Chantier 8 : Monnaie Sociale

Alliance pour un monde responsable, pluriel et solidaire - Pole de Socio-Economie Solidaire
Assemblée finale – Findhorn, Ecosse - 9 au 16 juin 2001
Document de travail – Merci de ne pas diffuser.
8/1
Chantier 8 : Monnaie Sociale
Projet de synthèse
Il existe aujourd'hui de multiples expériences de monnaies complémentaires dans lesquelles,
pour faire face à la rareté ou à l'absence d'argent, se sont élaborés différents instruments
d'échange. Ce chantier est dédié tout particulièrement à l'étude des formes qui permettent le
contrôle social et visent à mettre en évidence les possibilités d'une "autre forme économique",
dans un premier temps complémentaire à l'économie formelle, mais capable de renforcer à
terme le secteur de l'économie dite solidaire et de proposer la construction d'un nouveau
paradigme d'organisation sociale.
Constats
1. Le thème des monnaies complémentaires est pratiquement absent des discussions relatives
aux modèles alternatifs, aussi bien dans le domaine de l'économie que de l'organisation
sociale et politique. Fréquemment des doutes (fondés) sont émis concernant l'avenir à
moyen terme de ces initiatives: changer un peu pour que personne ne change? Ou avancer
dans la construction d'un nouveau contrat social?
2. D'autre part, il est amplement reconnu que l'une des expressions les plus manifestes de la
crise sociale sur le plan économique se présente sous la forme d'une déviation vers les
circuits financiers d'importantes masses d'argent, qui sortent ainsi et de manière définitive
du circuit de la production. Le circuit financier possède, en effet, sur ce dernier des
avantages certains en termes de "reproduction" de l’argent. Tous les obstacles aux
réponses possibles à la crise incluent ou se heurtent à la rareté de l'argent: que ce soit la
dette extérieure ou la restructuration du marché du travail, le déclin de la consommation
interne qui se constitue en source de violence et d'inégalité ou la destruction de
l'environnement causée par l'impossibilité de discipliner la conduite des producteurs et des
consommateurs.
3. Déjà dans les années '30, suite à la crise, des expériences similaires avaient surgi à
différents endroits, mais c'est surtout au cours des 20 dernières années que se sont
multipliées les expériences d'échange. Parmi celles-ci, l'on peut trouver les LETS, créés au
Canada par Michael Linton à partir de 1982, la monnaie sociale de Ithaca, dans l'état de
New York, conçue et diffusée par Paul Glover dans plusieurs centaines de localités aux
Etats-Unis. En Argentine, le premier Club de troc (qui plus tard se transformera en Réseau
Global de Troc - Red Global de Tueque) fut créé en 1995 par un groupe de 23 personnes; 6
ans plus tard, il comprenait 500.000 membres dispersés dans presque toutes les provinces
du pays. Ce modèle, qui possède une puissante capacité de reproduction, se caractérise par
un solide composant décentralisateur (principe d'autonomie des clubs ou nodos) et
l'utilisation d'une "monnaie sociale" propre. Cela signifie que le "troc" a évolué de sa forme
primitive vers une modalité d'échanges multiples, qui se réalisent par l'intermédiaire d'un
support matériel, édité, distribué et contrôlé par les usagers eux-mêmes. A l'heure actuelle
cette modalité a été reproduite dans 11 pays d'Amérique Latine et a inspiré de nombreuses
initiatives sous d'autres latitudes, telles que l'Espagne, le Japon et la Thaïlande. Bien qu'il
soit difficile de donner des chiffres précis, on estime à plusieurs millions les personnes qui

Alliance pour un monde responsable, pluriel et solidaire - Pole de Socio-Economie Solidaire
Assemblée finale – Findhorn, Ecosse - 9 au 16 juin 2001
Document de travail – Merci de ne pas diffuser.
8/2
connaissent et pratiquent actuellement les différents types d'expériences d'échange
compensé, avec ou sans monnaie sociale, ou encore avec des systèmes mixtes.
4. S'il est possible de neutraliser la rareté de l'argent, il convient dès lors de se demander:
Jusqu'où peuvent évoluer ces systèmes? Sont-ils une simple adaptation à la crise? Ou
contiennent-il le germe d'une transformation sociale plus profonde? Comment mettre en
commun les avantages et les limites de chacune de ces initiatives? Au-delà de ce qui existe
déjà, serait-il possible d'élaborer de nouvelles propositions? Comment?
