Contemplation : une Mission
Le message de Tibhirine, 10 ans après…
Dans la nuit du 26 au 27 mars 1996, sept moines cisterciens été enlevés à Tibhirine, détenus
pendant 56 jours et finalement mis à mort le 21 mai. La communauté de Tibhirine était
pratiquement inconnue en dehors de l'horizon restreint du pays où elle se trouvait et de quelques
rares maisons de l'Ordre plus attentives au signe d'une présence en terre d'Islam.
Sept moines, une communauté toute entière. Deux frères leur survivront, oubliés par les
ravisseurs venus prendre sept moines. Ils ne devaient être que sept ; l'un était venu pour
l'élection du prieur toute proche, l'autre était rentré la veille d'un bref séjour en France auprès de
sa maman qui mourra d'ailleurs pendant le temps de la détention. Sept moines, parce que les
autorités algériennes avaient fixé, depuis plusieurs années, à 12 plus 1, le nombre maximum de
frères présents dans cette communauté de Tibhirine. Les apôtres et le Seigneur, nombre et signe
établis par la Règle de saint Benoît qu'observent les moines.
En réfléchissant sur ce nombre, on pourra dire que 12, et encore plus 7 moines, c'est peu. Il est
vrai que nous avons encore des réactions induites par ce qu'a été la vie monastique au XIXe
siècle avec ses communautés très nombreuses. Plus de 200 moines à Aiguebelle durant une
bonne partie du XIXe, faisant des fondations en envoyant chaque fois une quarantaine de frères,
en commençant d'ailleurs par sa toute première fondation après la restauration qui verra 40
moines partir pour Staouëli, en Algérie. Mais le XIXe siècle est une exception dans notre longue
histoire ; pendant des siècles, nous aurons été plutôt ce qu'il est convenu d'appeler aujourd'hui
des petites communautés. Tibhirine, depuis l'indépendance de l'Algérie, était effectivement une
petite communauté par sa taille.
En 1985, à l'occasion de la visite ad limina des évêques du Maghreb, le Pape Jean-Paul II avait
reconnu que les communautés ecclésiales présentes au Maghreb sont en général de taille
restreinte. Tout en insistant sur le sens de cette présence chrétienne, il avait eu ce mot lumineux :
"vous êtes là pour être un signe et à un signe, on ne demande pas de faire nombre mais de faire
signe"…
Faire signe de Dieu
La communauté qui vivait à Tibhirine depuis près de 60 ans, après avoir été précédée en Algérie
par une autre communauté à Staouëli pendant elle aussi près de 60 ans, vivait sa vocation
contemplative de priants au milieu d'autres priants. Elle avait mis beaucoup de temps à forger
son identité en tant que communauté.
Les frères provenaient de divers monastères et, pour la plupart, avaient conservé leur vœu de
stabilité dans leur monastère d'origine. Car les moines ne font pas les trois vœux de chasteté,
pauvreté et obéissance, comme les autres religieux et religieuses : les trois vœux des moines
sont de stabilité, de conversion de vie et d'obéissance. Le vœu de stabilité lie un frère à une
communauté déterminée jusqu'à la mort et cela, dans le lieu cette communauté se trouve
implantée, dans l'Église et le peuple cette communauté a pris racines. C'est dans l'atelier du
monastère que se pratique l'art spirituel de toutes les conversions et transformations de chaque
frère, mais surtout que se soude la communauté toute entière.
Car la grâce d'une communauté cistercienne n'est pas d'abord une grâce individuelle donnée à
chaque frère, mais une grâce communautaire qui se trouve bien résumée dans l'unique prière
que l'on trouve dans toute la Règle de saint Benoît, au chapitre 72 : "Daigne le Christ nous
conduire ensemble à la vie éternelle". Pariter : ensemble, coude à coude, comme les phalanges
des légions romaines, c'est le compagnonnage dans le combat spirituel. La grâce d'un moine est
de savoir et de croire qu'il a reçu des frères en partage pour aller à Dieu, comme le Père a
envoyé son Fils unique, le Fils unique nous envoie les uns aux autres, chaque frère est envoyé à
tous ses frères. C'est le don de Dieu pour la longue route. L'identité d'une communauté se forge
dans ce regard de foi des frères les uns sur les autres.
