AZTÈQUES Quand les Espagnols abordèrent pour la première fois le continent américain, ils entendirent parler d’un empire tout-puissant, à la fois craint et haï, et qui tenait tous les peuples sous sa loi. Cet empire avait son centre «derrière les montagnes», dans la lointaine vallée de Mexico. C’est lui que les conquérants allaient combattre et détruire. Ils furent si impressionnés, émerveillés même, par sa puissance et ses réalisations qu’ils eurent tendance à attribuer aux Aztèques tout ce qu’ils voyaient. Ceux-ci n’étaient pourtant que les derniers venus; ils appartenaient à une puissance jeune, héritière d’un long passé et qui n’était arrivée à l’hégémonie que depuis peu, grâce à une politique de conquêtes et d’expansion. 1. Le Mexique avant les Aztèques Pour tenter de comprendre l’aventure aztèque, il faut rappeler brièvement le passé mexicain, où l’on peut très sommairement distinguer quatre grandes périodes: Époque précéramique. Dans une première phase, que l’on peut dater de 15 000 à 1 500 avant J.-C., le pays a sans doute été peuplé de tribus nomades de chasseurs-collecteurs, à l’outillage lithique très restreint, suivant les migrations du gibier et se nourrissant des plantes trouvées en chemin. Ils ignoraient la céramique et se réfugiaient dans des abris naturels. Époque préclassique ou formative. La phase précédente se termine avec l’apparition de l’agriculture (en particulier la culture du maïs) qui change les conditions de vie: les nomades se fixent, les premiers villages d’agriculteurs apparaissent, la population croît. Ces sédentaires construisent les premiers temples «en dur» et rendent un culte aux dieux ou aux déesses de la fertilité, parmi lesquels commencent à s’imposer certains dieux du panthéon ultérieur, comme Huehueteotl , le «vieux dieu», le dieu du feu. Cette phase s’étend approximativement de 1500 avant J.-C. à 300 après J.-C. Époque classique. La stabilité nouvelle des conditions de vie engendre ce que l’on nomme les «grandes civilisations» de l’époque classique. Sur l’ensemble du territoire naissent de grands centres religieux, qui indiquent l’existence d’un clergé et d’une hiérarchie déjà très développés. Citons par exemple Teotihuacán dans les hautes terres, Monte-Albán, El Tajín, etc. Tous ces sites ont un caractère commun: s’ils constituent des lieux du culte bâtis autour des sanctuaires, ils s’associent également à la naissance du phénomène urbain. L’épanouissement de ces cités a pour corollaire celui de l’art, qui atteint un très haut degré de raffinement. Pour des raisons qui restent encore à expliquer, la plupart de ces grandes cités connaissent un déclin brutal aux alentours de l’an 900 de notre ère. Époque postclassique. Avec l’effondrement de ces centres religieux, une nouvelle ère commence. Pendant que s’établissaient, à l’époque précédente, des civilisations déjà très avancées, des chasseurs-collecteurs, vivant selon un mode de vie très rudimentaire, continuaient à errer dans les plaines désertiques du Nord. Ces nomades appartenaient à la famille linguistique Uto-Asteca. Au moment du déclin des puissances urbaines, ils commencèrent à envahir les zones centrales, plus riches et plus civilisées. La première vague d’envahisseurs est représentée par les Toltèques, qui fondent leur propre ville, la «légendaire Tula», dans l’actuel État de Hidalgo, en 980 de notre ère. Des deux groupes ethniques composant la tribu – l’un, formé de noyaux antérieurs plus civilisés, l’autre, des nouveaux venus, barbares – devait naître l’une des civilisations les plus brillantes d’Amérique, dont les souverains futurs, aztèques en particulier, se diront toujours les dépositaires. Des luttes internes obligent Quetzalcoatl, roi-prêtre de Tula, à s’enfuir vers le Yucatán. Nous verrons plus loin son rôle historique. D’autres vagues de barbares se succèdent et luttent en vue de l’hégémonie. Ce sont les Otomis, les Tépanèques, et surtout les féroces Chichimèques. Les tribus chichimèques qui envahirent l’Anahuac étaient, selon la légende, au