confrontée aux innovations des autres, doit évoluer pour
rester dans la course. Une espèce cavernicole accentue son
caractère qui va le rendre esclave de son milieu alors que la
forme préadaptée vivait très bien : la sélection directionnelle
et spécialisante pousse, dans les écosystèmes, les espèces à
évoluer sous la pression des autres.
Selon Hervé Le Guyader (1995), Cuénot avait
assimilé l'étroite corrélation entre apparition de nouveauté,
complexité croissante et occupation de niches écologiques. Il
montre d'ailleurs comment la préadaptation de Cuénot peut
être éclairée par les découvertes de la biologie et de la
génétique moléculaire qui “ semblent donc donner, un
demi-siècle plus tard, totalement raison à Cuénot, et peut-être
avec une ampleur que ce dernier n'aurait pas lui-même osé
soupçonner”. L'existence chez les animaux de ces complexes
homéotiques qui régulent l'expression de gènes suivant l'axe
antéro-postérieur a conduit au concept de zootype développé
— 201 —
par des embryologistes anglais Slack, Holland et Graham en
1993. Le zootype correspond donc à un ensemble ordonné
d'expression d'informations génétiques spécifiant un
découpage de l'organisme en parties différenciées se
succédant d'avant en arrière (De Ricqlès et Le Guyader,
2000, p.24). Il est possible d'interpréter l'évolution en terme
de préadaptation moléculaire. Il est plausible que les gènes
homéotiques devaient jouer un autre rôle et il y a eu
secondairement dérivation de fonction : à partir d'une
redondance de départ — duplication de gènes ancestraux
—une innovation apparut. Il peut aussi y avoir utilisation de
plusieurs propriétés très différentes d'une même molécule :
par exemple les protéines transparentes du cristallin
extrêmement anciennes ont été sélectionnées sur de stricts
critères enzymologiques. Fortuitement, elles étaient
transparentes. Lorsque, plusieurs centaines de millions
d'années plus tard, l'utilisation de protéines transparentes s'est
avérée indispensable, il n'y a pas eu fabrication de protéines
nouvelles, construites uniquement sur le critère de
transparence mais recrutement de ces enzymes (Le Guyader,
1995). Les travaux sur le développement de la morphogenèse
des membres des vertébrés tétrapodes laissent aussi supposer
que la patte marcheuse n'est pas une adaptation à la
locomotion terrestre, mais plutôt une exaptation* au sens de
S.J. Gould et E. Vrba (De Ricqlès et Le Guyader, 2000,
p.26). Des études récentes tendent d'ailleurs à montrer que les
premiers tétrapodes du Dévonien (-350 millions d'années)
étaient aquatiques et que leurs pattes ne leur permettaient pas
de soutenir leur corps, encore moins de marcher mais avaient
un avantage pour se déplacer dans les fonds boueux ou sur
des rochers. Des millions d'années plus tard, la fonction
locomotrice fut retenue par la sélection naturelle. Leur plus
proches parents, les sarcoptérygiens avaient une palette
— 202 —
natatoire très mobile et charnue, avec fémur et humérus : à
partir de ce patron morphogénétique, il se produisit soit des
rayons dermiques soit des doigts mais pas les deux. Ce
concept est proche de celui de la préadaptation de Cuénot,
qui suppose une réutilisation opportuniste d'une structure déjà
développée dans un contexte écologique et fonctionnel
différent (ibid.).
L'orthogenèse
Lorsqu'une adaptation ou une innovation apparaît de
façon répétée dans un lignée sur plusieurs dizaines de
millions d'années, l'évolution semble dirigée, finalisée : c'est
ce que l'on a appelé l'orthogenèse. En réalité, il faut
rechercher la pression de l'environnement qui va conduire à
la sélection directionnelle. Albert Gaudry (Les enchaînements
du monde animal, paru de 1878 à 1890) fut un des premiers à
appliquer la méthode transformiste à l’étude des mammifères
fossiles. Inspiré de Waldemar Kowalevsky et des adaptations
fonctionnelles, Gaudry insista sur la nécessité de s’occuper
des rapprochements : on choisit un organe ou un groupe
d’organes et on suit son évolution d’où la notion de série.
“Tout en repoussant les explications mécaniques, (il) attribue
le développement sérié des espèces à une tendance
modificatrice interne, effet direct de la volonté divine ” (dans
Cuénot, Les ancêtres., 1892, p.326). Si c'est Haacke qui
utilisa pour la première fois le terme en 1893, ce sont Nägeli
et Eimer — à qui l'on doit le sens tel qu'il est employé ici —
qui développèrent ce concept. L'orthogenèse d'Eimer,
d’inspiration lamarckiste, était une évolution dirigée par des
facteurs extérieurs, totalement indépendante de toute
conception sélective ou adaptative. Vers 1930, s'opposaient
deux visions de l'orthogenèse : le système Eimer-Abel pour
lesquels l'orthogenèse peut être adaptative, non adaptative ou
— 203 —
inadaptative et le système orthogénétique, défendu par
Osborn, lequel était adaptatif au sens le plus fort. En France,
la paléontologue Depéret (1854-1935) croyait à une
perfection graduelle mais il y a avait selon lui mésestimation
des durées et insuffisance de documents paléontologiques
pour affirmer que les espèces dérivent les unes des autres.
(Depéret, 1929, p.251-259). Acceptée jusque dans les années
1930, la version lamarckiste de l'orthogenèse fut remise en
cause. Haldane la considérait comme due à des facteurs
internes mais non au hasard (Simpson, in Paléontologie et
Transformisme, 1950, p.127-128). George Gaylord Simpson
et Julian Huxley éclairèrent ce concept paléontologique.
Simpson apporta au néo-darwinisme la réinterprétation de la
paléontologie : la génétique “ peut révéler ce qui arrive à une
centaine de rats au cours de dix années, dans des conditions
données et simples, mais non ce qui est arrivé à un milliard
de rats au cours de dix millions d'années dans les conditions
fluctuantes de l'histoire de la terre ” (Simpson, 1944, p.16).
Huxley, avec son ouvrage Problem of relativ growth en 1932
mit en évidence des taux de croissance différentiels. On avait
remarqué depuis longtemps que des caractères distincts
pouvaient évoluer parallèlement et certains y ont vu une
évolution intentionnelle (Bateson, Teilhard de Chardin) et “
Ils ont eu raison de souligner qu’une grande partie de
l’évolution est, au moins superficiellement rectiligne ”,
écrivit Mayr (1982, p.491).
Aujourd'hui, l'orthogenèse est devenue sélection
directionnelle. Ainsi, de nombreuses lignées évoluent dans le
sens d'un accroissement de taille : en fait il est plus
économique d’être gros que d’être maigre, le rendement
énergétique est meilleur chez un organisme gros que chez un
petit oiseau, une petite souris dépense énormément d’énergie,
— 204 —
sa température et son rythme cardiaque sont très élevés ; au
contraire un éléphant, un dinosaure auront moins de dépense.
L'exemple des équidés en est l'exemple le plus classique
mais, en fait, l’étude de presque chaque série fossile
suffisamment longue révèle l’existence de ces tendances.
L'exemple fut étudié parallèlement par Kowalevsky, Huxley,
par Cope et Marsh en Amérique puis Simpson plus tard. La
lignée commence avec l'Hyracotherium à la fin du Tertiaire
en Amérique du Nord. Inexplicablement la lignée américaine
s'éteindra mais persistera parmi des émigrés en Amérique du
Sud, Europe, Asie, Afrique. Les premiers équidés sont des
mangeurs de feuilles consommant une nourriture tendre, peu
abrasive comme en témoignent leur denture. A l'Eocène,
l'environnement évolue, passant à la savane ; les équidés
deviennent mangeurs de graminées plus abrasives, car ils ont
disposé d'une denture profondément remaniée. Parallèlement,
les équidés ont évolué d'un animal léger, qui pratiquait le
galop comme un chien et dont la main avait quatre doigts, à
l'animal que l'on connaît aujourd'hui. A l'Eocène, le
Mesohippus a la taille d'un âne, la main devient tridactyle et
le pied s'allonge. Au Miocène, brusquement apparaît le
Dinohippus monodactyle, ce qui modifia profondément la
mécanique du galop. Cette évolution n'est pas rectiligne mais
buissonnante car de nombreuses espèces ont disparu et le
cheval tel qu'on le connaît aujourd'hui, le genre Equus, n'est
que le rescapé d'un rameau qui a survécu en Eurasie
(Devillers et Tintant, 1996, p.191-196 ; Simpson, 1951,
p.114-119). Il est désormais admis que les apparentes
orthogenèses — appelées orthosélection ou évolutions
graduelles irréversibles — seraient dues à des changements
constants de l’environnement qui auraient provoqué une
pression sélective permanente. Ce modèle n'est cependant pas
accepté par tous : ainsi en est-il de Kimura, arguant du fait
— 205 —
que dans un environnement stable comme le fond des océans
où la pression sélective est moindre, la variabilité reste
grande (Kimura, 1998, p.158). Tintant a étudié la valeur
adaptative des coquilles et des cloisons des céphalopodes
(ammonites et des nautiles) en liaison avec leur mode de vie.
Malgré un plan d'organisation inchangé depuis 400 millions
d'années, une variabilité apparaît en fonction des contraintes
du milieu. Ainsi le plissement de la cloison — visible par les
lignes de sutures sur la coquille — semble être une adaptation
à la vie en eau profonde ; ce caractère apparaît plusieurs fois
au cours de l'évolution (cas des nautiles du
Jurassique-Crétacé). Tous se passe comme si les
céphalopodes possédaient ce programme dans leur logiciel,
permettant l'adaptation en eau profonde lorsque les mers
épicontinentales disparaissent : phénomène probabiliste en ce
sens que les mouvements de transgression marine sont
imprévisibles, mais phénomène préadaptatif en ce sens que
l'animal possède une adaptation préexistante en quelque sorte
à un type de milieu. Quand des formes d'eau profonde
retournent dans des eaux très peu profondes, les cloisons se
simplifient : cela prouve l’influence du milieu. Par ailleurs,
on trouve des nautiles à cloison plissée en eau peu profonde.
En fait quand un nautile passe en eau profonde, il lui est
nécessaire de plisser sa coquille mais, quand il revient dans
les eaux peu profondes, sa cloison plissée ne le gêne pas
(Devillers et Tintant, 1996, p.167-181).
Cuénot n'a jamais pensé que l'orthogenèse progressive
ou régressive pourrait être dirigée par l'usage ou l'utilité : par
exemple le passage de trois à deux, puis un doigt, ne présente
aucun avantage sélectif. Refusant l'explication lamarckiste et
sélectionniste, il hésitait encore dans la Genèse de 1932 : “
D'un côté l'orthogenèse paraît dépendre de mécanismes
— 206 —
montés mais aveugles, qui n'ont comme freinage que la mort
des trop mauvaises combinaisons ; l'espèce s'arrange comme
elle peut des résultats de l'orthogenèse, qui se déroule comme
une fatalité […]. Par d'autres côtés, l'évolution semble dirigée
vers une fin précise ” (ibid., p.461). Mais Cuénot raya la
deuxième proposition, tout comme il raya à la page 467 cette
phrase : “ On a le sentiment qu'il doit y avoir quelque
propriété ou facteur inconnu, soit dans l'organisation
germinale, soit extérieurement aux organismes, qui agirait
comme initiateur et régulateur des mutations, qui serait
capable de les diriger vers une fin ”. Finalement, c'est à un
facteur interne encore inconnu qu'alla sa préférence : il avait
prévu de remplacer cette remarque finale par un chapitre
intitulé "L'évolution par causes intérieures".
Les nombreuses notes manuscrites dans sa Genèse de
1932 indique à quel point il avait réfléchi au sujet et qu'il n'a
jamais cessé d'ajuster sa conception (p.462-467):
- Il est possible qu'il y ait des restrictions de possibilités
simulant une direction — par exemple, de cinq doigts, on ne
passe jamais à six mais à quatre.
- Il semble que les organes n'évoluent pas à la même vitesse.
Huxley, qui n'était pas lui aussi très favorable à la sélection
naturelle, le lui avait déjà suggéré dans une lettre du 12
novembre 1925 (traduite de l'anglais) : “ Je voudrais attirer
votre attention tout spécialement sur l'article au sujet des taux
de croissance différentiels. J'ai depuis découvert que cela
s'applique à beaucoup d'organes, par exemple apparemment
aux bois des cerfs : je pense que cela vous aidera à expliquer
beaucoup de séries apparemment orthogénétiques ”. Chez les
cervidés, ce sont les bois qui progressent, pas les pattes, chez
les chevaux ce sont les pattes et les dents.
— 207 —
- Il suggéra une sorte de développement compensatoire —
une atrophie d'un organe entraîne le développement d'un
autre.
- Il envisagea même une variation lente d'un facteur du
milieu dans un même sens —température, humidité... — ce
qui ne doit pas être compris dans un sens lamarckiste mais
dans le sens d'une pression sélective due à l'environnement.
- On dirait qu'une mutation en prépare une autre, comme si
elle lui frayait le chemin : “ Une mutation ne prophétise pas
celle qui la suivra dans une série orthogénétique, mais elle la
prépare en restreignant les possibilités de variations ” et, en
annotation manuscrite : “ Si on parvenait à le démontrer on
serait bien près de comprendre l'orthogenèse ” (Cuénot,
Genèse., 1932, p.463).
- Il citait aussi, en annotation manuscrite, les travaux de
D'Arcy Thompson (1917) : par transformation cartésienne
d'un système de coordonnées dans lequel on place une
structure anatomique dont on veut modéliser la déformation,
l'auteur expliquait les changements de proportions. “
L'accroissement de taille est une loi mathématique, si on
insère un organe, par exemple un crâne, dans un réseau de
coordonnées, ce réseau par étirement, courbure, permet
d'inscrire des crânes voisins ” (ibid., annotation, p.463).
- L'orthogenèse comme celle des équidés ou des cervidés,
pourrait être en rapport avec le développement d'une glande
endocrine à un stade précoce de l'ontogenèse (ibid.,
annotation, p.466).
- La corrélation entre les systèmes organiques, déjà évoquée
depuis la Genèse de 1911, peut expliquer la régression des
doigts des équidés (l'atrophie du doigt III entraînerait celles
des doigts II et IV), la rudimentation (sic) des yeux des
cavernicoles ou l'atrophie graduelle des pattes chez les
— 208 —
lézards serpentiformes par une multiplication des vertèbres
(ibid.., p.465).
- Il nota tardivement (référence bibliographique de 1947) des
résultats de biométrie : “ Aucune partie n'a d'évolution
autonome et toute variation locale du plan structural
spécifique se répercute sur les autres parties du système
organique… ainsi chez Gryllus campestris, la biométrie
montre que l'augmentation des dimensions de la tête ou du
pronotum
est
constamment
accompagnée
d'un
raccourcissement des pattes postérieures et des organes de
vol ” (ibid.., annotation, p.465). Caullery aussi pensait, en
1931 dans Le Problème de l'évolution, à un jeu de
corrélations multiples entre les organes pendant
l'embryogenèse.
- Concernant des séries de paludines de lac Pliocène de
Slavonie à formes lisses à noduleuses, abondamment
détaillées dans ses Genèses, tout comme la série des
Micraster du Crétacé, “ Il semble bien qu'il s'agit de
pseudo-orthogenèse, de changements phénotypiques liés au
milieu ” (ibid., annotation, p.438). Dans L'évolution
biologique,
il
n'est
même
plus
question
de
pseudo-orthogenèse mais cette partie a été écrite par Andrée
Tétry (Manuscrit de L'évolution biologique, p.31-32). “ Il me
semble que les espèces n'ont pas de tendance mais des
possibilités d'évolution ”, ce qu'il appelle en 1932 le potentiel
évolutif (Cuénot, Genèse., 1932, p.32). Il rend compte de
convergences curieuses entre taxons différents (atrophie des
pattes dans plusieurs lignées de lézards, mélanisme des
papillons, faculté d'enroulement dans différentes lignées
d'isopodes, crête de reptiles actuels rappelant des crêtes des
dinosaures Triceratops....). Ce concept de potentiel évolutif
fut repris par Gould sous l'appellation de trend ou tendance
évolutive. (De Ricqlès, 2002, p.30). Tout porte à croire que
— 209 —
Cuénot avait intimement pressenti le mécanisme interne que
l'étude des gènes de développement a permis de découvrir
avec l'étude de la multifonctionnalité des gènes HOX à effets
pléiotropiques. Que l'on pense au plissement des cloisons de
céphalopodes, cité plus haut par Tintant, ou à la formation
des doigts, et on a le sentiment qu'effectivement Cuénot était
sur la bonne voie : “ On pressent qu'il y a d'autres voies
d'organisation capables de rendre compte de la convergence
mais nous ne pouvons pas les formuler autrement que par des
mots encore vagues, comme potentiel évolutif, variation
canalisée, tendances prophétiques ” (ibid., p.463).
Enfin l'atavisme était selon lui l'exception à la loi de
l'irréversibilité de Dollo qui veut que les espèces ne puissent
évoluer que dans un certain sens sans revenir en arrière. “ Les
espèces disparaîtraient car elles ont épuisé leur potentiel
évolutif, mais rien ne permet de croire que certaines espèces
apparemment statiques ne vont pas à nouveau évoluer ” — on
a signalé des chevaux à trois doigts, une race de poules à cinq
doigts, etc. Pour Tintant et Devillers, l'atavisme est “ la
résurgence, imprévisible, chez les adultes d'une espèce, d'un
caractère développé de façon normale chez les ancêtres de la
lignée, caractère qui avait disparu depuis des millions
d'années” (Tintant et Devillers, 1995, p.328). L'atavisme
porte sur une structure, une fonction, jamais un ensemble de
structure/fonction. La loi de Dollo n'est en fait pas contredite
: un cheval, Equus caballus, qui de temps en temps réapparaît
avec un doigt surnuméraire voire deux, reste toujours un
Equus caballus et non un Mesohippus ou un Meyhippus. Bien
souvent les caractères faisant appel à un nombre trop
important de gènes et de populations cellulaires, l'atavisme ne
pourra jamais plus réapparaître, malgré les quelques
tentatives expérimentales d'atavisme provoqué (drosophile
tétraptère, poulet à dents....).
— 210 —
Dans L'évolution biologique, l'orthogenèse est placée
dans le chapitre des Incertitudes : c'est devenu “ un fragment
d'évolution découpé arbitrairement dans la broussaille touffue
du Règne Animal […] qui indique simplement des jalons que
la paléontologie fournit au hasard des ses trouvailles ”
(Cuénot, manuscrit de L'évolution biologique, p.67).
Cependant, la pensée toujours mouvante, hésitante, il écrivit,
guidé par son intuition paléontologique, que l'orthogenèse est
préparante du futur des lignée (ibid., p.524).
L'ontogenèse
“ L'ontogenèse est préparante du futur. ”
Cuénot, Invention et finalité en biologie, 1941,
annotation, p.21.
Ce sujet est toujours présent chez Cuénot, alors qu'il
fut pour ainsi dire banni de la théorie synthétique. Bien sûr,
cela est du aux limites des connaissances de l'époque. Lucien
Cuénot avait à cet égard parfaitement perçu, dans ce qu'il
appelait l'évolution pour cause intérieure, l'importance
primordiale des premières étapes du développement de
l'individu. Ainsi, il prend exemple de l'Archéoptéryx qui a
une longue queue de reptile et une vingtaines de vertèbres.
L'oiseau actuel a une queue très courte, quatre vertèbres
caudales, un pygostyle ; or l'embryon d'oiseau paraît passer
par le stade Archéoptéryx avec quatre vertèbres sacrées puis
une quinzaine de vertèbres soudées en un pygostyle. “ Les
ébauches ne sont pas de pures répétitions anatomiques ; elles
jouent sans doute le rôle d'organisateur ” (Cuénot, manuscrit
de L'évolution biologique, chapitre L'empreinte du passé dans
l'ontogenèse). Idée déjà noté dans la Genèse de 1932 :
l'ébauche chordale, qui sert à induire la formation du tube
nerveux, joue à la fois un rôle inducteur et morphogénétique
— 211 —
(Cuénot, Genèse., 1932, annotation, p.60). Déterministe,
Cuénot voyait dans le développement de l'individu à la fois
une préformation et une épigenèse.
La notion d'espèce
L'espèce a toujours été reconnue comme l'unité
élémentaire de la classification des êtres vivants. Mais le
concept d'espèce était loin d'être clair. Darwin, l'auteur de
L'origine des espèces en avait une approche intuitive et il
n’accordait pas d’importance à l’isolement géographique et
sexuel (Génermont, 1995, p.380). D'autres à cette époque à la
suite du paléontologue Moritz Wagner (1813-1887), auquel
se référait Cuénot d'ailleurs, considéraient l’isolement
géographique comme un facteur indispensable pour la
spéciation. Après 1900, la théorie de la spéciation par
isolement géographique subit une éclipse : le mutationnisme
allait pour un temps tout expliquer. De Vries dont la pensée
domina le monde scientifique entre 1900 et 1910 pensait que
la variation soudaine, discontinue, pouvait donner naissance à
une nouvelle espèce, mais il ne raisonnait pas en terme de
population comme personne à l'époque d'ailleurs. Puis les
naturalistes réalisèrent qu’à la base il y avait une population
naissante isolée géographiquement.
Déjà Dominique Alexandre Godron, avait édité à
Nancy en 1859 — l'année de l'Origine des espèces de Charles
Darwin avec lequel il entretenait des relations — un ouvrage
traitant de L'espèce et des races dans les êtres organisés et
spécialement l'unité de l'espèce humaine. Cet ouvrage faisait
suite à son travail de thèse. L'espèce existe-t-elle? Est-elle
fixe? Il étudia durant plus de vingt ans l'hybridation entre des
espèces de graminées, les Egylops, et les blés. Dans le Jardin
des Plantes de la rue Sainte Catherine, à l'emplacement du
musée actuel, Godron cultivait ces hybrides. Il s'intéressa
— 212 —
aussi aux croisements de Datura, en publiant ses résultats en
1872 dans les Mémoires de l'Académie de Stanislas. Mais
travaillant sur un nombre trop important de caractères, il ne
put dégager de lois comme le fit Mendel. En outre Godron
resta toujours opposé à la théorie transformiste élaborée par
Darwin. Mais Godron peut être néanmoins considéré comme
le digne prédécesseur de Cuénot qui, à Nancy, non seulement
redécouvrit les lois de l'hérédité sur la souris mais entreprit
plus tard de s'attaquer à la redéfinition de la notion d'espèce
(Tétry, 1978 p.248-250). D'autant que c'est sur l'impulsion de
Cuénot que fut révisée la Zoologie de la Lorraine de Godron
datant de 1863 (travail de thèse d’Andrée Tétry). Et Cuénot
dédia à Godron son ouvrage L'Espèce paru en 1936.
 A la recherche d'une nouvelle définition de l'espèce
La formation des espèces est déjà un sujet traité dans
la Genèse des espèces animales de 1911. Le Dantec écrivait
encore en 1896 que “ La formation progressive des espèces à
partir des races s’explique par la transformation progressive
des agrégats en molécules stables du fait de l’adaptation sur
plusieurs générations à des conditions extérieures qui ont
changé et sont devenues constantes […]. L'espèce doit être
une définition chimique (comme le chien est un chien parce
qu’il sent le chien ” (Le Dantec, 1896, p.336-340). Face à une
telle conception, l'entreprise de Cuénot était une entreprise
d'avant-garde. Dans le chapitre consacré à la formation et à
l'adaptation des espèces, il y traitait les diverses formes
d'isolement qui conduisent à la naissance d'une espèce. A
cette époque où le mendélisme triomphait, l'espèce passait du
rang d'assemblage d'individus qui se ressemblent à celui
d'unité organique, lieu de brassages chromosomiques et de
mécanismes sexuels : c'est ainsi qu'allait naître bientôt la
génétique des populations.
— 213 —
Dans la Genèse de 1911 (Cuénot, Genèse., p.373-412)
soit vingt-cinq ans avant L'Espèce, il mettait l'accent sur
l'absence de corrélation entre les différences morphologiques
et sexuelles, laissant entendre par là l'ambiguïté des critères
morphologiques ; il s'intéressa longuement aussi au
polymorphisme des individus. Tel est le cas ambigu des
sous-espèces et des variétés, formes d'une même espèce,
séparées par des barrières géographiques, éthologiques,
mécaniques, physiologiques, sexuelles : nous aurions sous les
yeux actuellement toutes les étapes possibles qui conduisent à
la dissociation (ibid., annotation manuscrite, p.375). Les
différences somatiques entre espèces ont nécessairement à
l'origine une mutation de facteurs génétiques. A l'amixie due
à l'isolement, “ il faut que se superposent des mutations
génétiques, soient qu'elles précèdent, soit qu'elles coïncident
avec, ou le suivent. Il arrive souvent, au reste, que la
mutation préalable facilite ou détermine l'amixie, ou que
l'isolement favorise la production de mutations. Il peut donc
y avoir de très nombreux modes de formations des espèces ”
rajoutant à la plume “ par continuité ou discontinuité ” (ibid.,
p410). Il existait donc, pour Cuénot, deux modes de
formation d'espèces : l'un où l'isolement précède la mutation
(cas des espèces naissantes comme les Sepia), l'autre où la
mutation précède l'isolement (cas des espèces polymorphes
comme les Cepaea).
A la Société de biologie en 1929 (Cuénot, L'origine
des espèces et le mutationnisme, 1929, p.161-167), il proposa
que la définition couramment admise de l'espèce soit révisée
devant les nombreux faits qui s'accumulaient. Cette définition
définition proposait “ une collection d'individus assez
semblables entre eux pour les croire raisonnablement
descendus d'un couple ou d'un ancêtre commun ; ils sont
féconds entre eux et leurs produits sont indéfiniment féconds,
— 214 —
tandis qu'ils sont infertiles avec des espèces voisines ” (ibid.,
p.12). Or il y a un manque de corrélation entre les différences
morphologiques et sexuelles : ainsi telles espèces très
ressemblantes étaient stériles (pommier/poirier) alors que
telles autres en apparences très différentes appartenant même
à des genres différents (mufliers) pouvaient se croiser. En
outre, le critère de l'isolement sexuel ou éthologique ne
pouvait être appliqué aux fossiles. De plus, certaines espèces
qualifiées de litigieuses viennent contredire le critère
d'interfécondité : par exemple la corneille noire et la corneille
mantelée possèdent une zone d'interfécondité en Europe
centrale, quoi qu'elles n'aient pas la même répartition
géographique ni la même éthologie (sous-espèces
géographiques). Au sein de l'espèce collective des escargots
des jardins, Cepaea nemoralis, se sont constitués de mutants
ou jordanons qui diffèrent par des différences
morphologiques — couleurs et nombre des bandes sur la
coquille — et sont complètement interféconds. Cuénot
insistait alors sur le polymorphisme des individus, sujet qu'il
développait déjà dans sa Genèse de 1911 : il traitait du
polymorphisme morphologique, sexuel et poecilogonique*.
Le pionnier de la génétique française, découvreur du gène
létal, était bien armé pour intégrer les données génétiques
dans la définition de l'espèce.
Au cours d'une conférence donnée devant la Société
zoologique Suisse en 1929, il expliqua que la mutation ne
pouvait à elle seule être fondatrice d'espèces. L'isolement
était nécessaire et l'isolement reproductif était à ce titre le
plus important des isolements. C'est le cas de la seiche, Sepia
officinalis et Sepia filliouxi, en Atlantique : deux populations
parfaitement identiques mais qui diffèrent par leur époque de
reproduction et donc leur migration (voir aussi Cuénot, Sepia
officinalis est une espèce en voie de dissociation, 1917,
— 215 —
p.345; L'origine des espèces., 1929, p.13). La mutation
pouvait conduire à la fondation d'une nouvelle forme par
isolement génétique : c'est le cas des plantes autofécondables
comme Chelidonium laciniatum apparue brusquement en
1590 dans un jardin depuis Chelidonium majus, les deux
espèces cohabitant ensemble (voir aussi Cuénot, Genèse.,
1932, p.157-158). La mutation pouvait conduire à la
substitution d'une forme par une autre et conduire avec le
temps à une variété puis une espèce autonome : cas de Biston
betularia, mutant noir, qui s'est substitué à la forme blanche
dans certaines régions. Elle pouvait aussi passer inaperçue
car touchant un facteur éthologique ou physiologique et
conduisant fatalement à la séparation des mutants par
impossibilité reproductive. Enfin la formation d'espèces
pouvait être déterminée par un accident géographique :
morcellement d'îles, surrection d'un isthme....
En 1936 paraît L'Espèce, ouvrage pointu pour
l'époque puisque traitant des découvertes les plus récentes de
la génétique — notamment des réarrangements
chromosomiques au cours de la méiose, de la polyploïdie, des
loci et de la carte chromosomique des gènes, etc. Selon Paul
Brien, qui fut professeur à l'Université libre de Bruxelles et
ancien élève de Cuénot après la première guerre, ce livre “ fut
le compagnon de tous les biologistes et naturalistes de (sa)
génération ” (Brien, Hommage, 1967, p.30). Cuénot le
naturaliste y étudiait l'aspect ardu de la terminologie en
systématique. Il ne prétendait pas apporter une solution mais
plutôt poser le problème, au travers de maints exemples
comme dans tous ses livres. Ce ouvrage fut salué à l'époque
par la critique : élégance de la forme alliée à la solidité du
fond, parfaite loyauté et séduisante clarté. Rostand rendait
hommage à cette occasion au Maître de Nancy par un long
article dans Le Figaro (article non daté inséré dans L'espèce
— 216 —
de Cuénot, 1936). Dans le chapitre sur la naissance des
espèces il montrait qu'au départ, il y avait un petit nombre de
mutants fondateurs qui, en tenant une place durable dans un
biotope donné, étaient susceptibles de donner naissance à une
nouvelle espèce. Bien sûr le succès devra beaucoup à la
préadaptation et à la fécondité différentielle. Il y distinguait
deux modes de formations des espèces : soit il y a une
espèce, couvrant une aire vaste donc forcément polymorphe,
se segmentant en sous-espèces, soit il y a formation sur place,
comme c'est le cas pour les plantes autogames ou pour les
cyclidés du lac Tanganyika ou les gammarides du Las Baïkal.
Cuénot avait annoté (Cuénot, L'espèce, 1936, p.241) que
Mayr en 1942 ne croyait pas à ce mode de formation.
L'hypothèse actuelle est que les 200 cyclidés du lac
Tanganika se seraient formés en 200 000 ans, à la suite d'un
assèchement où seuls quelques individus auraient survécu et
évolué indépendamment dans des poches d'eau (Stiassny et
Meyer, 1999).
“ Je ne sais pas si en toute rigueur l'espèce est une
réalité concrète, mais elle est au moins une réalité pratique ”
(Cuénot, L'espèce, 1936, p.251). Cuénot proposa, à des fins
pratiques, la définition de la bonne espèce qui répondrait à la
formule
MES
pour
Morphologie-physiologie,
Ecologie-distribution et Stérilité extérieure-fécondité
intérieure. On a jamais vu encore se former de bonne espèce
nouvelle car bien souvent la phase essentielle et décisive
qu'est l'isolement passe inaperçue, la mutation capitale est
d'ordre éthologique ou physiologique et passe inaperçue
aussi. Mais lorsque l'isolement est acquis, il conduira
nécessairement au cours de milliers d'années peut-être à des
différences génétiques, morphologiques et sexuelles telles
qu'il y aura une unité autonome. Les cas litigieux sont ceux
où un des critères manque :
— 217 —
- M.E. sont morphologiquement et éthologiquement séparés
mais féconds (corneilles).
- E.S. sont éthologiquement séparés et stériles mais se
ressemblent (ascaris du porc et de l'Homme, parasites
inféodés à un hôte).
- M.S. sont morphologiquement séparés mais de
comportement différents et donc stériles.
 L'espèce selon des contemporains français de Cuénot
Tous lamarckistes, aucun ne pouvait définir
correctement l'espèce. Emile Racovitza (1868-1947), le
pionnier de l'étude des faunes cavernicoles, avait déjà insisté,
en 1912, sur le critère d’isolement et proposé la définition
suivante de l'espèce : ensemble de consanguins isolés (ibid.,
p.13). Jeannel semblait proche de cette manière de voir
puisqu'il ajoute “ isolés depuis assez longtemps pour avoir
acquis des caractères morphologiques particuliers ” (Jeannel,
1942, p.3). René Jeannel, directeur du Muséum d'histoire
naturelle de Paris, biogéographe spécialiste des faunes
cavernicoles, affirmait dans son ouvrage de 1942 (où hasard
et sélection du darwinisme sont encore totalement absents...)
que les zoologistes s’en tenaient au seul critère de la
ressemblance car ils ne pouvaient tester la fécondité.
 La création d'espèces par néoténie
Après 1936, Cuénot s'intéressa à la création d'espèces
par néoténie. Des hétérochronies de développement,
changements qui affectent les périodes et les durées de
l'ontogenèse, peuvent être la cible de la sélection naturelle :
c'est par exemple le maintien chez l'espèce-fille de caractères
morphologiques juvéniles de l'espèce ancestrale (l'Homme
dont le crâne ressemble à celui du bébé chimpanzé). La
néoténie suppose que l'espèce-fille conserve à l'état adulte un
— 218 —
stade ontogénétique ou juvénile reconnu de l'espèce
ancestrale, chez l'axolotl* par exemple. Le premier cas fut
observé en 1876, lorsque l'on comprit que les larves, que l'ont
considérait comme des adultes car ils ne subissaient pas tous
la métamorphose, étaient des amblyostomes, salamandres
mexicaines. L'axolotl est une sorte de bébé géant susceptible
de se reproduire. Inspiré par ses travaux sur les échinodermes
vivants et fossiles, Cuénot exposait déjà dans un article de
1892, "Les ancêtres et le développement de l'individu", la loi
biogénétique fondamentale et ses limites dans la
compréhension de la généalogie. Cinquante ans plus tard, il
écrivait un article sur "Un paradoxe évolutif : la néoténie
chez les oursins". (Cuénot, 1941). Echinocyamus pusillus,
une petite espèce actuelle méditerranéenne, et Tiarechinus
princeps, un fossile très localisé et très petit, présentent des
cas d'hétérochronie : il y a variation indépendante de la
vitesse d'évolution des organes. Ainsi, par le jeu des
hétérochronies, il peut y avoir naissance imprévisible de
nouveaux types de structure à capacité évolutive rajeunie.
Compte tenu de l'isolement reproductif ainsi crée, il est alors
possible qu'apparaissent une nouvelle espèce dans le même
temps et dans le même lieu. Cette nouvelle hypothèse
évolutive était enseignée par Grassé (Grassé, 1943,
p.113-117). Le néoténie a été proposé par Bolk sous le terme
de foetilisation en 1926 puis Beer en 1932, pour expliquer
l'apparition de l'espèce humaine. Dans les années 1940,
Cuénot se fit l'apôtre de ce mécanisme encore peu connu
pour expliquer la descendance anthropoïde de l'Homme (voir
notamment : Cuénot, Conférences, 1938 et 1946).
Auparavant, en ce qui concerne l'évolution qui conduisit à
l'Homme, refusant le hiatus Homme-animal, il évoquait des
mutations brusques — il est curieux d'ailleurs de constater
qu'en 1938, il semble acquis à une évolution par bonds
— 219 —
(Cuénot, Conférence, 1938) — portant entre autre sur le
fonctionnement de glandes endocrines, un isolement et une
fécondité différentielle (Cuénot, L'origine de l'Homme, 1931,
p.18-21). En 1977, S.G.Gould a repris ce concept oublié par
la théorie synthétique : ainsi une modification à l'échelle du
développement de l'individu conduira à une modification
morphologique considérable, véritable saut évolutif, sans que
cette modification soit nécessairement liée à l'action de la
sélection (De Ricqlès, 2002, p.27).
 La formation des espèces vue par la théorie
synthétique de l'évolution (Mayr, 1982, p.555-560 et
519-523 ; Génermont, 1995).
Mayr en 1942 (Mayr, 1982, p.519-520) apporta
l'élément qui manquait à la compréhension de la spéciation*,
qui fut dès lors définie en terme de population : l’isolement
géographique est antérieur à l’isolement reproductif. “ Une
nouvelle
espèce
apparaît
lorsqu'une
population
géographiquement isolée de l'espèce parentale gagne, durant
cette période, des caractères qui stimulent ou garantissent
l'isolement reproductif lorsque les barrières externes
s'effondrent ”. Mayr montra en 1970 que “ les mécanismes de
spéciation (au niveau des gènes et des chromosomes) avec les
mécanismes d’isolement géographique des populations
(allopatrie, sympatrie) […] sont indépendants l’un de l’autre,
et sont tous deux, par nécessité, impliqués simultanément ”
(Mayr, 1982, p.522). Dobzhansky (1937) et Mayr (1940)
arrivèrent en fait à une définition biologique de l'espèce :
cette définition ne fait aucun cas d'une quelconque
ressemblance morphologique, physiologique ou éthologique
entre les individus ; elle prend en compte des populations sur
un territoire donné dans un écosystème, populations dont les
individus ne sont séparés par aucun isolement reproductif
— 220 —
entre eux. Pour Mayr, les espèces sont des groupes de
populations naturelles effectivement ou potentiellement
interféconds dans une position d'isolement reproductif par
rapport à d'autres groupes.
Simpson (dans Génermont, 1995, p.387-388) montra,
en 1951, que la définition de l'espèce posait de sérieux
problèmes en paléontologie, pour lequel il n'existe aucune
définition génétique. Le problème de la cladogenèse reste
délicat (l'espèce-mère persiste-t-elle ?) tout aussi bien que
celui de l'anagenèse, pour lesquelles il y a toujours une part
d'arbitraire.
 L'espèce aujourd'hui
La définition a été à nouveau discutée récemment car
elle ne prend en compte que les populations à sexualité
biparentale, exceptant la parthénogenèse, la reproduction
unisexuée, l'autofécondation réciproque (ibid., p.379). Par
ailleurs il est nécessaire de prendre en compte le facteur
temps. Il y a des cas problématiques comme par exemple
celui de sous-espèces de chamois (Alpes et Pyrénées) qui ne
semblent pas être séparées par un isolement reproductif, mais
il n'est pas certain que dans des conditions naturelles, elles
seraient interfécondes. Exemple aussi de deux espèces de
souris (Mus musculus et Mus domesticus) qui cohabitent dans
une zone étroite où elles s'hybrident, mais continuent malgré
cela à conserver leur individualité (ibid., p.383).
Depuis l'événement de la cladistique*, de nouvelles
ambiguïtés ont vu le jour car la parenté cladistique vient
parfois contredire le critère d'interfécondité — certaines
espèces considérées comme n'ayant pas d'ancêtre commun
s'hybrident malgré tout. En 1989 Cracraft a donné une
définition phylogénétique de l'espèce qui “ fait remarquable
[…] n'est guère différente de celle de Cuénot (1951) : une
— 221 —
espèce phylogénétique est un groupe irréductible
d'organismes, diagnostiquement distincts des autres groupes,
et dans lesquels il y a une 'lien' de parenté et de descendance
” (Génermont, 1995, p.392).
Jean Génermont (1995, p.380), citant un paragraphe
de la Genèse de 1911, a regretté que, dans la définition de
Cuénot, le critère de ressemblance apparaisse en premier, le
critère d'interfécondité en second, “ Quant à l'isolement
reproductif […] il est considéré non comme l'événement qui
détermine la spéciation mais comme un évènement qui lui est
postérieur ”. Ors il ne s'agit pas de la définition de Cuénot :
celle-ci est donnée en guise d'introduction au chapitre sur la
formation des espèces dans la Genèse de 1911 et c'est une
définition qui se voulait généralement admise par les
naturalistes de l'époque mais à laquelle Cuénot ne prétendait
pas adhérer. Un chapitre d'une trentaine de pages est
exclusivement consacré aux caractéristiques de l'isolement
géographique, physiologique, sexuel, etc., au parallélisme
entre ces caractéristiques et les mutations et au
polymorphisme (dans le sens de l'époque). Dans le rapport
présenté à la Société de Biologie en mais 1929, "L'origine
des espèces et le mutationnisme", il apparaît très clairement
que cette définition attribuée à Cuénot n'est pas la sienne.
Après avoir donné cette définition, il écrivait : “ C'est la
définition la plus courante qui est admise implicitement par
les naturalistes […]. D'après cette définition, une espèce est
donc séparée de ses alliées […] par une morphologie […] et
une physiologie […]. La notion d'interfécondité vient ensuite
[…]. Pendant longtemps et encore aujourd'hui pour beaucoup
de taxinomistes, cette définition de l'espèce a paru bonne est
suffisante […] mais à mesure que s'accumulaient de
nouveaux documents […] des difficultés et des contradictions
apparurent, montrant avec évidence qu'il y avait lieu de
— 222 —
réviser le concept classique, inadéquat aux faits pratiques
pour deux raisons […] manque de parallélisme entre
différences morphologiques et sexuelles… ” (Cuénot,
L'origine des espèces., 1929, p.2-5). Or les ouvrages,
chapitres et articles où Cuénot s'est intéressé à l'espèce
(depuis la Genèse de 1911) portaient essentiellement sur les
processus d'isolements géographiques et reproductifs et sur la
variation génétique (voir notamment le chapitre sur la
naissance des espèces dans L'Espèce de 1936) ce qui n'est pas
conforme avec la définition introductive. Ses écrits sont
truffés d'allégations et d'exemples laissant entendre que
l'isolement est nécessaire et l'isolement reproductif est à ce
titre la plus important des isolements : “ Un mode très
important d'isolement est une déplacement de l'époque de
maturité sexuelle des deux sexes, ce qui entraîne l'amixie ”
(Cuénot, L'espèce, 1936, p.234). “ C'est l'isolement qui est en
première ligne à la base de la néoformation des espèces ”
(Cuénot, Genèse., 1932, p.411). A aucun moment il n'insistait
sur le critère morphologique qui pourtant apparaît en premier
dans la définition M.E.S. Ainsi, dire que Cuénot s'opposait
totalement à la définition biologique de l'espèce à laquelle il
ne s'est pas rallié, bien qu'elle eût été, à l'époque de ses
derniers écrits, largement diffusée (Génermont, 1995, p.371)
doit être tempéré. On ne peut en tout cas pas lui reprocher de
n'avoir pas lu l'actualité scientifique : dans ses annotations
manuscrites dont il avait l'habitude de truffer ses exemplaires,
et L'Espèce en particulier, il faisait référence plusieurs fois à
la définition de Mayr de 1942 (Cuénot, L'espèce, 1936,
annotation manuscrite, p.13), à Dobzhansky aussi. Cependant
il paraît certain que Cuénot n'a pas perçu l'importance de
raisonner en terme de pool génétique de populations : il a
toujours privilégié l'individu, restant en cela dans une vision
traditionnelle de l'espèce. Pour lui, il existait deux manières
— 223 —
d'aborder l'espèce, l'une, commode, à usage taxinomique,
l'autre, relative à la formation : l'une à visée pratique, l'autre
purement spéculative. Et Cuénot concevait le problème de
l'espèce avant tout avec l'oeil du naturaliste, qui avait besoin
de critères systématiques de reconnaissance, et c'est en cela
que le critère morphologique importait, par commodité, mais
nullement comme critère principal de formation des espèces.