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Pour faire signe de Dieu, pour être une parabole vivante de la présence et de l'amour gratuit de
Dieu, la communauté met tout en œuvre pour que, dans l'enceinte du monastère, tout soit
effectivement "ordonné" à la vie contemplative vécue ensemble. La stabilité était devenue une
exigence très forte à Tibhirine, surtout à l'occasion d'événements importants : la signature de la
suppression de Tibhirine en 1964, la profession solennelle de Père Christian de Chergé en 1972,
le décret d'expulsion en 1976, la visite de la nuit de Noël 1993, l'enlèvement de 1996. C'est toute
une communauté qui vit cette histoire sainte, s'y engage par une réflexion, des votes pris et
repris périodiquement. Toutes les communautés de l'Ordre vivent cette stabilité, mais en 1996,
ce sont surtout nos monastères de Tibhirine, de Huambo et de Bela Vista en Angola, de Mokoto
et la Clarté-Dieu au Zaïre, de Marija Zvijesda en Bosnie ce vœu a soudain revêtu tout son
sens : ensemblejusqu'à la mort. Est-ce à dire qu'une communauté cistercienne tient toute son
identité des frères qui la composent et uniquement d'eux ? Ce serait bien mal comprendre le
sens du vœu de stabilité qui s'incarne dans une présence de longue durée au cœur d'une Église
et d'un peuple.
Faire Église ensemble
Tibhirine nous a laissé en héritage une autre manière de faire Église ensemble. Le Concile nous
avait invités instamment à répondre généreusement à toute invitation venant d'une jeune Église
et quand cela nous était possible à y assurer une présence contemplative sans laquelle il
manque une dimension à une Église particulière. En général, dans ce processus, une nouvelle
fondation vient donc au terme d'une sorte de croissance et de développement naturel de la vie
d'une Église diocésaine. La présence d'un monastère de contemplatifs vient comme couronner
cette vie ecclésiale.
Tibhirine nous a appris à considérer cette réalité ecclésiale, cette vision ecclésiale, "autrement" :
et si nous faisions Église ensemble dès le départ, si nous avions part au noyau même de la vie
de notre Église locale, si nous étions incapables de nous définir sans elle et elle sans nous…
C'est effectivement autre chose. Tous ceux qui ont un jour séjourné l'Église est encore
fortement marquée par la mission (mais ne l'est-elle pas partout ?) ou encore l'Église
aujourd'hui est fortement minoritaire (et ce n'est pas toujours l'on croit !) comprennent ce
que veut dire "faire Église ensemble" autrement. C'est essentiel pour être témoins de Dieu, pour
faire signe de Dieu. Tibhirine a vécu cela. Tout comme la communauté de l'Atlas à Midelt, au
Maroc aujourd'hui (seule communauté contemplative d'hommes dans tout le Maghreb avec ses 4
moines). Toutes les décisions importantes mûrissent et se prennent en Église.
Rien ne vaut un exemple. Nous connaissons tous le rôle important de Mgr Teissier au lendemain
de la visite de la nuit de Noël 1993 : il interpelle les frères et les invite à rester. De manière tout
aussi concrète et incarnée, mais certainement moins dramatique, l'exemple de la pratique
ascétique du jeûne à Midelt s'inscrit dans cette démarche. Les frères de Midelt souhaitaient
reprendre le jeûne durant le Ramadan comme cela se faisait à Tibhirine en solidarité avec les
Musulmans. À l'occasion de la Visite régulière, Mgr Landel, archevêque de Rabat, avait été invité
pour réfléchir avec nous sur diverses questions dont celle-là ; il ne souhaitait pas que nous
répétions ce geste de solidarité de cette manière et il nous avait plutôt invité alors à reprendre la
pratique du jeûne tel que prévu dans la Règle de saint Benoît : un seul repas par jour, après
l'Office de Vêpres, dans l'attente de Pâques. C'est maintenant ce qui se vit -bas depuis plus de
4 ans, les frères sautent le repas de midi durant tout le Carême ; les voisins et les ouvriers du
monastère sont très sensibles et respectueux de ce signe et comprennent que nous vivons nous
aussi sérieusement notre quête de Dieu et notre partage avec les autres. Le geste s'est décidé
en Église.
