Ascendance maternelle de Han Suyin (Rosalie Tchau) et de Yvonne Paquet
Note préliminaire :
La plupart des informations figurant dans ce document proviennent des œuvres
autobiographiques de Han Suyin (bibliographie en dernière page). Parmi les autres sources,
il faut citer des documents recueillis via internet ainsi que des données provenant des
archives généalogiques familiales. Il ne s’agit pas en l’occurrence d’une biographie détaillée
de l’écrivaine, mais d’un relevé aussi complet et objectif que possible des éléments
constitutifs de sa personnalité. De nombreuses photos de l’intéressée sont accessibles via
Google Image en indiquant comme recherche « Han Suyin ».
(Michel juin 2009)
Marguerite Denis (1885-1965) et sa fille
Rosalie Tchau, alias Han Suyin (1917)
Pour comprendre la personnalité de la fille, il faut d'abord analyser celle de la mère, cela va de
soi. Dans le cas de Marguerite Denis et de sa fille, l'écrivain Han Suyin, cette recherche est
d'autant plus intéressante que l'on va basculer d'un monde à un autre: de celui de la "bonne"
bourgeoisie occidentale du 19ème siècle à celui de la Chine du vingtième et même du vingt-et-
unième siècle !
Le "scandale" Marguerite Denis
Marguerite Céline Marie Denis est donc la fille unique de Georges, troisième fils d'Eugène
Denis et de Camille De Stobbeleere (voir arbre p.1). Charles De Stobbeleere et Amélie David
sont donc ses arrière-grands-parents, tout comme pour Rachel Molet épouse d’Oscar Pâquet.
Elle est née à Ixelles, rue d'Idalie, le 27 mars 1885. Sa mère, une certaine Mathilde Rosalie
Lienders, était une tailleuse originaire de Venlo, aux Pays-Bas, tandis que le père est indiqué
dans leur acte de mariage comme étant "employé".
Le fait d'avoir épousé une "petite tailleuse" hollandaise, fut considéré dans la famille Denis
comme une mésalliance. "Nous n'étions pas riche (c'est Marguerite que fait parler Han Suyin) parce
que mon père avait désobéi à son père en épousant ma mère qui était pauvre et hollandaise; ils se
marièrent jeunes. Et au lieu de continuer à étudier pour devenir un homme riche comme mon oncle
Eugène qui habite Anvers et possède beaucoup d'argent, il a dû entrer aux chemins de fer pour gagner
sa vie et devenir fonctionnaire. Il a désobéi à son père et j'ai désobéi à mon père en épousant ton père.
C'est dans le sang, la désobéissance."34 (les notes sont regroupées à la dernière page document)
Han Suyin trace un portrait relativement flatteur de sa mère dans ses jeunes années:
"Dans la famille Denis, les femmes n'étaient ni brillantes ni maniaques, comme semblent l'avoir été les
hommes. Elles ont presque toutes sombré dans l'oubli, sauf ma mère. Violente, brillante, séduisante,
follement vivante, elle tranchait sur ce groupe incolore. L'effet qu'elle produisait devait être tout à fait
extraordinaire. Elle était surnommée la Romanesque; elle nourrissait sa vie terne de romans qu'elle
dévorait, avait pris deux fois la fuite de chez ses parents, et était fort mal jugée. Sa façon irréfléchie de
courir après mon père, son abandon de tout decorum pour l'épouser étaient la plaie ouverte dont la
famille Denis n'était pas encore guérie quand vingt-six ans plus tard moi, leur fille, arrivai en
Belgique."34
La perception qu'avait Han Suyin de sa mère va changer avec le temps. Il faut même dire que
les rapports entre mère et fille ont été franchement mauvais. Mais avant de poursuivre cette
analyse de caractère, un rappel des faits s'impose.
C'est donc à Bruxelles que grandit Marguerite Denis, fille unique du couple Denis-Lienders.
