Avertissement en guise d’introduction
Quand on approche de la Guyane, « le temps ramollit les chairs et les esprits,
l’humidité endort les volontés. Les gens viennent quelquefois prendre du bon temps, parfois
se disent « je vais tout faire », mais le plus souvent ils échouent ». Pareil avertissement, en
forme d’accueil, d’un chef d’entreprise guyanais avait de quoi inquiéter les missionnaires à
qui l’on avait confié la réalisation, en peu de temps, d’un travail nécessairement plus
impressionniste que scientifique, ayant pour seule ambition de nourrir les discussions d’une
session « Guyane » de l’Institut National du Travail, de l’Emploi et de la Formation
Professionnelle
.
Pour ces missionnaires blancs venus d’Europe
, la Guyane était encore et toujours
synonyme de bagnes et de bannissement, mais aussi tout de même d’activité spatiale, de forêt
équatoriale et d’enjeux en matière d’environnement. Ils avaient précipitamment relu Albert
Londres
qui dans une description globalement peu engageante du pays en 1923, avait écrit à
propos du bagne, qu’on avait mis « l’enfer au paradis »… on aurait pu alors s’interroger sur la
logique qui voudrait que le paradis soit « le meilleur site du monde pour faire décoller les
fusées ». On ne le fit pas. On préféra questionner, écouter … une cinquantaine de personnes
,
responsables d’organisations patronales et syndicales, représentants de l’Etat et de ses figures
que sont l’Administration et la Justice ainsi que quelques membres - non mandatés ! - de la
société civile, ceci dans le cadre d’entretiens, chacun de plusieurs heures
.
Même si ce rapport tente d’organiser les informations recueillies en les complétant ou
les confrontant ponctuellement avec des sources administratives ou des travaux scientifiques,
il demeure avant tout un état des lieux très partiel des représentations des uns et des autres,
des uns sur les autres. Le lecteur doit à tout moment avoir en mémoire les limites de la
méthode ; celle-ci permet d’obtenir un tableau général sans toutefois éviter des points de vues
caricaturaux ou marginaux, émis quelquefois dans un souci de sensibilisation, parfois de
provocation… On entendit donc beaucoup parler sur le ton d’une vraie inquiétude,
singulièrement de toutes sortes de « bombes à retardement » que seraient, pour le proche
avenir de la Guyane, la question foncière, la démographie, la formation, le risque de
communautarisme… Dos tourné à la mer comme Cayenne, sans trop s’aventurer en forêt,
comme les Guyanais, on comprit au moins que ce pays était parmi les D.O.M. et les T.O.M.,
le seul qui ne fut pas une île mais une pointe fragile d’Europe plantée dans le continent sud-
américain (I), que cet espace naguère quasiment vide attirait aujourd’hui toutes sortes de
populations au point de le faire apparaître comme un archipel social à l’identité en
construction (II).
Cf. Lettre de mission du Directeur des actions extérieures de l’INTEFP en date du 29 juillet 2002.
Le travail d’entretien et de documentation a été réalisé par Philippe Auvergnon, Directeur de recherche CNRS,
Université Montesquieu-Bordeaux IV et Patrick Le Moal, Inspecteur du travail DDTEFP de Seine-Maritime ; la
rédaction initiale du rapport par Philippe Auvergnon a bénéficié du travail de relecture et des observations de
Pierre Garcia, Directeur des affaires extérieures de l’INTEFP, Patrick Le Moal, Serge Patient, Ecrivain, Felix
Tiouka, Elu de la commune d’Awala et d’Alex Weimer, Directeur du Crédit Mutuel de Guyane. Que chacun soit
ici très vivement remercié.
Londres A., Au bagne, Ed. Le serpent à plumes 2002 (première publication in « Le Petit Parisien » 1923).
Afin que ce rapport suscite des critiques de fond et des discussions fructueuses, il ne comporte aucune
référence aux entretiens, sources des perceptions et analyses dont il est fait état. Un document mentionnant
l’ensemble de ces références a été remis à la direction des actions extérieures de l’INTEFP.
On trouvera en annexe la liste des quarante cinq personnes officiellement rencontrées que nous tenons, comme
les autres, à vivement remercier pour la qualité de leur accueil.