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2
Avez-vous de bonnes
raisons de croire
ce que vous croyez ?
UILLAUME - Aujourd’hui, c’est notre
second cours. Le sujet de la discussion
est : La peine de mort: êtes-vous pour ou
contre ?”. La discussion est lancée et
chacun peut y aller de son opinion. Oui,
Nancy.
NANCY - Vous me demandez mon
opinion sur la peine de mort ? Bien, je
suis contre. Chacun a le droit de penser
ce qu'il veut, non ? Vivons-nous ou non
dans un pays démocratique ? À ce que je
sache, chacun peut toujours, dans ce pays,
penser ce qu'il veut, et ce qu'il pense c'est
vrai pour lui parce qu'il le pense. Faut
vraiment se prendre pour un autre pour
dire que l'opinion de quelqu'un n'est pas
valable. Comment une opinion
pourrait-elle être fausse pour celui qui la
pense? Elle est vraie pour lui. Merci.
EDOUARDO - Moi, je suis pour la peine
de mort. D'abord, parce que la peine de
mort a un effet dissuasif. Moi, je pense que
si tu enlèves la vie, on doit te l'enlever.
Oeil pour oeil, dent pour dent. C'est
logique, non ?
SOPHIE - ... mais ça n’a pas empêché, par
exemple, Timothy McVeigh de tuer 168
personnes, dont 19 enfants, à Oklaoma
City en 1995 ! En faisant sauter l’édifice
fédéral, il devait bien savoir que s’il se
faisait prendre il risquait la peine capitale,
car elle est en vigueur dans son pays (les
États-Unis). D’ailleurs, il a été reconnu
coupable de l’attentat le 2 juin dernier, et
le jury l’a condamné à la peine de mort par
injection.
THAN - Je suis d'accord avec toi. Selon
moi, la cause des crimes c'est dans la
société qu'elle se trouve. Ce que je veux
dire, c'est que si la société était plus saine,
il n'y aurait pas de criminels. C'est la
société qui rend criminel, voyons! Au
début, l’homme était bon. Les criminels
ne sont pas responsables; c’est la société
qui les a corrompus. Prenez un enfant
battu. Il a de grosses chances qu'il batte à
son tour. Mais, avant d’être battu, il n’était
pas méchant, le pauvre...
G
7
NICOLAS - On est plongé dans un débat
sans fin ! On a pas de preuve pour
trancher pour ou contre la peine de mort.
Nancy disait que chacun peut penser ce
qu'il veut. Je suis d'accord avec elle. Y a
pas de preuve.
GUILLAUME - Qu'est-ce que tu appelles
une preuve ? Donne-nous un
exemple.
NICOLAS - Prenez la question de savoir
si la Terre est plate. Autrefois, les gens
pensaient que la Terre était plate. Puis, il
y a eu des preuves du contraire. Alors,
aujourd'hui, on ne croit plus que la Terre
est plate mais qu'elle est ronde.
GUILLAUME - Je répète ma question:
qu'est-ce qu'une preuve ? Dans
l'exemple que tu nous apportes, peux-tu
nous donner une preuve que la Terre
est bel et bien ronde ?
NICOLAS - J'sais pas; mais les
scientifiques ont découvert que la Terre est
ronde...
GUILLAUME - ...comment y sont-ils
parvenus? Je vais t'aider. Pour cela, il
faut remonter aux anciens penseurs grecs
avant notre ère, les premiers qu'on a
appelés philosophes ”. À cette époque,
il n'y avait pas de différence entre
“philosophe” et “scientifique”; la
distinction viendra plus tard, aux
alentours de la fin du 18e siècle. Mais
peu importe. Le premier à se faire
appeler philosophe ”, Pythagore
(580-500 av. J.-C.), fut également le
premier à suggérer que la Terre soit
sphérique. On ne sait pas comment il est
parvenu à cette conclusion. Repose-t-elle
sur des observations? Difficile à établir.
Mais pourquoi donc une sphère plutôt
qu'un disque plat, comme le suggéraient
les autres philosophes avant Pythagore, de
même que bon nombre d'autres traditions
mythologiques et religieuses, dont celle
des Grecs eux-mêmes? Sans doute parce
que la sphère est un solide géométrique
parfait. Car nous savons que Pythagore et
son école vouaient un culte mystique aux
nombres et aux formes géométriques,
entre autres pour le cercle et la sphère.
Puisque tout ce qui est parfait est divin, la
sphère étant parfaite est donc divine.
Pythagore enseignait également que toutes
les planètes (mot français dérivé du
grec signifiant “errant”), incluant la Terre,
étaient des sphères dont les relations
arithmétiques formaient une harmonie
d'où émanaient une musique sublime, la
musique des sphères ”.
