Source : SEDICOM – LYON : http://catholique-lyon.cef.fr
revient de le signifier visiblement au sens sacramentel du mot, comme tous les autres
mystères du Royaume. Et comment s'y prendre autrement qu'en aimant dès maintenant,
gratuitement, ceux qu'un dessein incompréhensible de Dieu prépare et sanctifie dans la
voie de l'Islam, et en vivant avec eux le partage eucharistique de tout le quotidien ?
Christian avait ce regard sur l'autre, le regard de celui qui veut aimer jusqu'au bout et il savait
aussi reconnaître ce regard et cette attitude partout où elle existait. Dans une homélie du 17
juillet 1994, deux mois après la mort d'Henri Vergès et de sœur Paul-Hélène, il dira :
Paul-Hélène et Henri étaient à leur place. Offerts, sans défense. Ils se savaient
vulnérables. Ils n’ignoraient pas la peur. Ils prouvaient simplement qu’elle peut être
traversée de part en part, et donc dépassée, par l’urgence plus grande d’une disponibilité
à l’autre. Tout a été rapide. Une seule balle pour chacun. En plein visage pour le frère. Il
s’est affaissé en ramenant sur sa poitrine la main qu’il venait de tendre au meurtrier ; il
achevait ainsi le geste de l’accueil tel qu’il se pratique ici, comme pour mieux dire qu’il
vient du coeur. La soeur a été frappée par derrière, à la nuque. Elle avait vu le frère
s’écrouler. Elle a levé les bras dans un geste d’étonnement qui lui était familier. Elle est
morte étonnée, comme les enfants. Mort violente, certes, et pourtant si naturelle en
apparence : « Ils avaient l’air de dormir », dit un témoin. Aucune trace de souffrance, ni
de peur. « Chaque rencontre est celle de Dieu » disait Henri, et il ajoutait : « Je lui
demande d’en rater le moins possible ! » Il n’aura pas « raté » cette rencontre dernière,
nous laissant la prolonger indéfiniment en appliquant la consigne qu’il s’était donnée à
lui-même pour faire face au désarroi ambiant : « Dans nos relations quotidiennes,
prenons ouvertement le parti de l’amour, du pardon, de la communion, contre la haine, la
vengeance, la violence ».
Christophe, après la mort de Christian Chessel, l'un des Pères Blancs de Tizi Ouzzou, écrira
dans son journal personnel en date du 4 janvier 1995 :
Quelque chose arrive entre nous - Christian et moi - comme si sa mort nous décidait à
l'amitié. Avant, je ne t'avais vu que deux fois, à la Maison diocésaine, lors de réunions du
Presbyterium. Tu étais le plus jeune prêtre. Nous n'avons échangé que quelques mots
mais je suis sûr d'avoir rencontré ton regard. Nos yeux se sont touchés. Il me reste : la
Lumière de cet échange tout juste esquissé mais vrai.
Hier, les obsèques auprès de ta famille en France. La terre d'Algérie n'en est pas jalouse
mais pleine. Une amie - Clarisse d'Alger - elle aussi a quitté le pays. Rester devient plus
fort encore, une grâce d'amitié : avec lui, ce jour. Voir plus loin est illusoire. L'armée
nous entoure de son bras musclé. D'autres bras dans la montagne... rester avec le petit
peuple : ce jour.
Toi, tu as été abattu, m'a-t-on dit, en pleine course, tout près de franchir le portail. C'est
maintenant chose faite. L'existence n'est pas une prison. Les tueurs n'ont pas brisé ton
élan de vie.
Me diras-tu s'il s'agissait pour eux dans l'intention avouée - contaminée de folie
meurtrière - de vous prendre en otages ? J'aimerais savoir. J'y pense pour la suite de cette
histoire... à Alger ?, à Tibhirine. L'otage prend la place des autres mais ce doit être un
engagement libre afin que cette place (de victime) soit ainsi remplie d'amour, de pardon.
Jésus seul peut nous attirer là, nous donnant part à ce lieu du Fils infiniment Frère.