nombre de sept. L’étymologie de leur nom est controversée, signifiant peut-être «lignage de chiens». L’une de ces sept tribus avait continué son chemin vers l’est, vers Tlaxcala; les autres s’étaient fixées sur le plateau central. Là, les Chichimèques rencontrent des peuples sédentaires, ayant déjà atteint un degré de culture bien supérieur, connaissant l’agriculture, modelant la céramique la plus fine. Il s’agit des derniers rameaux des peuples ayant exercé l’hégémonie dans le passé, gens de Teotihuacán à Azcapotzalco, de Tula à Colhuacán, qui doivent alors affronter ces barbares nouveaux venus, héritiers des cultures du désert, vivant à moitié nus, ayant une organisation sociale très rudimentaire. Mais ce sont des peuples vigoureux, avides de terre et de stabilité d’abord, puis de conquête et d’expansion. Parmi ceux-ci, la petite tribu des Aztèques va jouer un rôle prépondérant. 2. Premiers temps et installation dans la vallée de Mexico La chute de Tula, que l’on date de 1168, aura une conséquence importante: une petite tribu chichimèque se met en marche. Les hommes quittent leur ville, Aztlán (que l’on localise aujourd’hui dans l’État de Nayarit), où ils ont passé mille ans, et partent vers le sud. Ils sont conduits par quatre prêtres, portant sur leurs épaules l’effigie de leur dieu Huitzilopochtli , «le colibri de gauche», qui guide leur migration. Le destin de cette tribu est étrange et fascinant. Derniers venus dans la vallée, «Vrais Chichimèques», considérés par tous comme des sauvages, chassés de toutes les terres, ils vont faire preuve d’un esprit d’adaptation, d’une ingéniosité et d’un courage tels qu’en moins de deux cents ans ils se rendront maîtres du Mexique. Lorsqu’ils parviennent dans la vallée, ils trouvent les terres occupées et sont traités par tous en parias. Le souverain toltèque de Colhuacán les autorise à se fixer à la limite de son royaume; il utilise ces chasseurs comme serfs sur ses terres et les condamne à une vie misérable. Cependant, au bout d’un certain temps, il donne sa fille en mariage au jeune chef aztèque Nopaltzin, et celui-ci promet de traiter la princesse «comme une déesse». Promesse qu’il accomplira en faisant tuer et écorcher la princesse pour la transformer en déesse guerrière... Les Aztèques sont à nouveau chassés. En 1345, sans doute, s’accomplit la prophétie de leur dieu Huitzilopochtli, qui les soutenait dans leur longue marche: leur migration devait s’arrêter le jour où ils verraient un aigle, debout sur un cactus, dévorant un serpent. Cette vision (l’emblème du Mexique moderne) leur apparaît enfin dans un petit groupe d’îlots inhospitaliers, perdus au milieu des marécages de la côte ouest de la grande lagune de Texcoco. C’est là qu’ils se fixent, créant une «pauvre petite bourgade au milieu des roseaux» qui allait devenir la plus belle ville du monde. Leur vie reste précaire. Ils se nourrissent de ce que fournit le lac, poissons, couleuvres, etc., et chassent le petit gibier. La misère les contraint à se louer comme mercenaires à la plus grande puissance alors établie, celle de Tezozomoc, souverain tépanèque d’Atzcapotzalco, qui leur assure en échange une certaine protection. Mais les choses changent sous son successeur, le cruel tyran Maxtla. Sans doute conscient du danger grandissant que représente cette tribu, Maxtla fait tout pour opprimer les Aztèques et essaye d’écraser leur puissance naissante. Mais, dans la lutte, les Aztèques auront l’avantage, et la défaite tépanèque marque un tournant de l’histoire mexicaine: avec Itzcoatl, leur souverain, et Tlacaelel, son conseiller, l’ordre aztèque commence à régner. 