Cette part de vérité rétablie, Jean Génermont n'a pas tort en
affirmant que “ Cuénot s'est longuement penché sur cette
question, mais malgré la profondeur de ses analyses (ou
peut-être même en raison de la profondeur de ses analyses), il
n'est pas parvenu à une solution unique, et, de ce fait, il n'a
jamais considéré l'espèce comme une catégorie objective ”
(Génermont, 1995, p.391). Cuénot doutait, réticent à tout
dogmatisme, toute synthèse forcément simplificatrice ;
observateur intarissable, il accumulait tant d'exemples
contradictoires que là encore, comme pour l'évolution, il ne
put entreprendre une véritable synthèse. Mais, on ne peut
prétendre enfermer ce spécialiste de la diversité biologique,
doublé du généticien darwinien, dans l'image d'une homme
qui a refusé la définition biologique de l'espèce.
L'origine de la vie (Lazlo, 1997)
Encore un sujet qu'affectionnait Cuénot. Les études
concernant la chimie prébiotique ne datent que de cinquante
ans et, encore aujourd'hui, l'incertitude demeure. A partir des
années 1920, Cuénot introduisit ce sujet dans ses
conférences. S'il adhérait à l'hypothèse de la panspermie,
considérée à l'époque comme hardie, il reconnaissait bien
volontiers à l'origine une rencontre fortuite de molécules,
admettant la probabilité d'un ensemencement panspermique.
Déjà dans un courrier (19 avril 1911) à Paul Becquerel,
partisan de la génération spontanée qui tentait d'infirmer par
— 224 —
l'expérience que la panspermie interastrale n'existait pas,
Cuénot confiait sa prédilection pour l'hypothèse d'une vie
existant depuis toujours ailleurs que sur la Terre. Pourtant,
cette hypothèse fut abandonnée plus tard dans les années
1940 lorsque l'on proposa une formation de molécules
prébiotiques dans les océans primitifs. Cuénot sembla alors
abandonner à regret sa première hypothèse pour “ cette
nouvelle hypothèse provisoire, mais satisfaisante à l'esprit ”
(Cuénot, Réflexions sur l'évolutionnisme, 1948, p.491).
Le congrès “ Paléontologie et transformisme ” de 1947 :
les Français face à la théorie synthétique de l'évolution
Ce colloque international "Paléontologie et
Transformisme" eut lieu à Paris du 17 au 23 avril 1947, sous
les hospices de la fondation Rockfeller et du C.N.R.S. Il
réunissait, pour la première fois, des paléontologues et des
généticiens, et allait leur permettre de confronter leur vision
de l'évolution sur la base de la nouvelle théorie, en cours
d'élaboration dans les pays anglo-saxons. La science de
l'évolution n'existait pas encore par elle-même, elle se
manifestait au travers de polémiques entre scientifiques de
plus en plus spécialisés, ayant sans doute un peu perdu déjà
l'ingénuité conceptuelle des premiers grands naturalistes
(Faure, 1987, p.117). Etaient présents entre autres Simpson,
Huxley, Haldane, Waddington, Cuénot, Teissier, Prenant,
Piveteau, Arambourg, Teilhard de Chardin, Caullery,
Ephrussi, Grassé, Devillers et Tintant. Ces deux derniers,
alors tous jeunes chercheurs, témoignèrent de cette manie
française qui consistait au mieux à ne pas vouloir tenir
compte de la sélection naturelle : “ Dobzhansky nous disait
un jour qu'en France, on n'avait jamais compris le rôle de la
sélection, car on l'imaginait sous l'aspect négatif d'un tamis,
alors que pour lui, elle avait un rôle positif, créatif ”
— 225 —
(Devillers et Tintant, 1996, p.181). Jean Piveteau
(1899-1991), professeur à la chaire de paléontologie de la
Sorbonne depuis 1939, insatisfait du néo-darwinisme pour les
macroévolutions, représentait le clan des naturalistes
opposés. Il refusait tout caractère adaptatif ou sélectif à
l'orthogenèse, refusant d'admettre que la série des équidés
serait la marque d'une adaptation à un régime herbivore. “
C'est l'accumulation de tout le passé qui agit sur le présent. il
y a non seulement détermination mais création de l'avenir ”
(Piveteau, 1947, p.155). Simpson cherchait à faire entrer
l'orthogenèse dans le cadre explicatif de la théorie
synthétique de l'évolution (Simpson, dans Paléontologie et
transformisme, 1950, p.132). Elle était restée, en effet, pour
les principaux artisans de la théorie synthétique “ la
principale pierre d'achoppement et […] les adversaires de la
théorie ont soutenu que celle-ci est contredite par
l'orthogenèse ” (ibid., p.133). La sélection naturelle était le
principal élément moteur et directeur (ibid., p.162). Simpson
défendit sa conception de l'orthogenèse en exposant les
exemples des gryphées et des équidés, exemples repris dans
son ouvrage L'évolution et sa signification en 1951: “ Le
principal facteur, qui ne soit pas dû au hasard, et qui oriente
les processus d'évolution, s'identifie raisonnablement avec
l'adaptation ” (Simpson, 1951, p.139). Simpson expliquait
comment le couple interactif mutation-sélection suffisait à
interpréter le cas d'Ostrea irregularis à Gryphea incurva
(Simpson, dans Paléontologie et transformisme, p.144). La
série des équidés n'était quant à elle pas de longue durée et
non rectilinéaire (ibid., p.148).
Un problème restait en suspens : certaines orientations
parallèles affectent des lignées parentes mais distinctes, non
interfécondes. Simpson n'acceptait pas l'argument d'une
quelconque poussée interne (ibid., p.135). Si des lignées
— 226 —
apparentées tendaient à évoluer parallèlement, il fallait
invoquer la pression de sélection, car les rapprochements
morphologiques purement phénotypiques posséderaient une
base génétique différente (ibid., p.152). Ce problème fut
évoqué lors de l'exposé de Teilhard de Chardin avec
l'hypsodontie de siphnés (rats-taupes) de Chine du Nord : la
série des siphnés de Chine et leur passage des dents courtes
aux dents longues s’est fait de façon continue et qui était
selon lui une évolution dirigée. Simpson n'en avait pas eu
connaissance préalablement, et lors de la discussion, avoua
que ce type d'orientation parallèle devait avoir une cause
autre que le pur hasard, cherchant du côté d'une pression de
sélection avantageuse (Simpson, ibid., p 179). Il cherchait à
se suffir uniquement de la sélection naturelle pour l'expliquer.
Pour Teilhard, les extinctions massives d'espèces ne devaient
rien au hasard. Simpson discuta ensuite l'interprétation de
Cuénot selon laquelle l'hypertélie* serait une cause directe et
suffisante pour expliquer l'extinction. On ne peut juger de
l'avantage ou du désavantage apparent d'un organe ; par
ailleurs un organe n'est pas nécessairement inutile parce
qu'on en ignore la cause. Simpson invoqua des processus en
accord avec la théorie synthétique : croissance différentielle
et autre formes de corrélation génétique ou pression de
sélection renversée. Dans le cas du développement des bois
de cerfs, la compétition entre mâles peut être évoquée (ibid.,
p.158-159). En conclusion, Simpson avoua qu'on ne pouvait
réfuter totalement les interprétations orthogénétiques mais
qu'il était plus aisé d'avoir recours à la saine méthode
scientifique, sans nécessité de faire intervenir des facteurs
vagues et indémontrables (ibid., p.161). Lors de la discussion
qui suivit son exposé, Arambourg, Caullery, Grassé, Teilhard
et Cuénot contestèrent la suffisance du néodarwinisme, ainsi
définit, pour expliquer la totalité des faits (Piveteau et De St
— 227 —
Seine, 1947, p.559). La vision anglo-saxonne d'une
orientation dirigée par la sélection s'opposait nettement à
l'orthogenèse relevant du non-hasard. Cuénot intervint aussi
au sujet d'une évolution d'échinodermes, la série des
Micraster, et Westoll lui démontra que cela n'avait rien à voir
avec une orthogenèse mystérieuse. Cuénot avait mentionné
en annotation manuscrite dans sa Genèse (postérieurement à
1947) que la petite orthogenèse ou variation continue, sur le
modèle de Micraster pouvait recevoir une interprétation
mutationniste, mais il resta réticent à une possibilité
d'évolution saltationniste par passage d'un mutant à l'autre,
faute de séries complètes en paléontologie, préférant une
variation continue dans le temps (Genèse, 1932, p.461).
Haldane présenta la théorie synthétique de l'évolution
; il reconnut que ses calculs concernant le vitesse de sélection
fonctionnaient bien pour le cas du mélanisme industriel ou
les populations de mouches mais qu'ils n'avaient presque rien
à dire sur l'évolution lente observée en paléontologie
(Haldane, 1950, dans Paléontologie et transformisme, p.190).
Pierre-Paul Grassé (1895-1985) se prétendit en accord sur
bien des points avec Haldane. Cependant, refusant avec force
à faire appel à des facteurs immatériels il minimisait la
sélection naturelle dans le cas de l'interprétation des
orthogenèses : le milieu changeant, la constance de la voie
évolutive s'accorde mal avec la sélection (Grassé, dans
Paléontologie et transformisme, 1950, p.204-205). Eminent
zoologue, auteur et coordinateur du traité de zoologie depuis
le milieu des années 1950, titulaire de la chaire d’évolution
des êtres organisés de 1941 à 1964, Grassé était insatisfait de
l'explication par le couple mutation fortuite-sélection
naturelle pour les cas de convergence adaptative qui
apparaissent dans des lignées différentes. Il mettait en cause
le principe d'utilité du système darwinien : par exemple le
— 228 —
siphon respiratoire des nèpes peut être coupé sans gêne (ibid.,
p.212-213). La sélection sexuelle contrecarre parfois la
sélection naturelle. Pour Grassé, la sélection naturelle, telle
que présentée par les néo-darwiniens, devenait implicitement
un jugement de valeur (ibid., p 215). En 1943, dans son cours
sur l'évolution, destiné au Certificat d'études supérieures de
biologie générale, il reprenait principalement les arguments
de Cuénot pour développer ses réserves vis-à-vis du
néodarwinisme. Devant les échecs répétés des expériences
tendant à prouver l'acquis somatique, il affichait, à la faveur
des antinomies de Cuénot (coaptation chez le phasme,
callosités d'autruche), une réserve prudente contre le rejet
absolu de toute hérédité de l'acquis (Grassé, 1943, p.90-91).
Il acceptait le néo-darwinisme mais en minimisant le rôle de
la sélection naturelle : argument cher à Cuénot, la mort
conservatrice du type moyen, ne crée rien, le hasard n'est pas
le deus ex machina de l'évolution (ibid., p.109). Les fameuses
antinomies furent à nouveau présentées par Grassé d'abord,
Caullery ensuite avec le parasitisme (sacculine chez le crabe)
et enfin Cuénot avec les callosités des phacochères. Marcel
Prenant s'en prit aux coaptations, sujet introduit par Grassé :
il fallait minimiser les difficultés et invoquer la sélection
(Prenant, dans Paléontologie et transformisme, 1950, p.222).
Dans son exposé sur l'évolution, Cuénot fit part de
l'insuffisance de la génétique — suffisante dans les cas
d'évolutions mineures — à expliquer l'origine des grands
types cladiques, des orthogenèses, des surprenantes
inventions des organismes, la complémentarité toujours sans
défaut de la faune et de la flore. “ Aussi les biologistes ont-ils
le sentiment difficile à exprimer avec nos pauvres mots... qu'à
côté des phénomènes de hasard, se place quelque chose
d'autre, qui donne un sens profond à la vie, à l'Evolution
continuelle, à la naissance de l'esprit, en somme à une
— 229 —
finalité. Ce n'est qu'une croyance, bien entendu, mais je la
préfère pour mon compte au positivisme étroit des
philosophies matérialistes ” (Cuénot, ibid., p.251-252).
Si ce colloque ne mit pas tout le monde d'accord, il
eut le mérite de permettre à la biologie française de renouer
avec les biologistes américains, après une longue interruption
et de réunir les paléontologistes et les généticiens sur le
chemin de l'évolution (Haldane, dans Paléontologie et
transformisme, p.183-184). Devillers (dans Grimoult, 2000,
p.204) résuma l'état d'esprit de ce colloque auquel il a
participé : il ressentit un “ net décrochement entre l'état des
idées évolutionnistes en France et dans les pays
anglo-saxons. Disons avec le recul que les premiers
conservaient une certaine nostalgie du lamarckisme […]. Et
puis il y avait une insistance à souligner tout ce qui fait
difficulté dans la compréhension des résultats de l'évolution
et à ne rappeler que cela ; dans les exposés de Simpson, de
Watson, de Haldane, il y avait le désir de construire ”.
Simpson fut frappé de la divergence plutôt que de la tentative
d'unification chez les chercheurs français. La guerre avait
éloigné les chercheurs de ces deux pays : alors qu'aux USA,
les paléontologues, les généticiens et les systématiciens
s'étaient rapprochés, la période ne fut pas favorable aux
Français (Simpson, 1950, p.10-11). Lors de son discours pour
sa nomination en qualité de président d'honneur de la Société
zoologique de France, le 27 mai 1948, Cuénot, avec sa verve
sans pareille, déclarait que le néo-darwinisme strict tel qu'il
fut présenté au cour de ces conférences qui firent quelque
bruit, avait l'avantage d'être clair, logique, cohérent. “ Hélas,
insuffisamment touché par la grâce néodarwinisme et la
dialectique qui l'accompagne, j'ai encore quelques doutes sur
la valeur plénière de cette thèse ” (Allocution, 27 mai 1948).
— 230 —
Rendre à César....
Il importe de rendre justice à Cuénot qui fut, à la suite
de ce colloque, classé parmi les finalistes avec Teilhard de
Chardin. Ce fut un amalgame fâcheux qui contribua sans
doute à l'éclipse dont il eut à souffrir après sa mort. Sa vision
de l'évolution n'avait rien à voir avec la vision orthogénétique
divine du Jésuite. Ainsi Jean-Pierre Faure dressait encore en
1987, dans un hommage à Grassé, un tableau profondément
inexact de Cuénot qu'il associe à Teilhard, tous deux pensant
que les orthogenèses ne peuvent s'expliquer que par un
finalisme métaphysique, la marche vers un but, la naissance
de la conscience et de l'esprit (Faure, 1987, p.119). Il semble
que Cuénot et Teilhard se soient accordés jusqu'à un certain
point : “ l'Homme, dans la Nature est un phénomène
nouveau, une invention qui a surgi, ou, si vous ne redoutez
pas un langage métaphysique, la réalisation d'une Idée
transcendante ; cette Idée-puissance ne peut s'exprimer qu'en
pénétrant un support matériel ” (Cuénot, Conférence, 1938,
p.40). Il ne pouvait y avoir d'affinité spirituelle autre, Cuénot
étant imperméable à toute spiritualité chrétienne et n'ayant
aucun foi dans le progrès humain, à l'opposé du jésuite,
irrémédiable optimiste, profondément attaché à l'Eglise et à
ses dogmes. Par ailleurs il ne croyait pas à une évolution
orthogénétique de l'Homme : cet antropomorphe n'était qu'un
foetus de gorille — selon le principe de la néoténie* (Cuénot,
L'origine de l'Homme, 1931, p.18-21 ; Conférences, 1938 et
1946). Nous avions vu dans le chapitre consacré à la vie de
Lucien Cuénot, le rapport qu'il y eut entre les deux hommes.
En 1946, Teilhard revint définitivement en France où il fut
élu à l'Académie des sciences en 1950. Aucun des livres, en
dehors de ses publications purement scientifiques comme Le
phénomène humain (achevé en 1940, paru en 1955), ne fut
publié avant sa mort. Teilhard entretenait avec les autorités
— 231 —
religieuses de l'époque des relations conflictuelles car sa
pensée évolutionniste était alors jugée beaucoup trop hardie
par l'Eglise. Mais le problème est plus complexe encore si
l'on en juge par l'échange épistolaire entre Cuénot et Paul
Grosjean — qui par ailleurs éclaire et prouve surtout la
divergence de point de vue de Cuénot sur l'oeuvre de
Teilhard de Chardin. Paul Grosjean était bollandiste,
c'est-à-dire jésuite chargé de la publication critique de la vie
des saints, adversaire résolu des mystérieux et des mystiques
selon ses propres écrits, et bien décidé à en découdre avec les
miracles et les apparitions. “ J'ai été très heureux, je m'avoue,
d'apprendre de lui (un ami commun, Albert Bassemans) votre
jugement définitif sur les pages du P.Teilhard de Chardin
intitulées Comment je crois. C'est assurément un
inconvénient douloureusement ressenti que la longueur, chez
les Jésuites, de la formation normale […]. Le P.Teilhard de
Chardin souffre certes beaucoup de n'avoir point passé
régulièrement par cette longue et mince filière […]. Il ne faut
pas chercher ailleurs, je crois, la raison profonde d'une
métaphysique obscure et des heurts qui en proviennent ”
(Correspondance, Grosjean, 2 mai 1949). Récemment encore,
Grimoult écrivait toute une série de propos infondés sur
Cuénot et sur d'autres d'ailleurs, avec un évident parti pris
idéologique. Il serait fastidieux et inutile de les citer, mieux
vaut les oublier ; selon lui, Cuénot “ ne pouvait point se
passer d'un mécanisme métaphysique transcendant ”
(Grimoult, 2000, p.108). Ce sujet, déjà bien analysé d'un
point de vue strictement biologique, est repris dans le
chapitre traitant de la philosophie biologique de Cuénot.
8. Conclusion
— 232 —
“ Le Vie est conquérante d'espace et de matière ; elle cherche obstinément
— et réussit — à étendre son domaine en se diversifiant...
Tout de passe comme si la Vie avait une fin : celle de se maintenir. ”
Cuénot
“ En biologie il n'y a qu'une loi générale,
c'est qu'il n'y a pas de loi générale. ”
(Cuénot, Analyse d'ouvrage, 1944).
Les biographes et historiens qui se sont penchés sur
l'œuvre de Cuénot l'ont trop vite jugé, parce que trop acquis à
la stricte théorie néo-darwinienne. Chez cet homme acquis au
transformisme et ce depuis les années 1890, qui n'a cessé de
défendre cette thèse contre le néo-lamarckisme, puis contre
les créationnisme, certains ont vu une tendance lamarckiste :
sur soixante années de réflexion, l'affirmation nette et
catégorique de l'impossibilité des caractères acquis abonde
partout dans sa littérature, ses conférences, puis dans ses
notre manuscrites tardives. Dans la première moitié du XXe
siècle, il n'y avait pas d'alternative entre darwinisme extrême
ultrasélectionniste et lamarckisme mécaniste : l'enjeu — qui
fut fatal à Cuénot — était de se situer du côté des finalistes
ou des mécanistes. L'exemple du phacochère, argument des
années 1940, montre simplement à quel point il a poussé sa
réflexion et combien la nouvelle théorie s'est révélée très
insuffisante pour expliquer ce paradoxe.
Cuénot fut toujours réactif, face au monisme
matérialiste et au lamarckisme puissant dans lequel il a été
éduqué. N'offrant que des lambeaux de vérité, incapable de
donner une explication générale, il partit en guerre très tôt
contre le mécanicisme intégral qui régnait alors. Il refusa
toujours d'admettre un rôle moteur à la sélection naturelle
qu'il jugea toujours comme l'élimination des moins aptes
— 233 —
dans un environnement donné ; la prime va au plus fécond,
pas forcément au meilleur phénotype, au plus fort, au plus
apte ; il croyait à la capacité constructive de la variation
génétique continue, graduelle, il en percevait les limites
devant l'impossibilité d'un organe imparfait à jouer
convenablement son rôle et donc de résister à la sélection
naturelle : l'oeil doit être parfait du premier coup, ce à quoi
Darwin s'était déjà opposé. S'il lui fallait refuser la variation
par bonds évolutifs, comme le demandait la nouvelle théorie,
le naturaliste devait admettre que les variations étaient
orientées toujours dans le même sens, donc vers une fin
apparente : mais Cuénot n'a jamais cru à cette apparente
finalité. Il ne voulut pas admettre la pression sélective
constante de l'environnement, sélection positive pour
expliquer les séries évolutives. En cela, les nouvelles théories
(Gould ou Kimura) cadrent mieux avec la pensée
évolutionniste de Lucien Cuénot.
Il a insisté sur l'ontogenèse et sur les hérétochronies
de développement : ces deux aspects ont été récemment
repris par Gould : en prenant de nouveau en compte
l'individu dans son développement, Gould donne un ton très
neuf au discours intuitif de Cuénot . Car en fait, s'il n'a pas
accordé d'importance au niveau populationnel de l'évolution,
c'est qu'il s'est toujours situé au niveau de l'individu. Ce qui le
taraudait, ce qu'il avait intuitivement perçu dans ce potentiel
évolutif, ce qu'il appela les causes intérieures, c'est seulement
la biologie du développement des années 1990, avec la
découverte des gènes homéotiques, qui viendra l'éclairer sous
un jour nouveau. Devant l'immatérialité de ces causes
intérieures — que personne ne connaissait alors — il se
rangea de lui-même parmi les finalistes, prêtant le flanc à la
vindicte matérialiste.
— 234 —
La vie est conquérante d'espace : une place vide trouvera
preneur pour peu que l'organisme porte en lui le potentiel. Sa
théorie de la préadaptation, après avoir connu une éclipse,
peut être aujourd'hui considérée comme résolument moderne,
au-delà même de ce que Cuénot aurait pu espérer. Sans aller
jusqu'à l'assurance de Cédric Grimoult qui, au sujet des
coaptations, prétend que “ ce grave problème au sein de la
théorie synthétique n’a trouvé de solution que récemment,
avec la découverte du rôle jusque-là sous-estimé des gènes
architectes responsables du développement embryonnaire et
de la corrélation des organes ”, on peut dire plus
modestement que la piste des gènes architectes aurait pu
donner à Cuénot quelques éléments de réflexion à ses
questionnements ; les ajustements de ses antinomies ne
possèdent pas encore d'explication satisfaisante car, malgré la
découverte des gènes de développement, on ignore à peu près
complètement la manière dont se déroule la construction
spatio-temporelle du vivant à partir du programme génétique
ou comment évolue génétiquement anatomie, comportement
et écologie de manière à détourner un organe de sa fonction,
assurer la coordination des différents organes entre eux, et
développer ainsi un organe de défense par exemple dont il
serait simpliste de dire qu'il fut créé par le hasard. Quand
bien même Cuénot aurait été insatisfait et insuffisamment
ouvert à la théorie synthétique de l'évolution en refusant
notamment le rôle prépondérant de la sélection naturelle, lui
préférant le filtrage lors de la préadaptation, peut-être faut-il
voir dans son refus l'empreinte de sa culture scientifique de
tradition française? Il n'en demeure pas moins vrai qu'il fut
pour ainsi dire le seul néo-darwinien de son époque et le
premier généticien français.
En fait si Cuénot a démarré assez jeune sa carrière par
le biais du transformisme puis du mendélisme par la voie de
— 235 —
l'expérimentation, il est ensuite retourné à l'observation
naturaliste, contraint et forcé par les événements, mais avec
le profil transformiste ; il a ensuite élaboré sa conception de
l'évolution, avec minimisation du rôle moteur de la sélection
naturelle, préadaptation, minimisation des apports de la
génétique des populations, sa notion de l'espèce et finalement
son arbre phylogénétique. Tout cela à partir non pas des
expériences hypothético-déductives ou des modèles
statistiques mais au travers de l'observation de l'infinie
diversité observable de la nature, magnifique champ de
découverte, propre à éveiller le sens critique mais incapable,
à l'époque, d'en tirer d'importants faits comme l'ont pu faire
des biomathématiciens tels Teissier ou Dobzhansky. Mayr
écrivit que ce sont les spécialistes de la diversité biologique
qui ont émis des objections à l’encontre de la sélection
naturelle, notamment pour expliquer l’évolution graduelle
(Mayr, 1982, p.486) : ces observateurs de la nature tout
comme les paléontologues — Tintant plus tard qui fut le
premier à appliquer la biométrie aux fossiles en France —
ont eu le mérite d'attirer, de détourner un peu l'attention des
chercheurs penchés sur leurs calculs pour complexifier tout
cela et finalement intégrer de nouvelles données à la théorie
synthétique.
“ J’ai étudié et professé toute ma vie la doctrine évolutionniste, sans que
jamais le doute ne m’ait effleuré […]. Mais si l’on me donnait des
arguments probants contre l'évolution biologique, c’est avec une pleine
allégresse que je participerais à l’édification de la théorie nouvelle. ”
Cuénot, dans Rostand, Hommage, 1967, p.21.
— 236 —
Chapitre V : Travaux de zoologie
Bibliographie essentielle : Chapron, 1999 ; Lecointre et Le
Guyader, 2001 ; Cuénot, Travaux scientifiques, 1900 et
Titres et travaux scientifiques, 1926.
Lucien Cuénot fut un spécialiste incontesté des
échinodermes, mal connus lorsqu'il débuta sa carrière, et
devenus matériel de choix des biologistes qui étudiaient
l'embryologie expérimentale : fécondation, segmentation de
l'oeuf, parthénogenèse.… Il s'intéressa, à la faveur de la
découverte de nombreux commensaux et parasites des
échinodermes, mollusques, etc., à la zoologie de petits
phylums mal connus, rares, et mal situés au point de vue de la
phylogénie : échiuriens, sipunculiens et priapuliens,
onycophores, tardigrades et pentastomides. Il travailla
également à l'étude de fonctions physiologiques énigmatiques
chez les invertébrés. Il décrivit une vingtaine d'espèces
nouvelles ainsi que de nouveaux commensaux et parasites de
nombreux invertébrés.
Cuénot pensait que la formation des clades étaient
désormais terminée — la plupart des grands plans
d'organisation étant apparus très tôt dans l'histoire de la vie
sans que des innovations majeures n'aient vu le jour depuis
(Cuénot, Genèse, annotation, 1932, p.467 et XIII, L'évolution
biologique, manuscrit, p.16). La place de ces petits groupes
dans l'échelle de l'évolution, plus près de l'origine de la vie,
leur conférait un intérêt certain pour un zoologiste
transformiste. Depuis, la plupart de ces phylums a subi des
modifications systématiques sur la base de l'analyse
cladistique.
Ses travaux de zoologie marine avaient lieu au
laboratoire de Lacaze-Duthiers à Roscoff jusqu'en 1900 puis
à la station de biologie marine d'Arcachon où il passait ses
— 237 —
grandes vacances jusque dans les années 1920. Le bassin
d'Arcachon possède une situation particulière : c'est une baie
à salinité diminuée, à faune différente de celles du
Nord-Ouest côtier et c'est un lieu privilégié pour l'étude des
espèces migrantes. Cuénot s'intéressa aussi à la faune
lorraine, typiquement continentale : là encore, ce n'est pas
vers les espèces communes qu'il se tourna mais vers les
reliques de la période glaciaire — vallées forestières, sources
froides, tourbières vosgiennes mais aussi puits et galeries de
mines — ou de la période chaude qui précéda le
refroidissement quaternaire — stations ensoleillées où
persiste une faune méridionale. Il fit entreprendre à son élève
André Tétry, dans le cadre de sa thèse de zoologie, une
contribution à la révision de la Zoologie de la Lorraine de
D.A.Godron, datant de 1862. Elle y étudia tout spécialement
sur les conseils du Maître, les annélides — sangsues et
oligochètes — jamais étudiées auparavant (Tétry, 1938).
1. Fonctions physiologiques des invertébrés
Ses premiers travaux portèrent sur le sang et les
organes lymphoïdes des invertébrés et, en cela, ses travaux
rejoignirent ceux de Kowalevsky. Il poursuivit avec la
physiologie des invertébrés : fonction du rein et hémocyanine
du sang chez Helix, foie des gastéropodes pulmonés,
excrétion chez les mollusques — néphridies et cellules
isolées ou concentrées en glandes dans le tissu conjonctif,
excrétion chez les crustacés décapodes — découverte des
reins branchiaux, excrétion chez les orthoptères et les
oligochètes (Cuénot, Titre et travaux scientifiques, 1926,
p.27-34). Il découvrit la fonction athrocytaire des athrocytes
et des organes athrocytaires (termes créés par lui-même)
— 238 —
présents chez la plupart des invertébrés et dont la fonction est
d'épurer l'organisme, en accumulant temporairement les
substances étrangères tels que des colorants (ibid., p.12-13).
2. Echinodermes (Cuénot, Travaux scientifiques, 1900 et
Titres et travaux scientifiques, 1926, p.27-38)
Cuénot, qui ne voulait pas “ d'un paradis où l'on aurait
pas à déterminer des Echinodermes ” (Rostand, 1966, p.159),
était un spécialiste international réputé de ce groupe et ce
depuis ses travaux de jeunesse au laboratoire de Roscoff : une
vingtaine d'articles traitant de l'anatomie ou de la physiologie,
sans compter ses contributions à la faune du bassin
d'Arcachon et au Traité de zoologie de Grassé. Ce phylum
passait pour le moins compréhensible du règne animal. Il fut
principalement étudié au XIXe siècle par Sars (1844), Koren
et Danielssen (1847), Agassiz, Kowalevski et Metchnikov
(La science contemporaine, 1961, p.408). Cuénot n'a pas
seulement étudié les échinodermes actuels mais aussi les
fossiles. Cet angle de vue était à l'époque tout à fait original ;
cela lui a permis même de s'attaquer à la phylogénie en
intégrant les formes actuelles et fossiles.
Actuellement les échinodermes sont classés dans les
deutérostomiens — au cours du développement larvaire, le
blastopore devient l'anus, la bouche est formée
secondairement — tous marins, surtout benthiques*,
constitués de cinq taxons regroupés dans deux
sous-embranchements : les pelmatozoaires avec les crinoïdes
(comatules) d'une part, et d'autre part les eleuthérozoaires
avec les astérides (étoiles de mer), les ophiurides (ophiures),
les holothurides (holothuries) et les échinides (oursins). Ce
phylum est caractérisé par une symétrie radiaire,
généralement pentamérique, acquise au cours du
— 239 —
développement puisque la larve de type pluteus a une
symétrie bilatérale.
Cuénot a étudié, au moyen du fameux système des
injections physiologiques, qui se développa à la fin du XIXe
siècle :
- Le système nerveux, surtout des astérides, alors mal connu,
et il signala pour la première fois les nerfs péritonéaux des
astéries,
- L'appareil lacunaire, la glande ovoïde et les sinus
périlacunaires, l'excrétion,
- Les organes lymphoïdes — qui se révélèrent être des
glandes excrétrices — des Cucumaria et des Holothuria,
- L'appareil génital, avec notamment l'hermaphrodisme
d'Asterina gibbosa,
- L'appareil digestif avec la description du tube digestif des
clypeastroïdes et des absorbants intestinaux des astéries,
- L'appareil excréteur,
- Le système madréporique avec les plaques calcaires du
squelette,
- le système ambulacraire interne, réseau de canaux assurant,
par système de pression différentielle, le mouvement de
l'animal,
- Les systèmes de locomotion des ophiures, crochets sur les
bras agissant comme des grappins,
- Le plan de symétrie et la phylogénie.
Il s'intéressa enfin au système de défense de ces
animaux : pédicellaires des astéries, tubes de Cuvier des
holothuries qui secrètent une substance gluante, ligotant les
assaillants et enfin glandes muqueuses des échinastes
(Cuénot, manuscrit, Travaux scientifiques, 1900). Il fut
également le premier (1887, 1898) à décrire
l'hermaphrodisme protéandrique chez une Aster : chez les
jeunes, les gonades sont à la fois mâles et femelles ; on
— 240 —
obtient d'abord des mâles puis les femelles dominent
(Gallien, 1973, p.16).
3. Echiuriens, sipunculiens et priapuliens
Echiuriens, siponculiens et priapuliens, surtout étudiés
à Arcachon, ont été traités par Cuénot dans la Faune de
France. L'origine de l'étude de ce groupe d'animaux revient à
Delage et Hérouard en 1897. Ce sont des phylums
protostomiens, lophotrochozoaires — larve trocophore et
présence d'une couronne de tentacules autour de la bouche
appelée lophophore — non segmentés, menant une vie
endogée, détritivores, avec même un système de forage
—trompe des échiuriens et introvert pour les deux autres.
Selon Cuénot, les deux premiers s'étaient détachés
précocement des annélides, les priapuliens étant encore
problématiques.
Echiuriens (Dawydoff, dans Traité de zoologie, 1960,
p.855-907)
Décrits par Blainville et Quatrefages qui les rangea
dans les Géphyriens en 1847, placés ensuite par Delage et
Hérouard dans les Vermidiens, groupe à affinité incertaine, ce
petit phylum de 135 espèces, qui fascina longtemps les
zoologistes, est désormais placé avec les annélides mais sans
segmentation : une partie allongée et une partie rétrécie laisse
dépasser leur trompe qui peut atteindre un mètre et qui
achemine les particules vers la bouche. Malgré leur mode de
vie endogée, ils sont souvent de couleur vive.
Exemples : Echiurius, Bonellie (Bonellia viridis) étudiée par
Lacaze-Duthiers en 1858 et Kowalevsky en 1868.
— 241 —
Sipunculiens (Tétry, dans Traité de zoologie, 1960,
p.785-854)
Autrefois réunis par Quatrefages en 1866 aux
échiuriens sous le nom de Géphyriens, il existe un description
du genre Sipunculus de Linné en 1766. A part quelques rares
publications surtout germaniques, Cuénot abordait ce groupe
en terrain très mal connu. Ce phylum de 320 espèces
comprend des sortes de vers munis d'une trompe appelée
introvert, d'une couronne de tentacules, d'épines ou de
crochets et pouvant se dévaginer sous la poussée du cœlome.
On les trouve à marée basse, dans les fentes des rochers, les
laminaires, dans les bancs de moules ou en creusant
profondément le sable. Il existe un commensalisme avec des
mollusques, éponges, etc., voire du parasitisme plus rare.
Cuénot a étudié, dans ce phylum, la physiologie de
l'excrétion. Il étudia vers 1900 le Phascolosoma vulgaris :
organe olfactif, organe tentaculaire, organe cilié du péritoine
impliqué dans les phénomènes de phagocytose, avec
notamment les chloragogènes, cellules à la fois rénales et
phagocytaires (Cuénot, Travaux scientifiques, 1900 ;
Courrier, 1952, p.12).
Exemples : Phascolosoma, Sipunculus.
Priapuliens (Dawydoff, dans Traité de zoologie, 1960,
p.785-854)
Réunis aux Géphyriens par Quatrefages en 1848, puis
placés dans les Vermidiens par Delage et Hérouard, en 1897,
ce phylum de seize espèces fait partie des protostomiens
cuticulates ecdysozoaires (ils présentent une mue et une
cuticule formée de trois couches, à la différence des
gastrotriches) ; ils possèdent un introvert. Ces animaux à
symétrie bilatérale ressemblent à des vers à trois parties :
trompe portant des épines et des tubercules, abdomen et une
— 242 —
excroissance. On ne sait s'ils possèdent un cœlome ou un
pseudocoelome.
Exemple : Priapulus bicaudatus.
3. Onycophores, tardigrades et pentastomides
Les onycophores et les tardigrades sont des
protostomiens cuticulates regroupés avec les euarthropodes
sous le nom de panarthropodes (animaux segmentés à
squelette externe).
Onycophores (Cuénot, Traité de zoologie, 1968, p.3-37)
La première observation de cette sorte de limace à
pattes date de 1825. En 1925 dans un article intitulé
"L'entonnoir vibratile de la néphridie des Péripates", Cuénot
avait réalisé une reconstitution phylogénétique du rapport
péripates, tardigrades et arthropodes (mise à jour de sa main,
p.16). La souche des péripates — qui possède à la fois des
caractères non-arthropodiens et arthropodiens — serait
probablement antécambrienne et très antérieure à celle des “
proarthropodes ”, ancêtre commun des arthropodes. Il les
plaça donc au sommet d'un rameau antérieur “
paraarthropodien ”, intercalant le rameau qui donna les
tardigrades entre les paraarthropodes et les proartrhropodes
(ibid., p.16-17). Cette manière de voir est proche de la
classification actuelle. Ce phylum de 80 espèces, appelées
aussi péripates, proche des euarthropodes, contient
essentiellement des animaux terrestres tropicaux (lieux
humides, obscurs) détritivores, ressemblant à des vers assez
longs avec une paire d’antennes ; leurs appendices portés par
chaque segment ne sont pas articulés et portent des petites
griffes à l’extrémité. On en trouve aussi dans l'Himalaya.
— 243 —
Exemple : Hétéropéripatus .
Tardigrades (Cuénot, dans Faune de France, 1932 ; dans
Traité de zoologie, 1968, p.39-59)
Ce phylum fut particulièrement étudié par Cuénot qui,
pour la Faune de France, s'est attaqué à ce petit groupe en
définissant 44 espèces en France. Les tardigrades possèdent
une extraordinaire dissémination puisqu'on en trouve au
sommet des cathédrales et jusqu'à 5900m d'altitude (Cuénot,
Faune de France, Tardigrades, 1932, p.17). Les tous
premiers tardigrades furent observés à la fin du XVIIIe siècle.
C'est Spallanzani qui baptisa sa première observation “ il
tardigrado”, cet animal jaunâtre à démarche lente. Les
premières descriptions sérieuses sont faites par Schütze et
Dujardin vers 1840-1850. Des huit espèces à cette époque, on
est passé à 192 en 1938 (ibid., annotation manuscrite, p.1-2).
Ce phylum contient actuellement 600 espèces aquatiques et
terrestres des milieux humides à l'allure d’ours
microscopiques, d'où leur nom anglais Water Bear. Ils sont
caractérisés par une résistance étonnante à la sécheresse, aux
rayons X et même à la sortie dans l'espace. Cuénot signalait
des individus revenus à la vie après sept années de
dessèchement (ibid., p.16) et une résistance à l'alcool, à
l'acide, au vide, à l'éther, à l'air sec à 96°, etc. On les recueille
facilement dans les mousses ou les lichens où ils vivent en
compagnie de rotifères, nématodes, amibes et parfois
acariens et collemboles (ibid., p.18). Ils possèdent un
pseudocoelome rempli de liquide faisant office de squelette
hydrostatique, ce qui est à l'origine de la difficulté de
classification : on les a longtemps pris pour des acœlomates
(Lecointre et Le Guyader, 2001, p.252). Selon Cuénot (ibid..,
p.21-22), le groupe des tardigrades, d'origine marine,
s'intercale entre le rameau fossile pararthropodien aquatique
— 244 —
d'où sont dérivés les arthropodes vrais à muscles striés et à
pattes articulées ; ils présentent des caractères commun aux
péripates (onychophores) comme les muscles lisses et des
mamelons locomoteurs terminés par des griffes à la place des
pattes.
Exemples : Batillipes noerrevangi, espèce marine ;
Echiniscus trisetosus uniquement dans les mousses et lichens,
Macrobiotus Huffelandii en eau douce.
Pentastomides (Cuénot, dans Traité de zoologie, 1968,
p.61-75)
Trouvé la première fois en 1765, appelés aussi
linguatulides, restés longtemps énigmatiques, ils sont
désormais classés dans les euarthropodes mandibulates
(porteurs de mandibules sur la tête), pancrustacés (larve
nauplius), maxillopodes et ils regroupent des petits crustacés
très différents comme les cirripèdes, les copépodes ou les
ostracodes. Ce sont des parasites de vertébrés tétrapodes
surtout de reptiles tropicaux ou sub-tropicaux.
Exemple : Cephaloboena dans les poumons de serpents.
5. Et d'autres encore... (Cuénot, Titre et travaux
scientifiques, 1926., p.35-44)
Mais Cuénot ne s'arrêta pas là. D'autres travaux de
moindre portée concernaient :
- Les éolidiens, mollusques opistobranches pour lesquels il a
étudié les nématocystes qui ne sont que des éléments
empruntés à leurs proies,
- Des protozoaires sporozoaires avec notamment la
reproduction et l'évolution des grégarines coelomiques du
grillon, ainsi que les coccidies chez les Glomeris,
— 245 —
- Les actinies du bassin d'Arcachon,
- Sans compter d'autres études encore portant sur des
parasites d'insectes (entomologie agricole avec l'étude de la
pyrale de la vigne, du charençon, du puceron du pommier...),
sur des arachnides, crustacés, tuniciers, poissons et
mammifères.
— 246 —
Chapitre VI. L'arbre phylogénétique du
règne animal
Bibliographie essentielle : The Tree of Life (Source Internet)
; Lecointre et Le Guyader, 2001; Beaumont et Cassier, 1998.
1. Bref historique des phylogénies du règne
animal
Avant la cladistique de William Hennig (1950), la
phylogénie était basée sur le principe du triple parallélisme,
terme d'Agassiz puis d'Haeckel, exprimant l'anatomie
comparée, l'ontogénie, et la paléontologie, les trois sources de
la reconstitution phylogénétique. Aujourd'hui, c'est “ la
reconstitution historique de la descendance des êtres
organisés ” (Tassy et Darlu, 1993, p.1).
Le premier arbre d’Haeckel en 1866, l'arbre de
Darwin — qui présenta le premier modèle phylogénétique
inscrit dans le temps géologique — ou de Gaudry, se
présentent sous la forme d'arbres, avec un tronc, des branches
et des rameaux, le temps géologique se lit de bas en haut.
Darwin, dans la dernière version de l'Origine des espèces
(1872), utilisa le terme phylogénie créée par Ernst Haeckel en
1866 : il s'agissait pour lui “ des lignes généalogiques de tous
les êtres organisés ” (Tassy, 1998, p.45). Mais pour Darwin,
ce qui comptait c'était “ la descendance par modification ”, la
pensée évolutionniste. A cette époque, les nouvelles variétés
créées par la sélection naturelle avaient plus d'intérêt pour le
transformisme que la diversité du monde vivant ou que les
formes fossiles forcément spéculatives (ibid., p.45-47).
