Conjonctures No 13
prédicateurs, de nos météorologues de l'horizon
politique, de nos savants même les plus
respectables. La soviétologie, pour ne parler que
d'elle, devra vrai- semblablement s'interroger, en
toute rigueur épis- témologique, sur son incapacité
avérée d'avoir vu venir les choses. La vengeance de
la réalité sur ceux qui l'observent a toujours quelque
chose de ras- surant, cependant. Rassurant, car une
fois leurs incapacités révélées, les experts doivent
procéder à un aggiornamento de leurs
connaissances, où, mo- mentanément peut-être, le
doute est réinstauré comme une dimension même du
savoir.
Mais revenons à vous. Dans la représentation
occidentale courante du monde, l'Est était le lieu de
l'immobilité. On y étouffait dans l'omniprésence
plus ou moins tyrannique de l'Etat-parti tandis que
nous étions pris dans l'incessant tourbillon du
change- ment, avec ses innovations, ses
concurrences, ses dislocations, ses relocations et son
atomisation. Chez vous la pesanteur, chez nous la
légèreté. Pour l'Ouest tout était simple, au-delà du
rideau de fer, vos pays et vos peuples assez
indifférenciés, vivaient dans l'ennui et la terreur.
Aujourd'hui, coup de théâtre. Une fois la
surprise passée de vous voir secouer l'immobilisme
de vos appareils et faire voler en éclats l'image figée
que nous avions de vos sociétés, nos médias si
puissants à forger nos esprits et nos corps, donnent
dans le triomphalisme. « Ils ont enfin compris ! »
dit-on à la radio, à la télévision, et entre les titres de
nos journaux. Sourires satisfaits des
commentateurs bien coiffés, effets de plumes. Et la