Insistons encore sur ce point car c'est capital dans l'héritage de Tibhirine. Après la mort des
frères, il fallait décider quoi faire : tout fermer et mettre un point final à cette présence en Algérie
commencée en 1843 ou bien tenter de recréer une communauté et de revenir à Tibhirine. Les
170 supérieurs de l'Ordre réunis à Rome en septembre 1996 ont encouragé Aiguebelle à tenter
de restaurer une présence cistercienne à Tibhirine. Certains avaient tout de même de sérieuses
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réserves : n'était-ce pas suicidaire ? Ne valait-il pas mieux attendre le retour de conditions
sécuritaires dans le pays et dans la région avant d'y exposer une autre communauté, d'autres
frères ? Voilà un creuset se joue notre vocation dans une Église et un peuple déterminés. Où
est-il écrit dans l'Évangile qu'il faille attendre les conditions de sécurité pour être ce que nous
chantons dans une hymne des Vigiles du temps ordinaire : "obscurs témoins d'une espérance".
Quelles sont les conditions à retenir pour venir vivre l'espérance, pour venir rendre compte de
notre espérance, pour venir donner le signe de la gratuité de l'amour de Dieu dans une Église et
un peuple qui en ont terriblement besoin ?
Mais notre identité de contemplatifs, de priants ne vient pas non plus uniquement de notre vision
de l'Église et de notre manière de nous insérer et d'y vivre. Notre identité de moines vient aussi
du peuple au milieu duquel nous sommes. S'il est vrai que toute identité se construit à partir de
nos relations avec les autres, cette dimension est incontournable. Elle se joue de fait à divers
niveaux d'incarnation qui ont chacun leur importance.
Un peu avant l'indépendance, Tibhirine avait fait le don de sa grande propriété agricole aux
autorités locales ne se réservant désormais que 12 hectares. Plus tard, la communauté avait
créé une association pour cultiver ces 12 hectares. Les moines et les associés cultivaient à tour
de rôle différentes parcelles et les semences étaient réparties entre tous pour que tous tirent
profit de cette association. Cela n'avait pas été sans difficulté mais ils y étaient peu à peu arrivé.
Les moines avaient aussi mis à la disposition de leurs voisins de Tibhirine un local du monastère
pouvant leur servir de lieu de prière car il n'y avait toujours pas de mosquée dans le village. Les
appels à la prière du muezzin et de la cloche de la communauté résonnaient souvent en écho
l'un de l'autre.
Il y a eu aussi la création de ce groupe du Ribât es Salam (Le lien de la paix) composé de
musulmans soufis surtout et de chrétiens dont 3 ou 4 des moines qui se réunissait deux fois l'an
pour prier en silence un temps, chacun dans sa tradition, et ensuite pour mettre en commun
comment chacun avait vécu le passage de l'une ou l'autre des Écritures (Bible ou Coran) vécu
durant les six mois les séparant de chaque rencontre. Pas de grandes discussions théologiques
ou doctrinales, un vécu près de la prière pour rencontrer l'autre au plus près de son Dieu. C'est
sans doute là que les moines sont le plus à l'aise dans leur vocation.
