Bioéthique et tests génétiques. Réflexion à la lumière de la triade: dignité humaine, droit à la vie et famille Jean-Marie Mpendawatu, (/Vatican/Zaïre) Pontificium Consilium de Apostolatu pro Valetudinis Administribus S'il existe, aujourd'hui, un terrain où l'alliance entre la génétique et la médecine s'est démontrée particulièrement féconde, sans aucun doute, c'est celui des tests génétiques. C'est un domaine immense en potentialités et qui concerne toutes les phases importantes de la vie: la conception (diagnostic prénatal), la naissance, le cours de la vie de l'individu et même après la mort. Il suffit de disposer de l'ADN d'un tissu quelconque pour parvenir à identifier, grâce à des tests spécifiques, des maladies monogéniques et des maladies dues à des facteurs multiples. Si l'on tient compte que sont dénombrées aujourd'hui environ 4000 maladies génétiques, il est aisé d'imaginer l'intérêt de la mise au point de nouvelles méthodes de dépistage pour traiter, prévenir ou enrayer certaines pathologies. Au plan de l'éthique, les tests génétiques posent à l'éthique juridique un certain nombre d'interrogations qui exigent une série de réponses spécifiques, lesquelles doivent tenir compte de la dignité de la personne humaine qui doit être respectée envers et contre tout comme un être raisonnable, libre, autonome et social. Parmi les problématiques les plus courantes, il faut noter la discrimination au sein de la famille ou de la société des personnes positives aux tests, ainsi que la disparition des données conservées dans les banques et relatives aux individus. Il faut aussi prendre en considération les risques d'interruption de grossesse, ceux de la sélection eugénique à la suite du diagnostic prénatal ainsi que l'obligation d'informer l'individu sur le résultat du test, la positivité en l'occurrence. Ces problèmes sont une manifestation tangible du changement intervenu dans le concept d'individu ou de groupe "à risque", à la suite des tests ou des dépistages de masse; ils sont à l'origine de conséquences imprévisibles au plan de la santé et des institutions de santé. Cet essai se veut une réflexion à la fois philosophique, éthique et juridique en vue de comprendre, à partir de l'homme, quelles sont les exigences requises par sa dignité, par son droit fondamental à la vie et par son milieu familial. Aucun débat sérieux sur les problèmes éthiques posés par les tests génétiques ne peut faire abstraction de cette réflexion. Cet exposé repose sur trois aspects fondamentaux: la dignité humaine le droit à la vie I. la famille. LA DIGNITE HUMAINE Le siècle des Lumières a eu pour tâche et pour mérite d'envisager la dignité humaine à partir de la raison et de la liberté qui font de l'homme un être libre, autonome et en exigence d'universalité. La dignité de l'homme est le fondement de toute vie morale et concerne tous et chacun, indépendamment de son être et de son agir dans le temps(1). Au long de l'histoire, l'homme a toujours considéré son vécu comme une exigence de reconnaissance de la dignité humaine, au sens d'une réalité dynamique en développement continu et en conformité avec la raison. Or, la raison ne suffit pas pour fonder la dignité humaine, comme on le pensait au XVIII siècle; l'expérience du passé démontre que la raison n'est pas toujours en mesure de se défendre contre les intérêts humains et la volonté de puissance. Aussi le Cardinal Jean-Marie Lustiger, a-t-il raison d'affirmer: “Il faut la fonder pour qu'elle soit sauvée!”( 2 ). À ce propos, le Concile Vatican II situe le fondement de la dignité humaine dans le mystère de Dieu. La Constitution “Gaudium et Spes” déclare à ce sujet: “En réalité, le mystère de l'homme ne s'éclaire que dans le mystère du Verbe incarné (...), le Christ, dans la révélation même du mystère du Père et de son amour, manifeste pleinement l'homme à lui-même et lui découvre la sublimité de sa vocation”(3). S'il existe une vocation de l'homme, ceci signifie que l'humanitas existe, c'est-à-dire “Ce qui existe, c'est-à-dire: l'homme” et que l'on ne peut la réduire à un rôle ou à une fonction. Reconnaître ce qui vient d'être dit c'est reconnaître, comme le note Jean Ladrière, que “l'exigence constituante de l'être humain n'est véritablement constituante que comme exigence à la fois universelle et concrète”(4). Par ailleurs, il existe une relation à autrui, c'est pourquoi l'autre est reconnu comme un semblable, comme