Deux siècles après Pythagore, un
autre grand philosophe, Aristote (384-322
av. J.-C.), formula, dans son Traité du ciel,
trois arguments en faveur de la sphéricité
de la Terre
1
. On savait à son époque
que les éclipses de Lune sont provoquées
par l'interposition de la Terre entre la
Lune et le Soleil. Comment expliquer
alors, demande Aristote, la forme
circulaire de l'ombre projetée par la Terre
sur la surface de la Lune, autrement que
par la courbure de la surface de notre
planète? Si, en effet, la Terre était un
disque plat, elle projetterait une ligne
d'ombre au lieu d'un cercle d'ombre. Or,
ce n'est pas ce que nous observons. Par
conséquent, la Terre doit avoir une forme
sphérique. Aristote fait ensuite
remarquer que les voyageurs qui se
1
Voir Michel Rival, Les grandes expériences scientifiques,
Paris, Seuil, Point/sciences n˚ S110, 1996, p. 12-13.
8
déplacent du nord au sud voient certaines
constellations d'étoiles s'abaisser et
disparaître, tandis que d'autres surgissent
et s'élèvent devant eux. Ainsi, des étoiles
vues par exemple à Québec ne sont plus
visibles à New York. Aristote concluait
que la Terre devait être sphérique.
Enfin, toutes les choses, dit Aristote,
tombent sur la Terre en provenance de
toutes les directions; par conséquent, leur
dépôt peut seulement former une sphère.
Appelles-tu, Nicolas, preuves de la
sphéricité de la Terre, les arguments
d'Aristote ?
NICOLAS - Oui. Et j'ajouterais, en plus,
aujourd'hui, les photos prises à partir des
capsules spatiales montrant très nettement
que la Terre est une grosse boule bleue.
GUILLAUME - Si je comprends bien, ta
notion de preuve implique, pour une
part importante, voire essentielle,
l'observation sensible, faite au moyen des
cinq sens, surtout celui de la vue. Les
trois arguments d'Aristote reposent en
effet sur l'observation. Compare-les avec
celui de Pythagore. Quelle
différence y vois-tu ?
NICOLAS - Dans le cas de Pythagore, 'y
a pas d'observation...
SOPHIE - ...il part plutôt des idées qu'il se
fait de la sphère en géométrie et il les
applique à la Terre.
PHILIPPE - Les preuves d'Aristote sont
aussi très logiques. Je veux dire qu'il y a
de la réflexion en plus de l'observation.
J'aime mieux Aristote que Pythagore parce
qu'il y a les deux, l'observation et
la réflexion.
GUILLAUME - Dis-moi donc, Nicolas,
les preuves d'Aristote sont-elles
des preuves parce qu'elles font appel à
l'observation ou parce qu'elles font
appel à la réflexion ?
NICOLAS - Les deux; observation plus
réflexion; mais plus observation que
réflexion.
GUILLAUME - Je serais enclin à dire que
par preuve tu comprennes ce qu'on
entend dans la science expérimentale
moderne par observation ou
expérience ”. Selon une vision de la
science (qui est aujourd'hui largement
critiqué, nous y reviendrons), on observe
d'abord, ensuite les scientifiques formulent
une hypothèse qu'ils cherchent ensuite à
confirmer ou infirmer au moyen d'autres
d'observations. Qu'en penses-tu?
*
NICOLAS - Avec l'exemple de la Terre,
je dirais qu'on a affaire à une preuve par
les faits. C'est la même chose avec 2 + 2 =
4. Si quelqu'un pense que 2 + 2 = 5, il est
dans les patates ”, il se trompe parce que,
qu'il le veuille ou non, 2 + 2 = 4 ! C'est un
fait !
PHILIPPE - Une minute ! 2 + 2 = 4, c'est
pas un fait comme la Terre est ronde !
SOPHIE - ...ouais, on a pas observé ça
comme on a pu voir la Terre avec des
caméras...
9
NICOLAS - ...ben, les hommes ont
découvert que deux roches ou deux bâtons
ajoutés à deux autres en donnent quatre.
Ils ont fait de cette découverte une vérité.
SHILAN - Moi, je crois pas à ça que les
maths ont été découvertes. Avec la
quantité de formules qu'on a à apprendre,
ça n'a pas d'allure ton histoire !
GUILLAUME - Encore une fois, Nicolas,
tu vas devoir nous expliquer ce que tu
veux dire quand tu dis que c’est un fait
que 2 + 2 =4.
NICOLAS - C’est bien simple : tout le
monde est d’accord avec ça que 2 + 2 = 4 !
GUILLAUME - Donc, le fait c’est que
tout le monde est d’accord, c’est ça ?
NICOLAS - Oui.
GUILLAUME - Mais, tantôt, tu disais pas
que c’est parce que les hommes ont
découvert que deux choses ajoutées à
deux autres en donnait quatre ?
NICOLAS - Oui, tout le monde s’est
rendu compte de ça.
GUILLAUME - Tout le monde pouvait
faire cette découverte ?
NICOLAS - Oui.
