de l'Est et du Sud, mais aussi à l'intérieur même de
chaque pays, qu'il soit « développé » ou « émergent ». La
globalisation est en effet une formidable machine
inégalitaire. C'est même là le premier grand déraillement
qu'elle charrie dans ses bagages. Avec à la clé, si l'on n'y
prend garde, le dérapage incontrôlé qui peut miner la
cohésion sociale et ébranler nos démocraties.
Sur le plan économique, il n'y a pas eu de surprise : la
globalisation a produit les effets inégalitaires auxquels on
pouvait s'attendre. (…)
(1) Pour une définition de concept d'économie-monde, voir
l'ouvrage très éclairant (et accessible aux non-initiés) de
l'économiste américain Immanuel WALLERSTEIN,
Comprendre le monde. Introduction à l'analyse des
systèmes-monde, La Découverte, Paris, 2006.
Les excès du capitalisme financier
La machine à fabiquer des bulles tourne toujours
(…) Tant que la liquidité mondiale sera abondante et que
l'obsession du rendement occupera les esprits, la
machine à fabriquer des bulles n'est pas près de s'arrêter.
Or, jusqu'à preuve du contraire, la crise financière n'a pas
fait disparaître l'une et l'autre. On observe simplement un
déplacement de la spéculation d'un objet de désir à un
autre. Ainsi, depuis la fin 2007, la liquidité a, comme on l'a
vu, abandonné le financement de l'immobilier résidentiel
et de tous les actifs titrisés pour se porter sur les matières
premières (alimentaires, énergie, métaux précieux) et sur
les actions des entreprises des pays émergents. Pour ces
actifs, comme pour les actions avant-hier ou l'immobilier
hier, la valorisation est devenue excessive. La hausse du
prix du pétrole depuis l'été 2007, par exemple, ne peut
s'expliquer simplement par l'évolution de la demande
mondiale d'or noir. De même, la valorisation des actions
des pays émergents - en particulier indiennes ou russes -
est bien plus forte que celle des actions des grands pays
de l'OCDE. Aux dernières nouvelles, l'engouement des
investisseurs s'était porté sur la terre agricole « leveragée
», en Ukraine, en Pologne et ailleurs...
L'histoire risque donc de bégayer. Tant que les
investisseurs rechercheront des rendements
anormalement élevés par rapport aux rendements sans
risque et que la liquidité mondiale croîtra rapidement, les
conditions seront remplies pour que les bulles
apparaissent : le mimétisme des investisseurs concentre
la liquidité sur peu d'actifs, dont les prix augmentent donc
inconsidérément. Et comme ils sont désormais en quête
d'actifs « rassurants », c'est-à-dire dans leur esprit
décorrélés de la conjoncture occidentale en général, et
américaine en particulier, leur intérêt a tendance à se
porter sur des classes d'actifs de plus en plus étroites, ce
qui ne peut qu'amplifier et accélérer encore les
phénomènes de bulles. Pas besoin d'être grand clerc pour
pronostiquer de nouvelles explosions.
Pour éviter que l'économie mondiale ne coure de bulle en
bulle, il faudrait que les investisseurs reviennent sur
d'autres actifs dont les prix sont au contraire sous-
évalués. C'est le cas des actifs d'entreprises (actions,
crédit) délaissés, alors que la profitabilité des entreprises
continue de s'accroître avec des gains de productivité
supérieurs à la hausse des salaires réels. Mais
l'observation du passé prouve qu'il est extrêmement
difficile de revenir progressivement sur des actifs dont
l'analyse fondamentale montre que le prix est attrayant,
ce qui revient à convaincre « à froid » les investisseurs
d'accepter collectivement des rendements du capital plus
faibles. Même si une telle évolution devrait être favorisée
par le fait que les banques, contraintes de consommer
davantage de capital (avec les difficultés de la titrisation,
avec l'augmentation de la volatilité), vont pousser dans le
sens d'une réduction du levier d'endettement. (…)
Une révision réglementaire ne peut être
qu'internationale
Ne rêvons pas. Une « autorégulation » collective n'est pas
l'hypothèse la plus probable. À partir de là, comment faire
pour éviter que des secousses comme celle qui a ébranlé
nos économies en 2007 se reproduisent ? Les libéraux
ont tendance à penser que la question de l'«aléa de
moralité» (ou « risque moral », désignant le
comportement négligent ou fautif d'un agent économique,
dès lors qu'il s'estime couvert par un contrat ou une
assurance) n'a pas vraiment de solution. Mais si l'on
renonce, ex-post, à punir les spéculateurs, afin d'éviter de
pénaliser au passage l'économie dans son ensemble, au
moins peut-on se demander comment et jusqu'où il est
possible de leur imposer des règles plus efficaces afin de
les empêcher, ex ante, de provoquer des catastrophes
destructrices de valeur dans la sphère financière, mais
aussi dans l'économie réelle. (…)
Il faut bien pourtant trouver les moyens d'inciter l'industrie
financière à faciliter plutôt le financement de la
croissance. Une part importante de l'épargne mondiale a
été détournée depuis 2003 au profit de l'investissement
logement des ménages américains. Or, on sait que
l'investissement en logements n'est pas efficace pour
augmenter la croissance potentielle d'un pays. Et qu'il
vaudrait mieux, si l'objectif est d'accroître la production et
le revenu, canaliser l'épargne mondiale vers les
investissements productifs ou générateurs de progrès
technique.
En outre, on vient de voir aussi comment, au cours de ces
dernières années, l'épargne s'est investie en masse dans
des actifs financiers « artificiels » - au sens où ils
n'auraient pas dû normalement servir de support à
l'épargne, dès lors qu'ils n'étaient pas faits pour financer
les investissements. C'est le cas en particulier de
l'explosion du marché des dérivés de crédit (depuis le
début des années 2000, le marché des crédits default-
swaps est parti de presque rien pour grimper à plus de 50
000 milliards de dollars). L'investissement de l'épargne
dans ce type de produits ne débouche pas sur un
supplément d'émissions obligataires ou d'investissement
des entreprises. Il s'agit donc bien d'un actif financier «
stérile » au sens de la croissance potentielle.
De même, les marchés à terme de matières premières ne
sont pas conçus pour servir de support au placement de
l'épargne, mais de couverture à des acheteurs qui
consomment ces matières premières pour leur production.
Or, depuis la crise de l'été 2007, ils ont tendance à servir
de refuge aux investisseurs en mal de sensations fortes.
Bien entendu, il est possible de soutenir que, grâce à
cette spéculation sur les marchés à terme de matières
premières, leurs prix au comptant montent et que cela
garantit du revenu supplémentaire aux producteurs,
revenu qui peut, in fine, servir à financer des
investissements bien réels. Toutefois, le fait que l'épargne
transite par des actifs qui ne sont pas conçus pour cela
présente de graves inconvénients, à commencer par la
taille excessive des marchés dérivés avec tous les risques