quelqu'un dont on reconnaît la dignité intrinsèque et qui me permet à moi-même de mesurer les exigences de ma propre dignité. Au plan de l'éthique tout ceci trouve sa traduction dans: - une déclaration d'égalité envers tous les hommes sans aucune exception; l'affirmation du vécu d'une relation interpersonnelle avec autrui, dans la compassion et l'amour; le refus de l'inacceptable entendu comme une intention de ne pas entériner tout ce qui s'oppose à la raison humaine. Ce qui est affirmé en matière d'éthique doit se traduire au point de vue juridique dans les droits fondamentaux de l'homme comme partie intégrante de la culture démocratique. Ces droits exigent que soit reconnu et garanti “ce que, sans quoi”, la dignité de l'homme reste un concept vide. En raison de ce qui précède, si l'on se réfère aux tests génétiques, on en déduit: le droit-devoir d'informer sur les aspects négatifs et positifs du dépistage ceux qui s'y soumettent; la participation libre et volontaire aux tests et aux techniques de dépistage; le consentement libre pour les examens diagnostiques et les traitements qui en découlent; ( 1) ( 2) ( 3) ( 4) cf. Durmontier F.-X., Penser la dignité de tout humain. Laennec, 3-4 (1993), p. 22. Lustiger J.-M., Entretien avec François Furet sur "l'Eglise, la révolution et les droits de l'homme". In: Dieu merci, les droits de l'homme. Ed. Critérion, Paris, 1990, p. 123. Concile Œcuménique Vatican II, Const. Apost. Gaudium et Spes, n. 22. In: Tutti i documenti del Concilio. Ed. Massimo, Milano 13, 1985. Ladrière J., Licité en droit positif et références légales aux valeurs. X Journées d'études, Jean Dabin, Bruyland, Bruxelles, 1988, pp. 122-123. Il est préférable: - II. que les personnes qui ne veulent pas en connaître les résultats ne se soumettent pas aux tests; que soit respectée la vie privée des individus; que les tests pour nouveau-nés ne soient justifiés que dans le cas où l'intervention est dans l'intérêt de l'enfant. Il serait préférable de renvoyer ces tests à plus tard, lorsque le sujet sera en mesure de prendre lui-même la décision. DROIT A LA VIE La dignité de l'homme n'est pas une simple déclaration métaphysique, elle trouve sa traduction dans le droit dont la responsabilité est de tracer et de rendre possible un ordre social où “subsiste l'humanité” parmi les êtres humains(5). Les démocraties modernes accordent des espaces de tolérance et de débat où, grâce à l'usage de la raison et à la reconnaissance d'autrui et de la différence, on parvient à réguler les tensions et les conflits internes. Au plan mondial, la Déclaration universelle des droits de l'homme de 1948 constitue la "grande charte" de convivialité démocratique, capable d'inspirer un mode de vivre civil, fondé sur le respect de la dignité, des droits et de la liberté de tous les citoyens. L'article 3 de la précédente Déclaration insiste: “Tout individu a droit à la vie, à la liberté et à la sûreté de sa personne”. Le droit de l'homme à la vie(6) “est le premier droit à reconnaître à l'homme car, s'il était nié, à quoi serviraient tous les autres. Il est, en effet, à la base de tous les droits de l'homme”(7), écrit Christine Boutin. La vie n'est pas pure biologie ou pure psychologie, mais aussi esprit. Si l'on veut éviter qu'elle soit manipulée à partir des intérêts et des exigences du fort et du puissant, il faut qu'elle soit toujours et partout respectée, dès sa conception jusqu'à son déclin naturel. Les sciences de la vie et de la médecine, objet d'étude de la bioéthique ne peuvent oublier que leur service à rendre à la vie n'est pas simplement une réalité biologique mais aussi un mystère où sont présentes sur un mode harmonieux, la dimension psychologique, sociale, spirituelle et autre. Si l'homme ne demeure pas au cœur des sciences de la vie et de leurs applications médicales, ces dernières seront privées de leur valeur et de leur sens et courront le risque de faire prévaloir le profit, le primat, le prestige aux dépens de la dignité, du respect et de la liberté dus à tous les êtres humains sans aucune exception. L'Eglise, “par son œuvre d'assistance et de pastorale, continue encore de nos jours, à annoncer l'Evangile de la vie, dans les diverses situations historiques et culturelles, au moyen d'une pédagogie fidèle à la vérité évangélique et attentive aux "signes des temps”(8). Par l'institution de l'Académie Pontificale pour la Vie, le 11 Février 