A l'issue de ses études secondaires, elle part comme "jeune fille au pair" en Irlande. Ce devait
être en 1903. Revenue à Bruxelles, en 1905, elle fait la connaissance d'un jeune Chinois,
Tchau Yentung, étudiant à l'Université de Bruxelles, un des premiers jeunes de ce pays à
bénéficier d'une bourse d'étude en Belgique. "Je crus que c'était un prince asiatique" dit
Marguerite à plusieurs reprises. Ce fut le début d'une histoire d'amour qui va finalement
dégénérer en crise puisque, contre la volonté de ses parents, elle en vient à "fuguer" avec le
jeune homme en question. Toutes ces péripéties, de même que les réactions d'horreur de la
famille Denis sont admirablement décrites dans un chapitre de L'arbre blessé, chapitre dans
lequel Han Suyin fait parler tour à tour son père puis sa mère pour "tout dire" au sujet de leur
jeunesse à Bruxelles. La suite de l'histoire c'est le mariage en catastrophe, le 1 juillet 1908, la
naissance quatre mois plus tard de "Fils de Printemps", l'aîné de la famille35, l'installation du
jeune ménage à Woluwe-Saint-Lambert dans un appartement situé avenue Albertijn,
l'obtention par Yentung de son diplôme d'ingénieur en 1910. Il travailla trois ans en Belgique
après quoi ce fut le "grand départ" pour la Chine, en 1913.
Plus de quarante années en Chine
Au cours de son existence en Chine, et cela malgré sa violente confrontation de jeunesse avec
son milieu familial, Marguerite Denis souffrira d'une nostalgie récurrente de "ce qu'elle était
autrefois". Sentiment bien naturel quand on découvre combien s'avéra difficile l'intégration
dans cet immense pays. Pour mesurer cette difficulté, il faut lire les pages de L'arbre blessé
dans lequel Han Suyin relate à de nombreuses reprises les réflexions de sa mère, du style "Les
Denis étaient des gens de la bonne société". En voici un échantillon:
Marguerite Denis: "Nous étions des gens respectables et nous avions une jolie maison dans un beau
quartier, parce que grand-père était mort et nous avait laissé de l'argent; il ne nous avait pas
déshérités comme toute la famille le prévoyait. Alors on m'a mise au couvent des Dames du Sacré-
Cœur où seules sont admises les filles de la noblesse et de la haute bourgeoisie. Elles m'acceptèrent
bien que maman fut roturière."36
A propos de la famille Denis elle dit: "Les Denis vivaient et certainement mouraient, dans un
délectable état de guerre, qui s'affichait ouvertement, se poursuivait par lettres durant des dizaines
d'années, et ne cessait pas avec la mort. Ils étaient experts en gestes tranchants de congédiement, en
claquements de portes, moues de dédain, sorties subites. Ils rivalisaient en épithètes lancées à la
figure, en sobriquets adhésifs. Cette croisade perpétuelle menée les uns contre les autres était leur
meilleur régime, déshériter les gens leur passe-temps favori."37
"De 1913 à 1948, Marguerite ne remit pas une seule fois les pieds en Belgique"38. Ce sont surtout
les circonstances historiques (les deux guerres mondiales et les conflits en Chine) qui sont à
l'origine de cette longue séparation. Car pendant toutes ces années, Marguerite va entretenir
une correspondance régulière avec sa famille en Belgique et, on vient de le voir, elle va très
souvent évoquer devant ses enfants les "splendeurs" de son passé.