L'arbre de Haeckel était avant tout un système intellectuel
servant à montrer l'idée d'un perfectionnement graduel de la
monère à l'Homme. L'apogée serait, d'après Haeckel, parmi
12 espèces humaines et 36 races, l'Homo mediterraneus de la
— 247 —
race des indo-germains (Haeckel, 1877, p.674-675 et planche
XV). C'était une affirmation du transformisme. Il montrait
aussi la faiblesse des arguments paléontologiques de
l'époque. L'arbre d’Haeckel, trop spéculatif, choqua les
zoologistes français de l'époque tels que Lacaze-Duthiers,
Gervais, Milne-Edwards (Depéret, 1929, p.60-61). Pourtant
le paléontologue Albert Gaudry, la même année que Haeckel,
présentait le premier arbre unissant formes actuelles et
fossiles, ancrant désormais la paléontologie — que Darwin a
peu utilisée — comme seule vraie science des filiations
(Tassy, 1998, p.66). A l'époque de l'avènement de la
génétique mendélienne, Alfred Giard (1904, p.93-108),
transformiste lamarckiste, proposait deux types d'arbres
inspirés d’Haeckel et entièrement bâtis sur les principes
d'embryogénie. Il utilisait pour ses cours, depuis 1889, un
arbre généalogique classique avec un tronc et des branches, et
regrettait l'absence de représentation de l'influence du milieu
(ibid., p.106-107). Il proposait en outre, et ce dès 1876-1878,
une classification schématique basée sur la représentation
généalogique monophylétique d'Haeckel. La place insolite
des céphalopodes, des échinodermes, les curieuses relations
cordés/gastrotriches, groupe ancestral de deux hypothétiques
branches appelées Hymenotoca (vertébrés, plathelminthes et
arthropodes) et Gymenotoca (annélides, mollusques,
céphalopodes et brachiopodes) prouvent les limites du
système. Les progrès de la zoologie et de l'embryologie, avec
le perfectionnement technique des instruments de
microscopie optique de la fin du XIXe siècle jouèrent ensuite
un rôle important. Ainsi la place de l’Amphioxus dans la
phylogénie du règne animal, par le zoologiste russe
Kowalevsky en 1867, fut une découverte majeure ; elle fut un
bel exemple de l'application de la loi biogénétique de
récapitulation ancestrale*** par laquelle Kowalevsky précisa
— 248 —
la place des tuniciers (ascidies) parmi les chordés (La Science
contemporaine, 1961, p.409).
L'avènement du néodarwinisme, dans les années
1930-1940, amena une nouvelle génération d'arbres
typiquement évolutionnistes comme celui de Cuénot. Entre
les deux guerres, J.Huxley et J.B.S. Haldane avaient déjà
tenté un arbre évolutionniste présenté dans Animal Biology en
1927 (voir par exemple fig 81A et 81B). Il s'agit d'un
diagramme des relations entre les principaux groupes du
règne animal, à la manière d'un arbre généalogique, indiquant
les principales innovations — association cellulaire,
diploblastiques, triploblastiques, acœlomates et cœlomates,
chorde, os, mâchoires, sortie de l'eau, amnios,
thermorégulation. Ils présentaient la sortie de l'eau à partir
des amphibiens-reptiles-mammifères, mais pas pour les
arthropodes. Simplifié par rapport à celui de Cuénot, car
excluant les petits phylums et ne tentant pas de relation de
descendance ni de relation de distance phylogénétique, le
diagramme a le mérite de présenter les innovations majeures
et de ne pas comporter de noms de groupes aux nœuds.
Enfin, notons qu'oiseaux, dinosaures et crocodiles ne sont pas
réunis. A cette même époque, le paléontologiste français
Charles Depéret, élève d'Albert Gaudry, présentait dans Les
transformations du monde animal (1929, p.352-358) une
classification basée sur des critères paléontologiques, sous
forme de tableau. Bien qu'il ne s'agisse pas de phylogénie, il
mêlait espèces actuelles et fossiles connus dans les mêmes
groupes. Ainsi, par exemple, l'Archéoptéryx est dans la classe
des oiseaux, l'ichtyosaure dans un ordre de reptiles, la
lamproie et même l'Amphioxus sont dans la classe des
poissons, la limule est un crustacé, les brachiopodes sont
dans l'ancienne classe des molluscoïdes avec les bryozoaires.
J.Huxley, partisan d'une évolution progressive, présenta un
— 249 —
autre arbre avec Wells H.G. et Wells G.P. (dans Hurst, 1932,
p.324) : plus discutable, cet arbre en Y apparaît curieusement
comme orthogénétique et anthropocentrique, l'Homme
représentant le terme de l'évolution actuelle. Pourtant Cuénot
se réfère à la ressemblance notable avec le sien. (Essai d'arbre
généalogique du règne animal, 1940, p.198). Il y avait aussi à
cette époque celui du zoologiste belge Auguste Lameere qui
semble différent de celui de Cuénot (ibid.).
Le néo-darwinisme* ne s'organisa vraiment qu'à partir
de l'ouvrage majeur de Julian Huxley en 1942, en intégrant
génétique, écologie et paléontologie. L'arbre néo-darwinien
évolutionniste type, dont celui de Cuénot est un exemple,
représentait l'évolution en marche, avec des ancêtres et leurs
descendants. De chaque lignée ancestrale est issue une autre
lignée et ainsi de suite : soit l'arbre s'inscrivait dans le temps
avec les groupes plus anciens sur le tronc et des groupes à la
base (noeuds) et à l'extrémité des branches (feuilles), soit il
privilégiait les modifications, présentant alors des sections de
branche (Tassy, 1998, p.91-102). La phylogénie de Mayr et
Simpson, deux artisans du néodarwinisme, était
essentiellement basée sur la paléontologie, toute espèce
fossile étant considérée comme potentiellement l'ancêtre
d'une autre ou d'une espèce actuelle : c'est une relation
d'ancêtre à descendant. Dans la phylogénie de Simpson —
arborescences en bulles comme dans l'Evolution et sa
signification (Simpson, 1951, p.65) — il y a la notion de
groupe ancestral. Or, un groupe A n'est jamais l'ancêtre d'un
groupe B, c'est une espèce du groupe A qui a donné le groupe
B. Le paléontologue Romer (1884-1973) représentait aussi,
au point de branchement entre deux groupes, un ancêtre
identifié à un ancêtre connu.
On est ensuite passé d'une logique “qui descend de
qui ?” (la généalogie) à 'qui est plus proche de qui ?” (la
— 250 —
phylogénie). L'entomologiste allemand William Hennig
conçut la cladistique depuis la fin des années 1930 jusque
dans les années 1960, mais elle resta ignorée jusqu'au milieu
des années 1970. Il fallut attendre encore quinze ans avant
que ce modèle de classification ne soit reconnu par tous. La
cladistique consiste à rapprocher les êtres vivants d'après leur
degré de parenté. On recherche le degré d'ancienneté dans
l'ascendance commune. On réalise ainsi des cladogrammes.
Lorsque plusieurs hypothèses se présentent pour
l'établissement du cladogramme, l'hypothèse la plus
économique sera retenue, c’est-à-dire celle qui demande le
minimum d’hypothèses de transformation des caractères. Si
le caractère est un phénomène de convergence, comme par
exemple dans l'aile de l'oiseau et de la chauve-souris, on parle
de groupe polyphylétique, parce que l'aile n'est pas héritée
d'un ancêtre commun. Si le caractère est primitif comme par
exemple les cinq doigts de la main de l'Homme et de la
tortue, on parle de groupe paraphylétique. Enfin si le
caractère peut être hérité d'un ancêtre commun comme la
dent carnassière des chats et des chiens, on parle alors de
groupe monophylétique.
Ainsi la cladistique de Hennig a éclaté les classiques
gnatosthomes — animaux à mâchoires — des agnathes —
sans mâchoire, qui regroupaient traditionnellement les
lamproies et les myxines. En réalité les lamproies sont plus
proches parents des gnathostomes car ils possèdent en
commun des caractères évolués comme des canaux
semi-circulaires dans l'oreille interne. L'ancienne classe des
reptiles regroupait tortues, lézards, crocodiles et serpents. En
réalité cette classe est paraphylétique avec : les tortues, les
lépidosauriens avec lézards et serpents, et les archosauriens
avec oiseaux et crocodiles.
— 251 —
2.
Les
prémisses
phylogénétique
d'une
reconstitution
Dans un article de 1892, intitulé "Les ancêtres et le
développement de l'individu", écrit à 26 ans alors qu'il était
jeune chargé de cours complémentaires de zoologie à Nancy,
Cuénot faisait allusion à cette entreprise qu'il accomplira
quelques 48 ans plus tard. Il est vrai qu'il avait déjà fait ses
armes avec le groupes des échinodermes : “ Parmi les
nombreuses voies nouvelles ouvertes dans les sciences
biologiques, l’une des plus intéressantes est certes la
reconstitution de l'arbre généalogique des êtres, qui permettra
seule de donner une base solide aux classifications et aux
comparaisons morphologiques. C'est une œuvre gigantesque,
qui restera probablement toujours inachevée, mais qu'il est
permis d'entreprendre : bien qu'il n'y ait guère que trente ans
qu'on y travaille […], on entrevoit vaguement le tracé touffu
de l'arbre généalogique ” (Cuénot, 1892, p.326.) S'il semble à
cette époque acquis à la loi biogénétique fondamentale de
Haeckel*, il entendait lutter contre ses abus : “ Il faut
absolument la restreindre aux organes pris isolément ” (ibid.,
p.329) et cesser de l'appliquer à l'espèce toute entière. La
paléontologie forcément parcellaire et “ très douteuse pour
les datations ” doit aussi être maniée avec prudence. Des trois
sources de la reconstitution phylogénétique — l'anatomie
comparée, l'ontogénie, la paléontologie, il préférait, en ancien
élève de Lacaze-Duthiers, l'organogénie et l'anatomie
comparée. C'est cette méthode qu'il utilisa pour reconstituer
son premier arbre généalogique, celui des échinodermes
(ibid., p.331). Cuénot fut avant tout un zoologiste, mais il sut,
de par son intérêt pour l'évolution, intégrer les données
paléontologiques les plus modernes : son arbre en témoigne
— 252 —
puisqu'il n'a pas hésité à y placer quelques grands groupes
fossiles.
3. L'avènement : 1938-1940
En 1938, dans le Bulletin de la Société des sciences
de Nancy, il présenta les grands concepts-clés de son arbre ;
il le dessina lui-même en 1936 mais il ne fut pas publié.
L'arbre est présenté en séance de l'Académie de sciences en
novembre et décembre 1939. “ L'arbre généalogique […]
correspond aux idées que je me suis faites au cours d'un
enseignement de la zoologie pendant près d'un demi-siècle ”
(Cuénot, Un essai d'arbre., 1940, séance de l'Académie du 29
janvier, p.197). “ Cet arbre généalogique […] n'a nullement
la prétention d'être définitif ; l'avenir le précisera, le
modifiera ; des groupes changeront de point d'insertion,
d'autres seront divisés pour raison de polyphylétisme. Mais
tel qu'il est, je crois qu'il donne une idée assez exacte de nos
connaissances sur la phylogénie du Règne animal ” (ibid.,
p.228). Selon Cuénot, “ Il y a un accord à peu près général
pour représenter graphiquement la succession des êtres par un
arbre très ramifié, ou mieux, par un buisson, qui s'élève
depuis le début de la Vie jusqu'à l'époque actuelle. Le point
de départ de chaque ramification est un ancêtre synthétique
[…].. On admet comme très probable qu'il y a un ancêtre
commun, c’est-à-dire une espèce réelle ancestrale […]. Tous
les groupes d'un même embranchement naturel […] qui sont
certainement apparentés, ne peuvent l'être que par la base ; à
partir du moment où ils sont différenciés, leur évolution est
indépendante […]. C'est une conception très différente de
celle des premiers transformistes (Haeckel par exemple), qui
se représentaient les liaisons phylétiques comme une ligne
— 253 —
droite ou peu ramifiée portant les groupes successifs […]. Il y
a une tendance générale à rejeter vers la base la parenté entre
groupes certainement alliés ”. On notera qu'il n'y a pas
d'idée d'orthogenèse, de direction évolutive vers un
hypothétique
perfectionnement
mais
vers
une
complexification — la métamérisation, le passage à la vie
terrestre — et une plus grande spécialisation. “ L'évolution
cladique est terminée […], aucun nouveau type structural
n'est apparu ” (ibid., p.229).
En 1938, iI introduisit le symbole de “ groupe nodal, sorte de
foyer évolutif […]. Ainsi il n'est pas invraisemblable que les
Cystidés paléozoïques aient été la souche des Etoiles de mer,
des Crinoïdes, des Oursins et des Holothuries ” (Cuénot,
1938, Présentation d'un arbre., p5 ; 1940, Un essai d'arbre.,
p.226). Les feuilles sont appelées clades (du terme grec qui
signifie branche), terme qu'il préfère à ceux
d'embranchement, de phylum “ qui ont trop prêté à confusion
”, mais qu'il ne revendique pas car “ déjà employé par
Kükenthal (Handbuch der Zoologie) ” et utilisé par Haeckel
en 1888 (Cuénot, 1940, Remarques sur un essai., p.23 ; Un
essai d'arbre., p.225). L'ancêtre commun — appelé archétype
dans l'Evolution biologique (Cuénot, L'évolution., manuscrit,
p.18) — est toujours supposé, “ Les espèces fondatrices
synthétiques dont très généralement inconnues[…] car les
groupes spécialisés ont dû le faire très rapidement ” (Cuénot,
1940, ibid.). Cuénot, qui avouait ne connaître “ ni la branche,
ni le point d'attache, ni même la base du pétiole ”, refusait
l'idée de généalogie et ne plaçant pas de nom sur les troncs. Il
avançait l'idée selon laquelle ces espèces étaient de petites
tailles, sans aucun squelette, ou comptaient peu d'individus.
Imaginer des formes intermédiaires serait de la zoologie
imaginaire, spéculative ; il est impossible de faire dériver un
— 254 —
clade actuel d'un autre type de clade actuel. (Cuénot, 1938,
Présentation., p.5 ; 1940, Un essai d'arbre., p 226)
Il introduit enfin une notion de “ distance
phylogénétique ” : “ les points d'insertion sur l'axe sont
séparés par des intervalles plus ou moins grands qui
correspondent symboliquement au degré d'affinité des types
de structure successifs ” (Cuénot, Un essai d'arbre., p.225).
Par exemple Ectoproctes et Brachiopodes, Amphioxus et
Vertébrés sont étroitement apparentés, Echinodermes et
Balanoglosses ont une lointaine parenté.
Du fait de l'absence de formes intermédiaires, Cuénot
voyait deux problèmes en suspens : la relation de
descendance et les rapports de parenté (Cuénot, 1940, Un
essai d'arbre.) : c'est ce que William Hennig résoudra avec
son nouveau modèle de classification, la cladistique.
4. Analyse de l'arbre de Cuénot a la lumière de la
phylogénie actuelle (Lecointre et Le Guyader, 2001 ;
Maddison, D.R. and W. P. Maddison. 1998, Source Internet :
The Tree of Life ; Beaumont et Cassier, 1998)
-Nous disposons de trois représentations différentes
de son arbre :
- Une représentation unique datée de 1936, dessinée en
couleur à laquelle on peut rapporter la publication parue dans
le Bulletin de la Société des sciences de Nancy intitulée
"Présentation d'un arbre généalogique du Règne animal" : “
J'ai rendu les rapports et les ordres de succession des
différents groupes en colorant en jaune ce qui n'est qu'à l'état
fossile, et en vert ce qui fait partie de la faune actuelle, sans
chercher à introduire de concordance stratigraphique, souvent
impossible à préciser. J'ai voulu aussi rendre évident un
— 255 —
phénomène capital de l'évolution, le passage de la vie
aquatique à la vie terrestre ” (Cuénot, 1938, Présentation.,
p.3).
- "Un essai d'arbre généalogique du règne animal" paraît en
avril 1940 dans la Revue scientifique à la suite de deux
publications dans les Comptes rendus de l'Académie des
sciences en 1939 et 1940 ("Principe pour l'établissement d'un
arbre généalogique du règne animal" et "Remarque sur un
essai d'arbre généalogique du règne animal"). Cet arbre allait
être reproduit dans l'encyclopédie de la Pléiade en 1963
(Tassy et Barriel, 1995).
- Enfin une imposante maquette, exposée pendant des
décennies au Palais de la découverte à Paris et réalisée par
Marcel Guillard, intitulée "Arbre généalogique de L.Cuénot".
Curieusement, ces trois versions sont différentes l'une de
l'autre. L'analyse portera sur la plus vraisemblable, celle
parue dans la Revue scientifique. En effet dans la maquette,
certains clades sont curieusement placés et la responsabilité
de Cuénot peut être écartée, compte tenu de ses écrits
précédents.
Les noms des clades employés par Cuénot seront indiqués en
italique.
L'arbre de la Revue scientifique (1940)
 La base et le pied de l'Y
Aujourd'hui on distingue à la base du vivant trois
grands phylums : les eubactéries à structure procaryote,
c'est-à-dire sans noyau individualisé, les archées, organismes
peuplant les milieux extrêmes et les eucaryotes, l'immense
groupe des organismes unicellulaires ou pluricellulaires allant
du sapin à la baleine en passant par la paramécie. Les virus
sont exclus du vivant car incapables de se reproduire par
eux-mêmes.
— 256 —
Les eucaryotes comprennent principalement :
- La lignée verte qui donne les algues rouges et les
chlorobiontes (algues vertes et plantes terrestres),
- Les opistochontes qui donnent les champignons et les
choano-organismes (choanoflagellés et métazoaires),
- La lignée brune (algues brunes),
- Les alvéolobiontes avec les ciliés, dinophytes et
apicomplexés (sporozoaires et hématozoaires),
- Les parabasaliens (Trichomonas),
- Les métamonadines (Giardia),
- Les mycétozoaires (Myxomycètes, Entomoebia ),
- Les actinipodes (radiolaires, héliozoaires, acanthaires).
- Les foraminifères,
- Les euglénobiontes (Euglena, Trypanosomas),
- Les rhizopodes (Amoeba..).
Cuénot plaçait à la racine de l'arbre qu'il appelait la
base de l'Y, les Bactéries et les Protistes desquels il faisait
dériver, sur le pied de l'Y, le clade des Protozoaires, ainsi
que les branches végétales, Champignons et Végétaux verts.
Il plaçait, dans les protozoaires, les clades suivants :
- Les Flagellés, désormais éclatés en euglénobiontes,
parabasaliens, métamonadines,
- Les Sporozoaires, parasites, représentés par les grégarines,
les coccidies (Eimeria, Plasmodium) et les sarcosporidies,
désormais dans les apicomplexés,
- Les Rhizopodes sont éclatés en rhizopodes, foraminifères,
actinopodes (radiolaires, héliozoaires, acanthaires),
- Les Infusoires (ciliés, avec les paramécies, vorticelles...)
constituent toujours un groupe mais frère des apicomplexés.
Quant à l'origine bactérienne des végétaux verts et des
champignons, elle est bien évidemment invalidée : végétaux
— 257 —
verts et champignons sont des groupes polyphylétiques, les
champignons ne sont plus considérés comme des végétaux.
Cuénot distinguait un premier événement biologique
au niveau du tronc principal, à savoir l'association cellulaire
qui donne naissance au premier Métazoaire avec les
Spongiaires. On peut considérer que le tronc principal
représente les diploblastiques avec, à la base, les groupes
désormais polyphylétiques des spongiaires et les
eumétazoaires cnidaires et cténophores. Les spongiaires
pophylétiques comportent les desmosponges, les éponges
hexactinellides et les éponges calcaires. Il plaçait ensuite le
rameau des Cténophores (terme en vigueur actuellement) à
droite, juste avant la grande bifurcation vers les
protostomiens : en cela il mettait bien en évidence l'origine
problématique des cténophores que certains apparentent aux
plathelminthes. Actuellement la phylogénie moléculaire
considère les cténophores comme le groupe frère des
cnidaires, recréant l'ancien groupe des cœlentérés. Les
Cnidaires, effectivement monophylétiques, apparaissent sous
l'embranchement des deutérostomiens, à gauche. Il s'en
détache trois feuilles : d'une part, hydrozoaires (hydres, avec
alternance des phases polypes/méduses) et acalèphes
(schyphozoaires, avec prépondérance de la phase méduse), et,
de l'autre, anthozoaires (coraux, anémones, avec passage
direct au type polype) ; les hydrozoaires sont les moins
évolués (absence de pharynx, symétrie tétraradiée).
 La bifurcation de l'Y
La bifurcation de l'Y marquait, pour Cuénot, “ la
transformation de l'état coelenthérique à l'état cœlomate ”
(Cuénot, 1940, Un essai;, p.198), ce qui est vrai si l'on
considère que l'état pseudocœlomate et acœlomate est une
— 258 —
régression de l'état cœlomate. Sur la branche de droite qui
correspond aux protostomiens, il plaçait les clades des
Platodes,
Dicyémides-Orthonectides,
Némertes,
Acanthocéphales,
Nématodes-Gastérotriches,
Echinodères-Gordiacés, Rotifères, Entoproctes, Ectoproctes,
Brachiopodes, Chétognathes, Phoronidiens, Sipunculiens,
Echiuriens,
Priapuliens,
Mollusques,
Annélides,
Onychophores, Linguatulides, Tardigrades, Arthropodes. Sur
la branche de gauche qui correspond aux deutérostomiens, il
plaçait les Echinodermes, Ptérobranches et Balanoglosses,
Tuniciers et l'Amphioxus puis enfin les Vertébrés. Il
n'employa jamais les termes de protostomiens et
deutérostomiens, mais proposait les termes respectifs
d'épineuriens pour les balanoglosses, tuniciers et vertébrés
(centres nerveux au-dessus du tube digestif) pour la branche
deutérostomienne et d'hyponeuriens (chaîne nerveuse
ventrale située sous le tube digestif) pour la branche
protostomienne. Cette distinction est en partie vraie
seulement car les échinodermes sont des deutérostomiens
épithélioneuriens chez qui le système nerveux est
imparfaitement détaché de l'ectoderme, les épineuriens
correspondent seulement aux chordés. La distinction des
deux branches ne reposait pas selon lui sur ce seul critère :
ses autres critères sont néanmoins subjectifs ou incomplets
puisqu'ils font appel au mode de vie (parasitisme), la
tendance à un exo/endosquelette, la présence de
chromocyanine. A ce sujet, Albert Vandel lui avait écrit
(Correspondance, 15 février 1940) : s'il était en plein accord
avec sa phylogénie, il lui faisait remarquer que “ les deux
grandes branches de l'Y correspondaient très exactement à ce
que Grobben a désigné sous les noms de Deuterostomia et de
Protostomia. […]. Ces termes, tant en raison des lois de
priorité que de la valeur des caractères qu'ils rappellent me
— 259 —
paraissent devoir être conservés pour désigner les deux
branches de cette bifurcation essentielle du règne animal ”.
Cuénot corrigea à la main cet oubli fâcheux — référence
bibliographique à la clé — sur son exemplaire d'essai d'arbre
généalogique de 1940.
 La branche droite de l'Y
Cuénot y plaça successivement ce que l'on appellera
plus tard des acœlomates (Plathelminthes et Némertes,
Orthonectides et Dicyémides), les pseudocœlomates
(Acanthocéphales,
Rotifères,
l'ensemble
{Echinodères-Gordiacés}
appelé
kinorhynques,
Gastérotriches, Nématodes, Endoproctes) et enfin des
cœlomates (Ectoproctes, Brachiopodes, Phoronidiens,
Mollusques, Annélides, Echiuriens et Sipunculiens,
Priapuliens — pseudocœlomates ou cœlomates selon les
auteurs — Pentastomides, Tardigrades, Onychophores et
Arthropodes). Cependant il n'utilisait pas cette terminologie.
Depuis Cuénot, de nouveaux groupes protostomiens ont été
découverts :
- Les pogonophores et les vestimentifères découverts dans les
sources thermales des grands fonds marins, considérés un
temps comme des phylums à part et qui seraient des
annélides polychètes dérivés,
- Les loricifères découverts en 1983, groupe frère des
priapuliens et de kinorhynques,
- Les céphalocaridés, pancrustacés découverts en 1955,
- Les rémipèdes, pancrustacés cavernicoles découverts en
1975.
A son époque, certains groupes sont incertains : Dicyémides,
Orthonectides, Nématodes et Chétognathes. Pour les groupes
à affinité incertaine, Cuénot choisit de ne pas les rattacher
précisément à l'arbre.
— 260 —
- Ainsi le clade des Chétognathes paraît dériver des
Brachiopodes, mais il n'en est rien, en réalité il 'flotte'— sa
position
phylogénétique
reste
d'ailleurs
toujours
problématique.
- Il rattachait les clades des Orthonectides (découverts par
Giard en 1877) et des Dicyémides, parasites des
céphalopodes, au groupe nodal des Platodes ; aujourd'hui
réunis dans le groupe polyphylétique des mésozoaires, il reste
problématique. On a pensé qu'ils représenteraient un stade
intermédiaire entre protozoaires et métazoaires. Malgré
l'incertitude, ils ne doivent plus être considérés comme des
métazoaires.
- Du groupe nodal monophylétique des Platodes, on doit
retirer les Orthonectides-Dicyémides : Turbellariés,
Cestodes, Trématodes.
- Némertes.
- Acanthocéphales : parasites d'arthropodes, groupe frère des
rotifères (lophotrocozoaires) devenus parasites.
- Echinodères-Gordiacés : groupe réuni sous le nom de
kinorhynques, désormais considéré comme groupe frère des
loricifères et priapuliens (cuticulates ecdysozoaires
introvertés céphalorhynques).
Nématodes-Gastérotriches
:
les
Gastérotriches
(gastrotriches), animaux marins vivants dans le sable, sont
rangés dans les cuticulates. Il n'est pas justifié de les placer
près des nématodes qui sont des cuticulates ecdysozoaires
introvertés (libres mais surtout parasites).
- Rotifères : lophotrocozoaires, à placer près des
acanthocéphales.
- Ectoproctes = bryozoaires (lophotrocozoaires) ; Cuénot les
a bien placés car ils sont 'proches' des Brachiopodes et
Phoronidiens.
- Chétognathes (voir plus haut).
— 261 —
- Sipunculiens
: ce sont des vers marins autrefois réunis dans
les Géphyriens avec les Echiuriens et les Priapuliens. Cuénot
tint compte du caractère polyphylétique de cet ancien
regroupement et plaça correctement les Sipunculiens,
actuellement dans les spiraliens avec les mollusques et les
annélides.
- Le groupe nodal des Mollusques est un groupe
monophylétique :
- Les Amphineures correspondent aux anciens
aplacophores (solénogastres et caudofovéates),
polyplacophores (chitons) et monoplacophores : ils
sont désormais polyphylétiques ;
- Les Solénogastes ;
- Les Bivalves ;
- Les Gastéropodes ;
- Les Céphalopodes.
Cuénot n'a pas distingué les scaphopodes (solénoconques),
groupe frère des bivalves.
- Echiuriens : ces sortes de vers marins font désormais partie
des annélides.
- Priapuliens : ils font désormais partie des céphalorhynques
avec les loricifères et les kinorhynques.
- Annélides : les Polychètes sont considérés comme
paraphylétiques; les Oligochètes, représentés pour une part
sortant de l'eau (lombrics) avec les Hirudinées, sont
considérés comme des groupes monophylétiques et sont donc
bien placés.
- Les Onychophores appelés aussi péripates sont terrestres ;
ils possèdent des caractères entre arthropodes et annélides.
Rattachés après Cuénot à l'embranchement des
pararthropodes avec les pentastomides et les tardigrades, ils
font partie désormais des panarthropodes, avec les
tardigrades et les euarthropodes.
— 262 —
- Cuénot ne rattacha pas le phylum des Linguatulides au tronc
ou à une feuille : appelés aussi pentastomides, ils renferment
des parasites de vertébrés, placées désormais dans les
maxillopodes à l'intérieur des pancrustacés. Mais ce groupe
des
maxillopodes
n'est
vraisemblablement
pas
monophylétique
(cirripèdes,
copépodes,
ostracodes,
mystacocarides, tantulocarides, branchioures, pentastomides).
- Les classiques Arthropodes sont appelés désormais
euarthropodes, groupe monophylétique inclus dans les
arthropodes comprenant en outre les groupes fossiles,
s'incluant lui-même dans les panarthropodes.
- Les Trilobites sont un taxon des euarthropodes et
auraient dû être placés plus bas sur le tronc.
- Du groupe nodal des Arthropodes, Cuénot fit partir
vers la terre le groupe nodal des Chélicérés (arachnides),
laissant les Pycnogonides, et les Mérostomes (limules) sous
l'eau. Les pycnogonides sont effectivement proches des
chélicérates dont font partie les mérostomes et les arachnides.
Emergent
les
Scorpionides
(scorpions),
Pseudoscorpions, Palpigrades, Solifuges, Pédipalpes
(uropyges), trois groupes tropicaux, Aranéides, Phalangides
(opilions (arachnides) et Acariens. Aujourd'hui on
'rapprocherait'
opilions,
scorpionides,
et
pseudoscorpions-solifuges ainsi que palpigrades et araignées
uropyges-amblypyges et acariens mais les acariens ne
dérivent pas des araignées.
- Le groupe nodal des Crustacés de Cuénot comprend les
Phyllopodes,
Copépodes,
Ostracodes,
Cirripèdes,
Leptostracés,
Mysidacés,
Isopodes,
Amphipodes,
Stomatopodes, et Décapodes. Ce groupe des crustacés est
aujourd'hui considéré comme polyphylétique : les
pancrustacés renferment principalement les maxillopodes, les
branchiopodes, les malacostracés et le hexapodes.
— 263 —
- Les phyllopodes (branchiopodes type Artemia) sont
très anciens.
- Les Copépodes, Cirripèdes, Ostracodes font partie
des maxillopodes avec les mystacocarides,
tantulocarides, branchioures, pentastomides.
Les
Leptostracés,
Mysidacés,
Isopodes,
Amphipodes, Stomatopodes, et Décapodes sont des
malacostracés (crustacés supérieurs).
- Cuénot n'a pas singularisé le clade des myriapodes.
Aujourd'hui les myriapodes font partie des mandibulates avec
les pancrustacés. Longtemps considérés comme faisant partie
des insectes, ces deux groupes sont en réalité
polyphylétiques. En outre il n'est pas certain que les
myriapodes soient monophylétiques. Cuénot a mis à part les
Chilopodes d'avec les autres myriapodes (Diplopodes,
Pauropodes, Symphiles) et laisse entendre que les Insectes
pourraient provenir des Symphiles.
- L'énorme phylum monophylétique des Insectes (Hexapodes)
est représenté comme affranchi de l'eau même si certains y
sont retournés (dytiques, nèpes et notonectes). Il comprend
les aptérygotes Collemboles, Protoures, Diploures,
Thysanoures. Les insectes ailés (ptérygotes) comprennent les
Odonates , Ephémères, Blattes, Termites, Mantides (mantes),
Sauteurs (grillons, sauterelles...), Phasmes, Forficules,
Coléoptères, Perlides, Psocides, Poux, Homoptères,
Hétéroptères,
Hémérobiides,
Panorpides,
Siallides,
Phryganes, Lépidoptères, Diptères et Hyménoptères.
 La branche gauche de l'Y
Equivalent des deutérostomiens, Cuénot y plaçait
successivement les Echinodermes, les petits clades des
Ptérobranches et des Balanoglosses, les Tuniciers et
l'Amphioxus et finalement les Vertébrés avec les Mammifères
— 264 —
et les Reptiles qui sortent de l'eau et acquièrent un amnios.
Cuénot n'a pu profiter de la découverte du seul actinistien
vivant à savoir le cœlacanthe, mais le groupe reste
problématique : on peut le placer dans les sarcoptérygiens,
comme groupe frère du clade des{dipneustes-tétrapodes}.
- Le groupe nodal des Echinodermes est aujourd'hui classé en
deux groupes :
- Pelmatozoaires : Crinoïdes actuels et les formes
fossiles comme les Blastoïdes et les Cystidés ou
Cystoides ;
- Eleuthérozoaires : Astérides, Echinides, Ophiures
et Holothuries, ainsi qu'une récente classe, les
concentricycloïdes.
Les cystidés peuvent être considérés comme peut-être à
l'origine des autres formes d'échinodermes. (Beaumont et
Cassier, 1998). La monophylie des crinoïdes, astérides,
ophiurides, échinides et holothurides semble certaine. Les
classes des échinides et holothurides sont considérées comme
des groupes frères. La question n'est pas résolue pour les
astérides et ophiurides et le débat, ouvert depuis 1900, n'est
toujours pas tranché malgré les résultats de phylogénie
moléculaire (source Internet, 2001, Tree of Life).
- Les Ptérobranches et les entéropneustes (Balanoglosses)
peuvent être classés dans les hémicordés. Mais leur
monophylétisme a été remis en question. Les entéropneustes
possèdent des fentes branchiales, comme les cordés, que
n'ont pas les ptérobranches. Certains y voient une paraphylie
avec les ptérobranches puis les entéropneustes comme
premiers groupes des deutérostomiens à symétrie bilatérale
qui serait alors secondairement acquise.
- Les Tuniciers (appelés aussi Urocordés) ont une corde
seulement dans la queue. L'Amphioxus (céphalocordés)
possède une chorde qui se prolonge vers l'avant de la bouche
— 265 —
: il est regroupé avec les crâniates dans les myomérozoaires.
Il est donc mal placé dans l'arbre de Cuénot.
- Les Vertébrés commencent par le groupe nodal des
Poissons duquel dérivent les Agnathes, les Actinoptérygiens,
les Elasmobranches, les Urodèles et les Anoures.
- Les Agnathes qui réunissaient lamproies et myxines
(mal connues) sont en réalité paraphylétiques : les
cyclostomes ont été séparés et les myxinoïdes deviennent
groupe frère des vertébrés à l'intérieur des crâniates alors que
les lamproies font partie des vertébrés, devenant groupe frère
des gnathostomes.
- Le phylum des Poissons est polyphylétique et les
Elasmobranches (sélaciens ou chondrychtiens) ne dérivent
pas des poissons mais sont groupe frère des Osteichtyens qui
eux-mêmes
comprennent
les
sarcoptérygiens
et
actinoptérygiens.
- Les Actinoptérygiens ont été revus dans les années
1950 : ils comprennent quatre lignées reliques dont les
polyptères (anciennement Crossoptérygiens) et les
chondrostéens ainsi que les téléostéens qui représentent les
poissons actuels.
- Cuénot fait dériver les Urodèles (Amphibiens) des
Dipneustes et les Tétrapodes des Crossoptérygiens. Les
Crossoptérygiens de Cuénot devaient sans doute comprendre
— mis à part le cœlacanthe qu'il ne connaissait pas encore —
les formes fossiles (rhydipistiens), mais certains y plaçaient
aussi les polyptères, survivants d'actinoptérygiens anciens
possédant des poumons à l'état adulte. Cette distinction est
basée sur le supposé diphylétisme des batraciens. Aujourd'hui
on pense qu'à la base des Tétrapodes, donc des premiers
amphibiens, il y aurait un ancêtre voisin des rhidipistiens.
Urodèles et Anoures, considérés à son époque comme
diphylétiques, représentent les batraciens qui, avec les
— 266 —
gymnophiones, forment les lissamphibiens, groupe frère des
amniotes. Cuénot n'a fait émerger un peu de l'eau que les
Anoures, les Urodèles étant très sensibles à l'absence d'eau.
- Le groupe nodal des Reptiles (sauropsides)
comprend:
• Les Chéloniens (tortues).
• Les groupes fossiles marins Sauroptérygiens et
Ichtyosauriens qui, avec les Rhyncocéphales
(sphénodontiens), entrent dans le clade des
lépidosauriens (les Lépidosauriens de Cuénot
correspondent juste aux squamates-lézards et serpents).
•Les Crocodiliens doivent être rattachés aux oiseaux et
aux dinosaures-ptérosaures (archosauriens).
• Les Oiseaux émergent du groupe des Dinosaures qui
comprend deux lignées (ornithischiens et saurischiens),
qui dérivent tous des thécodontes.
• Les Cynodontes, représentant un groupe de reptiles
mammaliens, émergent enfin les Mammifères.
Aujourd'hui, on s'accorde bien pour placer un groupe
de cynodontes du Trias comme plus proche groupe
frère des mammifères, bien que les premiers reptiles
mammaliens remontent au carbonifère supérieur
(groupe des synapsides).
- Les Mammifères commencent avec les aplacentaires,
Monotrèmes et Marsupiaux, les euthériens ne sont pas
détaillés — seul Homo est indiqué ; les Cétacés s'en
échappent uniquement pour leur retour à l'eau. Il a placé à
droite les ongulés et à gauche les insectivores, rongeurs,
carnivores et primates. Aujourd'hui, l'accumulation des
données sur les mammifères a rendu la situation de ce groupe
complexe. Ainsi les cétacés sont devenus groupe frère des
hippopotamidés (donc à droite).
— 267 —
La version de 1936 (ne sont indiqués que les variations par
rapport au modèle de 1940)
 Branche droite de l'Y
- Les Priapuliens sont placés différemment : ils 'flottent', près
des Acantocéphales.
- Un clade de Némertes et un clade de Turbellariés montent à
l'air libre.
- Cuénot a correctement utilisé le terme de Kinorhynques
pour les Echinodères-Gordiacés ; la place qu'il leur a
assignée est assez correcte puisque les Kinorhynques sont des
céphalorhynques,
groupe frère des nématozoaires
(nématodes).
- Les Gastérotriches sont placés, incorrectement, à la base
des Rotifères.
- Depuis les Mollusques Gastéropodes, il fait monter un clade
à l'air libre (escargots...).
- Les Pycnogonides se détachent plus bas des Chélicères, et
les Mérostomes sont le groupe souche des Chélicérés.
- Il y a un clade supplémentaire de Crustacés : les
Syncarides. Un groupe d'Isopodes monte à l'air libre
(cloportes...).
- Cuénot a représenté de manière polyphylétique les
Pauropodes, Chilopodes, Diplopodes et Symphiles
(myriapodes), ce qui peut être correct comme on l'a vu
précédemment.
- A la base des Insectes, le groupe souche des Aptylotes
(aptérygotes) qui correspond aux Collemboles, Diploures,
Protoures, Thysanoures ; deux clades retournent à l'eau,
Coléoptères (dytiques) et Hétéroptères (nèpes, notonectes...).
 Branche gauche de l'Y
- A la place des Ptérobranches, c'est l'espèce Rhabdopleura.
— 268 —
- A la place de l'espèce Balanoglosse, ce sont les
Entéropneustes.
- A la place des Agnathes, ce sont les Cyclostomes.
- Les Urodèles émergent de l'eau ; ils sont ici le “ groupe
nodal ” des Reptiles.
- Un groupe de Lépidosauriens retourne à l'eau (iguanes). Le
“ groupe nodal ” des Reptiles est Pseudosuchia.
- Les Oiseaux n'émergent pas des Dinosaures.
- Les Siréniens, en plus des Cétacés, depuis les Mammifères,
retournent à l'eau.
Maquette du Palais de la découverte
- La branche des végétaux verts se scinde en deux plus loin.
- Des Némertes retournent à l'eau, des Gastéropodes
(escargots) montent à l'air libre ainsi qu'un groupe d'isopodes
(cloportes).
- Il n'y a pas de Symphiles (myriapodes).
- Il n'y a pas de Blastoïdes dans les Echinodermes.
- A partir des Vertébrés, le terme Poissons est curieusement
placé, à la base des Elasmobranches, et les Polyptères sont
placés tout en haut, alors qu'ils devraient être près des
Actinoptérygiens. Les Dipneustes apparaissent ici groupe
frère des actinopétrygiens, ce qui est correct tout comme le
fait d'avoir sortir les polyptères.
- Présence d'un groupe fossile, les Stégocéphales, qui
voisinent avec les Anoures.
- Deux groupes de Lépidosauriens retournent à l'eau.
- Pas de Sauroptérygien, un plésiosaure remplace le clade des
Ichtyosauriens.
- Un “ groupe nodal ” (?) apparaît à la base des Oiseaux.
- Curieusement un clade représentant un Ichtyosaure apparaît
juste avant les Monotrèmes, qui sont eux-mêmes détachés des
Mammifères.
— 269 —
- Dans le clade des Mammifères, Homo apparaît ici au
sommet ce qui n'est pas le cas des deux autres arbres. Les
marsupiaux s'échappent sans doute un peu trop tôt des
euthériens.
5. Critique et conclusion
Cuénot réalisa là une entreprise vénérable que peu
tentèrent, d'autant plus vénérable qu'elle est l'œuvre d'un seul
homme, arrivé au terme d'une vie d'observation, d'étude,
d'enseignement, de recherche (il avait 72 ans en 1938).
Cependant deux remarques importantes s'imposent quant à la
relecture de l'arbre de Cuénot (Tassy et Barriel, 1995) :
- Le concept de “ groupe nodal ” n'a plus cours depuis
l'avènement de la cladistique : “ les ancêtres métaphoriques
sont en voie de régression ” . S'il était fréquent à l'époque —
présent chez Haeckel, on le retrouvera plus tard encore chez
Simpson (1951), Mayr (1974) ou Romer (1966) — la
phylogénie actuelle s'est débarrassée de cet encombrant et
problématique concept.
- Le concept de “ clade ” est habituellement relié à Huxley
(1957) mais il est clair que l'utilisation qu'en fait Cuénot,
reposant bien sur la notion de groupe monophylétique, est un
argument pour lui restituer l'antériorité. “ De même qu'une
feuille d'un arbre ne dérive pas d'une autre feuille, il est
impossible de faire provenir un type de structure actuel d'un
autre type actuel ”.
La comparaison des trois arbres fait place à deux
interrogations :
- Mises à part les remarques de détail, certains clades comme
les ichtyosaures, les polyptères ou les monotrèmes ont été
— 270 —
curieusement placés sur la maquette et on ne peut imputer
cette disposition à Cuénot.
- La version de 1936 paraît plus complète que celle de 1940,
notamment avec les groupes qui vont vers l'eau.