1993, le Saint-Père Jean-Paul II a voulu doter l'Eglise d'un instrument adéquat pour “étudier, informer et donner une formation en ce qui concerne les principaux problèmes de la biomédecine et du droit, relatifs à la promotion et à la défense de la vie, surtout dans le rapport direct qu'ils entretiennent avec la morale chrétienne et les directives du Magistère de l'Eglise”(9). Traitant du diagnostic prénatal, il faut affirmer que celui-ci n'a de valeur que dans la mesure où il se propose comme objectif d'intervenir sur le fœtus ou l'embryon, au plan uniquement thérapeutique. Il n'est pas acceptable, au plan de l'éthique, s'il y a recherche de l'enfant parfait - ce que certains revendiquent comme un droit - et dans un esprit de sélection, ( 5) ( 6) ( 7) ( 8) ( 9) cf. Dumontier F.-X., op. cit., p. 23. cf. Hennaux J.-M., Le droit de l'homme à la vie. Ed. de l'Institut d'études théologiques, Bruxelles, 1993, pp. 5-199. Boutin C., La bioéthique et l'enfant. In: Dolentium hominum, 25 (1994), 110. Jean-Paul II, Motu proprio Vitae mysterium, 11 février 1994, n.2. In: Osservatore Romano, 2 mars 1994, Lettera "Motu proprio" istitutiva della Pontificia Accademia per la Vita. Ibid., n. 4. ou comme un essai de purification, que l'on voudrait légitimer pour de bonnes raisons, alors qu'en réalité on risque ainsi d'augmenter la "dérive eugénique" qui peut revêtir des aspects si variés. III. FAMILLE Dans sa récente “Lettre aux familles”, Jean-Paul II définit la famille comme la première et la plus importante voie de l'Eglise(10). Pour tous, la famille “demeure l'horizon existentiel, la communauté fondamentale dans laquelle s'enracine tout le réseau de ses relations sociales, depuis les plus immédiates, les plus proches, jusqu'aux plus lointaines”(11). Ainsi, à la suite du Christ, venu dans le monde “pour servir” (Mt 20, 28), l'Eglise considère que son service envers la famille est une de ses tâches fondamentales. “En ce sens, l'homme et la famille également constituent la route de l'Eglise”(12), écrit Jean-Paul II. La vie à l'origine se développe et s'ouvre sur la famille. De là, la grande responsabilité dans l'accueil de cette vie, dans l'aide à lui procurer afin qu'elle grandisse selon le dessein de l'Unique Créateur de la vie. Le couple parental a des responsabilités à l'égard de la transmission de la vie qui ne peuvent faire abstraction de son caractère sacré, si l'on veut en éviter la "chosification" et la manipulation(13). Dans la "Charte des droits de la famille", l'Eglise déclare: “Les époux ont le droit inaliénable de fonder une famille et de décider de l'espacement des naissances et du nombre d'enfants à mettre au monde, en considérant pleinement leurs devoirs envers eux-mêmes, envers les enfants déjà nés, la famille et la société, dans une juste hiérarchie des valeurs et en accord avec l'ordre moral objectif qui exclut le recours à la contraception, la stérilisation et l'avortement.”(14) On ne peut décider ni régler les problèmes e les questions de toutes natures qui concernent la vie sans tenir compte de la nature et de la mission de la famille puisque la famille elle-même est “une cellule de la société”, le lieu par excellence où se déroule la vie dés l'instant de sa conception jusqu'à son trépas naturel. Il faut donc impliquer la famille dans les décisions et l'élaboration des lois. De même, pour l'usage des dépistages ou des tests génétiques qui peuvent intéresser en partie ou en totalité la famille, il faut considérer avant tout, le “bien de la famille et de toutes ses composantes”. Traitant de l'individu et de la famille "à risque", nous estimons que la famille doit aborder toute une série de questions et de problèmes qu'il lui revient d'évaluer selon de justes critères qui tiennent compte de la compassion, de l'amour, de la solidarité, en union avec tous ses membres. Cependant, il faut souligner ce qui suit: a) la protection des données recueillies à la suite des tests et des dépistages génétiques, qui intéressent un groupe ou une famille, doit être réglementée de manière très précise et les banques doivent protéger ces informations; b) les membres du groupe ou de la famille qui résultent positifs aux tests ou aux dépistages génétiques ne doivent subir aucune discrimination; c) en ce qui concerne le diagnostic prénatal, les tests doivent rassurer les familles "à risque", en prospectant les naissances éventuelles et, à ce propos, nous retenons