La documentation est plus ou moins lacunaire selon les époques. L’essentiel des tablettes
scolaires parvenues jusqu’à nous date de l’époque paléo-babylonienne (début du deuxième
millénaire avant notre ère). Les époques plus anciennes n’ont livré que peu de textes scolaires,
bien que les écoles de scribes se soient très probablement développées dès le milieu du
troisième millénaire, et de façon particulièrement florissante à l’époque néo-sumérienne (fin
du troisième millénaire). La part importante de la tradition orale dans l’enseignement dans ces
époques anciennes est peut-être un élément d’explication du silence des sources. Pour ce qui
concerne les époques plus récentes (premier millénaire avant notre ère), relativement peu de
textes scolaires sont parvenus jusqu’à nous, peut-être en raison de l’usage croissant des
tablettes de bois.
La place des érudits dans la société, le statut des apprentis scribes, leurs relations avec les
maîtres n’ont pas toujours été les mêmes dans toutes les régions et à toutes les époques en
Mésopotamie. La réponse est donc différente selon qu’on considère par exemple les élèves
scribes des écoles néo-sumériennes, ou ceux des écoles paléo-babyloniennes, ou les jeunes
apprentis marchand d’Assyrie et d’Anatolie, ou les futurs servants des temples de la
Babylonie séleucide (fin du premier millénaire).
Nous allons donc nous concentrer sur la Mésopotamie méridionale à l’époque paléo-
babylonienne, la mieux documentée, et, pour les époques plus anciennes et plus récentes, nous
limiter à quelques comparaisons ponctuelles. Il n’est pas question ici de confronter l’ensemble
des contenus enseignés à la production savante de la même époque, mais seulement de
soulever quelques problèmes concernant les rapports entre enseignement et érudition. Nos
exemples seront choisis parmi les textes mathématiques.1
Les tablettes scolaires proviennent de presque tous les grands sites du Proche Orient ancien,
avec une forte concentration à Nippur en Mésopotamie centrale. Elles témoignent d’un
enseignement qui, à l’époque paléo-babylonienne, est uniformisé sur une vaste aire
géographique. Cet enseignement était centré sur l’apprentissage de l’écriture cunéiforme, du
sumérien (langue savante, qui n’est plus parlée en Mésopotamie depuis la fin du troisième
millénaire) et des mathématiques. L’analyse des tablettes scolaires, de leur contenu, de leur
aspect physique a permis aux historiens de reconstituer le cursus de formation des scribes
avec une grande précision, notamment pour les écoles les mieux documentées comme celle
de Nippur. On sait en particulier que l’enseignement commençait par un premier stade, dit
« élémentaire », au cours duquel les futurs scribes mémorisaient de gigantesques listes de
signes cunéiformes, de vocabulaire sumérien, de phrases stéréotypées (proverbes et modèles
de contrats) et de tables mathématiques. Ces dernières étaient plus précisément composées de
listes de mesures de capacité, poids, surface et longueur, toujours dans le même ordre, de
listes de conversions, puis de tables numériques (inverses, multiplications, carrés, racines
carrées, racines cubiques). Quelques sources littéraires témoignent également de cet
enseignement élémentaire. On a retrouvé à Nippur et dans d’autres sites des textes qui se
présentent comme des récits d’écoliers, que les maîtres utilisaient comme des sortes de
manuels pour l’étude de la langue sumérienne.Le texte suivant, dit « composition Edubba »
1Le corpus des textes mathématiques mésopotamiens date pour l’essentiel de la période paléo-babylonienne, et
comprend de nombreux genres de textes : parmi les plus important, citons le calcul en numération sexagésimale
positionnelle, incluant des algorithmes élaborés pour les calculs d’inverses et de racines carrées ou cubiques ; des
problèmes de degré deux, trois ou plus, concernant toutes sortes de sujets, aussi bien géométriques que pratiques
(ou plus exactement faussement pratiques). Un petit corpus de textes mathématiques plus anciens, portant
principalement sur des problèmes de surface, est également attesté. Les époques plus récentes ont également
livré un petit lot de tablettes mathématiques savantes, associées aux tablettes astronomiques.