3. L’ordre aztèque Tlacaelel fut, en effet, un homme politique d’une valeur exceptionnelle et d’une grande lucidité. Il survivra à trois souverains et orientera tout l’avenir de son peuple. Sur le plan intérieur, ses réformes dans le domaine juridique et administratif permettront la mise en place de l’énorme machine nécessaire à la bonne marche de l’empire. Il pourra ainsi, grâce à un système de prévoyance, lutter contre une disette qui s’abattra sur le pays. La grande idée politique de Tlacaelel sera de réorganiser entièrement l’histoire, pour la rendre conforme à la mystique de son peuple: les Aztèques sont le peuple élu de Huitzilopochtli, créés pour le nourrir et faire vivre le monde. C’est ainsi qu’il détruira les archives des autres tribus, qui ne faisaient pas la part assez belle à la vocation aztèque. Sur le plan extérieur, une politique de conquêtes s’élabore, qui tend à reculer les frontières de la domination aztèque. Pratiquement, à part quelques régions qui résistèrent toujours à la pression aztèque – comme Tlaxcala, le Michoacán et une certaine partie de la zone maya – tout le pays jusqu’au Guatemala actuel subit l’invasion de ce peuple guerrier. C’est de ce moment que date la triple alliance, qui unissait Mexico-Tenochtitlán à ses cités sœurs de Texcoco et de Tlacopán, alliance au sein de laquelle Mexico aura toujours la prédominance. Sous le règne de Motecuzoma Ier naquit également une institution très curieuse, Xochiyaoyotl , la «guerre fleurie», qui était en fait une sorte d’alliance entre tribus mexicaines pour procurer des victimes destinées aux dieux. 4. La religion On ne peut en effet comprendre le destin de ce peuple sans connaître les grandes lignes de sa religion. On l’a dit, les Aztèques se considéraient comme le peuple élu du Soleil, chargé d’en assurer la marche en le nourrissant. Un mythe de la création éclaire cette idée. Au commencement du monde, tout était sans vie, noir, mort. Les dieux se réunirent dans les ténèbres à Teotihuacán et se demandèrent: «Qui aura la charge d’éclairer le monde?» Deux dieux se proposèrent. Au moment de se jeter dans le brasier, l’un des deux hésita, recula: il devint la Lune. L’autre, un petit dieu humble et pauvre (sans doute représente-t-il la tribu à ses humbles débuts), s’y jeta sans hésiter: il devint le Soleil. Mais les astres étaient morts, ils ne bougeaient pas dans le ciel. Tous les autres dieux présents décidèrent alors de se sacrifier pour les nourrir. Et la nourriture qui leur était nécessaire, c’était «l’eau précieuse», le sang. C’est ainsi que les hommes se trouvent obligés de recommencer éternellement le sacrifice divin, et s’estiment responsables de la marche du monde. Le trait de la religion aztèque qui frappa le plus les conquérants, et qui explique la violence de la répression contre l’idolâtrie, est justement cet extraordinaire «fleuve de sang» dans lequel baignait le Mexique. Plus la tribu prenait de l’importance, plus grand lui semblait son rôle historique et plus les sacrifices humains se multipliaient. Sous le règne du sixième roi aztèque, Ahuitzotl, on procéda à la rénovation du grand temple de Mexico-Tenochtitlán. On a évalué à vingt mille le nombre des prisonniers de la «guerre fleurie», sacrifiés à cette occasion. Les canaux de la ville charriaient du sang. Toutes les formes de sacrifice étaient pratiquées – pendaison, crémation, sacrifice par les flèches, etc. – mais les plus fréquentes étaient l’arrachement du cœur sur la pierre de sacrifice et le sacrifice gladiatoire. Celui-ci consistait, pour un prisonnier armé seulement de bois et lié par un pied, à combattre contre des guerriers «aigles» ou «jaguars» en armes. Il semble que ces sacrifices aient été acceptés par les futures victimes. Le genre de vie qui les attendait dans l’autre monde dépendait, en effet, non de leur mérite, mais de leur trépas. Et il n’était mort plus glorieuse, destin plus noble que de mourir au combat ou au sacrifice. Les guerriers devenaient alors «compagnons de l’aigle» c’est-à-dire du Soleil, qu’ils avaient nourri de leur sang et qu’ils allaient accompagner dans sa course jusqu’au zénith. Là, leur cortège était relayé par celui des femmes mortes en couches, considérées, elles aussi, comme des guerriers ayant bien combattu. Si les formes de sacrifices étaient multiples, c’est qu’ils s’adressaient à des dieux différents. La religion aztèque est remarquable par son polythéisme illimité. Les Aztèques ne «tuaient» jamais un dieu conquis, mais l’adoptaient dans leur panthéon, essayant de faire coïncider sa personnalité avec celle d’un de leurs dieux; s’ils n’y parvenaient pas, ils lui rendaient un culte dans un temple particulier, réservé à ces dieux conquis. 