On peut regretter l'insuffisance des arguments
d'anatomie comparée, d'ontogénétique et de paléontologie
pour comprendre véritablement l'arbre : homologies —
similitude héritée d'un ancêtre commun — et
synapomorphies — innovation du groupe léguée par un
ancêtre hypothétique à la totalité de ses descendants. Les
publications sont extrêmement généralistes, il n'y a aucun
détail concernant les positions et les liens entre les clades.
Cependant il reflète bien les connaissances de l'époque. Si
l'on met à part les petits groupes découverts depuis les années
1950, les quelques petits groupes mal positionnés ou
énigmatiques (Acanthocéphales, Chétognates, Lingatulides,
Chilopodes, Amphioxus...) et les erreurs de l'époque dues à la
démarche qui voulait à tout prix rechercher les ancêtres et
non les homologies — comme la diphélie des
Anoures-Urodèles — l'arbre de Cuénot peut être considéré
comme un exercice admirable d'arbre phylogénétique au sens
classique du terme. La cladistique a fait depuis éclater de
nombreux groupes comme il a été vu plus haut, et plusieurs
groupes restent encore problématiques, malgré les apports de
la phylogénie moléculaire. Le renouveau de la systématique
est désormais une entreprise internationale : en France, est
paru en 2001 (réédité en 2003) un ouvrage de référence, La
classification phylogénétique du vivant par Guillaume
Lecointre et Hervé Le Guyader. La référence internationale,
en constante évolution, est The Tree of life actuellement
consultable sur Internet.
— 271 —
Chapitre VII : Le Musée de zoologie de
Nancy
1. Les grands musées de zoologie au début du xxe
siècle
Aux Etats-Unis, les musées d'histoire naturelle
faisaient l'admiration des étrangers. Parmi les plus
prestigieux, il faut signaler celui de Washington (Smithsonian
Institution) installé en 1915, et celui de New-York, fondé en
1869, dirigé au début du siècle par la paléontologue Osborn.
Ces musées se voulaient des musées d'éducation populaire
mais également des musées scientifiques. Le musée de
New-York possédait déjà cette particularité de présenter les
animaux dans leur contexte écologique, les animaux trop
petits pour être présentés étaient reproduits en verre soufflé.
Une partie du musée était réservée aux chercheurs, il y avait
également des salles de projection de clichés et le musée
prêtait des collections aux écoles (Caullery, 1917). Selon
Caullery, le musée modèle devait recueillir, mettre en valeur,
assurer la conservation des collections, mais son rôle ne
consistait pas à faire des conférences ou des cours. Pour
Gilson (Gilson, 1914), directeur du musée d'histoire naturelle
de Bruxelles, vers 1914, le musée se devait de répondre à ses
trois missions : exposition, étude et exploration.
2. L'origine du Musée de Nancy
Le noyau de ce Musée trouve son origine dans le
cabinet d'histoire naturelle de l'Ecole Centrale de la Meurthe.
A leur fermeture, la ville de Nancy en devint propriétaire, et
— 272 —
les collections subsistèrent tant bien que mal jusqu'en 1854,
date de la nomination de Dominique-Alexandre Godron, le
fondateur de la faculté des sciences de Nancy (Condé et
Tervers, 1994, p.2). Cuénot passa 44 ans dans le Palais
académique de la place Carnot, le musée d'histoire naturelle
occupant tout le premier étage de l'aile septentrionale. Après
la guerre de 1914-1918, les locaux de la faculté des sciences,
devenus exigus, imposèrent des mesures à prendre : le recteur
de l'université proposa, en 1924, le transfert du musée
d'histoire naturelle dans les locaux du grand séminaire, libéré
depuis la loi de séparation de l'église et de l'état (rapport
d'activité, 1999, p.3). Cuénot, opposé à ce projet, attira
l'attention du maire de Nancy dans une lettre du 28 janvier
1925 où il demandait l'ajournement du transfert. L'ami de
toujours, Robert Lienhart, alors adjoint au maire, en liaison
avec le recteur Bruntz, ancien thésard au laboratoire de
Cuénot (Marot, Hommage, 1967, p.12), obtint non seulement
les terrains nécessaires à la construction de l'Institut de
zoologie et du Musée mais encore le financement nécessaire.
En 1930, une convention fut établie entre la ville de Nancy et
l'université pour la mise à disposition d'un terrain dépendant
du jardin botanique en vue de l'édification de l'Institut de
zoologie. Ce terrain est situé sur la rue Sainte Catherine, en
face de la caserne Thiry (Tanary, 2000, p.73). Un projet de
reconstruction du jardin botanique, de l'Institut de zoologie
comprenant laboratoires et musée, ainsi que l'Institut de
zoologie appliquée (laiterie, pisciculture) fut proposé par
l'architecte Jacques André le 4 décembre 1930
(Correspondance, André). Le projet reçut l'aval de la ville de
Nancy le 9 avril 1931. La construction de l'Institut de
zoologie, dirigée par Jacques André et Michel André, réalisée
par l'entreprise France Lanord et Bichaton, fut achevée en
grande partie pour la rentrée de 1933. Le laboratoire de
— 273 —
zoologie était situé sous les toits au-dessus du musée, le
rez-de-chaussée logeait les services d'enseignement (salle de
travaux pratiques), les salles de laboratoire de recherche en
zoologie ainsi que le vaste bureau du Maître et la
bibliothèque; le musée Cuénot occupait le premier étage avec
d'autres salles de laboratoire. Une liaison directe avec les
salles d'enseignement était réalisée au moyen d'un
monte-charge (L'Est républicain, 23 février 1933). Le
sous-sol comprenait les laboratoires de laiterie et de
pisciculture. Au bout du bâtiment un vaste amphithéâtre de
250 places fut équipé des aménagements nécessaires à la
projection audiovisuelle (L'Etoile de l'Est, 1931, 17 février
1933 ; Tanary, 2000, p.73).
Le bâtiment est long de 75 m et large de 11 m, les
planchers et des terrasses sont en béton armé, les toits sont
recouverts de dalles de béton cellulaire pour les terrasses, le
reste avec des tuiles mécaniques ((Tanary, 2000, p.73) et le
socle du bâtiment est recouvert de pierres d'Euville commune
de la Meuse bien connu en Lorraine pour ses carrières de
pierres de construction blanches (ibid., p.76).
Ce projet s'inscrit dans un mouvement nancéien plus
vaste (Histoire de Nancy, 1978). A la période de dynamisme,
dans laquelle s'était inscrite l'Ecole de Nancy (1894-1904)
avec le succès remporté par Emile Gallé(1846-1904), Louis
Majorelle (1859-1926) dans le domaine des arts décoratifs,
succède, une période réactive marquée par le rejet du local au
profit du national et de l'international. Charles Sadoul avait
créé, en 1923, un comité Nancy-Paris (avec entre autres
talents, les frères André) afin de défendre, en réaction contre
l'Ecole de Nancy, un style nouveau de tendance Art Déco
avec des façades sobres, géométriques où le béton n'empêche
pas l'harmonie : c'est dans cette mouvance que s'inscrivaient
le lycée Cifflé, les nouveaux magasins réunis et le Musée de
— 274 —
zoologie (ibid., p.442-443). Outre le caractère extrêmement
moderne pour l'époque, l'originalité du bâtiment réside dans
sa façade aveugle. A l'origine, il y eut la rencontre aux
Etats-Unis de Lucien Cuénot et de Paul-Philippe Cret (1876,
Lyon - 1975, Philadelphie). Cuénot connaissait déjà Cret
lorsque celui-ci était encore étudiant en France. Né et éduqué
en France, ce dernier était aux U.S.A. depuis 1907 où il
exerçait comme professeur de design à l'Université de
Pennsylvanie et faisait une brillante carrière d'architecte. Il
est surtout connu pour un des maîtres du style Beau-Arts, à
cheval entre le classicisme et le modernisme. On lui doit
entre autre, le Pan American Union Building de Washington
(1907-1970), la bibliothèque publique d'Indianapolis (1917),
l'Institut des arts de Détroit (1927). A partir des années 1930,
il adopta un ton plus moderne avec la bibliothèque Folger
Shakespeare de Washington (1930-1937) et l'Universite du
Texas (1930-1940), enfin la banque fédérale de Philadelphie
(1935-1937). Il est également en France, l'auteur de
nombreux mémoriaux érigés après la seconde guerre
mondiale en France (Source internet, 2003, Paul Cret). Selon
René Cuénot (entretien, 2000), il se serait engagé dans les
troupes françaises dès 1914, à l'arrivée des troupes
américaines en 1917, et “ Il aurait été choisi pour faire de la
propagande contre les Allemands ”, ce qui contribua à sa
célébrité. Paul-Philippe Cret fut donc à l'origine de ce mur
aveugle. Notre professeur nancéien entretenait aussi
d'excellentes relations avec la famille André, dont les fils
furent choisis comme architectes du futur musée de zoologie.
Cuénot insista beaucoup pour qu'ils ne placent pas de fenêtres
en façade. A l'état de projet, cela suscita à Nancy de
nombreuses craintes : certains proposaient déjà d'agrémenter
la façade d'une frise représentant des animaux stylisés, en
s'inspirant de l'Ecole de Nancy (L'Etoile de l'Est, 17 janvier
— 275 —
1931). André proposa un revêtement original qui consistait
en blocs de pierre reconstituée appelée Rocpierre ; les 1.400
éléments d’un mètre carré, mélange de poudre de roche rose
et grain de marbre blanc liées par du ciment Portland, furent
réalisés par l'entreprise Cochinaire de Nancy (L'immeuble et
la construction et Bois et Forêts de l'Est, 1933, L'Est
Républicain, 23 février 1933) ; leurs motifs aztèque évoque
les maisons mayas de F.L.Wright (Tanary, 2000, p.72). Ce
procédé avait l'avantage d'être moins coûteux que la pierre
naturelle, et la coloration naturelle résiste au temps. L'aspect
général reflète à la fois une volonté de modernité et un
empreint néoclassique, jouant sur un jeu d'ombre et de
lumière (Tanary, 2000, p.72). Le choix de matériaux
préfabriqués pour cette construction n'est pas sans lien avec
la profonde crise économique des années 1930. Mais elle est
aussi une volonté délibérée de modernité. La source
principale d'inspiration est la réflexion de l'architecte
américain Franck Lloyd Wright : ce dernier dans les années
1921-1923 avait construit des maisons en bloc de ciment qui
avait séduit les architectes André. F.L.Wright portait une
attention particulière aux surfaces : blocs textiles des maisons
mayas à Los Angeles (parpaings imprimés de motifs moulés
lors de leur fabrication), pierre noyée dans un ciment brut,
brique ordonnée et décorative… Les architectes nancéiens
souhaitaient juste les retravailler, les affiner et les inscrire
dans leur contexte local. Un échange épistolaire témoigne des
liens entre André et Wright (Tanary, 2000, p.25).
La salle dévolue au musée fait 72 m sur 11. Elle est
d'une hauteur de 6,40 m sous plafond, et ne comprend aucune
fenêtre, de manière à préserver les collections de la lumière
du jour. Les ateliers Prouvé réalisèrent les vitrines étanches et
éclairées artificiellement, ainsi d'ailleurs que les huisseries
métalliques de la grande entrée (Tanary, 2000, p.74 et 76).
— 276 —
Cuénot accepta de prendre en charge la création et
l'installation de l'Institut de zoologie : il avait alors 67 ans. Il
réalisa des vitrines variées dont celle de ses fameuses souris
historiques. Dans ce musée unique en France à l'époque,
envié à l'étranger, toute l'œuvre scientifique de Cuénot était
présente dans ses vitrines, et malgré l'aspect ô combien
vieillot et rébarbatif, il proposait un ensemble didactique dont
Théodore Monod disait qu'il constituait un raccourci aussi
complet et aussi instructif que possible du monde animal. Les
collections naturalisées comprennent plus de 15.000 pièces
parmi lesquelles les représentants de faunes éteintes comme
le tylacine, le lion de l'Atlas (Condé et Tervers, 1994, p.5).
La collection locale comprend des spécimens décrits par
Godron. Le vieux chameau du musée vivait au vélodrome de
Nancy ; perclus de rhumatismes, il fut donné à sa mort au
musée (L'éclair de l'Est, 1937). Le bœuf normand servit fort
long Muséum de Paris pour atterrir finalement à Nancy
(ibid.). Le phacochère mâle d'Afrique “ qui est semble-t-il le
cochon le plus laid ”, la panthère noire de Java, “ la Bagheera
du Livre de la Jungle de Kipling ”, eurent les honneurs de la
réouverture du musée — un temps fermé — place Carnot en
février 1930 (Cuénot, Correspondance, 7 février 1930).
— 277 —
Chapitre 4 : Cuénot et la philosophie
biologique
1. Hérédité, évolution et eugénisme
Clémence Royer, dans la traduction française de
l’Origine des espèces en 1862, avait écrit en guise de préface
une véritable diatribe contre le christianisme, rejetant la
charité, l'amour, la pitié, sous le prétexte qu'il conduisait à en
perpétuer les tares et à dégénérer l'espèce. Le darwinisme,
complété par les théories de Weismann et Mendel est à
l’origine de l’eugénisme qui s’est développé dans les pays
anglo-saxons, germaniques et scandinaves. L'évolution
darwinienne a créé un darwinisme social, théorie
gladiatoriale de l’existence selon T.H. Huxley, notion du
chacun pour soi, ce qui convenait “ au principe capitaliste du
laissez-faire de l’époque victorienne s’opposant ainsi a
l’idéologie socialiste marxiste ” (Simpson, 1951 p.259). “ Or
il n'est pas prouvé que 'la morale bec et ongle' soit inhérente à
l’évolution, ni que ce qui est inhérent à l’évolution dans son
ensemble doit être pris pour guide ” (ibid.).
Ernst Haeckel, qui présenta le premier modèle d'arbre
généalogique, avait proposé en 1868 une classification des
races humaines depuis les noirs jusqu’aux indo-germains, les
allemands, scandinaves, anglo-saxons étant les races
supérieures (Haeckel, 1877, p.674-675 et planche XV). Cet
auteur connut un succès immense en Allemagne et à
l'étranger. Cuénot (Conférence, manuscrit, non daté et non
titré) assimilait Haeckel à un “ grand prêtre du monisme, car
c'est une religion dont le temple est à Iéna ”. Sa morale
moniste affirmait que “ l’altruisme, l’impératif kantien, et
— 278 —
l’amour du prochain étaient biologiquement expliqués par les
instincts sociaux, comprenant la nécessité de survie du
groupe, si besoin aux dépens de l’intérêt égoïste de l’individu
” (Pichot, 2000, p.100). André Pichot affirme que la ligue
moniste fondée par Haeckel pour propager sa doctrine, donna
naissance à la doctrine nazie (ibid., p104). A partir de la
biométrie de Galton, les artisans de la génétique comme Karl
Pearson, Wilhelm Weinberg ou Ronald Fisher, militèrent
tous pour l'eugénisme et ce sont des biologistes et des
médecins qui firent voter les lois visant à la stérilisation
forcée (lois eugéniques aux U.S.A. depuis 1907, en Suisse, au
Canada depuis 1928, en Allemagne en 1933, Norvège en
1934, Danemark en 1929, Suède en 1935). De 1900 à 1933, il
n’y eut pas de distinction très nette entre eugénisme et
génétique humaine et tous les grands généticiens publiaient
des articles dans les revues d'eugénique. En 1907 Pearson
créa l’eugenic education Society dont Galton fut président
honoraire, et qui, de 1911 à 1928, fut dirigée par Léonard
Darwin, le propre fils de Darwin. Aux Etats-Unis,
l’American eugenic Society fut créée, en 1923, par
Davenport, le pionnier de la génétique et de l'eugénisme
américain. Selon lui, il était évident que des facteurs
héréditaires intervenaient dans les problèmes d'alcoolisme, de
dépression nerveuse, de paupérisme et de criminalité ; il alla
même jusqu'à affirmer que l'appartenance raciale déterminait
le comportement (Kevles B. H. et Kevles D. J, 1998). Au
Danemark, Wilhelm Johannsen, à qui l'on doit la définition
des concepts de gène, de génotype et de phénotype, était
membre du Comité international permanent d'eugénique en
1923 et de la Commission créée en 1924 sur les problèmes de
la stérilisation et de la castration. D’assez nombreux
biologistes et médecins juifs ont soutenu l’eugénisme :
Müller, Weinberg, Goldschmidt qui participa à l'élaboration
— 279 —
d'un premier projet de loi qui allait servir de base à la loi
nazie de 1933. Ils quitteront l’Allemagne nazie au moment
des lois antisémites, mais continueront à militer dans des
sociétés eugéniques américaines (Pichot, 2000, p.240-241).
Hermann J.Müller, ex-collaborateur de Morgan et
communiste, prix Nobel en 1946, voulait voir Staline adopter
un eugénisme positif dans les années 1930. Il sera à l’origine
de la banque de sperme de prix Nobel crée en 1971. Face à
l’eugénisme négatif qui se répandait en Allemagne et aux
Etats-Unis, Müller et Haldane se sont levés, mais à partir de
1933 avec la montée d'Hitler, c’était trop tard (Pichot, 2000,
p.188). Même Julian Huxley, qui était pourtant antiraciste,
déclarait en 1941 que l’eugénisme était la religion de l’avenir
(ibid., p.9). En 1936, un Institut d'hygiène raciale voyait le
jour à Copenhague grâce aux subventions de la Fondation
Rockefeller : la prestigieuse revue Nature l'annonçait sans
commentaire (Pichot, 2000, p.16-17). Et, en 1940, la
Carnegie Institution, qui finançait les recherches en génétique
de l'Institut de Cold Spring Harbor (Long Island, Etat de
N.Y.) annonça sa fermeture : cet institut était devenu un
instrument de propagande nazie (ibid., p.50). Les
protestations de l'Eglise allemande furent vaines. Seuls
l'U.R.S.S. avec le lyssenkisme, ainsi que l’Eglise catholique,
du fait de leur lamarckisme social, furent les seuls opposants
à l’eugénisme. Pie XI condamna l'eugénisme en 1930 dans
son Encyclique (ibid., p.173-174).
L'eugénisme en France dans la première moitié
du xxe siècle
Malgré les propos de Georges Vacher de Lapouge
(1854-1936), marginal contesté à l’audience limitée selon
André Pichot (2000, p.24), l'eugénisme était surtout un
— 280 —
hygiénisme social pasteurien et lamarckiste — protection des
femmes enceintes et des nourrissons, éradication de
l'alcoolisme, de la syphilis, la tuberculose, fléaux considérés
à l'époque comme héréditaires. D'ailleurs entre 1900 et 1910,
une campagne pour l'examen prénuptial destiné à prévenir la
syphilis aboutit à un échec (Carol, 1995, p.61-65).
Les scientifiques ne se sont pas levés contre les
dérives eugéniques parce qu'ils n'étaient pas conscients de
l'eugénisme négatif rampant. Ils étaient même tous
enthousiastes face aux possibilités de sélection positive. En
France, aucun généticien, pas même Jean Rostand, n'a vu
venir le danger. Il fut cependant établi que l'eugénisme
français n'a pas été le précurseur de l'eugénisme nazi
(Drouard, 1999, p.127).
La Société française d’eugénique
Une société eugénique française vit le jour grâce à la
Fondation Rockefeller. Léonard Darwin avait lancé un appel
pour le prochain congrès d'eugénique, qui se tint finalement
en France en 1912. A cette époque, on y trouvait Lucien
March, directeur de la statistique générale de la France, des
biologistes, tous lamarckistes, Frédéric Houssay, Yves
Delage et Edmond Perrier. La politique était représentée par
Paul Doumer. Il y avait des médecins mais surtout des
anthropologues. Cette société entendait lutter contre la
dénatalité et la dégénérescence de la race du fait de la
disparition de la sélection naturelle. Elle n'eut aucun
retentissement, plutôt même des railleries (Carol, 1995,
p.77-83). A la sortie de la première guerre, la Société, fondée
sur un programme exposé par le Président Paul Doumer, était
présidée par Edmond Perrier. Un ouvrage intitulé Eugénique
et Sélection, regroupe une série de conférences données par la
Société Française d'eugénique au congrès international tenu à
— 281 —
New York en septembre 1921 ainsi qu'à l'Ecole des hautes
études en sciences sociales à Paris. La délégation française
était marginale puisqu'elle ne comptait que trois
représentants: Lucien March, Vacher de Lapouge et Lucien
Cuénot qui, on l'a vu précédemment, avait bien d'autres
raisons d'aller aux Etats-Unis comme de rencontrer
T.H.Morgan et Paul-Philippe Cret. Il ne fut jamais membre
de la Société française d'eugénique, même s'il représenta la
France au Congrès international. Ces conférences étaient
consacrées à l’examen des conséquences de la guerre du
point de vue de l’eugénique. Selon Perrier (Eugénique et
sélection, 1922, p.1), “ L’eugénique a pour objet l’application
de ces lois au perfectionnement des organismes en général et
en particulier de l’espèce humaine ”. Lucien March,
fondateur de la Société et introducteur du terme eugénique en
France (ibid., p.2) déclara que le but était de “ rechercher,
préciser, répandre les moyens de perfectionner les races
humaines, en indiquant les conditions que chaque individu,
chaque couple doit s’efforcer de remplir pour avoir de
robustes et beaux enfants” (ibid., p.3). Il fallait lutter contre
l’alcoolisme, la syphilis et la tuberculose que l'on croyait à
l'époque héréditaires, diminuer les horaires de travail,
améliorer la salubrité des logements, défendre le droit aux
vacances, lutter contre la mortalité infantile, ne pas séparer
les mères et les enfants et encourager la natalité. “ Elle (la
biologie actuelle) ne croit pas au surhomme […]. Elle choisit,
parmi les aptitudes diverses, une aptitude spéciale qu’elle
prend soin de développer particulièrement chez certains
individu [….]. Elle crée ainsi une société variée où chacun
fait ce qu’il est le plus apte à faire, et elle arrive finalement à
créer un monde parfait à l’aide d’imperfections qui se
compensent réciproquement. Telle doit être la méthode de
l’eugénique ” (ibid., p.7). Charles Richet plaidait pour une
— 282 —
réforme du mariage en exigeant “certaines conditions de
santé et de vigueur ” (ibid., p.56). Frédéric Houssay (ibid.,
p.21) voulait épurer la race humaine et en faire disparaître les
tares tout en s'avouant, “ tout comme le Français, choqué par
les moyens de stérilisation des dégénérés, contraires à leurs
sentiments de bonté, de générosité et contraires à nos
traditions morales ”. Lucien March, pour qui l’eugénique
devait favoriser le progrès social en agissant sur
l’environnement (éducation, salubrité), était également pour
la loi contre l’avortement et contre la vente de produits
anticonceptionnels (loi du 31 juillet 1920) et prônait toutes
les mesures susceptibles d'encourager la natalité comme la
réduction d'impôts, les allocations... (ibid., p.125-129).
Georges Schreiber préconisait un examen médical
antématrimonial, certificat conjoint lors du mariage pour
s’assurer de la bonne santé des époux (ibid., p.187). Et
Lucien Cuénot? Il y discutait de l'impossibilité scientifique
de la transmission héréditaire des caractères acquis au moyen
d'arguments strictement zoologiques. On cherche vainement
un commentaire concernant l'eugénique. A cette époque, il
était le seul pratiquement en France à s'élever contre le
lamarckisme. C'est d'ailleurs la raison pour laquelle la France
ne put prendre part au mouvement eugénique international
parce qu'il eût fallu déjà accepter le néodarwinisme. La
version française de l'eugénique, version lamarckiste, se
contenta donc de prôner des mesures environnementales,
sociales pour éviter la soi-disant propagation des tares
héréditaires.
La France, de tradition lamarckiste, resta toujours à
l'écart des pratiques de sélections négatives inspirées de la
sélection animale (stérilisations...). Le respect de la personne
humaine a toujours été trop fort en France et l'on a préféré
s'en tenir aux conseils et aux avertissements, jugeant chaque
— 283 —
homme responsable de sa vie et de ses descendants.
L'héritage des Lumières est en opposition avec les discours
sur les inégalités naturelles et la compétition qui ont alimenté
le darwinisme social, contrastant avec le cas des pays
anglo-saxons. La situation française de ce début du XXe
siècle est celle d'un “ héréditarisme médical sans darwinisme
ni gène, dont les racines sont tout autant professionnelles que
culturelles ” (Gaudillière, 1998, p.90).
Cuénot et l'eugénique positive
Cuénot ne s'impliqua guère publiquement dans une
quelconque défense de l'eugénique même positive. Tout
comme Rostand, il était néo-darwinien. Les autres experts
français de l'hérédité humaine, tous lamarckistes, se
préoccupaient moins de la transmission de facteurs
génétiques que de la complexité des relations sociales et
familiales. Ils ne distinguaient pas l'hérédité, la contagion et
l'intoxication : aux fléaux qui étaient censés se transmettre
d'une génération à l'autre, la tuberculose ou la syphilis, ils
attribuaient tout autant un terrain héréditaire que les effets de
la nutrition, des germes et du mode de vie. Hostiles à la
contraception, ils privilégiaient le contrôle du milieu et des
habitudes de vie. Ainsi Houssay souhaitait faire de
l'eugénique une discipline instaurée moins par la contrainte
que par la responsabilité individuelle (Drouard, 1999, p.87).
C'est exactement , on le verra plus loin , la manière de voir de
Lucien Cuénot : généticien et darwinien, il ne pouvait
souscrire à la vision scientifique lamarckiste de l'eugénique ;
par ailleurs, minimisant le rôle de la sélection naturelle, il ne
pouvait se joindre aux mesures anglo-saxonnes. Alors que
dans l'entretien donné aux Nouvelles Littéraires (1933), il se
déclarait pour le “ certificat prénuptial voire la stérilisation
des non-désirables”. Mais il revint ensuite sur cette position.
— 284 —
Dans une conférence donnée le 12 décembre 1935, à
l'Association lorraine d'études anthropologiques à Nancy, il
proposa une eugénique capable de se substituer à la
contre-sélection des sociétés humaines qui engendre la
perpétuation de maladies héréditaires comme l'hémophilie et
autres anomalies des généalogies royales, en favorisant autant
que possible “ l'hétérosis ” (les croisements hétérozygotes). “
Mais certaines nations ont des préoccupations particulières,
qui, à leur sentiment (à tort ou à raison), relèvent de
l'eugénique […]. Les Allemands tentent d'établir une
discrimination entre la race aryenne (?) (sic) et les
non-aryens, c'est-à-dire les Juifs, dans le dessein d'avoir une
population purement germanique, nécessairement douée de
toutes les vertus ” (Cuénot, 1936, L'eugénique, p.19). Au
cours de cette conférence, il adoptait une attitude défiante
vis-à-vis des mesures coercitives tels le certificat prénuptial,
la stérilisation, songeant plutôt à une responsabilité au sein de
la famille et il s'avérait favorable à toute mesure vivant à
mêler les classes sociales et les races, sur le principe de la
vigueur hybride, argument repris en 1947 par l'américain
Dobzhansky dont la position vis-à-vis de l'eugénisme est
assez proche de celle de Cuénot (1970, dans La recherche,
mai 2000, p.24).
Avec Jean Rostand, lui-même profondément
antiraciste (Fischer, 2001, p.93), ils firent paraître en 1936 un
ouvrage de vulgarisation Introduction à la génétique, où ils
révisèrent le concept erroné d'hérédo-syphilis si couramment
admis dans le premier quart du siècle : la syphilis tout comme
pour les “ prétendus poisons, alcool, tabac ” ne sont pas
génétiquement transmissibles. Dans le chapitre "Génétique et
eugénique", ils écrivaient qu' “ Il ne saurait être question,
assurément, d’ôter la faculté de reproduction à tous les
individus héréditairement anormaux ou déficients. Par contre
— 285 —
les cas extrêmement graves comme la chorée de Huntington
doivent pouvoir relever du droit légitime à certaines mesures
empêchant la reproduction ” (ibid., p.122). C'est dans cet
esprit que s'exprimait Emile Guyénot, autre néo-darwinien
français insatisfait : il pensait que l’on se devait de prévenir
les populations porteuses de gènes dominants de maladies
héréditaires afin qu'elles s'abstiennent de procréer et les
familles porteuses de gènes récessifs afin d'éviter la
consanguinité. On retrouve chez Guyénot le même discours
que chez Cuénot ou Rostand, c’est-à-dire une eugénique
positive responsable, avec le souci de mettre à profit la
génétique à savoir diminuer la transmission des maladies
héréditaires. On est surpris en relisant ce livre de voir à quel
point nos auteurs semblaient parfaitement inconscients de ce
que les mesures eugénistes en vigueur en Allemagne depuis
1933 allaient réserver (ibid., p.123). Enfin, à cette même
époque, Alexis Carrel, chirurgien, prix Nobel en 1912,
collaborateur et pétainiste pendant la seconde guerre
mondiale, mais pas eugéniste au sens négatif du terme, aurait
servi de bouc émissaire français : il fit sa carrière à l’Institut
Rockefeller de New-York, institut dont les responsabilités
ultérieures sont largement prouvées (Pichot, 2000, p.221). Il
fit paraître, en 1935, un véritable best-seller, L'Homme, cet
inconnu, livre qui aujourd'hui peut choquer, mais qui n'est
que le reflet d'une époque qu'il ne s'agit pas d'occulter.
Cuénot le qualifia simplement de “ fort pessimiste ”.
Race et biologie
En biologie, la catégorie de race a une valeur
taxinomique. En politique, cette notion n’a rien à voir avec
celle de la biologie. En anthropologie, il est indéniable qu'il
existe des races humaines. A cette époque, on avait l'habitude
de distinguer quatre sous-espèces : europoïde, mongoloïde,
— 286 —
négroïde et australoïde. Le caractère de race humaine était
difficile à débrouiller, étant vaguement géographique ; les
connaissances génétiques de l'époque étaient trop maigres
pour affirmer quoi que ce soit.
Mais pour Cuénot, “ telle race, quelle que soit sa
supériorité intellectuelle ou physique ne saurait se targuer
d'une permanence définitive ” (Genèse., 1932, p.552).
Pessimiste quant à l'évolution humaine, tout au plus
spéculait-il sur un accroissement de taille, une atrophie
dentaire, la disparition du petit doigt de pied, du poil... Dans
un chapitre de la Genèse intitulé "La sélection naturelle chez
l'Homme" on y trouve des remarques concernant la moins
grande résistance aux maladies des blancs en Afrique ou des
noirs en Angleterre, ce qui pourrait être en partie d'origine
génétique. Il brossait un tableau plutôt sombre d'ailleurs de
notre civilisation, “ Une civilisation avancée ne correspond
pas nécessairement à une race améliorée ” (Genèse., 1932,
p.319) : caries et problèmes de dents de sagesse, diabète,
cancer, sont beaucoup plus fréquents chez les blancs que chez
les noirs. Il fit aussi un article sur la pigmentation et l'effet
des radiations ultraviolettes où il montrait la moins bonne
adaptation des blancs vis-à-vis du soleil et les risques de
cancer de la peau chez les blonds (Cuénot, Radiations.,
1941). La position de Cuénot, qui ne recèle pas la moindre
part de racisme, relève de sa profonde culture scientifique : “
Si profondes que soient les différences d’aspects entre
certaines races humaines, il ne semble point qu’elles se
différencient par la structure chromosomique. Toutes, au
reste, peuvent se croiser les unes avec les autres ; et l’on a
lieu de rapporter toutes les différences de pigmentation […] à
des différences de gènes. Par suite du mélange immémorial
des lignées humaines, il n’existe peut-être pas, à la surface du
globe, une seule race vraiment pure ” (Cuénot et Rostand,
— 287 —
1936, p.100-101). Ce fait est d'ailleurs corroboré par les
propos de son fils (entretien Cuénot R, 2000). Il est aussi
remarquable que sa position n'a jamais changé puisque, après
la seconde guerre mondiale, dans le chapitre de L'évolution
biologique consacré à l'eugénisme, on retrouve les mêmes
propos concernant une possible dégénérescence de la race
humaine et l'impossibilité de contrôler le patrimoine
génétique de l'Homme si ce n'est pas une prise de conscience
individuelle. Mais tout le monde scientifique et intellectuel
de l'époque ne possédait pas cette analyse. En 1930, on
pouvait lire sous la plume d'un membre de l'Institut de
France, Charles Richet, auteur d'un ouvrage intitulé La
sélection humaine : “ La race blanche est supérieure à la race
jaune et surtout à la race rouge et à la race noire... Ces frères
inférieurs sont des barbares […]. Ils se rapprochent du singe
beaucoup plus que nous... la psychologie du Nègre est
infantile […] ; ils méritent respect et pitié, mais ceci ne doit
pas nous conduire à des unions profanes qui aviliraient notre
race ” (Richet, 1930, p.24). Pichot montre que les historiens
et les sociologues ont aujourd'hui tous tendance à faire
preuve d’amnésie concernant l’eugénisme pour la raison bien
simple que ce genre de discours était monnaie courante dans
ces années d'avant-guerre parmi les plus hautes autorités et
dans tous les milieux intellectuels. L'eugénique française de
tradition lamarckiste attribuait un rôle important à
l'environnement familial et social et ne laissa peu de place au
déterminisme génétique réductionniste. L'histoire de
l'eugénique remonte à Darwin et les spécialistes concernés
par cette science nouvelle qui émergea il y a un siècle, ont
leur part de responsabilité. Doit-on pour autant les
condamner tous ? Aucune opposition n'a vu le jour avant la
seconde guerre, la France tout au mieux défendit un
— 288 —
eugénisme positif, mais personne ne mit en garde contre le
danger eugénique.
— 289 —
2 Le finalisme en biologie
“ La maladie principale de l'Homme est la curiosité inquiète
des choses qu'il ne peut savoir. ” Pascal, Pensées.
“ La science ne nous apporte ni apaisement intellectuel,
ni réconfort moral. ”
Jean Rostand (dans Buican, 1994, p.160)
En biologie il y a un déterminisme — des causes
produisent des effets — mais le finalisme — un effet répond
à une fin — est à priori exclu du champ de la biologie. Le
déterminisme, terme introduit par Kant puis par Claude
Bernard dans l’expérimentation, signifie que tout phénomène
a une raison ou une probabilité antérieure ; l'évolution n’entre
pas dans le cadre de la méthode expérimentale : la
paléontologie, la physique, la génétique évolutionniste
reposent sur des modèles, des lois qui ne peuvent jamais être
démontrées.
Hasard et nécessité dans l'évolution
Ni Darwin ni Huxley n'ont jamais formulé le hasard
e
comme facteur essentiel de l'évolution. Au XIX siècle, le
courant était nettement positiviste, matérialiste. Une
ambiguïté naquit au début du XXe siècle sur l'importance
accordée au hasard et personne, sauf peut-être le philosophe
Bergson, n'osa aborder la question. D'une part, les
mutationnistes comme de Vries fondèrent la naissance des
espèces comme le seul fait du hasard des mutations. Les
généticiens entretinrent plus tard l'idée que le hasard explique
seul les mutations, source de variations héritables. Or c'est
plutôt un aveux d'ignorance, la mutation qui apparaît n'est pas
immédiatement compréhensible. Un cas d'école est donné par
— 290 —
l'anémie falciforme, maladie génétique due au remplacement
d'un seul acide animé dans la grosse molécule de
l'hémoglobine humaine. A l'état homozygote, la mutation est
létale, à l'état hétérozygote, elle confère à l'individu porteur
une meilleure résistance contre la malaria. Ce qui explique sa
persistance au sein de la population. L'évolution est
classiquement considérée comme contingente c’est-à-dire
que l'état actuel est, mais aurait pu être tout autre du fait de
l'imprévisibilité des dérives génétiques. Les évènements ne
sont pas pour autant totalement indépendants les uns des
autres, ils s'enchaînent par des relations de cause à effet, sans
nécessité reconnaissable.
D'autre part, les progrès fondamentaux en physique et
en mathématiques ont conduit à la crise du déterminisme : les
lois physiques se sont transformées en lois statistiques, un
phénomène n’est plus déterminé, mais hautement probable.
Ainsi, par exemple, Werner Karl Heisenberg (1901-1976) est
l'auteur en 1927 du principe d'incertitude, qui a influencé
toute la mécanique quantique. Ce principe d'indétermination
montre, par une formule mathématique, que l'on ne peut
déterminer avec précision la position ou la vitesse d'une
particule et jamais les deux à la fois. Ce principe se trouve à
l'origine du système probabiliste de la mécanique
ondulatoire. Cuénot y fait d'ailleurs référence dans
l'Evolution biologique en introduction à sa deuxième partie
consacrée aux "Incertitudes" (Cuénot, L'évolution biologique,
manuscrit, p.519).
Face
à
l'insatisfaction
grandissante
des
néo-darwiniens notamment, insatisfaits des théories
existantes, le doute grandit dans les esprits scientifiques. Rien
qu'en l'année 1941, il paraissait en France, cinq ouvrages à
tendance finaliste dont celui de Cuénot (Lecomte de Noüy,
1964). Pendant les 1950 années suivantes, il y eu une chape
— 291 —
de plomb : le finalisme fut balayé, la téléonomie de Monod le
remplaça. La téléonomie d'une espèce est “ une certaine
quantité d'information qui doit être transférée pour que ces
structures soient réalisées et ces performances accomplies ”;
le “ projet téléonomique ” fondamental étant la “
reproduction invariante des individus d'une espèce ” (Monod,
1970, p.30-31). Monod qualifia lui-même se terme de
profondément ambigu car impliquant la notion de projet. En
réalité s'il admettait le projet téléonomique de l'oeil, il ne
fallait pas pour autant l'appliquer à un niveau général. Les
adaptations fonctionnelles des êtres vivants et leurs artéfacts
sont des projets téléonomiques, comme autant de fragments
d'un projet primitif unique qui est la conservation de l'espèce
(ibid., p.30). Pour Monod, la pierre angulaire de la méthode
scientifique était le postulat de l'objectivité de la nature,
c'est-à-dire le refus systématique de considérer un
phénomène comme un projet. Ors, “ L'objectivité oblige à
reconnaître le caractère téléonomique des êtres vivants, à
admettre que, dans leurs structure et performance, ils
réalisent et poursuivent un projet ”; face à cette contradiction,
il y a une alternative en biologie : soit la résoudre si elle n'est
qu'apparente, soit prouver qu'elle est résolument insoluble
(ibid., p.37-38). Depuis, la vision réductionniste de Monod
pour qui l'étude des parties suffisait à rendre compte du tout
(ibid., p105), nécessaire à un moment donné, semble
désormais insuffisante. Les rapports entre évolution,
génétique et finalisme se sont quelque peu assagis : le
réductionnisme extrême a montré ses limites, les finalistes
spiritualistes se réfugient dans le silence ou le confort moral
du dualisme esprit/matière. La théorie du gène égoïste est
devenue une nouvelle hypothèse de travail : mais, n'est-on
pas là encore en train de se livrer à d'habiles artifices de
langage? Car la ruse utilisée pour plier l'être vivant à sa
— 292 —
volonté de reproduction est peu différente de l'élan vital de
Bergson. Pierre-Henri Gouyon (Gouyon, 1996) préfère la
force vitale de Schopenhauer qui présuppose une volonté
préexistante à la conscience. Les propriétés émergentes de la
matière neuronale que sont les schèmes de comportements, la
culture, la morale, l'art, les religions, la conscience de soi,
l'organisation des sociétés, etc., sont étudiées comme si elles
se situaient nécessairement hors du champ de la vie
biologique et posséderaient dès lors une existence en soi,
sorte de champ platonicien, qui justifierait de les sortir du
champ des sciences de la vie. Ce n'est plus très loin d'une
religion qui déifierait l'Homme, le plaçant au-dessus de la
nature, s'attribuant de facto des prérogatives monstrueuses.
La biologie étudie la matière vivante, la biologie moléculaire
continue à se passer de la physique relativiste, là encore pour
des raisons de commodité compréhensible, se contentant de
la chimie des atomes 'boules de billard'. Mais elle ne peut pas
ignorer l'immatérialité des échanges d'information, de la
mémoire, de la créativité, présents à tous les niveaux de
complexité du vivant — molécule, tissu, organe, organisme.
La biologie utilise une terminologie inspirée de
l'informatique (code, programme, transcription, duplication)
sans préciser la nature (physique, mathématique, abstraction
conceptuelle), le support de transmission et sans expliquer
comment cette informatique biologique est capable, dans une
dimension temporelle, de créer des formes et des schèmes de
comportement, de les garder en mémoire et les transmettre
aux générations successives. Le principe d'émergence qui
semble s'imposer, si séduisant soit-il, n'est pas en soi une
explication satisfaisante.
— 293 —
La question de la finalité en biologie en France autour de
1900.
Le terme de finaliste doit être replacé dans son
contexte car, au début du XXe siècle, être finaliste ne
signifiait pas pour autant être spiritualiste. Ainsi Le Dantec
accusait Weismann de finalisme car “ Il considérait les
chromosomes comme le véhicule de l’hérédité ” (Le Dantec,
1903, p.149). Rabaud voyait du finalisme dans la variation
darwinienne.
 Les mécanistes
“ Des savants poursuivant le but de prouver que leur existence
est sans but constituent un objet d’étude intéressant. ”
(Whitehead, in Moreau, 1964, p.204)
A l'origine, il y eut le dogme matérialiste de
l’évolution d’Ernst Haeckel qui fut le grand vulgarisateur du
darwinisme avec son Histoire de la création des êtres
organisés d’après les lois naturelles. Il prônait le
transformisme mécaniciste : sa conception moniste (en
opposition au dualisme matière et esprit) et mécanique de la
vie postule que la vie est l'expression d'une cause nécessaire
efficiente, mécanique. Haeckel cherchait à expliquer la vie
selon les lois physico-chimiques (Haeckel, 1877).
Au début du XXe siècle, en France, l’argument de
l’hérédité de l’acquis était devenu un argument en faveur du
mécanicisme. Giard, lamarckiste, se déclarant lui-même
fervent admirateur de Haeckel (Giard, 1904), séduit par
l'interprétation lamarckiste mécaniciste de Jacques Loeb en
Allemagne, considérait que le scientifique ne devait pas
s’égarer dans la métaphysique, peu importe que l’idée
finaliste persiste, l’essentiel étant que la cause finale soit
placée en dehors du déterminisme expérimental (Giard, 1911,
p.125). Pour Félix Le Dantec, la vie est un phénomène
— 294 —
chimique ; il raisonnait sur les bases des sciences exactes, en
termes de matière, d’énergie, de mouvement, et développa
une théorie de la vie basée sur l'assimilation chimique.
