« Dans son acte-d’aller-à-l’intérieur-de-soi, l’Esprit est plongé dans la nuit de sa Conscience-de-soi. Mais
son existence-empirique disparue est conservée dans cette nuit. Et cette existence-empirique
supprimée-dialectiquement, [c’est-à-dire l’existence qui est déjà] passée, mais [qui est] engendrée-à-nouveau à
partir du Savoir, — est l’existence-empirique nouvelle : [c’est] un nouveau Monde [historique] et une nouvelle
forme-concrète de l’Esprit. Dans cette dernière, l’Esprit doit commencer à nouveau dans l’immédiateté de cette
forme, et il doit grandir-et-mûrir de nouveau à partir d’elle ; [il doit donc le faire] d’une manière tout aussi naïve
que si tout ce qui précède était perdu pour lui et il n’avait rien appris de l’expérience des Esprits [historiques]
antérieurs. Mais le Souvenir-intériorisant (Er-Innerung) a conservé cette existence ; et [ce Souvenir] est
l’entité-interne-ou-intime, et en fait une forme sublimée (höhere) de la substance. Si donc cet Esprit, en ne
semblant partir que de soi, commence sa formation-éducatrice (Bildung) de nouveau à partir du début, c’est en
même temps à un degré plus élevé (höhern) qu’il [la] commence. »
Il s’agit de l’aspect phénoménologique de la dialectique de l’Être et cet aspect est l’Histoire. Quant au
rythme de l’Histoire, il est bien tel que je l’ai indiqué auparavant : action prise de conscience action. Le
progrès historique, qui représente ce qui est vraiment historique ou humain dans l’Histoire, est une « médiation »
par le Savoir ou par le Souvenir compréhensif. L’Histoire est donc doublement une histoire de la Philosophie :
d’une part, elle existe par la Philosophie et pour la Philosophie ; d’autre part, il y a Histoire parce qu’il y a
Philosophie et pour qu’il y ait Philosophie, ou — finalement — Sagesse. Car c’est la Compréhension ou le
Savoir du Passé qui, étant intégré dans le Présent, transforme ce Présent en Présent historique, c’est-à-dire en un
Présent qui réalise un progrès par rapport à son Passé.
Cette dialectique de l’Action et du Savoir est essentiellement temporelle. Ou, mieux encore, elle est le
Temps, c’est-à-dire un Devenir non-identique, où il y a vraiment et réellement un progrès et donc un « avant » et
un « après ».
C’est ce que dit Hegel (p. 564, 1. 2,5)
« Le royaume-des-Esprits qui s’est formé-et-éduqué de cette façon dans l’existence-empirique, constitue
une succession (Anfeinanderfolge) où l’un [des Esprits historiques] a relayé l’autre et où chacun a reçu du
précédent l’empire du Monde. »
Or, si ce Devenir dialectique est le Temps, c’est qu’il a un commencement et une fin. Il a donc un but (Ziel)
qui ne peut plus être dépassé.
C’est de ce but que Hegel va parler maintenant (p. 564, 1. 5-12) :
Le but (Ziel) de cette succession [c’est-à-dire de l’Histoire universelle] est la révélation de la profondeur ;
et cette révélation est le Concept absolu. Cette révélation est par conséquent la suppression-dialectique de la
profondeur de l’Esprit, c’est-à-dire son expansion-ou-son-étendue (Ausdehnung) ; [en d’autres termes, cette révélation
est] la Négativité-négatrice de ce Moi-abstrait (Ich) existant-à-l’intérieur-de-lui-même ; [Négativité] qui est
l’aliénation-ou-l’extériorisation de ce Moi, c’est-à-dire sa substance. Et [cette révélation est aussi] le Temps de ce
Moi-abstrait – [le Temps qui consiste dans le fait] que cette aliénation-ou-extériorisation s’aliène-ou-s’extériorise
en elle-même et, [en existant] dans son expansion-ou-étendue, existe ainsi également dans sa profondeur,
[c’est-à-dire dans] le Moi-personnel (Selbst). »
Le but de l’Histoire, son terme final, — c’est « le Concept absolu », c’est-à-dire la « Science ». Dans cette
Science, dit Hegel, l’Homme supprime-dialectiquement son existence temporelle ou « ponctuelle », c’est-à-dire
vraiment humaine, par opposition à la Nature, et il devient lui-même Étendue (Ausdehnung) ou Espace. Car
dans la Logik, l’Homme se borne à connaître le Monde ou le Sein, et sa connaissance étant vraie, il coïncide avec
le Monde, c’est-à-dire avec le Sein, c’est-à-dire avec l’Espace éternel ou non-temporel. Mais, ajoute Hegel, dans
et par la Science l’Homme supprime également cette sienne étendue ou son Extériorisation (Entäusserung), et
reste « ponctuel » ou temporel, c’est-à-dire spécifiquement humain : il reste un Selbst, un Moi-personnel. Mais
comme Hegel le dira tout de suite, — il ne le reste que dans et par l’Er-innerung, dans et par le Souvenir
compréhensif de son passé historique, Souvenir qui forme la Ire Partie du « Système », c’est-à-dire la PhG.
En effet, voici ce que dit Hegel dans le passage final (p. 564, 1. 12-24) :
« Le but, [qui est] le Savoir absolu [ou le Sage auteur de la Science], c’est-à-dire l’Esprit qui se
sait-ou-se-connaît en tant qu’Esprit, — [le but] a pour chemin [qui mène] à lui le Souvenir-Intériorisant des
Esprits [historiques], tels qu’ils existent en eux-mêmes et accomplissent l’organisation de leur royaume. Leur
conservation dans l’aspect de leur existence-empirique libre-ou-autonome, qui apparaît-ou-se-révèle sous la
forme de la contingence, est l’Histoire [c’est-à-dire la science historique vulgaire qui se contente de raconter les
événements]. Et quant à leur conservation dans l’aspect de leur organisation comprise-conceptuellement, —
c’est la Science du Savoir apparaissant (erscheinenden) [c’est-à-dire la PhG]. Les deux [prises] ensemble
[l’histoire-chronique et la PhG, c’est-à-dire] l’Histoire comprise-conceptuellement, forment le
Souvenir-intériorisant et le calvaire de l’Esprit absolu, la Réalité-objective, la Vérité [ou Réalité-révélée] et la
Certitude [-subjective] de son trône, sans lequel il serait l’entité-solitaire privée-de-vie. [Et c’est] seulement
du calice de ce Royaume-des-Esprits