opportun de déclarer que le caractère sacré de la vie et la responsabilité morale du (10) (11) (12) (13) (14) cf. Jean-Paul II, Lettre aux familles. Librairie Editrice Vaticane, 1994, n. 2, ("la famille, route de l'Eglise"). Idem. Idem. cf. Boutin C., op. cit., p. 106. Conseil pontifical pour la famille, Evolutions démographiques et dimensions éthiques et pastorales (Instrumentum laboris). Librairie Editrice Vaticane, 1994, n. 74. couple, face à la transmission de la vie, sollicitent la famille à prendre en considération les précautions voulues pour éviter tout usage impropre des résultats des tests génétiques pour ne pas risquer de glisser vers l'avortement ou la sélection des enfants quant au sexe et à la santé; d) les tests et les dépistages génétiques ne doivent pas être imposés à des groupes ou à des familles, afin que leur consentement libre, après information complète sur le résultat du test, soit la garantie du respect de leur dignité et de leur liberté; e) puisqu'il s'agit de cas d'urgence, dans le domaine de la santé, il peut être licite de pratiquer des investigations de dépistage sur une grande échelle, pourvu que la vie privée, l'information, l'absence de discrimination, le secret sur l'information, le respect de la dignité des personnes et le bien du groupe ou de la famille soient garantis à tout prix. Si l'on considère un emploi éventuel non éthique des données génétiques, il faut absolument en défendre la communication aux compagnies d'assurance et aux employeurs qui pourraient en user pour des fins non justifiées. Quelques exceptions pourraient jouer en ce qui concerne les professions dites "à risque", telles que: chauffeurs, pilotes, pour lesquelles sont requises certaines garanties. Auquel cas, il faut en réglementer scrupuleusement la dérogation au plan de l'information médicale. IV. CONCLUSION La dignité humaine, le droit à la vie, - qui n'a rien à voir avec la théorie du "droit à l'enfant" - et la famille, constituent le cadre philosophique, éthique et juridique où il faut essayer de comprendre la problématique de la bioéthique concernant les tests et les dépistages génétiques. La génétique médicale, en sa qualité de discipline scientifique, se doit au service de l'être humain raisonnable, libre, autonome et social. En conséquence, dans ses différentes applications, elle ne peut faire abstraction des exigences éthiques essentielles liées à la dignité de l'homme, à la vie et à la famille à laquelle il appartient. La triade: dignité humaine, vie et famille, constitue le principal critère éthique d'évaluation du caractère licite ou non, de telle ou telle méthode de dépistage ou de tel ou tel test génétique, de son opportunité ou de son usage. La perspective future du diagnostic médical correct et précoce de maladies génétiques consistera dans l'identification des gènes responsables de la maladie en cause, dans l'étude de leur constitution chimique et de leur affectation chromosomique. Dans cette attente, les démarches préventives et thérapeutiques, l'utilisation des tests génétiques en cours, continueront à susciter de l'appréhension, des doutes, des questionnements concernant également l'opportunité ou non de l'usage de méthodes à fins éthiques ou non qui sont à disposition. Si la bioéthique tient à se mettre au service de l'homme, de la famille et de la société, elle devra situer l'homme et la vie au cœur de sa propre réflexion. La vie de l'homme transcende la simple vie physiologique, par essence et par vocation, elle a une dimension transcendante. Il faut, de toute nécessité, des règlements législatifs et juridiques pour créer l'ordre dans la convivialité sociale, qui, en aucune sorte, ne négligent les règles de l'ordre moral de ce qui est fondamental. L'heure de mettre fin à la "politique de l'autruche" a sonné. Il est indispensable de dire la vérité envers et contre tout. “En effet” - écrit Christine Boutin “si l'homme n'est plus respecté dans ce qu'il a d'essentiel, s'il évolue dans un contexte de moins en moins humain, si enfin il est détaché de l'amour, je crains que nous courrions au devant de situations catastrophiques, voire mortelles”(15). En conclusion, je pense que le devoir majeur de la bioéthique contemporaine est de faire en sorte que l'humanitas soit toujours au centre des préoccupations suscitées par une utilisation incorrecte des éventuelles découvertes génétiques. (15) Boutin C., op. cit. p. 111.