Croire
notre existence, commence ici et maintenant. Et l’infini, ou son absence,
ne peuvent pas être seulement des ornements intellectuels à l’extrémité
d’une discussion civile et polie, où l’on pourrait indifféremment soutenir
l’un ou l’autre, pour séduire ou choquer. Quand on s’aperçoit que chaque
instant qu’on vit, que chaque lieu qu’on traverse sont soumis à la réponse
à la question : le temps et l’espace sont-ils infinis ? il n’est plus aussi
facile d’adopter le non. A ce stade, la première réaction par rapport à la
négation de l’infini est le silence. D’ailleurs, c’est par un silence plus buté
qu’interrogatif que cette violente affirmation est aujourd’hui accueillie
dans le monde. Et si à ce moment-là on continue de sommer
l’interlocuteur de se prononcer, on le verra alors rapidement convaincu de
ne plus pouvoir se servir de ses instruments conceptuels préférés, en
chercher d’autres, à tâtons, un peu comme ces héroïnes de cinéma, au
moment ou l’étrangleur les tient, qui piochent derrière elles quelque objet
contondant qu’elles ne découvrent que par les doigts, animés par la
panique. Pourtant il se peut que l’objet, si peu choisi, se retourne contre
qui s’en empare, s’il est inoffensif par exemple, rond et mou, ou bien s’il
se révèle être une chose tranchante qu’on attrape par le tranchant, ou
encore si c’est un objet corrosif ou incandescent. Les héroïnes de cinéma
sont en général exemptées de ce genre de mésaventure, mais pas les
contradicteurs de l’irréalité de l’infini, qui alors tentent d’échapper au
menaçant étranglement de la finitude, d’autant plus menaçant qu’ils n’y
avaient jamais pensé, en utilisant des termes non logiques, respirant la
confusion, voire des anathèmes. Car nier toute réalité à l’infini est vite
considéré comme “ une hypothèse ” (c’est bien évidemment l’infini qui
est l’hypothèse), “ une absurdité ” (c’est bien évidemment l’infini qui
paraît une absurdité), “ une croyance ” (c’est bien évidemment l’infini qui
est une croyance).
A ce nouveau stade, le débat peut s’arrêter. Avoir qualifié de
“ croyance ” la non-réalité de l’infini suffit à sous-entendre qu’on est
entré dans un système irrationnel, une affaire de goût presque, contre
laquelle il n’y a pas d’argumentation pertinente. Et dans la mesure où la
négation complète de l’infini attaque tous les secteurs de l’activité et de la
société, ce qui justement apparaît à ce stade-là, croire en une telle idée
devient implicitement la base d’un sectarisme ou d’une religion. Or
moi-même, qui suis un téléologue moderne, c’est-à-dire l’une des rares
personnes au monde qui réfute la réalité de l’infini, et qui pense que le
contenu de la fin du monde doit être le débat explicite sur cette fin par
l’humanité organisée en assemblée générale, moi-même qui suis