5. Ce qui suit est le résultat d'un travail d'échanges et de synthèse, riche et fécond, réalisé au
cours de ces derniers mois entre 70 participants de pays de différentes régions, ainsi que les
propositions élaborées lors de la Rencontre de Santiago.
6. L'exposé central du texte de lancement contenait un rappel relatif à la responsabilité des
différents acteurs sociaux sur ce terrain aussi innovateur que polémique. En effet, les
expériences très variées ––aussi bien passées que présentes ––n'ont pas été suffisamment
étudiées ni ne possèdent un développement suffisant pour être évaluées en tant
qu'alternative au modèle dominant. Le texte recommande ainsi la révision nécessaire du
point de départ épistémologique des différentes expériences, véritable "croisée des
chemins" pour une nouvelle allocation des responsabilités. Quelle est la place occupée
par les catégories théoriques que nous utilisons, au moment de construire de nouveaux
consensus pour l'action? Limitent-elles ou facilitent-elles cette construction?
7. Les contributions des différents textes de référence montrent, d'une part, que différents
instruments paramonétaires, complémentaires à la monnaie nationale, ont été utilisés au
cours des dernières décennies, trouvant leur place dans la "légalité, sans conformer pour
autant une forme de dénouement de la crise économique structurelle du système capitaliste
à laquelle nous devons faire face actuellement. Le caractère innovateur que nous
observons dans plusieurs de ces expériences réussies, selon certains auteurs, serait le
produit de l'allégeance à un autre paradigme, concrètement, celui de l'abondance; c'est
cette lecture qui pourrait être faite de l'expérience argentine de monnaie sociale.
8. Au cours des discussions du forum s'est observé la participation active de la grande variété
d'expériences en cours actuellement: les personnes avec le plus d'expérience dans le
domaine ont contribué à la discussion et montré aussi l'isolement relatif dans lesquels elles
se trouvent les unes par rapport aux autres. Il y eut peu de "dialogue" entre expériences et
plus de "défense" des positions déjà établies.
9. Finalement, lors de la Rencontre thématique, ont été reconnues la nécessité et l'urgence de
rapprocher les différentes expériences entre elles, ainsi que le monde associatif
extrêmement varié de la monnaie sociale et autres constructeurs d'utopie, dispersés dans
les quatorze autres chantiers du Pole de Socio-Economie Solidaire. Cela équivaut à dire
que, non seulement a été reconnue la possibilité de se connaître mais aussi la nécessité
d'entrer en relation, s'intégrer, se compléter pour utiliser au mieux les avantages de
chacune des formes spécifiques et les adapter à chaque contexte particulier.
10. Le contact avec les participants étrangers qui eurent l'opportunité de connaître l'expérience
en Argentine, dans toute sa complexité et ses contradictions, n'a fait que confirmer la
possibilité de concevoir un processus autogéré depuis la base. Elle a aussi mis en évidence
les défauts, lesquels démontrent très clairement le besoin d'un type particulier d'adhésion à
cette initiative: la monnaie sociale n'est pas suffisante en soi pour dépasser le paradigme de
la rareté sous toutes ces formes. Il doit être accompagné des autres étapes du processus de
la production, au-delà de cette forme particulière de "commerce équitable" que représente
le remplacement de la monnaie officielle par la monnaie sociale: cela implique rendre
solidaire aussi l'étape de production et celle de la consommation. La production doit

Alliance pour un monde responsable, pluriel et solidaire - Pole de Socio-Economie Solidaire
Assemblée finale – Findhorn, Ecosse - 9 au 16 juin 2001
Document de travail – Merci de ne pas diffuser.
8/3
dépasser le déséquilibre propre à l'individualisme néolibéral et s'orienter vers des formes
de production collective, définies dans chaque cas; la consommation doit trouver une voie
éthique de manière à protéger l'environnement pour les générations présentes et futures.
11. Nous pouvons considérer que nous sommes nombreux à croire que nous nous trouvons au
seuil, à la limite d'une catastrophe constructive. En effet, de nombreuses manifestations
indiqueraient la possibilité d'associer ––pour la première fois dans l'histoire de l'humanité
–– la technologie disponible pour la production d'aliments et de connaissances, au monde
digital et à nos ressources matérielles finies. Et ce, de manière à parvenir à une qualité de
vie pour tous les habitants de l'ensemble de nos sociétés. Pour ce faire, il nous faut être
capables de nous écouter l'un l'autre et de nous laisser imprégner par les idées qui se sont
incarnées en pratiques sociales aux quatre coins de notre planète bleue!