Quand les heures difficiles viendront, le Prieur de la communauté voudra garder le cap : ne
jamais perdre de vue que tous les Algériens sont leurs frères. Maurice Béjart parlant de l'ascèse
de ses danseurs de ballet dira que l'ascèse, c'est de trouver le geste exact, ajusté, qui permet de
ne pas rater le but. Christian de Chergé n'a pas perdu de vue le but : demeurer frères envers et
contre tout. C'est pour cela qu'il se refusait à parler de terroristes et de militaires, préférant les
désigner comme les frères de la montagne et les frères de la plaine. Aller à la personne non pas
à son uniforme, ni même à ce qu'elle a fait, car une personne ne se réduit jamais uniquement à
ses actes, à ce qu'elle a fait, même de très répréhensible. Chercher le frère en l'autre pour qu'il le
devienne.
Pourquoi est-ce si important ? Sans doute à cause de la résonance eucharistique en tout cela, de
la résonance eschatologique (qui est la clé de compréhension de toute notre vie monastique).
Célestin s'était interposé pour qu'une Algérien ait la vie sauve durant son service militaire en
Algérie ; dans le cas de Christian, c'était un Algérien qui s'était interposé pour lui sauver la vie et
qui avait ensuite payer son geste de sa propre vie. L'un et l'autre avaient alors découvert ce
que veut dire donner sa vie pour ceux qu'on aime et qu'il n'y a pas de plus grand amour. Et
Christian écrira dans son Testament spirituel qu'il ne faut pas attribuer à tout le peuple algérien
ce qui serait venu d'un homme qui ne savait pas ce qu'il faisait, l'ami de la dernière minute qu'il
désire retrouver en paradis. Il ne s'agit pas chez Père Christian d'une simple vision
anthropologique aussi solide soit-elle, il s'agit avant tout d'une expérience christique et
eucharistique qui a façonné toute sa vocation et sa vie : un homme a donné sa vie pour lui, un
homme s'est interposé et a payé du prix de sa vie pour lui.
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Je connais au moins un frère très aimé, musulman convaincu, qui a donné sa vie pour amour
d'autrui, concrètement dans le sang versé. Témoignage irrécusable que j'accueille comme
une chance inouïe. Depuis lors, en effet, je sais pouvoir fixer, au terme de mon espérance
dans la communion de tous les élus avec le Christ, cet ami qui a vécu, jusque dans sa mort,
le commandement unique. Cet au-delà de la communion des saints chrétiens et
musulmans, et tant d'autres avec eux, partagent la même joie filiale, il nous revient de le
signifier visiblement au sens sacramentel du mot, comme tous les autres mystères du
Royaume. Et comment s'y prendre autrement qu'en aimant dès maintenant, gratuitement,
ceux qu'un dessein incompréhensible de Dieu prépare et sanctifie dans la voie de l'Islam, et
en vivant avec eux le partage eucharistique de tout le quotidien ?
Christian avait ce regard sur l'autre, le regard de celui qui veut aimer jusqu'au bout et il savait
aussi reconnaître ce regard et cette attitude partout elle existait. Dans une homélie du 17
juillet 1994, deux mois après la mort d'Henri Vergès et de sœur Paul-Hélène, il dira :
Paul-Hélène et Henri étaient à leur place. Offerts, sans défense. Ils se savaient vulnérables.
Ils n’ignoraient pas la peur. Ils prouvaient simplement quelle peut être traversée de part en
part, et donc dépassée, par l’urgence plus grande dune disponibilité à l’autre. Tout a été
rapide. Une seule balle pour chacun. En plein visage pour le frère. Il s’est affaissé en
ramenant sur sa poitrine la main qu’il venait de tendre au meurtrier ; il achevait ainsi le geste
de l’accueil tel qu’il se pratique ici, comme pour mieux dire qu’il vient du coeur. La soeur a été
frappée par derrière, à la nuque. Elle avait vu le frère s’écrouler. Elle a levé les bras dans un
geste d’étonnement qui lui était familier. Elle est morte étonnée, comme les enfants. Mort
violente, certes, et pourtant si naturelle en apparence : « Ils avaient l’air de dormir », dit un
témoin. Aucune trace de souffrance, ni de peur. « Chaque rencontre est celle de Dieu » disait
Henri, et il ajoutait : « Je lui demande d’en rater le moins possible ! » Il n’aura pas « raté »
cette rencontre dernière, nous laissant la prolonger indéfiniment en appliquant la consigne
qu’il sétait donnée à lui-même pour faire face au désarroi ambiant : « Dans nos relations
quotidiennes, prenons ouvertement le parti de l’amour, du pardon, de la communion, contre
la haine, la vengeance, la violence ».