GUILLAUME - Que réponds-tu à Shilan,
qui t’objecte qu’il existe une quantité
énorme de vérités mathématiques, de
sorte qu’il est ridicule de penser que les
hommes les ont toutes découvertes ? Par
exemple, a-t-on découvert que 164-48 ÷ 4 =
29, et après - disons, deux ans plus tard -
que 164-48 = 29 x 4 ? Ou encore que (5 x
5) + (4 x 4) = (4 x 4 ) + (5 x 5 ), et plus tard
que 52 + 42 = 42 + 52, et ainsi de suite?
NICOLAS - Bien non, c’est ridicule ! Il
suffit de savoir calculer.
GUILLAUME - Que veux-tu dire ?
NICOLAS - Bien, de savoir additionner,
soustraire, diviser, etc....
SHILAN - ... et de connaître les lois de
l’addition et de la multiplication, comme
la commutativité, la distributivité, et bien
d’autres. Par exemple, on sait que
l’addition est commutative, mais pas la
soustraction. Par exemple : 164 + 48 = 48
+ 164, mais 164 - 48 48 - 164; et la
multiplication est distributive par rapport
à l’addition : a x (b + c) = (a + b ) x (a + c).
PHILIPPE - Je suis d’accord avec Shilan :
les math, c’est de la logique. Pour
prouver que 2 + 2 = 4, c’est facile. On
établi, d’abord, que 2 = 1 + 1. OK ?
Ensuite, que 4 = 1 + 1 + 1 +1. C’est clair
que (1 + 1) + (1+ 1) = 1 + 1 + 1 + 1.
Autrement dit, 4 c’est 2 ajouté à lui-même,
et le tour est joué...
GUILLAUME - Excellent. Remarquez
que le raisonnement de Philippe obéit au
principe logique suivant : si A = B, et B = C,
alors A = C, appelé principe de
transitivité ”. Ainsi : si 2 + 2 = (1 + 1) + (1
+ 1) [A = B], et que 1 + 1 + 1 + 1 = 4 [B =
C], alors 2 + 2 = 4 [A = C]. Il n’est pas
nécessaire, je crois, d’aller plus loin pour
montrer que les mathématiques sont de la
logique appliquée. N’es-tu pas de cet
avis Nicolas ?
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NICOLAS - Oui, c’est vrai.
GUILLAUME - Maintenant, dis-moi
Nicolas, quels sont les “ faits ” qui font que
2 + 2 ≠ 5 ?
NICOLAS - C’est pas logique.
GUILLAUME - Les faits en question sont
donc des faits logiques ”.
NICOLAS - Je vois pas autre chose.
**
SHILAN - Monsieur, suis-je la seule à
penser qu'on a perdu le fil de la discussion
? On est parti de la question de la peine
de mort et nous voilà en train de parler
des math ! Cherchez le rapport !
PHILIPPE - Bien, on est parti de la
question de ce qu'est une preuve ”.
Nicolas dit qu'il n'y en a pas quand on
discute de sujets controversés, comme la
peine de mort. Le prof lui a alors
demandé ce qu'il entendait par “preuve”.
Nicolas entend un fait observable. Il dit
qu'il y a aussi des preuves par les faits en
math. Moi, Sophie, Shilan et le prof on
n'est pas d'accord avec lui.
GUILLAUME - Merci pour ce résumé.
J'ajouterais, en guise de précision, que le
type de preuve auquel on a affaire en
math est de nature logique et non de
nature observationnelle, comme en
physique, en chimie, en biologie, etc. Le
grand logicien allemand Gottlob Frege
(1848-1925) - considéré comme le plus
grand logicien depuis Aristote -, de même
que le philosophe britannique Bertrand
Russell (1872-1970), tentèrent de montrer,
au début de notre siècle, que les
mathématiques ne sont que de la logique.
Malheureusement, ils échouèrent, et il
serait trop long de vous
expliquer pourquoi.
Maintenant, par preuve logique ”,
les logiciens modernes entendent une
argumentation dont la vérité de la
conclusion découle nécessairement de la
vérité des arguments. Soit, par exemple,
l'argumentation logique suivante :
(1) Tous les Québécois sont Mexicains.
(2) Tous les Mexicains sont européens
(C) Par conséquent, tous les Québécois
sont européens.
Il est clair que les arguments (1), (2),
de même que la conclusion (C), sont faux.
Mais peu importe, ce n’est pas ce qui
intéresse les logiciens. Supposons,
diraient les logiciens, que (1), (2) soient
vrais : vous êtes alors forçés de conclure
(C).
Donc, aussi étrange que cela puisse
être, la logique ne cherche pas à couvrir
ce qui est vrai. Elle laisse cette tâche aux
diverses sciences exactes (physique,
chimie, biologie, etc.) et humaines (la
sociologie, la psychologie, l’histoire, etc.).
La logique cherche à découvrir ce qui se
passe si les arguments sont vrais (ou faux),
et elle dit si les arguments sont vrais, alors la
conclusion ne peut être fausse.
En ce sens. les math sont donc
comme de la logique. S'il est vrai que 2 +
2 égale 1 + 1 + 1 + 1, et que ce dernier
nombre est égal à 4, alors...
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