Propositions
Celles-ci ont été divisées en deux grands groupes d'importance similaire: celles
destinées à diffuser et à approfondir les activités en cours (propositions 1 à 8) et celles
dirigées à discuter et à mettre en marche de nouveaux projets (9-10). Dans les deux cas
il s'agit –explicitement- de ne pas tomber dans la situation délicate d'une "pensée
unique" ou de la "meilleure alternative", comme le font certaines expériences réussies,
mais à chercher l'inspiration dans les expériences locales, qui possèdent un "savoir" des
pratiques, acquis par les acteurs eux-mêmes et qui constitue la condition même de la
croissance et la durabilité de celles-ci.
1. Identifier et diffuser les différents types d'expériences d'échanges compensés vers
d'autres formes d'économie solidaire et l'ensemble de la société, comparant des
indicateurs spécifiques pour chaque cas de figure: troc, troc avec monnaie sociale,
crédits mutuels, banques de temps. Souligner les forces et les faiblesses de chaque
modèle, caractériser les différents contextes d'application.
2. Etudier en profondeur les modèles d'utilisation de monnaie sociale, de manière à
comprendre la logique de leur évolution, leurs limites et possibilités pour avancer
vers la construction d'une économie solidaire qui utilise les atouts de cet
instrument, sans tomber dans la tentation de la centralisation prématurée. Cultiver
le local global.
3. Observer en permanence la bonne marche des systèmes et construire une
communication en réseau entre les différentes expériences existantes, en particulier
en Amérique Latine, pour utiliser leurs avantages et éviter les dysfonctionnements
observés dans les premiers modèles.
4. Mettre en marche un système de formation continue au sein des systèmes locaux,
de manière à maintenir ouverte une ligne de diffusion entre les différentes
expériences, aussi bien à l'intérieur de chaque initiative que dans l'établissement de
nouvelles alliances stratégiques. Intégrer la production collective, la
commercialisation juste (avec de la monnaie sociale) et la consommation éthique
aux programmes de formation. Renouveler les formes de résolution de la tension
existant entre le "désir individuel", insatisfait par manque de consommation, et la
"pulsion" pour la construction d'un modèle social transformateur: tendre à cultiver
simultanément les capacités d'initiative, solidaire et politique.

Alliance pour un monde responsable, pluriel et solidaire - Pole de Socio-Economie Solidaire
Assemblée finale – Findhorn, Ecosse - 9 au 16 juin 2001
Document de travail – Merci de ne pas diffuser.
8/4
5. Remettre en question le travail volontaire et l'inscrire dans la nouvelle conception
d'une économie solidaire, dans laquelle la création de monnaie sociale en
suffisance serait possible. Lancer des initiatives qui tendent à trouver une solution
au phénomène chronique de la "rotation pour cause d'épuisement" du volontariat.
6. Intégrer des formes-micro d'économie solidaire à des formes-meso de réseaux
pré-existants. Identifier des expériences locales et construire des processus
graduels de mises en œuvre de solutions innovantes, de manière à les rendre
propres à chaque communauté et soutenables dans la durée.
7. Utiliser les sites web existants et les listes de courrier pour réaliser le suivi des
projets d'intérêt commun: : www.redlases.org.ar, [email protected],
http://money.socioeco.org , entre autres. Eviter la duplication et la dispersion des
moyens.
8. Définir la participation dans le processus de transmissions d'expériences en
Argentine et au Brésil: élaborer du matériel pour le Programme d'Alphabétisation
Economique, des fiches pour débutants et formateurs, des vidéos, des carnets
d'exercices, des manuels recueillant les meilleures pratiques. Nouveaux thèmes à
travailler: Le pouvoir du consommateur; Avantages d'une production collective et
soutenable; Commerce Equitable local et Sud-Sud; Capital Social: comment il se
construit dans notre communauté; Enquête-diagnostic: social, organisationnel,
financier et culturel. Fiches de socio-économie solidaire: clubs et réseaux de troc,
LETs, SELS, Banques du Temps.
9. Définir des projets d'échange académique entre universités pour installer dans
l'agenda public et celui des gouvernements les thèmes de l'économie solidaire et les
innovations en matière monétaire. Appuyer internationalement les gestions entre
gouvernements de promotion d'expériences d'économie solidaire utiles au
développement local.
10. Approfondir la proposition d'une "Multinationale Civile" – système hybride de
monnaie sociale et de monnaie officielle. Utiliser le pouvoir du consommateur et
l'argent du système pour renforcer l'économie solidaire. Créer un réseau serré de
flux internes. Créer des alliances stratégiques avec des secteurs productifs.
Construire des exemples-démonstrations ("show cases").