5. Le calendrier et la soumission aux «livres du destin» Les Aztèques étaient héritiers d’un long passé, et, comme leurs prédécesseurs et leurs voisins, Olmèques ou Mayas en particulier, ils accordaient une importance extrême à l’astronomie. Dans leurs calmecac (sortes de collèges religieux), les prêtres étudiaient l’année divinatoire et donnaient à chaque date ou à chaque événement sa place dans le réseau d’influences divines, d’appartenances, d’orientations de l’univers. Profondément imbus de la certitude de la précarité du monde et du bon vouloir divin, ils accordaient la plus grande importance aux tonalamatl , ces «livres du destin» où étaient consignés les jours, les dieux auxquels ils appartenaient, etc. Leur astronomie atteignait un grand degré de raffinement. Le calendrier embrassait un cycle de trois années: une année divinatoire de 260 jours, une année solaire de 360 jours (plus 5 jours néfastes, les nemontemi , sans signes), une année vénusienne de 560 jours. Quant à leur écriture, pictographique, elle était, au moment de la Conquête, en pleine évolution. Nous avons conservé de magnifiques livres, peints sur papier d’agave ou sur peau de cerf, des calendriers, des rôles des tributs et des documents historiques racontant l’histoire du peuple de Huitzilopochtli et de ses migrations. 6. Tenochtitlán, la ville Il faut en effet mesurer le chemin parcouru en moins de deux cents ans par ces «sauvages lacustres». Au moment où Cortés parvint à Mexico, en 1519, il fut émerveillé des beautés de la ville, qu’il décrivit dans une lettre à Charles Quint comme «la plus belle ville du monde, une nouvelle Venise». Avec l’ingéniosité qui caractérise leur peuple, les architectes aztèques avaient réussi à tirer des prodiges de ce sol ingrat. Au début de leur établissement dans la lagune, cantonnés sur des îlots marécageux, ils avaient inventé, pour se procurer de la terre à cultiver, le système des chinampas , que l’on peut voir aujourd’hui encore à Xochimilco. Il s’agit de sortes de légers radeaux de branches, sur lesquels on entasse la boue prise au fond du lac. Ces radeaux, d’abord flottants, se fixent peu à peu au sol avec l’assèchement de la lagune. C’est donc sur un véritable archipel d’îlots, naturels ou artificiels, que fut construite la ville. Au moment de la Conquête, Mexico était un magnifique ensemble de palais (certains à plusieurs étages), de temples, de jardins. L’eau était partout présente, les rues moitié chaussées, moitié canaux. On entrait en barque, jusque dans le palais de l’empereur Motecuzoma II. Un grand aqueduc traversait la ville, apportant l’eau potable de Coyoacán. Chaussées et ponts, «permettant à huit cavaliers de passer de front», témoignaient une maîtrise de l’urbanisme bien supérieure à celle de l’Espagne de la même époque. 7. L’organisation sociale Une telle ville était le reflet d’une organisation sociale déjà très poussée, fort différente de ce qu’elle avait été au temps des migrations de la petite tribu. Alors, l’autorité semble avoir été exercée par les prêtres de Huitzilopochtli, qui, peut-être avec l’aide des chefs de famille, guidaient la migration. Deux cents ans plus tard, les Espagnols trouvèrent en face d’eux un empire hautement structuré, une sorte de «bureaucratie» déjà puissante, une forte organisation sociale. Ils traduisirent par «empire» ce qui n’était en fait qu’une sorte de confédération de tribus sous la férule des Aztèques, et par «empereur» le mot tlatoani , «celui qui a la parole». Le tlatoani n’était pas un chef héréditaire, il était élu, ou plus exactement choisi à l’intérieur d’une même famille, comme étant le plus digne d’exercer le pouvoir. Les querelles de succession, au sein des familles princières, prouvent que la notion de pouvoir