A maintes reprises Marguerite va aussi se montrer déterminée à "faire ses malles" et à
retourner au pays, mais ces projets ne se concrétisèrent jamais jusqu'à la séparation définitive
de 1948. Il faut bien constater que la vie n'a pas été "un long fleuve tranquille" pour cette
mère de famille partie en Extrême-Orient avec l'idée d'entamer une grande aventure
civilisatrice. "Hélas ! Pauvre Marguerite" lui fait dire sa fille. « Non seulement, une fois en Chine, ne
fut-elle plus qu'une femme de Chinois, donc rejetée par ses propres compatriotes, mais pour nous, elle
était et demeura toujours une Européenne, la femme blanche, destinée à être toujours suivie par une
cohorte, dévisagée, insultée: 'Grand nez! Démon de l'ouest !' "39
Nombreuses ont été les humiliations subies par cette "pauvre femme" tout au long de ses
années en Chine, tant de la part de ses congénères européens outrés de la savoir mariée à un
"indigène", que de la part des Chinois tantôt curieux, tantôt surpris, tantôt choqués par son
apparence, son attitude, son langage, bref par son mode de vie si différent du leur. Voici un
exemple parmi d'autres illustrant bien les difficultés quasi quotidiennes nées du choc des
cultures:
(il s'agit ici de la relation de la première rencontre avec son beau-frère): "Il tenait son visage
respectueusement détourné de Marguerite, suivant notre habitude quand nous voulons montrer de la
considération pour une femme. Marguerite crut qu'il l'insultait. Je (c'est son mari Yentung qui parle)
lui expliquai, mais il fut difficile de la convaincre."40
Il y a encore beaucoup d'anecdotes ou de réflexions à relever dans les livres d'Han Suyin où
elle parle du vécu de sa mère en Chine, mais toutes vont dans le même sens: blocages,
difficultés de communication, maladresses, le tout n'excluant pas dans le chef de Marguerite
beaucoup de dévouement, de sacrifices, de courage et d'endurance. Marguerite ne devait plus
jamais revoir ses parents, sa mère étant morte en 1935 et son père en 1940.41 Elle ne quitta la
Chine qu'en 1948, accompagnant sa fille Tiza qui allait épouser un citoyen américain et
laissant son époux Yentung au pays. Marguerite mourut aux Etats-Unis en 1965 et elle repose
dans un cimetière de l'Arizona.42
"C'est seulement depuis qu'elle est morte que je commence à évoquer, avec une affection presque
filiale, cette femme aigrie et tragique, que je vois une tardive indulgence combler l'abîme d'aversion
qui nous séparait. Sans en être troublée, je commence à retrouver en moi beaucoup d'elle: sa
robustesse physique, son obstination… et aussi pas mal de sa stupidité." 43
Tels sont les termes utilisés par Han Suyin pour résumer ses sentiments à l'égard de sa mère.
Comment l'écrivaine en est-elle arrivée à cet état d'esprit ? La réponse à cette question est
fournie par les nombreuses anecdotes qu'elle rapporte à propos de son enfance, alors qu'elle
n'était encore que Rosalie Tchau.
Rosalie l'insoumise
Le couple Tchau-Denis était donc arrivé en Chine en février 191344. Toutefois, juste à la
veille du conflit mondial de 1914, ils avaient renvoyé leur premier né en Belgique pour qu'il y
accomplisse sa scolarité. Un deuxième garçon, Gabriel, aussi appelé Orchidée-de-Mer, naquit
en 1914 ou 15, mais il devait rapidement décéder dans des circonstances tragiques.45 Puis
vint la première fille, Rosalie, née à Sinyang le 12 septembre 1917. Au total le couple aura
huit enfants mais quatre seulement vont survivre.
Voici comment Han Suyin relate cet événement, autrement dit sa propre naissance, dans
L'Arbre blessé:
"Et puis la première fille de Papa et Maman vint au monde. C'était, m'a-t-on dit, une longue et mince
enfant qui arriva en criant de tous ses poumons et que Maman refusa de regarder. 'Enlève cette
métisse, ce n'est pas mon enfant.'
Maman refusa de regarder sa fille pendant toute une semaine et le bébé devint de plus en plus jaune.,
en partie par suite de la jaunisse habituelle des bébés, en partie parce qu'il avait faim, car la femme
du cuisinier ne lui donnait que de l'eau de riz et un peu de lait condensé dilué? Et ce bébé refusait de
mourir et hurlait sans arrêt.
'Meurs, meurs,' criait Maman qui continuait à boire et réclamait Orchidée-de-Mer.
Le huitième jour Papa souffleta Maman vigoureusement et lui mit le bébé dans les bras. 'Vas tu la
nourrir ou non ? C'est ton enfant.'
Après ces débuts pénibles, Marguerite accepta l'enfant. Han Suyin ajoute:
"Maman ne pardonna jamais vraiment à sa fille d'avoir pris la place d'Orchidée-de-Mer. Elle essaya
sincèrement de l'aimer et s'y appliqua de son mieux. Mais personne ne peut échapper au ressentiment
inconscient, inexpliqué dont seules les circonstances sont responsables."46
Que retenir des multiples souvenirs d'enfance livrés à ses lecteurs par Han Suyin ? D'abord
l'impression très nette que si une personnalité aussi "forte" s'est forgée chez Rosalie, c'est
précisément parce qu'elle a vécu et a été témoin de multiples brimades. Brimades personnelles
tout d'abord puisque les confrontations verbales entre mère et fille ont été parfois très cruelles.