Etienne Rabaud, lui aussi lamarckiste pur et dur, allait jusqu'à
considérer que même la variabilité spontanée, qui avait en
son temps frappé Darwin, posséderait “ en germe l’idée
finaliste que l’individu possède en lui une tendance à varier ”
(1911, p.235). Les réactions des animaux aux variations de
milieu comme la température, la salinité ou l’humidité, leurs
déplacements, leur métamorphose, leur développement
embryonnaire, voire même les comportements, ce que
Rabaud appelle des “ instincts ” mais dans un sens
mécanique, dû à des effets physico-chimiques, n'est pas
intrinsèque de la vie. Il n’y a pas d’instinct inné, interne à
l'organisme, c’est le milieu qui dicte les comportements des
animaux.
Les finalistes
Il est classique de dire que le philosophe Henri
Bergson (1859-1941), avec L'évolution créatrice en 1907, a
réconcilié la pensée catholique de l’époque avec le
transformisme. Mais Bergson est allé beaucoup plus loin : par
une analyse particulièrement lucide des découvertes
scientifiques de son époque, repoussant bien sûr l'idée de
l'hérédité de l'acquis, il dépassa à la fois le mécanisme et le
finalisme de son époque (Bergson, réedition 1962, p.50 et
p.90). Il mit très tôt en doute l'explication par le hasard seul :
il rejetait l'interprétation selon laquelle l'accumulation de
variations accidentelles dans des structures complexes, et, qui
plus est, toujours dans le même ordre mais sur des points
différents de l'espace et du temps, suffisait à expliquer les
convergences évolutives (ibid., p.56). Comment supposer que
ces variations se soient conservées par sélection et
— 295 —
accumulation de part et d'autre, dans le même ordre, alors
que chacune, prise à part, n'était, selon les mécanicistes,
d'aucune utilité? (ibid., p.65). En 1907, la pensée scientifique
était fortement marquée par les mutations brusques de H. de
Vries et de A.Weismann, ainsi que les travaux de Mendel,
substituant à la continuité darwinienne la discontinuité de
l'hérédité. Mais si les variations brusques offraient une
interprétation plus plausible à cette époque, Bersgon se
déclarait insatisfait : la combinaison heureuse de mutations
brusques non coordonnées, dues au hasard, même en laissant
de côté les individus moins chanceux, les 'ratés' éliminés par
la sélection naturelle, relèverait du miracle (ibid., p.66).
L'ambiguïté philosophique de l'époque provenait du fait que
seul le néo-lamarckisme de l'époque aurait pu interpréter ces
cas de convergence, par exposition à des conditions de vie
semblables. Mais les néo-lamarckistes répugnaient à tout
principe interne du développement. Bergson ne pensait pas
que la vie avait un but mais il croyait en un élan primitif,
originel. Méfiant à l'égard du finalisme, des théories
vitalistes, il proposait un néo-vitalisme contemporain où le
philosophe constatait que le mécanicisme pur était insuffisant
(Bergson, 1962, p.42) .Il pensait que la preuve de la finalité
serait démontrable le jour où l'on pourrait expliquer les
convergences entre lignées éloignées, ce qui ne relève pas à
proprement parler du spiritualisme. Aujourd'hui, avec la
découverte des gènes de développement, nous n'en sommes
plus très loin. Aussi, il faut relire la philosophie de Bergson
et réinterpréter sa pensée à la lumière des découvertes
récentes : l'élan vital de Bergson, c'est l'admirable unité du
règne vivant, découverte dans les processus génétiques
(gènes homologues) ainsi que cellulaires et moléculaires
(épigénétiques) découverts au cours du développement.
Bergson, comme Cuénot, croyait à l'origine cosmique de la
— 296 —
vie, la panspermie. Il acceptait une finalité dans l'Homme
mais au sens bergsonien c’est-à-dire que tout aurait pu très
bien se passer autrement mais que dans l’état actuel, force est
de constater que l'Homme est le plus abouti. Comme Cuénot,
il réfutait la finalité anthropomorphique.
1930 : les derniers soubresauts du créationnisme avec
l'affaire Vialleton
Le 25 décembre 1929, paraissait l'ultime ouvrage du
Professeur Louis-Marius Vialleton (1859-1929), L'origine
des êtres vivants : l'illusion transformiste. Dès janvier 1930,
Cuénot fit paraître dans, la Revue générale de sciences, un
pamphlet pour le transformisme néodarwinien, attaquant
ouvertement le discours créationniste de Vialleton, engageant
les biologistes, les philosophes et les théologiens à prendre en
toute tranquillité la doctrine transformiste comme base de
leurs spéculations (Cuénot, 1930, Le transformisme n'est-il
qu'un illusion?, p.21). Une polémique s'ensuivit au sein des
colonnes de La Presse Médicale. En effet, l'ouvrage fit grand
bruit dans le petit monde des sciences, et fut récupéré par les
opposants, espérant y trouver des arguments émanant d'une
autorité scientifique. La réaction ne se fit pas attendre. Un des
directeurs scientifiques, J.L.Faure, professeur de clinique
gynécologique, membre de l'Académie de médecine,
s'insurgea longuement et avec fougue contre l'introduction
dans le langage biologique du mot de création qui en avait été
pourtant banni (Faure, 1930, p.931-936) : la science moderne,
par de nouvelles méthodes, pénètre au coeur de la matière,
tendant à réduire de plus en plus la réalité à des actes
physico-chimiques alors que des hommes continuent encore à
s'accrocher à leurs convictions religieuses. Pour Vialleton, le
transformisme n'était qu'une doctrine mécaniste qui
expliquait la formation des êtres vivants par la seule action
— 297 —
des forces naturelles sans direction et sans but. Faure comme
Vialleton, à cette époque ne pouvaient que camper sur leurs
positions inconciliables, développant chacun, sur la base des
connaissances insuffisantes de l'époque, une discussion
stérile, s'achevant immanquablement par le combat
manichéen du réductionnisme contre le finalisme. Chacun
faisait fausse route, car à cette époque la jeune science de
l'hérédité devait s'imposer par la voie du fait expérimental,
cherchait une explication rationnelle à l'évolution, à la
formation des espèces et, ce faisant, usait pour cela d'un
prosélytisme absolu, d'un intégrisme farouche dont la
suffisance n'avait rien à envier à la frilosité de leurs
opposants créationnistes, effrayés à l'idée d'abandonner leurs
certitudes dogmatiques. Les évolutionnistes devait combattre
à cette époque les fortes réticences de l'Eglise à admettre
cette nouvelle vision darwinienne du monde, d'où le dogme
du pêché et du rachat se trouvaient définitivement exclus.
Ors, Pierre Lauras, jésuite et directeur depuis 1902 de la
Conférence Laennec, groupement d'étudiants en médecine,
supplia par deux fois le professeur nancéien d'écrire une
réponse à “ cet article détestable du Professeur J.L.Faure ”,
qui “ attaque la religion catholique de façon grossière ”.
Lauras proposait à Cuénot de s'en tenir à “ la preuve de la
finalité, du point de vue de la science pure ”, à la manière de
ce discours de l'Académie de Nancy, "L'inquiétude
métaphysique" (Lauras, Correspondance du 11 août 1930).
Réitérant sa demande, flattant l'autorité incontestée de notre
naturaliste éminent, il l'enjoignit à démontrer que “ l'habit de
philosophe n'appartient pas à tout le monde et qu'il
(J.L.Faure) n'est pas de taille à le revêtir ”. Il ne s'agissait pas
de prouver l'évolution, notre jésuite semblait l'avoir acceptée,
non, ce qu'il manquait, et il avait pour cela besoin de
l'autorité de Cuénot, c'était “ la preuve du guidage
— 298 —
intentionnel ” (Lauras, Correspondance du 18 août 1930).
Cuénot avait en effet prononcé le fameux discours de
réception à l'Académie de Stanislas, que Rostand qualifia “
d'admirable discours […] d'un accent si émouvant et d'une si
haute tenue littéraire ” (Rostand, 1966, p.158), devant un
parterre de représentants de l'Eglise, dont l'influence était
alors loin d'être négligeable en politique à Nancy. Cette
époque de sa vie est celle où les discours finalistes étaient les
plus engagés. Tout porte à croire que les jésuites, fort
réactifs, tentèrent, pour construire leur nouvelle théologie
naturelle, d'utiliser les propos de Cuénot. Quoiqu'il en soit,
Cuénot fit une réponse à Faure dans La Presse Médicale du 8
novembre 1930 (p.1523-1524) : “ Peu de naturalistes sont de
purs et orthodoxes mécanistes ”, les règles de la nature ne
sont pas faites pour les individus dupés par “ sa fureur
aveugle de création et de reproduction ”, ni pour les espèces
sacrifiées pour de mieux adaptés, individus et espèces ne sont
que des moyens ; cette mystérieuse obligation de la
perpétuation et de la diversification de le vie nécessite une
préordination biologique, et elle est en marche vers un but
inconnu. “ There are more things in heaven and earthe,
Horacio, Than are dreamt of in your philosophy ” (Cuénot,
ibid., p.1524) : c'est par ces vers de Hamlet à Oratio que
Cuénot concluait la défense de sa métabiologie, se classant
lui-même à cette époque parmi les dualistes, les spiritualistes.
La réponse de Faure fut insérée à la suite : il s'étonnait de
l'évolution de la pensée de Cuénot depuis la Genèse des
espèces animales et il ne voyait pas la nécessité d'introduire
une direction à l'évolution ; pour Faure, peu enclin à lancer
un hymne à la vie, le seul but, c'est la mort ; chacun est libre
de chercher le repos de sa conscience comme il le veut (ibid.,
p.1524-1525). L'affaire trouva sa conclusion dans une lettre
de J.L.Faure à Cuénot (Correspondance, 14 novembre 1930) :
— 299 —
Faure, honoré et ne ménageant pas sa satisfaction d'avoir pu
échanger avec une telle autorité, reconnaissait qu' “ Il y a
dans le monde des mystères que nous ne connaîtrons sans
doute jamais ; mais ce mystère est-il moins grand parce qu'on
croit le résoudre en adoptant la solution créatrice? Elle ne fait
que reculer le problème, nous enfoncer davantage dans les
ténèbres et rendre le mystère plus insondable. Alors,
beaucoup se laissent aller — comme vous le dites — aux
sentiments ”. La position de J.L.Faure était tout à son
honneur car il avait su défendre l'idée que la finalité n'est pas
du ressort de la science.
Avec son habitude de catégoriser les opinions, sous
couvert d'un légitime souci de clarté méthodique, de
présenter toujours dans ses articles, et ceci de manière
manichéenne, la thèse et l'anti-thèse — lamarckistes contre
darwiniens, mécanistes contre finalistes, etc. — Cuénot
entretint finalement une confusion dont son image future
pâtira durant de longues décennies : certains eurent vite fait
de le ranger parmi les spiritualistes aux côtés de nombre de
chrétiens engagés comme Teilhard de Chardin. Pourquoi
alors ces échappées philosophiques? Les motifs sont
difficiles à comprendre d'emblée si l'on n'a pas fait le tour
complet du personnage. Il y avait, sans équivoque à cette
époque, nécessité d'un tel débat : la séparation de l'Eglise et
de l'Etat acquise dans les faits depuis près de trente ans en
France, ne l'était pas encore tout à fait dans les esprits encore
formés au dogme de l'Eglise et pas intellectuellement
affranchis, une Eglise dont le poids politique et social était
plus fort qu'aujourd'hui. La science avait besoin de
s'émanciper définitivement, de couper le cordon en quelque
sorte. Pour accéder à l'âge adulte, la biologie avait besoin de
couper tout lien, si ténu soit-il, avec la métaphysique, afin de
rentrer dans son ère nouvelle. Le combat de Cuénot paraît,
— 300 —
dans ce contexte, déjà obsolète, à moins d'y discerner une
attitude calculée. Mais Cuénot était avant tout un homme
indépendant, libre et n'étant attaché à aucun dogme ni parti. Il
éprouvait un plaisir certain à jouer son rôle d'autorité
scientifique. Il eut sans doute à la soixantaine des doutes
existentiels qu'il eut la faiblesse de n'avoir pas su réprimer.
Pourtant un événement fort humain allait bientôt éloigner de
lui cette coupe amère... (événement personnel qu'il n'est pas
possible ici, par respect, de dévoiler, mais qui peut sans
aucun doute apporter une raison suffisante de la mise en
bémol de ces méandres finalistes). Assagi, plus serein,
bravant l'âge avec sa verdeur légendaire, il sut rebondir pour
revenir à un finalisme plus restreint, si restreint qu'il ne lui
resta plus somme toute, grâce à son extraordinaire lucidité et
sa capacité de remise en cause qui fait de lui un grand
scientifique, qu'un panthéisme de poète.
La question de la finalité en biologie en France autour de
1930-1940.
Comme le dit très bien Rostand, “ dans ce renouveau
du finalisme supérieur (auquel sont attachés les noms de
Cuénot, Vandel, Bounoure, Collin, Rouvière, Lecomte de
Noüy) qui incontestablement se manifeste de nos jours, on
peut voir une réaction naturelle contre l’immodestie de
certaines explications prématurées. Pour avoir cru trop vite
que la science allait, tout de suite, nous fournir une
explication intégrale de l’évolution, on est venu à penser que
jamais elle ne pourra nous la fournir ” (Rostand, Les grands
courants de la biologie, 1964, dans Buican, 1994, p.44).
- René Jeannel est un cas de lamarckiste finaliste, partisan
d’une thèse orthogénétique de l'évolution, par laquelle les
organes se compliquent de plus en plus : les spécialisations
progressives, par ajustement de plus en plus fin aux
— 301 —
conditions de milieu, deviennent héréditaires et finissent, au
bout d’une longue évolution, par devenir des outils
spécialisés. Il attribuait à la distinction entre soma et germen,
l'impossibilité pour les néo-darwiniens de reconnaître
l'influence du milieu sur les individus (Jeannel, 1942, p.20) .
- Alfred Vandel (1894-1980) était élève de Maurice Caullery,
professeur de zoologie à la faculté des sciences de Toulouse
depuis 1930, membre de l’Académie des sciences en 1955 ; il
fut longtemps néo-lamarckiste et finaliste à la manière de
Teilhard de Chardin, malgré ses travaux sur les animaux
cavernicoles, travaux expérimentaux en laboratoire, pour
lesquels il affirma pourtant l’improbabilité de l'hérédité
lamarckiste. C'était de plus un partisan de l'orthogenèse qui
nia tout rôle évolutif à la sélection naturelle et finit par
accepter, après 1950, les mutations pour les micro-évolutions,
mais par pour la macro-évolution (Grimoult, 2000).
- Henri Rouvière, professeur d’anatomie à la faculté de
médecine de Paris, dans un ouvrage intitulé Vie et finalité en
1947, se qualifiait lui-même de mutationniste finaliste. Il
défendait l'idée que l'ontogenèse va vers une fin prévue ; les
coaptations, des organes aussi parfaits que l'œil ne pouvaient
qu'être la réalisation d’un plan et d’une intention, “ un acte de
volonté, en raison de la grandeur et de la perfection de son
œuvre en une puissance au-dessus des forces de la nature ”
(Rouvière, 1947, p.94). Les mutations montrent le dessein
prémédité, la fin voulue (Rouvière, 1941, p.118). Dieu est à
l’origine, les mutations sont voulues à l’avance, le
perfectionnement est incessant. “ Couronnant l'évolution et
préparée par elle, une mutation a formé l'Homme, dominant
de très haut tout le règne animal par l'esprit qui l'élève jusqu'à
lui permettre de concevoir l'œuvre de son Créateur ”
(Rouvière, 1947, p.145).
— 302 —
- Pierre Lecomte de Noüy (1883-1947), physicien puis
biologiste à l'Institut Pasteur, proposait un téléfinalisme qui
agit comme une force orientatrice à la manière de Teilhard de
Chardin, à la différence près qu'il n'était pas chrétien. Selon
Lecomte de Noüy, l'évolution était ascendante, l'Homme
étant le plus complexe et le plus parfait des mammifères : “
Tout se passe comme si, dès le début, il avait été décidé que
l’évolution aboutirait à l’Homme ”. Tout s’est passé comme
si le hasard avait été perpétuellement dirigé par un
anti-hasard et cet anti-hasard, il le nommait Dieu. Lecomte de
Noüy pensait que, mise à part la lignée qui conduisit à
l'Homme, “ la lignée élue ” , l'évolution était la recherche de
la meilleure adaptation à l'environnement ; une fois atteinte,
les espèces ne variaient plus ; certaines, laissées pour compte
de l'évolution, devenaient monstrueuses (hypertélie), d'autres
merveilleusement adaptées depuis le Cambrien, persistaient
(Lecomte de Noüy, 1964, p.274-275).
- La pensée philosophique du Père jésuite Pierre Teilhard de
Chardin consistait en quatre points essentiels : immanence de
la conscience dans la matière, immanence de la vie dans les
molécules carbonées, création autour de la Terre d'une
noosphère par développement de l'Homme, et montée de la
conscience qui doit aboutir, par convergence des consciences
individuelles, à Dieu, le point Omega (Teilhard, 1955). Il
pensait que la vie “ se comporte comme une onde qui s’étale
”. Elle a tout essayé. Elle a constamment essayé dans le
même sens, vers plus d’arrangement et de psychisme. Le
développement du psychisme humain conduit à une
noosphère à l'échelle de la Terre. Elle se dirige vers le point
Omega qui représente le Christ cosmique. Si elle contribua,
après sa mort, à faire accepter l'évolutionnisme par l'Eglise,
cette conception de l'évolution ne fut pas partagée par les
biologistes de l'époque, loin s'en faut, mais ne le fut pas non
— 303 —
plus par l'Eglise. Quant aux jésuites de l'époque, ils
critiquaient l'absence de déterminisme, de référence à la
chute de l'Homme et son rachat et considéraient la théorie
évolutionniste comme une hypothèse non une certitude.
Teilhard de Chardin avait confié à Henri Tintant (entretien,
2001) pourquoi il s'était passionné pour les sciences : “
Quand il était jeune jésuite, il a fait de la zoologie à Paris et il
fréquentait pas mal le laboratoire de Delage qui était un
homme très accueillant, très ouvert. Un jour Delage lui a dit
“Vous êtes jésuite et vous voulez faire de sciences
naturelles ? Vous croyez que c’est possible?”. Teilhard a
répondu que “tout ce qu'il a fait ensuite c’était pour montrer à
Delage et à ses successeurs qu’on pouvait être un bon jésuite
et un bon naturaliste” ”.
- Jean Piveteau se rallia au finalisme orthogénétique de
Teilhard de Chardin.
- Pierre-Paul Grassé, refusa toujours le hasard. “ Les
néo-darwinistes ne voient en elle (la finalité) qu’un
phénomène pseudotéléologique car elle résulte de la mise en
œuvre d’une sélection aveugle. Toutefois, admettant aussi
que cette sélection travaille pour le plus grand bien de
l’espèce, ils font du même coup, et implicitement, un
jugement de valeur. ils assignent un but à l’évolution, ils la
finalisent, tout en lui attribuant une réalisation purement
mécaniste[…]. Le recours à un anti-hasard s’impose, celui
des darwiniens est la sélection naturelle ; nous sommes
convaincus qu’il y en a d’autres plus efficaces qui opèrent
directement dans l’intimité de la cellule (Grassé, 1950,
Paléontologie et transformisme, p.215). Grassé, proche de la
philosophie biologique de Cuénot, restait prudent devant les
faits inexpliqués tels que les callosités de l'autruche ou les
coaptations (Grassé, 1943, p.91), et refusait d'accorder un
rôle évolutif majeur à la sélection : “ On pressent qu'un
— 304 —
mécanisme, des causes autres que le hasard, même épaulé par
la sélection naturelle, ont joué un rôle dans la formation des
coaptations, des organes complexes et de systèmes
organiques coordonnés ” (Grassé, 1943, p.109).
 Les insatisfaits
“ Rien c’est trop peu ; Dieu, c’est trop. ”
Jean Rostand, dans Buican, 1994, p.135
Ni mécanicistes, ni finalistes, cette génération de
scientifiques se sentaient simplement mal à l'aise dans le
cadre conceptuel de l'époque.
- Wintrebert écrivait que “ le vivant ne peut être, au cours des
âges, le perpétuel gagnant d’une loterie de mutations
fortuites” (Wintrebert, dans Moreau, 1964, p.216).
- Caullery n'était pas finaliste mais comme Cuénot ou
Rostand, il pensait que “ ni le lamarckisme originel, ni le
darwinisme complété par la théorie des mutations ne peuvent
offrir à notre esprit une image satisfaisante de la réalisation
de la nature vivante telle que nous la connaissons ” (Caullery,
1946, p.43). Guyénot estimait lui aussi impossible de
concevoir qu'une suite de hasards ait engendré la vie. Il a
longtemps combattu le finalisme mais s'y est converti à la fin
de sa vie avec l'hypothèse d' “ un instinct élémentaire qui
serait le principe souvent faillible de la marche finalisée de la
vie animale ” (Guyénot, dans Buican, 1984, p.280).
- Rostand non plus n'était pas finaliste mais il écrivait : “
Avouons-le, nous sommes présentement enfermés dans un
dilemme dont il ne paraît pas que nous soyons prêts de sortir:
l’évolution des espèces, est, sans hérédité acquise, très
difficilement concevable, et quant à l’hérédité acquise, non
seulement elle est très difficilement concevable, mais les faits
lui sont franchement contraires ” (Rostand, 1933, dans
Buican, 1994, p.34-35). Insatisfait du transformisme, du
— 305 —
néo-mutationnisme, il se demandait vers où aller : “ Certes, le
finalisme épuré d’un Cuénot ou d’un Vandel est bien
différent du grossier finalisme de jadis et davantage encore
du naïf providentialisme à la Bernardin de Saint Pierre ; il se
rattacherait plutôt aux conceptions néo-vitalistes de Bergson
(élan vital) et de Driesch (entéléchie), qui elles-mêmes ne
sont point sans parenté avec celle de Claude Bernard (idée
créatrice et directrice) ; mais elle n’en aboutit pas moins à
superposer aux causes efficientes des entités inconnaissables
et inétudiables par définition ” (ibid., p.43). Les entités
inconnaissables de Rostand ont aujourd'hui un nom : il
manquait en fait un fondement moléculaire à l'évolution
qu'allait combler en partie quelques décennies plus tard la
génétique moléculaire. La clé de la pensée de Jean Rostand
se trouverait, selon Buican (ibid., p.45), en cette phrase :
“S’agissant du problème de l’évolution, comme de tant
d’autres, la plus sage attitude, et la plus loyale, est, nous
semble-t-il , de réserver la place à un inconnu qu’on
s’abstiendra de baptiser et dont on se gardera de faire un
inconnaissable dans les grand courants de la biologie ”
(Rostand, dans Buican, 1994, p.45). Sceptique tourmenté,
agnostique, il se disait tenaillé par l’angoisse métaphysique et
devoir choisir “ ou l’apaiser, ou la noyer dans le plaisir, ou la
guérir par des pilules ” (ibid., p.137).
Le finalisme dans les pays anglo-saxons
La philosophie naturelle des Français diffère sur bien
des points de la philosophie de tradition anglo-saxonne.
Cependant le finalisme, pour l'Homme de science, est une
réflexion universelle, qui peut transcender les idéologies
sociales ou politiques, des religions et des situations
personnelles (éducation). Darwin ne put se défaire totalement
d'un théisme résiduel visible dans sa croyance au progrès,
— 306 —
héritage aussi d'une pensée profondément libérale (Bowler,
1995, p.207). Ces disciples les plus directs comme Wallace
furent encore plus adeptes du progrès qui, pour éviter la
connotation finaliste immanquablement spirituelle, fut
renommé orthogenèse. Cuénot rédigea l'analyse de l'ultime
ouvrage de Alfred Russel Wallace, La place de l'Homme
dans l'univers, en 1908, ainsi que sa nécrologie en 1913 : il
est amusant de constater que Cuénot, à cette époque, écrivait
dans la Revue générale des sciences que “ déjà dans ses
belles études sur le transformisme, il s'était montré volontiers
spiritualiste, et on ne s'étonnera pas que cette tendance n'ait
fait que s'accentuer avec l'âge ” (Cuénot, analyse d'ouvrage,
1908).
Les néo-darwiniens orthodoxes et à fortiori les
artisans du néo-darwinisme n'ont fait qu'intégrer la génétique
à la théorie darwinienne. Ils pensaient aussi en terme de
progrès (Tassy, 1995, p.116-117). Une fois l'orthogenèse
discutée par Julian Huxley, il resta chez les néo-darwiniens,
en filigrane, la notion de progrès vers l'Homme (foi laïque,
humaniste) dont Teilhard n'est que l'affirmation chrétienne.
Ainsi Georges G.Simpson écrivait :“ En matière de
philosophie personnelle, je n’entends pas assumer ici une vue
entièrement mécaniste ou matérialiste des processus vitaux.
Je soupçonne qu’il existe dans l’univers bien des choses qui
ne seront jamais expliquées en ces termes et qui peuvent être
inexplicables sur un plan purement physique. Mais l’histoire
scientifique démontre à l’évidence que le progrès de la
connaissance requiert rigoureusement que jamais aucun
postulat non-physique ne soit admis en connexion avec
l’étude des phénomènes physiques. Nous ne savons pas ce
qui est et ce qui n’est pas explicable en termes physiques,
aussi le savant qui cherche des explications n’en doit-il
chercher que de physiques, sous peine que les deux sortes ne
— 307 —
soient jamais démêlées. L’opinion personnelle est libre dans
le champ où cette recherche a, jusqu’à présent, échoué, mais
ceci ne constitue pas proprement un guide pour la recherche
et ne fait partie d’aucune science ” (Simpson, 1951, note de
bas de page, p.127-128). Pour Simpson, “ l'Homme n'est
certainement pas le but de l'évolution qui n'a évidemment pas
de but ” (Simpson, 1951, p.255). L’évolution organique n’est
pas organisée pour un but et un plan mais la nouvelle
évolution (de l'Homme) est caractérisée par l’existence d’un
but et d’un plan, ceux de l'Homme. Le but et le plan font
partie de l’évolution comme résultats mais non comme cause
du processus ; les buts et les plans sont les nôtres, pas ceux de
l’univers. “ Cependant l'origine de l'Univers et les principes
qui ont déterminé son histoire restent inexpliquées et
inaccessibles à la science. C'est là que se cache la Cause
Première cherchée par la théologie et la philosophie. On ne
connaît pas la Cause Première et je doute qu'aune homme
vivant arrive à la connaître ” (ibid., p.243). Mais, l'Homme
n’est pas un pur accident, il est apparu par la suite d’une
succession extraordinairement longue d’événements au cours
desquels hasard et orientation ont joué un rôle : “ Penser que
ce résultat est dépourvu de signification serait se montrer
indigne de dons aussi remarquables qui comportent entre
autres richesses le sens des valeurs ” (ibid., p.255).
Julian Huxley était franchement déiste, mais partisan
d’une religion pure, dépouillée, sans symbole ni
représentation (Huxley, 1946, p.227-288). Huxley était un
adepte de l’évolution progressive, sous l'influence de la
pression sélective, poussant inévitablement les organismes
vers le progrès biologique. Il étendait d'ailleurs sa croyance
au progrès à l'humanité ; développement de l’esprit, efficacité
des organes, coordination, grandeur, portée des sens, capacité
à savoir, mémoire, éducabilité, intensité émotive. Autant de
— 308 —
caractères, propres de l'Homme, apte à progresser. Mais à
l'évolution créatrice de Bergson, Huxley préférait “
l’évolution émergente ”. Julian Huxley rencontra Teilhard de
Chardin ; il écrivit même l'introduction à la version
américaine du Phénomène Humain. Pascal Tassy semble
accorder une certaine importance à ce rapprochement auquel
s'associa le généticien Théodosius Dobzhansky : “ La
conception de l'évolution comme un progrès n'implique
peut-être pas la reconnaissance d'un but, elle semble
néanmoins en être la nécessaire condition ” (Tassy, 1995,
p.116-117). Huxley conçut même un grade uniquement pour
l'Homme ( “ psychozoa ” ), de même rang que le règne
animal. En effet Dobzhansky sembla s'être approché sur la
pointe des pieds de la pensée de Teilhard, à la manière d'une
métaphysique empreinte de poésie nostalgique comme le
laisse supposer la conclusion de son ouvrage L'Homme en
évolution : “ A l'Homme moderne, si solitaire, emprisonné
spirituellement au milieu de ce vaste univers dénué de sens,
la notion de l'évolution de Teilhard de Chardin apparaît
comme un rayon d'espoir ” (Dobzanskhy, 1966, p.393).
 Qu'est ce que la vie ? L'hypothèse d'Erwin
Schrödinger
Schrödinger, l'un des pères de la mécanique
ondulatoire, fut le premier à s'intéresser au support de
l’hérédité dès 1943 et à introduire le concept d'information,
de programme génétique avec le terme de code — mais avec
une vision encore tout théorique du gène qui serait un cristal
apériodique, les mutations étant des sauts quantiques
moléculaires. Il fallut pourtant attendre encore dix ans pour
découvrir l’ADN et autant pour comprendre le code
génétique. Son ouvrage What is life?, paru en Angleterre en
1944 à la suite d'une série de conférences faites à Dublin, fut
— 309 —
accessible en anglais aux scientifiques français en 1948, la
traduction française paraissant en 1950 en tirage restreint. Cet
ouvrage, à la conclusion discrètement métaphysique, fut
formidablement accueilli à l'époque dans les pays
anglo-saxons, la France réagissant, sauf Louis de Broglie,
comme à son habitude, avec un temps de retard. Cuénot et
Tétry s'en inspirèrent directement, comme en témoigne
l'exemplaire en anglais de 1948 retrouvé avec les articles de
journaux mentionnés ci-dessous, dans la bibliothèque
d'Andrée Tétry, qui commandait alors les ouvrages pour
Cuénot préparant son Evolution Biologique. Dans une note
du 8 mai 1950, Cuénot précise qu'il a approfondi la thèse de
Schrödinger et envisageait un “ lien cybernétique entre le
gène et les substances somatiques ” (Cuénot, carnet de bord
de L'évolution., p.3). En 1950, la presse s'empara du sujet et
une série de témoignages des plus grands scientifiques
français de ce temps parut dans Les Nouvelles Littéraires
(2-16 mars, 6 avril, 4 mai et 1èr juin 1950). Cuénot apporta
son témoignage après Teilhard de Chardin, Louis de Broglie,
Maurice Caullery, Jean Piveteau et Jean Rostand entre autres
: sa réponse, comme celle des autres, révèle l'humilité de ces
grands noms, bien incapables de définir la vie avec les
connaissances de l'époque et Cuénot, se contenta de répondre
qu'il est impossible actuellement de connaître les limites du
vivant et du non-vivant, le début de l'apparition de la vie ; “
avec sa verve coutumière ”, s'inspirant d'Anatole France, il
répondit que “ la vie […] c'est de l'inconnu qui f... (sic) le
camp ”. Avec sagesse, Rostand, quant à lui, conclut que la
création d'une “ unité auto-reproductrice ” n'a aucun rapport
avec la création d'une cellule, de par son extraordinaire
complexité : “ Si l'Homme, jamais, obtenait pareil résultat, il
aurait réalisé ce que, même d'un Dieu, nous jugeons
impossible ”.
— 310 —
Le finalisme biologique de Lucien Cuénot
“ Vous qui savez tout, ô sages, voulez-vous me dire pourquoi il existe
quoi que ce soit, y compris moi-même, qui me le demande? ”
(Cuénot, Réflexions sur l'évolutionnisme, 1948, p.493)
“ L’examen des faits conduit à admettre un finalisme
restreint, intermittent, se traduisant par l’invention perfectible
” (Cuénot, Invention et finalité en biologie, 1941, p.246). Si
Cuénot s'engagea longtemps pour imposer le transformisme
et le darwinisme en France, il. s'opposa toute sa vie au
réductionnisme, depuis le mécanicisme néo-lamarckiste,
inspiré de la lutte pour la vie d'inspiration capitaliste
victorienne, jusqu'à son pendant marxiste, le matérialisme
dialectique inspiré de Marx et d'Hegel. Les deux principes
ont en commun le perpétuel changement dans l'univers, aussi
bien que sur terre, en biologie ou dans les faits sociaux.
L'Homme dans les deux cas se pose la question 'comment', de
manière à agir sur les processus, mais jamais la question
'pourquoi'. Il faut dans les deux cas une foi totale dans le
progrès de la science et de l'Homme qui doit dominer la
nature. La philosophie dialectique
applique un
néo-darwinisme strict — il n'y a que des mutations fortuites
se transmettant sous l'effet de la sélection., il n'y a pas de but
atteindre, si ce n'est le moment considéré (Cuénot, Réflexion
sur l'évolutionnisme, 1948, p.493-494). Ces deux versions du
matérialisme eurent un succès évident auprès des jeunes
générations, sans doute parce que la première intervenait au
moment de la séparation de l'Eglise et de l'Etat en France, et
proposait une alternative au catholicisme étouffant de
l'époque. Le second, plus tardif, parce qu'il portait les
ferments d'une possible révolution sociale radicale. Cuénot
— 311 —
opposait, à cette idéologie dominante, son finalisme qu'il
définit lui-même comme incluant l'interaction du milieu et
des êtres et l'existence de la sélection, admettant une
direction de l'évolution et une inventivité même
incompréhensibles. Pour Cuénot, mutationnisme, darwinisme
et même théorie de la préadaptation et sélection naturelle
étaient des théories incomplètes (Invention., 1941, p.233).
 A l'aube des questionnements : l'intuition naturaliste
Au sujet du finalisme évolutif de Cuénot, Buican, qui
fut le premier historien des sciences à s'être intéressé à
Cuénot, n'a pas saisi la subtilité cachée sous cet apparent
finalisme, trop acquis à la théorie synthétique. Admirateur de
celui qui allait redécouvrir les lois de Mendel en France, et
sans doute pour se rassurer lui-même, il écrivit que “ les
recherches expérimentales du biologiste Cuénot ne devaient
avoir aucun rapport avec ses assertions philosophiques ”
(Buican, 1989, p.196). Une connaissance complète de
l'oeuvre scientifique de Cuénot, depuis Les moyens de
défense dans la série animale en 1892, fournit une toute autre
interprétation. Bien sûr, il ne s'agit pas à proprement parler
d'expérimentation
hypothético-déductives,
mais
essentiellement d'observations zoologiques approfondies. Le
point de départ de sa réflexion sur le finalisme en biologie
trouve son origine dans un “ insignifiant détail ” (Cuénot,
discours, 1948). Ce type d'observation semblait encore n'être
qu'une curiosité de naturaliste. “ Justement parce que c'est un
problème difficile dont je ne vois pas la solution ”
(Correspondance non identifiée, dossier Coaptation, 17 août
1919). L'on trouve maints comptes-rendus de publications
internationales (allemandes surtout, mais aussi de Haldane)
sur le débat finalisme / mécanicisme dans les archives de
Cuénot (Dossier coaptation). Dès 1917, Cuénot élevait dans
— 312 —
son laboratoire le phasme Carausius morosius Lorsque
l'animal est en position cataleptique, les pattes antérieures
s'appliquent étroitement à la tête au moyen d'une partie
courbe du fémur, réalisant un ajustement parfait et lui
procurant cet aspect si caractéristique de morceau de bois. “
Comment cette déformation a-t-elle pu se développer? ”. Si
Cuénot élimina d'emblée l'interprétation lamarckiste
“inconcevable ” et se rangea provisoirement à l'hypothèse
d'un accident mécanique fortuit (Cuénot, 1919, p.838), il
hésita longtemps puis reconnu le caractère “ héréditaire
c'est-à-dire préparé dans l'embryon ” puisque, chez ce
dernier, il n'y a aucun contact entre la tête et les pattes. “
Comment les pattes ont-elles su que dans l'avenir, elles
auraient une tête à contourner? ”: nous voici une fois de plus
en face d'un de ces petits détails insignifiants, de ceux que
Cuénot affectionnait car ils ne reçurent pas de réponse
satisfaisante dans le champ de la biologie réductionniste. S'il.
acceptait parfaitement le fonctionnement physico-chimique
de la vie, il ne lui suffisait pas. Pour lui, la vie, par la
diversification, condition préalable à l'extension du domaine
de la vie, tend à se conserver et à conquérir l'espace. Il allait
jusqu'à écrire même : “ Tout se passe comme si (en italique
dans le texte) la Nature dédaigneuse de l'individu, de la
beauté, de la force même, donnait une prime seulement à la
fécondité […] L'évolution ne vise pas à proprement parler le
progrès organique ” (Cuénot, Finalité et Invention en
biologie, 1935, p.44). Mais ce “ tout se passe comme si ”
devint vite pour Cuénot artifice de langage, artifice
pédagogique, formule prudente des biologistes qui ont à
décrire une astuce de reproduction ou une forme trop parfaite.
Le finalisme de Cuénot provenait de l'insatisfaction vis-à-vis
du néo-darwinisme incapable d'expliquer l'évolution :
coaptations, adaptations, mais surtout convergences
— 313 —
orthogénétiques, coïncidences. Il y avait qu'une alternative,
hasard ou invention. Cuénot choisit l'invention, la faculté
immanente d'invention du patrimoine germinal de l'être
(allocution, 1948). Il admettait une propriété métaphysique
inhérente à la vie. Il situait lui-même son finalisme proche de
l'élan vital de Bergson, l'entéléchie de Driesch ou l'idée
directrice de Claude Bernard (Cuénot, Les Nouvelles
Littéraires, entretien, 1933 ; L'invention en biologie, 1935,
p.14 ; Les facteurs inconnus de l'évolution, 1933, p.6). Il se
démarquait lui-même de finalistes tels que Lecomte de Noüy
pour qui la vie se dirige vers plus de spiritualité (ibid.,
p.493-496). Il est par contre étonnant qu'il ait écrit (Manuscrit
de L'évolution biologique, introduction) ne pas partager “ tant
s'en faut, bien des vues de Huxley, trop matéraliste à (son)
goût ”.
Hans Driesch avait créé, à la fin du XIXe siècle, cet
agent vital directeur qu'il appela entéléchie (terme d'Aristote),
lorsqu'il constata, au cours de ses expériences d'embryologie,
que les blastomères qu'il segmentait continuaient néanmoins
à se développer et former des larves d'oursins ; ou bien, il
faisait fusionner des blastulas ou des oeufs qui donnaient
alors une larve unique. Cependant, ces résultats ne sont pas
généraux et souvent le développement s'arrête. L'intérêt
réside surtout dans une vison holiste et organiciste, et a attiré
l'attention sur l'unité de l'organisme. L'organicisme, selon
Cuénot, ne faisait pas appel à une puissance extra-matérielle :
“ L'organe est l'outil, le moyen à l'aide duquel l'organisme est
un tout, se conserve et se reproduit. Il n'y a pas de matière
vivante mais des organismes vivants qui sont irréductibles à
toute manière inanimée, ce qui implique la négation de la
génération spontanée sur la Terre. Tout se qui se passe dans
l'organisme relève du déterminisme physico-chimique.
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L'organicisme est essentiellement téléologique ” (Cuénot,
Invention., 1941, p.136-137).
Henri Bergson (1962, p.54) ne pensait pas que la vie
ait un but mais qu'elle croît dans un élan primitif, un élan
originel, immanent : “ La vie, depuis ses origines, est la
continuation d'un seul et même élan qui s'est partagé entre
des lignées divergentes ” (Bergson, 1962, p.53). Cuénot avait
mis en exergue cette citation de Bergson, annotée à la main
dans sa Genèse (1932, p.470) : “ La vie est un courant qui va
d'un germe à un germe par l'intermédiaire d'un organisme
développé, momentané et mortel ” (aussi dans Bergson,
réedition 1962, p.27). Bergson fut le plus illustre promoteur
d'un vitalisme métaphysique selon Jacques Monod. Selon ce
dernier, contrairement à la majorité des autres vitalistes,
Bergson n'était pas finaliste : non déterministe, pour lui
l'évolution n'avait ni causes finales ni causes efficientes ;
l'Homme est là mais il aurait pu en être tout autrement
(Monod, 1970, p.44). Pour Bergson, l'intelligence humaine
était incapable de comprendre, il fallait revenir à l'instinct, à
l'intuition.
Courrier a qualifié Lucien Cuénot de biologiste
transcendant (Courrier, 1952, p.22). La transcendance au sens
kantien signifie extérieur, hors de portée, et d'une façon plus
générale au-dessus de tout (Comte-Sponville, 2001). Cuénot
le rationaliste attribuait l'intelligence de la vie, à la matière
même, ce qui relève de l'immanence, et serait alors proche du
vitalisme, et proche finalement du matérialisme si la matière
elle-même doit être considérée comme son propre architecte.
Ors il pensait que “ la Nature aveugle est géomètre, mais elle
n'est pas artisane ” (Cuénot, Finalité et Invention en biologie,
1935, p.43). Si la nature n'est ni artisane, elle est encore
moins architecte! Elle ne serait qu'un bon ouvrier qui exécute
des ordres? Quoi qu'il en soit de cette subtilité rhétorique ou
— 315 —
métaphysique, il est clair que Cuénot situait le pouvoir
immanent d'invention dans le patrimoine héréditaire,
acceptant donc une idée de plan préétabli à l'intérieur même
de la matière, initié par son démon germinal, capable de
prévision (ibid., p.39), même si Cuénot était parfaitement
conscient de l'anthropomorphisme d'une telle conception. Son
finalisme n'est en cela pas transcendantal, émanent d'un
pouvoir extérieur à la matière, même s'il comparait souvent
les outils des êtres vivants aux outils inventés par les
hommes, qui eux, proviennent d'une idée extérieure, celle de
son inventeur.
Pour Cuénot si la vie est invention, elle est aussi
caprice par tous ses excès, ses destructions, ses échecs. Il
s'opposa au monisme matérialiste pour qui l'univers est sans
commencement, sans but, dans un ballet incessant de causes
et d'effets, l'Homme n'étant qu'un être animal destiné à se
nourrir pour se reproduire, la conscience est illusion et
épiphénomène : repos intellectuel, inexistence de la
responsabilité, puisqu'il n'y a ni bien, ni mal, ni péché, ni
mérite. Cette conception était pour lui “ dogmatiquement
atéléologique ” (Cuénot, Genèse., annotation, 1932, p.471).
