Philosophie – Annexe au cours sur la culture. La réflexion sur les termes de nature et de culture nous amène à repenser cette distinction. La coutume ou la culture a quelque chose de naturel dans sa permanence et des traditions vieilles de plusieurs siècles paraissent « plus naturelles » que des comportements naturels que nous apprenons à oublier pendant l’enfance. On peut s’interroger sur une expression telle que « être naturel » afin de montrer les limites et les problèmes d’une opposition nature/culture trop simplifiée. « Être naturel » Il s’agit d’un jugement relevant de l’ordre de la naïveté. Il se manifeste bien souvent sous la forme du commandement « sois naturel ! ». Comme si le sens d’une telle expression allait de soi, était évidente. Une telle expression cacherait bien plutôt une réalité contradictoire : si être naturel relève du spontané, de l’irréfléchi, du non-commandé, comment peut-il être commandé (la phrase est impérative), demandé ? Comment pourrait-on décider d’être naturel ? Il semblerait que ce qui est désigné par l’expression n’est pas ce à quoi on penserait au premier abord. Il y a un déplacement du sens, une illusion. Quand je dis « sois naturel ! », je veux dire en fait autre chose. Il faudrait donc faire preuve de méfiance. On pense aux publicités pour objets cosmétiques, ou pour tout objet prônant une vie plus simple, plus spontanée, un retour à un état antérieur. Être naturel serait au sens le plus littéral revenir à un état antérieur à celui de la culture et de l’apprentissage. La culture et l’éducation sont des contraintes qui façonnent notre identité et notre comportement. Être naturel reviendrait à laisser parler sa nature sans la censurer. Une telle expression se veut l’inverse d’ « être factice », c'est-à-dire artificiel, fabriqué, moulé... Etre naturel relève du caprice, de l’incompréhension face à la nécessité de l’éducation. Il s’agit d’une fausse liberté. C’est également un mensonge, une incompréhension de la nature humaine. Comme si la nature intérieure (l’intention) pouvait se manifester parfaitement à l’extérieur (l’expression orale et la gestuelle). On ne pourra jamais savoir si telle personne a vraiment dit la vérité, quelle était son intention. « Sois naturel ! » est une contradiction qui révèle l’inverse de ce qu’elle prétend accomplir. C’est se faire un nouveau masque portant les codes sociaux de l’idée que l’on se fait du naturel, c’est fabriquer un nouvel artifice (c'est-à-dire ce qui est construit par l’homme, ce qui est culturel), donc être à l’opposé de la nature. Il y a une positivité de l’expression « sois naturel ! », quand cet impératif est bien compris, c'està-dire quand il s’agit d’une maîtrise de l’artifice pour faire croire aux autres que l’on est véritablement naturel (alors qu’on ne l’est pas). C’est par exemple le lot de l’acteur de théâtre auquel on demande d’être naturel, c'est-à-dire de faire croire aux spectateurs. L’acteur sait très bien qu’il n’est pas le personnage, mais il parvient à le faire croire. La danseuse fait croire que le mouvement complexe et douloureux qu’elle vient de faire est naturel pour elle, alors qu’elle a eu besoin d’un entrainement intensif. Tout dépend donc de la compréhension que l’on a de cet impératif, l’enjeu est de ne pas se laisser illusionner et penser que l’état naturel serait un état d’oisiveté (= contraire du travail et de l’effort) plus libre et plus « vrai ». Ainsi notre usage des mots de nature et de culture est déterminé par des représentations sociales très fortes et par la polysémie des mots qui nous éloigne de la vérité exprimée.