Dans ces conditions, les jeunes esprits perdent leurs aptitudes naturelles à contextualiser les savoirs, et à les
intégrer dans leurs ensembles.
Nous devons penser le problème de l'enseignement d'une part à partir de la considération des effets de plus
en plus graves de la compartimentation des savoirs et de l'incapacité de les articuler les uns aux autres,
d'autre part à partir de la considération que l'aptitude à contextualiser et à intégrer est une qualité
fondamentale de l'esprit humain qu'il s'agit de développer plutôt que d'atrophier.
Edgar Morin. La tête bien faite. Ed Seuil. P.15-16.
...Après sa mort, il me fallut du temps pour comprendre ce que j’avais perdu, pour apprécier ce que mon grand-père
m’apportait, pour mesurer à quel point je lui devais mes habitudes, mes goûts, ma manière de regarder le monde. Un aspect me
déroutait dans l’enseignement du lycée. C’était l’isolement de chaque matière. Les élèves allaient de classe en classe comme
s’ils exploraient un archipel. Comme s’ils visitaient une suite de pays dirigés chacun par un maître qui se désintéressait
totalement de ce qui se passait ailleurs. Pendant une heure, on traduisait Sénèque. L’heure suivante, on détaillait les beautés de
la machine à vapeur. Après quoi, on se penchait sur la structure physique du continent américain. A peine le déjeuner avalé, on
se précipitait sur la fonction chlorophyllienne chez les plantes vertes, avant de terminer la journée de lycée parmi les sorcières
de Machbeth. Rien ne se rattachait à rien. Pas question d’envisager la possibilité même de quelque relation entre histoire et
mathématiques, l’éventualité d’un rapport entre sciences naturelles et géographie. Si compétent que fût chaque professeur, si
intéressé à son métier, si bon enseignant fût-il, il ne lui venait jamais à l’idée de déborder ses frontières, de nous montrer que le
monde est un tout, que la vie est un ensemble. Chaque domaine demeurait un vase clos. Chaque discipline fonctionnait en
circuit fermé, en ignorant les autres. Aux élèves de se débrouiller pour construire leur petit univers et lui trouver de la
cohérence. A chacun sa synthèse s’il en éprouvait le besoin. Longtemps, mon grand-père m’avait montré les chemins
de la cohérence et de la synthèse. Avec lui, les Grecs s’intéressaient aux mathématiques et les héros de Shakespeare à la
géographie. Avec lui, j’avais appris à replacer les personnages de roman dans leur milieu historique. A rechercher les
ressemblances et les différences entre ce qu’étudiait la physique et ce à quoi s’intéressait l’histoire naturelle. Derrière la variété
des matières et la diversité de goûts se profilait une possibilité d’unité, un début de cohérence. Mon grand-père disparu, c’était
à moi de me fabriquer ma cohérence et mes synthèses... François JACOB. La statue intérieure. Édition Folio p.84/85
« Il ne saurait y avoir d'école moderne sans milieu naturel. »
Pour se préparer efficacement à la vie, les jeunes enfants ont besoin d'être dans un milieu riche et « aidant » où ils puissent se
livrer à ces expériences tâtonnées. […]
L'enfant, pas plus que l'animal sauvage, n'est fait pour vivre enfermé. Le milieu qui lui convient le mieux, c'est la
nature. C'est donc la nature que nous mettons à sa disposition. […]
A l’école maternelle
1° Il ne doit pas y avoir d'École maternelle sans milieu naturel : espace de terrain plus ou moins grand avec sable, eau, pierres,
arbres, décombres, rochers, animaux sauvages et domestiques. Ce terrain, nous l'avons dit, peut n'être pas attenant à l'École
(mais ce n'est là qu'un pis-aller). […]
Nous organiserons en même temps la lente maîtrise du milieu par le travail, qui a toujours une fin sociale.
Nous devons prévoir :
~ des cultures :
~ de l'élevage ;
~ des constructions de murs, de barrières, de cabanes et de maisons, de canaux, de moulins, etc.
[…] L'effort a un but pour ainsi dire objectif : réaliser, créer, susciter de la puissance.
Nous tiendrons le plus grand compte de cette complexité.
2° Pour les jours où il est impossible de nous rendre au milieu naturel, surtout lorsqu'il se trouve séparé de l'école, nous aurons
dans une salle un coin de nature qui en sera du moins l'image : sable, graines, plantes et fleurs en caisses et en pots, petit élevage
: poissons, insectes et, si possible, cochons d'Inde, poule, chèvre.
3° Le milieu naturel, essentiellement tonifiant, ne saurait cependant suffire pour l'éducation contemporaine. Nous y ajouterons
: les activités mécaniques, les activités intellectuelles et les activités artistiques. […]
4. Activités intellectuelles
Par le matériel nouveau et les activités multiples qu'il permet, tant au jardin que dans les locaux mêmes de l'École, l'enfant
s'initie à la maîtrise de certains outils plus ou moins mécaniques qui lui permettent de dominer peu à peu la matière pour la plier
à sa volonté et à ses besoins et accroître ainsi sa propre puissance. […]
A l’école primaire
Le recours à la nature est plus que jamais pour l'enfant une tonifiante nécessité. Si donc l'École n'est située elle-même au centre
d'une nature « aidante », si elle ne peut être toujours à proximité des bois, d'une rivière, de rochers, de terrains de culture, il est
indispensable du moins qu'elle soit entourée et doublée de ce milieu naturel que nous avons déjà recommandé aux niveaux
précédents mais qui prend ici une signification différente avec son jardin - potager et fruitier - son pré, son rucher, sa volière,
sans oublier les espaces libres pour jeux, campements, constructions, etc. […]
Mais il ne saurait y avoir d'école primaire moderne sans milieu naturel.
L'École sera un atelier de travail tout à la fois communautaire et spécialisé. Il devra donc comporter :