Et Cuénot s'étonnait que, si cette conception était si
couramment admise par l'Homme de science au point d'en
faire son hypothèse de travail — comme aujourd'hui encore
où l'on recourt à l'hypothèse du gène égoïste — dans la
société, dans la vie individuelle, tout se passe comme si l'on
était d'avis contraire puisque tout homme agit de manière
finalisée. Il s'étonnait aussi que lorsque le biologiste
expliquait une innovation évolutive (par exemple l'adaptation
de la circulation sanguine lors du passage de la vie aquatique
à la vie terrestre) il s'exprimait “ comme s'il y avait un
adaptateur extérieur à la question à résoudre ”.
— 316 —
N'en est-il pas encore comme cela aujourd'hui,
lorsque l'on recourt à des termes comme, contrôle,
transcription, régulation, codage, programme, objectif, gènes
réalisateurs, patron d'expression, territoires identifiés et
spécifiés par l'expression du gène, information, intervention,
stratégie, transmission de signaux inducteurs... Bien
qu'abstraites, ces notions que certains prétendent bien sûr
n'utiliser que faute de mieux, des phrases telles que “ la
neurulation peut être vue comme la réalisation d'un choix de
développement entre le devenir neural et le devenir
épidermique ” reflète parfaitement l'ambiguïté linguistique du
biologiste : réalisation, choix, devenir sont des termes à
connotation éminemment finalistes. Le problème est que, en
admettant même la théorie du gène égoïste, séduisante
hypothèse de travail par sa simplicité conceptuelle, comment
ne pas être alors époustouflé par la capacité inventive de ces
petits amas de molécules, bricoleurs de génie, sans morale et
prêts à tout pour survivre! A force d'avoir su convaincre que
tout est dans la matière, il s'est créé une effet pervers qui se
retourne sur les plus parfaits zélateurs : force est d'admettre
l'inventivité et le talent organisateur de cette matière. En
réponse, le principe d'émergence est une explication
commode,
dialectiquement
imparable,
mais
fondamentalement insatisfaisante. Car, alors, comment
émerge l'innovation et comment les molécules l'intègrent et
en assurent le suivi, le fonctionnement?
Dans l'introduction de son Evolution Biologique
(1951), Cuénot écrivait en préface : “ Une grave maladie
menace la biologie générale : c'est l'intrusion dans la pensée
scientifique d'une intolérance philosophique et même
politique, qui tend à délimiter une doctrine quasi-officielle,
en dehors de laquelle il n'est point de salut ” (manuscrit de
L'évolution biologique, p.3). On pourra bien sûr lui opposer
— 317 —
que l'intrusion de la métaphysique n'est d'aucune utilité,
risquant par là même non seulement de freiner la
compréhension en proposant une explication hors de portée
du biologiste, mais encore d'offrir prise à toutes sortes de
dérives et qu'il est préférable qu'elle reste hors du champ de
la science. A l'argument qui consistait à dire que la finalisme
stérilisait le recherche, Cuénot, rétorquait qu'au contraire, il
est principe de découverte. C'est parce que l'on a soupçonné
certains organes de jouer un rôle que l'on a découvert la
fonction de la thyroïde ou du pancréas (Cuénot, Finalité et
invention en biologie, 1936, p.37).
 L'outil finalisé
Concernant les coaptations, Cuénot ne pouvait
admettre que l'apparition d'un système d'accrochage des ailes
de l'abeille, la parfaite fermeture du bouton pression de la
carapace du crabe ou le pédicellaire d'oursin soit le seul fait
de mutations dues au hasard. Il donnait régulièrement
l'exemple d'un poisson des profondeurs abyssales,
Lasiognathus saccostomus, qui porte sur sa tête une véritable
canne à pêche composée d'une tige osseuse rigide, terminée
par un filament raide et à son extrémité une petite boule
lumineuse et plusieurs hameçons. Il aimait aussi à rappeler
qu'un certain R.H.France eut l'idée, en contemplant la capsule
poudreuse de pavot, d'un dispositif semblable pour éparpiller
par secouage des substances pulvérulentes (sel, sucre...) et
que cette invention donna lieu à un brevet américain. Les
mécanistes comparaient l'organisme à une machine, mais une
machine est construite en vue d'une fin. Cuénot y voyait une
finalité organique de réalisation. La grande guerre a eu pour
conséquences des inventions humaines à l'image de ce que la
nature fait depuis longtemps : camouflage, nuage de fumée
opaque comme la seiche, gaz lacrymogène et autres comme
— 318 —
nombres d'animaux utilisant le rejet de substances toxiques et
de liquides malodorants, pour se protéger... A chaque fois,
l'outil humain est moins efficace, moins parfait, moins sûr,
que celui créé par la nature (Cuénot, discours non daté et non
titré). Il citait aussi souvent la cloche à plongeur de
l'argyronète, l'aigrette du fruit de certaines composées qui
fonctionne comme un parachute, le filet piège de l'araignée
ressemblant aux filets des pêcheurs. La mutation n'invente
pas d'outils, alors Cuénot recourut au mythe du démon
organisateur, du démon germinal pour marquer la nécessité
d'un facteur d'invention (ibid., 1936, p.40). Il testa aussi la
valeur heuristique du finalisme. Ses observations l'avaient
conduit à rechercher des surfaces râpeuses chez les larves
d'insectes : il les trouva en effet “ à l'endroit logique ”. Ainsi
chez le pagure et les larves Clythra, la chenille de Fumea ou
Talaeporia, il retrouvait ce même outil finalisé, comme pour
des crampons terminaux chez le pagure et la larve de
phrygane.
Le problème des coaptations devint moins prégnant à
la fin de sa vie : le colloque Paléontologie et Transformisme,
avec la rencontre des scientifiques anglo-saxons, exerça une
influence certaine sur sa philosophie biologique. S'il ne put se
résoudre, comme certains de ses contemporains, au confort
moral que procure l'hypothèse suffisante de la sélection
naturelle, il semblait certain qu'il doit exister encore autre
chose : cet 'autre chose' fut en grande partie éclairci grâce au
progrès des cinquante années suivantes, que la dernière
décennie vint clore avec la découverte majeure des gènes de
développement. Mais il est certain que si notre biologiste
vivait aujourd'hui, il conserverait son insatisfaction et son
finalisme restreint face aux coaptations.
 La convergence
— 319 —
“ Lorsque l'on aura démontré le mécanisme
ontogénétique qui conduit à la formation d'un œil, depuis les
gènes chromosomiens des cellules germinales jusqu'à
l'organe développé et ses différentes annexes, puis reconnu la
marche des rayons lumineux et les changements du pourpre
rétinien, constaté que ce dernier a besoin pour se développer
de vitamines — ce qui exige l'existence d'un tube digestif,
d'un appareil circulatoire, et bien entendu de végétaux
élaborant du carotène, donc du soleil et de l'univers, expliqué
la nature de l'influx nerveux et le processus de la sensation
consciente, et encore quelques autres petites choses, il n'en
restera pas moins que l'œil sert à voir ; c'est sa fonction (=
fin) ” (Cuénot, Invention., 1941). Le subtil argument
bergsonien de principe interne pour expliquer la convergence
d'effets — œil de céphalopodes, des pecten, des vertébrés —
peut être repris pour expliquer toutes les convergences. Il est
difficile d'admettre que l'œil soit apparu par hasard non pas
deux ou trois fois, mais des centaines de fois dans l'évolution.
L'oeil de vertébré et de seiche faisait dire à Darwin dans un
courrier à Asa Gray : “ L'oeil me fait frissonner ” (dans
Grassé, 1950, p.209). L'oeil ne peut se concevoir qu'achevé.
Pour Cuénot, il faudrait concevoir qu'il soit apparu d'un seul
coup : hypothèse hardie certes, mais au final tout aussi
improbable que l'hypothèse mécaniciste. Cet exemple,
comme d'autres, obligeait Cuénot à avoir recours à une
conception plus bergsonienne que strictement finaliste
(Cuénot, Invention., 1941, p.193 ; Bergson, réedition 1962,
p.61-63). Elle consistait à attribuer “ à la cellule germinale
une sorte d'intelligence combinatrice, un pouvoir immanent
équivalent à l'intentionnalité qui se trouve à la base de l'outil
humain ” (Cuénot, 1941, p.222). Cette conception était
proche de Bergson, pour qui l'élan originel de la vie, qui n'est
sans doute pas prédéterminé, et qui se poursuit dans la
— 320 —
marche de l'évolution, contiendrait en lui-même la
représentation du but à atteindre et c'est précisément
pourquoi on la retrouve dans des lignées indépendantes. Cette
vision est différente du finalisme classique pour qui
l'évolution exige une représentation consciente ou
inconsciente d'un but à atteindre (Bergson, 1962, p.97).
 Hasard et anti-hasard
Le hasard est l'absence de la finalité de fait. “ Si l’on
demande à l’Homme de la rue de définir le hasard, il
n’hésitera pas à dire, en pensant au jeu de dés ou à la tuile qui
tombe du toit, que le hasard est imprévisible […]. Si le
résultat d’un jet de dés ou d’une pièce de monnaie, est
imprévisible, c’est seulement parce que son déterminisme,
aussi rigoureux qui celui qui règle le mouvement d’une
planète, échappe à notre emprise, du fait de sa complication
et de la minime grandeur des choses. Le hasard est l’absence
de quelque chose ; ce quelque chose, c’est la finalité, le fait
de tendre vers un but. Quand la finalité complémentarise le
hasard, c’est alors l’anti-hasard. Je ne sais pas si l’anti-hasard
existe dans le monde inanimé, cela est au-delà de mon
jugement, mais il se manifeste sûrement dans le monde
vivant ” (Correspondance de Cuénot à Jacques Moreau, 1949
dans Moreau, 1964, p.84). Pour Cuénot, le hasard est
déterminé, la tuile tombe sur la tête du passant. Il est en plus
dirigé : “ Les matérialistes les plus stricts acceptent cette
direction ; ils l’appellent la sélection naturelle […] qui n’est
au fond qu’un démon trieur au sens de Maxwell ” (ibid.,
p.89-90). Tout en acceptant l'explication physico-chimique
de la vie, le hasard dans l'évolution, il recourait à un “
anti-hasard ” qui la dirigerait et la finaliserait. Pour Jacques
Moreau (1964, p.263), qui correspondit avec Cuénot, ce
soi-disant finalisme, cet anti-hasard, relèverait plutôt du
— 321 —
déterminisme, de la raison antérieure de Kant. La pensée de
Cuénot est bien différente de celle de Lecomte de Noüy qui
introduisait l'idée d'une intentionnalité évidente des
phénomènes biologiques.
 La place de l'Homme dans la nature
Pour Andrée Tétry, “ Ni Cuénot ni Rostand ne
paraissent se faire beaucoup d'illusion sur le progrès moral de
l'Homme ” (Tétry, 1941). Il ne croyait pas que la race
humaine soit perfectible. “ L'Homme est un animal grégaire,
qui, à peine assuré de son existence terrestre, ne peut avoir
pour but que de passer le moins désagréablement possible les
quelques années qui lui sont dévolues par sa structure. Aussi
pour vivre en paix, pratique-t-il une morale minimale, qui
maintient tant bien que mal l'accord dans le clan et la cité
(discipline, solidarité, devoir, honneur, sanctions, sécurité),
un vague humanisme qui n'est guère qu'une forme d'égoïsme
(principe d’Hillel, 'ne fais pas aux autres ce que tu ne
voudrais pas qu'on te fis') est constamment remis en cause
par des passions destructrices, des vices sociaux, l'intérêt
personnel, l'inégalité foncière des individus, la folie des
mystiques, l'imbécillité des guerres. L'Homme a un sentiment
religieux inné : mais on peut interpréter celui-ci comme étant
originellement de la peur ('la crainte fit les premiers Dieux de
l'univers', Stace, Thébaïde) ; ou la recherche obscure d'une
causalité téléologique ; jeté par le hasard dans un monde
hostile qui n'a pas été fait pour lui […], il a senti le besoin
d'un protecteur très puissant auquel il puisse recourir ”.
Cuénot avait ajouté à la main : “ A des conceptions
mythiques d'ordre cosmologique pour expliquer la création
du monde et de l'humanité, des règles de morales sociales
— 322 —
[…] ont achevé de constituer les religions […]. L'Homme
plein d'orgueil, a centré l'action de Dieu sur l'humanité, mais
jusqu'à une époque récente, il a restreint son action et sa
protection à une portion choisie : c'est le Jahveh des Juifs, le
vieux Dieu des Allemands […]. Seigneur cruel de la terre, il
en épuise à une vitesse toujours accrue les réserves d'énergie
[…]. Il cherche à prendre la maîtrise de plus en plus complète
des forces de la nature, ou accroître son bien-être ; mais c'est
absolument vain, puisque ses besoins augmentent en
proportion des facilités que la science lui donne […]. Ses
plus belles inventions sont immédiatement utilisées pour sa
propre destruction ; il est trahi par des techniques (avions,
sous-marins, poisons chimiques, stupéfiants, rupture
d'équilibres biologiques, libération de l'énergie atomique, etc.
” (Cuénot, Invention., 1941, annotations, p.118-119;
Invention et finalité en biologie, 1936, p.15). Cuénot espérait
cependant que s'il existait un finalisme dont l'Homme puisse
être le but, ce n'était pas l'Homme tel qu'il est aujourd'hui
mais l'espoir d'un homme “ pacifique, tolérant, véridique,
compatissant, modeste, aimable, et gai, reconnaissant,
suffisamment intelligent ” (Cuénot, conférence, 1947).
 La réception du finalisme de Cuénot par ses
contemporains
Le discours de Cuénot à l'Académie des Sciences en
1935 eut l'effet d'une petit bombe dans le milieu scientifique
de l'époque où une seule alternative semblait dominer la
pensée dogmatique de l'époque : mécanicisme ou
spiritualisme, il fallait choisir son camp. Ors, Cuénot
n'adhérait ni à l'un ni à l'autre, créant une troisième voie.
Giard, une des scientifiques français qui auront
marqué Cuénot, écrivait en 1904 que “ pour expliquer les
adaptations merveilleuses telles que celles que nous
— 323 —
observons entre les Orchidées et les Insectes qui les
fécondent, nous n'avons guère le choix qu'entre deux
hypothèses : l'intervention d'un être suprêmement intelligent
et la sélection ”. Hugo de Vries exprimait aussi cette même
idée, plus tard reprise par Huxley en 1944 : la haute valeur
théorique de la sélection de Darwin a le succès qu'on lui
connaît parce qu'elle dispense de recourir à un téléologie, elle
explique l'évolution avec de simples principes mécanistes,
sans but, sans volonté.
Georges Matisse et Lucien Cuénot, la querelle des
matérialistes et des spiritualistes
Matisse, lamarckiste très prudent comme Caullery,
était un partisan du hasard aveugle : un dispositif se révèle
selon les circonstances utile, nuisible ou indifférent, l’utilité
n'est pas à prendre en compte. Lorsque le dispositif se révèle
utile, cela peut se rattacher à la préadaptation de Cuénot mais
s'il est nuisible, l’individu ou l’espèce disparaît. Il était
partisan d'une théorie de l'émergence. Pour Cuénot,
l'émergence, qui était le propre des théories évolutionnistes,
n'apportait rien d'utile (il avait barré le terme 'idée obscure'
dans Invention et finalité en biologie, 1941, p.147) car elle
n'expliquait par la finalité de réalisation. Cependant, dans
L'évolution biologique, l'émergence, la novation sont des
hypothèses avancées (Cuénot, manuscrit de L'évolution.,
p.72-68). Il inséra dans Invention et finalité en biologie un
chapitre destiné à répondre à un chapitre du petit ouvrage de
Georges Matisse paru chez Hermann, dans la collection
Actualités scientifiques et industrielles en 1937. Matisse avait
notamment écrit au sujet de la théorie des causes finales que
“ présentée par un des plus grands naturalistes de son époque,
à la fois zoologiste et biologiste, elle a eu un grand
retentissement […]. La notoriété de l’auteur, sa connaissance
— 324 —
approfondie des faits, son talent d’exposition, sa séduisante
habileté lui ont assuré un grand succès auprès des
philosophes, des savants et du grand public ” (Matisse, 1937,
vol II, p.60). Cuénot et Matisse avaient échangé leurs points
de vue “ un peu vivement ” au Centre de synthèse. Pourtant,
nos hommes eurent ensuite un échange épistolaire durant
quelques années. Matisse ne voyait dans les appareils
d'accrochage des ailes d'insectes que pur hasard aveugle alors
que Cuénot trouvait “présomptueux d'enfermer l'univers, la
vie, l'Homme dans le cadre rigide et strict du déterminisme
aveugle et sans dessein ” (Cuénot, Invention., 1941, p.247).
La querelle se passait entre gens de bonne compagnie :
Matisse assurait Cuénot de sa “ très respectueuse admiration
” ainsi que de “ l'absence de sentiment malveillant ” de sa
part (Matisse, Correspondance, 12 juin 1937). La distance
philosophique qui séparait ces hommes provenait
essentiellement de la difficulté pour Cuénot à exprimer son
finalisme en termes qui ne soient pas anthropocentriques.
Pour Matisse, il y avait abus de langage : invention signifiait
acte conscient, ors un ver trématode, une seiche ou un crabe
ne peuvent se représenter, coordonner, réaliser des idées en
vue d'un but à atteindre (Matisse, 1937, vol II, p.62- 63).
Matisse était un défenseur de la thèse matérialiste mais dans
le respect de l'adversité. D'ailleurs, selon lui, l'opposition
matérialistes-spiritualistes était dépassée. A Cuénot qui
reprochait de boucher “ hérmétiquement le domaine
scientifique pour empêcher le moindre germe de spiritualité ”
(Finalité et invention en biologie, 1936, p.36), Matisse
répondait “ Je me permettrai de vous dire, pensant que vous
me rangez probablement parmi les mécanistes : non, ils
cherchent à ne pas séparer la spiritualité des autres
phénomènes de la nature (souligné dans le texte) : biologie,
physique, minéraux, à ne pas les opposer ”. Matisse cherchait
— 325 —
à construire, malgré une certaine différence résiduelle ” qui le
séparait de Cuénot, une nouvelle philosophie capable de
dépasser à la fois le mécanicisme et le spiritualisme
(Correspondance, Matisse, 12 juin 1937). La discordance de
ses deux points de vue pourrait provenir du fait que Cuénot
voyait un finalisme immanent, dans la matière même lors que
Matisse craignait de voir une invention transcendante, située
hors de la matière.
Le finalisme de Cuénot vu par Charles Nicolle
Pour Nicolle, Cuénot le savant condamnait la finalité
dans l'évolution mais Cuénot le métaphysicien l'admettait. Si
limité, si pratique si partiel qu'il fût, ce finalisme le gênait car
en venant frapper à la porte de la science, il risquait de la
réenvahir, ce qui n'était pas admissible à la raison humaine.
La position de Nicolle face à ces deux écoles de pensée
(mécanicisme et finalisme) était de ne pas choisir par
incapacité de jugement (Nicolle, 1932, p 42-51).
Marcel Prenant et le matérialisme dialectique
Le parti communiste français défendit ardemment le
lyssenkisme ; Marcel Prenant, membre du Parti communiste
Français, titulaire de la chaire de biologie à la Sorbonne, dut
capituler devant son parti. Son idéologie marxiste l'emporta
sur son regard de biologiste et il prit en partie la défense de
Lyssenko. Seules s'élevèrent les voix de Jean Rostand et de
Jacques Monod (Fischer, 2001, p.65-66). Cuénot, qui ne s'est
pas engagé politiquement, était néanmoins opposé au
lyssenkisme ; dans son discours de Commandeur de la
Légion d'honneur, il fit allusion à “ l'insidieuse politique qui
cherche à s'insinuer dans les sciences ”. “ J'entends parler de
la biologie marxiste et de la génétique soviétique, mais il ne
faut point s'en inquiéter. On n'a jamais réussi à mettre un
— 326 —
couvercle étanche sur le puits d'où sort l'adorable Vérité ”
(Cuénot, discours Commandeur, 1948). A la lecture du
dogmatisme outrancier contenu dans les propos de Marcel
Prenant, la question de savoir si la force de cette idéologie, la
force dialectique, n'a pas contribué à porter ombrage au
passage à la postérité de Lucien Cuénot doit être posée.
Prenant, personnage important au P.C.F., chercha à introduire
en biologie le matérialisme dialectique inspiré de Marx et
d'Hegel. Il dénonça bien évidemment la thèse finaliste de
Cuénot. Dans Biologie et marxisme de Prenant (1935),
véritable hymne aux lois du matérialisme dialectique
appliquées à la vie, la réflexion suivante, “ Puisque la vie a
commencé et se perpétue, il y a évidemment harmonie ou
coordination entre elle et les conditions cosmiques ”, extraite
de L'adaptation (Cuénot, 1925, p.388) suffisait à classer
Cuénot dans le clan des biologistes spiritualistes. Les raisons
étaient en réalité fort éloignées de la spiritualité et de la
biologie même puisqu'elles étaient de nature politique : la
thèse que Prenant défendait alors consistait à montrer, par
l'exemple de la biologie, que le matérialisme dialectique est
(souligné dans le texte) la science elle-même (Prenant, 1935,
p.8). Pour Prenant, “ les interprétations marxistes s'accordent
pleinement avec les données scientifiques actuelles ” (ibid.,
p.9). La pensée dialectique trouve son fondement dans la
matière, seule réalité dont émerge la vie. Prenant avait pris
très au sérieux cette citation de Lénine, datée de 1928, au
point de la mettre par deux fois en exergue dans cet ouvrage
(ibid.., p.9 et p.73) : “ L'esprit matérialiste essentiel de la
physique et de toutes les sciences naturelles contemporaines
sortira vainqueur de toutes les crises possibles à la condition
que le matérialisme métaphysique fasse place au
matérialisme dialectique ”. Cette idéologie admettait le
darwinisme des origines car il alimentait le matérialisme mais
— 327 —
il minimisait les effets du concept de lutte pour la vie,
fortement critiqué par Engels et Marx (Prenant, 1938,
p.176-183). Ce dernier concept, mal accepté à l'époque et qui
n'était du reste qu'un aspect secondaire pour Darwin, était à
l'origine tout droit hérité de l'individualisme de la libre
entreprise de la bourgeoisie victorienne qui entendait par là
justifier le progrès social comme résultat de l'effort humain
individuel (Bowler, 1995, p.25, 112 et 195-196). La sélection
naturelle était considérée comme un héritage animal qui peut
et doit disparaître lorsque la technique humaine est assez
productive (Prenant, 1938, p.182). Biologiquement parlant,
Prenant préférait accepter pour les espèces de grandes tailles
— en accord avec L'Héritier — l'effet du hasard dont le rôle
était particulièrement grand dans leur disparition et leur
survie (Prenant, 1935, p.192). Cette idéologie marxiste
intégra aussi la mutationnisme de Weismann, en donnant la
prévalence aux mutations brusques, aux bonds, aux crises
dans les organismes, aux révolutions sur la base des
mutations provoquées par les rayons X, et corrélativement,
rejetait tout concept d'équilibre avec le milieu, d'intégrations
ou d'adaptations harmonieuses (ibid., voir par ex. p.154, 191,
87 et suivantes). En outre, elle était obligée de s'en référer à
un lamarckisme modernisé, ne pouvant admettre “ cette
conception bizarre, d'ordre métaphysique ” (ibid., p.172)
postulant que les caractères des individus sont portés par les
gènes. Prenant faisait plus confiance au protoplasme dont le
rôle avait largement été prouvé au cours du développement et
qui était susceptible de subir des actions extérieures. D'après
Grimoult (2000, p.178), Prenant s’attaqua à un élève de
Cuénot, le Père Corset qui “ dans la thèse qu’il a consacré à
la coaptation des Insectes, s’est préoccupé surtout […] d’y
admirer le dessein du Créateur ”. Or, force est d'admettre que
la thèse du Père Corset ne contient aucune allusion au “
— 328 —
dessein du Créateur ” mais seulement une seule fois à
l'Intelligence directrice et représente un travail zoologique
respectable. Marcel Prenant a participé au Colloque de 1947,
une année avant l'affaire Lyssenko. Il rapporta que ce
colloque réunissait “ les théologiens, M.Cuénot et le
P.P.Teilhard de Chardin ”, qu'il considérait, selon les propos
de Cédric Grimoult lui-même, “ sans doute avec raison,
comme des êtres crispés sur des positions idéologiques et
religieuses ” (Grimoult, 2000, p.205). Les nombreuses
preuves accumulées au cours de ce travail se suffisent à
elle-même pour laver Cuénot de ses propos infondés.
Jean Rostand, le tourmenté
Pour Jean Rostand, Cuénot, “ non seulement un des
tous premiers zoologistes de notre époque mais un esprit
essentiellement positif et exigeant ”, contestait juste que “
l'aveugle jeu des molécules ait pu aboutir à la genèse de la
vie, et surtout à la complexité de structures vitales. Ses
conclusions émanent non seulement d'un des tout premiers
zoologistes de notre époque, mais d'un esprit essentiellement
positif et exigeant, qui entend ne tenir compte que des faits ”.
Concernant le finalisme de Cuénot, Rostand déclara “ y voir
une réaction naturelle contre l'immodestie de certaines
explications prématurées. Pour avoir cru trop vite que la
science allait nous expliquer, et tout de suite, le tout de
l'évolution, on en vient maintenant à douter trop vite qu'elle
puisse jamais nous l'expliquer ”(Rostand, 1947, p.59-60).
 Le finalisme de Cuénot vu par quelques biologistes
anglo-saxons
Georges Gaylord Simpson reprochait qu'à cette
époque les auteurs qui admettaient l'orthogenèse se
défendaient en même temps de toute métaphysique. Or, que
— 329 —
ce soit une prédétermination germinale comme Osborn, une
force organique inconnue, une canalisation innée mais
distincte des mutations mendéliennes, la sélection naturelle
ou tout autre agent directeur, Simpson lisait entre les lignes
un élément de mysticisme (Simpson, 1951, p.129). Mais, il a
bien analysé le finalisme de Cuénot : “ Bien que Cuénot
admette lui-même être finaliste, il conserve toujours le
charme et la sobriété caractéristiques de la longue série de ses
ouvrages antérieurs. Il continue à examiner d'un œil critique
les diverses théories finalistes et il se rend compte des
faiblesses scientifiques, logiques et philosophiques de la
situation dans laquelle il se trouve pourtant. Le lecteur ne doit
pas oublier que lorsque Cuénot écrivit ce livre (Invention et
Finalité en Biologie) il ne connaissait évidemment pas la
théorie matérialiste de l'évolution qui est maintenant
courante, ni aucune des études sur la génétique des
populations et la sélection qui lui ont donné son élan ”
(Simpson, 1951, note de bas de page, p.239).
Richard Goldschmidt était une penseur indépendant
comme Lucien Cuénot, puisque sa théorie des
micro-mutations et des macro-mutations ne fut pas comprise
en son temps et dut attendre quarante ans pour connaître le
succès que Gould sut lui donner. Goldschmidt écrivit la
nécrologie de Cuénot pour les Etats-Unis dans Science,
tentant une comparaison de son finalisme avec celui des
physiciens Erwin Schrödinger ou Niels Bohr (Goldschmidt,
1951, p.309-310).
 Derniers écrits
Ici sont regroupées les pensées au sujet du finalisme
que le naturaliste a écrit à la fin de sa vie sur ses propres
ouvrages. Ils n'ont jamais été publiés. Dans la Genèse des
espèces animales, on peut lire par exemple : “ La vie a été
— 330 —
une émergence ou encore le finalisme ne fait appel à aucune
puissance extra matérielle ; il admet comme postulat que les
événements vitaux (par exemple les fonctions) tendent vers
un but qui est la conservation de la vie. L'organe est l'outil,
l'organisme qui est un tout se conserve et se reproduit. Il n'y a
pas de matière vivante mais des organismes vivants, qui sont
irréductibles à tout complexe de matière inanimée ”. Son
testament intellectuel s'intitulait L'évolution biologique : en
accolant ces deux termes, il réduisait déjà l'évolution à un
strict phénomène biologique, mettant hors du champ de la
connaissance scientifique toute évolution d'autre nature. Les
annotations manuscrites de ses toutes dernières années ont un
accent faustien : la pensée de Cuénot évolua, changea comme
si en lui deux personnalités luttaient, tentant de trouver un
terrain de conciliation entre raison et passion, rationalisme et
panthéisme. A la fin de sa vie, c'est le rationaliste qui semble
l'emporter, comme à regret. Il accepte avec une courageuse
résignation la nouvelle théorie, du moins dans ses grandes
lignes, rejetant alors tout idée de finalisme dans l'évolution
biologique. La quête de la Rivière de la Flèche du lama de
Kipling est couronnée de succès, il est libéré ; pas Cuénot
pour qui, à la recherche d'une Weltanschauung*, il ne reste
au bout du chemin que la courageuse sincérité désabusée,
l'amère résignation comme l'a si bien écrit Louis Bounoure
(Bounoure,
1952,
p.163-164).
C'est
l'inquiétude
métaphysique. C'est en réalité un homme angoissé qui meurt,
angoissé de ne trouver de réponse, par la biologie, à son
questionnement, malgré l'énorme savoir, la réflexion
incessante ; c'est l'aveu tragique de ne trouver “ le tout de rien
” selon l'expression de Pascal. Il allait mourir trois ans avant
la découverte de l'ADN, mais cela l'eut-il aidé à calmer son
inquiétude ? Inspiré de l'ouvrage de Schrödinger, Qu'est ce
que la vie, il nota dans son carnet de bord (p.3) : “ Quant à la
— 331 —
physiologie des gènes, on peut admettre toutes sortes
d'hypothèses = enzymes ou créateur d'enzymes, c'est très
possible […] mais nous ne savons si peu ce qu'est une
enzyme. On peut se demander s'il n'y a pas un lien
cybernétique (concept introduit en 1947 dans les sciences
pour désigner les boucles de rétroaction) entre le gène en tant
que particule et les substances somatiques sur lesquelles agit
le gène lorsqu'il exerce son action ( = à laquelle il envoie des
messagers) ”. Aujourd'hui, le progrès des connaissances nous
pousse à ne plus admettre le hasard totalement aveugle,
Cuénot s'y serait senti sans doute plus à l'aise. Si le hasard
aveugle avait régné dans l'évolution du système immunitaire
par exemple, nous ne serions pas là pour en parler.... Comme
par devoir, son chapitre sur l'hérédité dans L'évolution
biologique met en avant le hasard aveugle, son concept
d’anti-hasard est relégué en note de bas de page et il présente
comme une hypothèse hardie la faculté inventive du
patrimoine héréditaire. Voici la 'Conclusion des conclusions'
de L'évolution biologique qui peut être considérée comme
son ultime écrit publié, dont cette petite partie retrouvée a été
écrite d'une main tremblante, la chapitre ayant été ensuite
entièrement réécrit de la main d'Andrée Tétry dans l'édition
imprimée : “ Le panthéisme est simple et n'a pas de théologie
; je tiens pour des chinoiseries métaphysiques la différence
entre le panthéisme de Spinoza et le panthéisme matérialiste
d'Holbach, de Diderot et des modernes. Ses prêtres sont les
savants ; ses temples sont aussi bien nos cathédrales que les
antiques forêts, les riantes vallées que les montagnes
cyclopéennes... ” (Cuénot, manuscrit de L'évolution
biologique, Conclusion des conclusions). Dans le carnet de
bord (p.12) il avait noté d'une main tremblante que “ Le
panthéisme est la philosophie la plus large et la plus
accueillante qu'on peut imaginer. Il accepte aussi bien les
— 332 —
opinions encyclopédistes et de la société moderne que les
effusions cyniques des romantiques comme Georges Sand ”
et, en exergue, “ La voie de la nature crée avec force/ en plus
d'un message du ciel nous averti/ que quelque chose en nous
ne mourra jamais— Robert Burns ”. Robert Burns
(1759-1796) étant un poète écossais, il s'agit donc d'une
traduction.
 Lucien Cuénot avait-il un sentiment religieux ?
Au cours de son discours de réception à l'Académie
de Stanislas le 24 mai 1928, intitulé L'inquiétude
métaphysique, il alla jusqu'à invoquer “ un autre réel derrière
celui que nous touchons et déduisons ”, inaccessible à
l'Homme de science, et, assuré de l'existence de sa Volonté, “
il comprend mieux son inapaisable désir de savoir et
d'expliquer, sa nostalgie ardente d'un Eden d'où la Douleur, la
Mort et le Temps seront bannis, et il attend avec sérénité le
jour prochain où, son corps éphémère étant entré dans le sein
de la Nature, il contemplera face à face la vérité éternelle ”
(Cuénot, L'inquiétude métaphysique, 1928, p.LXXXIV). Mais,
il ne faut pas s'y méprendre, son fils René Cuénot (entretien,
2001) rétablit une part de vérité en affirmant que son discours
d'introduction à l'Académie de Stanislas à Nancy était
purement formel et “ cherchait à ménager les Jésuites, mais
ce n'était pas du tout ses idées ”. Il était difficile à cette
époque d'avoir une attitude laïque à Nancy et Cuénot “
ménageait la chèvre et le chou ”, selon son fils mais aussi
selon Louis Bounoure qui rapporte que cette expression
circulait à Nancy dans le milieu étudiant (Bounoure, 1952,
p.161). Lucien Cuénot se voulait un homme libre, refusant les
attaches idéologiques, dogmatique : “ On m'a demandé de
faire parti du Comité d'honneur du Congrès eucharistique. Je
— 333 —
n'ai pas accepté la demande officieuse, poliment. Je n'aime
pas à être embrigadé ” (Correspondance, Merlet M.M., 30
janvier 1949). Cuénot entretenait même des rapports parfois
houleux avec le clergé catholique comme en témoigne cette
anecdote familiale : son épouse, alitée au moment de Pâques
avec une phlébite, se fit amener un prêtre pour sa confession ;
ce dernier arriva à huit heures du matin, alors que Lucien
Cuénot était encore dans son cabinet de toilette. Il ouvrit la
porte, vit le prêtre et la referma. Sa fille Nelly l'y enferma, et
ce ne fut qu'au bout de deux heures qu'il sortit, furieux, criant
“ je m'en fous, je m'en fous! ”. Il se prit les pieds dans un
tapis et fit une chute assez sérieuse que son épouse interpréta
comme une punition du Seigneur (René Cuénot, entretien,
2000).
Cuénot n'a jamais eu de sentiment religieux. Plusieurs
explications à cela : tout d'abord le témoignage direct de son
plus jeune fils, René Cuénot, mais aussi la riche
correspondance entre 1943 et 1950 avec sa nièce
Marie-Madeleine Merlet. Elle qui tenta de le convertir à la foi
chrétienne, de manière épistolaire, sans beaucoup de réussite
— lui conseillant même d'aller se confesser — c'est la paix de
l'âme avant tout qu'elle cherchait pour son oncle, comme
Clothilde pour le Docteur Pascal. Il est évident que ces
lettres, très cause-familier pour reprendre l'expression de
Cuénot, écrites par un oncle aimant, tentaient de ne pas
froisser la foi confiante et absolue de cette gentille nièce ; on
en retiendra néanmoins quelques confessions. En 1947, après
la mort de sa femme, à sa nièce qui se désolait qu'il n'ait
même pas les consolations de la religion, il écrivit “ Je suis
persuadé que la vie, le monde, a un sens qui nous est caché et
que les religions cherchent à découvrir […]. Tu pourras
m'asticoter sur les sujets religieux et autres, je suis infiniment
tolérant! Tu penses bien que je me suis fait une philosophie
— 334 —
qui me suffit. Je suis persuadé que la vie, l'univers ont un
sens (souligné dans le texte), que ce n'est pas une absurdité
comme le pensent les matérialistes ; ce sens nous ne pouvons
peut-être pas le comprendre, ou nous pouvons accepter la
théorie qu'en donne l'Eglise. L'essentiel est de croire qu'il y a
dans l'univers quelque chose qui nous dépasse. Ce n'est pas
une philosophie pessimiste, au contraire, elle n'est pas du tout
ascétique […]. Je t'avoue que je ne me soucie guère de ce qui
arrivera à ma guenille terrestre, après le grand passage ;
pourquoi aurais-je une autre vie, quand les bêtes n'y ont pas
droit ? Elles ont pourtant une vie comme nous, une certaine
intelligence, alors? J'y pense comme une possibilité, non
comme une certitude. mais je ne veux pas discuter ce sujet
avec toi, je risquerais de te déplaire […]. Et puis il y a
l'amour […] qui est une merveille ” (Correspondance Merlet
M.M., 30 janvier 1949). En septembre 1950, à bout de force,
trois mois avant sa mort, il écrivait “ Si j'avais la foi dans une
seconde vie, je me ficherais pas mal de la mort ; au contraire,
je l'appellerais de tous mes vœux, mais hélas! Il y a trop
d'incertitudes pour me donner une base solide ”. Ce n'est plus
le Cuénot qui en 1947 terminait ainsi sa conférence intitulée
"Le sens de la vie et de l'évolution" au Palais de la découverte
: “ Persuadé de l'éternité du spirituel, il peut attendre avec
sérénité le jour prochain où, son corps éphémère étant rentré
dans le sein de la Terre, l'esprit libéré connaîtra enfin la totale
vérité ” (Cuénot, conférence, 1947, p.23).
S'il parut proche de l'Eglise, comme par exemple son
titre d'Excellence de l'Académie Vaticane, c'est parce qu'il
aimait trop les honneurs et non pour son adhésion au dogme
de l'Eglise catholique : lorsqu'on lui proposait un titre, il ne
savait pas dire non. A sa nièce, qui très tendrement, l'appelait
“ réprouvé incorrigible, mécréant, vilain ”, il répondait “
Comment, moi que le Saint Père a admis dans son Académie
— 335 —
Vaticane, à qui il a donné le titre d'Excellence, moi qui suis
ami avec un tas de jésuites qui m'invitent à déjeuner ou à
faire des conférences aux étudiants catholiques! Tu charries!
” (Correspondance, non datée, vers fin 1946). En 1949, le
Congrès Eucharistique se réunit à Nancy : “ J'irai toutefois
déjeuner avec les cardinaux et autres évêques, cela sera au
moins curieux ” (Correspondance Merlet M.M., 14 juin
1949). Accusé de finalisme à une assemblée générale de la
Société zoologique de France, il dit “ J'ai été flétri du nom de
théologien, je ne pense pas avoir mérité cet excès d'honneur
et d'indignité ” (Cuénot, allocution Soc.Zool.Fr., 27 mai
1948). A la mort de son épouse, il confiait à
Marie-Madeleine, “J'admire profondément la théorie
explicative du christianisme, cette idée de pêché originel dont
nous portons la peine, cette idée que notre vie sur terre n'est
qu'un passage, et d'une seconde vie, toute de félicité qui ne
finira jamais est vraiment consolante […]. Mais comment se
fait-il que lorsque meurt un être aimé, tout le monde dit : le
pauvre homme, la pauvre femme? ” (Correspondance, Merlet
M.M., 22 décembre 1947). Le dogme du purgatoire et de
l'enfer le laissait perplexe : “ Mais ce sont des imaginations
invraisemblables. Comment un Dieu de bonté punirait-il de
peines éternelles les pêchés commis durant notre courte
existence alors que nous avons une hérédité qui nous
commande et qui nous fait tels que nous sommes. Nous ne
sommes pas pleinement responsables de ce que nous faisons
dans notre vie, ce qui doit nous rendre très indulgents pour
les pêchés des autres, et très tolérants pour les opinions qui ne
sont pas les nôtres ” (ibid.). Il regrettait la contradiction entre
le catéchisme, avec le récit de la Genèse notamment, et les
faits établis, enjoignant l'Eglise à se réformer — “ elle le fait
du reste sans le dire ” (Correspondance, Merlet M.M., 10
janvier 1943). Dans une lettre du 23 mars 1950, le père
— 336 —
Bergounioux, du laboratoire de géologie de l'Institut
catholique de Toulouse, éclaire véritablement les rapports du
personnage avec le milieu jésuite. Bergounioux lui reprochait
et regrettait l'ambiguïté de son attitude : extérieurement
Cuénot était l'Homme de “ l'inquiétude métaphysique ”,
respectueux vis-à-vis de l'église, mais “ Je vous ferais, si je
pouvais me le permettre, un seul reproche : celui de n’avoir
pas mis votre attitude extérieure en concordance avec votre
pensée […]. Vous n’avez pas la foi, nous savons bien, nous
autres, qu’elle est un don de Dieu et votre lettre me le prouve
plus encore […]. Je me fais mal à l’idée qu’un homme
comme vous, franc jusqu’à la brutalité, n’agit pas selon ses
convictions intellectuelles ”. Cette attitude ambiguë, où,
malgré le peu de conviction, Cuénot ménageait le clergé
local, s'explique lorsque l'on veut bien relire l'Histoire :
l'époque est bien lointaine mais il faut se rappeler qu'alors
politique et religion étaient mêlées, particulièrement à Nancy
où se faisait sentir un attachement certain à l'Eglise
catholique. La formation intellectuelle du clergé y était d'un
niveau remarquable (Histoire de Nancy, 1978, p.385-386).
Entre les deux guerres, malgré les projets laïcs du Cartel des
gauches, Nancy conserva sa prépondérance pour la droite
républicaine et le front populaire y trouva peu d'échos. Ainsi,
en 1931, ce fut un chrétien fervent, leader du catholicisme
social, Joseph Malval qui fut élu maire (ibid., p.431-453).
Quelque temps avant sa mort, s'il recevait encore un
curé et si l'évêque lui rendit visite, (Correspondance, Nelly
Cuénot, 24 octobre 1950), ces dignes représentants du clergé
n'eurent aucun succès : “ Papa reste très récalcitrant ; je ne
sais comment on fera pour les derniers sacrements ” (ibid.). Il
accepta la confession et reçut l'Extrême-onction dans une
quasi-inconscience (correpondance, Nelly Cuénot, 11 janvier
1951). Cuénot avait eu connaissance de l'encyclique Humani
— 337 —
Generis du pape Pie XII qui incitait à la plus grande prudence
à l'égard des conclusions opposées aux vérités révélées et
mettait en garde contre l'évolutionnisme, l'existentialisme, le
communisme, la pragmatisme, l'immanentisme, l'idéalisme....
