ISLAM - Les mathématiques et les autres sciences
4. L’astronomie
Les auteurs musulmans, qui rangent l’astronomie parmi les sciences mathématiques, l’appellent
« science de l’aspect de l’univers » (‘ilm al-hay’a ) ou « science des sphères célestes » (‘ilm al-aflak ).
Pour eux comme pour les Grecs, cette discipline a comme unique objet d’étudier les mouvements
apparents des astres et d’en donner une représentation géométrique. Elle comprend ce que nous appelons
l’astronomie sphérique – avec le calcul des orbites planétaires, et ses applications à la construction des
éphémérides et la théorie des instruments ; tandis que l’étude des météores, des comètes, des étoiles
filantes, ainsi que de ce qui relève pour nous de l’astrophysique et de la mécanique céleste élémentaire
(origine des mouvements célestes, nature des sphères, lumière des astres, etc.), est rattachée à la
physique et à la métaphysique.
Une section spéciale appelée « science des moments déterminés » (‘ilm al-miqat ) se préoccupe de
calculer les heures du jour et de la nuit et, par là, de situer les cinq prières canoniques. Ainsi,
l’astronomie fut d’abord au service des prescriptions religieuses. Il convient cependant de se demander
quand et comment elle devint une science chez les Arabes. Dans ses Tabaqat al-umam , Ibn Sa‘id
rapporte que « le calife al-Mansur reçut en audience un homme originaire de l’Inde qui connaissait à
fond le calcul appelé sindhind relatif aux mouvements des étoiles ». C’était en 771 à Bagdad. Ibrahim
ben Habib al-Fazari trouva dans le Traité du sindhind , dont le titre indien original est Siddhanta , des
éléments et des méthodes de calcul pour ses tables astronomiques (zidj , pl. azvadj ) adaptés à l’année
lunaire musulmane. À peu près vers la même époque, Ya‘qub ben Tariq composa un livre similaire en
utilisant ce Siddhanta indien et d’autres fonds de même origine, tandis qu’Abu ’l-Hasan al-Ahwazi fit
connaître aux Arabes les mouvements planétaires d’après le traité AlArgiabhad . Ces ouvrages indiens,
surtout le Sindhind , furent souvent imités dans le monde musulman jusqu’à la première moitié du
XIe siècle.
À la fin du VIIIe siècle fut traduit en arabe l’ouvrage pahlavi La Table astronomique du roi (Zidj
al-shah ), qui avait été rédigé dans les dernières années des Sassanides ; Masha’ Allah (Messhala),
astrologue et astronome du début du IXe siècle, se servit de cette traduction pour ses calculs ; vers la
même époque, Muhammad ben Musa al-Khwarizmi en dégagea les équations des mouvements
planétaires ; Abu Ma‘shar (Albumasar, m. en 886) s’en inspira pour ses tables astronomiques. Par la
suite, son influence se fit de moins en moins sentir en Orient. En Espagne par contre, il resta en usage
jusqu’au milieu du XIe siècle.
Mais, bien que redécouvertes postérieurement à ces ouvrages, les sources les plus importantes en
matière d’astronomie furent les traités classiques des Grecs. À la fin du VIIIe siècle et au commencement
du IXe siècle, le Barmécide Yahya ben Khalid, grand mécène et protecteur des savants et des lettrés, fit
traduire pour la première fois en arabe le Megalc Suntaxiv majcmatikc de Ptolémée, qui, sous le nom
contracté et arabisé d’Al-Midjisti (Almageste ), connut un énorme succès dans le Moyen Âge oriental. À
la suite surtout de deux nouvelles versions, plus exactes (en particulier celle de Hunayn ben Ishaq,
révisée par Thabit ben Qurra), son influence supplanta celle des ouvrages de source indienne ou persane.
D’autres écrits de Ptolémée vinrent enrichir ce patrimoine – la Géographie , les Tabulae manuales , les
Apparitiones stellarum fixarum , les Hypotheses planetarum et le Planispherium , ainsi que ceux
d’autres auteurs grecs : les Tabulae manuales de Théon d’Alexandrie, le livre dAristarque sur les
grandeurs et les distances du Soleil et de la Lune, l’Isagoge de Geminus, deux opuscules d’Autolycus,
trois de Théodosius, le petit travail de Hypsicles sur les ascensions, enfin les tables astronomiques
d’Ammonius.
À leur tour les astronomes arabes composèrent des traités similaires : introductions générales
élémentaires comme les compendia de Thabit ben Qurra ou d’al-Farghani (Alfraganus, m. en 861),
traités systématiques correspondant à l’Almageste , ouvrages d’astronomie sphérique à l’usage des
calculateurs et des observateurs, travaux plus spécialisés enfin (catalogues d’étoiles, manuels ayant trait
aux instruments, etc.).
La science astronomique des musulmans se caractérise, d’une manière générale, par son adhésion au
système géocentrique. Elle y fut portée tout d’abord par l’autorité dont jouissait Aristote « le
Philosophe », puis par celle de Ptolémée lui-même et enfin, de façon paradoxale, par les exigences de
l’astrologie qui, admise quasi unanimement alors comme une science véritable, se fondait sur un
géocentrisme rigoureux. D’ailleurs, l’héliocentrisme n’était pas démontrable avec certitude et, comme le
télescope n’existait pas à l’époque, cette théorie ne pouvait être d’aucune utilité pour l’astronomie
pratique. Connaissant les mêmes corps célestes que les Grecs, les Arabes ne pouvaient se représenter
autrement que ceux-ci les mouvements astraux et les expliquaient par les excentriques et les épicycles.