Christophe, après la mort de Christian Chessel, l'un des Pères Blancs de Tizi Ouzzou, écrira
dans son journal personnel en date du 4 janvier 1995 :
Quelque chose arrive entre nous - Christian et moi - comme si sa mort nous décidait à
l'amitié. Avant, je ne t'avais vu que deux fois, à la Maison diocésaine, lors de réunions du
Presbyterium. Tu étais le plus jeune prêtre. Nous n'avons échangé que quelques mots mais
je suis sûr d'avoir rencontré ton regard. Nos yeux se sont touchés. Il me reste : la Lumière de
cet échange tout juste esquissé mais vrai.
Hier, les obsèques auprès de ta famille en France. La terre d'Algérie n'en est pas jalouse
mais pleine. Une amie - Clarisse d'Alger - elle aussi a quitté le pays. Rester devient plus fort
encore, une grâce d'amitié : avec lui, ce jour. Voir plus loin est illusoire. L'armée nous entoure
de son bras musclé. D'autres bras dans la montagne... rester avec le petit peuple : ce jour.
Toi, tu as été abattu, m'a-t-on dit, en pleine course, tout près de franchir le portail. C'est
maintenant chose faite. L'existence n'est pas une prison. Les tueurs n'ont pas brisé ton élan
de vie.
Me diras-tu s'il s'agissait pour eux dans l'intention avouée - contaminée de folie meurtrière -
de vous prendre en otages ? J'aimerais savoir. J'y pense pour la suite de cette histoire... à
Alger ?, à Tibhirine. L'otage prend la place des autres mais ce doit être un engagement libre
afin que cette place (de victime) soit ainsi remplie d'amour, de pardon. Jésus seul peut nous
attirer là, nous donnant part à ce lieu du Fils infiniment Frère.
La grâce d'une communauté est de forger cette vision commune qui deviendra aussi un don
commun à l'autre. Des fils infiniment frères. Car si le Verbe s'est fait Chair, il s'est aussi fait Frère,
dira Christian dans une homélie.
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Frère de l'autre
Tout le regard sur l'autre n'est pas façonné par le tragique seulement, mais avant tout par la
beauté de la relation, même si cette relation a sa part de mystère, comme toute relation d'ailleurs.
Et cette lancinante curiosité qui faisait dire à Christian qu'il avait hâte d'une chose à sa mort,
c'était de "plonger son regard dans celui du Père pour contempler avec lui ses enfants de l'Islam
tels qu'il les voit tout illuminés de la gloire du Christ", dans cette ressemblance l'Esprit joue
"avec les différences". Ce thème de la différence revient assez souvent chez Christian qui cite
volontiers la Sourate de la Table servie (5,48) où il est écrit : "Si Dieu l'avait voulu, il aurait fait de
vous une seule communauté, mais il a voulu vous éprouver par le don qu'il vous a fait". Le don
de la différence. Le don de l'autre, du musulman : reconnu et désiré. L'autre que nous attendons.