" Rosalie l'insoumise" ou "Rosalie la méchante", c'est ainsi que Marguerite Denis qualifiait sa
première fille, alors que pour les sœurs qui allaient suivre les qualificatifs choisis étaient
autrement flatteurs: "L'adorable Tiza" ou "La ravissante Marianne". Pour Rosalie une
évidence s'impose peu à peu "Ma mère l'aime (sa sœur Tiza) et elle ne m'aime pas"47 Et
d'ajouter encore "Elle est toujours fâchée contre moi dit Rosalie, et je n'aime pas ce nom de
Rosalie". Brimades familiales ensuite car dès son enfance Rosalie a été consciente des
difficultés que rencontrait sa mère dans ses relations sociales avec sa belle-famille et les
Chinois en général, des camouflets infligés à de multiples reprises à son père (voir plus loin)
par le comportement de son épouse. Brimades raciales enfin car très jeune elle a mesuré la
misère du peuple chinois et les affronts infligés à la civilisation de cette partie de l'Asie par
l'impérialisme des grandes puissances de l'époque. Mais, heureusement, la personnalité
d'enfant "révoltée" ainsi peu à peu construite a été marquée aussi par une volonté de s'en sortir
par ses propres moyens - et donc d'endurer, de ne pas ménager ses efforts pour apprendre,
puis pour travailler -, par un sens aigu de la justice, par un cœur toujours prêt à s'attendrir
devant la souffrance et, par une grande intelligence la rendant capable de discerner en toutes
circonstances la conduite appropriée à adopter.
Et le père dans tout cela ? La petite Rosalie avait certes une grande estime pour cet homme
d'abord parce qu'il appartenait à une "grande famille"48. Ensuite parce que sa formation
d'ingénieur lui a permis d'emblée d'occuper des fonctions de haute responsabilité dans
l'organisation des chemins de fer en Chine. Enfin parce que, contrastant avec les sautes
d'humeur de son épouse, Yentung a fait preuve semble-t-il d'une grande patience et d'un
calme olympien. Mais là précisément se situe le défaut de la cuirasse aux yeux de l'enfant
particulièrement lucide qu'était Rosalie. Un jour, alors qu'elle avait une douzaine d'années, se
situe une petite scène sans grande importance au cours de laquelle, par peur de susciter les
remontrances de sa femme, Yentung désavoua sa fille. "Ce fut en 1929 que je le perdis en tant
que présence puissante à quoi s'attacher, en tant qu'absent de mon besoin d'aimer." écrit Han Suyin.
Plus loin elle dit encore "Peut-être parce que j'étais une fille, enfant femelle mon père m'a
abandonné à ma mère". Et aussi "Il me fallut 20 ans pour rattraper cette enfance gaspillée"49 Enfin
cette phrase terrible "Papa était mort (sens figuré) le chandelier en mains, le soir de la fabrication
du vin, Maman le jour de ma naissance."49
Biographe, historienne, romancière, essayiste… et docteur en médecine
"Elle est non seulement une Sinologue de renom, non seulement une doctoresse en médecine,
mais c'est aussi une psychanalyste distinguée et une experte de haut vol de l'âme humaine. "50
Cette phrase résume bien les multiples compétences de cette "grande dame" qu'est Han Suyin.
Une fois sortie de l'enfance, quel a été son parcours ?
Le moins que l'on puisse dire, c'est que ce fut un parcours mouvementé. Certes, comme pour
des millions d'individus de par le monde, les conflits et les bouleversements politiques du
vingtième siècle ont empêché que la vie de Rosalie ne soit un "long fleuve tranquille". Mais,
sans tenir compte des influences extérieures, il est des personnalités qui s'accommodent mal
des voies toutes tracées, d'une existence paisible, du "pour vivre heureux vivons cachés". Ce
fut le cas pour la femme dont il est ici question: ambitieuse (dans le bon sens du terme),
entreprenante, volontaire, clairvoyante, non conformiste, engagée dans l'action, capable
d'endurer, dotée d'un tempérament d'avant-garde… tels sont les traits de caractère qui
émergent à la lecture des écrits autobiographiques qu'elle a publiés.
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