Seuls des auteurs qui furent plus philosophes qu’astronomes, comme Ibn Tufayl ou al-Bitrudji
(Alpetragius ou Alpetrage), essayèrent de faire appel à une théorie spéciale dont on ne peut dire qu’elle
fut héliocentrique ni qu’elle remit en cause le mouvement strictement circulaire des corps célestes.
Quelques détails doivent être connus concernant l’astronomie arabe classique. Les sphères – ce que
l’Occident médiéval appelait les cieux – étaient pour Aristote et Ptolémée au nombre de huit (sept pour
les planètes et un pour les étoiles fixes) ; ce nombre sera conservé par les premiers astronomes arabes,
tels al-Farghani et al-Battani. Certains auraient voulu les ramener à sept pour se conformer au Coran (II,
27), mais cela ne fut jamais accepté par les astronomes. D’autre part, quand Ibn al-Haytham, au
XIe siècle, fit admettre dans l’enseignement la doctrine des sphères solides d’Aristote, il fallut y ajouter
une neuvième sphère sans étoiles, qui communiquait le mouvement diurne aux autres sphères et qui,
acceptée ensuite par tous les astronomes, fut appelée « la sphère universelle », « la plus grande sphère »,
« la sphère des sphères », « la sphère unie » (al-falak al-atlas ). En général, les falasifa , tels Avicenne et
Ibn Tufayl, acceptèrent ces neufs sphères, mais Averroès (Ibn Rushd) en resta au nombre de huit.
L’obliquité de l’écliptique par rapport à l’équateur, un des fondements du calcul astronomique, ne
manqua pas de poser un problème aux astronomes musulmans. Les Grecs, qui depuis Ératosthène (230
av. J.-C.) l’avaient calculée, avaient trouvé 230 51H 20J et considéraient ce chiffre comme invariable.
Les Arabes furent étonnés de trouver une valeur plus faible (al-Battani, par exemple, arriva à 230 35H) et
en vinrent à se demander s’il n’y avait pas eu diminution de l’obliquité, ou bien si les observations des
Anciens n’étaient pas erronées. Al-Battani adopta la seconde hypothèse, tandis que d’autres, s’appuyant
en outre sur la précession des équinoxes, imaginèrent la théorie, en fait inadéquate, de la « trépidation »
(ou « libration ») des fixes (harakat al-iqbal wal-idbar ), admise par Ibn Qurra et, sous une
forme un peu différente, par al-Zarqali. Mais les observations réitérées persuadèrent les astronomes qu’il
y avait effectivement une très légère diminution, ce qui fut reconnu universellement au XIIIe siècle.
Était-elle continue ou périodique, et dans quelles limites ? Les savants musulmans ne purent le
déterminer. En revanche, les astronomes de Ma’mun eurent le mérite de reconnaître que l’apogée solaire
est lié au mouvement des étoiles fixes et à celui des apogées des planètes, c’est-à-dire au déplacement
des longitudes dû à la précession des équinoxes.
La théorie générale de Ptolémée ne rencontra d’opposition qu’en Espagne, où Ibn Badjdja
(Avempace), Ibn Tufayl et Ibn Rushd rejetèrent, au nom d’Aristote, cette
représentation des mouvements célestes. Alpetrage (m. en 1204) alla jusqu’à nier tout mouvement
céleste d’occident en orient. Mais ces positions des philosophes espagnols ne trouvèrent aucun crédit
auprès des astronomes.
Comme Ptolémée, les premiers astronomes musulmans s’abstinrent de définir la nature des sphères
célestes ; ce problème ressortit d’ailleurs à la physique et à la métaphysique et non à l’astronomie, qui ne
s’intéresse alors qu’à l’aspect mathématique des sphères. Une fois admise la thèse aristotélicienne des
sphères solides, les auteurs musulmans en vinrent à considérer celles-ci et les corps célestes comme
constitués par une substance unique, un cinquième élément différent des quatre éléments sublunaires. La
solidité des sphères assure la fixité des étoiles, qu’elles entraînent dans leur rotation. Cependant, si l’on
s’en tient à ces travaux d’observation, importants certes, aux multiples tables d’observation comme
celles d’Ibn Yunis, on ne peut comprendre que partiellement le mouvement de recherches astronomiques
qui fut si intense chez les savants arabes. Les astronomes-mathématiciens, comme al-Biruni, Nasir
al-Din al-Tusi, Qutb al-Din al-Shirazi et beaucoup d’autres, ont, par des amendements successifs du
système ptoléméen, préparé l’avènement de Copernic. Ce mouvement atteint son apogée avec
l’astronome du XVe siècle Ibn al-Shatir, dont la théorie du mouvement des planètes, encore que
géocentrique, n’est pas pour autant ptoléméenne : Ibn al-Shatir considère, en effet, le mouvement
longitudinal des planètes comme composé de mouvements circulaires uniformes et en donne de
nombreux modèles qui s’avèrent identiques à ceux que Copernic utilisera plus tar
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