héréditaire était en voie de stabilisation. Toute l’organisation sociale, d’ailleurs, subissait des transformations. Au-dessous de l’empereur, les tecuchtli , les seigneurs et les prêtres, seules classes sociales dispensées de l’impôt. Le clergé, très nombreux et de plus en plus puissant, avait à sa tête les prêtres des deux temples jumeaux de Huitzilopochtli, dieu tribal des Aztèques, dieu de leur vocation guerrière, et de Tlaloc, le vieux dieu de la Pluie des agriculteurs sédentaires. Les tecuchtli acquéraient généralement cette dignité au combat. En effet, la noblesse n’était pas encore héréditaire et seuls les mérites permettaient d’accéder aux honneurs. Dans un peuple si profondément attaché à une mystique guerrière, il est normal que le courage ait représenté la source des dignités. Tout guerrier ayant fait quatre prisonniers était couvert d’honneurs et de biens. Celui qui ne se distinguait pas au combat était destiné à rester toute sa vie macehualli , «homme du commun». À la fin de cette période, une évolution se fit sentir: les fils des hommes qui s’étaient distingués furent reconnus dès leur naissance pilli , «princes». La plus grande partie de la population était composée des macehualli, les hommes du peuple, redevables de l’impôt, soumis aux corvées. La ville de Mexico-Tenochtitlán se composait de calpulli , sortes de quartiers, ou plutôt d’unités territoriales, héritage probable des anciens clans. En se mariant, chaque homme recevait une parcelle de son calpulli à cultiver. Certaines catégories sociales jouaient cependant un rôle privilégié, les marchands, pochteca , qui représentent l’une des institutions les plus étonnantes de l’ancien Mexique, et dont l’origine paraît remonter à la plus haute antiquité. Ils sont à la fois des trafiquants, chargés de parcourir l’empire en rapportant des marchandises précieuses – or, plumes de quetzal, coton des terres chaudes, nourritures raffinées pour la cour de l’empereur – mais ils sont aussi des espions, voyageant jusqu’aux limites de l’empire, observant pour le compte de Motecuzoma ce qui se passe dans les provinces. Ils sont en outre des agents provocateurs, et leur rôle, à l’arrivée des Espagnols, sera important. En fait, ils représentent l’avant-garde de la conquête militaire aztèque, et une classe sociale dont l’importance va croissant. Une autre catégorie, celle des artisans, joue un rôle privilégié. Nous avons vu les Aztèques se réclamer d’une filiation toltèque, ce peuple civilisateur par excellence qui les avait précédés et qui, disait-on, sous la conduite de son roi-prêtre Quetzalcoatl, avait inventé les arts et les techniques. On donnait aux artisans d’art, orfèvres, tisserands, plumassiers, etc. le nom de tolteca , reconnaissant ainsi leur origine. Chaque catégorie d’artisans avait ses quartiers, ses temples, ses dieux, ses fêtes propres. Artisans et marchands étaient organisés en véritables corporations. 8. La vie économique Les conquérants décrivent avec admiration l’extraordinaire richesse et la beauté des marchés de Tenochtitlán regorgeant de richesses de tous les coins de l’empire, denrées précieuses, céramiques fines, objets d’or et de pierres fines, ouvrages de plumes, etc. L’économie, si précaire lors de l’établissement dans la lagune, était devenue beaucoup plus florissante. L’alimentation de base des Aztèques, comme celle des Indiens d’aujourd’hui, était fondée sur le complexe maïs-haricots-courges-piments. Un certain nombre de plantes cultivées sont originaires du Mexique et, de là, gagnèrent l’Europe avec le succès que l’on sait: la tomate (tomatl ), le cacao, etc. Certaines ressources d’appoint étaient aussi fournies par le lac, comme au temps de la misère de la tribu. Le Mexique ancien ne connaissait pratiquement pas la volaille ni la viande de boucherie, à l’exception du dindon (animal également originaire du Mexique) et du chien, d’une espèce particulière, petit et sans poils, que l’on engraissait pour le manger. En revanche, le gibier abondait, en particulier les oiseaux