Les frères ont souvent réfléchi sur le sens de leur présence priante en terre d'Islam au milieu de
ce peuple. C'est dans le mystère de la Visitation de Marie que Christian puise le sens de cette
présence dans un texte encore inédit qui est inséré dans la retraite prêchée à des Soeurs
Franciscaines Missionnaires de Marie au Maroc en 1990 :
…Revenir sur le mystère de la Visitation. Il est tout à fait évident que ce mystère de la
Visitation, nous devons le privilégier dans l’Église qui est nôtre. J’imagine assez bien que nous
sommes dans cette situation de Marie qui va voir sa cousine Élisabeth et qui porte en elle un
secret vivant qui est encore celui que nous pouvons porter nous-mêmes, une Bonne Nouvelle
vivante. Elle l’a reçue d’un ange. C’est son secret et c’est aussi le secret de Dieu. Et elle ne
doit pas savoir comment s’y prendre pour livrer ce secret. Va-t-elle dire quelque chose à
Élisabeth ? Peut-elle le dire ? Comment le dire ? Comment s’y prendre ? Faut-il le cacher ? Et
pourtant, tout en elle déborde, mais elle ne sait pas. D’abord c’est le secret de Dieu. Et puis, il
se passe quelque chose de semblable dans le sein dÉlisabeth. Elle aussi porte un enfant. Et
ce que Marie ne sait pas trop, c’est le lien, le rapport, entre cet enfant qu’elle porte et l’enfant
qu’Élisabeth porte. Et ça lui serait plus facile de s’exprimer si elle savait ce lien. Mais sur ce
point précis, elle n’a pas eu de révélation, sur la dépendance mutuelle entre les deux enfants.
Elle sait simplement quil y a un lien puisque c’est le signe qui lui a été donné : sa cousine
Élisabeth. Et il en est ainsi de notre Église qui porte en elle une Bonne Nouvelle - et notre
Église cest chacun de nous et nous sommes venus un peu comme Marie, dabord pour
rendre service (finalement c’est sa première ambition)… mais aussi, en portant cette Bonne
Nouvelle, comment nous allons nous y prendre pour la dire… et nous savons que ceux que
nous sommes venus rencontrer, ils sont un peu comme Élisabeth, ils sont porteurs d’un
message qui vient de Dieu. Et notre Église ne nous dit pas et ne sait pas quel est le lien exact
entre la Bonne Nouvelle que nous portons et ce message qui fait vivre lautre. Finalement,
mon Église ne me dit pas quel est le lien entre le Christ et l’Islam. Et je vais vers les
musulmans sans savoir quel est ce lien. Et voici que, quand Marie arrive, c’est Élisabeth qui
parle la première. Pas tout à fait exact car Marie a dit : as salam alaikum ! Et ça cest une
chose que nous pouvons faire ! On dit la paix : la paix soit avec vous ! Et cette simple
salutation a fait vibrer quelque chose, quelqu’un en Élisabeth. Et dans sa vibration, quelque
chose s’est dit… qui était la Bonne Nouvelle, pas toute la Bonne Nouvelle, mais ce qu’on
pouvait en percevoir dans le moment. D’où me vient-il que…l’enfant qui est en moi a tressailli ?
Et vraisemblablement, l’enfant qui était en Marie a tressailli le premier. En fait, cest entre les
enfants que cela s’est passé cette affaire-là… Et Élisabeth a libéré le Magnificat de Marie Et
finalement, si nous sommes attentifs et si nous situons à ce niveau-là notre rencontre avec
l’autre, dans une attention et une volonté de le rejoindre, et aussi dans un besoin de ce qu’il
est et de ce qu’il a à nous dire, vraisemblablement, il va nous dire quelque chose qui va
rejoindre ce que nous portons, montrant qu’il est de connivence… et nous permettant d’élargir
notre Eucharistie, car finalement, le Magnificat que nous pouvons, qu’il nous est donné, de
chanter : c’est l’Eucharistie. La première Eucharistie de l’Église, c’était le Magnificat de Marie.
Ce qui veut dire le besoin nous sommes de l’autre pour faire Eucharistie : pour vous et
pour la multitude…
La rencontre avec l'autre n'est pas que le fait de ma décision et de ma démarche, avant même
que je ne sois parvenu devant lui, l'autre a peut-être libéré en moi quelque chose qui m'a fait
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