(coupure de journal, 2 août 1950, carnet de bord de
L'évolution biologique). Georges Duhamel témoigna de la
réaction de Cuénot qui, “ indisposé par certains passages, se
serait ressaisi, contracté ”, amenant au parallélisme avec les
personnages de Roger Martin du Gard (Duhamel, chronique,
1952). Comment ne pas être touché alors, en lisant dans le
carnet de bord de L'évolution, écrite de la main de Cuénot,
cette référence à l'épilogue du dernier tome des Thibault, La
mort du Père, où Antoine s'entretient avec l'Abbé Vécard,
refusant de revenir à la religion catholique, refusant toute
notion de pêché, de Dieu personnel et providentiel, mais
songeant à “ cette épouvante de la mort […] et qui pèse si
fort sur tout Européen civilisé (Martin du Gard, réédition
1955, p.431). Antoine, le rationaliste, affirmait ne pas
connaître l'inquiétude, se taisant alors, s'apercevant que
“Cette affirmation avait cessé d'être exacte. A coup sûr, il
n'avait pas aucune inquiétude religieuse […] mais […] il
avait, lui aussi, connu, avec angoisse, la perplexité de
l'Homme devant l'Univers ” (ibid., p.417). “ Il préférait
accorder sa confiance aux professeurs de l'enseignement laïc,
qui, même quand leur science se trouvait en défaut, étalaient
au grand jour leurs hésitations, leur ignorance. Ce qui le
rendait si réticent c'était justement que les prêtres ne
doutaient pas, ils affirmaient ce qu'on leur avait affirmé, et,
enfant, il éprouvait déjà un inconscient malaise devant ces
dogmes hérmétiques ” (ibid., p.420-421). Et pourtant, il
sentait, une fois de plus qu' “ Entre son manque de croyance
morale et l'extrême conscience qu'il apportait dans sa vie, il y
avait une inexplicable incompatibilité ” (ibid., p.424).
— 338 —
Pourquoi faut-il ? Parce qu'il le faut ! Au nom de quoi ?
Cuénot avait mis en exergue une des dernières exhortations
de l'Abbé Vécard à Antoine : “ Cette incommensurable nuit,
cette impersonnalité, cette indéchiffrable Enigme, n'importe,
priez-là! Priez l'inconnaissable ” (ibid., p.432 ; in Cuénot,
Carnet de Bord de L'évolution, p.1). Hoertlandt (laboratoire
de biologie marine d'Ambleteuse), dans une lettre à Andrée
Tétry du 13 avril 1978, au sujet de Cuénot, écrivait “ Jean
Rostand me fait penser à votre ancien Maître, Lucien Cuénot
que j'avais visité chez lui, au cours des dernières années de sa
vie. Nous avions parlé philosophie et métaphysique. Cuénot
était croyant en rien, mais très proche de l'agnosticisme. Chez
ces deux scientifiques, j'ai beaucoup aimé la droiture et la
noblesse intellectuelle” .
Lorsque Cuénot le rationnel, décida de s'attaquer aux
miracles, il le fit dans la Revue scientifique en 1944 sous un
pseudonyme S.Lazare. Il avait confié à sa nièce, qui était une
jeune femme suffisamment croyante et intelligente pour ne
pas avoir à s'attacher à ces marques divines, que l'emploi du
pseudonyme visait à “ ne pas contrarier les âmes saintes ”
(brouillon Correspondance de Merlet M.M., 17 janvier 1943,
Cuénot à Merlet M.M., 10 janvier 1943) — avec la même
attitude que Rostand du reste. Pour résumer sa pensée, disons
que le miracle est dépourvu de toute valeur scientifique car il
ne peut être modélisé en laboratoire ; il n'est pas
reproductible; il ne révèle ni Dieu, ni Diable. Cet article,
assez décevant du reste car il demanderait une analyse
poussée qu'il n'a pas fait, se termine néanmoins sur un joli
conte, laissant la question ouverte, car vouloir faire entrer le
miracle au laboratoire tue le miracle du même coup. A
Marie-Madeleine, Lucien Cuénot se justifia ainsi : “ Je ne me
préoccupe pas de savoir s'il y a des miracles ou s'il n'y en a
pas, je puis montrer aisément que jamais un miracle de par sa
— 339 —
nature même exceptionnel, inattendu, ne se présente dans des
conditions telles qu'il puisse être taxé de certitude
scientifique. Soit un mort qui ressuscite (ce qui est rarissime),
comment pourra-t-on prouver qu'il était mort ? Soit une
guérison surprenante à Lourdes ; il y en a, mais très rares ;
mais comment être sûr de la nature de la maladie, avant, et de
la guérison définitive après? […]. Il n'y a que des
témoignages humains qui n'ont aucune valeur, le miracle ne
prouve ni Dieu, ni le diable ”. Cuénot avait “ l'amour de la
vérité certaine, la vérité prouvée scientifiquement […]. C'est
la possibilité de vérifier, de recommencer […]. Celui qui a
fait une grande découverte a certes fait une belle œuvre (avec
part de hasard, bien sûr), mais celui qui la vérifie fait une
œuvre plus belle encore (mais avec moins de mérite)
(Correspondance, Merlet M.M., 10 janvier 1943).
Qualifier Cuénot, comme le fit Moreau, de biologiste
polythéiste (Moreau, 1964, p.310) relève de l'erreur
d'appréciation : si théisme il y eut chez Cuénot, c'était de
panthéisme dont il eût été préférable de parler. C'est d'ailleurs
ce qu'affirma Andrée Tétry et ce en accord avec sa
Conclusion de L'évolution biologique (quoique réécrite
presqu'entièrement par elle-même). Cuénot se déclara
lui-même panthéiste : il s'agissait pour lui non pas d'une
religion mais du système philosophique qui divinise la
Nature. Sa fidèle disciple, compagne des derniers jours,
Andrée Tétry, qui l'a si bien connu, résumait sa philosophie,
au soir de sa vie, comme celle appartenant au monisme
panthéiste (Tétry, 1978, p.250). Bounoure a comparé son
panthéisme à celui de Goethe, “ pour qui les puissances du
chaos et de la terre, les sources génératrices de la vie étaient
sacrées, non divines ” (Bounoure, 1952, p.163). Son
panthéisme n'était que “ l'amitié des artistes, des poètes et des
savants pour la vie ” (ibid.). Mais alors pourquoi écrivait-il “
— 340 —
que la Nature aveugle est géomètre […] mais elle n'est pas
artisane ” ? C'était en 1935 et les connaissances scientifiques
ont évolué entre 1935 et 1950. La Nature doit ici être
comprise dans le sens de “briques de la vie”. Il y aurait donc
dans la matière constituée de briques (molécules, atomes,
électrons..) et à l'intérieur un immatériel “ démon
organisateur ” (terme de 1936), démon à prendre au sens du
daîmon grec, du démiurge de Platon, dont les desseins sont
inaccessibles puisqu'il n'y a pas de logique : contradictoire,
prodigue, cruel, absurde, il donne et il reprend sans que
jamais l'Homme ne puisse comprendre ses desseins. Parmi
les nombreux écrits, il faut privilégier ceux qui n'ont pas eu à
subir l'autocensure de l'édition. Parmi ceux plus intimes, il en
est qui peuvent paraître ambigus ; “ L'ordre de la Nature ne
pourrait trouver qu'une origine très supérieure à la Nature et à
nous, soit une origine divine ” (Correspondance, Merlet
M.M., 10 janvier 1943) : ici, il s'agit semble-t-il de
sentimentalisme conciliant envers sa nièce. Cet hymne à la
Nature, inédit, à la manière de l'hymne à Vénus de Lucrèce,
semble refléter au plus près la pensée intime de Lucien
Cuénot :
Impassible et formidable Nature, tu nous intéresses
parce que tu es contradiction absurde ! : tantôt tu apparais
comme un dragon aux griffes et aux dents ensanglantées
qui se repaît de jeunes chairs pleines de promesses, tantôt
tu es la mère la plus tendre et la plus provoquante, tu
inventes d'admirables machines comme les ailes
conquérantes de l'air, et puis tu t'amuses à les atrophier ; tu
as cette merveille des merveilles, la jeune fille, la femme,
mais tu ne lui as donné qu'une beauté périssable, et à peine
est-elle éclose que sous sa peau transparente apparaît les
signes avant-coureurs de la vieille femme (de la
— 341 —
décrépitude) ; tu crées la fleur et tu la fanes, parfois le
même jour ; tu es la vie ardente et l'amour, mais aussi la
douleur et la mort. On te prendrait pour une mère, et tu n'es
qu'une tombe. Tu es illogique et prodigue ; tes desseins si
tu en as, sont impénétrables. C'est pour cela qu'on t'aime, ô
Nature, splendide et misérable, et que l'Homme, ton
dernier-né dans ce monde qui n'a pas été fait pour lui,
cherche inlassablement à soulever les voiles qui cachent le
mystère de ta face. On croirait volontiers que tu poursuis
un but lointain, mais tu marches dans ta voie comme un
aveugle, dont le pied mal assuré tâtonne et se heurte aux
pierres du chemin.
On y lit l'inventivité de la vie qui créé les outils pour
conquérir tous les milieux, qui met tout en oeuvre pour
assurer sa pérennité — amour des femmes et leur beauté
envoûtante, mère protectrice — mais aussi l'absurdité de la
sélection naturelle, la mort qui n'est pas différenciatrice, qui
frappe aveuglément, ou bien en poursuivant un but
impénétrable. On y lit la contingence apparente de
l'évolution; la vison non anthropomorphique de la place de
l'Homme qui n'est qu'un des fils nombreux de la nature, mal
adapté parce que doté d'un cerveau pensant et souffrant de ne
connaître le tout de rien. Voilà, tout est dit. Cuénot n'était pas
philosophe, il n'eut qu'une religion, la science. Il n'eut qu'un
chemin, celui de la raison. Mais, il n'eut de cesse de
contempler, de s'émerveiller de la nature : c'est cet
émerveillement qui émeut plus que tout.
L'inquiétude métaphysique
“ Fini ou rien, c'est exactement la même chose. Que signifie
l'éternelle création, si tout ce qui est créé doit aller au néant ? ”
Méphistophélès dans Faust, II, Goethe dans Cuénot,
— 342 —
Invention et finalité en biologie, 1941, p.120)
Les disciplines scientifiques doivent nécessairement
situer la métaphysique hors de leur champ mais, cela n'est
pas le cas, souvent, de l'Homme de science. Cuénot était en
fait un homme courageusement lucide, rationnel, qui a eu
l'audace de remettre la métaphysique dans le champ de la
science, dont Descartes le déiste l'avait fait sortir, non pas par
athéisme comme on l'oublie souvent mais pour mettre
l'inconnaissable hors de la démarche scientifique. Cuénot
espérait voir un jour les philosophes pénétrer dans les
laboratoires de recherche. Son insatiable curiosité ne l'a
conduit nulle part, si ce n'est aux portes de drame spirituel : “
Rien n'est stable, rien n'est éternel, pas même la matière […].
l'Homme, ce pauvre singe qu'un accident cérébral a
condamné à faire l'Homme […]. La science ne sait rien du
début et de la fin de la comédie / du drame, à cela près qu'elle
ne peut concevoir le Néant, c'est-à-dire un commencement et
une fin. En somme l'Univers / le Monde est une absurdité
éternelle, évoluant sans répit dans l'Espace infini. Ce serait
moins absurde s'il y avait un Dieu ou une seconde vie ”
(Cuénot, annotation, carnet de bord pour L'évolution
biologique). “ Il arrivera fatalement, dans quelques trillions
d'années, un moment où la terre, vieille et minuscule planète
toute couverte de poussière humaine, s'éteindra dans le froid
et l'immobilité énergétique ; et ce sera comme si la vie n'avait
jamais existé, rien ne conservera le souvenir de ce que les
Hommes souffrirent et enfantèrent ; les marbres antiques, les
monuments orgueilleux, les livres, les machines, notre
science dont nous sommes si vains, tout sombrera dans un
vaste et profond silence de mort, sous le regard glacé des
étoiles éternelles […]. L'Homme, l'un des derniers nés de
cette machine sans maître qu'est la nature, doit se contenter
— 343 —
de la recherche sur le 'comment' des faits, puisqu'il n'y a pas
de 'pourquoi' : ce faisant, il accroîtra son emprise sur la
matière, satisfera sa curiosité et échappera à l'ennui, son
ennemi mortel” (ibid.). Cette vision pessimiste n'est pas le
seul fait d'un homme âgé : elle n'est pas sans rappeler celle de
ses contemporains qui depuis la fin du XIXe siècle, avec
notamment les écrits littéraires d'un Rosny l'aîné et d'un
Wells, ou scientifiques d'un Camille Flammarion, relayés par
la presse et les romans d'anticipation, prenaient conscience du
fait que la terre et ses habitants ne sont pas voués à la vie
éternelle ; c'était une époque, antérieure encore aux grandes
menaces (totalitariste, nucléaire, écologique) d'après-guerre,
où l'on avait pris conscience notamment de l'extinction ou des
menaces d'extinction de nombreuses espèces animales
(loutres de mer, castors, bisons...). L'Homme commençait à
intégrer sa véritable place au sein de l'évolution (découvertes
paléo-anthropologiques, paléontologiques...). Les menaces
naturelles étaient alors plutôt d'ordre cosmique (comètes) ou
climatique et les craintes étaient en somme au-delà de tout
anthropomorphisme. D'ailleurs, un auteur visionnaire comme
H.G.Wells (1866-1946), profondément pacifiste, mourut
après la seconde guerre mondiale, lui aussi désabusé et
profondément pessimiste. Cette vision peut être rapprochée
de “ la pensée inquiète du grand écrivain (François Mauriac,
qui) nous rappelle étrangement le doute ultime de Lucien
Cuénot : n’y aurait-il donc dans l’univers que des
phénomènes de hasard, fortuits, accidentels, rigoureusement
déterminés, qui s’enchaînent depuis l’origine des choses
jusqu’à l’instant présent? ” (Moreau, 1964, p.310). Mais,
indépendamment du contexte social ou historique, combien
d'hommes à un moment de leur vie ne se sont pas demandé
pourquoi la vie? Certains invoquent une réalité immanente,
ou transcendante parmi lesquels il en est qui la nomme Dieu,
— 344 —
d'autres refusant les dogmes ou la foi, invoquent le hasard, la
contingence, le chaos, la nécessité, l'émergence, mais la
question de l'origine de cette vie terrestre, voire de l'univers,
demeure entière, comment et surtout pourquoi la vie et plus
tard même la pensée — même si celle-ci n'est considérée que
comme une émergence, due à une plus grande
complexification — sont-elles sorties de la matière organique
qui a créé cette prolifération dirigée par le code génétique?
L'origine extra-terrestre est très probable, et même si d'autres
lieux de l'univers reçurent ou recevront aussi cette pluie
fertile, quel être ne ressent pas, devant le chemin parcouru
par cette humanité devenue consciente d'elle-même et
destinée un jour à disparaître comme cette planète même,
quel être réfléchi ne ressent pas l'inquiétude métaphysique?
Les progrès accomplis depuis cinquante ans n'ont fait que
confirmer bien souvent les vues des pionniers de la génétique
et de l'évolution : on comprend mieux comment, mais on n'a
fait que reculer de quelques crans le pourquoi qui, lui, ne
trouve toujours pas de réponse. Pour Jacques Monod, la
science moderne ignore toute immanence. Le destin s'écrit à
mesure qu'il s'accomplit, pas avant. Mais il existe des
frontières à la biologie : “ Ces frontières, je les vois, pour ma
part, aux deux extrémités de l'évolution : l'origine des
premiers systèmes vivants d'une part et d'autre part le
fonctionnement du système le plus intensément téléonomique
qui ait jamais émergé, je veux dire le système nerveux central
de l'Homme […]. C'est le puissant développement et l'usage
intensif de la fonction de simulation qui me paraissent
caractériser les propriétés uniques du cerveau de l'Homme.
De grands esprits (Einstein) se sont souvent émerveillés, à
bon droit, du fait que les êtres mathématiques créés par
l'Homme puissent représenter aussi fidèlement la nature,
alors qu'ils ne doivent rien à l'expérience ” (Monod, La
— 345 —
Recherche, octobre 1970, p.22 ; Hasard et nécessité, 1970,
p.178). On pourrait tout aussi bien ajouter que certains esprits
comme Cuénot se sont souvent émerveillés du fait que des
outils intelligents crées par l'Homme puissent représenter
ceux de la Nature. “ Mais le problème majeur, c'est l'origine
du code génétique et du mécanisme de sa traduction. En fait,
ce n'est pas de 'problème' qu'il faudrait parler, mais plutôt
d'une véritable énigme ”. C'est en partie cela l'inquiétude
métaphysique de Cuénot, trente ans après sa mort. Déplorer
cette faiblesse, cette dérive fâcheuse chez pareil homme de
science, comme le laissent entendre certains, est une attitude
étroite d'autant plus qu'elle vient d'historiens ; l'histoire,
science humaine par excellence, ne cesse de tenter de
comprendre les actes passés des hommes tous empreints de
finalisme, résultats de passions, de haine, d'amour, de
courage et de faiblesse, de trahison, de folie, d'espoir, bref de
sentiments humains. On ne peut dissocier l'Homme de son
œuvre et de son contexte historique, et à fortiori lorsque
l'œuvre est scientifique, il est absurde de vouloir que
l'Homme de science soit à l'image des qualités propres à sa
discipline : l'Homme de science a besoin de poser des
hypothèses de travail raisonnables, de travailler avec rigueur,
avec des théories rationnelles. Il n'en reste pas moins homme.
Un être humain est par nature complexe, dévoilant selon les
circonstances, les multiples facettes de sa personnalité. Les
différents aspect de la vie, personnel, sentimental, familial,
professionnel, intellectuel, ne se mêlent pas facilement et sont
parfois contradictoires. Il faut tenter de reconstruire le puzzle
à partir de bribes éparses, mais surtout, se méfier de tout
jugement hâtif et éviter d'amalgamer des propos extirpés de
droite et de gauche à des époques différentes de la vie.
Chaque âge possède en soi ses propres préoccupations, ses
propres valeurs, la philosophie du jeune homme ne peut être
— 346 —
celle de l'Homme mûr ou celle du vieillard aux portes de la
mort. Où se trouve la vérité? Il n'y en a pas une mais de
multiples, qui sont toutes valables en relatif pas en absolu. Il
est cependant clair que chez Lucien Cuénot il y eut une
longue quête de la connaissance, une recherche de vérité, une
quête déçue car la nature n'a pas voulu dévoiler ses secrets :
c'est en homme résigné, mais cependant reconnaissant et
amoureux, qu'il quitte ce monde.
L'émerveillement
“ Ne reprochez pas à un biologiste qui a consacré sa vie à la
recherche quelque curiosité métaphysique […].Elle ne fait aucun
tort au travail positif et rigoureux et même elle le stimule ; elle
entoure l'étude de la Nature d'une frange de mystère et de poésie
qui en augmente l'intérêt. Bien mieux que le hasard sec et désolant,
elle est un aiguillon car elle nous fait comprendre, suivant
l'expression de Pascal, que nous ne savons le tout de rien. ”
(Cuénot, L'invention en biologie, discours à l'Académie, 1935)
Au-delà de l'abîme métaphysique, il y eut chez
Cuénot un regard qui n'a jamais cessé de s'émerveiller sur la
nature. “Tout est miraculeux dans le nature, ou rien ne l'est.
Quand une fleur, jadis bouton, se déploie sous une forme
géométriquement régulière, je trouve cela parfaitement
miraculeux, et démontrant l'ordre de la Nature, ordre qui ne
peut avoir qu'une origine très supérieure à la Nature et à
nous, soit une origine divine ” (Correspondance avec Merlet
M.M., 10 janvier 1943). Admettre une intelligence, c'est “
entourer l'étude de la nature d'une frange de mystère et de
poésie qui en augmente l'intérêt ; bien mieux que le hasard
sec et désolant, elle est l'aiguillon, car elle nous fait
— 347 —
comprendre, suivant l'expression de Pascal, que nous ne
savons le tout de rien ” (Cuénot, Finalité et invention en
biologie, 1936, p.45). Après tout il est possible qu'une part de
rêve, cette précieuse provision d'inconnu selon l'heureuse
expression de George Duhamel (chronique, 1952) soit une
nécessité pour l'équilibre du psychisme de l'Homme. A côté
de la lumière de la science qui éclaire l'Homme, il faut sans
doute laisser dans l'ombre cette part de rêve, avec toute
liberté à chacun de choisir le sien.
— 348 —
Conclusion
“ Détruis un papillon et maintenant refais-le. ” Lanza del Vasto
Lucien Cuénot poursuivit toute sa vie une inlassable
quête de vérité. Professeur, chercheur, homme public et
grand vulgarisateur, scientifique couvert d'honneurs, il laissa
à la postérité, outre le Musée de zoologie de Nancy, véritable
récapitulation de sa longue carrière, l'ambigu qualificatif de
finaliste : c'était plus l'empêcheur de tourner en rond, le
penseur indépendant, libre de toute attache dogmatique
philosophique, politique ou religieuse, avec les ménagements
de rigueur que la société de l'époque imposait à sa fonction.
L'impressionnante œuvre scientifique, expérimentale et
théorique, de Lucien Cuénot couvre soixante années de
l'histoire de la biologie et touche des domaines divers ; elle
peut se diviser en deux périodes :
- Entre 1890 et 1914 où nous assistons à la naissance de la
génétique, le jeune biologiste dès 1892 est entièrement acquis
à la théorie transformiste de Darwin. Il accumule les travaux
zoologiques. Puis il expérimente, en redécouvrant les lois de
Mendel. Mais il est aussi et avant tout naturaliste et
transformiste et possède en germe la théorie de la
préadaptation ainsi que le projet d'arbre phylogénétique. Sa
longue pratique du professorat universitaire va contribuer à
lui permettre de couvrir l'ensemble de la diversité biologique,
tant dans sa dimension temporelle que géographique. Son
regard de naturaliste de terrain va lui permettre d'accumuler
du matériel d'étude, qu'il offrira plus tard à la communauté
scientifique dans une série d' antinomies, d' outils,
d'inventions, de cas difficilement explicables dans le strict
cadre du néo-darwinisme trop réductionniste. En même
temps, il va s'élever contre les excès du monisme
matérialiste.
— 349 —
- Entre 1919 et 1950, Cuénot, l'Homme mûr puis âgé,
synthétise les données de la génétique, les observations
naturalistes et compile ses connaissances dans plusieurs
ouvrages. Il n'en continue pas moins ses observations. Mais il
a quitté le champ de l'expérimentation. Or expérimentalistes
et naturalistes sont restés, durant toute cette période,
inconciliables, et ce jusqu'à l'avènement de la théorie
synthétique. Ce qui explique en partie la difficulté de Cuénot
à adopter la théorie synthétique de l'évolution, d'autant que,
jusque vers les années 1930, les travaux des biométriciens et
des généticiens des populations sont restés pour la plupart
inaccessibles aux naturalistes car paraissant dans des revues
trop spécialisées. Il combattit encore les dernières tentatives
créationnistes et, à la fin de sa vie, il dénonça les excès du
matérialisme dialectique.
Avant 1900, la plupart des biologistes européens et
américains
étaient
néo-lamarckitess.
Les
milieux
scientifiques mais aussi les philosophes, les historiens, et
l'Eglise dont l'influence était importante malgré la loi de
séparation d'avec l'Etat qui eut lieu en France en 1901,
allaient se déclarer hostiles au darwinisme, au transformisme
parfois et au mendélisme alors qu'en Allemagne, en
Angleterre ou aux U.S.A., la sélection naturelle de Darwin
fut acceptée plus facilement. Lorsque le darwinisme fut enfin
adopté en France vers 1880-1890, ce fut sous la forme
néo-lamarckiste. Cuénot fut le seul biologiste à accueillir
avec enthousiasme la théorie de l'hérédité de Weismann dès
1892. Il ne cessa de s'en faire le porte-parole, jusqu'aux
soubresauts provoqués, en 1930, par le créationnisme de
Vialleton.
Cuénot, comme Bateson, fit très vite référence à
Mendel. Pourtant, de Vries, qui introduisit le mutationnisme,
— 350 —
n'a pas su interpréter les lois de Mendel. La théorie de
Weismann en vogue annonçait le concept de gènes mais
n'accordait pas d'importance évolutive aux mutations. Il est
vrai qu'avant 1900, le concept de mutation était ambigu et
l’on ne distinguait pas le génotype du phénotype. Cuénot fut
mendélien — c'est-à-dire qu'il admit les mutations brusques
tout en minimisant la sélection naturelle qui ne pouvait au
mieux qu'éliminer les mutations nuisibles — à une époque où
les naturalistes, tous lamarckistes, minimisaient le
mendélisme car trop attachés au gradualisme pour expliquer
l'évolution. Darwin, en son temps, fut ennuyé par
l’impossibilité “d’imaginer que cet immense et merveilleux
univers puisse être le résultat du hasard aveugle ou de la
nécessité ”. Les physiciens ne l’acceptèrent pas non plus car
la sélection naturelle n'est ni prédictive, ni probabiliste, ni
strictement déterministe. Les spécialistes de la diversité
biologique comme Cuénot regardaient l'organisme dans son
entier, dans l'espace et le temps, mais pas les populations
comme pool de gènes et cible de la sélection : en fait ils ne
percevaient pas les différents niveaux de sélection.
L'acceptation pleine et entière de la théorie synthétique de
l'évolution — théorie qui fait appel à la contingence — lui
demandait d'abandonner ses concepts d'intentionnalité
biologique. Mais cette acceptation ne pouvait de toute
manière pas se faire avant les années 1940-1950, car il fallait
être en mesure de reconnaître les résultats de la génétique des
populations. Pourtant les naturalistes — malheureusement
ralliés à l'hérédité de l'acquis, sauf Cuénot — furent les seuls
et les premiers à réaliser qu’à la base de l'évolution des
espèces, il y avait une population naissante isolée
géographiquement et que de petites variations pouvaient
conduire avec le temps à créer une nouvelle espèce. Les
généticiens avant 1930 pensaient que la petite variation
— 351 —
individuelle ne pouvait conduire à une nouvelle espèce et
soutinrent la thèse de la variation génétique discontinue pour
expliquer l'évolution des espèces. Les artisans de la théorie
synthétique ont montré que c’est l’organisme tout entier, par
le biais de sa reproduction et avec son phénotype, qui était la
cible de la sélection naturelle. Le concept de population, de
recombinaison génétique, de sélection naturelle directionnelle
ou diversifiante, mit du temps à se faire admettre et ce n'est
qu'en 1947 que tout le monde se rallia à une évolution
graduelle ; il resta le problème de la macro-évolution qui dut
attendre les progrès de la paléontologie et de la génétique
moléculaire.
Si Cuénot avait compris la sélection naturelle comme
principe nécessaire, il en avait pressenti ses limites comme
principe suffisant : ce n'est pas son existence qu'il remettait
en cause, c'était la volonté de la théorie synthétique de lui
assigner une aptitude à tout expliquer et à s'en satisfaire au
nom du confort moral. Puis, il a peu ou mal connu et compris
les enjeux de la génétique des populations, comme les
naturalistes de son époque. Il eut l'intuition naturaliste, mais
elle le conduisit à l'insatisfaction intellectuelle et
immanquablement à la question du finalisme, à une époque
où la crise du déterminisme, du fait des découvertes de la
physique devenue probabiliste, amenait des grands
bouleversements. Ernst Mayr a évoqué le poids des
idéologies pour expliquer la difficulté à adopter la nouvelle
théorie. Cette hypothèse ne peut être généralisée car dans le
cas de Cuénot, il n'y a aucune idéologie à laquelle on puisse
le rattacher puisque son attitude est celle de la libre pensée. Il
ne put adhérer à la théorie synthétique tout simplement parce
qu'il ne put abandonner l'étude de l'organisme individuel
alors que la théorie synthétique privilégiait la population. Elle
se détournait des difficultés insolubles liées à l'étude de
— 352 —
l'organisme vivant, mais ce faisant, elle fut obligée alors
d'accorder une importance disproportionnée à des
mécanismes relevant du milieu comme la sélection naturelle
et devenant ainsi sourde et aveugle à d'autres niveaux de
compréhension de l'évolution. Cuénot resta toute sa vie face à
cette alternative :
- Soit supposer l'existence d'une volonté immanente,
responsable de l'inventivité au sein de la matière vivante, et
dont l'intervention serait plus sensible à certains moments
capitaux de l'évolution comme la mise en place des grands
plans d'organisation (le tout-venant se suffisant de la théorie
darwinienne),
- Soit des facteurs mécaniques non encore découverts,
actuellement inconnus, et qui permettraient de lever le voile
sur tout ce qui est obscur.
Quoi qu'il en soit, pour Cuénot, il n'y avait pas de
cause finale : l'illusion d'harmonie apparente n'était que le
résultat de l'élimination impitoyable des ratés de l'évolution.
A la fin de sa vie, Cuénot se rendit à regret à la contingence.
Face à la complexité des données dans la question de
l'évolution (génétique des populations, paléontologie,
génétique), c'était une entreprise monumentale que de
s'attaquer à l'évolution en qualité de naturaliste, car on ne
peut qu'être enfoui sous la masse des contradictions ; il
fallait, pour prendre le problème à bras le corps, trouver des
modèles expérimentaux simples voire réductionnistes
(drosophiles) si tant est que l'on puisse modéliser l'évolution.
Cette science naissait à la fin de sa vie, la génétique
moléculaire n'existait pas encore, on ne connaissait pas
l'ADN, le gène et le mécanisme hormonal étaient des
concepts encore flous et on ne saisissait pas encore bien le
lien entre génotype et phénotype. Dans une société où il y
avait peu d'alternative au matérialisme (avec les excès du
— 353 —
communisme et les folies du nazisme) et au catholicisme
effrayé par les découvertes de l'évolution et de la biologie,
encore incapable de se remettre en cause, replié sur son
passé, Cuénot n'avait pas d'issue à cette époque. Les années
1940 voient l'émergence de l'existentialisme, cette
philosophie qui insiste tant sur la contingence et sur la
finitude de l'existence humaine et il est possible que cet
existentialisme soit déjà à l'œuvre chez Cuénot comme chez
ses contemporains. C'est à un drame intime que l'on assiste,
c'est celui de l'Homme qui meurt face à l'absurde, sans savoir,
car la biologie de son temps n'a pu lui fournir les réponses.
Au-delà de la carrière si brillante soit elle, au-delà de l'œuvre
scientifique dans son contexte historique et social, c'est au
bout du compte un homme seul arrivé au terme de sa vie, qui
pense, sans doute, trouver une réponse et reconnaît qu'il ne
sait le tout de rien. Il y avait chez Cuénot à la fois cette
indépendance d'esprit et cette quête de la vérité mais aussi la
quête d'une Weltanschauung, d'une conception du monde,
édifiée sur le darwinisme biologique. Mais cette conception
du monde est forcément incomplète, et il n'a pas su prendre
en compte d'autres approches qui auraient pu donner plus de
corps à sa construction philosophique.
La curiosité pour la nature fut le moteur de sa vie : “
j'ai choisi d'être un curieux de la nature ” déclarait-il au
journaliste qui l'interrogeait pour Les Nouvelles Littéraires en
1933. Le regard admirateur qu'il a posé sur les outils
'inventés' par la vie, pour son maintien, son développement,
l'empêcha de renoncer à croire que les inventions, si
imparfaites, si inutiles parfois soient-elles et dont il ne reste
que les réussites — les échecs ayant été éliminés par la
sélection naturelle — soit explicables par le seul hasard. On a
l'habitude de dire que la vie a tout essayé avec les briques
dont elle disposait, elle a été amenée par contrainte, par
— 354 —
pression environnementale, à se complexifier. Le
darwinisme, simple et pratique est parfois insuffisant et il
n'est pas prouvé qu'il doive s'appliquer à tous les niveaux du
vivant. Le hasard aveugle (au niveau des mutations) était la
seule alternative possible à l'époque où l'évolutionnisme,
jeune science en plein édification, avait besoin, pour se
constituer, d'ériger de modèles rationnels, simples, donc
forcément réducteurs. Désormais, face aux sélectionnistes qui
sont en recherche d'un avantage sélectif à tous les niveaux
d'organisation, le neutralisme de Kimura et la gradualisme de
Gould proposent une alternative solide, et pourtant non
orthodoxe. On retrouve à peu près tous les grands arguments
de Cuénot chez Gould — sauts évolutifs brusques mis à part
— ainsi que la panmixie dans le modèle neutraliste de
Kimura, pour qui le maintien du polymorphisme dans les
populations peut trouver une explication neutraliste. La
sélection naturelle a perdu son rôle majeur. Par ailleurs, la
multifonctionnalité des gènes complique sérieusement son
rôle évolutif. Le darwinisme n'a pas apporté d'explication
satisfaisante à l'apparition des grands plans d'organisation. La
découverte de l'unité et de la stabilité des processus
moléculaires réglant le développement embryonnaire,
l'absence de corrélation absolue entre structure moléculaire et
fonction, toutes ces découvertes sonnent le glas d'une vision
réductionniste du fonctionnement génétique, vision
postérieure à la théorie synthétique et héritée des découvertes
des années 1960-1970. Enfin, après s'être longtemps
organisée sur l'a priori de l'existence de la sélection naturelle,
la génétique des populations s'est réorganisée autour de l
'hypothèse nulle selon laquelle l'évolution moléculaire est
neutre, même s'il est plus facile de démontrer les effets
positifs de la sélection que des effets neutres (Veuille, 2000).
— 355 —
A l'époque de Cuénot, on s'est débarrassé de la cause
finale. Puis on a réduit la finalité à la téléonomie, sorte de
finalité sans finalisme, pensée comme un effet non une cause.
Récemment, Michel Morange (2000) a proposé d'abandonner
la téléologie qui consiste à rechercher absolument la raison
fonctionnelle d'un phénomène biologique en faveur d'une
explication causale, telle le crible de la sélection naturelle.
Les récents progrès n'ont fait que réactiver l'éternelle et
dérangeante téléologie*, et la biologie a bien du mal à s'en
débarrasser définitivement. Laissons donc en suspens le
pourquoi, pourquoi les molécules organiques ont-elles
développé ces propriétés du vivant ? Pourquoi tant de
diversité ? Pourquoi cette expansion à tout prix de la vie? Les
limites que s'est fixée la science sont dépassées. Cuénot a
essayé de franchir ces limites, opération délicate et vouée
inéluctablement à l'échec. La finalité doit rester hors du
champ de la science. Elle est du ressort de la liberté de
l'individu ou du groupe, tout affrontement forcément
manichéen est stérile. Mais, Cuénot, du passé, nous rappelle
qu'entourer “ l'étude de la nature d'une frange de mystère et
de poésie en augmente l'intérêt ”. Comprendre et étudier la
complexité du vivant, connaître les limites actuelles de la
biologie est un terrain fertile en réflexions philosophiques. Il
est dommage que peu de philosophes l'empruntent. La
connaissance des sciences de la vie n'empêche pas de
ressentir de l'émerveillement face à la beauté du monde, et
peut même contribuer à réenchanter ce monde qui nous
entoure. Cela peut mener, outre à l'humilité, à rappeler la
place réelle de l'Homme dans la nature, parmi les autres êtres
vivants, leur origine commune, les liens qui les unissent tous,
tant à l'échelle de la planète que du génome.
— 356 —
Lexique
Atavisme : réapparition des caractères ancestraux.
Axolotl : amblyostomes (batraciens urodèles) américains qui
peuvent rester à l'état larvaire toute leur vie, sans se
métamorphoser.
Analogie : correspondance superficielle entre des structures
anatomiques qui assurent à peu près les mêmes fonctions
mais diffèrent profondément par leur ontogenèse, leur origine
paléontologique.
Benthique : la faune benthique représente les animaux
marins qui vivent au contact du fond.
Bilateralia : animaux à symétrie bilatérale.
Biométrie : étude mathématique des phénomènes
biologiques.
Caeonogénie ( de caenos = nouveau) : caractères adaptatifs
intercalés ; exemple du stade larvaire/adulte, la larve nauplius
des crustacés est un stade cœnogénétique intercalé.
Catastrophisme : théorie selon laquelle la terre a connu
trois révolutions dont la dernière est représentée par le déluge
biblique ; après chaque révolution du globe, il apparaît une
création nouvelle, la dernière étant la Genèse.
Contingence : est contingent tout ce qui est conçu comme
pouvant être ou ne pas être ; la contingence s'oppose à la
nécessité. L'évolution est dite contingence parce que résultat
d'événements imprévisibles et non nécessaires.
Darwinisme : théorie proposée par Charles Darwin en 1859 ;
quasiment irréfutable, elle postule la variabilité des espèces et
le rôle prépondérant de la sélection naturelle. Darwin postule
en outre une évolution lente et continue.
Deutérostomiens : se dit des animaux chez qui, au cours du
développement larvaire, le blastopore devient l'anus, la
bouche est formée secondairement.
— 357 —
Diploblastiques/Tribloblastiques : organismes formés à
partir de 2/3 feuillets embryonnaires.
Dominance/récessivité : chez des hybrides entre deux
individus montrant des phénotypes différents, il arrive que
l’on observe un seul phénotype, par exemple comme dans le
cas de Mendel, la couleur violette l’emporte sur la couleur
blanche. Le phénotype exprimé est dit dominant, l’autre
récessif.
Epigée : faune située juste au-dessus du sol (humus des
forêts, crevasses, fissures du sol...).
Epigénétique : processus qui n'est pas dicté par le génome.
Epistasie : phénomène où deux gènes sont impliqués dans la
même voie biochimique. Ce phénomène conduit à des
résultats non conformes aux lois de Mendel.
Eucaryote : organisme à cellule(s) à noyau(x).
Euryhalin : qui peut supporter des variations importantes de
salinité.
Exaptation : phénomène de changement de fonction au cours
de l'évolution. Une structure remplissant une fonction chez
un organisme (donc adaptée) est utilisée dans une fonction
différente par ses descendants.
Fixisme : doctrine ancienne selon laquelle les espèces sont
immuables.
Gène : unité informationnelle constituée de nucléotides,
codant pour la fabrication d’une protéine, par exemple une
enzyme.
Germen/germinale : les cellules germinales sont les cellules
reproductrices, spermatozoïdes et ovules.
Hétérochronie : les changements qui affectent les périodes et
les durées de l'ontogenèse.
Homologue : se dit d'organes offrant la même structure
fondamentale, de même origine phylogénétique et conservant
avec les organes voisins les mêmes connexions.
— 358 —
Hyperthélie : surdéveloppement d'un organe (bois de
cerfs...).
Hypogée : faune vivant dans le milieu souterrain.
Lamarckisme : théorie en partie erronée de la transmission
héréditaire des caractères acquis, postulée par Lamarck. On
en retient cependant l'idée de transformisme.
Loi biogénétique fondamentale de Haeckel : l'ontogénie est
une courte récapitulation de la phylogénie. Le développement
de l'individu résume le développement de la lignée. Cette loi
n'est pas générale, et s'applique surtout aux organes.
Lignée de race pure : groupe d’organismes élevés ensemble
pendant de nombreuses générations et dont le phénotype
n’évolue pas. Les races de chiens en sont un exemple.
Mendélisme (génétique mendélienne) : science de
l'hybridation et ses lois établie par Mendel (loi de disjonction
des caractères à la méiose et loi de pureté des gamètes).
Monohybridisme / dihybridisme : croisement concernant
un seul caractère ou deux caractères.
Mutagenèse : action de produits chimiques ou de radiations
ionisantes, cause d'erreurs lors de la réplication de l'ADN.
Mutationnisme : le darwinisme + le mendélisme ; des
mutations aléatoires créent de nouveaux individus (espèces,
races...).
Néo-darwinisme: théorie présentant l'évolution comme
l'accumulation lente et graduelle de petites modifications
dues à des mutations aléatoires triées par la sélection
naturelle ; elle exclut l’hérédité de l’acquis présent dans le
darwinisme et inclut le patrimoine génétique qui transmet
l’hérédité.
Néo-lamarckisme : c'est le lamarckisme — théorie qui
postule l'hérédité des caractères acquis — modernisé par la
théorie de la sélection naturelle du darwinisme. Les
néo-lamarckistes ont longtemps refusé le mendélisme (jusque
— 359 —
vers 1923 environ). Lorsqu'ils admettaient l'existence des
gènes, ils postulaient comme possible l'inscription des
caractères acquis du soma au germen.
Néoténie : morphologie juvénile pour une taille adulte.
Ontogénie ou ontogenèse : développement de l'individu
depuis la fécondation jusqu'à l'état adulte.
Palingénétique (de renaissance) : stades ancestraux répétés
Panmixie : état d'une population d'une même espèce dans
lequel les variations se conservent du fait du peu de sélection
naturelle et de l'absence d'isolement.
Pélagique : la faune pélagique est une faune de haute mer.
Phénotype/Génotype : L’ensemble des gènes responsables
d’un phénotype donné (tout caractère apparent hérité comme
la couleur des yeux, une maladie génétique...) est appelé
génotype : il comprend, pour un caractère donné, aussi bien
le gène exprimé (dominant) que le gène réprimé (récessif).
Phylogénie (terme proposé par Haeckel) : histoire du
développement paléontologique des espèces.
Phylum : vaste ensemble d’êtres vivants présentant des traits
communs et ayant un ancêtre commun à partir duquel il s’est
progressivement différencié au cours de l’évolution. Le terme
s’applique à tout groupe naturel de quelque importance —
embranchement, classe, ordre, famille.
Pléïotropie : un gène peut influer sur des caractères multiples
et en apparence indépendants les uns des autres du
phénotype.
Pœcilogonique (terme employé par Giard) : se dit de
variations qui portent sur le mode et la durée du
développement larvaire uniquement.
Protostomiens : se dit des animaux chez qui, au cours du
développement larvaire, le blastopore donne la bouche et
l'anus.
Procaryote : cellule dénuée de vrai noyau.
— 360 —
Somma/somatique : les cellules somatiques sont les cellules
de l’organisme autres que les cellules reproductrices.
Spéciation : différenciation des espèces par apparition de
caractères nouveaux dus à des mutations, et isolement des
groupes d’individus qui les possèdent par rapport aux autres
membres de l’espèce-mère.
Systématique : science de la classification des êtres vivants
et de leur relation.
Taxon (terme proposé par Simpson) : groupe d'organismes à
un niveau d'une classification hiérarchique ; par exemple
Canis lupus, le loup, est un taxon de rang spécifique, les
canidés (chiens, loups, chacals) forment un taxon de rang
familial.
Taxonomie (Candolle 1813) : étude théorique des principes
de classification.
Transformisme = évolutionnisme : théorie postulant
l'évolution des êtres vivants dérivant les uns des autres,
l'Homme y compris, s'opposant au fixisme qui postule
l'immutabilité des espèces, créées par une volonté divine.
Téléologie : étude de la finalité, des fins.
Téléonomie : étude des lois de la finalité.
