Sensibilité et nature humaine chez Locke et Rousseau
Journée d’étude organisée par Jean-Luc Guichet et Thierry Ménissier
CNRS-CHPM
Villejuif (13 rue Guy Môquet, m° P.-V. Couturier), vendredi 21 octobre 2005, de 10 h à 17 h
Contacts : jeanluc.guichet@free.fr ; thierry.menissier@wanadoo.fr
L’influence générale de Locke sur les Lumières est bien connue. Elle se situe au niveau de ses
fondations mêmes et apparaît comme une pièce d’articulation majeure entre les XVIIe et
XVIIIe siècles. Rousseau comme tous ses contemporains a subi cette influence : Locke est
inscrit dans le programme de lecture « plume à la main », véritable programme de formation
personnelle, auquel il s’astreint au temps des Charmettes. Cependant, même s’il partage
l’admiration commune pour « le sage Locke », Rousseau est, une fois encore, plus critique
que tout autre. Il voit dans cette philosophie à la mode une source aussi d’erreur et pas
seulement de vérité. Mais, de ce fait même, en se démarquant régulièrement de Locke,
l’œuvre de Rousseau atteste un constant compagnonnage qui peut s’observer jusqu’à travers
maints détails, dans les cadres aussi bien de la théorie de la connaissance, de la philosophie
politique et juridique, de la morale, de l’éducation. Peut-être est-ce d’ailleurs cette grande
diffraction de l’influence lockienne qui a favorisé jusqu’à présent des études très circonscrites
des relations entre les deux auteurs au détriment d’approches plus synthétiques. Loin des
rapports d’opposition ou d’adhésion, facilement passionnels, fonctionnant par grands pans
repérables et permettant plus aisément de situer Rousseau par rapport à d’autres auteurs, la
pensée du Genevois entrelace avec celle de l’Anglais un dialogue finalement étonnamment
raisonnable et nuancé. Il ne peut s’agir bien entendu de poursuivre ce dialogue dans toutes ses
ramifications, mais de centrer l’étude sur la manière dont se nouent chez ces deux auteurs
trois problèmes fondamentaux pour chacun d’eux : ceux constitués par l’anthropologie, la
sensibilité et la pratique. Ces trois perspectives se conjuguent aussi bien dans leur philosophie
politique, dans leur pensée morale, que dans leur approche générale de l’homme. Peut-être
ainsi Locke et Rousseau se révéleront-ils moins comme des adversaires que comme des
partenaires dans l’émergence de notre modernité, à moins que leur opposition n’apparaisse
précisément comme inscrite au cœur même de notre modernité.
Matinée
10h00
- BLAISE BACHOFEN (Université de Cergy-Pontoise) :
« Le sens du travail dans l’apprentissage de la civilité chez Locke et chez Rousseau. »
Les hommes ont-ils « naturellement » le sens du travail et quelle destination assigne-t-on à
l’humanité en faisant du travail son activité la plus propre ? Les réponses à ces questions
ne sont univoques ni chez Locke ni chez Rousseau. Si Locke lie plus clairement nature
humaine et travail, il distingue néanmoins peuples travailleurs et peuples qui laissent la
nature inculte, faisant ainsi de la nécessité de travailler une injonction normative plutôt
qu’un besoin véritablement « naturel » et universel. Quant à Rousseau, s’il accorde au
travail une importance primordiale dans l’éducation d’Emile, il refuse d’en faire une
valeur fondatrice de la condition humaine. L’enjeu ultime des décisions anthropologiques
à l’égard du travail est politique, mais aussi pédagogique : dans quel ordre social et moral