lacustres. Si la table des hommes du peuple était frugale, celle des nobles comportait un grand nombre de plats très recherchés. Il serait d’ailleurs faux de se représenter ce monde aztèque comme un monde fermé: les rapports les plus constants existaient entre les différentes parties de l’empire. Les peuples, soumis ou alliés, devaient payer un tribut très lourd à Motecuzoma: balles de coton, mesures d’or, plumes de quetzal, manteaux richement tissés, etc. Les peuples de la Huaxteca ont, semble-t-il, toujours influencé la mode des hauts plateaux, comme en témoigne en particulier la petite pèlerine triangulaire – le quexquemitl – originaire de la côte, que portaient (et portent encore) les femmes des hautes terres. Après avoir tracé les grandes lignes de cette civilisation extrêmement brillante que la Conquête devait arrêter brutalement, insistons encore sur le caractère de jeunesse de cette société. Ce serait sans doute une erreur que de figer dans le temps l’image du monde aztèque. Dans tous les domaines, sur tous les plans, l’évolution aurait continué. L’écriture, encore pictographique, était en train d’acquérir une certaine abstraction. Sur le plan religieux, les dieux jeunes et guerriers de la tribu se superposent aux dieux agraires pour composer un panthéon extrêmement complexe, polythéiste et sanguinaire. Il faut signaler cependant l’influence de Quetzalcoatl, roi-prêtre de Tula et dieu civilisateur, patron des collèges religieux. Durant sa vie, il avait été très opposé aux sacrifices humains. Les prêtres dédiés à son culte prônaient l’autosacrifice et pratiquaient les sacrifications. Enfermés dans leurs collèges, ils méditaient et se livraient à une analyse de plus en plus approfondie de leur interprétation religieuse de l’univers. Sur le plan humain, cette religion, en apparence formelle, mais fondée sur l’idée de la précarité du monde et de la responsabilité humaine, aboutissait au rigorisme le plus strict et à la défense des plus hautes valeurs morales. À l’aide de longs discours on répétait à l’enfant, puis à l’adolescent, ce qu’il devait à sa dignité d’homme, l’attachement qu’il lui fallait montrer à ses devoirs et sa responsabilité vis-à-vis des dieux. La structure sociale elle-même contenait des ferments de trouble, et une opposition se serait probablement développée entre une noblesse de plus en plus attachée à ses prérogatives et tentant de s’ériger en caste et une classe de marchands, de plus en plus riche, prenant de la puissance sans acquérir de statut. La politique extérieure de l’empire aztèque posait également des problèmes. Le besoin en «nourriture divine», en sang humain, allait croissant et faisait peser une dure contrainte sur les peuples soumis à la triple alliance et déjà accablés sous les impôts. D’autre part, une confédération de tribus groupant des peuples aussi variés (et dont beaucoup n’étaient pas de langue nahuatl ) et s’étendant sur de si vastes distances était naturellement fragile et demandait, dans la capitale, une forte organisation – une «bureaucratie» – ajoutant ainsi une nouvelle catégorie sociale «non productive» aux charges de l’État. Cet immense empire n’était donc pas un ensemble homogène mais une synthèse encore fragile. L’étonnante victoire de Cortés et de sa poignée d’hommes, face à la puissance mexicaine, s’explique en partie par ce qu’était cette puissance: les peuples soumis aidèrent le conquérant à se débarrasser de l’impérialisme aztèque. On a vu aussi l’extrême soumission des Aztèques aux signes du destin. Quetzalcoatl avait promis de revenir dans une année ce-acatl , «un roseau», et Cortés débarqua dans une année ce-acatl. De terribles présages avaient obscurci les dernières années du règne de Motecuzoma II, qui tous annonçaient de grands bouleversements. Profondément croyants, l’empereur et son peuple crurent voir revenir le dieu réclamant son royaume... ___________________________________ © 1998 Encyclopædia Universalis France S.A.Tous droits de propriété intellectuelle et industrielle réservés.