Weltanschauung : terme philosophique allemand,
difficilement traduisible en français et qui peut être traduit
par vue métaphysique qu'on se fait du monde sous-jacente à
la conception qu'on se fait de la vie ou plus simplement
conception du monde.
— 361 —
Bibliographie
1. Ecrits de Cuénot
Sources publiées
- Bibliographie exhaustive des publications de Lucien
Cuénot d'après la "Notice sur la vie et les travaux de
L.Cuénot" par Courrier R. (1952), complétée par Tétry A. et
par des rééditions postérieures à 1952.
1886
Formation des organes génitaux et dépendance de la glande
ovoïde chez les Astérides, C.R.Acad.Sc., 104, 88-90.
Sur les fonctions de la glande ovoïde des corps de Tiedmann
et des vésicules de Poli chez les Astérides, C.R.Acad.Sc., 102,
1568-1569.
1887
Etude sur le sang, son rôle et sa formation dans la série
animale (2e partie : Invertébrés), note préliminaire,
Arch.Zool.Exp., 2e série, 5, notes et revues, XLIII-XLVII.
Contribution à l’étude anatomique des astérides, Thèse
Doct.Sc.nat., Arch.Zool.Exp., 2e série, Vbis supplém.,
mémoire n° 2, 144p.
Sur le système nerveux et l’appareil vasculaire des Ophiures,
C.R.Acad.Sc., 105, 818-820.
1888
Sur le développement des globules rouges du sang,
C.R.Acad.Sc., 106, 673-675.
Etude anatomique et morphologique sur les Ophiures,
Arch.Zool.Exp., 2e série, 6, 33-82.
— 362 —
1889
Etudes sur le sang, son rôle et sa formation dans la série
animale (2e partie : Invertébrés), Arch.Zool.Exp.,2e série, 7,
notes et revues, 1-90.
Etudes sur le sang et les glandes lymphatiques dans la série
animale (1e partie : Vertébrés), Arch.Zool.Exp., 2e série, 7,
I-X..
Sur les glandes lymphatiques des Céphalopodes et des
Crustacées Décapodes, C.R.Acad.Sc., 108, 863-865.
1890
Le système nerveux entérocoelien des Echinodermes,
C.R.Acad.Sc., 111, 836-839.
Formation des produits génitaux par les glandes
lymphatiques (Invertébrés), Assoc.Fr.Avanc.Sc., 2e partie
(notes et mémoires), Congrès de Paris, 1889, 581-586.
Le sang de Meloe et le rôle de la cantharidine dans la biologie
des Coléoptères vésicants, Bull.Soc.Zool.Fr., 15, 126-128.
Sur la glande de l'oreillette (Paludina vivipara) et la glande
néphridienne (Murex brandaris), C.R.Acad.Sc., 110,
1275-1277.
Sur le système madréporique des Echinodermes. Réponse à
la note de Hartog, Zool.Anzeiger., 13, 315-318.
Sur les glandes lymphatiques des Aplysies, C.R.Acad.Sc.,
110, 724-725.
1891
Infusoires commensaux des Ligies, Patelles, et Arénicoles,
Rev.Biol.Nord Fr., 4, 81-89.
Etudes morphologiques sur les Echinodermes, Arch.Biol., 11,
313-680.
En collaboration avec Charles Janet, Note sur les orifices
génitaux multiples, sur l’extension des pores madréporiques
hors de la madréporite, et sur la terminologie de l’appareil
— 363 —
apical chez les oursins, Bull. Soc.Géol.Fr., 3e série, 19,
295-304.
Les glandes phagocytaires chez quelques Invertébrés,
Congrès. Soc. Savantes, Journal officiel du 27 mai, 2337.
Etudes sur le sang, son rôle et sa formation dans la série
animale (2e partie : Invertébrés), Arch.Zool.Exp., 2e série, 9,
13-90 ; 265-476 ; 503-670.
Etudes morphologiques sur les Echinodermes (note
préliminaire), Arch.Zool.Exp., 2e série, 9, notes et revues,
VIII-XVI.
Protozoaires commensaux et parasites des Echinodermes,
Rev.Biol. Nord Fr., 3, 285-300.
1892
Etudes physiologiques sur les Gastéropodes, Arch.Biol., 12,
683-737.
Commensaux et parasites des Echinodermes (2e note),
Rev.Biol.Nord Fr., 5, 1-23.
La valeur respiratoire de l’hémocyanine, C.R.Acad.Sc., 115,
127-129.
Les ancêtres et le développement des individus, Rev.Gén.Sc.,
326-331.
Remarques sur le sang des arches, Arch.Zool.Exp., 2e série,
10, Notes et Revues, XVI.
Les organes phagocytaires chez quelques Invertébrés,
Arch.Zool.Exp.,2e série, 10, notes et revues, IX-XI.
Notes sur les Echinodermes - I. Ovogenèse et
spermatogenèse, Zool.Anzeiger, 15, 121-125.
Les moyens de défense dans la série animale, Encyclopédie
scientifique des aide-mémoires, Paris, 184p.
1893
Etudes physiologiques sur les Crustacés décapodes, note
préliminaire, Arch.Zool., 3e série, 1, notes et revues,
XXI-XXIV.
— 364 —
Evolution des amibocytes chez les Crustacés Décapodes,
Bibliographie Anat., 1, 157-160.
Sur la physiologie de l’Ecrevisse, C.R.Acad.Sc., 116,
1257-1260.
1894
Défense de l’organisme contre les parasites chez les insectes,
C.R.Acad.Sc.,119, 806-808.
Sur le fonctionnement du rein chez Hélix, C.R.Acad.Sc., 119,
539-540; Arch.Zool.Exp., 3e série, 2, notes et revues, XIII-XIV.
Uber Hemispeiropsis antedonis Cuén., ein an den Comatulen
lebendes Infusorium, Zool.Anzeiger, 17, 316.
Le rejet du sang comme moyen de défense chez quelques
coléoptères, C.R.Acad.Sc., 118, 875-877.
L’influence du milieu sur les animaux, Encyclopédie
scientifique des aide-mémoires, Paris, 176p, 42 fig.
1895
La nouvelle théorie transformiste, Rev.Gén.Sc., 5,74-79.
Etudes physiologiques sur les Crustacés décapodes,
Arch.Biol., 13, 245-303.
1896
Etudes physiologiques chez les Orthoptères, Arch.Biol., 14,
293-341.
La saignée réflexe chez les Insectes, Mémo.Soc. Scientif. “
Antonio Alzate ”, 10, 39.
Sur la saignée réflexe et les moyens de défense de quelques
Insectes, Arch.Zool.Exp.,3e série, 4, 655-680.
Remplacement des amibocytes et organe phagocytaire chez
la Paludina vivipara L., C.R.Acad.Sc., 123, 1078-1079.
La détermination du sexe, Rev.Gén.Sc., 7, 476-482.
L’appareil lacunaire et les absorbants intestinaux chez les
Etoiles de mer, C.R.Acad.Sc., 122, 414-416.
Le rejet du sang comme moyen de défense chez quelques
Sauterelles, C.R.Acad.Sc., 122, 328-330.
— 365 —
1897
L’épuration nucléaire au début de l'ontogenèse, C.R.Acad.Sc.,
125,190-193.
Evolution des Grégarines coelomiques du Grillon
domestique, C.R.Acad.Sc., 128, 52-54.
Double emploi du nom du genre Diplocystis parmi les
Protozoaires, Zool.Anzeiger, 20, 209-210.
Etude physiologique sur les Oligochètes, Arch.Biol., 15,
79-124.
Les globules sanguins et les organes lymphoïdes des
Invertébrés (Revue critique et Nouvelles recherches),
Arch.Anat.Micr., 1, 153-192.
Sur le mécanisme de l’adaptation fonctionnelle. Réponse à
M. Le Dantec, Bull.Scient.Fr.Belg. , 30, 273-276.
La déterminisme du sexe chez les insectes et en particulier
chez les mouches, Bibliographie Anat., 5, 45-48.
1898
La région absorbante du tube digestif de la blatte, critique
d’un travail de Metalnikoff, Arch.Zool.Exp., 3e série, 6,
notes et revues, LXV-LXIX.
Les idées actuelles sur les Echinodermes, Intermédiaire des
biologistes, 1, n°19, 437 et n°20, 450-459.
La fausse homochromie de Venilia macularia L, à propos
d’une note de M.Plateau, Bull.Soc.Zool.Fr., 23, 99-100.
Notes sur les Echinodermes, III L’hermaphrodisme
protandrique d’Asterina gibbosa Penn., et ses variations
suivant les localités, Zool.Anzeiger, 21, 273-279.
Les moyens de défense chez les animaux, Bull.Soc.Zool.Fr.,
23, 449-458; Rev.scientif., 4e série, 9, 37-58 (Conférence
faite le 25 février 1898).
Discours, Séance solennelle de rentrée de l'Université de
Nancy, 10 novembre 1898, 14p., imp.Nouvian.
— 366 —
1899
Sur la détermination du sexe chez les animaux,
Bull.Scientif.Fr.Belg., 32, 462-535.
La fonction excrétrice du foie des gastéropodes pulmonés,
critique d’un travail de Biedermann et Mortiz,
Arch.Zool.Exp., 3e série, 76, notes et revues, XXV-XXVIII.
Les prétendus organes phagocytaires décrits par Koulvetch
chez la blatte, Arch.Zool.Exp., 3e série, 7, notes et revues, I-II.
Collections de biologie générale, Feuilles des jeunes
naturalistes, 3e série, 29, 195-197.
Sur la prétendue conjugaison des Grégarines, Bibliographie
anat., 7, 70-74.
Monographie de la Comatule, de l’oursin, du Phascolosome,
Zoologie Descriptive, Ed.Doin, Paris, 1, 227- 265, 265-299 et
386-422.
L’excrétion chez les Mollusques, Arch. Biol., 16, 49-96.
1900
La distribution du sexe dans la ponte des Pigeons,
C.R.Acad.Sc., 131,756-758; C.R.Soc.Biol., 52, 870-872;
Bull.Nat.Acclim., 47, 383-383; Prometheus, XII, Jahrg.,
1901, p446.
Présentation d’une poule à plumage de coq,
Bull.Soc.Sc.Nancy, 1, 132.
1901
La valeur respiratoire du liquide cavitaire chez quelques
Invertébrés, Travaux des Labor., Bull.Soc.Scient.Arcachon,
1900-1901, 107-125.
Etudes physiologiques sur les Astérides, Arch.Zool.Exp., 3e
série, 9, 233-260.
L’évolution des théories transformistes, Rev.Gén.Sc., 12,
264-269.
Recherche sur l’évolution et la conjugaison des Grégarines,
Arch.Biol., 17, 581-652.
— 367 —
1902
Organes agglutinants et organes cilio-phagocytaires,
Arch.Zool.Exp., 3e série, 10, 79-97.
Legerella terticuli nov.sp., Coccidie parasite du testicule de
Gloméris, Arch.Zool.Exp., 3e série, 10, notes et revues, XLIXLIII.
Détermination du Pectunculus de Naples qui possède de
hémacies à hémoglobine, Zool.Anzeiger, 25, 543-544.
Sur quelques applications de la loi de Mendel, C.R.Soc.Biol.,
54, 397-398.
La loi de Mendel et l’hérédité de la pigmentation chez la
souris, C.R.Acad.Sc., 134, 779-781 ; C.R.Soc.Biol., 54,
395-396 ; Arch.Zool.Exp., 3e série, 10, notes et revue,
XXVII-XXX.
1903
L’ovaire de Tatou et l’origine des jumeaux, C.R.Soc.Biol.,
55,1391-1392.
L’organe
phagocytaire
des
Crustacés
décapodes,
C.R.Acad.Sc., 137, 619-620.
L’hérédité de la pigmentation chez la souris (2e note),
Arch.Zool.Exp.,4e série, 1, notes et revues , XXXIII- XLI.
Hypothèse sur l’hérédité des couleurs dans les croisements
des souris noires, grises et blanches, C.R.Soc.Biol., 55,
301-302.
Transmission héréditaire de pigmentation par les souris
albinos, C.R.Soc.Biol., 55, 299-301.
Hérédité de la pigmentation chez les souris noires,
C.R.Soc.Biol., 55, 298-299.
Contribution à la faune du bassin d’Arcachon, I Echiuriens et
II
Sipunculiens,
Travaux
des
Labor.,
Bull.Soc.Scient.Arcachon, 6, 1-28.
— 368 —
1904
Y-a-t-il une relation entre le sexe et la taille des œufs chez les
Lépidoptères ?, Arch.Zool.Exp., 4e série, 3, notes et revues,
XVII-XXII.
Un paradoxe héréditaire chez la souris, C.R.Soc.Biol., 56,
1050-1052
Contribution à la faune du bassin d’Arcachon, II I :
Doridiens, Bull.Soc.Scient.Arcachon, 7, 1-22.
Les recherches expérimentales sur l’hérédité, Année Biol.,7,
LVIII-LXXVII.
L’hérédité de la pigmentation chez la souris (3e note),
Arch.Zool.Exp.,4e série, 2, notes et revues, XLV- LVI.
Les recherches expérimentales sur l’hérédité mendélienne,
Rev.Gén.Sc.,15, 303 -310.
1905
Sur une Sole à deux faces colorées, Bull.Stat.Biol.Arcachon,
8, 82-89.
Les races pures et leur combinaison chez les souris (4e note),
Arch.Zool.Exp., 4e série, 3, Notes et Revues, CXXIII- CXXXII.
Présentation d’une Sole à deux faces colorées, C.R.Soc.Biol.,
57, 914-916.
L’organe
phagocytaire
des
Crustacés
Décapodes,
Arch.Zool.Exp.,4e série, 3,1-15.
La prétendue relation entre la taille des œufs et le sexe chez
le Vers à soie, C.R.Soc.Biol., 58, 133- 134.
1906
Les Eolidiens empruntent leurs nématocystes aux Coelentérés
dont ils se nourrissent, C.R.Soc.Biol., 61, 54-5431.
Hérédité et mutation chez la Souris, Assoc.Franc.Avanc.Sc.,
Congrès de Cherbourg, 593-597 (1905, paru en 1906).
Rôle biologique de la coagulation du liquide cœlomique des
oursins, C.R.Soc.Biol.,58, 255-256.
— 369 —
Rapport sur l’hérédité, Assoc.Franc.Avanc.Sc., Congrès de
Lyon, 6p.
L’hérédité, Rev.scientif., 5e série, 5, 516-521.
1907
Hérédity, Smithsonian Report for 1906, 335-344 (en
français), n°99.
Fonction absorbante et excrétrice du foie des Céphalopodes,
Arch.Zool.Exp., 4e série, 7, 227-245.
Notion nouvelle sur l’hérédité, La Science au XXe siècle, 5,
231- 235.
Néphro-phagocytes dans le cœur et le rein des Poissons
osseux, C.R.Soc.Biol., 62, 750-752.
L’autotomie caudale chez quelques mammifères du groupe
des rongeurs, Arch.Zool.Exp., 4e série, 6, notes et revues,
LXXI-LXXIX.
L’Hérédité de la pigmentation chez la souris (5e note),
Arch.Zool.Exp.,4e série, 6, notes et revues, I-XIII.
L'origine des nématocystes des Eolidiens, Arch.Zool.Exp., 4e
série, 6, 73-102.
Contribution à la faune du bassin d'Arcachon, IV.Elolidiens,
Bull.Stat.Biol.Arcachon, 9, 95-109.
1908
Les
mâles des
Abeilles proviennent-ils
d’œufs
parthénogénétiques, C.R.Soc.Biol.,65, 765-767.
En collaboration avec Mercier, Etudes sur le cancer des
Souris. Sur l’histophysiologie de certaines cellules du stroma
conjonctif de tumeur B, C.R.Acad.Sc., 147, 1340-1342.
En collaboration avec Gonet et Bruntz, Recherche chimique
sur les cœurs branchiaux des Céphalopodes, Arch.Zool.Exp.,
4e série, 9, notes et revues, XLIX-LII.
En collaboration avec Mercier, Etudes sur le cancer des
Souris. Y-a-t-il un rapport entre les différentes mutations
— 370 —
connues chez la souris et la réceptivité à la greffe ?,
C.R.Acad.Sc., 147, 1003-1005.
Les idées nouvelles sur l'origine des espèces par mutation,
Rev.Gén.Sc., 19, 860-871.
Sur quelques anomalies apparentes des proportions
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Traité de géographie physique, revu et corrigé, 1950 et 1955,
Emmanuel de Martonne, ouvrage couronné par l'Académie
des sciences - Prix Binoux, et par la Société de géographie de
Paris, III (Biogéographie), Ed.A.Colin.
— 384 —
- Analyses d'ouvrages (non exhaustives — insérées et
collées à l'intérieur de chacun des ouvrages de la bibliothèque
personnelle de Cuénot*)
L'Unité dans l'être vivant et Traité de biologie, Le Dantec F.,
30 mai 1903,Rev.Gén.Sc.*
La place de l'Homme dans l'Univers, Wallace A.R., Octobre
1908, Rev Gén.Sc.*
Le transformisme et l'expérience, Rabaud E., 30 mars 1912,
Rev.Gén.Sc.*
Le problème de l'évolution, Caullery M., 15 mars 1931,
Rev.Gén.Sc.*
Transformisme et adaptation, Rabaud E., mars 1942,
Rev.Gén.Sc., 80.
Les premiers Hommes, Bergounioux P. et Glory, janvier
1944, Rev.Gén.Sc.*
Monde vivant, monde minéral et principe d'émergence,
Matisse G., février 1944, Rev.Gén.Sc.*
La coloration adaptative des animaux. A propos du livre de
Cott, 15 Avril 1947, Rev.Sc., 85, 423-432.
- Articles de journaux
Le procès du transformisme : Le sens de la vie et l'évolution,
à propos d'un article de M.le professeur J.L.Faure, 8
novembre 1930, La Presse Médicale, n°90, 1523-1524.**
Sources non publiées
Localisation des sources : * Muséum-Aquarium de Nancy, **
Académie nationale de Metz.
- Conférences
— 385 —
Origine de la Vie, 9-11 mars 1921, Genève, 10p.,
manuscrit.**
Origine de l'Homme, 1931, Nancy, 14p. numérotées de 11 à
24, manuscrit.**
Lamarck, Causeries de la Revue Scientifique sur Radio-Paris,
26 janvier 1932, document dactylographié. **
Conférence, non datée et non titrée, manuscrit.**
- Correspondance (classées par ordre chronologique et non
exhaustive)

Lettres de Cuénot :
A Henri de Lacaze-Duthiers, de Nancy, 27 mai 1893**
A Henri de Lacaze-Duthiers, de Nancy, août 1893.**
A Henri de Lacaze-Duthiers, de Nancy, 4 septembre
1897.**
A ?, Dossier coaptation, 17 août 1919.*
Au Maire de Nancy, 28 janvier 1925, Archives municipales,
Nancy.
A ?, 7 février 1930, Collection particulière.
A Robert Courrier, à l'Académie des Sciences, 10 mars 1932,
14 août 1943, 20 janvier 1945, 14 août 1948 et 24 mai 1950,
Institut de France.
Au directeur de Science et Vie, 19 mai 1950. **
A Marie Madeleine Merlet de 1943 à 1950 (10 janvier 1943,
6 pluviose 1946, non datéé (fin 1946-début 1947), 30 janvier
et 22 décembre 1947 ; 14 juin 1949, 1er janvier 1950,
septembre 1950.*
Lettres à Cuénot
De Alfred Giard, 2 juillet 1897.*
De Alfred Giard, 7 avril 1899.*
De Alphonse Milne-Edwards, 9 juillet 1899 .*
Du neveu de Gregor Mendel, 12 décembre 1902.*

— 386 —
De Félix Le Dantec, non datée (1896?), Paris.*
De Félix Le Dantec, lundi 22 mai 190?, Paris.*
De Félix Le Dantec, 5 août 1903, de Ty Plad en
Pleumeur-Bodou.*
De Erik von Tschermak, 31 juillet 1903 et 15 mai 1905.*
De Charles Sedgwick-Minot, non datée, avant 1907.*
De Louis Blaringhem, 1907.*
De Maurice Caullery, janvier, 1911.*
De Paul Becquerel, 19 avril 1911, Institut de France.*
De Antony, Muséum d'histoire naturelle de Paris, Laboratoire
d'anatomie comparée, 1922.*
De Yves Delage, 1918.*
Correpondance, dossier coaptation, 17 août 1919.*
De Julian Huxley, 12 novembre 1925.*
De Charles Nicolle, Tunis, 3 décembre 1929.*
De Lauras P., 11 août 1930.**
De Lauras P., 18 août 1930.**
De J.L.Faure, 14 novembre 1930.**
De l'Institut de France, Académie des Sciences (signature
illisible), 8 aôut 1935.*
De Georges Matisse, 12 juin 1937.*
De Georges Matisse, 4 septembre 1937.*
De Georges Matisse, 28 octobre 1945.*
De Paul Grassé, 10 juin 1929.*
De Jean Rostand, Ville d’Avray, 10 novembre 1929. **
De Emile Guyénot , 11 décembre 1939.*
De Albert Vandel, Toulouse, 15 février 1940. **
De René Lavocat, 4 avril 1944.*
De Paul Grassé , 4 novembre 1948.*
De Paul Grassé, 13 novembre 1948.*
De Jean Rostand, Ville d’Avray, sans date.*
Du Pr Jules Guiart, Lyon, 9 décembre 1948. *
De Paul Grosjean, 2 mai 1949.*
— 387 —
De Jean Rostand, Ville d’Avray, 28 novembre 1949.*
De Jean Rostand, Ville d’Avray, non daté.*
Du Père Bergounioux, Institut catholique de Toulouse,
Laboratoire de géologie, 23 mars 1950.*
De Boris Ephrussi, 20 juin 1950.*
De Philippe L'Héritier, 26 juin 1950.*
Brouillon de la correspondance de Marie Madelaine Merlet à
Lucien Cuénot de 1943 à 1950, non ou imprécisément datée.
Cette correspondance fut léguée le 16 février 1987 à Nelly et
René Cuénot par Sœur Marie-Cécile Merlet, la sœur de
Marie-Madelaine, alors à la Communauté de Gouarec dans
les Côtes d'Armor.*
 Autres
De M.André, architecte à la Ville de Nancy, 4 décembre
1930, Archives municipales de Nancy.
De Richard Goldschmidt à Andrée Tétry, 26 mai 1949.*
De Nelly Cuénot à Marie-Madelaine Merlet, 2 février 1949,
12 juillet 1949, 24 octobre 1950, 11 janvier 1951.*
De Emile Guyénot à Andrée Tétry, Paris, 8 avril 1952.*
De Hoertand à Andrée Andrée Tétry., Laboratoire de
Biologie Marine d'Ambleteuse (France), 13 mai 1978.**
- Manuscrits, annotations (Les références paginées citées
dans cet ouvrage correspondent à ces exemplaires uniques,
épreuves annotées et corrigées ou manuscrits de Cuénot)
Travaux scientifiques de L.Cuénot, manuscrit de Cuénot,
provenant de la bibliothèque Giard, 1900?, 11p. **
Genèse des espèces animales, éditions 1911, annotations
manuscrites dans l'épreuve.*
Genèse des espèces animales, éditions 1932, annotations
manuscrites dans l'épreuve.*
L'Espèce, 1936, annotations manuscrites dans l'épreuve.*
— 388 —
Invention et finalité en Biologie, 1941, annotations
manuscrites dans l'épreuve.*
Carnet de bord pour L'évolution biologique. Inclus An.,
Encyclique Humani Generis, 2 Août 1950, coupure de
journal collé dans le Carnet de bord de l'Evolution
Biologique.**
L'évolution biologique, 1950, manuscrit.**
Cours universitaires de Cuénot.*
Un essai d'arbre généalogique du Règne animal, 1940.**
Notes, dessins et correspondances au sujet des travaux de
recherche de Cuénot, et particulièrement dossier coaptation et
Carausius morosius.*
Ecrits divers : réflexions philosophiques, conte de fée à Marie
Marvingt (vers 1948).**
- Discours
Discours : L'épée d'Académicien, Séance de l'Académie des
Sciences - 5 avril 1935, L'Est républicain, 6 avril 1935, et
document dactylographié, 4p.**
L'invention en Biologie, Séance publique annuelle des Cinq
Académies, Paris, 23 octobre 1935, 10p. (Epreuve corrigée
par Cuénot).**
Allocution à la 55e assemblée générale de la Société
zoologique de France, 27 mais 1948, manuscrit.**
- Divers
Album de photos de la famille Cuénot : photos, annotations
manuscrites, photos officielles (faites par M.Scherbeck).
Album d'enfance de L.Cuénot.**
Appel pour l'érection d'un monument à la mémoire de
G.Mendel à Brünn, Document imprimé en langue allemande,
1p.*
— 389 —
Document Instruction publique, Année universitaire
1927-1928., Archives municipales de Nancy.
Guide du Muséum d'histoire naturelle de Paris, vers 1930.*
Invitation et Programme, Centenaire de la naissance de
Mendel à Prague, 19 octobre 1922, imprimé en langue
allemande, 19p.*
Photos diverses, archives Tétry (dont photos officielles faites
par M.Scherbeck).**
2. Ecrits et témoignages publiés sur Cuénot
Sources publiées
-Publications
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Lucien Cuénot, Scientia, Vol. 117, 1, 105-116.
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l'Enseignement, 11 mars 1900, Progrès de l'Est.
Ageorges J., 21 novembre 1930, Le billet parisien : A propos
du prix Albert de Monaco, La Libre Belgique.**
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l'Est, Archives municipales de Nancy.
Emnic, 11 février 1933, A travers Nancy et la Banlieue - A
l'institut zoologique, L'étoile de l'Est, Archives municipales
de Nancy.
— 393 —
Lefèvre F., 17 juin 1933, Une heure avec Monsieur Cuénot,
Les Nouvelles Littéraires.**
Liégeois A., 23 février 1933, Une visite à l'Institut
zoologique, L'Est Républicain, Archives municipales de
Nancy.
Thibaut M., 5 février 1933, A travers Nancy, Les grands
travaux, L'immeuble et la construction et Bois et Forêts de
l'Est, 46e année, n°6, Archives municipales de Nancy.
An., 7 février 1934, Affaire du Loch Ness, Le Matin.**
An., Au musée de zoologie de la rue Sainte-Catherine, 22
août 1937, L'éclair de l'Est, Archives municipales de Nancy.
Daudet L., 26 juillet 1938, Les chemins de la découverte,
Action française.**
Georges A., 2-16 mars, 6 avril, 4 mai et 1er juin 1950, Qu'est
ce que la vie ? (série de témoignages), Les Nouvelles
Littéraires.*
Rostand J., 3 février 1951, Lucien Cuénot, le "mutationniste
insatisfait", Le Figaro Littéraire, Famille Cuénot.
Rostand J., 1er septembre 1951, Les Incertitudes d'un grand
savant, Le Figaro Littéraire, Famille Cuénot.
Duhamel G., 1951, chronique "D"un samedi à l'autre",
coupure de magazine non daté, annonce de la mort de
L.Cuénot.**
Sources non publiées
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manuscrite d'Andrée Tétry*.
Courrier R., 1952, notes, dossier Cuénot, Institut de France.
Delafosse W., 5 avril 1951, Eloge de L.Cuénot lue en séance
de l'Académie de Metz, 5p.dactylographiées.**
— 394 —
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zoologie proposé aux membres de la Société zoologique de
France lors de la réception de clôture des Journées de Nancy,
6p.*
An., Rapport d'activité du Muséum-Aquarium de Nancy,
1998, 61p.*
- Rencontres et témoignages
René Cuénot avec Franck Raffegeau et Alain Phillipot en
juin 2000 à Nancy.*
Henri Tintant avec Annette Chomard-Lexa en juin 2001, à
Dijon.
René Cuénot avec Annette Chomard-Lexa en août 2001, à
Nancy.
3. Autres sources
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Agassiz L., 237, 245
Allotte, 24
André J. et M. 271, 273, 274
Anthony R., 118,119, 163, 164
Arambourg C., 223, 225,
Baldwin, 165, 166, 167, 173
Balzac H. (de), 68,
Bates W., 158
Bateson W., 31, 76, 85, 87, 88,
89,
92, 94,
95,95,
96,131
97, 100, 102,
Beadle
G.W.,
103, 155, 202,
347,
Becquerel
P., 222
Beer, 217
Bergson H., 30, 47, 90, 111, 293,
294,
303,C.,
312,
Bernard
44,313,
69, 77, 118, 120,
124, 288, 304,
Bernardin
de St312,
Pierre, 303
Blaringhem L., 86, 125
Boesiger E., 184
Bohn G., 25, 119, 120
Bohr N., 328
Bolk, 216,
Bonnier G., 22
Borrel, 99
Bossut H., 34
Boule M., 36
Bounoure L., 42, 299, 329, 331,
338
Boveri Th., 82, 103, 106
Bowler P.J., 64, 66
Bridges C.B., 102
Brien P.,
— 406 —
Broglie L. (De),
Brown-Séquard C.E.,
Bruntz,
Buffon G.,
Buican D.,
Burns R.,
Carrel A.,
Castle E.,
Caullery M.
Changeux J.P.
Chapuis P.A.
Collin
Colotte
Cope
Correns C.
Corset J.
Courbet G.
Courrier R.
Cracraft
Crampe
Cret P.P.
Crick F.
Cuénot A.
Cuénot C.
Cuénot L. (fille)
Cuénot N.
Cuénot R.
D'Arcy Thompson W.
Danielopol
Danielssen
Darbishire
Darwin C.
Darwin L
— 407 —
Davenport C.
Dawkins R.
Dawydoff C.
Delafosse W.
Delage Y.
Depéret C.
Descartes R.
Devillers C.
Diderot D.
Dobzhansky T.
Dollo L.
Doppler C.
Doumer P.
Doumergue G.
Doyle A. (Conan)
Driesch H.
Drzewina A.
Duchesne A.N.
Ducrotay de Blainville
Duhamel G.
Dujardin
Eimer
Eldredge N.
Engels F.
Ephrussi B.
Fabre J.H.
Faure J.L.
Faure J.P.
Fischer J.L.
Fisher R.A.
Flahaut
Flammarion C.
Flemming W.
— 408 —
Ford E.B.
France A.
France R.H.
Gallé E.
Galton F.
Gartner
Gaudry A.
Gayon J.
Geoffroy Saint-Hilaire I.
Gervais
Giard A.
Gilson
Godron D.A.
Goldschmidt R.
Gould S.J.
Gouyon P.H.
Graham
Grand'Heury C.
Grassé P.P.
Gray A.
Grégory
Grimoult C.
Grobben
Grosjean P.
Guaita (Von)
Guiart A.
Guignard
Guillard M.
Guinier P.
Guyénot E.
Guyer M.F.
Haacke
Haeckel E.
— 409 —
Haldane J.B.S.
Hardy
Hébert E.
Hegel G.W.F.
Heisenberg W.K.
Hennig W.
Hérouard
Hertwig O.
Hitler A.
Hoertlandt
Hofmeister
Holbach (d') P.T.
Holland
Houssay F.
Hovasse R.
Hurst C.C.
Huxley J.
Ibsen
Jacob F.
Javillier M.
Jeannel R.
Johannsen W.
Kammerer H.
Kant E.
Kettlewell
Kimura M.
Kipling R.
Kirkham
Koren
Kowalevsky W.
Kükenthal
L'Héritier P.
Lacaze-Duthiers H.(de)
— 410 —
Lamarck J.(de)
Lameere A.
Lamotte M.
Lauras P.
Le Dantec F.
Le Guyader H.
Lecointre G.
Lecomte de Noüy P.
Lienhart R.
Limoges C.
Loeb J.
London J.
Lorenz C.
Lucas P.
Lucrèce
Lwoff A.
Lyssenko T.
Majorelle L.
Mallarmé S.
Malthus T.
Malval J.
Manet E.
March L.
Marchant J.
Marot P.
Marsh L.
Martin du Gard R.
Marvingt M.
Marx K.
Matisse G.
Maupassant F.(de)
Maupassant G.(de)
Mauriac F.
— 411 —
Mayr E.
Mendel G.
Mercier
Merlet L.
Merlet M.M.
Merrifield
Mertz J.
Metalnikoff
Metchnikoff E.
Milne-Edward A.
Milne-Edwards H.
Mitchourine R.
Monod J.
Monot T.
Morange M.
Moreau de Maupertuis P.L.
Moreau J.
Morgan T.H.
Müller F.
Müller H.J.
Mutel
Nägeli C.
Naudin C.
Newport G.
Nicklès R.
Nicolas A.
Nicolle C.
Olby C.
Osborn R.
Owen R.
Painter
Pantel
Pasteur L.
— 412 —
Pavlov I.P.
Pearson K.
Perez C.
Perrier E.
Pichot A.
Pie XI
Pie XII
Piveteau J.
Plate
Popper K.
Prenant A.
Prenant M.
Przibram H.
Punnet
Quatrefages A.(de)
Rabaud E.
Rabaud H.
Racovitza E.
Réaumur
Rémy P.
Richet C.
Ricqlès A.(de)
Rochan-Duvigneau
Romain J.
Romanes G.J.
Romer
Rosny aîné J.H.
Rostand J.
Rouch
Rouvière H.
Roux W.
Royer C.
Sadoul C.
— 413 —
Sageret
Sanders
Sandfuss
Sars
Savigny
Schopenhauer A.
Schreiber G.
Schrödinger E.
Schütze
Serban M.
Simpson G.G.
Slack
Smith E.A.
Spallanzani L.
Speeman H.
Spencer H.
Spinoza
Staline
Standfuss M.
Steigleider
Strasburger E..
Sturtevant A.H
Tatum E.
Teilhard de Chardin P.
Teissier G.
Tétry A.
Thinès G.
Tintant H.
Trembley
Tschermak E. (von)
Vacher de Lapouge G.
Valéry P.
Vallin E.
— 414 —
Van Beneden E.
Van Beneden P.J.
Van Vallen L.
Vandel A.
Vbra E.
Vernier
Verrier
Vialleton L.M.
Von Tschermak E.
Waagen
Waddington C.H.
Wagner M.
Waldeyer-Hartz W. (von)
Wallace A.R.
Watson J.
Weismann A.
Weldon
Wells H.G.
Wells H.G. et Wells G.P
Westoll
Wilson E.O..
Wintrebert P
Wright F.L.
Wright S.
Zola E.
— 415 —
Sommaire
I Lucien Cuénot, un homme au tournant du siècle
Les jeunes années parisiennes
L'âge d'homme
Cuénot professeur
A l'aube de sa carrière scientifique : le discours
auto-prophétique de 1898
La consécration scientifique
L'œuvre scientifique
Cuénot et Teilhard de Chardin
La guerre de 1939-1945
Cuénot et le dessin
Cuénot et la nature
Cuénot vu par ses contemporains
Cuénot et la littérature
Cuénot et la vulgarisation scientifique
Cuénot et Rostand
Lienhart, l'ami fidèle
Cuénot, Godron et la Lorraine
Cuénot face à la mort
II De Darwin a la redécouverte des lois de
Mendel
1. Rappel historique : du fixisme au transformisme
Lamarck et le transformisme
La révolution darwinienne : variations fortuites et
sélection naturelle
2. La période 1883-1892 : itinéraire d'un étudiant en zoologie
sous la IIIe république
III Hérédité et mendélisme
1. Rappel historique
— 416 —
Absence de concept d’hérédité
Le botaniste français Charles Naudin
Gregor Mendel, les lois de l’hérédité particulaire
Découvertes cytologiques en cascade
Les théories héréditaires (1860-1900)
Les stirps de Galton
La théorie de la pangenèse
intracellulaire de Hugo de Vries
La théorie du plasma germinatif d'August
Weismann et les autres théories allemandes
Hugo de Vries et les mutations brusques
La redécouverte des lois de Mendel en 1900
2. Un professeur de zoologie redécouvre les lois de Mendel....
Premiers travaux : les souris albinos et grises
Un mnémon - une diastase
Découverte de l'épistasie
L'hérédité de la 'valse' et la pléïotropie
La découverte du gène létal
Cancer et hérédité (1908-1912)
Accueil des travaux de Cuénot par la communauté
internationale
L'abandon
Conclusion
IV Du transformisme a l'avènement de la grande
synthèse
1. Darwinisme et Mendelisme : vers la synthèse
2. La période 1900-1923 : l'apogée du néo-lamarckisme
français
3. Un transformiste contre l'hérédité de l'acquis
4. La période 1919-1936 : la déroute française
5 La période 1936-1950 : un consensus encore difficile
— 417 —
L'affaire Lyssenko et le courant néo-lamarckiste
soviétique
6 Après la grande synthèse
La sélection naturelle
Les apports de la génétique moléculaire et de la
biologie du développement
7 Le transformisme de Lucien Cuénot
Les prémisses : 1883-1900
Adaptation et invention en biologie
La régénération, réponse adaptative
La coloration adaptative
Les antinomies de la biologie (1936-1950)
 Les callosités des phacochères
 Les coaptations d'accrochage
 Les pattes ravisseuses
 Les crabes qui s'habillent
 Le pagure
 Les pleuronectes
 Les pédicellaires d'oursins
 Les hyménoptères paralyseurs
 Les champignons suceurs
Cuénot et la sélection naturelle
 La mort est-elle différenciatrice ?
La notion de préadaptation
Des galeries de mines à la faune
cavernicole
La préadaptation à la vie en eau douce
Les mares salées de Lorraine
Le sort de la notion de préadaptation
L'orthogenèse
L'ontogenèse
La notion d'espèce
— 418 —
 A la recherche d'une nouvelle définition
de l'espèce
 L'espèce selon des contemporains
français de Cuénot
 La création d'espèces par néoténie
 La formation des espèces vue par la
théorie synthétique de l'évolution
 L'espèce aujourd'hui
L'origine de la vie
Le congrès 'Paléontologie et Transformisme' de 1947
ou les Français face à la théorie synthétique de l'évolution
Rendre à César…
8. Conclusion
V Travaux de zoologie
1. Fonctions physiologiques des invertébrés
2. Echinodermes
3. Echiuriens, sipunculiens et priapuliens
4. Onycophores et tardigrades et pentastomides
5. Et d'autres encore...
VI L'arbre phylogénétique du règne animal
1. Bref historique des phylogénies du règne animal
2. Les prémisses d'une reconstitution phylogénétique
3. L'avènement : 1938-1940
4. Analyse de l'arbre de Cuénot à la lumière de la phylogénie
actuelle
L'arbre de la Revue scientifique (1940)
 La base et le pied de l'Y
 La bifurcation de l'Y
 La branche droite de l'Y
 La branche gauche de l'Y
La version de 1936
— 419 —
 Branche droite de l'Y
 Branche gauche de l'Y
Maquette du Palais de la découverte
5. Critique et conclusion
VII Le musée de zoologie de Nancy
e
1. Les grands musées de zoologie au début du XX siècle
2. L'origine du Musée de Nancy
VIII La philosophie biologique
1. Hérédité, évolution et eugénisme
L'eugénisme en France dans la première moitié du
e
XX siècle
La Société française d’eugénique
Cuénot et l'eugénique positive
Race et biologie
2. Le finalisme en biologie
Hasard et nécessité dans l'évolution
La question de la finalité en biologie en France autour
de 1900.
 Les mécanistes
 Les finalistes
 Les
derniers
soubresauts
du
créationnisme avec "l'affaire Vialleton"
La question de la finalité en biologie en France autour
de 1930-40.
 Les insatisfaits
Le finalisme dans les pays anglo-saxons
 Qu'est ce que la vie ? L'hypothèse
d'Erwin Schrödinger
Le finalisme biologique de Lucien Cuénot
 A l'aube des questionnements : l'intuition
naturaliste
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L'outil finalisé
La convergence
Hasard et anti-hasard
La place de l'Homme dans la nature
La réception du finalisme de Cuénot par ses
contemporains
Georges Matisse et Lucien Cuénot, la
querelle des matérialistes
et des spiritualistes
Le finalisme de Lucien Cuénot vu par
Charles Nicolle
Marcel Prenant et le matérialisme
dialectique
Jean Rostand le tourmenté
 Le finalisme de Cuénot vu par quelques
biologistes anglo-saxons
 Derniers écrits
 Lucien Cuénot avait-il un sentiment religieux ?
 L'inquiétude métaphysique
 L'émerveillement
Conclusion
Lexique
Sources bibliographiques
1. Ecrits de Cuénot
Sources publiées
∙Bibliographie exhaustive des publications de
Lucien Cuénot
∙Analyses d'ouvrages
∙Articles de journaux
Sources non publiées
∙Conférences
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∙Correspondance
Lettres de Cuénot
Lettres à Cuénot
Autres
∙Manuscrits, annotations
∙Discours
∙Divers
2. Ecrits et témoignages publiés sur Cuénot
Sources publiées
∙Publications
∙Articles de journaux
Sources non publiées
∙Rencontres et témoignages
3. Autres sources
Publications
Sources internet
Index des noms cités
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Lucien Cuénot, l'intuition naturaliste
Cette étude, basée sur la découverte d'archives
inédites, faire revivre un des derniers grands naturalistes
français du XXe siècle, Lucien Cuénot (1866-1951), et
analyse l'oeuvre scientifique à la lumière des apports de la
biologie contemporaine, offrant un éclairage nouveau sur les
raisons complexes de son éclipse imméritée. Il fut le premier
biologiste français à adopter d'emblée le néo-darwinisme,
dans une France lamarckiste, hostile au courant darwinien
anglo-saxon. Forte personnalité, grande figure de la vie
scientifique et universitaire française, Lucien Cuénot fut l'un
des pionniers de la génétique à l'échelle internationale —
avec la redécouverte des lois de Mendel chez la souris en
1902. Cependant, ce naturaliste refusa d'adhérer pleinement à
la théorie synthétique de l'évolution, élaborée dans les pays
anglo-saxons dans les années 1940 : taxé trop vite du mot
malheureux de finaliste, il fut trop longtemps occulté.
Pourtant, la pensée évolutionniste de Lucien Cuénot, basée
sur l'intuition naturaliste, prend aujourd'hui tout son sens.
Reçu à l'Académie des sciences en 1931, il fonda en outre, en
1933, le musée de zoologie de Nancy.
Annette Chomard-Lexa est docteur ès sciences biologiques
: après plusieurs années consacrées à la recherche
universitaire et à l'enseignement, elle s'est passionnée pour
l'histoire et l'épistémologie des sciences de la vie et de la
terre, particulièrement en Lorraine, sa terre natale. Cette
étude est, à l'origine, une commande du Muséum-Aquarium
et de la Communauté Urbaine du Grand-Nancy réalisée en
2001.
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