La naissance du sujet de la connaissance
Contempler et connaître
Ce qui est en jeu dans les sciences nouvelles n'est pas un simple progrès de la
connaissance. C'est le rapport même de l'homme à l'univers qui est bouleversé. L'homme
était sujet (dans le sens où l'on est le sujet d'un roi) de l'univers, le voici maintenant sujet (au
sens d'être acteur de) de la connaissance. L'univers était à contempler comme image de la
bonté de Dieu, il n'est plus qu'objet de connaissance, avant de devenir objet d'une
exploitation possible. Descartes l’annonce, l’homme de la modernité s’apprête à se
comporter « comme maître et possesseur de la nature »
Recevoir la révélation/Construire le savoir
Tout savoir venait de Dieu et des écritures... L’Eglise avait trouvé dans la physique d’Aristote
un système de représentation cosmologique convenant à merveille au schéma de l’ontologie
judéo-chrétienne : Dieu au-dessus de nous, accomplissement de l’être, perfection des
perfections, et l’enfer sous nos pieds, lieu du non-être et de la damnation éternelle.
Seulement, ses clercs s’étaient trop peu souciés de ne pas confondre la métaphore et ce
qu’elle se proposait d’illustrer... Si bien qu’on en était venu, comme les moines et l’inquisiteur
de la Vie de Galilée à considérer que la Bible était elle-même aristotélicienne...
Mais il ne faudrait pas réduire l’opposition du Saint-Office à la nouvelle science à ce point de
vue naïf (ce qui est parfois, nous devons bien le reconnaître, la manière brechtienne
d’aborder le problème). Nous pourrions même montrer qu’il n’y a pas d’opposition entre la
cosmologie copernicienne et la Bible, si tant est que celle-ci aborde la question de la
représentation du monde,
mais que l’opposition n’est pas d’ordre cosmologique. Elle porte
sur la prétention humaniste
de poser l’homme comme sujet de la connaissance.
Saint Thomas au moyen âge avait réalisé la synthèse entre la représentation aristotélicienne
du monde et le christianisme, dans laquelle l’acte de connaître n’était permis qu’à la
condition de servir la foi, de préparer notre âme à glorifier Dieu dans ses œuvres et de
donner au travail humain le sens d’un prolongement de l’œuvre du Créateur.
La science moderne va justement couper ce cordon : elle a l’audace d’affirmer que la raison
humaine peut d’elle-même, et sans le secours de la foi, construire une connaissance qui ne
soit ni un blasphème, ni un éphémère château de sable... Descartes s’emploiera, dans le
Discours de la Méthode et dans les Méditations métaphysiques à montrer que la conscience
est la seule certitude à laquelle l’homme peut accéder par ses seuls moyens, et qu’il est
« une chose qui pense », que la pensée est la part de lui-même qui qualifie son humanité
.
Grâce, foi et raison
Pour comprendre l’opposition développée par l’Eglise aux thèses de la science moderne, on
peut aussi poser le problème en termes d’origine : dans la conception médiévale, Dieu est à
l’origine de la foi, et subsidiairement, du savoir. Il accorde Sa Grâce aux hommes de croire
et de comprendre. Affirmer que la raison peut d’elle-même bâtir un savoir, affirmer, comme
dans les preuves de l’existence de Dieu, de Descartes, que la foi est elle-même accessible
par la raison, n’est-ce pas nier la Grâce et constituer l’homme comme origine, usurpant du
même coup la place de Dieu ?
Si l’on excepte la référence biblique citée par les moines : cf. plus bas notes n°11 & 13
Humanisme : à rapporter à la conception développée par Protagoras, philosophe sophiste : l’homme est la
mesure de toute chose
Descartes, Méditations métaphysiques : "Il faut […]tenir pour constant, que cette proposition, Je suis,
j'existe est nécessairement vraie, toutes les fois que je la prononce, ou que je la conçois en mon esprit.
"[…]"Mais qu'est-ce donc que je suis ? Une chose qui pense : qu'est-ce qu'une chose qui pense ? c'est à dire
une chose qui doute, qui conçoit, qui affirme, qui nie, qui veut, qui ne veut pas, qui imagine aussi, et qui sent.
(on remarquera dans l'ordre de cette présentation des facultés de l'âme le primat qui est accordé à
l'entendement sur la sensibilité)